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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le documentaire : réducteur d'ignorance ?

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXV, 2003

LE DOCUMENTAIRE : RÉDUCTEUR D’IGNORANCE ?

Jacques IBANEZ BUENO

Université de Savoie, Laboratoire IREGE, Annecy

MOTS-CLES : ETHNOLOGIE – MULTIMEDIA – SITE WEB – PHENOMENOLOGIE

RESUME : Dans la communication intime à distance que se passe-t-il dans l’implication corporelle de chaque usager ? Le croisement de plusieurs disciplines, dont la sémiotique et la phénoménologie, permet une méthodologie adaptée. L’ajout de l’ethnologie multimédia par un projet de création de documentaire permet-il de réduire nos ignorances ?

ABSTRACT : In the intimate communication by Internet, what is the bodily implication for the user ? To cross a few disciplines (principally semiotics and phenomenology) offers an adapted methodology. To add multimedia ethnology with a documentary project can it reduce our ignorance ?

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1. INTRODUCTION

L’objet principal de ce projet de recherche est constitué de sites personnels non commerciaux avec utilisation de Webcam. Seuls ont été retenus des sites avec une implication corporelle évidente des créateurs, ou titulaires de ces sites. Certaines pages peuvent être classées sans aucune pudeur, d’érotique ou de pornographique. Cette innovation sociale fait participer ce que Serge Proulx nomme les interacteurs. Internet n’est ni considéré comme un média d’irrigation (média de masse), ni comme de la communication interpersonnelle. Internet, le Minitel et les messageries téléphoniques bouleversent les caractéristiques habituelles de la rencontre. Les conceptualisations de l’échange et de la communication interpersonnelle se trouvent fragilisées. Malgré la multiplication des travaux de recherche consacrés à ces usages sociaux émergents, les ignorances sont importantes. Les questionnements portent sur ce qui se passe chez l’internaute. Les approches choisies sont principalement la socio-histoire des usages, la sémiotique, la phénoménologie et l’ethnologie multimédia. Seules les deux dernières approches sont privilégiées dans cette présentation.

2. RESEAUX DE COMMUNICATION ET CORPS

La télé-présence dans notre analyse n’est pas considérée comme réductrice de lien social. Au contraire, les réseaux électroniques de communication vont à l’encontre d’une progression de l’individualisme et du désintérêt vis-à-vis de la citoyenneté (Maffesoli).

Dans la virtualité du réseau Internet, il s’agit bien de simuler et de déplacer. Dans ce cas, se trouve une proximité manifeste avec le projet cybernétique de Norbert Wiener : enregistrer et transmettre du vivant. Le corps est alors transmis à distance ce qui ne constitue pas une nouveauté de fin de XXe puisque déjà dans l’écriture par missive, évidente communication à distance, le corps se déplaçait déjà via les premiers courriers. La corporéité de l’auteur se formalise grâce à l’imprimerie au sein d’une communauté considérée comme virtuelle à partir d’un même corps et d’un même livre. Cependant, le transfert du corps sur les réseaux électroniques oblige de revoir la définition de la kinesthésie. Le “ coefficient corporel ” augmente avec les dernières technologies grand public sur réseau. L’“ hypothèse centrale d’une augmentation tendancielle du caractère incarné du transport de la présence ” est reprise ici (Weissberg).

Dans son dernier ouvrage, Roland Barthes élucide avec brio le toucher sensible et différé opéré par la médiation de la photographie. L’intégration de l’image fixe ou animée dans les sites Web choisis, ne va pas à l’encontre d’un toucher à distance du type de celui mis en évidence par le sémiologue :

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“ D’un corps réel qui était là sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici. Peu importe la durée de la transmission. La chose d’autrefois, par ses radiations immédiates (ses luminances), a réellement touché la surface qu’à son tour mon regard vient toucher ”. De même, en reprenant les propos de Jacques Derrida sur la télévision, Internet offre la possibilité d’un “ contact à distance de temps, transfert photo-énergétique de la surface de l’image enregistrée, rencontre différée du regard de l’autre, la perspective peircienne de l’indice est omniprésente. ”

3. UNE PHENOMENOLOGIE APPLIQUEE AUX RESEAUX

Avec une démarche husserlienne, la phénoménologie s’approprie en tant que philosophie comme science rigoureuse. Ce “ retour aux choses mêmes ” permet de s’interroger sur des expériences intenses telles que les souvenirs, les attentes ou la réception de messages par l’internaute. Les phénoménologues se désintéressent des stimuli que d’autres chercheurs cherchent à isoler. Cette approche offre la “ mise hors circuit ou hors jeu ” phénoménologique des préjugés sur le penser et le corps.

Les trois “ fonctions ” du corps, vision, motricité et sexualité, conceptualisées dans la phénoménologie de la perception (Merleau-Ponty) ne sont pas reliées par des liens de causalité entre elles, ce qui exclut la prise en compte du corps comme un objet. Plus précisément, “ même avec la sexualité, qui a pourtant passé longtemps pour le type de la fonction corporelle, nous avons affaire non pas à un automatisme périphérique, mais à une intentionnalité qui suit le mouvement général de l'existence et qui fléchit avec elle ” (Merleau-Ponty). “ Si nous concevons notre corps sexuel comme le sujet des états d’excitation éveillés en nous par un corps externe chez qui la sexualité est aussi éveillée, nous faisons fausse route ” (O'Neill). Comme les psychanalystes, les

phénoménologues de la perception refusent la sexualité en tant que mécanique ou chimie des corps. Par contre, la phénoménologie n’intègre pas un rapport causal issu de la sexualité des individus. La sexualité n'est pas une fonction indépendante, ni uniquement organique, puisqu’elle s’intègre dans un mouvement de signification. Ce mouvement s’intègre également dans la vision et dans la motricité pour exprimer l'existence.

Alors qu’à l’époque des écrits de Merleau-Ponty le Web avec images n’existait pas, la combinaison des trois espaces réel, virtuel et idéel s’applique aux déplacements corporels et aux déplacements virtuels sur réseau. En effet, l’espace du comportement n’est pas l’espace réel, mais inclut aussi un espace virtuel des déplacements possibles : si chacun devait pour enfiler mon pull, estimer la position de chacun des points de celui-ci, puis de chacun des points de mon bras, et de les comparer, l’opération serait impossible ; la spontanéité de l’opération présuppose la communication de

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l’espace réel et de l’espace idéel. Pour mieux saisir la correspondance entre le comportement sur un lieu réel et un lieu électronique par connexion différée ou non, Merleau-Ponty définit le comportement comme “ la projection hors de l’organisme d’une possibilité qui lui est intérieure ”. En prolongeant le projet des phénoménologues du corps qui dès son origine voulaient penser le “ corps vécu ” et le “ vivre incarné ”, la phénoménologie appliquée à la communication sur réseau électronique se transforme en phénoménologie de la présence corporelle à distance. Cette approche philosophique aide à saisir l’internaute, sa réalité et sa pensée dans l’activité navigation électronique, problématise et enrichit les questionnements sur la mobilisation corporelle dans les processus de télé-communication électronique et intime. Quelle est la visée d’un internaute interacteur et conscient d’un monde accessible à distance, monde constitutif de sens ?

Utiliser la démarche d’Husserl aide à saisir davantage les pratiques du sujet-conscience en tant qu’internaute qui navigue sur des sites à caractère érotique ou pornographique. Il n’y a pas de stimulus déclencheur de sa navigation sur le réseau. Les contenus électroniques en tant qu’objets sont pourvus de sens qu’il faut rechercher. Ce qui est observable demeure largement inférieur à l’activité vécue par l’internaute consultant de pages numériques. Cette activité contribue à la construction permanente de son identité.

Des exemples de sites Web, avec des représentations d’un corps habillé, témoignent dans leur dimension phénoménologique d’une présence dans le monde des internautes captés par la Webcam, et repris par le réseau. Le corps propre d’hommes et de femmes, par leur apparition numérisée, sont dans une posture de réception sensible considérée par les phénoménologues comme le sens ultime de l’être, ce qui signifie que ces êtres humains réagissent aux variations, même les plus infimes. Ils regardent l’usager et l’invitent. Toute leur expérience de la communication visuelle et corporelle à distance rend compte “ aussi bien de la référence du monde au corps que de la constitution des facultés du corps par son insertion dans le monde ” (Merleau-Ponty). Se vérifie ainsi une véritable “ existence sociale ”, traduite par les corps qui ne représentent pas un accompagnement extérieur des personnes. Par l’expérience corporelle se vit “ l’indissociabilité de son activité donatrice de sens et de sa contingence, de sa facticité ” (le corps comme prise sur le monde selon Merleau-Ponty).

4. LE RECOURS A L’ETHNOLOGIE MULTIMEDIA

La dernière approche, l’ethnologie nommée ici multimédia, nécessite la mobilisation d’un dispositif de recherche débouchant sur la réalisation d’un documentaire. Ce documentaire intégrerait les pages écran de sites Web et de Webcam, des mouvements corporels des internautes à leur domicile et des propos oraux de ces mêmes internautes. Ce documentaire serait doté de deux statuts : à la fois

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approche complémentaire disciplinaire (dans la tradition de l’anthropologie visuelle) et diffusion des savoirs consécutifs aux travaux de recherches, résultant d’approches disciplinaires croisées. Dans Principles of visual anthropology, Margaret Mead précise que l’anthropologie visuelle entreprend l’étude de l’homme dans ce que l’homme et la femme donnent à voir, à partir de moyens d’investigation non verbaux. Le projet consiste à décrire le réel en se donnant pour ambition “ – ou pour attitude méthodologique – le dévoilement progressif des moindres aspects du sensible tout en sachant que les procédés d’enregistrement mis en œuvre à cet effet ne dévoilent certains aspects qu’au prix de l’occultation des autres ” (De France). Le documentaire permet d’appréhender les hommes et les femmes “ dans l’unité et la diversité des manières dont il met en scène ses actions, ses pensées, son milieu ”. “ Il s’agit de l’homme comme être social et culturel, considéré dans le continuum de ce qu’il donne à voir et à entendre, et le rend de ce fait accessible à la reproduction animée des manifestations concrètes, visuelles et sonores. En un mot, l’homme dont on saisit ce qu’il exprime à partir de ce qu’il montre ”.

Par extension de cette tradition chère à Jean Rouch, l’ethnologie multimédia, rend possible un accès privilégié aux réactions sensibles que d’autres approches disciplinaires ne sont pas en mesure de saisir. L’attribution d’un statut méthodologique référentiel se trouve légitimée (De France). De même que l’anthropologie filmique, l’ethnologie multimédia reprend le rôle essentiel de la description attribué par les ethnographes classiques. En quelque sorte, l’utilisation des matériaux en images animées et en sons représente le “ plein épanouissement retardé ” ethnologique plutôt qu’une imitation de l’ethnologie générale. Au risque de froisser les tenants de l’anthropologie classique, celle-ci ne serait-elle pas que le “ simple précurseur ” de l’anthropologie filmique et de l’ethnologie multimédia. La “ description des manifestations sensibles, concrètes de l’activité humaine, avant tout de nature non verbale, est essentielle à la constitution d’un capital de matériaux qui ne sont pas seulement exploitables par les linguistes ou les spécialistes des sciences de l’information et de la communication ”. Cette élaboration disciplinaire devient “ la discipline du sensible par excellence ” (De France).

5. CONCLUSION

L’ethnologie multimédia permet de vérifier des hypothèses dont les origines peuvent provenir de croisements fertiles grâce au recours de la sociologie, de la sémiotique et de la phénoménologie appliquée. L’ethnologie multimédia rend possible l’émergence de nouvelles hypothèses. Le documentaire avec des contenus multimédias, a vocation à devenir le creuset interdisciplinaire.

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Sans aller jusqu’à récuser l’écrit comme Jean Rouch qui considère que l’image peut se substituer à l’écrit, le documentaire permet cependant l’impensable (propos du documentariste Van Der Keuken) par d’autres disciplines. Le documentaire multimédia réduit nos ignorances sur la communication intime via les réseaux électroniques.

BIBLIOGRAPHIE

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