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Une guerre "sur le pied européen"? : la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Une guerre "sur le pied européen"? La guerre de siège

en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans

Mémoire

Michel Thévenin

Maîtrise en histoire - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Une guerre « sur le pied européen »? La guerre de siège

en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans

Mémoire

Michel Thévenin

Sous la direction de :

Michel De Waele, directeur de recherche

Alain Laberge, codirecteur de recherche

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Résumé

En 1759, le chevalier de La Pause, un officier français débarqué en Nouvelle-France en 1755 et qui a connu quatre années de guerre en Amérique, note dans son journal : « Toute la science de la guerre en Canada consiste dans l’attaque ou la défense des postes qui ferment ou ouvrent la communication d’une frontière à l’autre ». Cette remarque se veut révélatrice de la place qu'occupe la guerre de siège, dans l'esprit des officiers européens, dans la conduite de la guerre en Amérique. Mais par extension, elle montre également le poids qu'occupe cette pratique particulière de la guerre dans la culture militaire des armées européennes au milieu du XVIIIe siècle. Cette étude analyse et compare le modèle militaire théorique de la guerre de siège tel que pratiqué en Europe au Siècle des Lumières avec son application par l’armée française dans le contexte colonial de la Nouvelle-France lors de la guerre de Sept Ans.

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Abstract

In 1759, the Chevalier de La Pause, a French officer who landed in New France in 1755 and saw four years of war in North America, wrote in his diary: "The science of all war in Canada consists in the attack or defense of posts that close off or open up communication from one region to another. " This remark reveals the place that siege warfare occupied in the minds of European officers and in the conduct of war in North America. By extension, it also shows the importance of this particular method of warfare in the military culture of the European armies in the middle of the eighteenth century. This study analyzes the theoretical military model of siege warfare as practiced in Europe during the Age of Enlightenment and comparatively examines the French Army’s use of these methods in the Seven Years' War in New France.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Questionnement et hypothèse ... 4

Historiographie ... 7

Méthodologie et corpus de sources ... 16

Chapitre 1 : De l’attaque des places en Europe au Siècle des Lumières ... 20

I/ Préambule : de la définition du siège ... 21

II/ Évolutions et révolutions de la guerre de siège en Europe : de la poudre à canon à Vauban (XVe-XVIIIe siècles) ... 25

1) La guerre de siège et le développement des armes à feu (XVe-XVIIe siècles) ... 26

2) Vauban, ou la rationalisation de la guerre de siège au service du Roi-Soleil ... 29

3) La guerre de siège au cœur de la stratégie des États européens, fin XVIIe-première moitié XVIIIe siècle ... 36

III/ « Les guerres de ce pays-ci sont bien différentes de celles d’Europe » : les contraintes du théâtre d’opérations nord-américain ... 43

1) « Ce ne sont pas les campagnes des Flandres » : climat, distances et communications ... 44

2) « Joindre au sistème de tactique d’Europe l’usage à faire des sauvages » : composer avec les Canadiens et les Amérindiens ... 45

3) « il est difficile d’imaginer même un Vauban retirer le moindre bénéfice de la sorte de forts présents dans ce pays » : les fortifications de la Nouvelle-France ... 48

Conclusion : des officiers rompus à la guerre de siège européenne, dans un continent où cette partie de la guerre reste à écrire. ... 51

Chapitre 2 : « La guerre est totalement changée dans cette partie du monde » : la Nouvelle-France et la dimension stratégique de la guerre de siège ... 53

I/ La pensée stratégique française en Amérique au commencement des hostilités ... 53

1) « La plus forte digue que l’on puisse opposer à l’ambition des Anglais » : le rôle stratégique de la Nouvelle-France selon La Galissonière ... 54

2) Une stratégie de défense en quatre points ... 56

II/ 1755-1757 : le « moment français » en Amérique ... 61

1) 1755 : « je suis heureusement parvenu à arrêter les progrès des Anglois dans tous leurs projets », ou les salutaires réactions du marquis de Vaudreuil ... 61

(6)

2) 1756 : « changer la défensive en offensive ». Les Français maîtres du lac Ontario 64

3) 1757 : les premières failles de la stratégie française en Amérique ... 67

III/ Le tournant de 1758 et la nécessaire réorientation de la stratégie française en Amérique ... 70

1) 1758 : la donne s’inverse au Nouveau Monde ... 71

2) 1759-1760 : « votre besogne n’est pas de battre, mais de n’être pas battu ». Une européanisation par nécessité de la stratégie française en Amérique ... 75

Conclusion ... 83

Chapitre 3 : « Une opération nouvelle dans ce pays et qui présentait des difficultés inconnues en Europe » : l’application tactique de la guerre de siège en Nouvelle-France .. 85

I/ L’application tactique de la guerre de siège en Nouvelle-France ... 85

1) Les ingénieurs militaires, ou la guerre « scientifique » ... 86

2) « J’ai l’honneur de vous rendre compte que nous avons ouvert la tranchée la nuit dernière » : les sièges « européens » en Amérique ... 100

3) « ce sont deux à trois cents toises d’ouvrages qui valent bien le couronnement d’un chemin couvert » : Québec 1759, un ou des sièges? ... 112

II/ Une guerre en « pays barbare », mais « entre peuples policés » : la culture militaire des combattants en Amérique ... 117

1) Les « civilités » de la guerre de siège ... 118

2) « des monstres capables de nous déshonorer » : violence européenne, violence amérindienne de la guerre de siège ... 124

Conclusion ... 131

Conclusion ... 132

BIBLIOGRAPHIE ... 136

ANNEXES ... 152

Annexe 1 : Les fortifications en Europe au XVIIIe siècle ... 152

Annexe 2 : Plan du fort Beauséjour ... 153

Annexe 3 : Les douze étapes du siège à la Vauban ... 154

Annexe 4 : Carte du Canada et de la Louisiane ... 156

Annexe 5 : Liste des ingénieurs militaires français servant en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans (1754-1760) ... 157

Annexe 6 : Plan des forts britanniques à Oswego ... 159

Annexe 7 : Plan du siège du fort William-Henry ... 160

Annexe 8 : Listes des sièges « à l’européenne » en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans ... 161

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Remerciements

On me demande parfois en quoi consiste la recherche historique, mais bien souvent, mes interlocuteurs ont en tête l’image du « rat de bibliothèque », perdu dans ses livres … et sa solitude. Ces presque quatre années de recherche m’ont appris que le métier d’historien nécessite bien au contraire d’entretenir des échanges, des discussions pour faire fructifier les questionnements, comparer différents points de vue et ainsi parfaire l’idée traitée. Dans sa fable Le Chartier embourbé, Jean de La Fontaine concluait par le vers, devenu proverbe, « aide-toi et le Ciel t’aidera ». Loin de moi l’intention de conférer une dimension céleste aux personnes qui me sont venues en aide pour la réalisation de cette recherche, mais je tiens tout de même à leur adresser ma sincère gratitude.

Un premier remerciement va à mes directeurs de recherche, messieurs Michel De Waele et Alain Laberge, qui ont accepté de me diriger avant même mon arrivée au Québec à l’été 2014. Votre disponibilité, vos commentaires, conseils et remarques tout au long de ce processus m’ont permis de présenter aujourd’hui une recherche accomplie. Dans la continuité, je remercie Hélène Quimper et Rénald Lessard, qui ont accepté avec toute l’amabilité que je leur connais de figurer sur le jury d’évaluation de mon mémoire. Hélène, tu as fait figure de troisième tête pensante de cette recherche dès mon arrivée, et tes conseils m’ont été profitables tout au long de cette maîtrise.

Je remercie affectueusement mes sœurs et mes parents, qui n’ont à aucun moment cherché à entraver ma décision, aussi difficile fut-elle à accepter, de tenter l’aventure par-delà les océans. J’espère que la lecture de ce travail vous fera comprendre pourquoi je vous ai quitté il y a quatre ans.

Pour revenir de ce côté de l’Atlantique, je remercie mes compères du « Club des 7 Ans », Dave, Joseph et Cathrine. Ces nombreuses soirées passées à discuter de la guerre de Sept Ans ont beaucoup apporté à ma réflexion. J’adresse un remerciement particulier à Joseph. Depuis maintenant trois ans, notre amitié forgée autour d’une passion commune de la guerre de Sept Ans m’est extrêmement appréciable. Nos interminables échanges sur ce conflit trouvent pour beaucoup leur résonnance dans ce mémoire.

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Je ne peux et ne dois oublier de souligner l’inestimable aide que m’a apporté Sophie Imbeault. Très chère Sophie, tu as tout de suite décelé le potentiel de ma recherche et de mes capacités, et tu as choisis de me prendre sous ton aile. Tes remarques à la lecture de mes différents chapitres ont été autant d’alliés pour parfaire mon apprentissage.

Je remercie également les personnes qui à un moment ou à un autre m’ont été d’une aide, morale ou intellectuelle, pour la réalisation de cette recherche : amis qui m’avez accueilli chaleureusement à mon arrivée de France et collègues de maîtrise avec qui partager des séances d’écoute et d’entraide. Cette dernière année de rédaction a vu l’apport d’une personne pour qui je souhaite avoir une attention toute particulière. Marie-Hélaine, ton soutien constant et le concours de ton point de vue non historien me sont extrêmement précieux.

Je tiens enfin à remercier particulièrement ma marraine, Anne-Marie Deydier. Depuis mon plus jeune âge, tu as supporté, soutenu et entretenu ma passion dévorante pour l’Histoire, et pour ça je te serais éternellement reconnaissant.

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Introduction

Le 28 juin 1756, la garnison britannique du fort Saint-Philippe, défendant le Port-Mahon, sur l’île de Minorque, dépose les armes face aux troupes françaises du maréchal de Richelieu. Celui-ci, vainqueur magnanime, reconnaît que « la belle et courageuse défense des Assiégés méritoit (sic) toutes les marques d’estime et de vénération que les Militaires se doivent dans ces sortes d’occurrences; que voulant faire connoître en particulier au Général Blanckney (Blackeney) la considération qu’il avoit pour lui, il accordoit à la Garnison tous les honneurs de la guerre1 ». La prise du Port-Mahon, « défendu par une des plus fortes Citadelles de l’Europe2 », lance idéalement la France dans la guerre de Sept Ans, qui débute à peine en

Europe – la Grande-Bretagne déclare la guerre à la France le 17 mai de la même année, celle-ci lui répondant le 9 juin suivant. Ce premier acte de guerre propre à glorifier les armes de Louis XV trouve un écho moins de deux mois plus tard de l’autre côté de l’Atlantique. Le 14 août, la garnison britannique d’Oswego (ou Chouaguen dans les sources françaises), sur la rive sud du lac Ontario, se rend au marquis de Montcalm, commandant des forces françaises en Nouvelle-France. Ici, point d’honneurs de la guerre pour récompenser un adversaire valeureux; la garnison est faite prisonnière et envoyée en captivité à Montréal.

Une telle scène de siège, familière pour des officiers rompus aux guerres européennes, est pour le moins inhabituelle dans cette partie de la planète. Au-delà de la différence du traitement accordé à la garnison vaincue, ces deux sièges présentent une différence notable sur le plan géographique : l’Europe pour Minorque, l’Amérique du Nord pour Oswego. La guerre de Sept Ans répond à la dynamique des guerres européennes de l’époque moderne, mettant aux prises les belligérants tant sur le Vieux Continent que dans leurs empires coloniaux à travers le monde. Le XVIIe siècle a vu les territoires français, anglais, espagnols ou encore hollandais en Amérique connaître les répercussions guerrières des affrontements entre ces puissances en Europe. France et Angleterre s’opposent ainsi en Acadie dès 1613,

1 Journal historique de l’expédition de l’île de Minorque et du siège du fort Saint-Philippe par les Français en

1756, dans Recueil général des pièces, chansons et fêtes données à l’occasion de la prise du Port Mahon, en France, 1757, s.l., p. 82. L’orthographe et la grammaire des sources seront respectées tout au long du présent

mémoire.

(10)

avec en point d’orgue la prise de Québec par les frères Kirke en 1629. Les ramifications de la guerre de Trente Ans se déploient jusque dans les Antilles, où se jouent les scènes secondaires des différends entre la France, l’Espagne, l’Angleterre et les Provinces-Unies. La lutte entre les Provinces-Unies et l’Angleterre dans la deuxième moitié du siècle se ressent également en Amérique, culminant entre autres avec la capture par les Anglais de la Nouvelle-Amsterdam (actuelle New-York). La deuxième partie du règne de Louis XIV ravive la rivalité franco-anglaise lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1689-1697), et la Nouvelle-France devient à nouveau le théâtre d’affrontements entre Européens, comme en témoigne l’échec des Anglais devant Québec en 1690. La guerre de Succession d’Espagne à l’aube du XVIIIe siècle (1701-1714) confirme l’importance acquise par les empires coloniaux

lors des guerres européennes. L’antagonisme franco-britannique – la Couronne d’Angleterre a fusionné en 1707 avec celle d’Écosse pour donner naissance au royaume de Grande-Bretagne – se traduit une fois encore en Nouvelle-France, où se multiplient les raids et escarmouches entre les deux puissances, alors que les Britanniques échouent une nouvelle fois à prendre Québec en 1711. Si le nouveau siècle voit les théâtres américains continuer à être des scènes d’affrontements entre puissances coloniales – les querelles entre Espagne et Grande-Bretagne se perpétuent aux Antilles et en Amérique du Sud dans les décennies 1720-1730 –, il voit également les conflits européens s’étendre aux Indes orientales, surtout à partir de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748). Il est toutefois fondamental de noter que la guerre de Sept Ans a suivi un processus inverse, celui d’hostilités coloniales débutées en Amérique du Nord en 1754 entre la France et la Grande-Bretagne et ayant facilité le déclenchement d’un conflit en Europe en 17563.

Cette « mondialisation » des conflits européens n’entraîne cependant pas nécessairement leur européanisation. Alors qu’en Inde les combats entre Français et Britanniques dans la décennie 1740 se rapprochent des pratiques militaires alors en vigueur en Europe – la guerre en Inde laisse s’exprimer les armées européennes tant lors de batailles en rase campagne que dans le cadre de sièges –, il en va tout autrement pour l’Amérique du Nord. Héritage de la colonisation française du XVIIe siècle, la Nouvelle-France ne dispose

pour seuls « professionnels » de la guerre que des quelques compagnies franches de la

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Marine. La défense de la colonie repose donc – numériquement parlant – en grande partie sur la milice et sur les alliés autochtones4. Il faut attendre 1755 pour voir l’arrivée en Nouvelle-France des premières troupes régulières françaises (exception faite du régiment de Carignan-Salières, envoyé dans la colonie en 1665 pour combattre les Iroquois)5.

Louis-Antoine de Bougainville, officier français arrivé en Nouvelle-France en 1756, notait dans son journal de campagne en 1758 :

Jamais encore avant 1755 on n’avait fait la guerre en Canada. Partir de Montréal avec un détachement, s’en aller à travers le bois, faire quelques chevelures, revenir à toutes jambes quand on avait frappé, voilà ce qu’on appelait guerre, campagne, succès, victoire. […] Maintenant, la guerre s’établit ici sur le pied européen. Des projets de campagne, des armées, de l’artillerie, des sièges, des batailles. Il ne s’agit plus ici de faire coup, mais de conquérir ou d’être conquis6.

Ce cinglant constat de Bougainville nous permet deux observations. La première est celle de l’omniprésence des modèles militaires européens dans l’esprit des officiers métropolitains en poste dans les colonies des nations belligérantes. Pour ces nobles ayant voué leur savoir-faire au dieu Mars, seule la guerre telle que pratiquée en Europe avec ses codes, ses rituels, est digne de mention. D’autre part, le ressenti de Bougainville exprimé par ces lignes fait ressortir le caractère « inhabituel » du siège d’Oswego d’août 1756. En effet, la guerre de siège, partie de l’art militaire consistant à attaquer ou défendre des places, était pour ainsi dire quasi inexistante en milieu colonial avant le milieu du XVIIIe siècle, alors que l’on y privilégiait davantage le coup de main. Si la guerre de Succession d’Autriche a été le théâtre de quelques sièges d’envergure en Inde, comme ceux de Pondichéry ou de Madras7, les opérations guerrières en Amérique septentrionale reposaient essentiellement sur la « petite guerre », menée par des partis opérant des raids sur un objectif précis et facilement atteignable. L’échec des Britanniques devant Québec en 1690 et, dans une moindre mesure, celui de 1711, ainsi que leurs tentatives en Acadie pendant la guerre de Succession

4 Voir notamment Louise Dechêne, Le peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, Montréal,

Boréal, 2008.

5 René Chartrand, Le patrimoine militaire canadien d’hier à aujourd’hui, Tome I :1000-1754, Montréal,

Éditions Art Global, 1993.

6 Louis-Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada, mémoires, journal, lettres, Québec, Septentrion, 2003,

p. 294.

7 Voir à ce sujet les Mémoires historiques de B. F. Mahé de La Bourdonnais, gouverneur des iles de France et

de Bourbon, recueillis et publiés par son petit-fils L. C. Mahé de La Bourdonnais, Paris, Pélicier et Chatet,

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d’Espagne8 constituent un balbutiement de guerre de siège en Amérique du Nord. Mais il

faut attendre le retentissant siège de Louisbourg en 1745 par des miliciens des Treize Colonies britanniques pour trouver un véritable précédent en matière de poliorcétique (du grec poliorkeîn, signifiant assiéger une ville).

La guerre de Sept Ans voit une nouvelle importance accordée par la France et la Grande-Bretagne à « ce théâtre d’opérations tenu jusque-là pour périphérique9 ». Celle-ci se traduit par l’envoi progressif de régiments réguliers en Amérique à partir de 1755, et ce jusqu’à la cessation des hostilités sur ce continent en 1760. Cet apport massif de soldats et d’officiers habitués aux guerres de l’Ancien Monde va bouleverser la nature de la guerre telle que l’avaient connue les populations des espaces coloniaux nord-américains.

Questionnement et hypothèse

Bertrand Fonck notait en 2013 la volonté des décideurs militaires français d’européaniser la guerre en Amérique :

C’est l’ensemble des officiers généraux français venus de la métropole, avec certes quelques nuances, qui s’est montré persuadé de la nécessité d’importer en Nouvelle-France la guerre à l’européenne […]. Ce choix, que l’accroissement des effectifs opposés par l’ennemi a progressivement conforté, surtout à partir de 1758, a été dicté par des considérations de stratégie globale que nous laisserons de côté pour nous pencher sur l’expression de cette conviction et sa justification dans le discours des généraux français et des membres de leurs états-majors, et sur le regard qu’ils ont posé sur les spécificités de la guerre et du commandement des armées au Canada10.

Engouffrons-nous dans la brèche ouverte par Fonck dans son article pour exposer justement ces « considérations de stratégie globale », en nous penchant sur la question spécifique de la guerre de siège.

La place de la guerre de siège dans les conflits européens du XVIIIe siècle a tendance à être quelque peu oubliée au profit de batailles donnant à voir, par exemple, les prouesses

8 John Grenier, The Far Reaches of Empire: War in Nova Scotia, 1710–1760, Norman, Oklahoma University

Press, 2008.

9 Bertrand Fonck, « « Joindre au système tactique d’Europe l’usage à faire des sauvages » : le commandement

des armées françaises en Nouvelle-France », dans Laurent Veyssière et Bertrand Fonck (dir.), La Guerre de

Sept Ans en Nouvelle-France, Québec et Paris, Septentrion et Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2013, p.

155.

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tactiques d’un Frédéric II de Prusse, affrontements qui ne sont pas sans préfigurer l’épopée napoléonienne de la fin du siècle11. Or les batailles menées par Frédéric II au cours des guerres de Succession d’Autriche et de Sept Ans, bien que plus nombreuses que lors des conflits précédents, n’en sont pas moins pour la plupart livrées à l’occasion de sièges. En cela le monarque prussien n’est rien de plus qu’un roi de guerre parmi d’autres, se conformant – parfois malgré lui – au modèle militaire encore dominant en Europe de la guerre de siège12.

En Nouvelle-France, l’importance de la guerre de siège apparaît d’autant plus accrue pendant la guerre de Sept Ans, alors que la quasi-totalité des opérations militaires, qu’elles soient britanniques ou françaises, ont pour but l’attaque ou la défense d’un poste fortifié13.

Notre recherche porte donc sur la transposition, réussie ou manquée, par les officiers français du modèle militaire de la guerre de siège alors en vigueur en Europe au contexte colonial de la Nouvelle-France. Tout au long de ce mémoire nous jouerons sur une double échelle de la guerre de siège, à savoir les dimensions stratégique et tactique de celle-ci.

Notre propos se concentre sur les espaces les plus sensiblement touchés par les hostilités. Nous nous intéresserons ainsi essentiellement au « cœur » de la Nouvelle-France14. Nous entendons par là la vallée du Saint-Laurent, qu’on trouve dans les sources sous l’appellation de Canada, ainsi que ses prolongements dans les Pays d’En-Haut, autour du lac Ontario. À ce premier ensemble géographique s’ajoute celui des principales frontières disputées entre la colonie française et ses homologues britanniques. On distingue ainsi à l’ouest la vallée de l’Ohio et au sud un couloir de guerre reliant Montréal à Albany en suivant le cours de la rivière Richelieu et des lacs Champlain et Saint-Sacrement (actuel lac George, dans le nord de l’État de New York). À l’est, l’Acadie et l’Île Royale (actuelle île du Cap-Breton) se révèlent également pertinentes à intégrer à notre étude. Les autres composantes

11 Bertrand Fonck, « Sièges et fortifications durant la guerre de la Conquête », dans Bertrand Fonck et Laurent

Veyssière (dir.), La chute de la Nouvelle-France. De l’affaire Jumonville au traité de Paris, Québec, Septentrion, 2015, p. 132. Voir aussi Jean-Philippe Cénat, « De la guerre de siège à la guerre de mouvement : une révolution logistique à l’époque de la Révolution et de l’Empire? », Annales historiques de la Révolution

française, No. 348, 2007, p. 101-115.

12 Franz Szabo, The Seven Years’ War in Europe, 1756-1763, Harlow, Pearson, 2008.

13 Nous entendons ici par opérations militaires les actions prévues, s’intégrant à des plans de campagne (lesquels

peuvent être modifiés en fonction des événements), laissant de côté les fréquents accrochages et escarmouches entre divers partis de reconnaissance ou de harcèlement, qui appartiennent plus aux aléas classiques d’une campagne.

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de la vaste colonie que sont la Louisiane et les postes et forts des Illinois ne seront pas évoquées, en raison d’une participation moindre aux combats (s’ils ont participé à l’effort de guerre français en ce qui a trait au ravitaillement tant en hommes qu’en matériel, la Louisiane et les Illinois n’ont pas connu d’affrontements touchant directement leur sol).

Dans sa préface du livre Défense et colonies dans le monde atlantique, XVe-XXe siècles,

David Plouviez affirme que « la confrontation à une menace locale dans un contexte territorial peu ou mal maîtrisé entraîne une réponse qui implique des modifications de ses propres paradigmes de défense. Il devient évident que faire la guerre à l’européenne est impossible15 ». L’hypothèse que nous défendrons dans ce mémoire vient contredire, ou du moins très fortement nuancer cette affirmation. Nous montrerons en effet que la guerre de Sept Ans a vu une européanisation réussie de la part des officiers français de la guerre de siège en Nouvelle-France, tant à l’échelle stratégique que tactique.

Dans son introduction au livre The Seven Years’ War: Global Views, Mark Danley expose une difficulté inhérente aux études militaires de la guerre de Sept Ans, à savoir la double question de la datation et de la dénomination du conflit16. S’il est vrai que les hostilités franco-britanniques dans la vallée de l’Ohio en 1754 sont considérées comme le début de la guerre de Sept Ans, le caractère « mondial » de celle-ci peut remettre en doute l’origine nord-américaine du conflit. Le traité d’Aix-la-Chapelle de 1748, qui met un terme à la guerre de Succession d’Autriche, n’a pas vu pour autant les conflits armés en Inde s’arrêter. Les guerres carnatiques qui reprennent dès 1751 et qui impliquent tant des Français que des Britanniques aux côtés des souverains locaux pourraient ainsi être associées à la guerre franco-britannique en Inde pendant la guerre de Sept Ans. Notre recherche s’intéressant à la partie nord-américaine du conflit, ce problème de datation ne se pose que peu. Bien que la guerre n’ait officiellement été déclarée en Europe entre la France et la Grande-Bretagne qu’en 1756, notre étude prendra en compte les années 1754 et 1755, marquées par le début des hostilités en Amérique entre les deux couronnes. Elle prendra fin avec la capitulation de Montréal du 8

15 David Plouviez, Défense et colonies dans le monde atlantique XVe-XXe siècle, Rennes, Presses Universitaires

de Rennes, 2014, p. 14.

16 Voir l’introduction de Mark H. Danley dans Mark H. Danley et Patrick J. Speelman, The Seven Years’ War:

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septembre 1760, par laquelle les combats cessent en Amérique – exception faite d’une tentative française sur Terre-Neuve en 1762, qui ne rentrera pas dans notre propos17.

L’épineuse question de la dénomination de notre conflit demeure elle présente dans notre recherche. Chacun des noms donnés à cette guerre revêt un sens particulier. Ainsi, on retrouve parfois en Allemagne le nom de Dritter Schlesischer Krieg, littéralement « Troisième guerre de Silésie », qui met l’accent sur les campagnes de Frédéric II de Prusse et sur la rivalité austro-russo-prussienne. En Amérique, alors que l’historiographie états-unienne a proposé le terme de « French and Indian War » qui réduit le conflit à sa seule composante nord-américaine, les Québécois ont pour leur part adopté la même vision locale de cette guerre, tout en chargeant celle-ci d’un important poids émotionnel et nationaliste. L’évocation même de la « guerre de la Conquête » est en effet encore de nos jours gage de débats sur les conséquences sociales et nationales de celle-ci, et à fortiori sur la place du Québec contemporain dans une Amérique du Nord anglophone.

Dans notre recherche nous avons fait le choix de nous en tenir à l’appellation plus englobante de « guerre de Sept Ans ». Cette dénomination fait certes la part belle aux sept années de guerres sur le théâtre européen, mais elle est à notre sens celle reflétant le mieux la priorité accordée à l’Europe dans les esprits des belligérants au détriment des conflits coloniaux, en plus d’être la plus communément admise dans l’historiographie. De plus, le questionnement de notre recherche visant à établir des liens entre les scènes européenne et nord-américaine par la confrontation d’un modèle militaire européen à son application en Amérique, l’expression « guerre de la Conquête » nous semblait quelque peu réductrice.

Prenons le temps à présent d’aborder le traitement réservé à ce conflit, et plus largement à l’histoire militaire, dans l’historiographie.

Historiographie

Toutes les sociétés humaines ont à un moment ou à un autre de leur histoire, et à divers degrés, été confrontées à la guerre. L’étude de celle-ci a pendant longtemps recueilli les

17 Sur l’expédition française contre Terre-Neuve, voir André De Visme, Terre-Neuve 1762 : dernier combat

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faveurs des historiens, sous une forme cependant linéaire, événementielle. Cette vieille histoire militaire s’intéressait principalement au récit factuel des grands conflits, ce qui lui a valu le sobriquet d’« histoire-bataille ». Le traumatisme de la guerre de 1914-1918 ainsi que l’émergence de nouvelles façons de penser l’histoire, sous l’impulsion notamment de l’École

des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre a entraîné un certain « recul », à défaut d’un

abandon complet, du champ de l’histoire militaire. Comme le mentionnait Laurent Henninger dans un article de 1999, « la guerre a sans doute été l’objet historique qui a le plus souffert du grand renouveau de l’histoire, après l’apparition de l’école des Annales18 ». Ce recul de l’histoire militaire s’est fait particulièrement ressentir en France, ce domaine de recherche étant fortement délaissé au profit de l’histoire économique et de l’histoire sociale.

Le champ de l’histoire militaire a néanmoins su se renouveler dans la seconde moitié du XXe siècle. Si Émile Léonard fait figure de précurseur en 1948 avec son article « La

question sociale dans l’armée en France au XVIIIe siècle19 », il faut attendre 1964 et la

gigantesque thèse d’État d’André Corvisier sur l’armée française au XVIIIe siècle pour voir

l’histoire militaire intégrer les dynamiques de l’histoire sociale20. L’histoire militaire devient

ainsi peu à peu l’histoire des militaires, délaissant les études tactiques et stratégiques de la guerre pour s’intéresser à celle-ci comme fait social, voire culturel21.

La mutation de l’histoire militaire en France a aussi grandement été favorisée par la forte résonance qu’a eue la publication en 1973 du Dimanche de Bouvines de Georges Duby. Qu’un historien possédant l’aura de Duby s’intéresse au fait militaire, et plus encore à une bataille, vestige de l’histoire événementielle tant boudée par l’école des Annales, n’a pu

18 Laurent Henninger, « La nouvelle histoire-bataille », dans Espaces Temps, 71-73, 1999. De la guerre. Un

objet pour les sciences sociales, p. 35-46.

19 Émile-Guillaume Léonard, « La question sociale dans l’armée française au XVIIIe siècle », dans Annales.

Économie, sociétés, civilisations, 1948, volume 3, numéro 2, p. 135-149. Cet article a été repris et augmenté

puis publié sous la forme d’un livre, L’armée et ses problèmes en France au XVIIIe siècle, Paris, Plon, 1958.

20 André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul. Le soldat., Paris,

Presses Universitaires de France, 1964.

21 Yann Lagadec, Franck Mercier et Ariane Boltanski en font le constat dans l’introduction de leur ouvrage La

bataille : du fait d’armes au combat idéologique : XIe-XIXe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,

2015, p. 9 : « À l’instar de l’histoire de la politique devenue entre-temps celle du politique, la manière d’écrire l’histoire de la bataille a profondément changé depuis la fin du XIXe siècle. L’histoire militaire s’est en effet

profondément renouvelée au contact de l’anthropologie, de la sociologie ou de l’histoire culturelle ». Voir aussi Catherine Denys, « La renaissance de l’histoire militaire française pour l’époque moderne : un bilan historiographique (1945-2005) », Arbeitskreis Militär und Gesellschaft in der Frühen Neuzeit, e.V, 11, 2007.1, p. 7-24.

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qu’encourager la lente réhabilitation de l’histoire militaire. Pierre Nora en fait la remarque dans sa préface de la réédition de l’ouvrage de Duby : « Partir de l’événement pour se livrer à « une sorte d’ethnographie de la pratique militaire » : il n’en fallait pas plus pour relégitimer – très lentement cependant – le fait guerrier et, plus encore, la bataille au sein de l’Université française, d’autant que la position particulière de G. Duby au sein du paysage historique français ne pouvait que faciliter ce mouvement22 ». Un tel retour de l’objet bataille a également été orchestré sous l’égide d’historiens britanniques, comme John Keegan avec son

Anatomie de la bataille23. Le Dimanche de Bouvines de Duby a ouvert la voie au courant de la « nouvelle histoire-bataille » entre les années 1970 et 2000, qui propose dans l’étude de l’objet historique de la bataille une synthèse entre ses dimensions tactico-stratégique et socio-culturelle, voire économique24.

En 2015, Bertrand Fonck notait le virage emprunté dans les dernières décennies par les historiens militaires de l’époque moderne, qui s’inscrit dans cette vaste entreprise de renouvellement du champ de l’histoire militaire :

L’histoire du fait militaire à l’époque moderne se trouve aujourd’hui au croisement de l’histoire sociale, de l’histoire politique et des institutions, de l’histoire culturelle et de la « nouvelle histoire-bataille », de l’histoire des relations internationales, voire de celle des sciences et techniques, tout en étant de plus en plus ouverte aux approches anthropologiques et à la volonté de rendre sensible l’expérience de guerre des combattants25.

Ce récent renouveau de l’histoire militaire de l’époque moderne s’est considérablement appuyé sur l’historiographie des deux conflits mondiaux du XXe siècle, notamment dans cette

« volonté de rendre sensible l’expérience de guerre des combattants ». Mais cette nouvelle orientation s’est également révélée dans l’intention de replacer l’histoire militaire de l’époque moderne dans la longue durée. Cette volonté s’est traduite notamment par le débat,

22 Voir la préface de Pierre Nora dans Georges Duby, Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 1214, Paris,

Gallimard, 2005 (1973).

23 John Keegan, Anatomie de la bataille. Azincourt 1415, Waterloo 1815, La Somme 1916, Paris, Éditions

Robert Laffont, 1993. Originellement publié en anglais sous le titre The Face of Battle : A Study of Agincourt,

Waterloo and the Somme, Londres, Penguin Books, 1976.

24 Voir à ce sujet l’article déjà cité de Laurent Henninger, « La nouvelle histoire-bataille ».

25 Bertrand Fonck et Nathalie Genet-Rouffiac (dir.), Combattre et gouverner. Dynamiques de l’histoire militaire

de l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes et Service historique de

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toujours plus ou moins en cours, de la « révolution militaire à l’époque moderne26 », qui cherche à montrer une éventuelle « révolution », tant technique – dans la question de l’armement – que tactique – dans les pratiques militaires – dans la façon de mener la guerre en Europe au cours des trois siècles balisant classiquement l’époque moderne. Sans pour autant entrer dans ce débat concernant une « révolution militaire » de l’époque moderne, notre recherche s’inscrit dans cette tentative de replacer l’histoire militaire dans le temps long. En effet, l’objectif de notre premier chapitre sera de donner une définition de ce qu’est la guerre de siège au XVIIIe siècle en Europe. En nous intéressant tant à la littérature théorique militaire de la première moitié du XVIIIe siècle qu’à celle du siècle précédent, nous montrerons l’existence d’une certaine continuité dans la pratique de la guerre de siège.

Notre recherche s’inscrit également dans un courant très récent de l’histoire militaire, celui de « l’histoire campagne ». Une première fois proposé en 2010 par Hervé Drévillon27,

ce concept véritablement défini par le même auteur en 2015 présente une nouvelle approche du fait militaire, dépassant celle de l’histoire-bataille et la complétant :

L’histoire campagne propose de penser le fait guerrier à différentes échelles et selon différents registres afin de saisir tout ce qui façonne les réalités de la guerre sans se limiter au moment certes décisif du combat. La campagne permet d’appréhender l’amont et l’aval de la bataille, d’en saisir le sens et les enjeux en tenant compte du plan dans lequel elle s’insère et d’y saisir toutes les articulations entre le politique et le militaire. L’histoire campagne mobilise plusieurs échelles d’analyse ainsi que la diversité des facteurs qui font de la guerre un objet d’histoire totale28.

Notre étude, en jouant sur les échelles stratégique et tactique, mais aussi théorique et pratique de la guerre de siège, se rattache ainsi pleinement à ce concept visant à « réconcilier en les articulant les différents niveaux et registres de l’histoire militaire, depuis la compréhension des plans de campagne jusqu’à la microtactique du combat29 ».

26 Geoffrey Parker, La révolution militaire : la guerre et l'essor de l'Occident, 1500-1800, Paris : Gallimard,

1993; Laurent Henninger, « La « révolution militaire ». Quelques éléments historiographiques », Mots. Les

langages du politique, 73, 2003, p.73-94.

27 Voir la préface d’Hervé Drévillon du livre de Jean-Philippe Cénat, Le roi stratège : Louis XIV et la direction

de la guerre, 1661-1715, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 6 « Accaparées par l’intensité

dramatique des batailles, l’attention des historiens s’est détournée de ce niveau essentiel de la stratégie, que Jean-Philippe Cénat restitue dans toute son importance. On mesure ici l’intérêt qu’il y aurait à remplacer l’ancienne histoire bataille, par une nouvelle histoire campagne ».

28 Hervé Drévillon, « La guerre à l’époque moderne : histoire d’une histoire », dans Bertrand Fonck et Nathalie

Genet-Rouffiac, Combattre et gouverner, p. 29.

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Notre recherche se relie également à l’historiographie de la guerre de Sept Ans. Si dès l’achèvement du conflit, des récits à tendance hagiographiques voient le jour, presqu’exclusivement du côté des vainqueurs30, il faut attendre la seconde moitié du XIXe

siècle pour que l’histoire élevée au rang de science s’intéresse à cette guerre ayant consacré la fin du premier empire colonial français. C’est à cette période que des historiens britanniques s’intéressent aux fondements de la puissance impériale britannique, comme George Warburton31, mais leurs contributions restent assez épisodiques. La guerre de Sept Ans connaît un léger regain d’intérêt à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Alors

que le britannique Julian Corbett livre une synthèse complétant l’œuvre de Warburton en 190732, Francis Parkman se place lui en figure de proue de l’histoire de la guerre de Sept Ans selon le point de vue des anciens coloniaux américains33. Parkman fait encore aujourd’hui

figure de référence pour l’étude du conflit aux États-Unis, malgré une utilisation parfois aléatoire de sa part des sources françaises, en raison notamment de défauts de traduction. Le point de vue anglo-américain de la guerre de Sept Ans a considérablement bénéficié du renouveau de l’historiographie de la révolution américaine, qui au début du XXIe siècle a

cherché dans ce conflit les causes immédiates de l’indépendance américaine, sous l’impulsion de Fred Anderson notamment34.

Il a fallu attendre le dernier quart du XIXe siècle pour voir une contribution, rare et tardive, des historiens français à l’historiographie de la guerre de Sept Ans. Les historiens de la jeune IIIe République se penchent timidement sur le premier empire colonial de la France, au moment où celle-ci se lance dans de nouvelles explorations outre-mer. En résulte l’œuvre magistrale de Richard Waddington, qui pendant tout le XXe siècle sera la seule véritable

30 Un exemple notable est John Entick, The general history of the late war: containing it's rise, progress and

event, in Europe, Asia, Africa and America and exhibiting the state of the belligerent powers at the commencement of the war, their interests and objects in it's continuation, and remarks on the measures, which led Great Britain to victory and conquest, interspersed with the characters...by sea and land, 5 vol., Londres,

Edward Dilly & John Millan, 1763-1764.

31 George Warburton, The Conquest of Canada, 2 vol., Londres, R. Bentley, 1849.

32 Julian Corbett, England in the Seven Years’ War: a Study in Combined Strategy, 2 vol., Londres, Longmans,

Green, 1907.

33 Francis Parkman, Montcalm and Wolfe, 2 vol., Boston, Little Brown, 1884.

34 Voir les deux synthèses sur la guerre de Sept Ans par Fred Anderson, Crucible of War: The Seven Years' War

and the Fate of Empire in British North America, 1754-1766, New-York, Knopf, 2000, et The War that made America: a short history of the French and Indian War, New-York, Viking, 2005. Voir aussi Jonathan Dull, The French Navy and the Seven Years’ War, Lincoln, University of Nebraska Press, 2005.

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référence globale sur le conflit de la part des historiens français35. Ce n’est qu’en 2015 qu’Edmond Dziembowski amène une nouvelle synthèse française de la guerre de Sept Ans, sorte de réponse aux synthèses anglophones de Fred Anderson parues au courant de la décennie 2000, tout en ayant soin d’y incorporer les questions quasi inédites jusque-là des cultures politiques des nations engagées – principalement le duo franco-britannique – et des répercussions politiques de la guerre sur celles-ci36.

Ce début de XXIe siècle a vu plusieurs historiens tenter de montrer l’importance d’une compréhension globale de la guerre de Sept Ans. Les dernières années ont ainsi vu fleurir l’expression « première guerre mondiale » pour désigner cette guerre37. Le collectif dirigé en

2012 par Mark Danley et Patrick Speelman est un bel exemple de cette volonté de globaliser les études sur cet affrontement majeur à la mi-temps du XVIIIe siècle38. En plus de proposer une analyse des enjeux globaux de ce conflit, cet ouvrage place ce dernier dans la mouvance des études transatlantiques39 et transnationales40.

Il n’en demeure pas moins que les synthèses sur la guerre de Sept Ans se font rares, laissant la place à une foule d’études plus localisées sur les différents théâtres d’opérations. Un exemple marquant est le traitement de ce conflit au Québec. Dans sa préface à la superbe synthèse de Dziembowski de 2015, l’historienne québécoise Sophie Imbeault notait en effet : « Longtemps, le point de vue américo-centré et colonial a prévalu chez les historiens québécois, alors que les historiens français étaient tournés vers l’Europe. Il manquait une perspective globale. C’est ce que nous offre La guerre de Sept Ans d’Edmond Dziembowski,

35 Richard Waddington, La guerre de Sept ans: histoire diplomatique et militaire, 5 vol., Paris, Firmin-Didot,

1899-1914.

36 Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans 1756-1763, Québec, Septentrion, 2015.

37 William M. Fowler, Empires at War: the French and Indian War and the Struggle for North America,

1754-1763, New York, Walker & Company, 2005, p. 1. Gilles Havard et Cécile Vidal préfèrent le terme de « conflit

mondial » dans leur Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, p. 421. Bertrand Fonck et Laurent Veyssière désignent eux la guerre de Sept Ans comme « l’une des premières guerres mondiales de l’histoire » dans l’introduction de leur ouvrage La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, p. 13. Notons aussi la tenue d’un colloque international à Paris en novembre 2013 sur le sujet, ayant pour titre « La guerre de Sept Ans : une guerre mondiale? ».

38 Mark H. Danley et Patrick J. Speelman, The Seven Years’ War. Global Views.

39 Julia Osman, « Pride, Prejudice and Prestige: French Officers in North America during the Seven Years’

War », dans Mark H. Danley et Patrick J. Speelman, The Seven Years’ War. Global Views, p. 191-211.

40 Armstrong Starkey, « “To Encourage the Others”: The Philosophes and the War », dans Mark H. Danley et

Patrick J. Speelman, The Seven Years’ War. Global Views, p. 23-46. Le terme d’histoire « transnationale » renvoyant plutôt aux études portant sur les XIXe et XXe siècles, les historiens modernistes préfèrent le terme

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une grande synthèse sur le conflit41 ». Depuis les premières tentatives d’historiens québécois et canadiens au milieu du XIXe siècle, Garneau et Sulte en tête, seul Guy Frégault s’était vraiment risqué à l’exercice d’une véritable synthèse sur la partie nord-américaine de la guerre de Sept Ans, proposant en 1955 l’appellation de « guerre de la Conquête » pour celle-ci42. La qualité de la recherche et de l’écriture de Frégault a conféré à son livre, et ce dès sa sortie, un statut de référence ultime sur la portion nord-américaine du conflit, statut qu’il garde encore aujourd’hui. Cependant, l’œuvre de Frégault a entraîné un certain blocage dans la recherche sur cette période au Québec. Les historiens québécois ayant préféré s’attarder sur les aspects sociaux, économiques de la guerre de la Conquête, et sur les conséquences de celles-ci, l’histoire militaire de ce conflit a été récupérée dans la seconde moitié du XXe siècle par des historiens canadiens anglophones43.

Les grandes vagues de commémorations et d’anniversaires ayant eu lieu entre 2008 et 2013 ont redonné une certaine visibilité à la guerre de Sept Ans en France et au Québec. Si dans la Belle Province, elles ont aussi été la source d’importants débats mémoriels44, elles se

sont surtout traduites par un nouvel élan donné aux études d’histoire militaire sur ce conflit, et ce des deux côtés de l’Atlantique. Les dix dernières années ont ainsi vu un nombre grandissant de colloques scientifiques portant sur la guerre de Sept Ans et de publications d’ouvrages collectifs sur le sujet45.

Certains historiens ont aussi tenté de replacer la guerre de Sept Ans dans le temps long. Ce conflit aux conséquences encore perceptibles occupe en effet une place majeure dans ce que l’on appelle parfois la « seconde guerre de Cent Ans ». Cette expression apparue au début du XXe siècle désigne les conflits que se sont livrés la France et la Grande-Bretagne entre la

41 Edmond Dziembowski, La guerre de Sept Ans, p. i.

42 Guy Frégault, La Guerre de la Conquête, Montréal, Fides, 1955.

43 Pour la question du traitement de la guerre de Sept Ans dans l’historiographie canadienne, voir Catherine

Desbarats et Allan Greer, « The Seven Years’ War in Canadian History and Memory », dans Warren R. Hofstra (dir.), Cultures in Conflict. The Seven Years’ War in North America, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers, 2007, p. 145-178. Voir aussi Jacques Mathieu, « Les rappels mémoriels de la guerre de Sept Ans au Canada », dans Bertrand Fonck et Laurent Veyssière, La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, p. 101-122.

44 Voir Yves Tremblay, Plaines d’Abraham. Essai sur l’égo-mémoire des Québécois, Outremont, Athéna

éditions, 2009.

45 Bertrand Fonck et Laurent Veyssière (dir.), La guerre de Sept Ans en Nouvelle-France; des mêmes auteurs,

La chute de la Nouvelle-France. De l’affaire Jumonville au traité de Paris; Sophie Imbeault, Denis Vaugeois

et Laurent Veyssière (dir.), 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique, Québec, Septentrion, 2013; Laurent Veyssière, Philippe Joutard et Didier Poton, Vers un nouveau monde atlantique. Les traités de Paris,

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montée sur le trône d’Angleterre de Guillaume III en 1689 et la défaite définitive de Napoléon en 181546. Toutes ces guerres seraient ainsi comprises dans un seul et même ensemble de rivalités hégémoniques entre les deux puissances, tant en matière économique et politique que coloniale. Cette seconde guerre de Cent Ans prendrait fin à la chute de Napoléon et consacrerait la déconfiture de la France ainsi que le début de la prépondérance britannique. Pourtant, au-delà de l’évolution des enjeux entourant les conflits ayant opposé la France à la Grande-Bretagne pendant ces 125 années, cette expression de « seconde guerre de Cent Ans » a quelque peu tendance à oublier les efforts conjoints des ministres britanniques et français pour maintenir la paix entre les deux États entre 1714 et 1744.

Le dernier pan de l’historiographie de notre sujet est celui de la guerre de siège. La plupart des historiens ont associé l’art de prendre ou défendre une place à celui de construire les fortifications. Pour comprendre le modèle militaire de la guerre de siège, il est primordial de s’intéresser à la complexe question des fortifications, et dans notre mémoire nous ne dérogerons pas à cette nécessité. L’évolution des fortifications dans l’Europe de l’époque moderne est à comprendre à la lumière des progrès mis en œuvre pour attaquer ces fortifications et inversement, l’élaboration d’une guerre de siège de plus en plus complexe répond au constant renforcement desdites fortifications.

Toutefois, André Corvisier notait en 1998 que « cette partie de l’art militaire (la poliorcétique) est beaucoup moins riche d’études d’ensemble que l’art de la fortification47 ».

Il entendait par là le fait que la guerre de siège est trop souvent étudiée en tant que faire-valoir de la question de l’évolution des fortifications, et non comme complément nécessaire de celle-ci. Près de deux décennies plus tard, ce constat est encore partiellement vrai. Bien que les références ne manquent pas sur les débats entourant l’évolution des fortifications entre la fin du Moyen-Âge et le XVIIe siècle, de même que sur l’œuvre de Vauban48, il

46 Arthur H. Buffington, The Second Hundred Years War, 1689-1815, New York, Henry Holt And Co., 1929.

La notion de « seconde guerre de Cent Ans » a été réutilisée récemment, notamment dans un ouvrage collectif paru en 2017 consacré aux derniers conflits du règne de Louis XIV. Voir Hervé Drévillon, Bertrand Fonck et Jean-Philippe Cénat (dir.), Les dernières guerres de Louis XIV : 1688-1715, Rennes et Vincennes, Presses Universitaires de Rennes et Service historique de la Défense, 2017, p. 10-11.

47 Voir la préface d’André Corvisier dans Jean-Pierre Rorive, La guerre de siège sous Louis XIV : en Europe et

à Huy, Bruxelles, Éditions Racine, 1998, p. 8.

48 Isabelle Warmoes et Victoria Sanger, Vauban, bâtisseur du Roi-Soleil, Paris, Cité de l’architecture et du

patrimoine, Somogy, Musée des Plans-reliefs, 2007; Ian V. Hogg, Forteresses. Histoire illustrée des ouvrages

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n’existe que peu de synthèses générales sur la guerre de siège à l’époque moderne. Duffy avec les deux tomes de son Siege Warfare fait ainsi figure d’exception ou presque. Il est d’ailleurs assez amusant de constater que le titre de son deuxième tome, consacré à notre période, renvoie explicitement à l’âge d’or des fortifications49.

Cependant depuis le début des années 2000 plusieurs historiens ont répondu à l’appel de Corvisier de 1998 et ont ainsi étudié la guerre de siège en elle-même, mais souvent de manière localisée. Les dernières années ont ainsi vu la publication d’articles ou d’ouvrages portant sur la guerre de siège, mais s’attardant souvent sur un siège précis50. L’historiographie

de la guerre de siège a également intégré les nouvelles approches de l’histoire militaire. Un exemple frappant est l’émergence d’études portant sur l’histoire culturelle de la guerre de siège, à travers notamment les questions des redditions et des lois de la guerre, et dans laquelle notre étude s’inscrit en partie51.

La guerre de siège en Amérique a pour sa part été très peu traitée. Plusieurs sièges de la guerre de Sept Ans ont fait l’objet d’études particulières52, au premier rang desquels celui

de Québec de 1759, qui reste à ce jour le siège le mieux documenté et le plus traité53. Bertrand

Tallandier, 1991; Bruno Colson, L’art de la guerre : de Machiavel à Clausewitz : dans les collections de la

Bibliothèque Universitaire Moretus Plantin, Namur, Bibliothèque universitaire Moretus Plantin, 1999; Luc

Mary, Vauban le maître des forteresses, Paris, l’Archipel, 2007.

49 Christopher Duffy, Siege Warfare, volume 2: The fortress in the age of Vauban and Frederick The Great,

1680-1789, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1985. Voir également le premier tome, The Fortress in the Early Modern World, 1494-1660, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1979. Nicolas Faucherre et Philippe

Prost avaient eux proposé en 1992 une analyse du traité phare de Vauban en matière de siège. Voir Nicolas Faucherre et Philippe Prost, Le triomphe de la méthode : le Traité de l’attaque des places de monsieur de

Vauban, ingénieur du roi, Paris, Gallimard, 1992.

50 Michèle Virol, « Le siège de Namur de 1692 : l’héroïsme et la technique », Dix-septième siècle, 2005/3,

no228, p. 465-488; Jean-Marie Martin, « La guerre de Succession d’Espagne : l’armée des Alpes et le siège de

Toulon », Revue historique des armées, 258, 2010, p. 89-98; Philippe Jacquet et Françoise Jacquet-Ladrier,

Assiégeants et assiégés au cœur de l’Europe : Namur 1688-1697, 1992, publié par le Crédit Communal de

Namur.

51 Randall Lesaffer, « Siege warfare in the Early Modern Age: a study on the customary laws of war » dans

Amanda Perreau-Saussine et James Bernard Murphy, “The Nature of Customary Law”: Legal, historical and Philosophical perspectives, Cambridge University Press, Cambridge, 2007; Paul Vo-Ha, Rendre les armes. Le

sort des vaincus, XVIe-XVIIe siècles, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2017.

52 Bernard Pothier, Battle for the Chignecto Forts, Canadian War Museum, 1995; A. J. B. Johnston, 1758 La

finale. Promesses, splendeur et désolation de la dernière décennie de Louisbourg, Québec, Presses de

l’Université Laval, 2011; David Starbuck, Massacre at fort William Henry, Hanover (New Hampshire), University Press of New England, 2002.

53 Arthur G. Doughty et G. W. Parmelee (dir.), The Siege of Quebec and the Battle of the Plains of Abraham, 6

vol., Québec, The Champlain Society, 1901; C. P. Stacey, Québec, 1759 : le siège et la bataille, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2009; D.Peter MacLeod, La vérité sur la bataille des plaines d’Abraham : les

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Fonck en faisait d’ailleurs la remarque en 2015 : « Celui-ci (le siège de Québec) demeure paradoxalement l’un des plus connus du XVIIIe siècle, avec d’ailleurs celui de Yorktown, au

point de résumer dans certains ouvrages les pratiques de la poliorcétique du temps malgré la relative modestie de l’opération au regard des standards européens54 ». Il n’en reste pas moins

que, là encore, la guerre de siège est souvent abordée selon l’angle des fortifications, à l’exemple d’historiens comme René Chartrand ou André Charbonneau55. Les études

s’intéressant à la guerre de siège sur le continent américain de manière globale sont rarissimes. Jean-Claude Castex a bien publié un Dictionnaire des batailles terrestres

franco-anglaises de la guerre de Sept Ans, proposant une analyse tactique plus que stratégique des

combats et se voulant exhaustif, mais l’ouvrage souffre de nombreuses erreurs factuelles ainsi que d’erreurs d’interprétations56. L’article déjà cité de Bertrand Fonck « Sièges et

fortifications durant la guerre de la Conquête » – on note ici la récurrence de l’association siège/fortification – constitue la seule exception notable. Fonck s’intéresse ici au rôle des fortifications et des sièges dans les opérations militaires en Amérique pendant la guerre de Sept Ans, en les mettant en lien avec les expériences qu’ont eues les officiers français de la guerre de siège en Europe. Cet article d’une vingtaine de pages qui soulève quelques points essentiels de notre questionnement ouvre pleinement la voie à notre recherche de maîtrise.

Méthodologie et corpus de sources

Les limites propres à la réalisation de cette recherche de maîtrise nous ont incité à restreindre notre choix à l’armée française. L’acteur britannique sera cependant toujours présent, directement ou non, dans notre mémoire. Un combat réunissant toujours au moins deux protagonistes, les décisions et comportements des officiers français quant à la guerre de siège sont en effet à comprendre en rapport avec les actions de leurs adversaires, tant au niveau

54 Bertrand Fonck, « Sièges et fortifications durant la guerre de la Conquête », dans Bertrand Fonck et Laurent

Veyssière (dir.), La chute de la Nouvelle-France. De l’affaire Jumonville au traité de Paris, p. 132-133.

55 André Charbonneau, Les fortifications de l’Île aux Noix : reflet de la stratégie défensive sur la frontière du

Haut-Richelieu aux XVIIIe et XIXe siècles, Ottawa : lieux historiques nationaux, Parcs Canada : Ministère du

patrimoine canadien, 1994; voir aussi les deux tomes de René Chartrand, The forts of New France, Oxford, Osprey Publishing, 2008 et 2010.

56 Jean-Claude Castex, Dictionnaire des batailles terrestres franco-anglaises de la guerre de Sept Ans, Québec,

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stratégique que tactique. L’armée britannique agira tout au long de notre recherche en tant qu’acteur secondaire mais inévitablement présent dans notre réflexion.

Une étape importante à la réalisation de notre recherche a été de déterminer les occurrences de sièges en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans. Pour ce faire, il s’est avéré nécessaire de définir ce qu’est un siège au XVIIIe siècle en Europe à la lumière

du vocabulaire utilisé par les contemporains des événements, tâche qui ouvre notre premier chapitre. Nous avons donc questionné un premier ensemble de sources, regroupant tant des dictionnaires publiés à la fin du XVIIe et dans la première moitié du XVIIIe siècle que des traités théoriques de la littérature militaire. Ce premier ensemble documentaire nous a permis de nous approprier le vocable de la guerre de siège et d’aborder avec un outillage terminologique adéquat la deuxième catégorie de sources figurant dans notre corpus.

Ce deuxième ensemble de sources, de loin le plus volumineux, est celui des documents concernant directement la guerre de Sept Ans en Amérique. Nous avons ainsi porté notre regard sur les journaux tenus en campagne par les officiers français venus combattre en Amérique, afin d’analyser la conduite de la guerre de siège par ces derniers. En plus des écrits des Montcalm, Lévis et autres Bougainville ou Pouchot, que l’on retrouve dans la plupart des études d’histoire militaire de la guerre de Sept Ans, nous avons aussi intégré à notre étude ceux d’officiers moins souvent sollicités, comme le chevalier de La Pause, le comte de Malartic ou l’ingénieur Desandrouins. La différence des styles littéraires des officiers nous offre en certains cas une nouvelle échelle d’analyse. Au style très laconique de Lévis s’oppose par exemple le verbe fleuri de Bougainville – on discerne là les prémisses de la plume qu’il utilisera moins de vingt ans plus tard pour livrer au public parisien ses récits de voyages dans le Pacifique. Dans certains de ces journaux, et plus encore dans l’abondante correspondance produite par ces officiers, que ce soit entre eux ou pour des lecteurs restés en France, transparaissent en effet les sentiments de ces officiers confrontés à un monde en tous points opposé à celui de leurs premières armes. Ce matériau nous fournit une ressource des plus importante pour l’analyse des mentalités militaires de ces officiers, et d’ainsi comprendre non seulement le « comment » mais aussi le « pourquoi » de la guerre de siège. Le principal écueil de ce type de source est la propension qu’ont ces officiers à accentuer les

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difficultés rencontrées, et donc leurs mérites, et ceci pour répondre à des visées carriéristes57. Comme le note en effet Julia Osman, « the gradual bureaucratization of the French army had made it necessary for officers to keep a careful record of their struggles and sacrifices to snare the rewards they believed they merited58 ». Il est donc important afin de contrer cette tendance à l’exagération qu’on retrouve chez certains officiers de recouper les informations par la lecture de plusieurs de ces journaux de campagne qui, décrivant des événements relativement similaires, nous permettent d’assurer une certaine véracité des informations. La nécessaire précaution de recouper les sources entre elles se confirme par le fait qu’une même version du récit d’un combat pouvait circuler parmi les officiers, et donc se retrouver, parfois dans une forme légèrement modifiée, dans les écrits de plusieurs d’entre eux. Un cas emblématique est celui des journaux de campagne de Bougainville et de Montcalm, dans lesquels se retrouvent de nombreuses similitudes. Des sections entières du journal de Bougainville, en 1757 et 1758 notamment, ont été recopiées par Pierre Marcel, le secrétaire et aide-de-camp de Montcalm, chargé de la rédaction du journal de campagne du marquis59.

Il importe donc pour contourner cet écueil de faire appel à des sources diversifiées.

Une part non négligeable de ces documents est accessible sous forme publiée. Pensons par exemple à la très importante Collection des manuscrits du maréchal de Lévis éditée à la fin du XIXe siècle par Henri-Raymond Casgrain. Outre les journaux militaires de Lévis et de Montcalm, cette collection comporte une impressionnante quantité de lettres échangées entre de nombreux officiers, de même que des documents envoyés en Amérique pendant la guerre par les ministères de Versailles, autant de témoins des inclinations stratégiques de la métropole dans la conduite de la guerre. Notons également les efforts des archivistes québécois qui ont compilé dans la collection des Rapports de l’archiviste de la

Province du Québec une somme considérable de documents relatifs au conflit, facilement

accessibles par l’intermédiaire de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ajoutons

57 Jean-Olivier Richard proposait en 2010 une analyse littéraire intéressante des Écrits sur le Canada de

Bougainville. S’il comporte plusieurs lacunes, notamment en ce qui concerne les opinions militaires de Bougainville et, plus largement, des officiers français en Amérique pendant le conflit, son article a le mérite de rappeler la prudence à adopter face au ton employé par certains de ces officiers. Voir Jean-Olivier Richard, « Bougainville à la lumière de ses lectures : les références classiques dans les Écrits sur le Canada », dans

Revue d’Histoire de l’Amérique Française, volume 64, no2, 2010, p. 5-31. 58 Julia Osman, « Pride, Prejudice and Prestige », p.191.

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à cela les sources conservées dans des centres d’archives en France, plus difficiles d’accès encore dans le cadre de notre maîtrise, et dont des copies numérisées se trouvent dans les centres d’archives du Québec.

La recherche historique a aussi été considérablement modifiée en ce début de XXIe siècle par l’avènement d’Internet et le développement constant de nouvelles technologies de communication. Comme le faisait remarquer Donald Fyson en 2005, les historiens sont aujourd’hui capables de réaliser « des tâches qui, auparavant, auraient pris des jours, ou qui n’auraient pas été remplies, faute de temps, et peuvent maintenant être effectuées en quelques minutes ou, tout au plus, quelques heures60 ». Ceci s’est ressenti dans la constitution de notre corpus de sources. De nombreux documents rares et/ou difficilement trouvables en bibliothèque sont ainsi facilement accessibles par le biais de bibliothèques numériques et de bases de données numériques comme Gallica ou Google Books, nous épargnant ainsi bien des tracas tant en temps qu’en accessibilité des sources.

Après avoir, telle une place assiégée, investi longuement et reconnu notre sujet de recherche, après en avoir déterminé les angles d’attaques, il convient de dresser les plans de celles-ci. Notre premier chapitre constituera les travaux d’approche du sujet, lesquels consisteront en une définition du modèle militaire de la guerre de siège en Europe au XVIIIe siècle. Un deuxième chapitre nous permettra d’ouvrir les premières brèches dans la place, en présentant la dimension stratégique de la guerre de siège en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans, tout en rattachant celle-ci au contexte global du conflit. Notre sujet ainsi malmené présentera sa reddition après avoir essuyé l’assaut d’un troisième chapitre, lequel exposera l’application tactique de la poliorcétique européenne en Nouvelle-France.

60 Donald Fyson, « À la recherche de l’histoire dans les bibliothèques numériques : les leçons de Notre mémoire

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Chapitre 1 : De l’attaque des places en Europe au Siècle des Lumières

Dans son « Plaidoyer pour une histoire tactique de la guerre au XVIIIe siècle » de 1999, Jean-Pierre Bois constatait que le siècle des Lumières fut particulièrement prolifique en matière de débats sur le fait militaire, et donc de production théorique quant à l’art de la guerre. Il notait ainsi que « Selon les modèles de pensée du XVIIIe siècle, cette histoire doit être tactique. […] Les pratiques de la guerre rendent cette histoire nécessaire, la réflexion conduite par les officiers la rend possible61 ». Répondons à son appel par ce premier chapitre, qui nous permettra de définir et de comprendre le modèle militaire de la guerre de siège en Europe au XVIIIe siècle. En ayant recours à la littérature théorique sur la guerre de siège de

ce siècle, nous nous approprierons la terminologie propre à cette partie de la guerre, pour pouvoir en analyser les évolutions dans la deuxième moitié du XVIIe siècle et la première

moitié du XVIIIe siècle. Lucien Bély notait dans sa préface de l’ouvrage de Stéphane Genêt

sur les espions de Louis XV la justesse et la pertinence d’une telle démarche : « l’analyse des vues théoriques permet de mieux comprendre les pratiques que les documents révèlent62 ».

Une fois le modèle militaire de la poliorcétique européenne ainsi apprivoisé, il sera temps de franchir l’Atlantique et de questionner son application en Nouvelle-France pendant la guerre de Sept Ans. Pourtant, comme le note Edmond Dziembowski, « la guerre en Amérique obéit à des contraintes spatiales et temporelles qui lui sont propres63 ». Un rapide tour d’horizon desdites contraintes nous permettra de comprendre les difficultés qui ont pu se présenter aux officiers européens à leur arrivée dans le contexte colonial nord-américain.

61 Jean-Pierre Bois, « Plaidoyer pour une histoire tactique de la guerre au XVIIIe siècle », dans Geneviève

Boubier-Robert, L’armée au XVIIIe siècle :1715-1789, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de

Provence, 1999, p. 20.

62 Stéphane Genêt, Les espions des Lumières. Actions secrètes et espionnage militaire au temps de Louis XV,

Québec, Septentrion, 2017, p. 5.

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