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Quand des femmes au sommet se racontent.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-01965541

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Submitted on 24 Nov 2019

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Rodhain

To cite this version:

Sophia Belghiti-Mahut, Anne-Laurence Lafont, Angélique Rodhain, Florence Rodhain. Quand des femmes au sommet se racontent. : Femmes au sommet et leadership.. @GRH, De Boeck Supérieur 2014, 10 (1), pp.59. �10.3917/grh.141.0059�. �hal-01965541�

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Sophia Belghiti-Mahut, Anne-Laurence Lafont, Angélique Rodhain, Florence Rodhain De Boeck Supérieur | « @GRH »

2014/1 n° 10 | pages 59 à 85 ISSN 2034-9130

ISBN 9782804189105

Article disponible en ligne à l'adresse :

---http://www.cairn.info/revue-@grh-2014-1-page-59.htm

---Pour citer cet article :

---Sophia Belghiti-Mahut et al., « Quand des femmes au sommet se racontent. Femmes au sommet et leadership », @GRH 2014/1 (n° 10), p. 59-85.

DOI 10.3917/grh.141.0059

---Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

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FR

QUAND DES FEMMES AU SOMMET

SE RACONTENT

FEMMES AU SOMMET ET LEADERSHIP

Sophia Belghiti‑Mahut

Maître de Conférences HDR, Université Montpellier 3 Laboratoire : MRM‑ORHA

Sofia.Belghiti‑Mahut@univ‑montp3.fr

Anne‑Laurence Lafont

Maître de Conférences, Université Montpellier 2 Laboratoire : MRM‑Finance

anne‑laurence.lafont@univ‑montp2.fr

Angélique Rodhain

Maître de Conférences, Université Montpellier 2 Laboratoire : MRM‑Marketing

angelique.rodhain@univ‑montp2.fr

Florence Rodhain

Maître de Conférences HDR, Université Montpellier 2 Laboratoire : MRM‑SI

florence.rodhain@univ‑montp2.fr

Résumé

Le sens donné à leur expérience du leadership, par quatre femmes ayant atteint le som‑ met hiérarchique de leurs organisations. La première est Maire d’une commune de plus de 200.000 habitants en France. La seconde est Présidente d’Université, la troisième est Directrice de distribution d’une très grande banque privée et la quatrième est Dirigeante d’entreprise et Présidente d’un réseau d’entreprises.

Mots‑clés

Femmes, leaders, récits de vie.

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Abstract

The meaning given to their leadership experience by four women who have reached the top of their organizations. The first one is mayor of a city, of over 200 000 citizens in France. The second women is the President of a French University. The third leader is the Director of a large private banking while the fourth one is an entrepreneur, she is also the President of a formal corporate network.

Keywords

Women, leaders, narrative life.

1. INTRODUCTION

« J’ai été élevée au biberon de l’image de la femme active, qui travaille, qui bouge, qui s’investit ». Avec cette phrase, Agnès, aujourd’hui Maire d’une ville de plus de

200 000 habitants, illustre à quel point son parcours personnel présente des singularités dès le plus jeune âge. Fille unique d’une femme forte et volontaire, Agnès est très admi‑ rative de cette mère qui n’a pas hésité à divorcer dans une France de l’après‑guerre, encore largement dominée par les valeurs conservatrices. De sa plus tendre enfance à son âge d’or dépassant les 70 printemps, Agnès a suivi le fameux « labyrinthe » au sens de Eagly et Carli (2007), désignant le chemin bourré d’embûches que doivent emprunter les femmes afin d’accéder au sommet de la pyramide.

La littérature sur le leadership et les femmes a depuis plusieurs décennies tenté de com‑ prendre les différences existant entre les hommes et les femmes occupant des postes à haute responsabilité. Or, que ces recherches portent sur le style de management ou sur l’efficacité du leadership, il n’existe pas de consensus dans les résultats (Saint‑Michel, 2010). Les recherches concluant à une différence de genre expliquent leurs résultats par la théorie du rôle social et des stéréotypes de genre : en d’autres termes, les femmes agiraient en fonction de ce qu’elles imaginent que leur entourage attend d’elles. Alors que les recherches concluant en une absence de différence entre hommes et femmes expliquent leurs résultats par le processus de socialisation : les femmes, qui empruntent le même parcours que les hommes, seraient amenées à abandonner leurs spécificités féminines pour se conformer aux valeurs et comportements des hommes.

Cette absence de consensus laisse à penser que bien des aspects concernant le par‑ cours des femmes leaders demeurent encore obscurs. Un point mérite particulièrement d’être approfondi avant de s’engouffrer dans des explications a posteriori pour expliquer, qui leurs différences par rapport aux hommes, qui leurs points communs : quel est pré‑ cisément le parcours de ces femmes avant qu’elles accèdent à leur poste au sommet ?

EN

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L’objectif de ce papier est de recueillir, en provenance de femmes leaders, des témoi‑ gnages en profondeur afin de noter leur singularité. Soulignons que le but ultime n’est pas de proposer une typologie de « style de leadership » ou d’apporter des éléments de réponses à l’interrogation qui subsiste encore sur le lien entre « leadership et genre ». Ce papier, se veut une contribution modeste et indirecte à une réflexion générale, qui est celle de « la rareté des femmes dans des postes de hautes responsabilités ».

En effet, éclairer le parcours de ces femmes leaders, parcours à la fois familier et sin‑ gulier, c’est contribuer à la compréhension des freins et des accélérateurs quant aux carrières des femmes. Car il faut bien le rappeler, les femmes restent rares au sommet. Malgré un taux de réussite supérieur au baccalauréat, et le fait qu’elles soient plus diplômées que les hommes, les femmes éprouvent toujours des difficultés à accéder aux postes à responsabilité dans les organisations, et leur rémunération reste inférieure à celle des hommes. Les difficultés que rencontrent les femmes dans l’accès aux postes à responsabilité sont imagées par la célèbre métaphore du plafond de verre, qui, selon le BIT, symbolise « les barrières invisibles artificielles, créées par des préjugés compor‑ tementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités » (Wirth, 2001, p.1). Le chemin est long pour accéder au sommet et la vue n’est pas toujours dégagée.

Mais alors, qu’en est‑il de ces femmes qui arrivent quand même à atteindre ce sommet ? Qu’ont‑elles de singulier ou de commun ? Comment se racontent‑elles ?

Un des objectifs implicites de cette recherche est de contribuer, même discrètement, au développement des connaissances et d’enrichir le débat de la recherche sur les femmes, leurs carrières, et leurs difficultés pour l’accès à des postes de haute responsabilité. La démarche n’étant pas hypothético‑déductive mais de type inductif, à son premier stade de recueil de données, les questions de recherche demeurent encore très vastes. Globalement, se posent les questionnements suivants :

1. Les questions relatives à leur parcours : quelle enfance ont connu les femmes qui ont atteint le sommet (représentation de la mère, place dans la fratrie, style d’édu‑ cation…) ? Quel a été leur parcours scolaire et universitaire ? Comment ont‑elles accédé aux différents niveaux hiérarchiques avant d’atteindre le sommet ? Comment s’organisent‑elles entre leur vie privée et leur vie professionnelle ?

2. Les questions relatives à leurs représentations : selon elles, quel est leur propre style de management ? Celui‑ci est‑il différent de celui des hommes ? Pourquoi et comment sont‑elles arrivées au sommet ?

Ce faisant, l’objectif ne consiste alors ni à recourir à l’objectivité ni à opérer à des comparaisons afin d’aboutir à des profils‑types mais au contraire à recueillir des témoi‑ gnages en profondeur en soulignant leur singularité.

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L’originalité de la démarche adoptée réside dans la volonté de croiser le regard de quatre chercheuses sur quatre parcours de femmes à travers un échange volontaire, permanent et critique sur le contenu et la posture de chaque récit de vie.

La première partie de ce papier est une présentation succincte du leadership et du lien entre leadership et genre. Cette volonté de raccourcir le champ théorique est liée à l’objectif initial de ce travail : se focaliser sur des parcours de vie pour en saisir les ressorts, sans hypothèses théoriques préétablies.

La deuxième partie présente la méthodologie de la recherche ainsi que les profils des interviewées. Une troisième partie est polarisée sur l’analyse des récits de vie au tra‑ vers de thèmes présentés et discutés par la suite.

2. LEADERSHIP ET GENRE

À l’instar de Saint‑Michel (2010), devant la multitude de définitions proposées pour le leadership – Bennis et Nanus (1985) en recensent plus de trois cents ! –, nous en choi‑ sissons une qui a le mérite de ne pas soulever la polémique par son caractère purement descriptif et dépourvu d’engagement : nous définirons ici le leadership comme « un pro‑ cessus par lequel un individu influence un groupe d’individus dans le but d’atteindre un objectif organisationnel » (Northouse, 2007).

De nature plutôt positivistes, de très nombreuses études se sont attachées à classer les leaders. Citons à titre d’exemple quelques classifications parmi les plus évoquées : – leadership centré sur les personnes ou leadership centré sur la tâche (Blake et

Mouton, 1964),

– leadership transactionnel (motive les subordonnés pour les aider à atteindre les objectifs) et le leadership transformationnel (pousse les subordonnés à transcender leurs intérêts personnels pour le bien commun) (Bass 1985),

– leadership formel (personne exerçant un poste hiérarchique de leader) et leader‑ ship informel (personne ne possédant pas de légitimité liée à un poste hiérarchique) (Lusthaus et al., 1999).

– …

La plupart de ces premières études ont été menées indépendamment de la notion de genre, la place des femmes dans les positions hiérarchiques supérieures n’étant pas un phénomène suffisamment prégnant pour être discuté. Cependant, depuis une vingtaine d’années, et surtout depuis la dernière décennie, avec une représentation accrue des femmes dans les positions de leaders, les études combinant leadership et genre se sont multipliées.

La recherche sur le leadership et le genre ne permet pas, à l’heure actuelle, de dégager des conclusions sur les différences entre les leaders femmes et les leaders hommes (Cornet et Bonnivert, 2008 ; Fortier, 2008). Le consensus n’est pas de mise, certaines

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études concluant à l’absence totale de différences, d’autres à des différences certaines. Dans ce vif débat, Cornet et Bonnivert (2008) ont identifié les chercheurs « partisans du ‘non’ » (non, il n’existe pas de différences entre hommes et femmes dans l’exer‑ cice du leadership), et les « partisans du ‘oui’ ». Dans cette classification, il est remar‑ quable qu’aucune tendance ne se dessine : Cornet et Bonnivert ont dénombré autant de recherches concluant à l’existence d’un leadership féminin que de recherches concluant l’inverse.

Selon les partisans du ‘oui’, le style de leadership féminin serait plus relationnel, inte‑ ractif, émotif, tandis que le style de leadership masculin serait plus directif, transaction‑ nel, centré sur la carrière et l’accomplissement personnel. L’absence de consensus peut s’expliquer par des raisons d’ordre méthodologique. En effet, selon Saint‑Michel (2010), ainsi que Cornet et Bonnivert (2008), si ces études divergent cruellement dans leurs résultats, les différences dans les méthodes mobilisées seraient un facteur explicatif. Ainsi :

– les méthodes sont très diverses (entretiens, questionnaires, méta‑analyses), – la mesure du leadership varie (auto‑évaluation du leadership par le leader lui‑même

ou évaluation par les supérieurs hiérarchiques, par les collègues pairs ou par les subordonnés),

– les outils de mesure quantitatifs du leadership ne sont pas consensuels, – les études confondent tous les « niveaux » de leadership possibles,

– les études sont réalisées dans des contextes divers (en laboratoire, public d’étu‑ diants ou sur le terrain dans les organisations).

Au‑delà de ces redoutables, mais cependant classiques problèmes méthodologiques, l’absence de consensus dans les résultats prouve surtout, s’il en était besoin, la com‑ plexité du sujet étudié, et légitime des recherches supplémentaires sur la question. Notre intention n’est pas d’apporter notre petite note de musique, forcément dissonante dans cette cacophonie ambiante ; notre méthode de travail excluant a priori l’apport de validation ou de conclusions définitives, nous visons plutôt à porter le projecteur sur la vision particulière d’individus singuliers.

Dans cette recherche, nous ne nous appuyons pas sur un cadre théorique explicite et nous ne proposons pas d’hypothèses, puisque notre démarche est volontairement exploratoire. Il est à noter toutefois que dans les analyses des résultats qui vont suivre, nous sous‑entendons une grille de lecture proche de la grille psychologique du détermi‑ nisme réciproque. Cette lecture, d’une certaine forme de déterminisme, se situe dans la lignée de la théorie de l’Apprentissage ou théorie Sociale Cognitive, où le détermi‑ nisme, selon Bandura (2007) désigne la production d’effets par des événements, plutôt que dans le sens doctrinal selon lequel les actions sont complètement déterminées par une séquence antérieure de causes indépendantes de l’individu. L’être humain est conçu comme un être intentionnel capable de se donner des buts et d’en changer

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(Bandura, 2007). C’est ainsi que la théorie de l’apprentissage social soutient le fait que l’apprentissage ou les comportements apparentés, proviennent de trois séries d’in‑ fluences interactives : (1) le background ou les influences conventionnelles comme le sexe, l’origine ethnique ou les aptitudes, (2) les influences psychologiques telles que les attitudes, croyances, conceptions, perceptions ou intentions individuelles et (3) les fac‑ teurs environnementaux ou sociaux qui affectent les individus. Appliquée aux femmes leaders, cette approche permettrait d’appréhender un contexte plus élargi pour la com‑ préhension de leur style ou leur motivation.

3. MÉTHODOLOGIE ET PROFILS DES INTERVIEWÉES

Afin de suivre le parcours de femmes singulières mais ayant le point commun de se retrouver dans une situation commune, soit à la tête d’une institution, nous avons choisi une méthode d’accès au réel particulièrement adaptée aux phases exploratoires sur un terrain encore peu étudié : la méthode des récits de vie. Cette perspective « bibliogra‑ phique » nous semblait pertinente pour lire le parcours de ces femmes. Selon Sanseau (2005), la méthode est d’ailleurs particulièrement utile quand la connaissance se limite à « des stéréotypes, des préjugés et des représentations collectives du sens commun » (p.41). Si la méthode peut répondre à trois types de fonctions (Bertaux, 2007), à savoir exploratoire, expressive et analytique, nous l’avons utilisée ici dans les deux premiers objectifs. Dans ce stade de découverte, il s’agit pour le chercheur de désapprendre (Bertaux, 2007) tous ses présupposés pour aller à la rencontre d’une réalité particu‑ lière. Si la phase analytique commence dès le premier entretien, formuler de véritables hypothèses supposerait d’avoir recours à un nombre important de répondants. Notre objectif consiste en effet davantage à rendre compte d’un propos d’étape en communi‑ quant les quatre premiers cas rencontrés pour leur exemplification (Bourdieu, 1993, in Bertaux, 2010).

Comme le précise Ozcaglar‑Toulouse (2008), la méthode des récits de vie est centrée sur l’individu. Contrairement aux entretiens semi‑directifs, le chercheur ne pose pas de questions précises, si ce n’est de demander à l’interviewé de faire part de son parcours personnel. Le chercheur garde en tête les thèmes de l’interview faisant référence à la problématique. Cependant, il ne les aborde pas dans un ordre précis.

Le recours au récit de vie s’est imposé comme une méthodologie de recueil d’une pro‑ duction subjective dont nous avons conscience. En nous soustrayant délibérément du débat épistémologique autour de la méthodologie elle‑même, nous avons favorisé cette méthode comme « moyen d’investigation privilégié pour qui ne veut pas négli‑ ger les «petits faits vrais», en respectant le sujet‑acteur dans la trame du temps » (Rioux, 1983). En outre, à l’instar de Pailot (2003) qui pense que « la méthode biogra‑ phique offre un cadre méthodologique et épistémologique qui permet de cerner l’in‑ fluence de certains éléments de l’histoire de vie des entrepreneurs sur la construction

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de leur volonté d’entreprendre, sur l’existence de certaines dispositions entrepreneu‑ riales, sur les raisons pour lesquelles elles s’actualisent de manière privilégiée dans la formation de l’intérêt entrepreneurial » (Pailot, 2003, p 26‑27), nous transposons la réflexion aux femmes leaders et leur parcours, et considérons que cette méthode nous permet de qualifier des représentations à travers l’investigation des histoires de ces femmes. Pour réduire la subjectivité cependant, se sont associées quatre chercheures de quatre domaines de gestion différents (GRH, SI, marketing et finance) ayant des connaissances sur le genre de différents niveaux (une étant experte, une familière et

deux que nous qualifierons de « non initiées »1).

L’interview, dans le cadre du récit de vie, est composée de deux phases (Bertaux, 1997) : dans un premier temps, il faut amener l’interviewé à raconter son histoire ; dans notre cas, nos interlocutrices étaient invitées à raconter « tout leur parcours, de leur nais‑ sance à aujourd’hui ». Dans un deuxième temps, il s’agit de traiter des thèmes non évoqués spontanément jugés importants a priori. C’est ainsi que nous avons demandé par exemple aux répondantes de s’exprimer sur leur mode de management ou sur leur lien avec la hiérarchie…

L’échantillonnage est un aspect crucial des récits de vie. La taille est très variable car certaines recherches se limitent à un cas précis (Fossé‑Poliak, 1990) en ayant éven‑ tuellement recours au préalable à des questionnaires et entretiens pour bien le choisir (Baroni et Jeanneret, 2008) quand d’autres reposent sur un échantillon plus vaste allant jusqu’à une quarantaine d’entretiens (Joyeau, Robert‑Demontrond et Schmidt, 2010) dans l’objectif ensuite de réaliser des profils‑types (Tatu‑Colasseau et Vieille‑Marchiset, 2010). Nous avons fait le choix ici de nous concentrer sur le récit de quatre femmes, dont nous savions au préalable qu’elles présentaient des profils différents. En effet, nous avons pris soin de faire varier leur âge (de 40 à 70 ans, sachant qu’il est difficile de trouver une femme plus jeune au sommet) et le type d’institutions qu’elles dirigent (une mairie, une université, une entreprise dans le secteur financier et une entreprise privée dans le secteur de la traduction ayant une vocation sociale).

Les entretiens, ayant duré de 2h à 4h selon les situations, se sont déroulés dans le lieu familier choisi par l’interviewée afin de créer un climat de confiance (dans le bureau ou au domicile). Ils ont été intégralement retranscrits afin d’en faciliter l’analyse.

[1] Est‑il admis, quand on s’attelle à un sujet portant sur les femmes et que l’on part de constats de disparité (Plafond de Verre ici en filigrane), d’adopter un ton objectif quand on est femme ? La fameuse équation personnelle du chercheur (Grawitz, 2006, p.336)…S’il faut forcer l’effort de l’objectivité, cet effort est requis que l’on soit chercheure ou cher‑ cheur. L’approche scientifique est censée opérer une distance par rapport à l’implication personnelle dans le sujet. Il faut souligner ici, que la constitution d’une équipe de 4 chercheures pour travailler sur cette question n’est pas le fruit d’un processus délibéré d’œuvrer dans un univers fémino‑féminin, mais bien le reflet d’une stricte réalité : l’absence de chercheurs hommes intéressés par ces thématiques (en tout cas dans notre entourage). Et il faut bien signaler que la majorité des recherches effectuées sur les thématiques de genre et d’égalité professionnelle (en Sciences de Gestion) sont menées par des femmes, cf. Projet EGERA Effective Gender Equality in Research and the Academia qui a démarré en 2014.

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Une analyse thématique a été réalisée en quadruple codage : chaque chercheuse a codé les quatre interviews en fonction d’une grille proposée au préalable mais qui pouvait évoluer en fonction des thèmes apportés de façon spontanée par les répondantes.

4. ANALYSE DES RÉCITS DE VIE

Cinq thèmes majeurs ont émergé de l’analyse thématique :

– leur représentation quant à la raison de leur présence au sommet, – le modèle valorisé pendant l’enfance,

– l’organisation entre vie professionnelle et vie privée, – leurs motivations pour accéder au sommet,

– leur représentation du leadership selon le genre et leur propre mode de leadership. Ces différents thèmes sont présentés un à un, après avoir exposé brièvement les profils des interviewées et les raisons de leur présence au sommet.

› 4.1. Présentation des profils et des parcours jusqu’au sommet

Les femmes interrogées évoluent toutes dans des domaines où le leadership est très

clairement dominé par la présence masculine2 :

– Agnès3, médecin urgentiste de métier, est la première femme maire de la ville X,

une des 49 communes de plus de 100 000 habitants en France, en sachant que seuls 7 parmi les 49 maires sont des femmes (14 %) ;

– Brigitte est la première femme Présidente de l’Université Y, seules 12 femmes occu‑ pant cette fonction sur les 81 universités françaises (14,8 % de femmes) ;

– Claude a été la plus jeune directrice de distribution d’un très grand groupe financier de banque privée et évolue dans un monde professionnel totalement dominé par les hommes ;

– Dorothée a créé une entreprise qui dénombre aujourd’hui 19 salariés. Elle est aus‑ si Présidente, dans sa région, d’un groupement d’entreprises (comptant plus de 1 000 entreprises) qui œuvre pour la lutte contre la discrimination.

Les histoires de ces femmes sont développées en annexe.

› 4.2. Raisons de leur présence au sommet

Agnès et Brigitte ont connu toutes deux des phases clés dans leur carrière où, ayant été poussées par une force extérieure à prendre des responsabilités, elles ont positi‑ vement répondu à ces opportunités. Agnès considère qu’elle doit sa place de maire en grande partie au hasard de deux lois importantes en France : celle de la parité et celle

[2] Données et faits situés en 2012.

[3] Les prénoms ont été modifiés afin de conserver l’anonymat des répondantes.

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du non cumul des mandats. Quant à Brigitte, elle a été poussée à plusieurs reprises par ses pairs à prendre des responsabilités lorsqu’il s’agissait d’unir différentes parties en situation conflictuelle. Elle doit ces plébiscites à sa personnalité : ouverte et fortement tournée vers les autres, elle a toujours su écouter les avis de tous ses pairs sans se faire des ennemis. Avant d’occuper des postes de responsabilité, elle a accepté d’œuvrer dans l’ombre pour d’autres (hommes) occupant le poste en vue, tant qu’elle n’osait pas encore se trouver en pleine lumière. C’est ainsi qu’elle a souvent accepté la place de « sous‑directrice » d’entités différentes. Elle ne regrette cependant pas cette période car le travail qu’elle a entrepris alors a montré toute sa légitimité aux collègues. Quant à Claude, elle assume ouvertement sa position de leader, et ce dès son plus jeune âge. L’attitude de leader étant selon elle quasiment représentée dans les gènes, puis développée ou non par l’entourage, elle considère être presque née leader, et reven‑ dique avec force et passion sa capacité et volonté à diriger et contrôler.

Dorothée estime que sa position de chef d’entreprise s’inscrit assez naturellement dans une certaine lignée et normalité familiale. Elle a ainsi toujours eu l’intention de créer son entreprise.

Claude et Dorothée, contrairement à Agnès et Brigitte, semblent œuvrer tactiquement en toute conscience et sans complexe pour gravir les échelons et occuper des positions de leadership.

Une raison de leur présence au sommet les réunit cependant : elles ont toutes beaucoup travaillé pour y accéder !

› 4.3. Modèles valorisés ou identifiés dans l’enfance

4.3.1. Une forte représentation du modèle matriarcal pour trois répondantes sur les quatre

Pour Agnès, Brigitte et Claude, les modèles féminins, en particulier à travers la pre‑ mière personne avec laquelle l’enfant entre en interrelation à son arrivée, sont très forts (voir tableau 1). Si Agnès n’évoque pas la personnalité de ses grands‑mères, Brigitte et Claude les décrivent comme des femmes de tête, qui dominaient visiblement dans la vie de couple ; Claude n’hésite pas à évoquer un « modèle matriarcal » répandu des deux côtés de sa filiation, pourtant issue d’une culture qu’elle considère « machiste » de par sa nationalité portugaise.

Au total, ces trois femmes n’ont pas été confrontées avec le modèle dominant dans les rapports entre époux dans l’espace‑temps durant lequel elles se sont forgées leur iden‑ tité. En effet, si la culture « matriarcale » évoquée par Claude est loin d’être dominante dans la culture traditionnelle portugaise, Agnès et Brigitte n’ont pas plus évolué dans le modèle dominant de la France des années 40 : leurs mères étaient des femmes fortes, indépendantes allant jusqu’à réclamer le divorce dans les années 50 dans le cas d’Agnès.

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En revanche, si Dorothée a été marquée par un modèle, c’est dans ce cas davantage un modèle parental. Le père était chef d’entreprise au management bienveillant, et ne faisait pas de différence entre les enfants des deux sexes. La figure maternelle dans son cas n’est pas non plus complètement absente ou invisible : l’interviewée évoque une femme éduquée, mais qui s’est retirée de son poste de responsable comptable pour s’occuper plus amplement de l’éducation de ses enfants. Dorothée semble avoir eu une ambiance familiale ouverte propice à son épanouissement général, sans distinction du rôle du père ou de la mère. Cet environnement familial privilégié lui a, en quelque sorte, permis de ne s’interdire aucun chemin. Dorothée semble avoir été influencée par son père dans son choix de carrière d’entrepreneur. Son désir de créer une entreprise différente et ainsi que sa volonté de lutter contre les discriminations en général relèvent avant tout d’une sensibilité qui lui est propre et de façon complémentaire par la gestion paternaliste de son père à l’égard de ses employés.

Tableau 1. Verbatim sur le rôle de la lignée féminine ou l’image parentale en tant que modèle fort

Agnès

« J’ai été élevée au biberon de l’image de la femme active, qui travaille, qui bouge, qui s’investit, c’est vrai que ce n’était pas la femme classique ». « Ma mère s’est battue toute sa vie ».

« Je n’avais qu’un seul référent, c’était ma mère. Si je suis devenue médecin c’est grâce à elle ».

« Quand l’avoué n’était pas là, c’est maman qui dirigeait l’étude. Elle avait des fonctions de responsabilité, ça c’est sûr, c’est certain. Maman était toujours quelqu’un… elle savait ce qu’elle voulait. J’avais chez moi un modèle… ce n’était pas un modèle de la femme soumise. Pas du tout ce modèle, c’est sûr ! Est‑ce que ça m’a influencé ? Je ne peux pas vous dire, je n’en sais rien ». « Ma mère était engagée ».

Brigitte

« Alors c’est marrant parce que dans le couple, ma mère était, enfin est toujours une personne très forte de caractère et mon père était plus faible. C’était elle qui tenait les rênes, c’était clair ».

« Ma mère était une femme de tête, et elle l’est encore d’ailleurs à 96 ans, alors que mon père est décédé. Il paraît que ma grand‑mère, et surtout mon autre grand‑mère que je n’ai pas connue, étaient aussi des femmes de tête !!! ».

Claude

« C’est ma mère qui fait la pluie et le beau temps... au grand damne de mon père... Il aurait fallu qu’il soit un peu plus affirmé… Il ne sait pas se faire respecter ».

« Chez nous c’est matriarcal... Pourtant normalement les Portugais c’est hyper macho ».

« À la fois du côté de mon père et du côté de ma mère, ce sont les bonnes femmes qui ont mené leur barque ».

« C’était une femme de tête aussi (la grand‑mère paternelle)... en tout cas de gueule… une grande gueule... donc du coup ça te donne l’image d’une femme forte ».

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Dorothée

« J’ai eu…des parents très ouverts d’esprit »

« …et donc une ambiance familiale – je dirais – propice à ce que je suis certainement devenue en quelque sorte »

« On se fait influencer positivement (par ses parents), là je me suis dit j’espère si je suis chef d’entreprise un jour j’aimerais faire la même chose comme il a fait (mon père)…je voudrais tendre la main… »

« Ce côté un peu paternaliste dans le bon sens, c’était avant la RSE… »

› 4.3.2. Position de force dans la fratrie

Il est remarquable que, dans la fratrie, les quatre répondantes ont eu des frères soit fragiles, soit absents : Agnès est fille unique, Brigitte est née après un frère décédé, Claude a toujours pris, selon ses dires, le dessus sur son frère qui était pourtant l’aîné et Dorothée avait un frère plus jeune, dyslexique au parcours qu’elle décrit, comme étant « plus chaotique ».

Tableau 2. Verbatim sur la place du frère

Agnès « Je n’ai pas de frères ni de sœurs. Donc j’ai un seul référent. De plus des deux côtés, mon père et ma mère n’avaient pas non plus de frères et sœurs. Donc je n’avais qu’un seul référent, c’était ma mère. »

Brigitte

« Alors sinon mes parents ont eu 4 enfants, 2 filles, et 1 garçon qui est décédé à 7 mois pendant la guerre, la deuxième guerre mondiale, et moi qui suis née en 1947. Et quelque chose d’important, après le décès du seul garçon… un garçon dont mes parents étaient très fiers, ma mère mais surtout mon père et voilà, je suis arrivée et j’étais une fille ! Je ne sais pas si ça a influencé, mais quand même… »

Claude

« Mon frère aîné manque affreusement de confiance en lui alors qu’il a eu la même éducation...(…) ça a été dur pour mon frère car il y a eu la comparaison, tout le temps, pendant toute son enfance et autant lui était timide, réservé et sensible, autant moi j’étais un bulldozer... d’emblée... et j’ai tout de suite pris l’ascendant sur lui, même physiquement… »

Dorothée

« Je suis l’aînée, j’ai un frère de moins de un an et demi et une sœur de moins de un an et demi an de mon frère… je n’aimais pas du tout ça, d’imaginer que parce qu’on était masculin féminin, on était différents ….. »

« Mon frère a eu un parcours plus chaotique, j’étais un peu plus facile… il était dyslexique, plus de difficulté à l’école, un parcours plus dur à plusieurs niveaux, difficile de comparer les deux… »

Ainsi, bien que les quatre interviewées aient vécu des situations familiales variées, à des époques différentes, aucune d’entre elles n’a souffert de discrimination liée au sexe au sein du foyer dans son enfance. Si certaines se sont battues pour des raisons particu‑ lières (Brigitte a lutté contre une maladie grave, Claude contre un manque de revenu de ses parents…), aucune n’a eu à endurer la domination masculine dans l’environnement familial.

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› 4.4. Organisation vie privée/vie professionnelle

La maternité est un frein ressenti pour trois femmes sur quatre pour conduire une car‑ rière. Agnès et Brigitte, aujourd’hui divorcées, ont été mariées. Brigitte n’a jamais eu d’enfants ; d’après elle, elle n’aurait pas accompli le parcours professionnel qui est le sien si elle avait connu la maternité. Quant à Agnès, si elle a eu trois enfants, elle ne se serait jamais investie en politique si la demande était venue quand ils étaient en bas âge. Le mari d’Agnès ne s’investissait pas dans les tâches ménagères ; globalement c’est elle qui assurait « plusieurs vies dans une vie ». Très clairement, pour ces deux femmes, leur position hiérarchique élevée est directement reliée à l’absence d’enfants à s’occuper.

À l’inverse, Claude, aujourd’hui mère de deux enfants, a pensé à progresser dans sa carrière avant d’avoir des enfants. Malgré cette bonne gestion de la maternité, elle n’en ressentait pas moins de culpabilité, à ne pouvoir se consacrer à 100 % ni à son travail ni à ses enfants. Le fait d’installer ses parents chez elle pour leur confier ses enfants lui procure aujourd’hui une certaine tranquillité d’esprit.

Quant à Dorothée, elle n’a pas évoqué de difficultés particulières sur la conciliation vie privée/vie familiale. Cela provient sans doute du fait qu’elle a toujours géré cette question avec ses salariés avant de devenir mère à son tour. Elle estime cependant que sa maternité lui a permis de ressentir ce qu’elle n’avait qu’intellectualisé auparavant, laissant entendre une vision naturaliste : la mère reste la plus à même de s’occuper de ses enfants.

Tableau 3. Verbatim sur l’organisation vie privée/vie professionnelle

Agnès

« La vie de médecin, ce n’est pas… surtout au bloc. On est pris. Je me rappelle, il y a des périodes où je prenais mon fils avec moi, je le mettais dans un coin du bloc opératoire et je lui disais tu ne bouges plus. Car je n’avais personne pour le garder et je ne savais pas où le mettre. Mon fils aîné s’en rappelle ! ».

« C’est parce que mes enfants étaient grands que je me suis investie en politique ». « S’ils avaient été petits, je n’y serais pas allée. Petits, ce n’est pas possible, je ne l’aurais pas fait ».

Brigitte

« … mais si j’avais eu des enfants, je n’aurais pas fait tout ça, comme je me connais, je m’en serais occupée et je n’aurais pas pu faire tout ça ».

« En vacances, je tourne en rond et, au bout de quelques jours, je préfère retourner dans mes dossiers, c’est comme ça, c’est une vraie passion. Mon mari ne comprenait pas. »

« Moi j’aime le changement. Je crois que c’est pour ça aussi que j’ai pas eu d’enfants, j’aime que ça bouge. J’ai toujours repoussé, repoussé, le moment pour en avoir, j’avais toujours une autre tâche à accomplir, et après c’était trop tard de toute façon ».

« Si je prends une semaine de vacances par an, c’est le grand maximum ». « Je travaille quand même, bien sûr tous les jours » [cf. week‑end compris].

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Claude

« Nous contrairement à un mec, on culpabilise à mort...on culpabilise quand on est avec eux (les enfants), en se disant « putain merde j’ai 2‑3 trucs à faire pour le boulot » et quand on est au boulot et non avec eux... ce qui n’effleure pas... Eric, il ne voit pas du tout ses enfants la semaine, ça ne l’emmerde pas... »

«Je savais qu’en tant que femme il y avait des choses que je devais avoir faites avant d’avoir des gamins...j’avais 26 ans à l’époque »

« l’essentiel de ma carrière chez R, j’étais célibataire (mais avec son conjoint) sans enfant ; je m’éclatais... je progressais... mais quand tu as des enfants tu ne raisonnes pas de la même manière... avant j’étais du genre à bosser le soir, j’aimais mon métier, j’avais envie de développer... je me suis éclatée ; mais cette contrainte horaire tu l’as quand tu as des enfants.. »

« (avec mes parents près de chez moi), je m’offre une tranquillité » « Quand j’ai besoin de travailler plus tard, aucun stress, c’est une souplesse fantastique qui n’a pas de prix....ça diminue mon sentiment de culpabilité... j’ai l’impression d’avoir trouvé un équilibre »

Dorothée

« La parentalité est venue avec la maternité...y’a pas photo. j’avais

intellectuellement abordé le sujet... avant d’avoir les enfants (quand) une femme m’appelait « il faut que je parte, mon fils a de la fièvre », je l’acceptais mais dans ma tête, je me disais « où il est le papa, le mari ? Pourquoi il prend pas le relais ? » c’est presque sexiste !! Quand j’ai eu mes enfants, même si le papa le voulait, avec un enfant à 40 de fièvre, une maman... on ne peut plus travailler.... () j’ai compris avec les tripes, pas avec la tête. On ne peut s’attendre à ce qu’une maman délègue ces choses‑là... ()... l’égalité avant les enfants, c’est une chose, après c’en est une autre »

› 4.5. La motivation pour accéder au sommet

Pour être au sommet, il faut avoir suivi un parcours particulier… Or, les quatre femmes ont pris des responsabilités parce qu’elles désiraient fortement œuvrer pour le chan‑

gement, améliorer le quotidien, proposer leur vision des choses au lieu de subir celle des autres. Claude revendique avoir toujours voulu prendre le dessus, et

ce dès l’enfance, même sur son frère aîné. Elle assume, en outre, avoir été motivée dans son cursus par le gain financier afin de ne pas avoir à subir de « frustrations » comme ce fut le cas par le passé. En revanche, Brigitte sourit à cette idée : elle a fait ses choix surtout par plaisir. Elle dit s’être régalée dans les études entreprises et se délecter dans son travail, à « garder la tête dans ses dossiers ».

Si Agnès aurait ri, plus jeune, si on lui avait dit qu’elle serait un jour Maire de la ville de X, Brigitte a pu envisager par le passé, occuper la fonction de Présidente d’Université : elle a en effet toujours envié la position de la personne qui dirige et s’imaginait aisé‑ ment dans ce rôle, de la maîtresse d’école, puis du directeur de la clinique où elle était soignée, du professeur qu’elle a admiré à l’université, jusqu’au président d’université… Dorothée a été motivée par l’envie de changer le monde en créant une entreprise qui concilie rentabilité économique et « action sociale ». Par extension, le fait d’être légitime

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d’un point de vue économique semble renforcer ses convictions et sa force de persua‑ sion afin de montrer auprès d’autres acteurs que la conciliation « rentabilité ‑ responsa‑ bilité sociale » est possible et souhaitable.

Tableau 4. Verbatim sur les motivations pour accéder au sommet

Agnès

« Ce qui me fait avancer ce n’est pas mon ego, quand je serai un tas de poussière, je serai un tas de poussière… voilà, la vie c’est comme ça. Par contre ce qui me fait avancer c’est d’améliorer le quotidien ».

« Je me suis investie car je suis capable encore aujourd’hui, s’il y a une injustice quelque part, je suis capable de descendre dans la rue. Comme dit Kessel « indignez‑vous ! ». J’ai toujours cette capacité de révolte. C’est cette motivation qui fait que j’ai avancé. Et puis le hasard… ».

Brigitte

« Ah non, c’est sûr que c’est pas pour l’argent !!! (Rires). Pas du tout ». « Je crois que je fais ça vraiment pour le plaisir. J’aime ça, c’est un plaisir ». « J’aime pouvoir apporter ma vision. J’aime participer au changement ».

« Ce qui m’a motivée dans mes choix, c’est le défi justement, j’aime qu’il y ait des choses à monter, la gestion de tous les jours, ça ne m’intéresse pas ».

« Avec le recul, je me suis rendue compte que je voulais toujours être à la place du chef, je le regardais, je l’admirais. À l’école, je voulais être maîtresse. Après, au préventarium j’admirais le directeur et je voulais être directeur… et c’était toujours comme ça ».

Claude

« Je n’ai pas pu faire de tennis [enfant] parce que ça coûtait cher... J’ai quand même eu des frustrations... ça m’a donné un énorme moteur ».

« Moi, quand j’étais au collège, j’étais déléguée de classe et déléguée de collège. Il faut vouloir se mettre en avant. Moi c’était comme ça, j’avais envie. Le fait d’être manager, il faut vouloir avoir ce leadership ».

« La meilleure façon de pouvoir les mettre en pratique c’est d’être à la tête ».

Dorothée

« J’aurais pu finir à la limite dans l’humanitaire… Mais quand j’étais en Inde, j’ai réalisé que travailler dans une ONG c’est merveilleux, mais on a l’impression de pédaler dans le vide. Tu pourrais ne pas dormir du tout, travailler 24/24... et tu ferais même pas une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux problèmes. Et ça, ça a été frustrant de voir ça ».

« Allez, je veux faire une entreprise. Cette entreprise, je veux la faire différente. Je veux que ça fonctionne économiquement évidemment... mais je veux que les gens qui travaillent pour moi travaillent avec plaisir, avec bonheur ; et quand ils viennent travailler le matin, qu’ils soient contents, heureux... ».

› 4.6. Représentation du leadership

4.6.1. Représentation des différences selon le genre dans l’exercice du leadership

Lorsque les femmes interrogées évoquent leur style managérial, elles le définissent par‑ fois en opposition à un style qu’elles considèrent comme relevant d’un modèle masculin.

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Elles pensent que les hommes agissent davantage par fierté, guidés par leur ego, alors que les femmes se fient plus à leur intuition et sont capables de mettre leur ego de côté, à partir du moment où elles savent qu’elles sont sur le bon chemin. Par ailleurs, toutes mentionnent de façon récurrente la pratique active de l’écoute et de la concertation, expliquant que, ce faisant, elles se démarquent de leurs homologues masculins. D’après elles, il existe donc bel et bien une différence entre hommes et femmes dans l’exercice du leadership. Le tableau 5 intègre les mots forts tirés des verbatims oppo‑ sant le mode de leadership féminin au masculin.

Tableau 5. Verbatim opposant modes de leadership féminin et masculin

Leadership feminine Leadership masculin

Amour, changer d’avis, décision concrète, impossible d’aller au bluff, pas peur de l’échec, sensibilité, sentir, intuition, compréhension, intelligence émotionnelle.

Bagarreur, combat, peur de perdre la face, s’affronter, fierté, borné, pouvoir pour la place, besoin d’existence, besoin de paraître.

Selon les interviewées, les hommes ont davantage tendance à occuper un poste au sommet pour le pouvoir que la position procure : le fait d’être au sommet est une fin en soi. Pour les femmes, être au sommet est moins une fin qu’un moyen.

Tableau 6. Verbatim sur les différences selon le genre dans l’exercice du leadership

Agnès

« Je crois que la femme va essayer d’aller beaucoup plus rapidement à une décision concrète. Ça oui. C’est vrai. Dans un débat, si la personne avant moi a dit ce que j’avais envie de dire, je ne vais pas répéter, même sous une autre forme, à moins que j’aie envie d’enfoncer le clou et de dire que je suis d’accord avec cette personne. Par contre, c’est vrai que mes collègues masculins vont davantage tenter de s’affronter, d’affirmer le leadership. Il y aura peut‑être plus un combat… ».

« Chacun d’entre nous, on a le droit un jour d’être énervé, mettre le point sur la table, dans la vie privée comme dans la vie publique. Un homme qui va crier, c’est bien, une femme qui crie, on va dire qu’elle va faire un caprice. Un homme qui crie fait preuve d’autorité, une femme qui crie c’est un caprice. Ce qui est malheureux c’est qu’on est au 21e siècle et je crois que les mentalités en France ne bougent pas. Je caricature, je fais exprès de caricaturer… ».

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Brigitte

« Les hommes travaillent avec leur fierté. Et la fierté, ça crée des conflits ». « Je pense que les hommes ont beaucoup de fierté mal placée. Ils sont bornés et ne veulent pas revenir en arrière, faire des concessions. On dit que les hommes sont bagarreurs ; oui, ils se battent pour leur place. Les femmes se crêpent le chignon entre elles aussi, c’est vrai, mais c’est par amour, pas par amour‑propre. Moi je n’ai aucun scrupule à changer d’avis si on m’apporte de nouveaux éléments au dossier, ni à foncer alors que je peux me tromper. Et si j’échoue, ce n’est pas grave. Un homme aurait l’impression de perdre la face à ma place ; pas moi ». « Souvent j’ai eu le pouvoir sans avoir la responsabilité. C’est là aussi, souvent, que tu apprends, et que tu te fais ta place petit à petit. Mais souvent, les hommes, c’est le contraire, ils veulent le pouvoir pour la place, pour ce que ça représente, pas pour ce qu’il faut faire ».

Claude

« C’est le côté féminin... on bosse avant, et on doit montrer deux fois plus que les mecs... On n’y va jamais au bluff... impossible d’y aller au bluff... moi je ne demande pas avant d’avoir délivré, je délivre et après je demande... et pour moi ça c’est typiquement féminin.... et donc j’ai bossé, bossé, bossé et j’ai obtenu ce que je voulais ».

« J’ai des atouts.... de femme... primo, on a une sensibilité. On rentre dans une salle... on a une vision beaucoup plus globale... on sent les choses. On sait qui va bien avec qui, qui s’est engueulé. Un mec, c’est le tunnel et il ne va rien voir. Quand quelqu’un est en colère, je le sens tout de suite... et c’est vrai qu’en management c’est un énorme atout car tu sens tout de suite quand quelqu’un n’est pas bien dans son assiette... et tu vas regarder où est le problème... Un mec, ça ne sent rien de tout ça... Je caricature, car il y a des mecs qui ressentent... ». « L’intuition ou le 6e sens... oui ça c’est féminin, et c’est ultra utile en commercial, en management, dans la vie de tous les jours... savoir être en phase avec les autres ».

Dorothée

« Je pense qu’on (les femmes) a une compréhension de la parentalité qui est différente, je généralise car il y a des cas différents... on devient plus compréhensifs... »

« On (les femmes) est aussi, un peu – on appelle ça l’intelligence

émotionnelle – par rapport au QI, je pense qu’on est plus fort... fort c’est pas le bon mot... on est plus évoluées. On a plus travaillé ça que les hommes... je généralise car il y a des hommes qui ont bien développé le côté émotionnel, féminin, intuition et tout ça... »

« Et d’autres domaines…. je ne sais pas…. pas spécialement, je pense que les hommes commencent à comprendre qu’il y a l’intelligence émotionnelle, il faut le développer, ça se travaille, ça se réfléchit, et ils y viennent, mais naturellement et intuitivement et instinctivement les femmes sont plus développées… »

« Je crains que les hommes se glissent dans ce besoin d’existence de paraître et tout… Il faut qu’ils se fassent mousser, quelque part… »

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4.6.2. Représentation de leur mode personnel de leadership

Les mots « écoute » et « concertation » ressortent des quatre entretiens, et de façon singulièrement forte dans les discours d’Agnès et Brigitte (Maire et Présidente d’Univer‑ sité), non seulement comme une valeur fondamentale, mais également comme le cœur de leur pratique managériale. Selon Brigitte, l’écoute est la base de la résolution des conflits dans lesquels elle est souvent immergée, entre les hommes l’entourant qui ne veulent pas « lâcher », et ce, « par fierté ». Exposées aux critiques de par leur position hiérarchique dominante, ces deux femmes ont pris le parti de « laisser dire » et surtout de ne pas y attacher d’importance, le plus important étant le travail accompli et non les

on‑dit.

Dorothée développe son propre projet de vie au travers de son entreprise. En ce sens, elle met en place sa vision des choses. Mais, pour ce faire, elle semble gérer son entre‑ prise de façon quasi « familiale » et participative : l’écoute de tous et la prise en compte de leurs événements personnels majeurs sont constants et ce malgré de récentes diffi‑ cultés économiques liées à la crise. La concertation semble également être importante afin de développer une forme de solidarité interne.

Tableau 7. Verbatim sur les représentations du mode personnel de leadership

Agnès

« J’aime le travail en équipe. Je demande l’avis, car j’aime demander l’avis des uns et des autres, et ensuite je décide en fonction de l’avis des uns et des autres. Je ne prétends pas détenir la vérité à moi seule, il faut être lucide ! Je ne sais pas tout, si devant moi j’ai un professionnel, quel que soit le domaine dans lequel il évolue, a priori je fais confiance au professionnel qui est devant moi. Je suis quelqu’un qui écoute, et ensuite la décision est prise après ».

« Toute ma vie j’ai écouté des gens, j’ai fait ça toute ma vie. En tant que médecin et en tant qu’élue. J’ai passé ma vie à écouter des gens. Écouter, soigner ». « Je n’ai jamais cherché à me masculiniser entre guillemets dans ma fonction ». « Je refuse de me comporter comme un homme ! ».

Brigitte

« Mon style de management, c’est beaucoup d’écoute ».

« C’est comme ça qu’il faut faire, il faut oser. Et ne pas s’inquiéter de ne pas réussir ».

« La fierté, ça crée des conflits. J’étais beaucoup dans des situations de conflits entre hommes qui ne veulent pas lâcher alors que moi j’essaie de calmer le jeu, de régler ces conflits justement ».

« Il ne faut pas arriver bille en tête avec ses arguments. Il faut d’abord écouter, c’est très important, et après essayer d’amener les gens vers soi, en faisant des concessions aussi. Attention, je n’impose pas un point de vue, je sais aussi changer si on m’apporte des arguments, des informations nouvelles, ça aussi c’est très important ! ».

« Un bon leader c’est quelqu’un qui porte en lui une vision, un objectif et qui est capable d’amener les autres derrière lui dans ce but. C’est pas quelqu’un qui cherche le pouvoir pour le pouvoir ».

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Claude

« J’ai un mot d’ordre c’est «sois forte»... ».

« Sur le management, c’est typiquement le truc où il ne faut pas faire preuve d’impulsivité... énormément, car tous les mots, toutes les attitudes, tous les gestes, ça peut avoir un impact ».

« Un bon manager, c’est quelqu’un qui donne l’exemple, qui donne envie... c’est la carotte et ça n’est pas le bâton... »

« C’est beaucoup de bon sens un bon manager... ça reprend certaines qualités d’un bon commercial. C’est‑à‑dire, d’être à l’écoute... énormément ».

Dorothée

« On a beaucoup travaillé sur le fait de bien gérer cet équilibre vie professionnelle et vie privée...on était dans cette dynamique »

« À travers plein de petites choses simples on a essayé de faire en sorte que les femmes – dominantes dans l’équipe – puissent équilibrer bien les choses. C’est humain, mais il y a un retour sur investissement ». « En collaboration avec l’équipe on a décoré... c’est le fruit d’un travail collectif, un brainstorming collectif pour arriver à ça... on a un jardin, un potager, une cuisine, une salle de détente. On a essayé de faire quelque chose où les gens venaient et se sentaient bien... ( ) ça peut ressembler un peu à un chez soi ».

« Malgré tout, je suis assez fière de ce que j’ai réussi à faire, j’ai voulu que les gens viennent au travail, s’y sentent bien, vivent en équilibre et harmonie leur vie, c’est ce que je voulais... ».

5. CONCLUSION – DISCUSSION

Tout en restant vigilantes de ne pas sombrer dans les préjugés et les stéréotypes de genre ainsi que les justifications naturalistes, il nous apparaît que les styles de leader‑ ship de ces femmes se singularisent de leurs homologues masculins. Cette singularisa‑ tion est marquée, voulue et même conscientisée : elles évoquent toutes des stéréotypes quand elles se différencient des hommes, tout en précisant exagérer volontairement. Il semble remarquable que ces quatre femmes, aux parcours différents et aux profils variés, ont en effet mentionné des qualités et caractéristiques que l’on associe géné‑ ralement au genre féminin : l’écoute, la concertation, la bienveillance. En ce sens, dans le débat dans la littérature sur l’existence ou non de style de leadership féminin, nos résultats rejoignent les recherches stipulant que le leadership féminin tend à se rap‑ procher d’un leadership interactif (Rosener, 1990) qui implique l’encouragement de la participation ou de la concertation, entre autres, ainsi que le partage du pouvoir et des informations, en étant constamment à l’écoute des autres (Brunner, 1998). Les répon‑ dantes évoquent une intelligence plus émotionnelle que les hommes, confirmant de ce fait les recherches précisant que les femmes ont été sociabilisées de manière à « mon‑ trer » leurs émotions, leurs sentiments ou leur patience (Bass et Avolio, 1994).

Notre recherche ne semble donc pas entériner ce qui est souvent mis en avant dans la littérature (voir par exemple Hennig et Jardim, 1977 ; Kanter 1977), à savoir que les femmes, du fait de leur rareté dans les positions de leadership, se conforment au modèle

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dominant et adoptent des traits associés à ce modèle majoritaire, en l’occurrence mas‑ culin, pour arriver au top. Cependant, conformément aux recherches de Hennig et Jardim (1977), nos femmes leaders se pensaient aptes à réussir, et bénéficiaient de l’estime de leurs parents ou de leurs enseignants.

Ceci étant noté, nous pouvons bien entendu, nous interroger sur les biais relatifs aux récits de ces femmes.

Les récits de vie «ne nous livrent jamais des «faits» mais des «mots»» (Demazière et Dubar, 1997, p 7), à ce titre, les expériences de ces femmes, traduites par nous, risquent de se voir affubler de l’erreur ultime d’attribution (Ross, 1977 ; Papastamou, 1989). Cette forme de psychologisation (Bellier, 2004) repose sur des processus de catégorisa‑ tion. Les stéréotypes en sont un. Or, ces femmes, a fortiori, n’expliquent pas tout « leur succès » par des facteurs intrinsèques et « personnels », mais le contexte, la situation trouvent leur part d’analyse dans leur récit. Parmi les limites de cette recherche, car il y en a un certain nombre bien entendu, tous les biais relatifs aux séries d’inter actions que l’entretien comme processus de communication, déclenche chez l’interviewer et l’interviewé. Le biais de désirabilité sociale, par exemple, ne peut exclure que les récits des interviewées révèlent d’avantage la représentation qu’elles se font de leur com‑ portement plutôt que leurs propres comportements. Ce biais, à la fois familier à toutes les investigations relatives aux comportements et attitudes, ne peut être corrigé, que par une rigueur scientifique, et par un croisement des perceptions et des intonations dans une analyse régulière. Ce que nous avons essayé, dans notre cas, avec notre quadruple codage.

Par ailleurs, en dépit de l’absence de conjecture au départ de la recherche, deux profils types se sont dessinés au travers de ces récits. En effet, Claude et Dorothée, plus jeunes et travaillant dans le privé, présentent un profil plutôt proactif : elles considèrent être parvenues au sommet par leur propre volonté, au mérite, et en se battant. Ainsi, elles ne doivent leur succès qu’à elles‑mêmes. En revanche, Brigitte et Agnès, plus âgées et travaillant dans le public, présentent un profil davantage réactif, leur présence au sommet étant due en partie au fait d’avoir été poussées par les pairs ou un responsable hiérarchique. Même si la reconnaissance de leur talent et de leur compétence n’est pas à prouver, elles expliquent leur réussite par une suite de circonstances. Précisons que seule Agnès se retrouve au top précisément parce qu’elle est une femme (grâce à la loi sur la parité : ce qui lui fait justifier sa présence au sommet par une part de hasard). Est‑ce une coïncidence que les secondes aient dépassé la soixantaine alors les pre‑ mières sont encore dans la quarantaine ? L’âge serait‑il un élément explicatif de la dif‑ férence de perception de sa légitimité en tant que leader ? Ces questions ne relèvent en rien du postulat. Leur investigation, même exploratoire, suppose une assise théorique qui n’a pas été évoquée ici. Une piste d’analyse de ces différences de perception pour‑ rait se faire sous l’angle du « leadership dans le monde politique ou économique ». En

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effet, les deux femmes qui estiment être là car elles l’ont voulu et mérité ont pu naturel‑ lement s’appuyer sur la réussite économique de leur entreprise qui apparaît comme un critère de légitimité indiscutable. À l’opposé, les femmes au sommet s’inscrivant dans des carrières plus politiques (le cas de l’université ou de la mairie), estiment être là, plus par « hasard » ou parce que de tierces personnes les ont plébiscitées. Auraient‑elles plus de difficultés, en tant que femmes, à percevoir et à mettre en avant leur légitimité pour revendiquer un leadership en politique, où les critères de légitimité sont plus diffus et discutables ?

Par ailleurs, il semble que ces femmes leaders ont eu un modèle familial dans leur enfance peu classique : soit qu’il ait été exclusivement féminin soit qu’il ait été parental. Une constance dans ces profils : aucune répondante n’a subi de domination masculine. Ces quatre femmes semblent donc ne pas avoir subi dans leur éducation des limites (ou des interdits) implicites ou explicites qui soient liées à leur genre. Sur ce sujet, nos résul‑ tats rejoignent les courants théoriques sur les antécédents du leadership présupposant un lien entre la socialisation primaire, la petite enfance et la motivation ou l’accès à des postes de leaders (Caffarella and Olson, 1993 ; Hennig et Jardim, 1977). Si être leader nécessite une grande variété de compétences, et que ces aptitudes et compétences sont généralement développées tout au long de la vie d’un individu (Adler, 1998), alors l’enfance est une étape de la vie des femmes, pendant laquelle « elles pourraient » développer de la confiance en soi et des aptitudes au leadership (Madsen, 2007). Cette littérature stipule que tous les types d’expériences dans l’enfance ont une importance cruciale pour la croissance et le développement d’un individu. Caffarella et Olson (1993) ou Hennig et Jardim (1977) ont particulièrement insisté sur l’importance que requiert la socialisation précoce dans la vie pour les femmes. Bandura, (2007) met en lumière la discordance qui existe entre les pratiques de socialisation professionnelle et les « contextes professionnels » nécessaires pour leur succès, du fait que les femmes soient exclues de certaines fonctions et de certains métiers. Selon Betz et Hackett (1981, cité in Bandura, 2007) plusieurs données convergent pour montrer que les aspirations pro‑ fessionnelles des femmes sont limitées par un sentiment d’inefficacité à maîtriser les compétences nécessaires pour les professions traditionnellement masculines. Bandura (2007) indique que les pratiques culturelles transmettent des attentes de réussite plus basses pour les femmes, modèlent des rôles stéréotypés de genre, limitent les aspira‑ tions professionnelles et les opportunités en fonction de l’appartenance sexuelle. Ces pratiques culturelles exigent donc des femmes d’avoir un solide sentiment d’efficacité pour mener une carrière non traditionnelle. Cette question d’auto‑efficacité ou d’estime de soi, peut trouver une résonance particulière chez ces femmes qui ont réussi.

Nos constats rejoignent donc ainsi ceux de Hennig et Jardim (1977), les premiers cher‑ cheurs qui, ayant interrogé des femmes leaders pour comprendre leur motivation et la clé de leur réussite, ont observé que les événements survenus et les expériences vécues

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dans l’enfance et l’adolescence jouent un rôle essentiel dans leur vie d’adulte et notam‑ ment dans leur trajectoire professionnelle.

En revanche, contrairement aux résultats de Hennig et Jardim (1977), les quatre répon‑ dantes ne voyaient pas autour d’elles des exemples de femmes inférieures aux hommes lorsqu’elles étaient enfants, bien au contraire. En outre, toujours contrairement aux résultats de ces auteurs, trois d’entre elles n’admiraient pas non plus profondément leur père et leur activité professionnelle, mais baignaient plutôt dans un modèle maternel, un modèle particulier car empreint de leadership, les mères de nos interviewées étant toutes décrites comme des femmes singulières, avant‑gardistes, fortes, leaders à leur façon… Étant donné que nos quatre interviewées n’adoptent pas, contrairement à ce qui est généralement présenté dans la recherche sur le genre, un type de comportement masculin pour parvenir au sommet, la question suivante se pose : est‑ce que le fait, dans la petite enfance, d’être exposée à des mères leaders, et de ne pas subir, enfant, de discrimination (en particulier dans la fratrie) pourraient (conjointement ou séparément) expliquer le fait que ces filles devenues femmes ne cherchent pas à imiter leurs homolo‑ gues masculins pour parvenir au sommet ? « En mettant l’accent sur le rôle des croyances

d’efficacité dans les différences d’aspiration et d’orientation professionnelle selon le genre, il ne faut pas perdre de vue le fait que les contraintes culturelles, les systèmes injustes de résultats anticipés et les possibilités tronquées qu’offre la société jouent éga‑ lement un rôle important dans le parcours professionnel des femmes ». (Bandura, 2007,

p 647). Sa théorie de l’efficacité personnelle fait, selon lui, plus qu’identifier un facteur qui contribue à la profession ; elle fournit les moyens d’améliorer la source personnelle de contrôle sur le fonctionnement professionnel de l’individu. L’auto‑efficacité, peut‑elle être mobilisée comme mécanisme autorégulateur central de l’activité humaine, pou‑ vant modifier les comportements et influencer les aspirations ? Il serait intéressant d’approfondir la compréhension du leadership en explorant le sens premier donné par les femmes leaders à leur expérience de leadership. La démarche qualitative est inté‑ ressante, mais il est peut‑être temps, de concentrer plus d’efforts sur les méta‑ana‑ lyses qui synthétisent les pas effectués dans ce domaine, dans le sens de tester des théories au lieu d’en générer d’autres. A ce titre, les approches questionnant les stades de carrières de Hall par exemple, à l’instar de Withe (2000) ou de Pringle et al. (2003) pourraient constituer un appui intéressant pour appréhender ces questions sous des prismes plus récents.

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