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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Technologie et technologies : idéologies et réalités

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Academic year: 2021

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TECHNOLOGIE ET TECHNOLOGIES: IDÉOLOGIES ET RÉALITÉS

Anne-Françoise SCHMID LN.S.A. de Lyon

MOTSCLÉS: TECHNOLOGIE DOMAINE RÉSEAUX SCIENCES DE L'INGÉNIEUR -POSTURE HUMAINE - ILLUSION

TRANSCENDANTALE-MULTIPLICITÉ DES PHILOSOPHIES

RÉSUMÉ : Nous montrerons que le concept de technologie, qui est un mélange en réseaux des domaines classiques, ne détruit pas ceux de science, de technique, de philosophie. Cette hypothèse suppose que l'homme n'est identifiable

à

aucun de ces ordres et les précède. Nous proposons une conception multiple et non-relativiste, mais contingente de ces ordres. Nous formulons des thèses sur l'air du temps "technologique", les limites de ce concept, enfin sa contingence par rapport à l'humain.

SUMMARY : We shall demonstrate that the concept of technology, which is a hybrid network of classical realms, does not destroy the concepts of science, of technique, of philosophy, etc. This hypothesis follows from the idea that man precedes these orders and cannot he identified with any of them. We shall put forward a conception of these orders as multiple and non-relativist, but contingent. Theses concerning the mores of "technology", as weil as the limits of this later concept, and finally its contengency relative to the human, will be formulated.

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1. INTRODUCTION

L'ensemble de questions posées par le colloque: la ou les technologie(s) nous projette à la fois dans

un monde quotiilien et dans une généralité abstraite.

Ce

contraste est visible dans les cercles auxquels

le concept de " technologie" nous engage. Par exemple: Que la vie quotidienne soit marquée par la technologie produit l'évidence que la technologie existe. Si la technologie existe, elle somme l'homme de requérir pour morale les lois du marché.

Il ne s'agit pas ici de démêler cet écheveau: il y aurait toujours un objet ou un phénomène "technologique" pour renouer ces nœuds. Nous proposons quelques thèses ou hypothèses, classées en trois groupes. Le but de cet ensemble est de suggérer la distinction des niveaux "humain" et "technologique", ce qui est une façon de rompre le cercle.

Le premier groupe aura pour fonction de décrire l'air du temps (" Zeitgeist") technologique. Le second déterminera les limites de cette caractérisation, dont la différence "la" ou "les" technologies est l'une des marques. Le troisième groupe proposera un autre usage du concept de " technologie" où l'homme n'est plus considéré comme" victime" ou effet de ses actes.

Les thèses sont abstraites. C'est pourquoi elles seront suivies d'un scholie, soit d'un loisir, plus concret, qui mette en œuvre certains aspects de la thèse.

2. PREMIER GROUPE D'HYPOTHÈSES L''' AIR DU TEMPS" TECHNOLOGIQUE

Thèse 1. La technologie se distingue de la science et de la technique: elle les rassemble dans une

logique qui ne dépend ni de l'une, ni de l'autre. Aucun objet de production contemporain, dans son mode de conception, de service, de maintenance et de distribution, ne pennet de distinguer simplement ce qui relève de la science, ce qui relève de la technique. On aborde donc parfois la technologie comme une synthèse de la science et de la technologie sous l'horizon de la politique et de l'économie.

Scholie: Les objets contemporains ne sont plus spécifiques dans leur usage. Les fonctions de la télévision ou l'ordinateur ne sont pas visibles dans leur forme extérieure, alors que l'on peut raisonner sur la fonne d'un marteau pour comprendre son usage.

Thèse 2. Les machines industrielles sont remplacées par les réseaux de la technologie. Scholie: Les machines actuelles ne peuvent sont plus détruites par les ouvriers comme

à

l'époque du luddisme, où l'outil de travail était identifiableà la fois comme appartenant au patron et comme pennettant la transfonnation du travail en plus-value. Elle se présentent de façon à la fois effectives et idéologiques, puisque plongées dans un réseau où la localisation de ce que l'on appelait" machine" devient problématique.

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Thèse3. Latechnologie se réalise sur des objectifs plutôt que dans des domaines. Les réseaux sont des mixtes d'imaginaire et de concret, de technique et de science, d'économie et de politique, et semblent dépasser constamment l'action humaine. La technologie est souvent vécue comme un produit totalisateur de l'homme dont il serait la propre victime, puisque réduit àl'un ou l'autre de ses nœuds.

Scholie: Les réseaux supposent des conflits sociaux apparemment plus doux que les machines industrielles: des guerres de leurres et de contre-leurres, des productions de virus et de toute une nosographie complexe qui permet l'innovation de protection et de réparation. Les conflits sont stratégiques, et supposent une maîtrise précise des corps et des esprits pour poursuivre les réseaux. La violence des cadres est plus cachée et plus endémique que celle du luddisme: ce monde des non-machines ne peut plus susciter la révolte, puisque ceux qui pourraient la faire renaître en sont exclus. C'est l'un des visages de la technologie que de rendre l'opposition futile ou impossible: la machine s'est soustraite à sa propre destruction.

Thèse 4. Latechnologie un réseau d'hommes et de femmes, pas seulement de matériaux et d'idées, où tout mélange relance un autre mélange, selon des hiérarchies matérielles et sociales complexes.

Scholie: Les modes de différenciation des objets et services contemporains supposent que l'on organiseàla fois le management des produits et celui des hommes. La recherche est elle aussi devenue une pratique scientifique, organisée selon des principes post-industriels ou "technologiques".

Thèse

5.

Cet air du temps nous parle de mondialisation, d'adaptation, d'éthique technologique. Cet affect est difficilement dépassable, parce que nous ysommes plongés. Sous cet aspect global et totalisateur, la technologie a tous les traits d'une apparence, oudece que l'on appelle, en philosophie, depuis Kant, une" illusion transcendantale ".

Scholie: Une apparence ne qualifie ni ce qui existe ni ce qui n'existe pas, mais un phénomène pensé ou reflété dans des formes ou des ou des proportions modifiées et

disproportionnées. Le concept de " technologie" désigneàla fois des phénomènes concrets et déterminés et d'énormes généralités,àfonction idéologique, qui faitde l'homme un être prothétique, fruits de ses propres artifices technologiques.

Thèse 6.La forme objective et épistémologique de cette apparence a été nommée .. technoscience ". Celle-ci fait delatechnologie un mélange indissociable des sciences et des techniques, et ne voitla science dite" pure" que comme conséquence ou effet particulier de ce mélange.

Scholie: Latechnoscience est une catégorie qui permet de rendre compte de beaucoup de transformations de notre monde, en particulier de celles qui concernentàla fois la pratique scientifique et son insertion dans la vie sociale. Elle se présente comme un

concept quasi contemporain

pour

comprendre les liens entre escalade technologique,

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politique scientifique et stratégie internationale. Elle donne lieu

à

un tout nouveau genre d'épistémologie, où les interfaces sont plus imponantes que les concepts spécifiques. Ces six premières thèses proposent un état

des lieux, partiel bien évidemment, une sorte de

métaphysique des mœurs technologiques. Nous allons dans la suite énoncer des thèses qui ne contredisent pas celles-ci, mais cherchent à les déterminer dans leurs limites plutôt que dans leur fonctionnement global, qui fonne une apparence ou une illusion transcendantale.

3. DEUXIÈME GROUPE D'HYPOTHÈSES : LES LIMITES DE LA TECHNOLOGIE

Thèse7,sur la méthode.li n'est pas nécessaire décrire les mélanges par d'autres mélanges. Que les produits de la technologie rendent impossible le partage entre science et technique ne signifie pas nécessairement la mon des concepts de science et de technique.

Scholie: C'est un préjugé tout naturel de penser que la science doit ressembler

à

la nature, ou du moins la représenter, ou que la pensée de la science doive répéter la science à un niveau plus général.

La

technologie elle-même, dans ses contraintes finies, nous en a détrompés: les ordinateurs puissants peuvent simuler des modèles extrêmement nombreux pour le" même" objet, et l'on choisit parmi ces modèles ceux qui coïncident le mieux avec des mesures effectives. Ces modèles peuvent reposer sur des hypothèses contradictoires. Ils ne sont donc pas une représentation de leur objet.

Thèse 8.

La

technologie s'occupe des modèles plutôt que de théories. Il y a une différence fondamentale entre l'usage et l'articulation de modèles en tant qu'ils entrent dans la solution d'un problème fini et la technologie en tant qu'elle prolonge indéfiniment les réseaux. Cette précision pennet de "dualiser" le concept de technologie entre procédure finie et catégorie générale:iln'est pas nécessaire de mélanger ces deux aspects. Les pratiques des sciences de l'ingénieur ne doivent pas se <.:onfondre avec une idéologie.

Scholie: La finitude des problèmes résolus par les sciences de l'ingénieur et les sciences génériques échappe au concept de technoscience, ou ne permet de les expliquer que comme juste milieu entre analyse et projet, ou théorie et pratique, ce qui relance indéfiniment le cercle technologique.

Thèse 9.

La

catégorie de technologie n'est pas aussi nouvelle qu'on le croit. Il est possible de montrer, en particulier en faisant l'analyse des sciences lourdes (l'expérimentation au CERN par exemple), qu'elle est le renversement et l'intensification de la vieille opposition qui traversait les sciences dans l'épistémologie classique (priorité de la théorie ou de l'expérience).

Scholie:

La

culture contemporaine procède beaucoup par agencements de fragments et mélanges et collages entre domaines. Cela n'est évidemment pas plus mal que ne l'était

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l'organisation par idées et par sens à la façon classique. Mais ces synthèses sauvages peuvent aussi avoir des effets de pouvoir arbitraires ou sectaires: soit le New Age.

Thèse JO.La notion de technologie a donc des racines anciennes, déjà présentes dans les premiers dialogues qui structure la science moderne.

Scholie: Lorsque Galilée veut montrer la pertinence de sa loi de la chute des corps, aucune observation directe ne peut en convaincre. TI élabore des montages qui permettent d'éliminer comme non pertinent le frottement de l'air. C'est une procédure complexe, qui suppose l'articulation des mathématiques, du théorique et de l'expérience. La technologie établit une nouvelle hiérarchie entre ces ingrédients et les multiplie (modélisation, simulation).

Thèse Il. Le visage actuel de la "technologie" se confond avec la globalisation et à la totalisationet laisse dans l'ombre la finitude des problèmes techniques. De plus, il fait des réseaux les plus empiriques une règle morale: il faut s'adapter, être excellent, entrer en compétition, dans un monde décrit par ailleurs comme de plus en plus civilisé, où l'on parle "humainement" des problèmes psychiques et individuels.

Scholie: Nous pensons donc plus prudent de parler des technologies que de la technologie. Cette nuance met en évidence un problème crucial, celui de la hiérarchie de l'homme et des non-machines (ou machines technologiques).

Thèse 12. Certains penseurs de la technoscience se sont souciés de ces aspects, et ont vu dansla catégorie de technoscience ce qui relève du calcul (de la " transcendance noire" - Gilbert Hottois),et la dans celle de culture ce qui relève du logos. Ainsi la finitude des problèmes techniques et scientifiques n'est pas prolongée dans le logos. Mais la science se trouve alors inférieure à la philosophie: comme l'a souligné Heidegger, "la science ne pense pas comme la philosophie ".

Scholie: La science apparaît sous les formes de la" barbarie" (Michel Henry), L'éthique devient une éthique des victimes de la technoscience, et des stratégies politiques, économiques qui l'accompagnent. Le discours vise alors à limiter la science, ce qui est un leurre à la fois stratégique et pratique.

Dequelque façon que nous nous tournions, nous retrouvons les mêmes difficultés: ou bien nous repoussons la science dans la technologie pour comprendre son investissement général de tous les domaines de la vie, ou nous cherchons à limiter la technologie dans ses effets culturels, mais alors nous sommes ses "victimes" - ce que les éthiques de la responsabilité ou de la discussion cherchent à dépasser à leur manière.

(6)

4. TROISIÈME GROUPE D'HYPOTHÈSES:

CONTINGENCE DE LA TECHNOLOGIE

Nous proposons de .. philosopher par hypothèses": les thèses proposées dans la suite ne " ressemblent" pas à ce qu'elles décrivent, mais tentent de rendre compte d'une multiplicité nouvelle. L'idée générale de ces thèses est de ne plus donner de valeur ontologique à la notion de technologie, mais plutôt valeur de guide méthodologique et de matériau pour la pensée.

Thèse13. Nous n'observons ni de science pure, ni de technique pure, ni de philosophie pure. Mais nous admettons qu'il y a de la science, de la technique, de l'éthique, de l'esthétique. Cette attitude suppose une posture plutôt que des critères.

Scholie: La technologie devient alors le visage d'unartpour un autre, une sorte de

représentation sans image ni sens de la science dans la technique, de la technique dans l'art,de l'éthique dans la philosophie, etc. selon toutes les perspectives possibles. La technologie est la forme moderne des problèmes, et l'on comprend que l'ingénieur puisse en être le modèle, et même le modèle "démocratique".

Thèse 14. Ces postures sont de purs postulats humains, humains parce qu'ils posent que l'homme peut rencontrer la science, la philosophie, l'art, la technique sans être préfonné par eux. L'homme n'est plus victime de lui-même, et la pensée n'est plus réservée à la seule philosophie.

Scholie: Il n'est plus alors nécessaire d'avoir peur de la science ou de la technique. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas prendre au sérieux les problèmes qu'elles posent: ils peuvent renouveler les problématiques éthiques sur la torture, les droits de l'homme, la condamnation de certains types de connaissances, les différences raciales ou sexuelles.

Thèse 15. Les écrits sur la "technologie" peuvent devenir un matériau pour penser de façon plus moderne et plus multiple la science, la technique, l'éthique. La critique du concept de technologie consiste juste en un changement de niveau des problèmes qui touchent l'homme et les ordres auxquels il participe.

Scholie: L'homme ne peut être réduit à l'un de ces ordres: l'interprétation du monde en domaines ou en réseaux est contingente, mais non arbitraire. Dès que le concept d'homme est mêlé à ces ordres, il devient un être technologique, mélange à la fois passif et actif ou patchwork de ces ordres. Cette identification de l'homme en fait un objet, et rend impossible sa posture vis-à-vis des effets de son action.

Thèse 16. Les technologies recouvrent alors des activités précises, finies, défmissables par des contraintes déterminées. Les ingénieurs font un tel travail, et il est possible que toute la recherche moderne se fonde progressivement dans cette forme. Il n'est pas nécessaire d'en conclure que l'homme est fondu dans un réseau.

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Scholie: soit un problème précis, articulation de science, de technique, d'organisation industrielle. Soit un article duJournal of Tribologyparu en avril 1999 et conçu dans un laboratoire de l'LN.S.A. de Lyon (CASM; Auteurs: Adeline Bourdon, Daniel Play, Jean-François Rigal). Les engrenages y sont conçus dans leur environnement et non comme pièces séparées, les problèmes mécaniques sont traduits dans des modèles d'analyse numérique, ce qui les transforme en méthodes génériques, applicables dans de très nombreuses situations. Une telle démarche mène de front recherche scientifique, technique et industrielle, mais sans détruire ni la science, ni la technique, ni même la philosophie. Elle modifie simplement les oppositions admises entre local et global, car elle remplace une pratique d'application à l'intérieur d'un domaine -compris habituellement comme une particularisation -,

à

une pratique générique, dépendante non des domaines mais des conditions d'application.Lacartedes sciences par domaines est recouverte d'une autre carte des sciences et des techniques, où les méthodes ne dépendent plus des axiomes de chacun des domaines, mais de conditions d'application qui supposent la compatibilité de connaissances fondamentales hétérogènes. Le "paysage" des sciences est ainsi rendu "hypercomplexe", et les notions de domaines comme celle de réseau peuvent fonctionner comme "obstacles épistémologiques" s'ils sont absolutisés, et compris comme des règles d'explication de la science ou de la technique.

5, MODE D'EMPLOI

La lecture de cette suite de thèses prend sens si l'on admet

à

la fois que la philosophie est contingente, mais que, si elle existe, sa multiplicité est nécessaire et infinie. Si l'on pense qu'un point de vue philosophique est meilleur qu'un autre, hors conjoncture, on reconstruit implicitement une hiérarchie entre domaines scientifiques et techniques, qui en exclut d'autres, en fonction des modèles ou des exemples historiques choisis. L"'application " d'une philosophie à un domaine empirique ou aux autres disciplines suppose élaborées les conditions de ces applications, qui sont autant d'équivalents de "modèles" dont les hypothèses dépendent d'autres philosophies, selon des règles qui sont à détenniner en fonction des conjonctures. C'est

à

la fois pour éviter le dogmatisme, mais aussi bien certains aspects du relativisme contemporain, dont la règle est l'équivalence empirique des situation ou des formations scientifiques et technologiques, que nous proposons de "philosopher par hypothèses". Ce n'est pas une limitation de la philosophie, mais son enrichissement par des matériaux extraits de tous les ordres, en renonçant toutefois

à

ses prétentions ontologiques classiques.

BIBLIOGRAPHIE

Références

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