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Compréhension de l'ironie verbale et capacités de mentalisation chez des personnes âgées présentant un trouble cognitif léger

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Compréhension de l’ironie verbale et capacités de

mentalisation chez des personnes âgées présentant

un trouble cognitif léger

Thèse

Geneviève Gaudreau

Doctorat en psychologie clinique – recherche et intervention

Philosophiae doctor (Ph.D)

Québec, Canada

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Résumé de la thèse

Avec le vieillissement de la population, la prévalence des démences comme la maladie d'Alzheimer (MA) est en augmentation. Il est désormais largement admis que l'identification précoce de la MA est cruciale. Le développement d’outils diagnostiques permettant d'identifier les premiers symptômes de déclin cognitif lié à la MA représente un défi scientifique et clinique important. Clarifier le profil cognitif retrouvé dans le prodrome de la MA (appelé trouble cognitif léger [TCL]) représente un moyen d'atteindre cet objectif. Très peu d’études ont documenté la compréhension du langage non littéral chez les individus avec un TCL, bien qu’une atteinte de cet aspect langagier ait été proposée à titre de marqueur possible de la MA. La présente thèse vise à caractériser la compréhension du langage non littéral, plus particulièrement de l’ironie verbale, chez les individus avec un TCL. L’implication des capacités de mentalisation est également étudiée. Un premier article présente l’état des connaissances actuelles sur la compréhension de l’ironie verbale aux plans clinique et théorique. Un deuxième article documente la compréhension de l’ironie verbale chez des individus présentant un TCL. Les résultats obtenus soulignent la présence de difficultés de compréhension de l’ironie chez des gens ayant un TCL et montrent que ces difficultés sont fortement liées aux capacités de mentalisation des participants. Un dernier article rapporte les résultats d’une étude dans laquelle la compréhension de l’ironie a été examinée en uniformisant l’implication de la mentalisation à travers les différentes conditions de la tâche. L’interprétation des données suggère que les difficultés de compréhension de l’ironie chez les personnes avec un TCL sont associées à d’autres difficultés cognitives (p.ex., fonctions exécutives, mémoire épisodique, mentalisation). Dans l’ensemble, cette thèse contribue à l’avancement des connaissances quant au profil cognitif des individus en prodrome de MA, notamment en ce qui concerne la compréhension de l’ironie verbale et les capacités de mentalisation chez les individus avec un TCL. De plus, les connaissances issues de cette thèse ont des retombées au plan clinique en soulignant entre autres l’importance de la modalité d’évaluation de la compréhension de l’ironie dans le vieillissement en général. Des considérations quant à la conceptualisation de la mentalisation sont également abordées.

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Thesis abstract

With the aging of the population, the prevalence of dementia such as Alzheimer’s disease (AD) is increasing. It is now largely accepted that early identification of AD is crucial. An important scientific and clinical challenge is to develop diagnostic tools allowing identification of the earliest symptoms of AD-related cognitive decline. Clarifying the cognitive profile of the prodromal phase of AD (also known as mild cognitive impairment [MCI]) represents one way to attain this goal. Very few studies have documented nonliteral language comprehension in individuals with MCI, although impairment of this aspect of language has been proposed as a potential marker of AD. This thesis aims to characterize nonliteral language comprehension, more specifically verbal irony comprehension, in individuals with MCI. The relative implication of mentalizing capacity is also studied. The first article presents the current state of knowledge on verbal irony comprehension, at clinical and theoretical levels. A second article documents verbal irony comprehension in individuals with MCI. The results highlight the presence of difficulties in comprehending irony in individuals with MCI and these difficulties are strongly linked to mentalizing abilities. A final article reports the results of a study which examined verbal irony comprehension in elders with MCI by mean of a task which standardized the involvement of mentalizing across task’s conditions. Interpretation of the data suggests that impaired verbal irony comprehension in individuals with MCI is associated with other cognitive difficulties (i.e., executive functions, episodic memory, mentalizing). This thesis contributes to the advancement of knowledge about the cognitive profile of individuals with prodromal AD. In addition, this thesis has clinical implications by highlighting the importance of the evaluation modality of irony comprehension in aging. Considerations regarding the conceptualization of mentalization are also discussed.

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Table des matières

RÉSUMÉ DE LA THÈSE ... III THESIS ABSTRACT ... V REMERCIEMENTS ... XV AVANT-PROPOS ... XVII

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION ...1

CHAPITRE 2 : BASES PSYCHOLINGUISTIQUES ET NEUROANATOMIQUES DE LA COMPRÉHENSION DE L’IRONIE CHEZ L’ADULTE ... 17

INTRODUCTION ... 20

L’ironie : concept psycholinguistique hétérogène ... 21

MARQUEURS DANS LA COMPRÉHENSION DE L’IRONIE ... 23

COMPRÉHENSION DE L’IRONIE : PERSPECTIVES PSYCHOLINGUISTIQUE ET NEURANATOMIQUE ... 25

Théories cognitives et psycholinguistiques de l’ironie ... 25

BASES CÉRÉBRALES DE LA COMPRÉHENSION DE L’IRONIE ... 29

DÉFICITS DE COMPRÉHENSION DE L’IRONIE CHEZ L’ADULTE : DONNÉES CLINIQUES ... 31

CONCLUSION ... 32

RÉFÉRENCES ... 34

CHAPITRE 3: VERBAL IRONY COMPREHENSION IN OLDER ADULTS WITH AMNESTIC MILD COGNITIVE IMPAIRMENT ... 37

INTRODUCTION ... 40 METHOD ... 43 Participants ... 43 Materials ... 44 Procedure ... 46 Data analysis ... 47 RESULTS ... 48

Validation of the experimental task ... 48

Demographic and clinical data ... 48

Verbal Irony Comprehension ... 48

Relationships between I/L Comprehension and Neuropsychological Measures ... 49

DISCUSSION... 50

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Second-Order Beliefs Attribution and Pragmatic Interpretation ... 51

Cognitive Processes Underlying Irony Comprehension ... 52

REFERENCES ... 61

CHAPITRE 4: IMPLICATIONS OF MENTALIZING IN VERBAL IRONY COMPREHENSION IN OLDER ADULTS WITH MILD COGNITIVE IMPAIRMENT... 67 INTRODUCTION ... 70 METHOD ... 73 Participants ... 73 Materials ... 74 Procedure ... 76 Statistical analyses ... 77 RESULTS ... 78

Demographic and clinical data... 78

Mentalizing capacities ... 79

Verbal irony comprehension ... 79

Correlations between variables ... 80

DISCUSSION ... 80

REFERENCES ... 90

CHAPITRE 5 : CONCLUSION GÉNÉRALE ... 97

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Liste des tableaux par chapitre

Chapitre 3

Table 1. Mean (SD) proportion of correct scores of HC participants to the validation of the French version of Winner’s task...55 Table 2. Means (SD) and significance levels of demographic and neuropsychological characteristics of participants...56

Chapitre 4

Table 1. Means (SD) and significance levels of demographic and neuropsychological characteristics of participants...88

Chapitre 5

Tableau 1. Tableau tiré de Achim et coll. (2013), représentant les différentes sources d’information tel que proposé par le 8-SIF……….107

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Liste des figures par chapitres

Chapitre 1

Figure 1 Algorithme décisionnel tiré, adapté et traduit de Petersen (2004)………..3

Chapitre 3

Figure 1.1. Sample of a story (lie type) translated in French with its original English

version derived from Winner et al. (1998)...58 Figure 1.2. Sample of a story (irony type) translated in French with its original English version derived from Winner et al. (1998)...59 Figure 2. Mean proportions of correct responses (±SEM) by question and story types ...60

Chapitre 4

Figure 1. Sample story in French adapted from Eviatar and Just (2006)...85 Figure 2. Mean (±SEM) proportions of correct scores on mentalizing, non-social reasoning and first-order ToM of the Combined Stories Test...86 Figure 3. Mean proportions of correct responses (±SEM) for Ironic and Sincere stories of the Short Scenario Irony Comprehension Task...87

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Liste des abréviations et des sigles

aMCI = Amnestic Mild Cognitive Impairment AD = Alzheimer Disease

ACDS-ADL = Alzheimer's Disease Co-operative Study - Activities of Daily Living Inventory

ANOVA = Analysis of variance

D-KEFS = Delis-Kaplan Executive Function System

DSM-IV = Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fourth Edition GDS = Geriatric Depression Scale

HC = Healthy Control I/L = Irony or Lie question MA = Maladie d’Alzheimer MdT = Mémoire de travail

MCI = Mild Cognitive Impairment MMSE = Mini-Mental State Examination MoCA = Montreal Cognitive Assessment PPTT = Pyramid and Palm Trees Test QPC = Questionnaire de plainte cognitive RL-RI = Rappel libre/Rappel indicé SD = Standard deviation

SEM = Standard Error of the Mean

SSICT = Short Stories Ironic Comprehension Task TASIT = The Awareness of Social Inference Test TCLa = Trouble cognitif léger de type amnésique TCL = Trouble cognitif léger

TdE = Théorie de l’Esprit ToM = Theory of Mind

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Remerciements

La réalisation de la présente thèse n’aurait pu être possible sans l’aide et le support d’individus formidables, que je tiens à remercier du fond du cœur.

Tout d’abord, je ne serai jamais suffisamment reconnaissante pour le soutien que m’ont apporté mes directeurs de thèse, Carol Hudon et Laura Monetta, tout au long de mon parcours doctoral. Carol, ta rigueur et ton dévouement envers la recherche ont été pour moi un modèle. Merci d’avoir cru en moi tout au long de ce voyage. Laura, tu m’as montré que la recherche peut être source de beaucoup de bonheur; merci pour ta passion, tu as su ensoleiller ces années de travail parfois plus sombres.

Merci à Isabelle pour ta présence et ton support aux différentes étapes de mon parcours; tu es une ressource inestimable pour le laboratoire. Il était bon de savoir que je pouvais compter sur ton aide lorsque j’en avais besoin. Sarah, Brandy, Andrée-Anne, Anne-Marie, Mélissa, vous qui avez effectuées ce voyage à mes côtés, merci d’avoir été présentes, merci pour ce support moral, ces fous rires, et simplement pour avoir rendu ce travail plus léger… Je suis heureuse d’avoir évoluée à vos côtés durant toutes ces années. Merci aussi à tous ceux et celles qui ont participé, de près ou de loin, à la cueillette de données; sans vous, ce travail n’aurait pu avancer aussi rapidement.

Merci à mes amis Amélie, Andrée-Anne, Élizabeth, Michel, Sébastien, qui ont partagés ces années doctorales à mes côtés. Votre amitié a rendu ces années plus douces, avec un brin de folie… merci!!

Un immense merci à toutes ces personnes âgées, avec et sans difficultés cognitives, qui se sont prêtées à l’exercice de mes tâches expérimentales, sans qui ce projet n’aurait pu voir le jour.

Merci également à la Société Alzheimer du Canada, qui m’a soutenu financièrement tout au long de mon parcours, et m’a permis de me dédier de façon plus intensive à mon projet doctoral, en éliminant les soucis financiers.

Enfin, merci à mes parents, Denise et Bruno, ainsi qu’à ma petite sœur Julie Anne, pour leur amour inconditionnel, pour avoir toujours cru et continuer de croire en moi. Merci d’avoir entendu mes moments de découragement, ainsi que mes réussites… Merci pour votre soutien inébranlable, pour m’avoir également transmis la volonté de l’accomplissement de soi… Sans vous je n’aurais pu franchir cette grande et significative étape.

Un tout spécial merci à toi Jonathan, mon amour, mon compagnon de vie, mon âme sœur, qui m’a accompagné au quotidien pendant la plus grande partie de cette aventure. Merci à toi aussi d’avoir cru en moi, pour avoir été l’ancrage dont j’avais besoin lors de moments plus tourmentés. Merci pour ton amour authentique, qui fait de moi une meilleure personne jour après jour.

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Avant-propos

La présente thèse comprend cinq chapitres et inclut trois manuscrits scientifiques. Le

premier chapitre consiste en une introduction générale et fait état des connaissances actuelles sur la question de la compréhension de l’ironie dans le prodrome de la MA. Il permet de mettre en lumière les éléments essentiels qui justifient le bien-fondé de la présente thèse.

Le second chapitre est composé d’un article de synthèse portant spécifiquement sur l’étude de la compréhension de l’ironie dans le domaine de la neuropsychologie et de la neuroanatomie en général. Plus spécifiquement, le deuxième chapitre présente une synthèse des données empiriques et théoriques sur la question de la compréhension de l’ironie dans les populations présentant des lésions cérébrales acquises. Il offre un approfondissement des connaissances sur la notion de compréhension de l’ironie. Ce chapitre a été publié dans la Revue de Neuropsychologie en 2012.

Le troisième chapitre présente les résultats d’une étude portant sur l’identification de déficits de compréhension de l’ironie verbale chez des individus avec un TCLa, l’ironie étant mesurée ici à l’aide d’une tâche adaptée de Winner et al. (1998). Le deuxième manuscrit (Chapitre 3) fut accepté pour publication dans la revue Neuropsychology en 2013. Puisque cette tâche ne permet pas d’explorer de façon indépendante les déficits de compréhension de l’ironie et les difficultés de mentalisation et donc, de statuer de l’un par rapport à l’autre, une étude subséquente a été réalisée, dont les résultats sont présentés dans le chapitre suivant. Ainsi, le quatrième chapitre rapporte les résultats de la seconde étude de la thèse, portant spécifiquement sur l’implication des capacités de mentalisation dans la compréhension de l’ironie chez les personnes âgées avec un TCL. Le troisième manuscrit (Chapitre 4) sera soumis prochainement pour publication dans la revue Brain and Cognition.

Enfin, le cinquième et dernier chapitre propose une discussion générale. Ce chapitre fait un retour succinct sur les principaux résultats de la thèse de façon intégrée, un examen des limites et des forces de l'étude et une présentation de ses potentielles contributions théoriques et cliniques.

La contribution des différents coauteurs des articles est la suivante:

GENEVIÈVE GAUDREAU, candidate au doctorat, École de psychologie, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec : Recension des écrits scientifiques, collecte des données (groupe de patients et leurs participants témoins), analyse et interprétation des résultats et rédaction des manuscrits.

CAROL HUDON, neuropsychologue-chercheur et professeur agrégé, directeur de thèse, École de psychologie, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec: Assistance dans la rédaction des manuscrits scientifiques. Supervision de la démarche scientifique.

LAURA MONETTA, orthophoniste clinicienne, chercheuse et professeure adjointe, codirectrice de thèse, Département de réadaptation et Centre de recherche de l’Institut

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universitaire en santé mentale de Québec : Assistance dans la rédaction des manuscrits scientifiques. Supervision de la démarche scientifique.

JOEL MACOIR, orthophoniste clinicien, chercheur et professeur titulaire, Département de réadaptation et Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec: Révision des deuxième et troisième manuscrits. Interprétation des résultats et conseils judicieux tout au long du parcours doctoral.

ROBERT LAFORCE, JR., chercheur, neurologue et neuropsychologue, Clinique interdisciplinaire de la mémoire du CHU de Québec: Révision des deuxième et troisième manuscrits.

STÉPHANE POULIN, psychiatre, Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, Clinique interdisciplinaire de la mémoire du CHU de Québec : Révision des deuxième et troisième manuscrits.

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CHAPITRE 1 : Introduction

Les démences dégénératives, telle la maladie d’Alzheimer (MA), sont de plus en plus répandues au sein de la population en raison du vieillissement démographique. La MA est caractérisée par une altération des fonctions cognitives (p.ex., problèmes mnésiques, aphasie, agnosie) ainsi qu’une perte importante de l’autonomie fonctionnelle (American Psychiatric Association, 2003). L'évolution de la MA est lente et insidieuse, et les plaintes des individus qui en sont atteints concernent principalement la perte de mémoire des événements récents (Minati, Edginton, Bruzzone, & Giaccone, 2009). Selon des données de la Société Alzheimer du Canada (2009), plus de 500 000 Canadiens ont la MA ou une affection apparentée. De plus, les coûts économiques et sociaux associés à cette maladie sont énormes. Plus précisément, les frais directs et indirects associés à la MA s’élevaient à près de 15 milliards de dollars en 2008. Ces chiffres dénotent la nécessité de comprendre les causes et l’évolution de la maladie afin de faciliter le développement de traitements efficaces ce qui, en retour, allègera le fardeau socio-économique de la maladie.

Un diagnostic de MA peut être compliqué en raison de la frontière floue qui existe entre un fonctionnement cognitif normal et pathologique. Par exemple, un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information ainsi qu’une diminution des capacités mnésiques (mémoires épisodique et de travail) et langagières (p.ex., fluence verbale) peuvent être notés tant chez la personne âgée saine que celle atteinte de la MA (Caserta et al., 2009). Cette situation complique l’identification précoce de la maladie sur la base des symptômes cognitifs, plus particulièrement chez les personnes âgées de 70 ans et plus (Salmon & Bondi, 2009). Il importe de poursuivre les recherches visant à identifier des marqueurs cognitifs de la MA afin d’identifier précocement les individus à risque. À cet effet, la caractérisation des manifestations cognitives de la phrase prodromique de la MA est une avenue privilégiée. Un prodrome correspond à une phase durant laquelle il est possible d’identifier des symptômes précurseurs ou annonciateurs d’une maladie.

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Plusieurs termes et définitions ont été suggérés dans le but de rendre compte de la phase prodromique de la MA (Tuokko & McDowell, 2007). Le trouble cognitif léger (TCL; ou mild cognitive impairment [MCI]) est certainement le concept le plus fréquemment utilisé. La notion de TCL a été proposée initialement par Flicker et al. (1991), mais l’essor des recherches sur ce concept a réellement débuté après la publication des travaux de Petersen et al. (1997). Les premiers critères diagnostiques ont été proposés par Petersen et al. (1999) et ont été modifiés ensuite par Petersen (2004). Essentiellement, le TCL est un syndrome impliquant la présence de difficultés cognitives légères par rapport à ce qui est attendu chez un individu en fonction de son âge et de son niveau d’éducation. Toutefois, ces difficultés cognitives chez les individus avec un TCL ne sont pas suffisantes pour interférer avec les activités de la vie quotidienne (Gauthier et al., 2006). Dans l’ensemble, bien que certaines personnes avec un TCL ne développent jamais une démence, la très grande majorité d’entre eux voit leurs capacités cognitives décliner graduellement jusqu’à atteindre, éventuellement, un niveau de sévérité suffisant pour rencontrer les critères diagnostiques d’une démence, comme par exemple la MA.

Jusqu’à récemment, les critères les plus utilisés pour identifier les gens présentant un TCL étaient ceux de Petersen (2004). Ces critères incluent : (a) une plainte mnésique subjective de la part du patient, préférablement corroborée par un proche; (b) une objectivation du trouble cognitif (-1,5 écart-type) sur la base de tests neuropsychologiques normalisés pour l’âge et la scolarité; (c) une préservation du fonctionnement cognitif général; (d) une préservation relative de l’autonomie fonctionnelle; et (e) une absence de démence (Petersen, 2004). Différents sous-types du TCL peuvent être distingués selon le nombre et les types de domaines cognitifs atteints. D’abord, le syndrome peut être de type amnésique (TCLa) ou non amnésique (TCLna). Ensuite, au sein de ces deux catégories, les déficits cognitifs peuvent être à domaines unique ou multiples (voir Figure 1 pour une illustration de la démarche diagnostique).

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Figure 1. Algorithme décisionnel tiré, adapté et traduit de Petersen (2004).

Le fait de rencontrer les critères du TCLa indique un risque élevé d’évolution vers la MA (Petersen et al., 2001), ce qui soutient l’idée que le TCLa est généralement considéré comme un syndrome prodromique de la MA (Gauthier et al., 2006). De fait, des données longitudinales ont montré que les personnes présentant un TCLa déclinent vers la MA selon un taux annuel de 10-15%, comparativement à 1-2% chez les personnes âgées sans trouble cognitif (Petersen et al., 2001). L’hypothèse du prodrome de la MA est également appuyée par des études transversales ayant révélé l’existence de plusieurs similitudes entre les profils d’atteintes cognitives des personnes TCLa et des patients atteints de MA (Arnaiz & Almkvist, 2003; Collie & Maruff, 2000; Hudon, Belleville, & Gauthier, 2009; Hudon et al., 2006; Hudon, Villeneuve, & Belleville, 2011; Ralph, Patterson, Graham, Dawson, &

TCL amnésique

Plainte cognitive

Déclin cognitif, déficit anormal pour l’âge, AVQ relativement préservées,

absence de démence

Trouble cognitif léger

Altération de la mémoire ? TCL non amnésique Non Oui Altération de la mémoire seulement ? Uniquement un domaine non mnésique affecté ?

Non Oui Oui Non TCL amnésique domaine unique domaines Domaine unique TCL amnésique domaines multiples Domaines multiples TCL non amnésique domaine unique Domaine simple TCL non amnésique domaines multiples Domaines multiples

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Hodges, 2003) (voir Gainotti, 2010; Palmer & Winblad, 2007; Whitehouse, 2007; Whitehouse & George, 2011 pour différentes positions sur ce sujet).

En 2011, devant l’évolution rapide des connaissances et la nécessité grandissante de mieux définir la phase prodromique de la MA, tant au plan clinique que scientifique, de nouveaux critères diagnostiques du TCL ont été proposés. Ces nouveaux critères distinguent ceux applicables en pratique clinique et ceux recommandés dans un contexte de recherche (Albert et al., 2011). En ce qui a trait à la clinique, les critères sont les suivants : (a) présence d’une plainte cognitive rapportée par le patient, un proche ou un clinicien; (b) déficits objectivés ( -1 écart-type comparativement à un standard normatif) d’une ou plusieurs fonctions cognitives, incluant typiquement la mémoire; (c) préservation de l’indépendance fonctionnelle; et (d) absence de démence. Pour la recherche, ces quatre critères sont repris mais une recommandation est ajoutée concernant la mise en évidence d’un biomarqueur compatible avec la MA (ex., atrophie hippocampique, accumulation A42, etc.). La mise en évidence d’un biomarqueur dans la démarche diagnostique a pour

but d’améliorer la sensibilité et la spécificité du diagnostic de prodrome de la MA. Ainsi, lorsqu’une personne âgée rencontre les critères de base du TCL et que la présence d’un biomarqueur compatible avec la MA est aussi révélée, on parle dorénavant d’un « TCL dû à la MA ».

Les critères d’Albert et al. (2011) sont très similaires à ceux de Petersen (2004). Soulignons tout de même quelques différences : en comparaison aux critères de Petersen, les critères d’Albert et al. (a) distinguent ceux à utiliser par les cliniciens et ceux que la recherche devrait idéalement appliquer; (b) n’incluent plus le besoin de montrer la préservation du fonctionnement cognitif général; (c) mentionnent que la plainte cognitive peut être rapportée par le clinicien, ce qui n’était pas le cas auparavant; (d) sont plus libéraux que ceux de Petersen en ce qui concerne le seuil d’objectivation d’un déficit cognitif (-1 écart-type comparativement à -1,5 écart-type, respectivement) ; et (e) recommandent de suivre longitudinalement une personne avec un TCL afin de confirmer la probabilité d’un prodrome de la MA, alors que cette recommandation n’était pas explicitement formulées dans les critères de Petersen. Si une évaluation de suivi met en évidence un déclin cognitif, la spécificité du diagnostic de MA prodromique est accrue et

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les risques de faux-positifs sont diminués. Albert et al. reconnaissent toutefois que le suivi longitudinal n’est pas possible chez tous les patients. Dans ces situations, les auteurs recommandent d’utiliser un standard individuel et de s’appuyer sur l’histoire médicale pour estimer la probabilité qu’un déclin se soit installé.

En somme, les critères d’Albert et al (2011) et ceux de Petersen (2004) incluent tous deux les éléments suivants : une plainte cognitive, l’objectivation de déficits cognitifs dans une ou plusieurs sphères, la préservation de l’autonomie fonctionnelle et l’absence de démence. Malgré les différences énumérées précédemment, il est très probable qu’une personne âgée qui rencontre les critères de Petersen (2004) rencontre également ceux d’Albert et al. (2011). Toutefois, l’inverse peut ne pas s’appliquer. Par exemple, un trouble mnésique se situant à -1 écart-type est suffisant au sens des critères d’Albert et al., mais pas pour ceux de Petersen. De plus, si une plainte cognitive est rapportée par le clinicien, mais pas par le patient ou son entourage, le critère concernant la plainte n’est pas satisfait selon l’algorithme décisionnel de Petersen, mais il l’est selon Albert et al.

Actuellement, les connaissances sur le prodrome de la MA proviennent surtout d’études ayant recruté des individus avec un TCLa (selon les critères de Petersen, 2004). En effet, étant donné leur récence, les publications de travaux effectués auprès de personnes identifiées sur la base des critères cliniques du TCL (Albert et al., 2011) ne font que débuter. Dans ce contexte, le présent chapitre réfèrera aux connaissances issues de travaux effectués auprès de personnes avec un TCLa. Par ailleurs, tandis que l’étude décrite dans le Chapitre 3 inclut des personnes présentant un TCLa (Petersen), celle du Chapitre 4 inclut des personnes avec un TCL (Albert et al.). Cette différence quant aux critères diagnostiques utilisés s’explique par le fait que l’étude 1 (Chapitre 3) a débuté avant la publication des critères d’Albert et al. (2011). Les conséquences de cette différence entre les deux études empiriques de la présente thèse sont très mineures. En effet, en théorie les connaissances applicables au concept de TCLa le sont aussi au concept plus récent TCL. De plus, tel qu’expliqué précédemment, il y a tout lieu de croire que les personnes identifiées TCLa rencontrent également les critères du TCL d’Albert et al.

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Importance de l’évaluation neuropsychologique. Malgré l’engouement de plus

en plus marqué pour la découverte de biomarqueurs de la MA (Baclet-Roussel, Ankri, & Ergis, 2010; Bouchard, 2007; Jack et al., 2011; Rossini, Rossi, Babiloni, & Polich, 2007; Smith, 2010), il est encore difficile de se fier uniquement sur ces derniers en raison de leur manque de spécificité (Frisoni et al., 2011; Schmidt et al., 2011). En conséquence, et parce que l’évaluation neuropsychologique demeure centrale dans la démarche diagnostique de la MA, il est impératif de poursuivre la recherche d’indices cognitifs marquant la phase prodromique de la maladie (Jak, Bondi, et al., 2009; Nelson & O'Connor, 2008). Il est également important de souligner l’aspect pratique et économique de l’évaluation neuropsychologique et cognitive, qui permet d’obtenir rapidement et facilement des informations facilitant le diagnostic différentiel des démences (Bherer, Belleville, & Hudon, 2004).

Investigation du prodrome de la MA : un défi de taille. L’identification des

individus en prodrome de la MA représente un défi scientifique et clinique important (Petersen & Negash, 2008). En effet, la population ayant un diagnostic de TCLa est considérablement hétérogène et malgré les avancées récentes (Albert et al., 2011), les critères diagnostiques sont encore relativement peu spécifiques, ce qui peut entraîner une incertitude chez les cliniciens lorsque vient le temps d’identifier précocement la MA chez les personnes âgées ayant de légers symptômes (Ganguli & Petersen, 2008; Petersen & Morris, 2005). La clarification du profil de symptômes qui caractérisent le prodrome de la MA représente encore un enjeu de recherche important ainsi qu’un préalable nécessaire à d’autres investigations (p.ex., recherches en remédiation cognitive) auprès de cette population.

Jusqu’à présent, la majorité des études sur les difficultés cognitives de personnes présentant un TCLa se sont penchées sur les déficits des mémoires épisodique, sémantique et de travail ainsi que ceux affectant les fonctions exécutives. La présence d’un déficit en mémoire épisodique chez les individus avec un TCLa est bien établie (Belleville, Sylvain-Roy, de Boysson, & Menard, 2008) et de toute façon, ce déficit est nécessaire pour le diagnostic. Aux déficits épisodiques s’ajoutent souvent des difficultés en mémoire sémantique, qui touchent notamment les connaissances sur les objets et sur les personnes

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célèbres (Joubert et al., 2008; Leyhe, Muller, Milian, Eschweiler, & Saur, 2009). Des atteintes des fonctions exécutives, plus précisément des déficits d’inhibition, de flexibilité mentale et de planification sont aussi fréquemment retrouvées (Allain et al., 2009; Belanger & Belleville, 2009; Belanger, Belleville, & Gauthier, 2010; Belleville, Chertkow, & Gauthier, 2007; Belleville et al., 2006; Traykov et al., 2007; Zhang, Han, Verhaeghen, & Nilsson, 2007). Il existe enfin des déficits de mémoire de travail (Belleville, Sylvain-Roy, et al., 2008), tant dans la modalité verbale (Belleville et al.) que non verbale (Saunders & Summers, 2010).

Malgré plusieurs indications que le langage est également affecté durant le prodrome de la MA (cf., Taler & Phillips, 2008), un nombre moins important de recherches a été effectuée en ce qui concerne cette sphère. Deux revues de littérature se sont toutefois penchées sur l’étude du langage (a) littéral (Taler & Phillips) et (b) non littéral1 (Rapp & Wild, 2011) dans la MA. Point intéressant, les deux revues de littérature rapportent la présence de ces deux types de déficits dans la MA et suggèrent d’étudier davantage ces aspects du langage (littéral et non littéral) chez des personnes avec une MA prodromique.

Déficits de langage chez les individus avec un TCLa

Taler et Phillips (2008) ont synthétisé le profil de déficits langagiers (c.-à-d., compréhension et production) présent chez les personnes avec un diagnostic de MA et de TCLa. Au plan littéral, les problèmes langagiers les plus souvent rapportés touchent principalement les aspects lexico-sémantiques, et semblent être liées aux déficits cognitifs connus chez cette population (c.-à-d., mémoire sémantique, fonctions exécutives, etc.) (March, Pattison, & Wales, 2009). Les difficultés lexico-sémantiques des personnes avec une MA ou un TCLa se traduisent par des déficits dans des tâches de dénomination, de fluence verbale (principalement sous critère sémantique) et de compréhension. Toutefois, ces difficultés ne sont pas spécifiques à la MA puisqu’un profil de déficits relativement similaire a été retrouvé chez des sujets présentant d’autres types de démences, tels la démence vasculaire ou fronto-temporale (Reilly, Rodriguez, Lamy, & Neils-Strunjas,

1 Le langage non littéral (p.ex., actes de langage indirects, métaphores, expressions idiomatiques,

blagues, ironies, etc.) réfère à un aspect de la pragmatique du langage, soit la capacité à interpréter le langage selon un contexte.

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2010). Ainsi, les difficultés lexico-sémantiques retrouvées chez les individus présentant un TCLa permettent difficilement de départager correctement, au plan du diagnostic différentiel, les individus qui présentent une MA prodromique ou des symptômes avant-coureurs d’une autre forme de démence.

En ce qui a trait au langage non littéral dans la MA, la recension de Rapp et ses collaborateurs (2011) souligne la présence de déficits à différents niveaux. En effet, les études recensées dénotent la présence quasi systématique de déficits au plan de la compréhension de métaphores, de proverbes et d’expressions idiomatiques; toutefois, les auteurs de cette revue de littérature soulignent la surprenante absence de déficit chez les patients avec MA en ce qui concerne la compréhension de l’ironie ou du sarcasme. Il aurait en effet été possible de s’attendre à retrouver des difficultés à ce niveau chez les individus avec un diagnostic de MA puisque, comme il le sera explicité dans un paragraphe subséquent, la bonne compréhension de l’ironie et du sarcasme nécessite un traitement cognitif relativement complexe et sollicite des fonctions cognitives connues comme étant atteintes dans cette maladie (p.ex., fonctions exécutives). Pour ce qui est de la phase prodromique de la maladie, bien que peu d’études semblent exister à ce sujet, il est possible de recenser des difficultés au plan de la compréhension de proverbes et d’énoncés sarcastiques/ironiques (Leyhe, Saur, Eschweiler, & Milian, 2011; Maki, Yamaguchi, Koeda, & Yamaguchi, 2013).

Langage non littéral

Le langage non littéral inclut notamment la compréhension et la production d’actes de langage indirects, comme par exemple les métaphores, l’ironie et le sarcasme, les demandes indirectes, ou encore les proverbes. La compréhension adéquate du langage non littéral implique l’interaction entre plusieurs fonctions cognitives et son traitement optimal repose sur la maîtrise et l’utilisation adéquates de connaissances linguistiques de base mises en interrelation avec le contexte (Martin & McDonald, 2003). Il a été démontré que les lésions cérébrales acquises (p.ex., traumatisme crânien, accident cérébrovasculaire hémisphérique droit) et la neurodégénérescence cérébrale (p.ex., MA, maladie de

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Parkinson) affectent la compréhension du langage non littéral (Channon, Pellijeff, & Rule, 2005; McDonald, 2000).

L’ironie verbale. Il existe plusieurs « formes » d’ironie (p.ex., verbale vs

situationnelle). L’ironie situationnelle réfère aux situations ironiques (p.ex., voir une caserne de pompier en feu) et donc, elle ne correspond pas au domaine du langage à proprement parlé (Gibbs & Colston, 2007a). Dans le cadre de la présente thèse, nous nous intéressons principalement à l’ironie verbale, qui est une forme de langage non littéral généralement définie de la façon suivante : « usage de mots dans le but d’exprimer un sens différent, généralement opposé, au sens littéral ». Cette définition permet d’englober les différents types d’ironie verbale (directe, indirecte2, etc.). À ce jour, plusieurs théories ont été proposées dans le but de définir les caractéristiques de l’ironie verbale.

Théories de la compréhension de l’ironie verbale. Plusieurs modèles cognitifs ou

conceptions psycholinguistiques de la compréhension de l’ironie ont été proposés, pour la plupart fortement inspirés de modèles de traitement de l’information issus de la psychologie cognitive (Gibbs, 1999; Giora, 1995; Grice, 1975; Searle, 1975; Sperber & Wilson, 2002). Ces différents modèles présentent généralement de façon consensuelle le fait que la compréhension du langage non littéral, plus précisément l’ironie, implique un traitement cognitif plus complexe que le traitement d’une assertion littérale. En effet, la compréhension adéquate d’une assertion ironique nécessite de pouvoir inférer que ce qui est affirmé ne reflète pas directement la pensée de celui qui parle.

Selon le modèle de Gibbs, la complexité du traitement de l’information langagière non littérale varie en fonction du contexte et de la prise en compte de l’intention du locuteur. Ainsi, afin de comprendre correctement l’ironie verbale, il faut être en mesure de traiter simultanément les éléments référant au contexte et au message indirect sous-tendu par cette

2 L’ironie directe réfère à une assertion signifiant exactement l’opposé de la pensée de

l’interlocuteur, tandis que l’ironie indirecte est définie comme une assertion qui ne traduit pas directement la pensée de celui qui parle. Par exemple, dire « Tu es une personne tellement organisée! » à quelqu’un qui démontre de mauvaises capacités d’organisation serait caractérisé d’ironie directe, puisque l’interlocuteur peut inférer l’intention derrière l’assertion exprimée. A contrario, le commentaire « La photographie est assurément une carrière pour toi » émis à quelqu’un qui a pris un très mauvais cliché serait considéré comme de l’ironie indirecte puisque l’interlocuteur ne peut pas inférer directement le sens de l’assertion en y déduisant l’opposé (pour plus d'information à ce sujet, voir entre autres Bosco & Bucciarelli, 2008).

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dernière. Une importante charge cognitive est donc en jeu. Dans le prodrome de la MA, ce traitement de l’information pourrait être compliqué par la présence des déficits cognitifs comme les troubles attentionnels, d’inhibition, de flexibilité mentale et de mémoire de travail. En outre, la conceptualisation de Gibbs souligne également l’importance de la métacognition dans le traitement de l’ironie. Celle-ci réfère de façon indirecte au concept de Théorie de l’Esprit (TdE) 3.

Il n’existe pas encore de consensus entre les auteurs qui tentent de conceptualiser cet aspect du langage (Glenwright & Pexman, 2010; McDonald & Pearce, 1996). De plus, l’étude de la compréhension de l’ironie étant un domaine récemment investigué, il reste encore beaucoup à connaitre à propos des processus cognitifs impliqués dans le traitement de l’ironie. D’une part, les conceptualisations théoriques existantes ne parviennent pas, selon les spécialistes de la question, à établir une vision globale des processus sous-tendant la compréhension de l’ironie. D’autre part, il est plutôt difficile de dissocier l’étude de la compréhension de l’ironie verbale de celle de la TdE, ou mentalisation, un concept issue de la cognition sociale4. Cette situation complexifie l’étude de la compréhension de l’ironie en jetant un certain « flou conceptuel » sur la question, et en complique l’opérationnalisation.

Il est possible d’envisager que l’étude de la compréhension de l’ironie dans le contexte de la MA et de son prodrome puisse éventuellement apporter un éclairage supplémentaire sur les processus sous-tendant la compréhension de l’ironie. En effet, un diagnostic de MA (tant prodromique que clinique) s’accompagne de déficits non langagiers comme les fonctions exécutives et la mémoire épisodique et donc, il est possible d’étudier l’association entre ces déficits non langagiers et les difficultés de compréhension de l’ironie. Cette démarche pourrait éventuellement contribuer à la clarification des modèles

3 Le concept de TdE (Premack & Woodruff, 1978), également appelé mentalisation (C. D. Frith &

Frith, 1999), permet d’expliquer la capacité de l’humain à attribuer à l’autre des états mentaux différents des siens (p.ex., croyances et désirs) pouvant influencer son comportement. Plus spécifiquement, la mentalisation réfère à la capacité de réfléchir à ses propres pensées, désirs, émotions, souhaits, ainsi qu’à ceux des autres. Il existe deux niveaux de théorie de l’esprit, soit (a) la capacité d’attribuer à l’autre des états mentaux, comprenant entre autres l’empathie et la compréhension des émotions, appelée TdE de premier niveau, et (b) la capacité d’attribuer à l’autre des intentions, des croyances et des désirs, appelée TdE de deuxième niveau (Brune & Brune-Cohrs, 2006).

4 Par souci d’uniformité, le terme « mentalisation » est utilisé dans ce chapitre d’introduction pour

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théoriques traitant de la compréhension de l’ironie. À ce propos, plusieurs données suggèrent que des capacités de mentalisation intactes ne soient pas le seul élément supportant une compréhension correcte de l’ironie verbale. Notamment, Shamay-Tsoory et al. (2005) ont démontré qu’un déficit de compréhension de l’ironie était possible en l’absence de déficit de mentalisation (c.-à-d., TdE de deuxième niveau). Ces auteurs ont suggéré l’existence d’une relation d’interdépendance entre ces capacités, ce qui réfuterait l’idée que la TdE de second niveau est un prérequis pour la compréhension de l’ironie. Il est donc possible de croire que d’autres éléments de la cognition soutiennent la compréhension de l’ironie. Sur ce dernier point, il est à noter que les fonctions exécutives, plus précisément l’inhibition et le contrôle attentionnel, supporteraient les capacités de mentalisation (Bull, Phillips, & Conway, 2008; Dennis, Agostino, Roncadin, & Levin, 2009; Perner & Lang, 1999) et seraient donc indirectement liée à la compréhension de l’ironie verbale. Citons entre autres une étude de Martin et McDonald (2004) investiguant les causes sous-jacentes aux difficultés de compréhension du langage non littéral chez des individus présentant un syndrome d’Asperger. Cette étude a démontré l’existence d’un lien entre des déficits exécutifs et une incapacité à effectuer des inférences de second niveau (faisant ici référence à la TdE de second niveau). En outre, bien que le lien unissant les fonctions exécutives et la mentalisation ne soit actuellement pas clarifié, il est difficile de dissocier les notions de compréhension de l’ironie et de mentalisation (Martin & McDonald, 2003).

Rôle de la mentalisation dans la compréhension de l’ironie

La relation entre la mentalisation et la compréhension de l’ironie peut sembler équivoque mais selon plusieurs auteurs, la présence de capacités de mentalisation adéquates serait un prérequis à la compréhension de l’ironie. Les récentes recherches sur le sujet indiquent qu’afin de comprendre une assertion ironique, un individu doit être en mesure de « se mettre à la place » de celui qui parle dans le but de saisir l’intention réelle du message exprimé, ce qui réfère aux capacités métareprésentationnelles proposées par Gibbs (Gibbs, Obrien, & Doolittle, 1995) ou encore au concept de mentalisation (Channon et al., 2005). De plus, plusieurs études ont démontré un lien entre des déficits de compréhension du langage non littéral (i.e., ironie, demandes indirectes, métaphores) et des difficultés

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d’attribution d’états mentaux ou mentalisation (Champagne-Lavau & Joanette, 2009; Freedman & Stuss, 2011; Martin & McDonald, 2004, 2005; Monetta, Grindrod, & Pell, 2009). La présence de déficits de mentalisation a également été démontrée chez différentes populations cliniques présentant des problèmes de compréhension du langage non littéral, par exemple chez des individus autistes, cérébrolésés droits et atteints de schizophrénie (Bediou et al., 2009; Bibby & McDonald, 2005; Brune, 2003; Dennis et al., 2009; Happe, 1994; Mo, Su, Chan, & Liu, 2008; Muller et al., 2010; Saltzman, Strauss, Hunter, & Archibald, 2000; Snowden et al., 2003; Youmans & Bourgeois, 2010) de même que chez des personnes présentant des difficultés exécutives (Muller et al., 2010). Qui plus est, la compréhension de l’ironie fait partie des nombreux paradigmes expérimentaux développés afin d’étudier les capacités de mentalisation5 au plan comportemental (Freedman & Stuss, 2011).

Mentalisation chez les personnes présentant un TCLa et la MA. En ce qui

concerne les capacités de mentalisation dans la MA, on retrouve généralement des capacités inférentielles « de premier niveau » préservées, couplées à un déficit au plan des capacités inférentielles plus complexes de « deuxième niveau » (voir Kemp, Despres, Sellal, & Dufour, 2012, pour une revue sur le sujet). Les déficits retrouvés sont habituellement liés aux difficultés cognitives déjà présentes dans la maladie (i.e., déficits exécutifs et mnésiques). À notre connaissance, une seule étude a été menée afin d’évaluer les capacités de mentalisation ainsi que leurs substrats neuronaux associés chez les sujets rencontrant les critères de TCLa (Baglio et al., 2012). Les auteurs ont constaté un patron de résultats relativement similaire à celui retrouvé chez les individus atteint de MA, c’est-à-dire une préservation des capacités de mentalisation de « premier niveau », combinée à un déficit léger au plan des capacités de « deuxième niveau ». Il semble donc qu’un déficit des habiletés de mentalisation plus complexes existe chez les individus avec un TCLa, mais à un degré moindre que ce qui est retrouvé dans la MA. Cependant, d’autres études sont nécessaires afin de confirmer l’existence de ces difficultés.

5 Parmi les autres paradigmes expérimentaux utilisés pour étudier les capacités de mentalisation, on

retrouve les paradigmes de fausses croyances de premier ou deuxième niveau, la tromperie (i.e., deceit ou

deception), l’identification d’émotions (p.ex., le Reading the Eyes in the Mind Test), et la compréhension

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Compréhension de l’ironie chez les individus présentant un TCLa et la MA

La recension des écrits de Rapp et Wild (2011) met en lumière la présence de déficits de compréhension du langage non littéral (proverbes, métaphores, expressions idiomatiques) chez les sujets présentant un TCLa et la MA. Cependant, les auteurs soulignent également la quasi-absence d’études portant sur la compréhension de l’ironie chez les sujets rencontrant les critères diagnostiques de MA et du TCLa en comparaison aux autres composantes du langage non littéral. En effet, les auteurs répertorient seulement deux études portant sur la compréhension de l’ironie chez des patients atteints de démence fronto-temporale et présentant des données en lien avec la MA à titre de comparaison (Kipps, Nestor, Acosta-Cabronero, Arnold, & Hodges, 2009; Rankin et al., 2009). Selon les résultats de ces études, il n’existerait pas de réel déficit de compréhension de l’ironie dans la MA, tel que mesuré par un test évaluant les capacités d’un individu à comprendre des interactions sarcastiques, The Awareness of Social Inference Test (TASIT) (voir McDonald, 2012, pour une description de la tâche). Toutefois, dans une autre étude évaluant la compréhension des composantes extralinguistiques de l’ironie6, la compréhension de scénarios ironiques est déficitaire chez les individus atteints de MA en comparaison à des personnes âgées sans déficit cognitif (Bara, Bucciarelli, & Geminiani, 2000). De plus, Kirshner (2012) soulignait récemment que la compréhension des aspects plus complexes du langage (i.e., abstraction, métaphores, ironie) devenait déficitaire relativement tôt dans l’évolution de la maladie. Ainsi, les résultats cités par Rapp et Wild semblent avoir été influencés par la nature de la tâche utilisée dans les articles répertoriés.

Fait intéressant, suite à la parution de la recension de Rapp et Wild (2011), est survenue la publication d’une nouvelle étude réalisée dans le but de caractériser la compréhension de l’ironie verbale (sarcasme7) chez des personnes présentant un TCLa et la MA (Maki et al., 2013). Les résultats de cette étude permettent en quelque sorte de pallier au manque d’information concernant la compréhension de l’ironie verbale chez les individus

6 On réfère ici à la compréhension de scénarios mettant en scène une interaction ironique, mais ne

faisant pas usage du langage.

7 Le sarcasme est en effet un type d’ironie, qui se veut plus négatif que l’ironie en tant que telle, et

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rencontrant les critères de TCLa. En effet, les auteurs ont comparé des groupes d’individus ayant différents niveaux de fonctionnement cognitif : (a) des jeunes adultes, (b) des adultes âgés sans difficultés cognitive, (c) des individus présentant un TCLa et (d) des individus avec diagnostic de MA. Les auteurs concluent en la présence de déficits de compréhension du sarcasme aussi tôt que dans le vieillissement cognitif normal et ces déficits sont accentués dans le TCLa et la MA. Ainsi, l’étude de Maki et al. apporte pour la première fois un appui à la présence de déficit de compréhension de l’ironie verbale chez les sujets avec un TCLa, ainsi que dans le vieillissement normal et la MA. Cependant, pour bien comprendre la nature de ces déficits, il importe de caractériser davantage ces déficits de compréhension de l’ironie verbale. En effet, qu’en est-il de l’implication des fonctions exécutives et des capacités de TdE dans l’expression de ces difficultés ? Cette question est des plus pertinentes, surtout lorsqu’on considère la présence depuis longtemps reconnue de déficits exécutifs chez les individus avec un TCLa (Baglio et al., 2012; Belleville, Bherer, Lepage, Chertkow, & Gauthier, 2008; Belleville et al., 2007; Poletti & Bonuccelli, 2013). De par les tâches utilisées et le contrôle méthodologique effectué, la présente étude permettra de clarifier davantage la nature des déficits de compréhension de l’ironie en précisant les relations entre les processus cognitifs possiblement impliqués (p.ex., mentalisation, fonctions exécutives). Plus spécifiquement, cette thèse permet de documenter les capacités de compréhension de l’ironie et de mentalisation de premier et deuxième niveaux chez les individus présentant un TCLa. L’exploration simultanée de la compréhension de l’ironie et des capacités inférentielles au sein d’un même échantillon permettra de clarifier davantage la relation existant entre ces deux concepts cognitifs. En outre, sur un plan clinique, la connaissance approfondie de la compréhension de l’ironie/mentalisation chez les individus en prodrome de MA apportera un élément diagnostique supplémentaire permettant éventuellement d’identifier de manière plus efficace et surtout, plus précoce, les personnes âgées à risque de démence.

Objectifs et hypothèses

La présente thèse vise l’atteinte de plusieurs objectifs. Le premier objectif consiste à vérifier l’existence d’un déficit de compréhension de l’ironie chez les individus avec un TCLa à l’aide d’une tâche de compréhension d’ironies verbales utilisant des mises en

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situation écrites. Le deuxième objectif consiste à raffiner la compréhension de l’origine fonctionnelle des déficits de compréhension du langage non littéral chez les personnes avec un TCL et ce, par l’entremise de deux objectifs spécifiques : (a) confirmer la présence de difficultés de mentalisation chez des sujets présentant un TCL; (b) tenant compte la discussion sur l’implication de la mentalisation et des fonctions exécutives dans la compréhension du langage non littéral, évaluer les capacités de compréhension de l’ironie verbale chez ces participants par le biais d’une tâche minimisant la charge exécutive en MdT et contrôlant pour l’implication de la mentalisation.

En ce qui concerne le premier objectif, il est attendu que les individus avec un TCL présentent un déficit de compréhension de l’ironie verbale en comparaison aux personnes âgées saines. Pour ce qui est du deuxième objectif, il est attendu que les individus avec un TCL aient plus de difficultés à la tâche évaluant les capacités de mentalisation de deuxième niveau (Achim, Ouellet, Roy, & Jackson, 2012) en comparaison aux individus sains du même âge, et ce, en raison des données empiriques appuyant la présence de tels déficits dans cette population. Par ailleurs, il est attendu que les individus avec un TCL auront, au sein d’une tâche dont les facteurs exécutifs (c.-à-d., longueur du texte, complexité) et de mentalisation (c.-à-d., inférences) sont contrôlés, une compréhension déficitaire des assertions impliquant la mentalisation (c.-à-d., ironiques et sincères). La confirmation de cette dernière hypothèse indiquerait une interrelation entre les concepts de mentalisation et de compréhension de l’ironie verbale.

Certains noteront que l’étude de la compréhension de l’ironie est ici préférée à l’étude de l’expression ou de la production de cet acte langagier. En effet, l’étude de la compréhension offre un côté « pratique », en permettant de mieux standardiser les éléments d’intérêt au sein d’une tâche. Par exemple, le fait de présenter un texte au sujet, et lui demander de répondre par oui ou non à une question portant sur ce texte, permet davantage de contrôle des variables que d’étudier une conversation et tenter d’y retrouver les thèmes et aspects pragmatiques recherchés selon une grille préétablie. De plus, ce mode d’évaluation se prête davantage au contexte de la neuropsychologie, en permettant de quantifier l’intégrité d’une fonction cognitive en particulier.

(34)
(35)

CHAPITRE 2 : Bases psycholinguistiques et neuroanatomiques de la compréhension de

l’ironie chez l’adulte

Geneviève Gaudreau, B.A.,1,2 Carol Hudon, Ph.D.,1,2 et Laura Monetta, Ph.D.,1,3 1 Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard, Québec, Canada

2 École de psychologie de l’Université Laval, Québec, Canada 3 Département de réadaptation de l’Université Laval, Québec, Canada

Auteur de correspondance: Laura Monetta, Ph.D.

Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard 2601, de la Canardière (F-4500)

Québec (Québec), CANADA G1J 2G3

Tél.: (418) 656-2131 poste 6393 Courriel : laura.monetta@rea.ulaval.ca

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Résumé

La compréhension de l’ironie est un aspect linguistique complexe et hétérogène encore mal compris. Les études récentes sur le sujet ont permis l’identification de trois principaux marqueurs impliqués dans sa compréhension, soit la prosodie, le contexte ainsi que le lexique. Ces marqueurs sont ici mis en lien avec les théories psycholinguistiques et hypothèses neuroanatomiques existantes. L’objectif de cet article est d’offrir un éclairage théorique et clinique concernant la compréhension de l’ironie et ses processus cognitifs et neuronaux sous-jacents. Il semble qu’une mise en commun des connaissances psycholinguistiques, cognitives et neuroanatomiques soit une avenue intéressante dans la quête d’une clarification des éléments impliqués dans la compréhension d’une assertion ironique.

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Abstract

Irony comprehension is a complex and heterogeneous linguistic construct which requires further investigations. Recent studies brought to the identification of three main markers or concepts involved in irony comprehension: prosody, context, and lexicon. In this paper, these markers are linked to the main psycholinguistic theories and neuroanatomical hypotheses of irony comprehension in order to improve our understanding of irony comprehension and its cognitive and neuronal underlying processes. Pooling together psycholinguistic, cognitive, and neuroanatomical bases of irony comprehension is seen as a novel way to better understand this complex linguistic construct.

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Introduction

La conception de ce que l’on appelle langage, une capacité essentielle pour l’être social qu’est l’humain, a évolué significativement ces dernières années. Au cours des dernières années, de plus en plus de recherches ont été effectuées sur la composante pragmatique du langage. De façon générale, la pragmatique consiste en la capacité d'un individu à utiliser et comprendre le langage dans son contexte ce qui permet, par exemple, la compréhension d’une blague, d’une ironie ou d’une métaphore) (Grice, 1975). De façon plus spécifique, pragmatique permet l’établissement d’un pont entre ce qui est dit et ce qui est signifié (c.-à-d., l’intention du locuteur) (Grice; Searle, 1975). Plusieurs auteurs utilisent le concept de pragmatique pour décrire des processus de traitement langagier très distincts, soit (a) le respect des règles de conversation (p.ex., respect du tour de parole, pertinence du thème et quantité d’information), et (b) le traitement du langage non littéral (p.ex., actes de langage indirects8, métaphores, expressions idiomatiques, sarcasme, ironies, etc.). Dans le cadre de cet article, seul l’aspect plus linguistique de la pragmatique sera abordé ; nous nous intéresserons au langage non littéral et, plus précisément, à la compréhension de l’ironie.

Depuis Grice (1975), qui fait figure de pionnier dans l’étude de la pragmatique du langage, de nombreux théoriciens se sont penchés sur la question de l’organisation du langage non littéral (Gibbs, 1999; Giora, 1999; Giora & Fein, 1999; Pexman, 2008; Searle, 1975; Sperber & Wilson, 2002; Wilson & Sperber, 2002). Cependant, aucune théorie ne parvient actuellement à expliquer l’ensemble des éléments sous-tendant cette fonction et encore plusieurs questions demeurent sans réponse. De plus, les théories ne s’entendent pas toujours en ce qui concerne le caractère automatique ou contrôlé du traitement du langage non littéral, ou encore la prise en compte quasi aléatoire de l’intention sous-jacente du locuteur par l’interlocuteur. Cet article vise à présenter les connaissances psycholinguistiques actuelles en ce qui concerne la compréhension du langage non littéral. Nous mettrons l’accent sur les aspects cognitifs et neuropsychologiques qui supportent le traitement de l’ironie. Dans un premier temps, l’ironie sera dépeinte en tant que concept

8 Un acte de langage indirect peut consister en une demande faite à quelqu’un de façon détournée ;

par exemple, dire « il fait froid ici » à quelqu’un qui est près de la fenêtre, dans le but qu’il comprenne qu’il doive la fermer.

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hétérogène impliquant plusieurs marqueurs tels la prosodie, le contexte et le lexique. Ensuite, nous ferons un bref survol des théories psycholinguistiques tentant d’expliquer la compréhension de l’ironie. Enfin, nous ferons état des connaissances actuelles quant aux bases cérébrales de la compréhension de l’ironie.

L’ironie : concept psycholinguistique hétérogène

Le concept général de langage non littéral englobe plusieurs types d’assertions comme, par exemple, les métaphores, les demandes indirectes, l’ironie et le sarcasme. Jusqu’à présent, l’étude de la compréhension de l’ironie a été quelque peu négligée au profit de l’étude d’autres aspects du langage non littéral. Selon les connaissances actuelles, la compréhension d’une ironie implique l’interaction entre plusieurs fonctions cognitives et son traitement optimal repose sur l’existence et l’utilisation adéquates de connaissances linguistiques de base mises en interaction avec le contexte (Cuetos, Martinez, Martinez, Izura, & Ellis, 2003; Curco, 2000).

L’ironie est un concept hétérogène, ce qui complexifie l’étude des processus nécessaires à sa compréhension. Cette hétérogénéité s’illustre entre autres par la difficulté de différencier l’ironie du sarcasme. En effet, l’ironie est utilisée de façon générale afin de transmettre un message directement ou indirectement opposé à ce qui est dit littéralement. Elle permet également au locuteur de transmettre des informations sur son état d’esprit psychologique (Sperber & Wilson, 2002). Le contenu du message ironique peut être positif ou négatif et par ailleurs, la prosodie peut moduler ce message. L’exemple9 suivant illustre une assertion ironique transmettant un message positif :

(1) Josée est la meilleure de son équipe d’athlétisme. Elle vient de remporter la première place pour une cinquième course consécutive. Son ami lui dit :

« C’est vraiment dommage que tu n’aies aucun talent à la course! ». En contrepartie, le sarcasme est une figure de style verbale, ou une forme d’ironie généralement utilisée dans son aspect négatif, de la même façon que l’hyperbole ou

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l’euphémisme (Gibbs, 1986). L’utilisation du sarcasme permet au locuteur de formuler une critique envers un autre individu ou un groupe d’individus de façon indirecte ou détournée. La mise en situation10 suivante permet d’illustrer une assertion sarcastique :

(2) Billy et Joey sont des amis de longue date. Cependant, un jour que Billy est à l’extérieur de la ville pour le travail, sa femme Line le trompe avec Joey. Lorsque Billy apprend la nouvelle, il est furieux. Il confronte Joey et lui dit :

«Tu es un bon ami!».

En dépit de leurs différences (Glenwright & Pexman, 2010), l’ironie et le sarcasme sont souvent confondus ou étudiés de façon indifférenciée (Channon et al., 2005; Cutica, Bucciarelli, & Bara, 2006; McDonald, 2000). À preuve, la recherche du terme « sarcasme » sur une base de données de périodiques électroniques mène à des articles traitant d’ironie verbale.

Un autre élément témoignant du caractère hétérogène de l’ironie est la différenciation entre l’ironie directe et indirecte (Searle, 1979) ou encore, entre l’ironie simple et l’ironie complexe11 (Bosco & Bucciarelli, 2008). Il appert effectivement qu’un acte de langage indirect, mais conventionnel (p.ex., « Pourrais-tu ouvrir la porte? »), puisse être compris aussi facilement qu’un acte de langage direct (p.ex., « Ouvre la porte, s’il te plaît. »). Ainsi, ce n’est pas le caractère direct ou indirect de l’assertion qui semble influencer sa compréhension mais bien le fait que l’assertion soit simple ou complexe, c’est-à-dire le niveau d’inférence requis pour sa compréhension correcte. Pour illustrer la différence entre les deux types d’affirmations, prenons l’exemple suivant, tiré de Bosco et Bucciarelli :

(3) Marie a un examen final12 et est vraiment nerveuse. Elle rencontre Lucie qui lui dit : « C’est un examen vraiment difficile ». Marie répond :

10 Traduction libre, exemple tiré de Gibbs (1986). 11

Bosco et ses collaborateurs ont proposé de remplacer les termes « direct » et « indirect » par « simple » et « complexe ».

12 Au Québec, et dans ce contexte, le terme « examen » désigne une évaluation des compétences dans

(41)

i. Ironie simple : « C’est vraiment encourageant! »

ii. Ironie complexe : « Tu es la bonne personne à côtoyer juste avant un examen ».

Bien que l’assertion (i) soit une ironie au même titre que l’assertion (ii), cette dernière est plus difficile à comprendre que la première puisqu’elle nécessite le traitement d’une plus longue « chaîne inférentielle » afin de comprendre l’intention du locuteur. Ainsi, comparativement à l’ironie simple, la compréhension d’une ironie complexe nécessite un traitement cognitif plus élaboré.

Parmi les autres critiques pouvant être formulées à l’égard de l’étude de la compréhension de l’ironie, notons le manque de concordance entre les études quant aux outils de mesure utilisés. En effet, il n’existe pas, à ce jour, de mesure standardisée de la compréhension de l’ironie. De plus, les mesures expérimentales développées par différents chercheurs rendent souvent difficile la comparaison des résultats entre différentes études. Ainsi, certains chercheurs utilisent des stimuli verbaux écrits, d’autres ajoutent un élément prosodique en incluant une narration, certains utilisent des images pour appuyer le texte présenté, etc. Mais somme toute, malgré les comparaisons difficiles, il est possible de dégager des éléments convergents au sein des écrits scientifiques, entre autres en ce qui a trait aux marqueurs impliqués dans la compréhension de l’ironie.

Marqueurs dans la compréhension de l’ironie

Les processus cognitifs et contextuels sous-jacents à la compréhension de l’ironie verbale ne sont pas encore tout à fait compris (Pexman, 2008). Cependant, selon les différentes théories actuelles, la compréhension de l’ironie serait supportée par trois principaux médiateurs ou marqueurs : la prosodie (intonation) (Aguert, Laval, Le Bigot, & Bernicot, 2010; Wang, Lee, Sigman, & Dapretto, 2006), le contexte (impliquant une théorie de l’esprit) (F. Happe, 1993; Sperber & Wilson, 2002) et le lexique (Wang et al., 2006).

La prosodie dans la compréhension de l’ironie : Compréhension de la prosodie émotionnelle. La prosodie réfère à l’intonation dans la communication verbale auditive. La

Figure

Figure 1. Algorithme décisionnel tiré, adapté et traduit de Petersen (2004).
Figure 1.1 Sample of a story (lie type) translated in French with its original English version  derived from Winner et al
Figure 2 Mean proportions of correct responses (±SEM) by question and story types   Note
Figure 3. Mean proportions of correct responses (±SEM) for Ironic and Sincere stories of  the Short Scenario Irony Comprehension Task
+2

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