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Flaubert : perception et objects.

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Academic year: 2021

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(1)

!

1

.

-•

• ~,~J l' .~ ,.~ ;. , FLAUBERT:

"

1 / PERCEPTION ET OBJETS

..

" r --"

.

/

(2)

, 1

J'

\

"

Department of French Language ana L~terature

Master of Arts Eliane AGOSTON

FLAUBER~: PERCEPTION ET OBJETS

ABSTRACT

"Truth is only to be found in relations, that is our perception of ob] ects. II'

Flaubert , , .. ~l ,' ... ,

OUr goal is tb analya~~ throughout this study, the "way" in which Flaubertls characters and Flaubert himself

1

perce ive tpe obfed~s around them. We will th en study the "relationship" which springs up with the wQrld outside d\1'e ,

..

to thlS particular way of perceiving tnings . .:

j Perception implies vision. Would one be justified, JlOwever, in speak lng of d~fferent "visions of the world"?

not

Is i t not rather a question of different worlds? Or is i t at all

fa

matt~r

of othe,r visions since

Fla~bert h~s'~ir

said

~e

IImust not see differentlyll but better? has

The hollow shell of llEducation Sentimentale, a' world in which the characters delve no further~ban the

\ , l

(3)

....

immediate surface of things. These same finaily escape, however, all attempt at possession. This lllusory state results, therefore, ln the character himself belng

~ossessed; presence, proilferatlon and revoit of obJects,

1

~ progressive effacement of characters, kltsch as ethics; and finai1y destruction of ail belngs and things.

The full world would be that as portrayed ln Saint Julien i'tl0spltaller; one must go beyond obJects, accept the responsibiiity of b~ing totally dlspossessed ln order to discover and profoundly live lo~e. One has to 'renounce oneself and no longer succumb to the overwheim-ing des ire tg.

\ f \

possess all matter.

"

Flaubert's wor).d swings constantly between these

.

two extremes. However, ~he author hirnself, contrary to his

characters, was deepiy aware of life's derlsive quality and

chose to lose himself in the research of the Book, ultimat~ object as weil as the f~it of his creation.

> , . . . " .' \ (

.c:

"'~, ,)

.'

\

\ j 1

(4)

--•

(, El iane AGOSTON

Department of French Language and Literature Master of Arts

FLAUBERT: ~ERCEPTION ET OBJETS

ABSTRACT

"Il n'y a de vrai que les rapports, c'est-à-dire la

.

façon dont nous percevons les

obJets.-Flaubert

c~

Au cours de cett~ étude, nous analysons ( "façôn" dont les personnages flaubertiens e~laubert lui-même per-çoivent les objets, pour étudier ensuite les "rapports" qUl s'établissent avec le monde à travers cette perception.

Perception implique vlsion. Mais peut-on parler ici de "visions 00 monde" différentes? Ne serait-ce pas ..

~tot

des mondes dïfférents? OU ne s'agirait-il point de

vision autre pUlsque, d'après Flaubert, il faut ,,"non pas voir autrement .. mais voir mieux?

Monde creux que celul de l'Education Sentimentale, les personnages s'arratant à la su face immédiate des choses

(5)

possession. D,OnC,. .possession illusoire, aboutissant

peut-,

être même à un poi~~ oü c'est le personn~ge qui est possédé:

..

présence, prolifération et révolte des objets, effacement progressif des personnages: kitsch comme ét1ique: et

fin;;üement destructIon, anéantissement des êtres' et des

.

-choses.

Le monde plein serait celui de Saint Julien

l'Hospitalier: il faut aller au-delà des obJets, accepter

"

d'être totalement dépossédé pour découvrir et vivre pr~

.

fondément l'amour. C'est l'abandon et le renoncement après la tentation 'du trop-plein.

. Le monde flaubertien oscille entre ces deux. e?'trêmes. Mais

\ .:...~

'"

'

contrairement ~,ses personnâges, Flaubert

\ '1 ... •

, ..,.°Af r

conscr~nt de 1~ dérision de la vie et il ~

a été fortement

.

choisi de s'abîmer lui-mem~ dans la recherche du livre, objet ultime, en même temps que fruit de sa création •

(6)

...

-•

, ,

,/,

FLAUBERT: PERCEPTION ET OBJETS

by

..

Eliane AGOSTON / A Thesis Sub~i'tted to

The Faculty of

Gr~tudies'and

Research McGILL UNIVERSITY

, , In partial fulfiiment of the requireme'nts For the Degree of

\,

Master of Arts

-.

. Department of French Language

~nd Literature

@

Elaine Àgaston " - \

1'974

~--r -"". f ... /,:. __ l''~''''' ... \ "'~"'I. • \ l

/'

'August 1973 \ 1

.

, ! 1 !

1

(7)

..

...

, "

, \

....

TABLE DES

MA~ERES

\

Page

INTRODUCTION • 1

\

\

,~

Chapitre premier - LE KITSCH, UNE ETHIQUE EN SOI • • • 12

Chapitre II - D,U FAUX- SEMBLANT A LA DEGRADATION

ET A LA BETISE. • • • • • • • • • 35

Chapitre III - LE SALUT' DANS LE DETACHEMENT

DES CHOSES • •

.

.~

. .

.

.

.

. .

62 CONCLUSION • •

.

. . .

,

/

.~

87 ( BIBLIOGRAPHIE. • 98

i i

\

..

\ ... \ \ \

\

(8)

(_ .... , , r

, r , ' /1

\

l~ INTRODUCTION ~ n

"Il n' y a de vrai, écrit Flaubert à Maupii,ssant, que les 1

~~ort's

1

'- -':~ ..

c'est-à~Qlre la façon dont nous percevons

-, ' l

l~ obJets. Il

..

~

En effet les objets Sont là, masse et présence mê-lées. Ce qUl varie>selon les lndividus et cependant reste vral pour chacun d' entre nous, c'est la "façon" dont nous les percevons et les relations que nous établissons, à

travers eux, aveé le monde. Nous pouvons, soit nous arr~ter à leur surface immédiate et nous laisser ppsséder par eux, soit essayer d'aller au-delà et qécouvrir alors sa propre nature, sdn.proprio "être".

- b

'-

... ~ ... '

Les personnages flaubertiens et Flaubert lui-même ont à faire face à ce dilemme. Quelle voie choisir? dans la mesure évidemment où l'on peut parler de choix, car nous

"'

'"

"

IFlaubert, Correspondance, Edition Conard, t. VIII, 1930, p. 135.

(9)

,

\

2

verrons que la plupart des personnages en sont incapables, la

...

passivité étant leur carac~&r1stique dominan4e. MalS que ce

,

S01t par veulerie ou par u~ effprt de volonté, quelle a été la solution adoptée? C'est ce que nous voudr1ons

)

.

essay~r de découvr1r en étudiélnt les "rapports" des personnages et de

,

Flaubert avec les objets et le monde, c'est-à-dlre avec eux-mêmes.

Ma1s, qu'est-ce qu'un obJet?

Et Sl l'on prend objet au sens général, objet, dit le d1ctionna~re, tout ce qui affecte les sens, 11 est normal qu'il n'y ait que des obJets dans mes livres; ce sont 3ussi bien dans ma vie, les meubles de ma chambre, les paroles que J'entends ou la fe~e que j'aime, un geste de ce~ femme, etc. Et dans une acception plus , large (objet, dit encore le aictionnaire, tout ce qui occupe l'esprit), seront encore obJets le souvenir (par quoi Je retourne aux objets passés) le projet

(qui me transpotte qans des objets futurs: si je décide d'aller me baigner,Je vois déJ à la mer et la plage, ,dans ma tête) et toute forme d'imagination. l

Voilà une définition bien large. Tout serait objet

<,.

le roman lui-même étant l'Objet par excel-lence. Cependant, à l'époque de Flaubert, cette tendance

lAla,in Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, NRF Gallimard, 1963, pp. 147-148.

(10)

\

\

\

3

,,-était lo~n de s'~tre cristall~sée. L'on faisait encore

net-\

tement la distinction entre

~u,et

et obJet, le sujet étant l'homme, b~en entendu, et lui S~Ul. Balzac a mis beaucoup d'obJets dans ses llvres,

~ais

i\ les fait participer à la dynam~que de l'oeuvre. L'homme e~t encore et toujours le maître. Balzac étant à la recher he d'''Espèces'', i l décrit tout ce qui servirait à les caract

( ... ) toute sa personne Vauquer] explique la pension, co e la pension impl ique sa personne. ( . t • ) Son Jupon

de laine tricotée, qui dépasse sa première jupe fait~_avec une v~eille robe et dont

la ouate s'échappe par les fentes de V,étoffe lézargée, [étrange qual~ficatif pour une

étoffe] résume le salon, la s~l~e à manger,

le Jard~net, annonce la cuisine et fait

pres-sentir les pens~onnaires.l Tout le système balzacien est là. voilà Q

une espèce.

Mais' à notre av~s, Flàttbert est allé beaucoup plus lo~n, ou plutOt dans une direction nouvelle. Il a peu à peu remplacé les personnages par les qbjets qu'ils possèdent et qui les possèden~. Les sujets sont

objets. Ces derniers en arrivent à

sence: la casquette est plus présente que Charles Bovary.

---\

~

l

Balzac, Le père Goriot, ~arpier-Flammarion, 1966, p. 30.

\

/

(11)

j

4

Il faut d'ailleurs apprécier pleinement"le goin que Flaubert a apporté à la description de cet attrlbut'indispensable à

une parfaite compréhension d~ personnag,; description

admi-'{ ..

·rable où le foisonnement d'él~ments archltecturaux-composites

/

se

m~le ,~ntimement aux,sentime~ts

éprouvés, .descr"ption et }

impr?ssion se répnndànt, tout ceçi annonçant

dé~à

le gateau de mariage, monument él€vé au mauvais gont: antlgulté (temJ~

J "

ple avec port~ques), M9yen Age (donjon en gateau de S~voie)

et c~rte du tendre (lacs,de conflture, petit Amour) m~lés.

-Clest déJà la structure de la pyramide gue nous retrouverons

<

dans tous les livres de Flaubert, pyrarnlde dég~adée de la

b~tlse, ou peut-~tre de l~ décadence, comme le déclare

Cortland: ,

.. 2»

Sous la pression

d'Un~ll"gen:e

métaphyslque, des phénomènes disparates prennent la forme de blocs qui.s'embot-tent. La pyramide ainsi créée ,commémore une dynastie de la décadence; elle donne

naissanc~ à un humour macabre dans son

inutilit~ achevée. l

1

~"'t--'~':'

,

lunder the pressure of a

meta~hysical

intelligence, disparate Piènomena are being molded into· inter-l~ing blocks which are buildin~up to form a pyrarnid cornmemorating a dynasty of èecadence; and the res~ltant monument has a grim humor in its ~erfected uflelessness. . 0 ~

Pater Cortland, The, Sentimental Adventure, Mouton, )..967,

p. 156 (traduction aibre) . "'"

..

, ,

;-\

1

(12)

Q

,

5

Si les obJets ont plus de présence, plus d'autonomie que les personnages, i l est alors évident que Flaubert a procédé pcesque systémat~quement à la destruction de ces âerniers. 'Il écrit à Louise Col,et, le 9 octobre 1852, au sujet de Madame BOv~ry: "Ce sera, je crOlS, la première fois que l'on verra un 1 ivre qu l seo moque de sa jeune première et de son jeune

~~e\-:l-J-outre

premier. L'lronie n'enlève l r~en au pathétique;

au contraire."

(

-C'est déJà l'anti-qéros, car il n'était plus

POSSl-ble de croire en l'exlstence d'un être supérieur, dont la

~

Vle ne souffre pas de temps morts et qui pIle, par ses

ac-tians et ses aventures, les événements à sés idées. Dans

/

M~dame Bovary, ce sont Justement les temps morts qui priment,

la vie inactive, les idées empruntées. Emma n'a~ara1t

\ q~'assez :ard dans le

~ regard de Charles;

roman et encore n'est-elle que l'objet

"

elle est exclue de· i'ép{logue.

Destruction délibérée que celle entreprise par

'-'

Flaubert. En ~ffet, l'écrivain se trouve' emmuré dans une société qu'il exècre. Quelle voie s'offre à lui? Il peut

n

l )

Flaubert, Correspondance~, Conard, t. (IIr 1927,

p. 4'"3. '<

\

(13)

~.

6

recréer une réalité qui n'existe plus, une réalité pl~s

proche de ses gortts, qui lu~ permette de laisser libre cours

à son ~agination et de donner forme à ses désirs de beauté

et d'''exubérance''; écr~re SalammbO, c'est recréer ce qu~

n'ex~ste plus. ,Faut-il d'a~lleurs voir là l'explication,

et r'express~on, de l'une des tendances profondes de

Flaubert: son amour de ~'h~stoire? S'atteler à Madame

Bovary, c'est créer quèlque chose contre la réal~ médiocre

( et rid~cule qui sert de modèle. Est-ce vraiment une cr~ti­

que? Peut-être même pas. Ce serait tout, ~implement l'expressi?n::du sentiJTIent du dérisoire et ausSî le moyen

1

1

d'extirper de soi la bêtise bourgeoise. Nous savons combien cette obsesslon de la bêtise est grande chez Flaubert: c'est peut- être l'ennemi dans 'la place. Son "versant réaliste" serait alors une critique faite au nom de~' rien.

Quels moyens Flaubert emploie-t-il pour mener à bien sa tache de destruction? Evidemment, le premier outil,

mer-,-'

veilleux,

c'~st

la langue corrosivè'qui nous fait) sentir, presque palper l'étendue, la profondeur insoddable de la bêtise, la dégénérescence des grandes idées du passé et par-ticulièrement celles du dix-hui-t:ième siècle, déformée's par Harnais, et d~ la gra~de période romantique, métamorphosées

(14)

7

en clichés par Emma et Léon. Extraor~inaire technique de des-truction que celle du contrepoint dont l'une des meilleures démonstratl0ns a lieu au cours des Comices agricoles:

déclarations mensongères d'amour se confondant avec les dlscours ronflants" l.e tout accompagné du mugissement des boeufs et du bêlement des agneaux~ vacuité des esprits~ vacuité des propos se détruisant l'un par l '

autr'~,.

Donc destruction délibérée~ inconsistance des per-sonnages qUl nou~ apparaissent dès le départ flgés dans une attitude ou un état d'esprit que la vie ne modifiera en

,

rien, ou alors seulement en les dégradant. Et à l'image de Frédéric, toujours "transporté", ils flottent tous, assez curieusement, dans une psycholog1e immobile, pass1ve, croyant agir sur les événements, .mais en vain. Immobilité "morale" ~ personnages médiocres, veules. Et si ces personnages exis-tent, c'est surtout par leur physique ou des détails maté-riels. On se souvient des bandeaux noirs d'Emma, de la

trans-o .,

piration sur sa lèvre supérieure, des cuisses de Rodolphe. Ils ne sortent de leur anonymat que par leur chevelure, leurs ongles, ou certains détails vestimentaires. Ils deviennent gale (les différents lépreux), ronds de bois (Binet) ou

(15)

8

c'est le bruit, le signe de l'incapacité de Charles, ce br~it qui poursuivra Emma Jusqu'à l'agonie, av

7

c l'ironie supplémentaire de la jambe neuve, instrument encombrant acheté par Emma et porté en ultime hommage à la morte.

Or, s ' i l y a destruction des personnages, un problème de composltion se pose. Comment faire avancer l'action? Il y a un certain nombre d'événements fixes, des Jalons qui

\ )

ponctuent le temps; dans Madame Bovary par exemple, ce sont le marlage, le' bal, Iles comlces agrlcoles.

1 Il Y a aussi les

fameux "blancs" dont a parlé Proust et que Alden corrunente

Proust voit en Flaubert u~ précurseur, pUlsque cet auteur possède à un degré extraordinaire le sens de la durée.

'A mon aV1S ra chose la plus belle de l'Education sentimentale, ce n'est pas une phrase, mais un blanc', dit-il, se référant à un passage dans lequel l'action s'arrete en plein milieu, la scène e~ le rythme changent, mais le personnage de Frédéric demeure, vieilli et dégradé d'avoir traversé le blanc qui représente le temps écoulé; continuité du temps mais aussi changement. l

lHe'sees in Flaubert a precursor, since that author has preeminently the sense of la durée. 'A mon avis ( ) , , referring to a passag~ in which the action stops in

t'd

air, the scene and cadence change but the character Frédér'c remains, aged and altered fram traversing the blank which rep esents

(16)

?

9

Il Y a aussi et surtout la vie intense des obJets, vie qUl se manifeste par des métamorphoses, une prolifération indescrip-tible. Ils en arrivent à noyer par leur masse ceux qUl sont censés les posséder et ainsi ils les "néantisent".

Dans ce que l'on appelle communément le versant réa-liste des romans de Flaubert (il est inut,ile de dire yue nous ne sommes pas d'accord avec ce genre de classification et surtout pas au niveau de l'écriture: il y a d'admirables.

mor--~

\

ceaux lyriqbes dans Madame Bovary aussi bl~n que dans

l" Educ a twn s entlmenta 1 e). F1 au bert s' est

~

one é l, evé v io1em-ment contre une réalité exécrable; dans le ~ersant

"romanti-\

que", 11 s'est créé une réalité plus -idé~~~,,:davantage rêvée. Mais partout, et ceci est peut-être da à son caractère

pes-siffiiste, les hommes sont soit médiocres, soit cruels.

Seuls le~ Q~je~s possèdent des caractéristiques dif-"

férentes et c' est F~aubert qui' s' expr lffie entièrement: d'un coté par sa haine de l'obJet laid manufacturé, qui représente le dérisoire de l'existence bourgeoise du dix-neuvième siè-cIe; de l'autre, par son amour des obJets flamboyants, faits

elapsed time: time as continuity but time as change.

D~uglas W. Alden; dans B. F. Bart, Madame Bovary and the

(17)

10

de matières nobles, qui pour lUl représentent l'arlstocratle l'esprlt, le véritable objet d'art, l'originalité:

La médiocrité s'infiltre partout, les pierres même devlennent b~tes, -et l,es grandes routes sont stupldes. Du sC-:' s-nous y périr (et s-nous y périrons, 'lm-porte), 11 faut par tous les moyen possibles falre barre au flot de merde qui nous envahit. Elançons-nous dans l'idéal, pUlsque nous n'avons pas le moyen de loger dans le marbre et dans la pourpre, ( •.. ). Gueulons donc contre les gants de bourre de soie, contre les fau-teuils de bureau, contre le macklntosh, contre les caléfacteurs écpnomiques, con-tre les fausses étoffes, concon-tre le faux luxe, contre le faux OrgUel~

Envahissement donc, sur' le plan

PhYSiq~efusSl

blen qu' intel-lectuel, de l'lnauthentlque, de l'obJet de série, du laid. C'est l'antl-Art lié et oppo~é à l'Art, l'artlflciel au

natu-,

rel, la sérle à l'obJet unique: Qui incarnerait mieux que Jacques Arnoux ce contre quoi Flaubert s'élève?

Arnoux et la plupart des personnages de lLEducation sentimentale sont sous l'emprise"de ce monde superficiel dans lequel les objets ocèupent la première place. Leur éthlque s'inscrit dans un rapport .particulier avec les choses et c'est ce que nous appelons l'éthique-kitsch. En quoi

IFlaubert, Correspondance, Conard, t. IV, 1927, p. 20 (souligné par l'auteur).

(18)

11

consiste-t-elle? comment s'exprime-t-elle? C'est ce que nous essayerons de définir dans un premier temps pour mon-trer ensuite que cette éthique ne peut mener qu'à la dégra-dation et à l'anéantissement des choses et des êtres.

Que peut-on substituer à cette vision déformée et à ce monde du v1de et du faux-semblant? Le salut est-il dans la dépossession, l'oub11 de soi? Il semble que les réponses à ces questions se trouve~ dans Saint Julien l'Hospitalier.

Fl~ert" quant à lui, est écartelé entre la hantise

de la

mati~r~e

mysticisme

œ(

l'Art, l'attrait du monde ob]eclif et la'passion de l'inaccessible. Est-il arrivé à concilier ces tendances? Le plein de l'Ecriture a-t-il . comblé le vide de l'existence? Nous verrons cela en

der-'\1

nière ahalyse.

D

(19)

, 0

1 p. 20 •

<, CHAPITRE PREMIE~

LE KITSCH, UNE ETHIQUE EN SOI

L'industrialisme a développé le laid dans des proportions gigantesques! Combien de braves gens qui, il

y

a un sièclé, eussent parfaitement vécu sahs Beaux-Arts et à qui il faut maintenant de petites statuettes, ~de 'petite musique et de petite littérature

(~ •. ). Nous sommes tous des farceurs et des charlatans. Pose, pose et blague par-tout! La crinoline a d~é les fesses, notre siècle est un siè~? de putains"et ce qu'il y a de moins prostitué, luSqU'à présent, ce sont les prostituées.

.. J

\

-Flaubert, Correspondance, Conard, t . IV, 1927,

12

\

)

(20)

/

.

,

Le personnage d'Arnoux disparaît déJà au départ der-rière son enseigne: "L'Art Industriel". prenuère hérésie' Comment l'Art peut-~l ~tre industriel? Il fabrique ou fait

fabriquer des obJets de série et des faux dans un établisse-

r

ment hybride. Fausseté également du magasln, qUl falt appel au désir de consommation avec des obJets disposés de manière à donner "l'apparence d'un salon", le mot salon étant tout de suite dérnentl paf les "glaces transparentes" et les

(Jo

"prl~ répétés sur la porte". L'ironie corros~ve de Flaubert se f a ~ t j ou r . "On apercevait, contre les murs, de grands tableaux dont le vern~s brlllait, (

...

)

.

"

l Peu importe réellement la peinture, seuls comptent pour Arnoux l'appa-rence,

~e

vernlS, ce vernis qu'il fait

m~roiter

aux yeux

,

d'aLtrul, lui qu~ recherche le subl~me à bon marché. Ce vernls reJolnt, dans la morale bourgeo~se, la toile cirée" l'obsession d'une certaine propreté extérleure, le désir de protéger ses possessions. Claude Duchet, qui a fait une excellente étude des objets dans Madame Bovary, donne la significatlon de cette protection:

#

l

Flaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiaqe, 1968, t. II, p. 52. '.", ~ .

(21)

14

( •.• ) d'autres caractéristiques soulignent avec féroc~té la nature petite-bou~geoise de l'objet 'flaubertien: protection, profu-sion; symétrie, y sont les variat~ons d'un thème utilitaire ou décoratif. D'abord, la protection et son rituel: flambeaux sous globe, tetes de fauteuil ("invention qui les garantit extrêmement"), carafe-abri pour ~

bouq~et de mariage, ( ••. ) toile c~rée sur la tablé (dans l'Education sentimentale Frédéric sera frappé par la "pr<;>fusion de toile cirée" chez les Regimbard, et pour Flaubert la

littérature moderne "se cache sous une cer-taine forme cirée et convenue .. ).l

Si Arnoux est défini par son travail, i l l'est aussi par ses mains, "de grosses mains, un peu molles, à ongles plats", assez répugnantes. Que dire alors de son accoutre-ment et de ses man~ères lorsqu'il nous est présenté pour la première fois:

Il [Frédéric] vit un monsieur qui contait des galanteries à une paysanne, tout en lui maniant la croix d'or qu'elle portait sur

la poitrine. C'était un gaillard d'une quarantaine d'années, à cheveux crépus. Sa taille robuste emplissait une jaquette de velours noir, deux émeraudes brillaient à sa chemise de batiste, et son large pantalon blanc tombait sur d'étranges bottes rouges, en cuir de Russie, rehaussées de dessins bleus. 2

lClaude Duchet, "Roman et objets", revue Europe, 1969, p. 185.

2Flaubert, Oeuvres,

Bibli~thèque

de la Pléiade, 1968, t. II, p. 34.

(22)

";... ,. , ...

15

Hypocrisie de la caresse indirecte, prenant prétexte de l ',obJet religieux: amalgame ahurissant de couleurs,

éton-P

,

nant intéret porté aux bottes, ces bottes etranges que

Flaubert prend plaisir à décrire de la manière la plus détail-lée, bottes qUl ont leur pendant dans les émeraudes

(pourquoi deux émeraudes?), symétrie super de la vision

petite-bourgeoise. ( f

Flaubert met un soin irrltant à les objets doubles, qui reçoiven des connotations de bêtise lancin monotonie ité~atlve, ( .... ) ou enc

suffisance satisfaite, comme si l bour-geois pensait, double. ( . . . )

sociale devient ainsi un élément

vision du monde et presque un tlC 'écri-ture.- On dlraJ.t même qu'une des r isdhs de la haine de Flaubert pour les b ttes~ est qU'elles appellent les marques l'doubles.

( . . . ) Glissant des Vêtements aux ~tres, le chJ.ffre deux décompose, diralt-dn

i

les

corps en fascinants obJets d~ chaJ.r.

Cette halne de Flaubert pour les bottes (masculines) n'est peut-être que l'envers de l'intérêt extrême qu'il porte aux bottines de femmes, ob] ets érotiques qui le font rêver: "Il y a huit Jours j'ai pensé pendant deux heures à deux brode-quin~ verts et à une robe noire". 2, Mais revenons .à

"Roman et objets", pp. 186-187.

"

2Flaubert, Souvenirs, notes et pensées intimes, Buchet-Chastel, 1965, p. 59 .

....

(23)

16

ArnOux, ce p~~onnage épais, haut en couleurs, dont le ~ête­ '"1

-ment annonce dé'ià le personnage et auquel on pourrait appli-quer 0cette remarque de Monsieur Duquette: "On peut dire que

1 le vétement est le personnage, qu'il est déjà le personnage."

Arnoux est aussi les obJets qu'il offre et qui, par leurs allées et venues entre sa femme et sa ma1tresse, parti-cipent de la série et annulent ainsi ce qU'11 aurait pu y avoir de v~leur affective en eux.

Un des bahuts que l'on voya1t autref01s boulevard Montmartre ornait à présent la salle à manger de Rosanette, l'autre, le salon de Mme Arnoux. Dans les deux mai-sons, -les services de table étaient pareils, et lr on retrouva1t jusqu'à la même calotte de velours t·ralnant sur les bergères; puis une foule de petits ca-deaux, des écrans, des boltes, des

éventails allaient et venaient de chez la maltresse chez l'épouse, car, sans la moindre gêne, Arnoux, souvent, reprenait

à l'une ce qu'il avait donné, pour l'offrir à l'autre. 2

Ce sans-gêne va de pair avec une certaine malhonnêteté. Frauder est pour lui une seconde nature, mais ce qui 'est

IJean-Pierre Duquette, Flaubert ou l'architecture du vide, Les Presses de l'Université de Montréal, 1972, p. 21 (souligné par 11 auteur) .

2

Flaubert, Oeuvres, 'BibliothèqlJe de la Pléiade, 1968, t. II, p. 176.

(24)

17

assez curieux, c'est que l'on pourrait presque être tenté de

\

lui pardonner, car "ses turpitudes" s'acc'ompagnent d'une certalne inconscience, d'une bravade d'adolescent: "rI racontait comme une farce excellente qu'il avalt coutume, aux balns froids, de mettre dans le tronc du garçon un

1

bouton de culotte pour une pièce de dlX sous". Le person-nage n'est pas tout à falt antlpathique, car 11 n'est que

J>

le prodult de son entourage, d'une société qui ne lUl a Jamais donné l'occasion de mCrir, de repenser ses valeurs.

Quoiqu'il en SOL t, son "Art rndustr iel" est bien un terrain neutre. Arnoux est le médiateur des temps moder-nes-:":- produèteür, il pousse à la consommatlon, mais lui aussi est prlS par la frénésie de la posseSSlon. Chez lui, c'est une proliférafuion lncongrue d'objets:

rI achetalt des choses complètement inutiles, telles que des chaines d'or, des pendules, des articles de ménage. Mme Arnoux montra même ~_Frédéric, dans le couloir, une énorme provision de bOUlllottes, chaufferettes et samovars. 2 '~_

C'est, sous une forme dégradée, la boulimie de Flaubert, l'amour de l'excès. C'est le pOle négatif de la recherche

lFlaubert, oeuvres, Bibliothèque de la Pléiader 1968, t. rr, p. 176 .

2rbid" , ,p. 177.

(25)

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d'absolu, recherphe dans laquelle tous ages se perdent.

eCependant, à cause de leur

r

11 s ne voient ' .. . 1

pas au-delà des obJets~ Par la isfaction l leurs désir~, ~ls pensent s'élever dans l'échell ils n'arr~vent qu'à sé cacher le vide de leur ex~

vlde fort dpparent pour n~us 'gr~ce à l'écriture' de laubert. En effet, il y a un subtil rehversement de situatlon; C'est

}fiEn

le monde des objets'qul d~ient le mattre et se~nge à sa

.... -:>-î

façon, soit par/l'encombrément, SOlt par le refus.

.

\

Arnoux ~e donnalt beaucoup de ,peinee dans sa fabrique. Il cherch~it le rouge de cuivre des chino~s; mais ses couleurs se volati-11saient par la 'cuisson. Afin d'éviter les gerçures de ses faïences, ~l m~lalt de la chaux à son arg~lei mais4 1es p~èces se brisaient pour la plupart, l'émail de ses

p'eintur~s sur cru bouili~nnait, ses gran~es

'plaques gondola~enti et attribuant ces mécomptes au m3qvais' outiilage de sa fabri-que, il voulalt se fa 1re d'autres moulins

à broy~r, d'autres séchoirs. l ,

L'objet est devenu sujet sur tous les plans: sujet des verbes au niveau de l'écriture tout d'abord,' mais aussi et $urtout suj et m?ral et intellectu~L C'est déj à la ré vol te de la

1 \ .

Flaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

t. I I I , pp. 177-178.

-•

(26)

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Î

..

19

matière maltraitée, révolte qui sera totale dans Bouvard et

Pécuchet.

Arnoux en est réduit, après des essais délirants et

des "engouements successifs" - l (des majoliques, de faênza, de ,

l'étrusque, de l'oriental, ètc.) , à fabriqu~r des étlquettes

à vin et finalement à se lancer dans le commerce des obJets

religieux.

A ce prop~s, nous voudrions citer l'article

d'Abraham A. Moles et Eberhard Wahl., "Kit~ch et objet-t, paru dans la revue Communications: kitsch vient du mot allemand

\

kitschen qui veut dire "bacler, faire' de nouy.ea\,1X meubles avec

(

du Vleux" et qui est devenu synonyme de camelote. Ils

défi-~lssent le kitsch de la manière suivante:

1. ,Le kltsch est un concept universel, perma-nent, qUl se retrouve dans tous les pays et tôutes les cultures et se lie , à un rapport partlculier de l'homme avec les choses. C' est~.une attitude d'esprit

~niverselle, visible à travers tous les,

types de rapport entrè l'homme et l'envi-ronnement.

2. Le kitsch est une réconcillation de l'~trè humain conservateur avec l'art s~bservif,

régie par la notion de confort ou ~e

bien-..

lFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade,

t . II, p. 226.

(27)

20

vivre. Le kitsch est un art de vivre opposé à la volonté de ,se dépasser. Le kitsch est donc une éthique en soi.

3. Le kitsch est 1'anti-art. Il est donc éter-nellement lié à celui-ci, il est adjectlf plus encore que nom. 1

Arnoux et la plupart des personnages flaubertlens représen-M _ _

teraient

alor~parfaltement

la conscience kitsch, eux qui, toute leur vie, vont faire du "verkitschen", c'est-à-dlre

"refller en sous-main, vendre quelque chose à la place de ce qui avait été exactement demandé. Il~y a là une pensée éthi-que subalterne, une négation de l'authentiéthi-que. ,,2

C'est cette éthique que Flaubert a voulu fustiger, éthlque stérlle de la non-transcendance et du compromis. Cette éthique s'inscrlvant dans un "rapport partlculler de l'homme avec les choses" ou avec les, obJets, il serait bon de savoir tout d'abord quelle ~~t~ d'obJets atteint le plus dlrectement la conscience-kitsch. Nos auteurs le précisent

ainsi: J

Le cOQseil mutiiéipal-de la ville de' Oberammergau, bien connue-pour son jeu collectif de ~a Passion envahi~ par les

1wahl et Moles •. "Kitsch et objet". Communications. Seuil, 1969, no 13, p. 129 (souligné par les auteurs).

2 Ibid •• p. 105 (souligné par les auteurs) • ;

'"

..

'

\

(28)

21

"souvenirs" J a été conduit dans un rapport

technique, à proposer une définition précise des objets ayant un caractère-kitsch.

sont kltsch:

1. Les mauvaises réalisations dépourvues d'art et de soin, avec ,un matériau de rem-placement, opposées à un~ exécution propre

et satisfaisante d'art populaire en peinture

l .

ou en sculpture- ~,

2. Les réductions du sentlrn~t rellgieux dans un objet d'utilisatlôn profane, tels que par exemple les Jouets réalisés avec une croix de la Passion, les pochettes et

les cravùtes adornées de croix ou d'autres symboles raligieux détournés de leur but. Le kitsch trouve en effet, dans L'obJet. "ndigleux, f'un de s~s grands aspects. Dans

la mesurè où la re11gion fait usage, selon

.~ne constante tradltion, de l'émotion

esthé-tique q~'elle récupère à son proflt, elle est spontanément conduite, pour des raisons

d'efficacité, à. faire "V' appel au "plus grand nombre", et par là, à .adapter les normes de t'art aux déslrs latents de ce plus grand nombre, dans la mesure où elle est capable de le discerner. L'art religieux est donc

perpétuellement menacé par le kitsch, c'est le mécanlsme précis de l'art saint-sulpicien. l

Parfalte descrlption de'l'a~t saint-sulpice: la vitrine d'Arnoux: "Aux deux coin.s de la vitrine s'étalaient

~

deux statues en bois, bariolées d'o~, de cinabre et d'azur", statues édifiantes, crèche avec de la "vraie paille",

(29)

22

J

souligne lroniqu~ment Flaubert, appel aux émotions populaires avec les portraits de "Monselgn'eur Affre et Notre Saint-Père, tous deux sourlant", "bénitlers en forme de coqullle"; et, par une sorte de mimétisme étrange, Arnoux en arrive à res-sembler à l'un des objets étalés dans sa vitrine: "Arnoux,

à son comptoir, sommeillait la t~te basse. Il était prodi-gieusement vleilll, avait m~e autour des tempes une couronne de boutons roses, et le reflet des croix d'or frappées par le solell tombalt dessus".l statue de la dégradation, avec l'outrage supplémentaire des boutons formant

,

~uréole autour

/

.

' .~' ,

de son cr~ne dégarni, il evellie alors une sorte de sympathle, de trlstesse. C'est peut-~tre parce que, maintenant, i l ne s"'aglt plus d'Arnoux, malS de la vieillesse en général, avec toutes ses misères, sa pourriture; de m~e qu'Emma sur son l i t de mort n'est plus Emma, mais une Jeune femme face au néant, qui ne sera bientôt plus que vermine et mOlsissure.

Cette coquille vide de Jacques Arnoux se retrouve assez curieusement chez les Dambreuse. Le p~emier contact

de Frédéric avec eux se fait de façon indirecte et signiflcative

IFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, 1.,

(30)

r. ;J:;... , l

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par l'entremise des objets. Frédéric aperçoit une boite capitonnée, chargée de senteurs et d'une moiteur amollis-sante, serre chaude qui devance la description du boudoir, monde clos de Madame Dambreuse. Il ne VOlt même pas la tête de la femme, mais cela n'a aucune importance, puisque tout

le personnage de Madame Dambreuse est déJà là, femme toute de sensualité extérieur~, s'entourant de faux mystère, de faux semblant, de faux objets de luxe, eux aussi également sans importance, puisque sou~ent renouvelés; prétentions à un patrimolne; kitsch "aristocratique", mais kitsch tout "de même.

l

Ce boudoir, "discret comme un tombeau" a, bien

entendu, son équivalent chez le mari. Avant de voir Monsieur Dampreuse, Frédéric remarque deux coffres- forts, "obj ets dou:"

bles de bêtise bourgeoise" dirait Claude Duchet, ces maties coffres-forts qui vont bailler, défoncés et vides, à la mort de Monsieur Dambreuse. Ces 09jets sont plus que des symboles. C'est l'exlstence même des Dambreuse qui a toujours tourné

IFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

(31)

<Jo

~

24

autour de l'argent, du désir de puissance et au bout de la-quelle ils ne trouvent que la mort ou le vide.

En parlant du kitsch aristocratique, ou qUi se veut tel, on ne pourra~t trouver meilleur exemple que celui de la salle à manger de cisy. Tout y est apparat, désir d' impres-. sionner: "on passa dans une salle éclairée magn~fiquement et trop spacieuse pour le nombre 1 des convives 0

J

Cisy 1

0

avait

cho~s~e

par pOUlpe, tout exprès."

D~sprop~n,

excès,

. . . f !

-

_.,

..

Cisy ne recu~~, devant r~en. "c.înq verres de hduteur diffé-rente étalent allgnés devant chaque aS&lette avec des choses dont on ne Savait pas l'usage, mille ustensiles de bouche in;érneux,,:2 c'est déJà le règne du gadget, de l'inutile.

c~est ce que, au vlngtième siècle, Moles et Wahl appellent

'. le rafflnement des fonctlons: une intro-duction de besoins par raffinement,

exemples: glace ou mousse pour'le bain, pince à épiler ultrasonique ou couteau à

dénoyauter *es olives, conduisent à la théorie du gadget: un objet pour chacune de ces fonctions. C'est là que s'exerce la tendance à la frénésie caractérlstique du kitsch dans la société moderne: couteau

lFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. I I , p. 250 •

(32)

25

à découper le pamplemousse, brosse à dents

~électrique, couteau-scie à gigot motorisé,

Clseaux à ouvrir les oeufs à l~ coque, tous ces éléments aberrants de la société fabri-catrice tournant à vide aboutissent à un jeu à peu près gratuit. l

Mais tous ces personnages, les Dambreuse, Arnoux, '\

Cisy, sont les prodults de leur époque et Ils ne font que

sublr son lnfluence. La civillsation bourgeoise et indus-triallsée exigealt l'acqulsition effrénée de biens, l'accu-mulation allant de palr avec l'ostentatlon, le bannlssement du vlde avec son horreur. Ils ne remett€nt )amalS rien en questlon: ils achètent, échangent et contlnuent d'acheter. Cependant, l'un d'entre eux devrait se poser des questions:

Pellerln, l'artlste de sa génération. A-t-ll échappé à cette influence? En tant que "spécialiste", ses idées ainsi que les obJets qui l'entourent devraient être exempts de toute médlocrlté, de toute vulgarlté, lui qUl s'exclame superbe-ment: "Laissez-moi tranqulile avec votre hideuse réalité' Qu'est-ce que cela veut dire, la réalité? Les uns voient nOlr, d'autres bleu, la multitude voit bête" 2 et, dans un

l

wahl et Moles, "Kitsch et obJet", p. 128 (souligné

"

par les auteurs) .

2Flaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. II, p. 78.

(33)

26

sublime désintéressement: "Les vieux confect1onnaient des chefs-d'oeuvre, ne s'inquiétaient pas du million."l A-t-il rés1sté? Hélas non' L·une des caractérist1ques de la men-talité k1tsch est de confondre éthique et esthétique;

Peller1n n'est peut-être pas tout à fait, tombé dans le piège, mals lU1 aussi est un etre "hybride". AmourEtux du beau,

mals manquant de moyens pour l'exprimer. P~étention au génie,.

i)

malS pauvreté d'lnspirat1on, de talent et) d'exécutlon. Cer-veau empli de théor1es, malS empruntées à toutes les sources.

Pellerin lisait tous les ouvrages d'esthé-tique pour découvr1r la vérltable théorie du Beau, convaincu, quand 11 l'aura1t trouvée, de falre des chefs-d'oeuvre. Il s'entourait de tous les auxlliaires imagi-nables

2

dess1ns, platres, modèles, gra-vures.

Comme la plupart des personnages, i l ne s'attaque

,

1

1

jamais au coeur du problème, peut-etre incapable de le déce-1er, ou encore et surtout pour ne pas admettre ses déficien-ces profondes. Lui aussi place un écran entre la réalité et lUl-meme :.;écran d' J.llusions, mais auss i écran dl obj ets

Iplaubert, Oeuvres,

Bibliothè~ue

de la Pléiade, 1968( t. II., p. 66 .

(34)

27

hétéroclites dont l'accurnulatlon le rassure et l'aide à mieux

1"-.

dissimuler son vide lntérieur.

Epris de beauté, il "avait pou't les maîtres une telle

\

\

religion, qu'elle le montait presque

JU~~U'à

eux ... l Ce serait

\

peut-~tre là un point en sa faveur et

qui

le sauveralt de la

1

..>

rnédiocrlté générale. MalS non, il est plus passionné de gloire, du désir de renommée que de travail. Lorsque

Fréd~rlc se rendalt chez lui, "souvent pellerln était en cour-ses,--ayant coutume d'assister à tous les en~errements et événements dont les Journaux devalent rendre compte. ,,2

'" , r

..

r Le studio de Pellerin est le lieu de rencontre de

'J . .

tous les prlncipes du "kltsch algre" ("sadre kltsch"), ou princlpe de destructlon et de mort. Foisonnement,

suren-, ' chère d'obJets de styles différents. Romantisme dégradé avec "des académies de fenunes échevelées, des paysages où les

troncs d'arbres tordus par la temp~te foisonn3ient" , copies d'anciens, maîtres ou non, (copies 90nt Pellerin fait son gagne-pain, un gagne-pain dont il rougit, car Arnoux les fait

lFlaubert, oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. II, p. 69 .

(35)

28

pass-er pour authentiques), "des cap+ices à la plume, souve-nirs de Callot, de Rembrandt ou de Goya". Dans son atelier

,

s'entassent les manlfestations, les

représentatïons,matériel-, '.

"'"

les des idées romantiques déformées, religion, exotlsme et mort: "on voyait une t~te de mort sur un prie-Dleu

[pré-figuration de la

1

robe de mOlne".

t~te de veau], des yatagans, une

Mais c'est surtout lorsque Pellerln veut entreprendre

\

le portralt de Rosanette que tous lesldogmes et les poncifs dont son cerveau est encombré se font jour. "Il passa en revue dans sa mémolre tous les portra~ts des ma1tres qu'il connaissalt, et se décida finalement pour un Ticien, lequel serait rehaussé d'ornements à 'la véronèse". 2 Rien, ne manque à la merveilleuse et terrible description de Rosanette telle qu'il la dépeint dans son imagination et telle qu'il voudrait la représenter, description fort cruelle pour "l'Artiste", mais devant laquelle on ne peut s'emp~cher de rire: des détails s'y accumulent avec un tel raffinement dans l'iro-nie!

" lFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

t. II, p. 69 •

2Ib id., p. ],80.

,

(36)

1.'>

,

29 ~

Elle aurait une robe' de velours. ponceau avec une ceinture d'orfévrerie, et sa large man-che doublée d'hermine laisserait voir son bras nu qui toucherait à la balustrade d'un esca11er montant derrière elle. A sa gauche,

u une grande cnlonne irait Jusqu'au haut de la

toile rejoindre des architectures, décrivant un arc. On apercevrait en dessous, vague-ment, des massifs d'orangers presque noirs, où se découperait un clel bleu, rayé de nuages blancs. Sur le balustre couvert d'un tapis, il y aurait, dans un plat d'ar-'gent, un bouquet- e fleurs, un chapelet

(

d'ambre, un poigna et un coffret de viell ivoire pn,peu jaune égorgeant de sequins

,d' ori

'-'~l1élqUeS-Un~

e, tombés par terre

'.,,~ çà et là, form8'raien une suite d'

éclabous-, sur~s brillantes, de manière à conduire

l'oeil vers la pointe de son p1ed, car elle serait posée sur l'avant-dernière marche, dans un mouvement naturel et en plelne lumière. l

Cet amalgame est tellement anti-naturel, artificiel' C'est encore le monde de la pose, des apparences, que Flaubert va défaire blen vite. Il lui suffira 'de placer, en contrepoint, un court par~graphe (mals nous

s

que ce sont les plus

révélateurs) ,pour détruire pareil

l

Il alla chercher une caisse

qu'il mit sur l'estrade pour fi prer la marche; pU1S i l disposa comme accessoires, sur un tabouret en guise de balustrade, sa vareuse, un bouclier, une botte de'sardines,

Flaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

t. II, p. 181.

"

(37)

;,

30

un paquet de plumes, u~ couteau, et, quanq i l eut jeté devant Rosanette une douzaine de gros sous, il lui fit prendre sa pose. l Ce sont les mlsérables substituts que la réallté offre au monde échevelé de l'imagination. Il y a peut-être déjà là

un peu du "grotesque triste" de l'exl.stence qui fl.t tant souffrir Flaubert, mais surtout du ridicule, car, malgré la compassl.on que Flaubert finissait par ressentir pour ses personndges, nous ne pensons pas que Pêllerin ait éveillé en

lul. de la pl.tié, par SUl.te de ses nombreuses défections au

<,

,

monde pur de l'artl.ste. N'oublions pas surtout que pellerin a comm's le péché cap,tal de vouloir devenir membre de

.!

,

l'Institut'

Rosanette:

Rien ne le sauve et surtout pas le portrait de

c'était bl.en elle--ou [ e u près,--vue de face, les sel.ns déc uverts, les cheveux dénoués, et tenant "dan ses mains une

bourse de velours rouge, tAndis que, par derrière, un paon avançait son bec sur son épaule, en cou;rant la muraille de ses'

grandes plumes en éventail. 2

Il faut dire, à la décharge de Pèllerin, qu'il se'rend compte de la mauvaise qualité de son travail; s ' i l en demande un

IFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. II, p. 181.

,

2Ib id:, p. 266.

(38)

31

prix outrageusement élevé,-c'est surtout pour. se rassurer et pour donner un démenti à la critique. Mais là encore, ~'est

vivre dans le c?mpromis. pellerln ~tteint presque une sorte de grandeur traglque dans le ridicuke lorsqu'lI s'attaque au portrait de l'enfant mort de Rosanette, pauvre petit obJet / macabre, qui lui donne l'occasion de dlsserter longuement,

sur les anciens et de

dogmatis~r

à loislr, faisa,nt preuye

"

d'une lnsensibillté et d'un mtnque de tact extrêmes.

Si ~rnoux représentait l~ conscience-kitsch, pel!erin

~1~'-1 ..

est l'esthétique-kltsch, en déplt de toutes ses belles théo-ries; son~ra~all le condamne d'avance: ce portrait que Frédéric trouve "abomlnable"" et qui démontre amplement le manque d'origlnalité de son auteur. Mais personne ne semble résister au kltsch, peut-être même pas Flaubert, qui avait ~a tête de mort sur la cheminée, et surtout pas Frédéric; ce dernier a peut-être un peu plus de gortt que les autres personnag::J mais il se lalsse également submerger par le

flot des obJetq • Il les investit d'une faculté étrange: ,

par leur simple présence, ils créent le génie et servent les vocations. L'on peut, bien entendu, se poser âes questlons sur le sens de ces "vocations", illusions irré~isti)leS

-/

(39)

..

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.

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.

~

c-32 1

auxquelles È'rédér ic succombe régul ièrement, selon l" humeur , o~ la femme du moment':,\

,

Il se demanda sérieusement', s' 11 serait un grand peintre ou un grand POètei--et il se déclda pour la peinture, car les exigences de ce mét{er le rapprocheraient de Mme Arnoux. ..Îl avait donc trouvé sa vocation! Le but de\son eX1stence ét~it clair mainte-nant, et' l'avenir lnfallllble' ( ... ) Le lendemain, avant midi~ i l s'était acheté une boite de èouleurs, des pl~ceaux, un chevalet. Pellerin consentit à lui donner des leçons, et Frédéric l'emmena dans son

logement pour voir Sl rien ne manquait parmi ses ustensiles de peinture. l 1

On devine déjà les bizarres concoctions que Frédéric v~ élaborer sous le nom de "tableaux" ou encore on imagine que_ ces ustenslles vont rester sans emploi et connaître le sort qui a été réservé au buvard" neuf acheté pour les cours, aux rames de papier, etc.

.

La peinture ~ est pour lui qu'un moyen de s'

intro-L-:

duire chez Arnoux et de se falre valoir auprès de lui.

\

1

Il n'héslte pas ,à se lancer dans des dépenses extravagantes, grace d'ailleurs à des prêts que lui Consent Deslauriers. Dans son-atelier,

IPlaubert, Oeuvreê, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. II, p. 82 (souligné par nous).

(40)

"

33

une vue de Venise, une vue de Naples et une autre de Constantinople occupant le milieu des trois murailles, qes ~jets équestres d'Alfred de ~éux, çà et là, un groupe de Pradier sur la cheminée, des numéros de l'Art industriel sur le piano, et des car-. tonnages par terre dans les angles, ,encom-braient le logis d'une telle façon. qu'on avait peine à poser un livre, à remuer les coudes. Frédéric prétendait qu'il lUl fallait tout cela pour sa peinture. l

Mais, 0 ironie' "Il travaillait chez Pellerin". Nous

pou-"" <>

vons apprécier pleinement le manque de modération et de logique. Frédéric est lui aUSSl affligé du désir de posses-sion totale, qUl s'expr1ffie par une accumulation insensée~

d'obJets bien lnutiles. Il est incapable d'établir des

rapports équilibrés avec le monde extérieur et avec lui-marne. C'est qu'il est loin de se connattre ou de vouloir se connat-tre, car 11 risquerait de ne rien trouver ou alors uniquement des illuslons. Il s'identifie en partle aux objets qui

l'entourent. G l'est pourquoi i l est entièrement tourné vers

l'e~térleur et i l recherche son accomplissement dans la quete de l amour. ~ais peut-on parler de recherche dans son cas? .

Iplaubert, Oeuvres, Bibliothèque de t . II( p. 86 •

.

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1968,

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(41)

34

Une recherche implique un certain effort de volopté: or, pour lui, ~ ren~ontre de l'objet aimé prend toutes les

1

apparences de la fatalité. Il voit Marie Arnoux et tout est décidé pour lui., irrévocablement.

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(42)

'" DU 0 ' CHAPITRE II

FAUX-SEMBL~A LA-~EGRADATION ET A-LA BETISE

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Je crois que

énér~lement

(et quoi qu'on en dise) le souvenir idéalise, c'est-à-dire

choisit. Mais peut-etre l'oeil idéalise-t-il aussi? Observez notre étonnement devant une épreuve photographique. cè n'est Jamais ça qu'on a V).l. l

J'avais à peine quinze ans; ça m'a duré jusqu'à dix-huit, et quand j'ai revu cette femme-Ià, après plusieurs années, j'ai eu du mal à~a reconna!tre. Je la vois encore quelquefois, mais rarement, et la considère avec l'étonnement que les émigrés ont dtt avoir quand ils sont rentrés dans leur

chateau délabré: "Est-j1:-possible'que j'aie vécu là?"2 /

lFlaubert, correspondance inédite, conard, t. II, 1953, p. 93 (souligné par nous).

2Cit. in Gustave F~aubert en verve, Horay, 1971, p. 18.

(43)

'

..

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36

Personnage ambigu que celu1 de Madame~Arnoux, puisqu'il est vu à travers les yeux de Frédéric. C'est l'ObJet suprême à ne pas profaner; quel meilleur moyen que de se placer devant lui en pos1tion inférieure, donc indi-gne de le posséder. Elle est la seule à transcender les objets et à atteindre une d1mension cosmique, mais toujours et un1quement pour Frédéric. Elle est véritablement la Vision qU1 marque toute une V1e:

Ce fut comme une appar1tion: Elle était assise, au milieu du banc, 'toute seule; ou du moins 11 ne dist1ngua personne, dans l'éblouis-pement que lui envoyèrent ses yèux.

En marne temps qu'il passa1t, elle leva la tête; il fléch1t involontai-rement les épaules; et, quand il se fut mis plus loin, du même cOté, i l la

re-garda. l

Ce passage renferme une contradiction apparente: que l'on imagine Madame Arnoux; elle est assise, les yeux baissés, puisque l'auteur nous dit qu'elle lève la tete par la suite. Comment dans ces conditions ses yeux ont-ils pu lui envoyer un éblouissement? N'est-ce point.plutOt un effet de l'ima-gination de Frédéric, une sorte d'auréole créée par ses

lplaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, t. II, p. 36.

(44)

'.

37

désirs ou par l'idée romantique qu'il s'est faite de l'amour? Dans le plan de l'Education sentimentale publié 'et commenté par Madame Durry, nous lisons

Et dans les lignes: violence que doit avoir un amour renforcé par des types littéraires

adm~rés dans la jeunesse--il y a co!ncidence de l'~déal et du Réel, était impliquée une des phrases de l'Education, où le bachelier qui rentre à Nogent évoque dans sa mémo~re

l'apparition bouleversante: "Elle ressemï blait aux femmes des livres romantiques."

C'est une coinc~dence largement aidée par l'ennu~, l'humanité

sord~de qui l'entourait et cette espèce d'attente vague qui s'empare d'un adolescent de d~x-huit ans de retour à la mai-son, attente et espoir d'un événement extraordinaire qu~

1

coupera~t la monoton~e ambiante et comblera~t le v~de d'un coeur asso~ffé de r~ves et d'aventures.

Lorsque la femme lève la t~te, "il fléchit

~nvolonta~-rement les épaules" .~. Frédéric prend déJà l'attitude qui va le caractériser, celle de victime, de vaincu, acceptant

.

d'avance l'échec. De marne q~Frédéric a peur d'affronter le regard de Madame Arnoux, i l aura peur de faire face à la

IMarie-Jeanne Durry, Flaubert et ses projets inédits, Nizet, 1950, p. 145 (souligné par l'auteur)",

(45)

38

,

vie. C'est la meilleure excuse pour ne rien tenter, pour rester dans l'immobllité totale. A chaque étape de sa vie, lorsqu'il s'agit de prendre une décision ou de passer à

l'actlon, 11 est paralysé par la peur.

,.

Au moment de déclarer

son amour à Marie Arnoux, et dans l'lffipossiblllté de le faire de Vl.ve voix, "il composa une lettre de douze pages, pleine de mouvements lyriques et d'apostrophes; malS 11 la déchira et ne fit rien, ne tenta rlen,--lffiffiobillSé par la peur de l'insuccès",l -ou encore, lui qUl aurait donné sa vie pour son ami, "11 avait peur que Deslaurlers, avec son vleil hablt nOl.r, ( . . . ) ne déplat à Mme Arnoux, ce qui pouvait le

. 2

compromettre, le rabaisser lUl-m~e auprès d'elle"; et plus tard, devant LOUlse Roque qUl s'offralt, "une peur l'avait

. . 3 salSl" .

Cette peur de l'action provient en partie de son

- - \

tempérament rêveur et elle contribue à accentuer sa tendance à n'être que le spectateur, l'éternel témoin.

lF~aubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 196~,

t. II, p. 54 (souligné par nous)-. 2Ibid., p. 91 .

(46)

/

39

Revenons à la première apparition: "quand i l se fut mis plus IOln, du m~me cOté, i l la regarda". Tout au 'long de sa vie, i l maintiendra cette distance symbolique

entre Ma.rie Arnou~ et lui-m~e, et il ne sera jamais rien de plus qu'un oeil qui regarde de loin. L'on pourrait met-tre en parallèle l'attitude de Flaubert lorsqu'il rencontra Elisa Schlésinger" "Elle me regarda. Je baissa1 les yeux

l

et roug 1S " ; seulement Flaubert avait alors quatorze ans et dem1. Donc, Frédéric va passer sa Vle à regarder; i l voudrait tout VOlr; mais son regard, qUl déforme en idéali-sant, va touJours s'arr~ter à la superficie des choses.

Frédérlc ne désire pas vralmênt s'engager dans une recherche profonde de l'autre. Il est saisi d'une curiosité doulou-reuse à l'égard de Madame AX~OUK, malS c'est une curiosité qUl effleure à peine la surface de la femme, ou qui s'attarde sur son entourage immédlat:

1

Il souhaitait connaître les meublJfs de sa chambre, toutes les robes qu'el ~ avait portées, les gens qu'elle fréqu ntalt: et

le déslr de la possession physi ue dispa-raissait sous une envie plus pr fonde,

l .

Clt. in Maurice Nadeau, Gustave F1Subert écrivain, DenoêÎ, 1969, p. 32 •

(47)

_.

(

40

dans une curiosité douloureuse qui n'avait

pas de limites.

r

~

Malheure~sement, cette curiosité a des limites: celles-là

mêmes que Frédéric s'imposera inconsciemment. Ce dés~r de totallté pérlphérique mènera tout naturellement au besoin forcené de pOfséder tJ;>ut ce qui

1...

touche de près ou de loin cette personne, obj et's dont l'imagination pourra s'emparer 101sir et a~er sans risque de démentis ou de rebuffades,

"

I~

objets transfigurés du désir qui répondent aux eXlgences

"

à à

profondes dU'collectlonneur qu'est Frédéric, obJets-fétiches qU'lI pourra garder en toute tranquillité, sans peur d'en

~tre jamais dépossédé.

""

Nous avons de ce~e_ façon deux ensembles de choses: celles qui assurent une

présence maintenant, et celles que l'on ,tend à s'approprier pour s'assurer d'une

présence pLus tard, et pouvoir ,n d~sposer

dans l'avenir. Fait important! noter,

les ~tres ne comptent pour ainsi dire plus,

dès qu'on est en possession de l'objet gui, pour nous, en tient lieu. ( .•. ) L'objet substitué à l'être est vraiment possédé, j'en dlspose absolument: il est là, cons-tamment à portée de main et de regard,

contre le vertige de'l'absence et du retour

~u néant. 2 •

,

,lFlaubert, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

t. II, p. 37. 2

Duquette, Flaubert ou l'architecture du vide, p.

34

(souligné par nous). ,

(48)

r

.

.,

La catégorie des objets-fétiches inclut déjà tous les

ta-".'

bleaux achetés chez Arnoux, prétexte pour s'introduire dans le cercle des conna~ssances, mais aussi et avant ~out parce qu'ils participent de Madame Arnoux, par l'interméd~aire du mari. Le bouleversement de Frédéric lorsqu'il se croit ruiné, qu'''il décide de rester à Nogent et qu'il apprend que Sénécal vit dans son anc~en logement en est la preuve.

Donc, Sénécal s'étalait, ma~ntenant, au m~lieu des choses qui provenaient de

chez Arnoux' Il pouvait les vendre, faire des remarques dessus, des pla~santeries. Frédéric se sentit blessé, Jusqu'au fond de l'~e. Il monta dans sa chambre. Il

ava~t env~e de mour~r.l

Les phr'ases hachées 1 courtes, révèlent le désarroi total de

Frédér~c. Son dés~r d'anéant~ssement est bien le son ~ncapac~té à accepter les coups du sort. Dès

\

réalité menace ses rêves, il se laisse abattre avec une de

extrême fac~l~té et l'évasion se présentera touJours sous la forme de l'~dée de su~c~de.

~

Frédéric ne se llffiite pas aux objets-Arnoux; dès qu'il en a la possibilité, il s'empare d'objets plus

l

Flaubert, oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, 1968,

t . II. p. 125.

!

(49)

,

,

.

42

IIdirects" ; c'est ainsi qu'il ose demander à Madame Arnoux, lors de sa visite à l'us1ne, s'il peut emporter la galette de glaise sur laquelle elle a imprimé sa main. C'est un moyen détourné d'exprimer son amour, mais c'est surtout l'occasion de posséder un objet excitant, mouvement totalement pétrifié, membre de statue. Cela va plus loin qûe le gant, QU1 a

toujours fasciné Flaubert, et dont nous retrouvons la théorie

" " " .

/'

chez 'Jean-pierre ~ichard. ~

Théor1e du qant: c'est qu'il idéalise la main en la privant de sa couleur, comme le

fait la poudre de r1Z pour le visage. Il la rend inexpres'sive, mais typique. La forme seule est conservée, et plus ~­ sée. Cette couleur fac~ice s'harmonise avec la manche du vêtement, et sans donner l'idée d'une nature autre (puisque le dessin est conservé) met de la nouveauté dans le . connu, et rapproche ainsi ce membre couvert

d'un membre de statue. Et cependant, cett~ chose anti-naturelle a du mouvement ( ••• ). Rien de plus troublant qu'une main gantée.

(Flaubert) Le gant arr~te l'expression,

l'attraction directe, l'emp~tement réciproque du désir;· il protège de la nausée amoureuse

en.Jetant sur la plasticité d'autrui le

voile d'une surface neutre. Il veut faire

échapper à la mollesse de l'anonyme par la rigid1té du typique. l '

lJean- Pierre Richard, IILa création de la forme chez Flaubert", Littérature et sensation Stendhal Flaubert,

IIpoints", Editions du Seuil, 1970, p. 212 (souligné par l'auteur) •

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