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La philosophie morale dans l'oeuvre d'Adam Smith : retour sur le Das Adam Smith Problem

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Academic year: 2021

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL

LA PHILOSOPHIE MORALE DANS L'ŒUVRE D'ADAM SMITH: RETOUR SUR LE DAS ADAM SMITH PROBLEM

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN ÉCONOMIQUE

PAR

ODILE ROCHON

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Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément

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[ses] droits moraux ni

à

[ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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REMERCIEMENTS

Merci à mon directeur de mémoire, M. Dostaler, de m'avoir transmis sa passion pour l'histoire de la pensée. Son attachement aux valeurs d'humanisme et son érudition apportent un vent de fraîcheur au milieu académique de l'économie.

Merci à Georges, Louise, Mourad, Marie-Eve et Nadine.

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REMERCIEMENTS II

LISTE DES ABRÉVIATIONS VI

RÉSUMÉ VII

INTRODUCTION 1

LA PHILOSOPHIE MORALE DANS L'ŒUVRE D'ADAM SMITH 3

MÉTHODOLOGIE 7

CHAPITRE 1 .

ADAM SMITH, FIGURE MARQUANTE DU SIÈCLE DES LUMIÈRES EN ÉCOSSE 10

LE SIÈCLE DES LUMIÈRES EN ÉCOSSE 10

Fondements philosophiques, religieux et scientifiques du Siècle des Lumières 11

Les stoïciens 14

Émancipation du puritanisme religieux en Écosse 15

Francis Hutcheson 16

David Hume 18

VIE D'ADAM SMITH 22

L'étudiant 22

L'enseignant 25

Le philosophe 26

CHAPITRE II .

LA THÉORIE DES SENTIMENTS MORAUX ET LA RICHESSE DES NATIONS 31

LA THÉORIE DES SENTIMENTS MORAUX 32

La démarche 34

La Théorie est-elle une œuvre à caractère normatif? 36

Fondements de la philosophie morale: En quoi consiste la vertu? 37

La prudence 38

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Chez Smith l'amour-propre et l'intérêt propre sont des synonymes.. 40 Un mot sur la vertu négative: la justice .41

Le processus de création des nonnes morales: rôle de la sympathie 44

Le processus de création des normes morales: le spectateur impartial.. .48 Existe-t-il un spectateur impartial idéal et quelle est, selon lui, la bonne action? 49

LA RICHESSE DES NATIONS 53

La Grande-Bretagne du XVIIIe siècle 56

Théorie de la valeur 59

Critiques de la théorie de la valeur 61

Dimension éthique de la théorie de la valeur 63 Théories d'économie politique mises en avant par Smith. 66

Rôle du gouvernement 70

Phénomènes économiques que sous-tend le concept d'harmonie naturelle: la main in visible 72

CHAPITRE 111 .

DAS ADAM SMITH PROBLEM: DE L'ORIGINE À L'ÉTAT ACTUEL DU DÉBAT 78

INTRODUCTION 78

Définition du Das Adam Smith Problem 79

HISTORIQUE DU DAS ADAM SMITH PROBLEM 80

L'école historique allemande et le Das Adam Smith Problem 82

LE DAS ADAM SMITH PROBLEM EXISTE-T-IL ENCORE? , 91

Le Das Adam Smith Problem existe, et la Richesse et la Théorie sont conciliables 93

REVUE DE LITTÉRATURE, PÉRIODE 2002-2008 97

Est-il pertinent de poursuivre le débat? 104

PHASE 4 DU DÉBAT 105

Première approche: l'intérêt personnel comme moteur des activités économiques /05 L'intérêt personnel comme moteur des activités économiques: les sphères d'intimité /07 Seconde approche: rejet de la conception de la sympathie comme motivation /10

Critique de Kennedy 114

Troisième approche: l'intérêt personnel comme thématique de la Théorie, plutôt que de la

Richesse 115

Quatrième approche: la perspective historique 118

CONTEXTE HISTORIQUE ET RELIGIEUX 121

Contexte religieux du Siècle des Lumières 124

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BIBLIOGRAPHIE 137

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

Essais Smith, Adam. [1795] 1982. Essays on Philosophical Subjects. Édité par P. D. Wightman et J.c. Bryce. Intro. de D.D. Raphael et A.S. Skinner avec Account of Adam Smith de Douglas Stewart. Éd. de I.S. Ross. Indianapolis: Liberty Classics. En 1igne: (http://oll.libertyfund.org/?option=com_slat icxt&staticfi le=show.php%3 Ft itle=20 1) Problème Das Adam Smith Problem

Richesse Smith, Adam. [1776] 1991. An lnquiry into the Nature and Causes of the Wealth ofNations. Coll. « Everyman's Library », édité par Alfred A. Knopf. Intro. de

D.D. Raphael. Londres: Random House, 620 p.

Théorie Smith, Adam. [1759] 2006. The Theory ofMoral Sentiments, 6e ed. New York: Dover Publications, 347 p.

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Deux cent cinquante ans après la publication de la Théorie des sentiments moraux, quelle place accorde-t-on à la philosophie morale dans l'œuvre d'Adam Smith? Le présent mémoire porte sur cette question et, en particulier, le débat que suscite le Das Adam Smith Problem. Afin de dresser un portrait de l'état actuel du débat, nous analysons une sélection de livres et d'articles ayant été publiés sur le sujet au cours de la période 2002-2008, qui précède le 250" anniversaire de la publication de la Théorie des sentiments moraux (1759­ 2009).

Le chapitre l propose, en guise d'entrée en matière, une section consacrée au Siècle des Lumières en Écosse. Nous présentons ensuite les événements marquants de la vie de Smith ainsi que les principaux penseurs ayant influencé son œuvre, notamment Francis Hutcheson, David Hume et les stoïciens. Le chapitre suivant est centré sur les thèses principales énoncées dans la Théorie et La Richesse des nations. Nous entendons mettre en évidence les diverses idées formulées par Smith dans ces œuvres, qui sont susceptibles d'éclairer sa philosophie morale.

Une fois jetées ces bases, nous abordons au chapitre III le sujet précis du Problème, d'abord en faisant un survol historique au cours duquel nous retraçons les origines du débat et présentons les auteurs importants y ayant contribué aux XIXe et au XXe siècle. Pour ce faire, nous nous référons aux analyses incontournables de la question, notamment «The Consistency of Adam Smith» (Oncken, 1897) et « Adam Smith and Laissez Faire» (Viner, 1927).

Nous démontrons que le débat concernant la cohésion entre les deux oeuvres majeures de Smith est bien vivant au XXle siècle et que les avis vont généralement dans le même sens. En effet, la majorité des interprètes actuels de la pensée de Smith ne croient pas que les deux œuvres divergent sensiblement. Cela constitue toutefois un des seuls points communs de ces auteurs. Leurs textes concernant le Problème prennent appui sur des analyses distinctes qui ont marqué le débat depuis deux cents ans. Suivant l'analyse de Leonidas Montes (2003), qui établit trois phases caractérisant le débat entourant le Problème depuis le bicentenaire de la Richesse en 1976, nous mettons en avant l'idée selon laquelle le débat comporterait une quatrième phase. Celle-ci se caractérise par le fait que les auteurs de la période 2002-2008 proposent une vision renouvelée de ces théories classiques.

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INTRODUCTION

1 have not forgot what 1 promised to your Grace in an edition of the 'Theory of Moral Sentiments, ' which 1 hope to execute before the end of the ensuing winter. 1 have likewise two other great works upon the anvil; the one is a sort of Philosophical History of ail the different branches of Literature, of Philosophy, Poetry and Eloquence; the other is a sort of theory and History of Law and Government. The materials of both are in a great measure collected, and some Part of both is put into tollerable good order. But the indolence of old age, tho' 1 struggle violently against it, 1 feel coming fast upon me, and whether 1 shall ever be able to finish either is extremely uncertain. J

Adam Smith au duc de La Rochefoucauld, lettre du 1er novembre 1785.

Le 11 juillet 1790, Adam Smith, se trouvant à l'article de la mort, enjoint à ses exécuteurs testamentaires de détruire tous ses manuscrits non publiés, à l'exception de quelques essais philosophiques, incluant l'Histoire de l'astronomie. Se référant à la lettre que Smith adressa à de La Rochefoucauld en 1785, Ian Simpson Ross, auteur de la biographie de référence de Smith, fait la conjecture que les manuscrits brûlés contenaient des écrits sur l'histoire de la littérature, la philosophie, la poésie et la rhétorique ainsi que sur la jurisprudence, plus spécifiquement la théorie et l'histoire des lois et du gouvernement (1995, p. 495). Dès la publication de la première édition de la Théorie des sentiments moraux, en 1759, Smith avait annoncé qu'il écrirait une œuvre sur les lois et le gouvernement. Trente-et-un ans plus tard, lors de la publication de la sixième édition de la Théorie, Smith réitéra sa promesse et précisa qu'il l'avait en partie remplie en écrivant La Richesse des nations, publiée en 1776 (Macfie et Raphael, 1976, p. 19).

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Smith mourut le 22juillet 1790. À la fin de sa vie, il sut à son grand regret qu'il n'aurait pas le temps de compléter son œuvre théorique sur la jurisprudence. Pour avoir une idée de ses réflexions sur le sujet, les experts de la pensée de Smith se réfèrent aux Leçons sur la jurisprudence, des extraits provenant des notes prises par certains étudiants de Smith alors qu'il enseignait la philosophie morale à l'Université de Glasgow (Ross, 1995, p. 404-406).

Athol Fitzgibbons, dans Adam Smith 's System of Liberty, Wealth and Virtue (1995), indique que la théorie de la jurisprudence de Smith constitue le chaînon qui relie sa philosophie morale et sa théorie économique (p. 22) S'il en est ainsi, il manquerait donc un élément important pour comprendre le système développé par Adam Smith. Cela pourrait expliquer, en partie, pourquoi les économistes et autres interprètes de la pensée de Smith n'ont cessé de spéculer sur l'existence d'un lien entre la philosophie morale présentée dans la Théorie et les théories économiques de la Richesse.

La question de la relation entre les deux œuvres a été débattue sous plusieurs angles, dont le récurrent Das Adam Smith Problem.

Le

Problème met en évidence l'apparente contradiction entre la philosophie morale de Smith, basée sur la sympathie, et sa philosophie économique, basée sur l'intérêt personnel. Suivant le Problème, la philosophie morale présentée dans la Théorie et les théories économiques de la Richesse seraient irréconciliables au sein d'un même système.

Car il s'agit bien d'un système, mais il semble que cela ait été perdu de vue par de nombreux économistes qui aujourd'hui se targuent de véhiculer la pensée d'Adam Smith. Dans ce contexte, la pensée de Smith est souvent réduite aux idées contenues dans la Richesse, celles­ ci étant dissociées du système cohérent auquel elles appartiennent. Pourtant, chez Smith, la philosophie morale et la théorie économique sont, à notre avis, indissociables. Les idées propres à la philosophie et à l'économie politique que ['on retrouve dans la Théorie et la Richesse se soutiennent mutuellement et forment un portrait cohérent de la société. Qu'elles

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3

apparaissent sous la forme de faits établis ou d'hypothèses, celles-ci illustrent la société telle qu'elle est et telle qu'elle devrait être2.

La philosophie morale dans l'œuvre d'Adam Smith

Nous avons choisi d'aborder le sujet de la philosophie morale dans l'œuvre d'Adam Smith sous l'angle du débat que suscite le Problème, tout particulièrement au cours de la période 2002-2008. Les livres et articles de cette période ont en commun qu'ils précédent de peu le 250e anniversaire de la publication de la Théorie. Cette commémoration, qui est célébrée en 2009, semble avoir ravivé le débat entourant le Problème, dont les origines remontent à la Révolution française.

Parmi les événements organisés pour commémorer cet anniversaire au cours de ['année 2009, on relève une session, lors du du 36" congrès annuel de la History of Economies Society, intitulée Smith, Morality and Religion. Y ont participé Gavin Kennedy et Jerry Evensky, deux des auteurs qui figurent dans notre revue de littérature de la période 2002-2008. Un autre des auteurs qui y figure, Samuel Fleischacker, a participé en janvier au congrès The Philosophy of Adam Smith, qui s'est tenu au Collège Salliol à Oxford. D'autre part, les universités de Kocaeli et de Çanakkale en Turquie, et celle d'Opava, en République tchèque, s'allient pour organiser un premier congrès conjoint sur l'économie politique en octobre 2009, lequel aura pour thème ('œuvre d'Adam Smith.

Nous présenterons dans le chapitre l une section consacrée au Siècle des Lumières en Écosse, courant philosophique dont Smith est l'un des protagonistes. En effet, la philosophie morale de Smith ne peut être dissociée de ce courant, dont les fondements s'appuient sur la révolution scientifique (approx. 1500--1700), où l'on remit en cause la présence de Dieu en toutes choses, y compris son rôle dans la volonté humaine. Dans cette section et la suivante,

2 Le grand dictionnaire terminologique propose la définition suivante du « système philosophique» : Ensemble de conceptions philosophiques ou scientifiques se soutenant mutuellement, Jeur cohérence n'en garantissant pas nécessairement la vérité. Souvent, en effet, un système repose, non seulement sur des faits établis, mais aussi sur des hypothèses visant à les relier (le système de Spinoza, le système de Newton).

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consacrée aux événements marquants de la vie de Smith, nous ferons le portrait des principaux penseurs ayant influencé son œuvre, notamment Francis Hutcheson, David Hume et les stoïciens.

Le chapitre II sera consacré aux thèses principales énoncées dans la Théorie et la Richesse. Nous expliquerons les théories formulées par Smith concernant les fondements de la morale. Puis, nous présenterons les théories de la Richesse, tout particulièrement celles qui peuvent nous éclairer sur la place accordée à des considérations humaines et morales dans son système d'économie politique. Au cours de cette réflexion, nous chercherons à demeurer fidèle aux textes de la Théorie et de la Richesse, en évitant de nous approprier les idées de Smith pour servir un quelconque agenda politique. Dostaler (1998) remarque à ce titre: « On a fait dire à Smith, comme à Marx ou à Keynes, tout et son contraire» (p. 394).

Le chapitre suivant proposera un survol historique du Problème, au cours duquel nous retracerons les origines du débat et présenterons les auteurs importants y ayant contribué au cours des XIXe et XXe siècles. Nous adopterons avant tout la définition du Problème qui convient à notre analyse, puisque celui-ci a été formulé de nombreuses façons. Par exemple, il a été dit que la Théorie repose tantôt sur la sympathie, tantôt sur l'altruisme ou la bienveillance. Cet exercice nous permettra de circonscrire le débat ainsi que le cadre d'analyse des œuvres qui seront examinées.

C'est également dans le chapitre III que nous présenterons notre revue de littérature. Celle-ci portera sur les œuvres de la période 2002-2008 qui apportent un éclairage nouveau au débat que suscite le Problème. S'il peut sembler inhabituel de présenter la revue de littérature à ce stade avancé du mémoire, cela s'explique par le fait qu'il nous a paru important de mettre en contexte la vie et l'œuvre de Smith, ainsi que les origines du Problème, avant de présenter le stade actuel des connaissances portant sur la cohésion - ou non - de la Théorie et de la Richesse.

Nous montrerons que le débat concernant cette cohésion est bien vivant au XXIe siècle, et que la majorité des interprètes actuels de la pensée de Smith ne croient pas qu'il y ait une

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divergence majeure entre les deux œuvres. Cela constitue toutefois un des seuls points communs de ces auteurs. D'abord, il y a une divergence d'opinions concernant la pertinence de poursuivre le débat. Ensuite, leurs théories concernant le Problème trouvent leur source dans des analyses distinctes, qui ont marqué le débat au cours des deux cents dernières années. Par conséquent, ils ne s'entendent pas sur la manière de concilier les deux œuvres.

Suivant l'analyse de Leonidas Montes (2003), qui établit trois phases caractérisant le débat entourant le Problème depuis le bicentenaire de la Richesse en 1976, nous mettrons en avant l'idée selon laquelle une quatrième phase de ce débat aurait débuté. Nous verrons que celle­ ci se distingue par le fait que les auteurs de la période 2002-2008 proposent une vision renouvelée des théories classiques qui ont marqué le débat depuis deux cents ans. Cette observation constitue d'ailleurs un des principaux résultats de notre recherche.

Le défi de notre analyse sera de transmettre la complexité des arguments sur lesquels s'appuient les nombreux experts dont nous avons examiné les textes, pour démontrer que le Problème n'est pas valide, c'est-à-dire qu'il n'y a pas incompatibilité entre la Théorie et la Richesse. À ce sujet, nous avons relevé, à la lecture de la littérature de la période 2002-2008, quatre approches pour réconcilier les deux œuvres, que nous exposerons en détail dans le chapitre III.

Enfin, nous allons clore ce chapitre en décrivant cette nouvelle volonté d'inscrire les œuvres de Smith dans le contexte religieux du Siècle des Lumières, que nous observons chez plusieurs auteurs contemporains.

À ce stade, le lecteur se demande peut-être quelle est la pertinence d'analyser aujourd'hui le Problème. Pour répondre à cette interrogation, nous lui proposons de se référer à la majorité des auteurs de la période 2002-2008 que nous avons étudiés, car ceux-ci proposent de rétablir la vérité à propos du système élaboré par Adam Smith. Ils déplorent que, dans les salles de classe ainsi que dans la littérature économique, on attribue à Smith l'idée selon laquelle les êtres humains ne sont mus que par leur intérêt personnel.

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Notre interprétation de la Richesse nous porte plutôt à croire que Smith considérait que les êtres humains, lorsqu'ils procèdent à des échanges commerciaux, contribuent à un ordre spontané, lequel favorise l'atteinte du plus grand bien3. Dans le système économique décrit au fil de la Richesse, les êtres humains, lorsqu'ils agissent en fonction de leur intérêt personnel, contribuent à l'élaboration d'un marché qui fonctionne efficacement en ce que, par exemple, divers individus trouvent avantageux de fournir les biens et services dont ont besoin les autres membres de la collectivité. Bien qu'un ordre spontané surgisse lorsque les individus agissent dans la sphère commerciale, cela ne signifie pas que dans toutes les sphères de leur vie ceux-ci ne poursuivent que leur intérêt personnel. Ce n'est généralement pas le cas dans leur cercle intime.

Soulignons que même cette interprétation ne fait pas l'objet d'un consensus. Certains auteurs contestent l'idée selon laquelle dans les échanges commerciaux les humains sont mus uniquement par leur intérêt personnel (Fitzgibbons, 1995, p. 144). D'autres mettent en doute des concepts que l'on attribue naturellement à Smith, comme l'importance de la main invisible. Par exemple, Rothschild (2001, p. 116) précise que l'expression n'apparaît que trois fois dans le corpus de Smith. D'autres encore rappellent que Smith n'a jamais employé le terme « laisser faire» (Kennedy, 2005, p. xiv). Néanmoins, ce que les auteurs étudiés ont en commun est de considérer que le sujet humain étudié par Smith était plus nuancé qu'un homo economicus agissant dans un libre marché. Gavin Kennedy, dans Adam Smith's Lost Legacy (2005), est un des critiques les plus acerbes de cette théorie:

(. .. ) the purloining of Smith's message on natural liberty and justice to replace it with irresponsible policies of laissez faire is an injustice to the memory of a moral philosopher. Let the proponents of laissez faire put their own names to their philosophy and leave Adam Smith's out of it. (p. 235)

Si le système mis en avant par Smith demeure mal compris, c'est en partie parce que son étude de la philosophie morale, la Théorie, est passé inaperçue pendant un long moment. Bien que l'on assiste depuis 1976 à un renouveau de l'intérêt pour la pensée philosophique et

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morale de Smith - que plusieurs attribuent à la publication de son œuvre complète pour célébrer le bicentenaire de la Richesse -, il demeure que la Richesse est, encore aujourd' hui, souvent interprétée comme l'œuvre unique de son auteur. Pourtant, l'agencement des deux œuvres est essentiel, car il met au grand jour les implications morales de la Richesse, ces implications demeurant pertinentes dans le contexte actuel:

Smith's conceptions of human nature and the co-evolution of individual and society, and of human society as a multidimensional, simultaneous evolving system offer a rich source of alternative ways of thinking at a time when economic analysis begins with homo economicus and the social sciences have become thoroughly departmental. (Evensky, 2005, p. 29)

Otteson (2002, p. 4) soutient lui aussi cette idée selon laquelle le Problème demeure d'actualité. Il explique, tout au long d'Adam Smith's Marketplace of Life, que la tension entre la prescription d'agir de manière bienveillante, d'une part, et l'amoralité apparente des marchés économiques, d'autre part, donne lieu à de nombreux dilemmes moraux. Si une grande partie des relations que les individus entretiennent appartient à la sphère étendue du marché, et s'il est vrai que les actions des individus dans de tels contextes sont motivées par l'intérêt personnel- tel qu'indiqué dans la Richesse -, alors, il est d'une importance cruciale de savoir comment les vertus morales qui sont préconisées dans d'autres contextes s'appliquent dans les relations de marché. Otteson indique que, suivant ce qui est écrit dans la Théorie, les considérations morales ne doivent pas être exclues dans le contexte de marché; il

faut donc nous pencher sur la manière dont la moralité s'agence avec les marchés.

Méthodologie

Les méthodes de recherche dans l' histoire de la pensée, dans quelque domaine que ce soit, sont bien connues. Le sujet étant choisi, la première étape d'une telle entreprise consiste à établir un programme de lectures, en se basant à la fois sur des recherches personnelles et sur les discussions avec le directeur de mémoire. L'objectif est bien sur de s'assurer d'avoir couvert les textes importants, y compris les plus récents, qui traitent du sujet choisi. On procédera alors à la lecture de ces œuvres. Les notes de lecture nous permettront d'établir un

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lien entre les idées reflétées dans ces textes. Ces séquences analytiques, accompagnées du texte original de l'auteur étudié, constitueront la trame de fond pour réfléchir à la pensée de l'auteur en question.

Outre ce volet analytique, il est nécessaire de détenniner si l'on choisira de présenter le contexte dans lequel l'auteur étudié a développé sa pensée - à l'aide des textes d'autres auteurs concernant, par exemple, l'histoire d'une époque - ou si l'on étudiera uniquement les œuvres de l'auteur en question. Aux fins de ce mémoire, nous avons estimé qu'il serait utile et certainement très éclairant d'intégrer à notre réflexion les données biographiques d'Adam Smith et, plus globalement, des informations concernant le contexte religieux, politique et économique dans lequel il vécut.

Nous tenons pour acquis que les idées trouvent leur source au-delà de ce qui a été exprimé antérieurement sur un sujet. En ce sens, s'il est vrai que les idées s'engendrent les unes les autres, elles sont aussi le fruit d'un contexte historique, social, politique et économique et, ultimement, dépendent des expériences, y compris de l'éducation, du milieu, etc., de celui qui les exprime. Dans le cas de Smith, l'apport de sa vie personnelle sur ses écrits est d'autant plus intéressant que certains de ses choix pourraient sembler entrer en contradiction avec ce qu'il a écrit. Par exemple, nous verrons qu'il a travaillé comme commissaire des douanes, alors que certains lui attribuent le fait d'avoir vanté les mérites d'un libre échange sans compromis.

Tel que mentionné ci-dessus, nous avons choisi d'analyser une sélection de livres et d'articles publiés au cours de la période 2002-2008, afin de dresser un portrait de l'état actuel du débat sur le Problème. Nous avons procédé systématiquement, en débutant notre recherche par la lecture des œuvres des auteurs de la période actuelle que nous avons pu identifier comme jouissant d'une excellente réputation dans le domaine de l'histoire de la pensée économique. Panni eux se trouvent Jerry Evensky et Samuel Fleischacker. Nous avons ensuite parcouru leurs bibliographies, qui nous ont menée vers une multitude d'autres auteurs d'intérêt. Nous avons sélectionné les œuvres précises qui apparaissent dans notre revue de littérature sur la base de leur crédibilité et leur contribution originale au débat.

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Pour illustrer le contexte historique dans lequel Smith écrivit, ainsi que l'histoire du Problème, nous nous référerons à ces documents, mais aussi aux articles et livres incontournables, par exemple « The Consistency of Adam Smith» (Oncken, 1897), « Adam Smith and Laissez Faire » (Viner, 1927) et « Historicizing the 'Adam Smith Problem' »

(Dickey, 1986).

L'analyse des œuvres de Smith demande que nous définissions de nombreux termes, certains d'entre eux faisant l'objet de débats importants, puisque leur signification est essentielle à la compréhension de ces œuvres. Nous reviendrons sur ces définitions, à l'exception de celle de la «philosophie morale », qu'il convient de préciser tout de suite. Nous traitons ici de la philosophie morale comme de la branche de la philosophie qui a pour objet les questions éthiques. À ce sujet, Gert (2008) dans le Stanford Encyclopedia of Philosophy précise:

Following Aristotle, "ethics" is sometimes taken as referring to a more general guide to behavior that an individual adopts as his own guide to life, as long as it is a guide that one views as a proper guide for others. When a general guide to behavior that endorses self-interest as primary is put forward for aU ta foUow because acting in one's self interest is taken as fostering the interests of aU, then ethical egoism can be taken as a moral theory. (Gert, 2008)

D'autre part, qu'entendons-nous par l'œuvre d'Adam Smith? Nous nous concentrerons sur la Théorie et la Richesse, les deux seuls livres qu'il a publiés au cours de son existence, et auxquels il a consacré de nombreuses années de travail. La Théorie passa sous presse à six reprises, les deuxième et sixième éditions ayant présenté des modifications majeures (Macfie et Raphael, 1976, p. 14-16), tandis que la Richesse fut éditée cinq fois, la troisième édition comportant des ajouts majeurs.

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ADAM SMITH, FIGURE MARQUANTE DU SIÈCLE DES LUMIÈRES EN ÉCOSSE

Economie ideas are always and intimately a product of their own time and place; they cannot be seen apart from the world they interpret. And that world changes - is, indeed, in a constant process of transformation - so economic ideas,

if

they are to retain relevance, must also change.

Galbraith, Economies in Perspective: A Critical History, 1987, p. 1.

Le Siècle des Lumières en Écosse

Avant d'expliquer la philosophie morale de Smith, il convient de décrire le courant philosophique qui traversa l'époque durant laquelle il écrivit et d'énoncer les idées principales que défendirent les figures remarquables de cette époque. Nous proposerons donc, dans ce chapitre, un aperçu des idées marquantes de Francis Hutcheson et de David Hume. Nous dresserons également le portrait de la philosophie des stoïciens, car le Siècle des Lumières en Écosse voit apparaître un renouveau de l'intérêt pour le stoïcisme. C'est dans le chapitre suivant, portant sur la Théorie et la Richesse, que nous examinerons plus spécifiquement dans quelle mesure les écrits de Smith furent influencés par le stoïcisme, par Francis Hutcheson et David Hume et, globalement, par les idées et les événements qui favorisèrent l'avènement du Siècle des Lumières en Écosse. La portée de ce texte nous oblige à passer sous silence d'autres penseurs qui eurent, dans une moindre mesure, une influence

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Il

sur Smith, par exemple Lord Kames ou l'évêque Butler4• Le portrait de l'époque étant établi,

nous concluerons ce chapitre en présentant un aperçu de l'existence que mena Adam Smith.

Fondements philosophiques, religieux et scientifiques du Siècle des Lumières

À la fin du XVIIe siècles, l'Écosse est dirigée par une Église répressive et autoritaire, qu'on appelle Scottish Kirk. Le presbytérianisme, l'un des principaux groupes issus de la Réforme protestante du XVIe siècle, devient religion d'État en 1688. Il règne alors dans ce pays un climat de peur et d'intolérance, et les menaces de poursuites pour hérésie ou blasphème sont bien réelles. Le cas de Thomas Aikenhead, un jeune étudiant de l'Université d'Édimbourg, pendu en 1697 pour avoir mis en doute l'idée que la Bible ait été écrite par Dieu, illustre le climat de répression qui prévaut à ce moment. Celui-ci est condamné en vertu de la loi édictée en 1693 par l'Assemblée générale de l'Église d'Écosse, qui interdit l'athéisme des déistes (An Act against the atheistical Opinions of the Deists).

Le déisme6 est une position philosophique religieuse qui caractérisa le Siècle des Lumières en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. À mi-chemin entre l'athéisme et le théisme, qui désigne la croyance en un Dieu unique, extérieur à J'univers, cette philosophie religieuse veut que l'homme se fonde sur sa raison pour découvrir la nature de Dieu et les assises de la théologie. Grâce à sa raison, l'homme perçoit que le pouvoir de Dieu s'exprime par l'entremise de lois naturelles, qu'elles soient physiques ou morales. Cette intervention di vine se reflète dans le caractère impeccable de la structure et l' interconnectivité des phénomènes naturels. D'ailleurs, aucun miracle ou intervention divine ne peut violer l'ordre naturel des choses, puisque la Providence n'existe pas. En effet, la volonté de Dieu n'intervient pas dans Je quotidien de l'homme. Celui-ci se sert plutôt de sa raison pour connaître la vérité sur J'univers et comprendre son devoir au sein de cet univers. Il découvre ainsi que son obligation est de vivre une vie qui est conforme à son sens moral.

4 Macfie et Raphael (1976, p. 12), bien qu'ils admettent que Lord Kames et l'évêque Butler aient pu avoir une influence minime sur les œuvres de Smith, spécifient que, mis à part Hutcheson et Hume, Smith fut très peu intluencé par les philosophes moraux de son époque.

S Voir Clarke (2007) pour un portrait du Siècle des Lumières en Écosse.

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On retrouve des éléments de la position déiste dans l'Ancien Testament, comme chez Platon, Aristote, les épicuriens et les stoïciens. L'argument téléologique, qui veut que l'homme perçoive qu'une entité réfléchie et directive a conçu les processus et le fonctionnement de la nature, avait profondément influencé la chrétienté ancienne et constituait une des pierres angulaires de la philosophie stoïcienne? Soulignons que nous nous référerons parfois à l'argument téléologique en le nommant «argument du dessein intelligent », qu'il ne faut pas confondre avec la doctrine religieuse contemporaine du dessein intelligent, qui prône une sorte de créationnisme édulcoré, en construisant un argumentaire basé sur diverses découvertes dans le domaine des sciences naturelles. Ces découvertes, selon les adeptes du dessein intelligent que l'on connaît aujourd'hui, démontrent le caractère inadéquat des théories darwiniennes de l'évolution et constituent la preuve qu'il existe une force qui dirige

8 le fonctionnement de la nature .

L'argument téléologique disparut complètement avec Saint Augustin (354--430 av. 1.-c.). Celui-ci affirma que la conception qu'avaient les stoïciens du destin était erronée. Ils accordaient une importance démesurée au déterminisme, au détriment de la volonté propre, dont sont dotés les hommes et les anges. Saint Augustin, dans De Magistro, insista sur l'idée que Dieu était présent dans tout, y compris la volonté humaine, discréditant ainsi l'argument téléologique voulant que Dieu n'intervienne pas dans le quotidien de l'homme.

Il est vrai, toute âme raisonnable consulte cette divine sagesse; mais elle ne se révèle à chacun que dans la proportion de sa volonté, bonne ou mauvaise, et quand on se trompe, ce n'est pas la faute de la vérité consultée. Est-ce à la lumière extérieure qu'on doit attribuer les fréquentes illusions du regard corporel? Et ne consultons-nous pas cette lumière sur les choses visibles? Ne lui demandons-nous pas de nous les montrer autant que notre vue en est capable? (389, 11.38)

Cette omniprésence de Dieu fut remise en question lors de la révolution scientifique, qui, ayant débuté en Europe vers la fin du Moyen Âge, se prolongea durant la Renaissance et

7 « The Stoic God is immanent throughout the whole of creation and directs its development down to the smallest detail. » (Baltzly, 1996).

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marqua l'origine de la science moderne. Clarke (2007, p. 14-15) signale que la première remise en question importante vint de Copernic (1473-1543), qui posa les fondements de la cosmologie héliocentriste. L'œuvre de Copernic, De revolutionibus orbium coelestium, publiée tout juste avant sa mort, fut bannie par l'Église catholique. L' œuvre ne fut retirée de l'Index qu'en 1835, sous Grégoire XVI.

Le frère dominicain Giordano Bruno (1548-1600) remarqua que l'hypothèse de Copernic rendait inconcevable l'idée que le paradis se situe au-dessus de la terre. Il proposa l'idée d'un univers infini, qui ne laissait pas de place à une conception d'un Dieu englobant l'univers; il s'agissait en quelque sorte d'un retour au dessein intelligent puisque cette idée n'était pas compatible avec une divinité omnivoyante. Il n'y avait tout simplement pas de lieu désigné pour une telle divinité. Puis Galilée (1564-1642) formula la loi de l'inertie, qui repose sur l'observation qu'un objet demeure en mouvement tant qu'il n'est pas arrêté. Cela signifie que le mouvement est perpétuel; l'univers ne dépend donc pas de Dieu pour les affaires du quotidien. Finalement, Newton (1642-1727), dans ses Mathematical Principles of Natural Philosophy (1687), énonça que « This most beautiful system of the sun, planets, and cornets, could only proceed from the council and dominion of an intelligent and powerful Being », ce qui est conciliable avec l'idée d'une entité réfléchie ayant conçu le fonctionnement de la nature.

C'est précisément la méthode de Newton que Smith aurait entrepris d'appliquer à la philosophie morale. Fitzgibbons (1995, p. 127-128) indique qu'aux yeux de Smith le système mis en avant par Newton était supérieur à tout autre système et affirme même que Smith entreprit de réformer la société à l'image du cosmos newtonien. Campbell, qui abonde dans le même sens dans « Adam Smith' s Science of Morais» (1971), affirme que Smith voulait appliquer la méthode newtonienne à l'étude de la société (p. 21). À l'image de la gravité, la sympathie serait la force centrale qui fait tendre l'attitude des gens vers une harmonie sociale acceptable. Les passages suivants, tirés de l'Histoire de l'astronomie9, mettent en évidence l'admiration que Smith vouait à Newton:

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The superior genius and sagacity of Sir Isaac Newton, therefore, made the most happy, and, we may now say, the greatest and most admirable improvement that was ever made in philosophy, when he discovered, that he could join together the movements of the Planets by so familiar a principle of connection, which completely removed al! the difficulties the imagination had hithertofelt in attending to them. (Essais, par. 251)

His system, however, now prevails over al! opposition, and has advanced to the acquisition of the most universal empire that was ever established in philosophy. His principles, if must be acknowledged, have a degree of firmness and solidity that we should in vain look for in any other system. The most sceptical cannot avoid feeling this. They not only connect together most perfectly al! the phaenomena of the Heavens, which had been observed before his time, but those also which the persevering industry and more perfect instruments oflater Astronomers have made known to us; (Essais, par. 251)

Au moment où Smith écrivit la Théorie, l'Église catholique avait levé l'interdiction sur les œuvres de Galilée - bien que celui-ci ne fut réhabilité par le pape qu'en 1992! - et on assistait à un renouveau de l'intérêt envers les enseignements des stoïciens et de l'empereur Marc Aurèle. Parmi ceux qui ont ravivé la philosophie religieuse déiste à l'aube des Lumières, on retrouve John Locke, qui, dans An Essay Concerning Human Understanding (1690), a formulé une théorie de la connaissance basée sur l'expérience et a rejeté toute croyance en Dieu fondée sur des idées innées. Il a ainsi contribué à poser les fondements de la théologie naturelle moderne, étroitement associée au déisme, qui est fondée sur la raison et l'expérience.

Les stoïciens

On assista durant Je Siècle des Lumières à un renouveau de l'intérêt pour le stoïcismelo. Cette école philosophique, fondée par le philosophe grec Zénon au Ille siècle av. J.-c., avait disparu avec l'effondrement politique de l'Empire romain. Les stoïciens préconisaient de vivre selon la nature, où prévalait une harmonie cosmique, ou naturelle. Les aspects moraux du stoïcisme reposaient sur la distinction entre ce qui dépend de nous (nos pensées) et ce qui se produit dans la nature. Il faut accepter ce qui se produit dans la nature, et ne pas s'insurger contre des situations qui nous semblent douloureuses ou injustes, car nous n'y pouvons rien.

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Devant l'adversité, le sage obéit à la prescription « supporte et abstiens-toi ». Il reconnaît que chaque événement constitue un élément essentiel au fonctionnement de l'univers et promeut l'ordre général et le bonheur d'un tout.

The ancient stoics were of opinion, that as the world was govemed by the all-ruling providence of a wise, powerful, and good God, every single event ought to be regarded, as making a necessary part of the plan of the universe, and as tending to promote the general order and happiness of the whole: that the vices andfollies ofmankind, therefore, made as necessary a part of this plan as their wisdom or their virtue; and by that etemal art which educes good from ill, were made to tend equally to the prosperity and perfection of the great system ofnature. (Théorie, p. 33)

Dans la Rome antique, après Jésus-Christ, le stoïcisme prit une saveur plus politique. Épictète, Cicéron et Marc Aurèle sont les théoriciens phares du stoïcisme tel que conçu par les Romains. Ce dernier définit l'homme com,me un citoyen de l'univers dont les obligations morales sont intimement liées à son devoir de citoyen.

C'est une toute nouvelle branche du stoïcisme que l'on voit apparaître durant les Lumières en Écosse. Les penseurs de ce siècle adhèrent au stoïcisme chrétien, dont on attribue l'origine au philosophe Francis Hutcheson. L'originalité de cette branche du stoïcisme est qu'elle attribue à Dieu, et non au destin, la conduite des événements.

lnstead of employing this Stoic philosophy as a weapon against Christianity (... ) the Moderate literati followed Francis Hutcheson in using it as a foundation for a Christian Stoic approach to morality. With God instead of personal fate as the ultimate director of events and determiner of outcomes, Stoicism was stripped of its pessimistic, pagan attributes. (Sher, 1985, p. 325)

tmancipation du puritanisme religieux en tcosse

Le Siècle des Lumières en Écosse voit ce pays sortir de son climat de puritanisme religieux. En 1706-1707, les Actes d'Union marquent la création du Royaume-Uni de Grande­ Bretagne, et les parlementaires d'Écosse sont intégrés au Parlement de Londres. Ces Actes d'Union confirment l'indépendance de la loi et des cours de justice écossaises par rapport à l'Église d'Écosse. La transformation de l'Écosse s'accentue lorsque, dans les années 1750, le

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vent tourne en la faveur du Moderate Party, qui a entrepris de moderniser IÉglise. Dans les églises, la prédication sur l'enfer et la damnation est remplacée par des sermons polis sur la morale. Clarke (2007, p. 47) souligne que la publication de la Théorie, qui a lieu en 1759, est solidement ancrée dans une période marquée par la lutte des pouvoirs au sein du presbytérianisme écossais. À son avis, toute interprétation des commentaires de Smith à propos de la religion doit tenir compte de la tension entre les deux branches principales de l'église presbytérienne. Dans la Richesse, Smith qualifie ces branches de système austère et de système souple (austere and loose systems). La faction austère puritaine est surtout présente parmi la population pauvre et dans la région de Glasgow, tandis que les riches forment la majeure partie de la faction plus souple et progressiste, en vogue à Édimbourg.

La transformation de IÉglise au cours du XVIIIe siècle favorise donc une effervescence des idées philosophiques, lesquelles caractériseront le Siècle des Lumières en Écosse. Ces idées émanent de la volonté, chez les grands penseurs de ce siècle, de se libérer de l'austérité religieuse (McLean, 2006, p. 48). Morrow a décrit ce mouvement en 1927 dans « Adam Smith: Moralist and Philosopher », où il affirme que « Like the natural theology of the seventeenth and eighteenth centuries, the English ethics of this period was concerned with finding a rational foundation for morality, a foundation independent of theoJogy or ecclesiastical authority » (p. 336). Ainsi, Francis Hutcheson d'abord, et Adam Smith, David Hume et Adam Ferguson ensuite, entreprirent d'ériger des fondements de la morale indépendants de la religion.

Francis Hutcheson

Francis Hutcheson (1694-1746), né en Irlande d'une famille presbytérienne écossaise, est sans conteste le premier philosophe important des Lumières en Écosse". Comme Adam Smith, sa carrière est étroitement liée à l'Université de Glasgow, où il étudie de 1711 à 1717. En 1729, il obtient le poste de titulaire de la Chaire de philosophie morale. Lors de son discours inaugural, Hutcheson annonce qu'il poursuivra la tradition de son prédécesseur,

II Pour des références biographiques sur Hutcheson, voir Ross (1995). Au sujet de sa philosophie morale, voir Macfie et Raphael (1976).

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Gershom Carmichael, en ce qu'une partie importante de son cours sera basée sur la tradition stoïcienne classique, ainsi que sur une analyse de la nature sociale de l'homme et sur une théorie de la jurisprudence naturelle12. Il s'agit, selon Ross (1995, p. 52), d'une dénonciation à peine dissimulée de l'idée selon laquelle la nature humaine est intrinsèquement égoïste et que seule la société civile ou politique peut la contrôler. Hutcheson formula donc dans son discours inaugural une critique du calvinisme ancien (old light calvinism).

Les enseignants qui adhéraient au calvinisme ancien donnaient leurs cours en latin; leur enseignement était augustinien en ce qu'il reposait sur l'idée qu'il y a un clivage profond entre les passions humaines, infectées par le péché, et J'ordre divin, illuminé par la grâce. Hutcheson fut l'un des premiers à enseigner en anglais. Son approche, la théologie nouvelle (new light theology), contribua à faire de l'Université de Glasgow un des bastions des Lumières. Toutefois, ses méthodes progressistes ne furent pas saluées par tous. En effet, en 1738, Hutcheson fut accusé d'hérésie par Je consistoire de Glasgow parce que ses étudiants avaient dénoncé le fait qu'il enseignait que les humains possèdent un sens moral inné, indépendant de la volonté de Dieu (Robert Scott [1900] 1996, p. 83-84). Nonobstant cet épisode malheureux, on reconnaît aujourd'hui Francis Hutcheson comme le père des Lumières en Écosse, tant à cause de ses méthodes novatrices que grâce à l'influence qu'il

exerça sur ses élèves. Thomas Reid et Adam Smith comptent parmi les élèves à qui il enseigna à l'Université de Glasgow, où il travailla jusqu'à sa mort en 1746.

Hutcheson, qui était pasteur presbytérien, intégra les fondements du presbytérianisme dans sa philosophie morale, comme le firent tous les grands penseurs des Lumières en Écosse. Ceux­ ci ne pouvaient s'extraire de l'histoire religieuse de leur pays. Toutefois, nous avons vu que Hutcheson, loin d'adhérer à un presbytérianisme sclérosé, fut à J'origine d'un stoïcisme christianisé. Cette vision conçoit le fonctionnement du monde comme le résultat d'un dessein intelligent, pensé par un Dieu bienveillant qui prescrit que le meilleur geste à poser est celui qui permet d'accomplir le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Notons à ce titre que, quelques années plus tard, Jeremy Bentham (1748-1832) développera une première

12 Smith dans la Théorie définit ainsi la jurisprudence naturelle: « those principles which ought to ruin (sic) through, and be the foundation of, the laws of ail nations; » (p. 342).

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analyse systématique de l'utilitarisme, fondée sur «le plus grand bonheur du plus grand nombre d'individus ».

Pour Hutcheson, l'acte moralement bon est celui qui est motivé par la bienveillance et le désir de rendre heureux. Il estimait que les humains sont capables de compassion, de générosité et de bienveillance, et ce, sans égard à leur intérêt personnel. À quoi Hutcheson attribuait-il notre connaissance de ce qui est moralement bon? À notre sens moral. Ce sens, commun à tous les humains, constitue une sorte de sixième sens grâce auquel nous percevons le vice et la vertu, et ressentons du plaisir ou de la douleur'3. Hutcheson croyait que la raison ne peut être à l'origine de nos jugements moraux ni de notre motivation à agir de façon moralement correcte. En fait, la raison joue un rôle secondaire, en ce qu'elle nous fournit les outils pour atteindre les buts que nous nous sommes fixés, et qui sont conformes à ce qui est moralement bon. Parce que ce système philosophique tient pour acquis que la recherche de la vertu constitue la quête centrale de l' homme, ce qui présuppose tout de même une confiance en la raison, sans toutefois s'intéresser à une observation rigoureuse du comportement humain, il a été critiqué par de nombreux philosophes, incluant David Hume, qui estimait qu'il n'était pas fondé sur des bases empiriques.

David Hume

David Hume (1711-1776)'4 commença ses études universitaires à Édimbourg à l'âge de onze ans. Dès lors, il amorça son apprentissage pour devenir philosophe, bien qu'à l'âge de 23 ans, il fit un court détour dans le monde des affaires, comme commis pour un importateur de sucre à Bristol. Ses œuvres philosophiques majeures sont: Traité de la nature humaine (1739), Enquête sur l'entendement humain (1748), Enquête sur les principes de la morale (1751) et Dialogues sur la religion naturelle (1779, posthume). Une Histoire d'Angleterre en six

13 En réalité, chez Hutcheson il y a plus de six sens. S'ajoutent aux cinq sens conventionnels le sens public (public sense), grâce auquel la joie des autres nous réjouit, tandis que leur misère nous rend mal à l'aise, et le sens de l'honneur, suivant lequel l'approbation des autres nous remplit de joie (Broadie, 2005).

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volumes, publiée entre 1754 et 1762, figure également parmi ses œuvres importantes. Il s'agit d'un des plus grands, sinon du plus grand, philosophes de langue anglaise.

Bien que le Traité n'ait pas été aussi populaire qu'il l'eut souhaité, c'est avec ce livre que se

forgea sa réputation d'athée et de sceptique, fondée sur sa critique de la théologie naturelle et du rationalisme moral. Par conséquent, Hume n'occupa jamais de poste universitaire: on lui refusa la Chaire d'éthique et de philosophie spirituelle (pneumatical philosoph/5) à l'Université d'Édimbourg en 1745, puis la Chaire de logique à l'Université de Glasgow en 1751. Il occupa divers emplois durant sa carrière, incluant celui de bibliothécaire (1752­ 1757), de secrétaire à l'ambassade de France (1763-1766) et de sous-secrétaire d'État (1767-1768).

La conception philosophique majeure qui opposait Hutcheson et David Hume remonte à la Grèce antique, alors que stoïciens et épicuriens alimentèrent une des disputes fondamentales de la philosophie ancienne: Le sens moral est-il artificiel ou naturel? Les stoïciens croyaient que la morale était naturelle à l'être humain, dont les choix de vie doivent être conformes à l'ordre naturel qui sous-tend le monde entier. Pour les épicuriens, les êtres humains tendent naturellement à poursuivre leur intérêt personnel. Le sens moral est un artifice qui leur permet de ne pas céder aux pulsions qui pourraient les anéantir (Haakonssen, 2006, p. xi).

Avec l'avènement de la philosophie moderne et le Siècle des Lumières, on vit apparaître en Grande-Bretagne les néo-épicuriens, parmi lesquels on retrouve Thomas Hobbes (1588­ 1679) et David Hume. Leur point commun était de considérer le sens moral comme un artifice, une invention destinée à contrôler l'intérêt personnel. Chez eux, point de sens moral inné. Hume concédait qu'il existe un certain sens moral naturel chez l'être humain, qui assure la cohésion des petits groupes sociaux, tels que les noyaux familiaux. Toutefois, seule la justice pouvait encadrer la poursuite de l'intérêt personnel au sein de groupes plus

15 Lalande, dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie (1962, 9" ed.), indique que Je terme

« pneumatique» est tombé en désuétude. Il faisait référence, à l'origine, à «la connaissance spéculative de l'âme [laquelle] dérive en partie de la théologie naturelle et en partie de la théologie révélée » (p. 784).

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importants, tels que la société civile. Pour Hume la justice, bien qu'artificielle, a surgi spontanément comme pratique chez les gens.

En somme, il y a chez Hume les vertus artificielles (la justice) et les vertus naturelles (la bienveillance). Hume rejoignait les idées de Hutcheson lorsqu'il affirmait que la bienveillance constitue une motivation naturelle à l'homme. Toutefois, il estimait qu'il existe d'autres motivations que la bienveillance pour procéder à des actions vertueuses, comme la justice. D'autre part, Hume a fourni une explication à l'approbation morale, ou ce qui fait en sorte que les actions vertueuses provoquent un sentiment d'approbation. Cette explication varie selon qu'il s'agit d'une vertu naturelle ou artificielle. C'est la sympathie qui explique que l'on approuve une action naturellement vertueuse: « The spectator takes sympathetic pleasure in the happiness that natural virtue, such as benevolence, tends to produce, and his approval is an expression of that sympathetic pleasure » (Macfie et Raphael, 1976, p. 13). Selon Hume, la sympathie se manifeste généralement par le partage du plaisir ou de la douleur que ressent un individu affecté par une action.

Quant aux vertus artificielles, notre approbation morale dépend ultimement de leur utilité; on évaluera, par exemple, dans quelle mesure les règles de la justice contribuent à promouvoir le plus grand bien de la société. Ainsi, notre approbation morale des vertus artificielles dépend également de la sympathie. Il s'agit ici de la sympathie que nous éprouvons pour le bien-être de la société.

Il importe de spécifier que, bien que Hobbes et Hume aient pu avoir comme point commun de considérer le sens moral comme un artifice, il subsistait entre eux de profondes divergences. D'ailleurs, l'école de pensée égoïste (selfish schoof), à laquelle Hobbes est rattaché, figure parmi les trois écoles majeures qui font l'objet de critiques dans les œuvres de Hume. Celui-ci, dans le Traité, propose une méthode pour réformer la philosophie, qui consiste à rejeter tous les systèmes qui ne sont pas fondés sur des faits et observations. Suivant cette méthode, le premier système à rejeter est celui de Hutcheson, selon qui l'atteinte de la vertu constitue l'objectif le plus louable que peuvent poursuivre les êtres humains.

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Ainsi, dans le Traité, Hume rejette la conception selon laquelle les humains sont mus par des désirs, des sentiments ainsi qu'un sens moral inné. Selon lui, l'expérience et les observations suffisent pour invalider cette analyse de la nature humaine. Le second système qu'il critique est l'école du rationalisme moral (Samuel Clarke, John Locke, William Wollaston), d'après laquelle les humains sont des êtres raisonnables, qui sont à la recherche des principes qui régissent leur compréhension du monde. Il s'agit d'une vision qui glorifie la raison en ce qu'elle permet de déceler les vérités cachées qui posent, au-delà de tous doutes, les fondements rationnels de nos jugements moraux.

Finalement, Hume critique l'école de pensée égoïste, pour qui la morale est soit totalement illusoire (Bernard Mandeville), soit mue par des considérations d'intérêt personnel (Hobbes). Hume maintient que, sans égard à l'importance que ['on accorde à l'intérêt personnel, il ya des situations où nous agissons par bienveillance, non par indifférence. Notre sentiment de bienveillance ne dépend pas ultimement de notre intérêt personnel. Il est vrai que, lorsque nous agissons de manière à rendre les autres heureux, nous en retirons du plaisir. Les motifs qui régissent notre comportement combinent alors la bienveillance et le plaisir.

Macfie et Raphael (1976) soulignent que, parmi les penseurs contemporains, c'est David Hume qui exerça la plus profonde influence sur le développement de la théorie éthique de Smith: « Smith rejects or transforms Hume's ideas far more often than he follows them, but his own views would have been markedly different if he had not been stimulated to disagreement with Hume» (p. 10). Par conséquent, la rencontre de Hume et Smith en 1750, qui mena à une relation de profonde amitié, figure parmi les événements significatifs de la vie de ce dernier qui apportent un éclairage sur l'ensemble de son œuvre.

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Vie d'Adam Smith

Le portrait que dresse Ian Simpson Rossl6 d'Adam Smith est celui d'un homme souffrant d'hypocondrie, parfois très distrait, mais surtout d'un homme bienveillant, généreux, attaché aux valeurs familiales et soucieux d'accomplir un travail impeccable. Se sentait-il investi d'une mission, en vertu de laquelle il rédigea son œuvre de philosophie morale et son traité d'économie politique sans se soucier de la notoriété qui en découlerait? Dugald Stewart, auteur de la première biographie exhaustive de Smith (Account of the Life and Writings of Adam Smith, 1793) évoquait un higher motive, une volonté transcendante de révéler des

vérités d'une signification profonde pour l'humanité. Au moment de sa mort, Smith aurait préféré brûler ses œuvres afin de ne pas obscurcir ces vérités (Ross, 1995, p. 404). Si cette idée étonne, il demeure que Smith ne semble pas avoir cherché la gloire en rédigeant ses livres. Il devint fonctionnaire des douanes quelques années avant sa mort et termina ses jours dans la maison de sa mère, avec qui il vécut d'ailleurs une grande partie de sa vie.

L'étudiant

Adam Smith naquit en 1723, d'une mère veuve. Adam Smith père, qui était mort quelques mois plus tôt17, avait terminé sa vie comme commissaire des douanes. Tel serait le destin de son fils. Le lieu de sa naissance, Kirkcaldy, se trouve sur la côte est de l'Écosse. Au moment des Actes d'Union de 1706-1707, les villes de la côte ouest profitèrent de l'expansion du commerce international - les lois anglaises sur la navigation (English Navigational Acts) avaient jusque-là interdit aux navires écossais de faire du commerce international - et de l'abolition des barrières tarifaires qui auparavant avaient été imposées par le gouvernement de l'Angleterre. Le port de Glasgow devint un des quatre ports importants de la Grande­ Bretagne, avec Bristol, Liverpool et Whitehaven. Les villes de l'Est (la plus importante étant Édimbourg) subirent les contrecoups de ce déplacement du commerce vers l'Ouest. Il semble

16 Tel que mentionné précédemment. la biographie d'Adam Smith par Ian Simpson Ross est la plus complète qui

ait été écrite. Il s'agit d'un ouvrage de référence parmi ceux qui étudient Smith. La plupart des notes biographiques sont tirées de cet ouvrage. Voir aussi Rae (1895) et McLean (2006).

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que la région administrative de Fife, et en particulier la petite ville de Kirkcaldy, ait connu moins de répercussions grâce au commerce du sel, dont la demande était constante dans le reste du pays.

À l'âge de quatorze ans, Smith quitta sa ville natale pour aller étudier à l'Université de Glasgow; la raison pour laquelle il s'inscrivit à cette université plutôt qu'à celle d'Édimbourg, plus près, demeure obscurel8 . McLean (2006, p. 2) note qu'il s'agit néanmoins d'un choix heureux en raison de l'environnement intellectuel stimulant qui y régnait et du foisonnement des idées qu'on y observait alors. Ross (2005, p. 37) raconte que la tradition voulait que l'on débatte de politique à l'Université de Glasgow, ce qui influença Smith à prendre position en faveur de la liberté naturellel9 . De surcroît, il y avait à l'université un nombre important de presbytériens irlandais, sensibilisés à la politique à cause de leur connaissance de la lutte des Dissenters (dissidents protestants) d'Irlande pour leurs libertés civiles et religieuses. Ross (1995) résume ainsi ce que Smith retira de ses études à Glasgow: « in a city of diverse and burgeoning economic Iife, he became part of an academic body to which he could give his loyalty as a kind of citizen, and whose teachers opened to him exciting new scenes of thought » (p. 39).

Les années durant lesquelles Smith étudia à Glasgow se déroulèrent ainsi: la première année fut consacrée à l'étude de la logique et de la métaphysique, ainsi qu'aux cours de grec et de géométrie. Au cours de cette première année, Adam Smith fit la connaissance de Francis Hutcheson, qui lui enseigna la philosophie spirituelle (pneumatics). Ross (1995, p. 52-54) indique que Hutcheson avait modifié le cursus traditionnel de ce cours pour en faire un cours de théologie naturelle2o. Au cours de l'année suivante (1738-1739), Smith étudia la

18 Au XVIIIe siècle, l'Écosse comptait quatre universités: Édimbourg, Glasgow, St Andrews et Aberdeen. L'Angleterre en comptait deux, plus importantes: Oxford et Cambridge.

19 La célèbre Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot définit ainsi

« Liberté naturelle» ou « Droit naturel»: « droit que la nature donne à tous les hommes de disposer de leurs personnes & de leurs biens, de la manière qu'ils jugent la plus convenable à leur bonheur, sous la restriction qu'ils le fassent dans les termes de la loi naturelle, & qu'ils n'en abusent pas au préjudice des autres hommes. Les lois naturelles sont donc la règle & la mesure de cette liberté; car quoique les hommes dans l'état primitif de nature soient dans l'indépendance les uns à "égard des autres, ils sont tous sous la dépendance des lois naturelles, d'après lesquelles ils doivent diriger leurs actions. »

20 Le prédécesseur de Hutcheson, Gershom Carmichael, avait enseigné les pneumatics selon la vieille approche,

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philosophie morale dans le cadre de leçons quotidiennes données par Francis Hutcheson, qui accordait une place importante aux philosophes grecs et en particulier aux stoïciens. Sa dernière année d'études fut consacrée à la philosophie naturelle (natural philosophy), et tout spécialement aux progrès scientifiques d'Isaac Newton.

Nous avons vu que l'enseignement de Hutcheson à Glasgow aura une incidence majeure sur l'avènement des Lumières en Écosse et une influence importante sur les œuvres de Smith. En 1787, au moment d'être élu recteur de Glagow à titre honorifique, Smith se référera ainsi au titulaire de la Chaire de philosophie morale: «the never to be forgotten Dr Hutcheson » (Correspondance ofAdam Smith, lettre 274).

À l'âge de 17 ans, Smith fut nommé boursier par l'Université de Glasgow. L'objet de la bourse, de la fondation Snell, était de fournir un soutien financier aux étudiants qui souhaitaient se préparer pour l'ordination par l'ÉgI ise d'Angleterre, dans le but de les voir propager la doctrine en Écosse. Smith, qui de toute évidence n'allait pas se voir administrer Je sacrement de l'ordre, entreprit donc des études à l'Université d'Oxford, où il fut admis comme membre (jellow) du Balliol College, le 4 juillet 1740. Le cursus de l'Université d'Oxford était similaire à celui de Glasgow; on y enseignait la logique en première année, l'éthique en deuxième année et, en troisième année, la physique. Toutefois, Ross (1995, p. 70) présume qu'aux yeux de Smith la Il)éthode d'enseignement à Oxford parut ancienne et peu audacieuse. Par exemple, il n'était pas question dans les cours de notions économiques, sujet qu'avait abordé Francis Hutcheson. En général, l'enseignement le stimula peu, et les examens lui semblèrent faciles. Smith décrivit ainsi la situation qui prévalait à cette université: « it will be his own fault if anyone should endanger his health at Oxford by excessive Study, our only business here being to go to prayers twice a day, and to lecture twice a week » (Correspondance ofAdam Smith, lettre 1).

Ainsi, lesfellows se la coulaient douce durant cette période antérieure au renouveau religieux des années 1840, qui allait amener une plus grande rigueur dans l'enseignement. Ils consacraient leur temps aux voyages, ou à des lectures de leur choix. Ross (1995, p. 77) indique que Smith a profité de ses six années à Oxford pour entreprendre de nombreuses

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