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Le découpage électoral en France sous la Vème République : entre logiques partisanes et intérêts parlementaires

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Academic year: 2021

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T

HÈSE DE DOCTORAT

DE L

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NIVERSITÉ

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ARIS

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ANTHÉON

-A

SSAS

Présentée par

Thomas EHRHARD

Pour obtenir le grade de D

OCTEUR DE L

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NIVERSITÉ

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II

P

ANTHÉON

-A

SSAS

Sujet de la thèse :

L

E DÉCOUPAGE ÉLECTORAL SOUS LA

V

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ÉPUBLIQUE

ENTRE LOGIQUES PARTISANES ET INTÉRÊTS PARLEMENTAIRES

TOME

1

Sous la direction de Hugues

PORTELLI,

Discipline : Science Politique

École doctorale de droit administratif, sciences administratives et science politique Thèse soutenue publiquement à Paris le 27 novembre 2014 devant le jury composé de :

M. Xavier CRETTIEZ, Professeur des Universités, Université de Versailles Saint-Quentin, Rapporteur M. Ilvo DIAMANTI, Professeur ordinaire, Université d’Urbino, Examinateur M. Michel HASTINGS, Professeur des Universités, Institut d’Études Politiques de Lille, Rapporteur M. Hugues PORTELLI, Professeur des Universités, Université Paris II Panthéon-Assas, Directeur de thèse Mme. Sylvie STRUDEL, Professeur des Universités, Université Paris II Panthéon-Assas, Examinatrice M. Jean-Michel DE WAELE, Professeur ordinaire, Université Libre de Bruxelles, Examinateur

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L’Université Paris II Panthéon-Assas n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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Je remercie mon directeur de thèse, Hugues Portelli, de la confiance qu’il m’a témoigné pour mener à bien cette recherche. Ses conseils et encouragements ont été d’inestimables sources de motivation. J’espère que ce travail est à la hauteur de l’estime que je lui porte.

J’exprime ma profonde gratitude à Sylvie Strudel pour son aide et son soutien qui ont été si précieux lors de ces deux dernières années.

Je remercie Marc Milet et Jean-Vincent Holeindre, pour leurs discussions et remarques à divers moments de cette thèse. Je remercie également Yves Surel et Olivier Rozenberg pour les deux années à leurs côtés, dans le cadre du séminaire « PPP », qui ont été très enrichissantes pour ma formation de chercheur.

Je tiens à remercier Jean-Benoît Pilet pour la discussion de mon papier lors de mon premier colloque. Cette thèse a essayé, au mieux, de suivre ses conseils qui sont restés des lignes directrices essentielles. Je tiens également à remercier Yves Déloye pour ses réponses stimulantes. S’ils n’ont certainement pas conscience de l’influence qu’ils ont pu avoir sur ce travail, tous deux ont participé à mon évolution en tant que chercheur et, à ce titre, ont eu une influence particulière sur sa réalisation.

La thèse est un travail personnel mais elle n’a pas été un exercice solitaire. En ce sens, je tiens à adresser mes remerciements les plus chaleureux à « mon équipe ».

Cette thèse ne serait pas la même sans les relectures intégrales et exigeantes de Charlotte Mochkovitch, Maxime Le Heiget et Paulo Canelas Rapaz. Pour leurs avis, leur disponibilité et leur patience totale face à mes nombreuses sollicitations, ainsi que pour leur soutien indéfectible à toute heure, je leur exprime mes remerciements et ma reconnaissance les plus sincères.

Cette recherche n’aurait pas pu être menée à bien sans l’assistance technique et les compétences de Paul Mochkovitch et Nicolas Rocchia. Leur indulgence vis-à-vis de mes questions a été sans faille. Je les remercie grandement pour l’aide et les solutions qu’ils ont apportées à ce travail. Les échanges avec Ismaïl Ferhat et Nicolas Laurent-Bonne ont été aussi plaisants que fructueux. Leurs relectures pertinentes ont été une source d’amélioration. Je les en remercie et espère les retrouver, bientôt, de l’autre côté.

Le regard averti de Jean-Claude Hardouin, ceux intéressés de Patrick Mochkovitch et Pascale Ehrhard ainsi que celui spécialisé de Samuel Azoulay ont été mis à profit. Je les remercie pour leur aide qui a contribué à parfaire l’ensemble de cette thèse. Je remercie également le cabinet 2H pour son soutien logistique considérable lors de cette recherche et, en particulier, Patricia Hardouin pour sa bienveillance à mon égard.

Certaines personnes ont particulièrement compté dans la vie doctorale et extra-doctorale qui a rythmé ces cinq ans, même si je n’ai pas eu l’occasion de les voir assez. Je pense aux amis thésards Julien Arnoult, Antoine Faye, Florian Poulet et Jean de Saint-Sernin ; aux amis qui m’ont surtout parlé d’autre chose que de la thèse, François, Frédérick, Jean, Julien A., Julien P., Maxime, Nico et Jordane, Nikos, Paulo, Pauline et Thomas.

Je pense à Pascale et Guillaume, ma mère et mon frère, à Annick et Pierre et à Myriam et Marc. Enfin, et surtout, mes pensées vont à Charlotte qui a vécu cette thèse au quotidien, ses hauts et ses bas, enduré chaque difficulté et partagé toutes les joies. Pour l’appui indispensable qu’elle a été, ses encouragements sans cesse réitérés et pour la suite de cette aventure, merci d’être à mes côtés.

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A.A.I Autorité Administrative Indépendante

A.C Alliance Centriste

C.D Centre Démocrate

C.N.I.P Centre National des Indépendants et Paysans Cons. Const. Conseil constitutionnel

D.L.R Debout La République

D.v.D Divers Droite

D.v.G Divers Gauche

E.D Entente Démocratique

E.E.L.V Europe Écologie Les Verts

F.G Front de Gauche

F.G.D.S Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste

F.N Front National

F.S.M Fédération Socialiste de la Martinique

G.D.R Gauche Démocrate et Républicaine

G.U.S.R Guadeloupe Unie Socialisme et Réalités

Habs. Habitants

I.N.E.D Institut National des Études Démographiques

I.N.S.E.E Institut National de la Statistique et des Études Économiques J.O.R.F Journal Officiel de la République Française

M.I.M Mouvement Indépendantiste Martiniquais

M.P.R Mouvement pour la Réunion

M.R.C Mouvement Républicain et Citoyen

MoDem Mouvement Démocrate

N.C Nouveau Centre

P.C.F Parti Communiste Français

P.C.R Parti Communiste Réunionnais

P.D.M Progrès et Démocratie Moderne

P.F.M Plus Forte Moyenne [méthode de répartition des sièges] P.F.R Plus Fort Reste [méthode de répartition des sièges]

P.G Parti de Gauche

P.P.M Parti Progressiste Martiniquais

P.R Parti Radical

P.R.G Parti Radical de Gauche

P.R.V Parti Radical Valoisien

P.S.G Parti Socialiste Guyanais P.S.U Parti Socialiste Unifié

R.D Rassemblement Démocratique

R.D.M Rassemblement Démocratique Martiniquais

R.I Républicains Indépendants

R.P.R Rassemblement pour la République

R.S République Solidaire

S.F.I.O Section Française de l’Internationale Ouvrière S.R.C groupe Socialiste République et Citoyen

Ste-Lagüe Sainte-Lagüe [méthode de répartition des sièges]

U.D.B Union Démocratique Bretonne

U.D.F Union pour la Démocratie Française

U.D.I Union des Démocrates et Indépendants

U.D.R Union pour la Défense de la République

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S

OMMAIRE

G

ÉNÉRAL

T

OME

1

Introduction………..……….1

PARTIE I. Le processus des découpages électoraux………………………..81

Titre 1. Un objet encadré à la mise en place délicate ... 85

Chapitre 1. Les contraintes formelles : l’encadrement juridique imparfait du découpage électoral ... 87

Chapitre 2. Les temps des découpages électoraux déterminés par la volonté politique, entre renonciation et décision contrainte ... 143

Conclusion Titre 1 ... 209

Titre 2. Un processus complexe ... 213

Chapitre 1. Le déroulement du processus et la configuration d’acteurs, au-delà des apparences ... 215

Chapitre 2. Rationalité, stratégie limitées et contraintes : l’influence du contrôle institutionnel sur le processus ... 293

Chapitre 3. Les représentations cognitives du découpage électoral ... 373

Conclusion Titre 2 ... 453

Conclusion Partie I ... 457

T

OME

2

PARTIE II. Les conséquences des découpages électoraux ... 465

Titre 1. Étude électorale du découpage des circonscriptions... 469

Chapitre 1. Saisir le découpage électoral : la tentation mathématique et l’égalité « un homme, une voix » ... 471

Chapitre 2. L’engineering du découpage électoral : techniques, enjeux et stratégies 519 Chapitre 3. Analyse empirique des découpages électoraux ... 591

Conclusion Titre 1 ... 791

Titre 2. Du mythe du charcutage à la réalité du découpage : mise en perspective des conséquences électorales ... 803

Chapitre 1. La science inexacte du découpage : la relativité des conséquences électorales ... 805

Chapitre 2. Penser les découpages par la carte électorale : permanence, évolution et compétition électorale ... 843 Conclusion Titre 2 ... 939 Conclusion Partie II ... 943 Conclusion générale ... 951

T

OME

3

Bibliographie ... 981

Annexes : documents, tableaux, graphiques et cartes ... 1021

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OMMAIRE

T

OME

1

Introduction ... 1

PARTIE I. Le processus des découpages électoraux ... 81

Titre 1. Un objet encadré à la mise en place délicate ... 85

Chapitre 1. Les contraintes formelles : l’encadrement juridique imparfait du découpage électoral ... 87

Section 1. La Constitution et la loi : un encadrement parcimonieux ... 87

Section 2. Les contraintes formées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : des limites relatives aux délimitations arbitraires ... 107

Conclusion de Chapitre ... 141

Chapitre 2. Les temps des découpages électoraux déterminés par la volonté politique, entre renonciation et décision contrainte ... 143

Section 1. L’absence de découpage électoral : les facteurs d’un renoncement politique inscrit dans une histoire longue ... 143

Section 2. La décision de découper : le poids des contraintes sur la temporalité ... 186

Conclusion de Chapitre ... 205

Conclusion Titre 1... 209

Titre 2. Un processus complexe ... 213

Chapitre 1. Le déroulement du processus et la configuration d’acteurs, au-delà des apparences ... 215

Section 1. Caractéristiques temporelles et formelles des découpages électoraux ... 215

Section 2. L’évolution de la configuration d’acteurs : vers la limitation des acteurs décisionnels ... 237

Section 3. Additions théoriques au modèle explicatif principal des réformes électorales271 Conclusion de Chapitre ... 288

Chapitre 2. Rationalité, stratégie limitées et contraintes : l’influence du contrôle institutionnel sur le processus ... 293

Section 1. Le contrôle technocratique : l’évolution des commissions en parallèle de la reconnaissance de l’importance de leur rôle ... 293

Section 2. L’influence des contrôles prétoriens : le poids du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel ... 316

Section 3. La rationalité partisane du responsable du découpage limitée par un faisceau de contraintes ... 345

Conclusion de Chapitre ... 368

Chapitre 3. Les représentations cognitives du découpage électoral ... 373

Section 1. Un processus soumis à des critiques fortes ... 373

Section 2. Hors le politique :le changement de paradigme comme solution à l’arbitraire 391 Section 3. La commission indépendante : « une solution » en décalage avec les attentes placées en elle. Une pertinence à relativiser ... 415

Conclusion de Chapitre ... 449

Conclusion Titre 2... 453

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SOUS LA

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ÉPUBLIQUE

ENTRE LOGIQUES PARTISANES

ET INTÉRÊTS PARLEMENTAIRES

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Introduction

Un million de dollars. Cette somme correspond à la récompense offerte par le Clay

Mathematics Institute pour la résolution de l’un des sept « problèmes millénaires »1. « P vs.

NP » est l’un deux. Il « concerne la nature de la recherche de solution(s) dans un ensemble exponentiel de possibilités »2, et pourrait se traduire sommairement par la question

suivante : « ce que nous pouvons trouver rapidement lorsque nous avons de la chance, peut-il être trouvé aussi vite par un calcul intelligent ? ». Contrairement aux apparences dues au langage employé qui ne laissent pas présager de connexions entre les sujets, « P vs. NP » trouve une illustration dans les découpages des circonscriptions électorales.

L’une des recherches principales des computational social choice, l’ingénierie informatique rapportée à des objets de « sciences sociales », s’intéresse aux manipulations possibles sur les systèmes électoraux et leurs outcomes. Il a notamment été mis en évidence3 le rapport entre la résolution des algorithmes complexes et les enjeux mathématiques du fractionnement de la carte électorale. Formulée d’une manière plus politiste, « P vs. NP » consisterait à trouver « une procédure pour partager en deux n’importe quel ensemble (…) [de circonscriptions], qui minimise l’inégalité entre les populations des deux parties, sans énumérer toutes les possibilités, c'est-à-dire en accomplissant la tâche dans un temps que l’on sait d’avance raisonnable »4 et qui ne ferait l’objet d’aucune discussion possible.

Aucune procédure mathématique n’a pour l’instant été découverte pour y parvenir. La problématisation des découpages électoraux en termes mathématiques devrait, de plus, tenir compte d’autres contraintes, comme la contiguïté des circonscriptions, ce qui accroît encore la difficulté car l’égalité entre les populations doit être recherchée non pas entre deux circonscriptions mais entre plusieurs. Michel Balinski, ancien directeur du laboratoire d’Économétrie de l’école Polytechnique, en comparant le « problème millénaire » aux

1 Dont la description se trouve ici : URL : www.claymath.org/millennium/P_vs_NP, consulté le 31 août 2014. 2 Jean-Paul Delahaye, « Un algorithme à un million de dollars ? », Pour la Science, août 2005, no 334, p. 90. 3 Jörg Rothe et Lena Schend, « Typical-Case Challenges to Complexity Shields That Are Supposed to Protect

Elections Against Manipulation and Control: A Survey », Communication présentée à l’International Symposium on Artificial Intelligence and Mathematics (ISAIM 2012), Special Session on Computational Social Choice, Fort Lauderdale (Floride), 9-11 Janvier 2012, 10 p.

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découpages électoraux, affirme que la résolution de ces derniers semblent « bien plus difficile[s] encore ! »5.

Le découpage électoral peut aussi trouver des inclinaisons plus divertissantes comme le fameux Redistricting Game6. Ce jeu en ligne consiste à réaliser les découpages électoraux

des circonscriptions de la Chambre des Représentants en choisissant d’être un expert électoral du Parti Démocrate ou Républicain. Différentes missions permettent de saisir les considérations politiques importantes à respecter. Sous son design et son gameplay accessible qui lui valent une certaine popularité, le jeu développé par l’Université de Caroline du Sud7 a aussi pour objectif de sensibiliser le public aux réalités et aux abus de la

pratique du découpage électoral par des exemples réels et des interviews.

Ces deux figurations du découpage électoral révèlent la tension qui lui est inhérente. Sa complexité tient aux éléments qui le composent, opposés, contradictoires ou complémentaires mais toujours indissociables dans la construction du tout qu’ils forment. Ainsi se rencontrent les opérations mathématiques et l’arithmétique électorale, les normes juridiques, et la politique. Tour à tour, ou simultanément, politic, policies et polity heurtent les dogmes de la représentation et des principes démocratiques qui leur servent pourtant de référents. Entre objectivité mathématique et subjectivité politique, le découpage ne trouve pas de vérité et se perd dans un triangle électoral des Bermudes8, où faute de repère et de recul, les analyses deviennent partisanes et souvent antagonistes. Les métamorphoses légendaires que l’on lui prête, le gerrymandering mi-salamandre, mi-dragon, marquent le décalage entre la réalité du découpage électoral et sa représentation populaire et scientifique. Plus encore que ces confrontations ou enrichissements, c’est leur fondement qui interpelle. Au sein de certaines démocraties représentatives subsiste une « zone d’ombre » institutionnelle relative à l’expression du suffrage qui nourrit les fantasmes autant que les critiques justifiées. La déclaration d’un consultant républicain pour le découpage électoral de la Chambre des Représentants, réalisé en 1990, symbolise ce constat :

5 Ibidem.

6 URL : www.redistrictinggame.org, consulté le 31 août 2014.

7 Il a été développé par le centre Annenberg « School for Communication and Journalisme » de l’Université

de Caroline du Sud, et la « School of Law » de la même université.

8 Cette expression est empruntée à Jean Leca in « L’État entre politics, policies et polity, ou peut-on sortir du

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« As a mapmaker, I can have more of an impact of an election than a

campaign… more of an impact than a candidate. When I, as a mapmaker, have more of an impact on an election than the voters… the system is out of whack. »9

Cette citation interpelle par sa violence symbolique et les atteintes qu’elle porte au suffrage et à l’élection. Plus encore, elle fait apparaître que la construction de la carte électorale doit être pensée comme un enjeu essentiel pour les démocraties, les systèmes politiques et leurs acteurs. Qu’en est-il en France, sous la Ve République ?

Section 1. Présentation et définition du sujet

De manière extensive, les systèmes électoraux sont l’ensemble des procédures formelles « qui président à l’organisation des élections dans un État »10. Ils s’inscrivent à l’intérieur d’un ensemble plus vaste désigné par le terme de « lois électorales », qui comprend également la réglementation des campagnes électorales et le financement des activités politiques11. Les systèmes électoraux se réfèrent donc plus exactement aux règles formelles relatives à l’élection, à son organisation et aux résultats. Ces règles dites « électorales » ont une importance « décisive, tant sous l’angle du "politique" (partis, systèmes, acteurs) que sous celui des électeurs »12 par les trois fonctions qu’elles recouvrent : désigner, gouverner

et représenter13. Selon les nombreuses variantes qu’ils peuvent mettre en place, les

systèmes électoraux peuvent donner un sens à un régime ou orienter le système de partis, mais aussi influer sur l’issue d’un scrutin en favorisant un type de candidats ou de partis, ou encore assurer la légitimité des élus ou être responsables d’inégalités de représentation.

9 David Winston, consultant républicain in Gerrymandering, a new documentary film, documentaire réalisé

par Jeff Reichert, sorti le 15 octobre 2010, 81 minutes. URL : www.gerrymanderingmovie.com, consulté le 31 août 2014. Traduction personnelle : « Comme découpeur électoral, je peux avoir plus d’impact sur l’élection qu’une campagne… plus d’impact qu’un candidat. Quand, en tant que découpeur, je peux avoir plus d’impact sur l’élection que les électeurs… le système est détraqué ».

10 André-Paul Frognier, Anne-Sylvie Berck, « Les systèmes électoraux : types et effets politiques », in Annie

Laurent, Pierre Delfosse, André-Paul Frognier, Les systèmes électoraux : permanences et innovations, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 25.

11 Selon la distinction opérée par Nicolas Sauger in « Un système électoral vecteur d’instabilité ? », in

Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 386.

12 Annie Laurent, Pierre Delfosse, André-Paul Frognier, « Introduction », in Annie Laurent, Pierre Delfosse,

André-Paul Frognier, opere citato, p. 11.

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Leur importance est d’autant plus forte que les règles électorales sont conçues et votées par les acteurs politiques qui participent directement à la conception des règles du jeu politique. Les systèmes électoraux sont « les clés du pouvoir »14 parce qu’ils sont les mécanismes de la compétition politique et de sélection des représentants. Leur neutralité politique est soumise aux manipulations15 générées par des acteurs politiques intéressés. Cet élément,

accompagné de l’idée d’égalité de représentation, s’érige d’ailleurs en critère discriminant et controversé pour la doctrine dans la recherche du « meilleur système électoral ».

Plus précisément, les systèmes électoraux sont des ensembles complexes dont les principales composantes relatives à l’expression du suffrage16 sont les modes de scrutin, les

mécanismes qui déterminent les modalités de transformation du nombre de voix en nombre de sièges et les découpages électoraux, lorsque cela est nécessaire. Les deux peuvent être considérés comme des institutions électorales dans le sens où elles sont des institutions redistributives17, telles que définies par Kenneth Benoit18.

La recherche d’une définition propre du découpage électoral n’est pas évidente. Celui-ci ne comporte pas d’entrée spécifique dans le Dictionnaire du vote de Pascal Perrineau et Dominique Reynié19. La richesse et la complexité de l’objet transparaissent au travers des

indices disséminés entre les notions de « circonscription », « géographie électorale », « gerrymander, gerrymandering »20, « ingénierie électorale » et « territoire ». Malgré cette absence doctrinale, une première définition peut être formulée dans un sens formel. Le découpage électoral désigne alors les deux phases successives de la réalisation de la carte électorale en circonscriptions électorales : la répartition des sièges entre les circonscriptions et la délimitation des circonscriptions au sein desquelles se déroulent les élections. Les

14 Michel Balinski, op. cit., p. 5.

15 Comme les travaux de Giovanni Sartori, anciens et plus récents, l’exposent : Giovanni Sartori, « Political

Development and Political Engineering », in John D. Montgomery et Albert O. Hirschman (dir.), Public

Policy, vol. 17, Cambridge, Harvard University Press, 1968, p. 261-298 ; Giovanni Sartori, Comparative constitutional engineering: an inquiry into structures, incentives and outcomes, New York, New York

University Press, 1994, 219 p.

16 D’autres éléments, également relatifs à l’expression du suffrage, comme les « seuils de qualification » lors

des élections à deux tours sont des mécanismes mineurs.

17 Selon l’expression formulée par George Tsebelis. George Tsebelis, Nested Games : Rational Choice in

Comparative Politics, Berkeley, University of California Press, 1991, p. 104.

18 Kenneth Benoit, « Models of Electoral System Change », Electoral Studies, 2006, vol. 4, p. 366 : «

Redistributive institutions have a zero-sum character which benefits one group in society at the expense of another, in contrast with "efficiency" institutions which may improve everyone’s welfare versus the status quo

».

19 Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du Vote, Paris, Presses Universitaires de France,

2001, 997 p.

20 Il est singulier de noter que les entrées « Géographie électorale » et « Gerrymander, gerrymandering » se

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deux phases sont équivalentes par leur importance dans le processus contrairement à ce que l’usage commun du mot peut laisser croire. Cette dualité interne du découpage électoral s’observe d’ailleurs dans le vocable anglais, de même que l’idée d’ « action » marquée par la forme en « -ing ». Les termes sont successivement ceux d’apportionement et de

redistricting21. Dans la littérature anglophone la distinction est marquée, leurs utilisations

se font selon leur signification réelle et, à l’inverse du vocable français, aucun terme général ne vient s’y superposer. Dans les deux cas, le découpage et le redécoupage, le

districting et le redistricting, sont évoqués indifféremment.

Dans une deuxième définition, le découpage électoral peut aussi être pensé en fonction de son objectif, comme le processus par lequel la carte électorale est mise à jour pour égaliser la population (habitants) entre les circonscriptions. Il s’agit alors plus exactement du redécoupage. Cette définition n’est ni exclusive, ni indépendante de la première. Les deux se complètent sans qu’elles soient totalement inclusives. Cet objectif relève plus de l’esprit et de l’enjeu du découpage électoral que de la condition sine qua non. En effet, le découpage électoral connait aussi une troisième définition qui établit plus nettement le lien entre le procédé et son caractère partisan.

Cette dernière est plus problématique car sa définition varie en raison de son caractère subjectif. Elle renvoie à l’action politique réalisée par le découpage électoral. Il se travestit alors en « charcutage électoral », ou « gerrymandering ». Lorsqu’il est utilisé, ces termes ne font pas référence à un contenu précis, il s’assimile à un concept vague ou creux, dont l’aspect pertinent se trouve être celui d’une action politique partisane quelle qu’elle soit. Pourtant, il est possible de lui donner une signification plus précise que celle d’une simple dénonciation. Le charcutage électoral peut ainsi être défini comme une pratique politique par laquelle les limites des circonscriptions électorales sont établies pour avantager certains candidats ou partis. Il peut aussi être considéré comme un résultat, et dénommer alors toutes « circonscriptions artificiellement dessinées à des fins politiciennes en dépit du bon sens géographique »22. Pour l’établir comme tel, la géographie étant insuffisante, il est

nécessaire d’ajouter une dimension politique et/ou démographique, et surtout d’affirmer qu’il n’existe pas un type de « charcutage électoral », pris comme résultat, mais plusieurs qui se décèlent selon les cas particuliers.

21 Lisa Handley, Bernard Grofman (dir.), Redistricting in a Comparative Perspective, Oxford, Oxford

University Press, 2008, p. 3.

22 Claude Émeri, « Gerrymander, gerrymandering », in Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), op. cit., p.

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Dans la langue anglaise, le découpage électoral connait aussi une translation étymologique lorsqu’il fait référence à un découpage partisan. Le redistricting devient le gerrymandering. Ce néologisme prend racine dans la contraction de « Gerry » et « salamander », et son inspiration dans le célèbre dessin de presse de la Boston Gazette du 26 mars 1812. Le découpage de l’État du Massachussetts, réalisé par le gouverneur Elbridge Gerry prenant la forme d’une salamandre à l’allure monstrueuse23.

Au-delà de considérations stylistiques en fonction desquelles l’inélégance du vocable français transparait dans une comparaison avec le terme « gerrymander » usité en anglais24, cette dernière acception du découpage électoral est importante pour en saisir la dimension et la portée politique. Les « gerrymander » et le « gerrymandering » se trouvent au centre des enjeux des découpages électoraux comme l’atteste son emploi fréquent. Ces trois définitions, proches sans être toutefois identiques, mettent en évidence un élément central : l’influence du découpage électoral sur les circonscriptions électorales. Ce truisme se révèle malgré tout intéressant par la structuration de l’objet et les précisions qu’il permet ensuite d’apporter.

23 Voir le dessin de presse original, Infra, Tome 3, Annexe, p. 1021.

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Les circonscriptions législatives qui, en droit, « ne sont rien »25, mais dont on ne peut se passer, sont l’espace géographique « au sein duquel se déroule l’opération électorale »26. Elles représentent l’unité territoriale électorale pour l’élection des députés. Le découpage électoral permet donc d’établir le cadre de la compétition électorale par la délimitation des circonscriptions. S’il est indispensable, son importance peut néanmoins être nuancée selon deux facteurs pertinents devant l’absence de cohérence du système électoral français27. Le

premier est le nombre de circonscriptions, plus ou moins grand, en fonction du mode de scrutin, proportionnel de liste ou uninominal majoritaire. Le second différencie la portée du découpage selon le cadre électoral. Il existe une gradation du rôle du découpage qui peut être respectivement inexistant, réduit ou essentiel suivant que l’élection se déroule respectivement dans une circonscription unique, comme l’élection présidentielle, ou dans une délimitation administrative, comme l’élection municipale28,29, ou qu’elle se déroule

dans une multitude de circonscriptions sans limite territoriale coercitive, comme pour les élections législatives. Les deux facteurs déterminants sont réunis dans l’étude du découpage électoral législatif sous la Ve République. L’absence de limite territoriale prédéterminée et

le scrutin uninominal font des circonscriptions législatives un objet privilégié. D’autres élections auraient pu être incluses dans le sujet mais elles n’auraient pu comporter les mêmes intérêts et enjeux. L’objet reste in fine circonscrit de manière centrale aux circonscriptions législatives, sans exclure l’utilisation d’autres découpages lorsque cela s’avère pertinent.

La délimitation des circonscriptions, dans le cadre défini, comporte intrinsèquement deux enjeux réalisés par le découpage électoral. Avant tout, le scrutin uninominal pose la « question concrète »30 des territoires d’élection et, avec elle, des notions de souveraineté et

de légitimité. Leurs rapports s’organisent suivant une imbrication et une logique fortes. Il s’agit là du premier enjeu. La représentation est assurée dans le cadre de l’espace

25 Dominique Turpin, « Le principe d’égalité du suffrage », in Thierry Debard, François Robbe (dir.), Le

caractère équitable de la représentation politique, Paris, L’Harmattan, coll. Questions contemporaines, 2005,

p. 47.

26 Claude Émeri, « Circonscriptions », in Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), op. cit., p. 187.

27 La France connait une large variété de scrutins : deux scrutins « uninominal majoritaire », un scrutin

binominal, un scrutin proportionnel, et deux scrutins « mixte ». Sur ce point voir : Hugues Portelli, « La législation électorale : le Parlement face au Conseil constitutionnel sous la législature 2002-2007 », in Bernard Owen (dir.), Le Processus électoral, permanences et évolutions – réflexions à partir des actes du colloque réuni au Sénat le 22 Novembre 2005, Paris, Studyrama, 2006, p. 44.

28 Michel Offerlé, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, Paris, Gallimard, 2002, p. 45. 29 Seuls les cas de communes divisées en secteurs électoraux, comme à Paris, Lyon et Marseille, peuvent

contenir les mêmes interrogations.

30 Pierre Avril, « Introduction », in Patrick Lafarge, Brice Soccol, 577 Députés à élire : dictionnaire des

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institutionnel formé par les circonscriptions. Dans le cadre de la théorie de la démocratie représentative, l’élu est le représentant de la nation toute entière, de l’intérêt général. La circonscription n’est alors qu’un espace institutionnel fonctionnel et le député, une « fraction de la représentation nationale »31. Ce concept ne correspond assurément pas à la réalité32. À cause de la responsabilité politique de l’élu devant les électeurs de la

circonscription dans laquelle il a été élu et par le lien géographique symbolisé par ce territoire d’élection, l’élu devient alors le représentant des électeurs de « sa » circonscription, ou se pense comme tel. La circonscription recouvre alors les caractéristiques de l’espace d’agrégation33. Formulé de façon plus schématique : en

pratique, l’espace d’agrégation domine l’institutionnel au détriment de la théorie de la démocratie représentative qui présuppose l’inverse. Le mandat représentatif est rattaché à une aire géographique, même artificielle34. Les députés sont donc au moins autant les élus

d’une circonscription que de la nation. Cet élément politique concret a été longuement analysé35. Il permet ici de contextualiser l’esprit du gerrymandering qui renvoie à une

vision patrimoniale de la circonscription lors des découpages électoraux.

Une fois la carte électorale établie, les circonscriptions nécessitent une inévitable adaptation aux évolutions démographiques. La périodicité de leur « mise à jour » est le second enjeu induit par le scrutin uninominal. Elle peut s’observer de deux façons : négativement, avec l’absence de mise à jour ou, positivement, avec un redécoupage électoral. Les deux éléments ont une influence directe sur l’égalité de représentation. D’un côté, la non mise-à-jour de la carte électorale laisse s’accroître les potentiels déséquilibres de population entre les circonscriptions. De l’autre, l’objectif d’un découpage est de procéder à une modification des circonscriptions afin de tendre vers une égalité démographique entre elles. Les deux cas de figure sont marqués par le péché originel du gouverneur Elbridge Gerry et la tentation d’exploiter ce procédé à des fins partisanes. Le découpage électoral représente

31 Maurice Duverger, « Esquisse d’une théorie générale des inégalités de représentation », in Jean-Marie

Cotteret, Claude Émeri, Pierre Lalumière, Lois Électorales et inégalités de représentation en France

1936-1960. Introduction de Maurice Duverger, Paris, Armand Colin, 1960, p. VII.

32 Ibid.

33 Pour un développement plus approfondi sur ces notions : Michel Bussi, « Modes de scrutin et légimité

territoriale : l’exemple des futures élections intercommunales en France », in Annie Laurent, Pierre Delfosse, André-Paul Frognier, op. cit., p. 309-333.

34 Claude Émeri, « Les lois électorales en France : sources et historiographie », in Serge Noiret (dir.),

Stratégies politiques et réformes électorales. Aux origines des modes de scrutin en Europe aux XIXe et XXe siècles, Baden-Baden, Nomos Verlagsgeselolschaft, 1990, p. 268.

35 Les références sont nombreuses sur ce point. Pensés à partir d’une étude consacrée au gouvernement

représentatif et au mécanisme de sélection par l’élection, les développements les plus éclairants se trouvent ici : Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, rééd., Paris, Flammarion, coll. Champs, 1996, 319 p.

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finalement et malgré lui, plus qu’un simple mécanisme technique électoral. Il est aussi un outil politique tributaire de la manière dont il est encadré et employé. En ce sens, il peut être perçu comme un artefact facilitant l’élection sous l’effet de la main qui découpe.

En effet, le découpage électoral peut être qualifié d’artefact dans le sens où il est le produit ou le résultat de la méthode employée. Il peut altérer la représentation et l’égalité électorale, ou l’expression du suffrage, sous l’effet de l’action de celui qui le réalise. Il peut camoufler une volonté politique partisane derrière la réalisation des délimitations des circonscriptions électorales. L’action du politique lui donne sa singularité. Plus largement, l’histoire politique du découpage électoral a contribué à l’élaboration et à la postérité du mythe. Ce mot rend parfaitement compte de la réalité de l’objet. Il s’agit d’une représentation traditionnelle – populaire ou scientifique – du découpage, d’une construction de l’esprit dont le récit devient imaginaire par sa non véracité historique.

Ainsi, dès 1812 et la fameuse forme de salamandre donnée au comté d’Essex, l’histoire retient la victoire du gouverneur Elbridge Gerry grâce à son découpage électoral qui lui a permis, ainsi qu’à son parti, de remporter 29 sièges avec 50 164 suffrages tandis que leurs adversaires n’en avaient que 11 avec 51 766 voix36. Le récit s’arrête systématiquement ici

après avoir confirmé la potentialité du découpage électoral. Néanmoins, la suite n’est pas dénuée d’intérêts. L’année suivante, les Fédéralistes, défaits aux précédentes élections, l’emportent dans les mêmes districts inchangés, comportant les mêmes électeurs37. La seconde partie de l’histoire, oubliée, importe tout autant que la première.

Il ne s’agit pas de nier l’évidence : la loi électorale a une influence forte sur l’expression du suffrage à travers la transcription du nombre de voix en nombre de sièges. De manière plus forte encore, le découpage électoral peut favoriser l’expression d’un résultat sur un autre en façonnant les circonscriptions. Son approche doit toutefois être dépassionnée et objective, il ne s’agit ni d’extrapoler, ni de minimiser le sujet et l’ingénierie électorale. À la question posée par Claude Émeri de savoir si cette pratique relève de l’art ou de la science38, la

réponse ne peut être que nuancée. Il s’agit à l’évidence autant d’une science, par les connaissances mobilisées, les règles à respecter et leurs objectivations possibles, que d’un art, dont la pratique et le résultat répondent à des considérations subjectives et à la

36 Claude Émeri, « Gerrymander, gerrymandering », op. cit., p. 483.

37 Voir le seul ouvrage, parmi ceux étudiés pour cette recherche, relatant l’histoire complète : Mark E. Rush,

Does Redistricting Make a Difference? Partisan Representation and Electoral Behavior, Baltimore, London,

Lexington Books, 2000, 192 p.

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technique utilisée. Dans la même conception, il n’y a « pas de bon découpage »39 car il n’y a pas de découpage électoral naturel40 ou de découpage qui s’imposerait suivant un procédé scientifique. Il n’y a que des découpages potentiels et des découpages qui contreviennent aux principes à respecter. Il n’existe pas de carte électorale dans l’absolu ; il n’existe donc pas de découpage électoral parfait. Chaque circonscription électorale devrait avoir dans l’idéal un nombre égal d’électeurs et une taille semblable, mais cela serait-il suffisant pour rendre un découpage irréprochable ? Rien ne l’assure. À l’instar de l’interrogation de Michel Offerlé41, quels critères faire prévaloir parmi des aspects géographiques, sociaux,

administratifs ou économiques, et comment le faire ? La question sous-tendue dépasse déjà le premier impératif, celui de l’égalité démographique entre les circonscriptions. La distinction entre des critères quantitatifs et qualitatifs permet de percevoir comment l’ingénierie électorale trouve une place dans les interstices ouverts entre les deux, au cœur du découpage électoral42.

C’est dans cet espace que se fait sentir le caractère sensible du sujet comme l’attestent le champ lexical péjoratif redondant et ses déclinaisons inspirées par la violence symbolique43.

39 Michel Offerlé, op. cit., p. 46.

40 Plus exactement, il n’existe pas de découpage naturel (dans le sens géographique) unique et incontestable. Il

en existe plusieurs.

41 Michel Offerlé, op. cit., p. 46.

42 Le découpage électoral sans autre précision spatiale ou temporelle correspond maintenant au découpage

électoral des circonscriptions législatives sous la Ve République.

43 Sur ce point, le dossier coordonné par Olivier Rozenberg et Pierre-Yves Baudot atténue le sens qu’il faut

accorder à l’emphase politique : in Parlement[s], Revue d’histoire politique, Violence des échanges en milieu parlementaire, 2010, no 14, 194 p.

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Dans un sens, à écouter l’opposition politique, tout découpage se réalise à l’aide d’ustensiles divers, et s’apparente tant à un abattoir sanguinolent qu’à une épicerie fine :

« Vous n’avez pas travaillé aux ciseaux mais à la hache ! »44

« En Moselle, on produit de la très bonne charcuterie ! Là, vous n’avez pas utilisé le couteau du charcutier, vous avez fait dans la dentelle ! »45 « Un très gros couteau de boucher ! »46

« Quelquefois le rémouleur, pour son talent à aiguiser les ciseaux, instrument symbolique du découpage ; plus souvent le charcutier, en raison du caractère habile mais brutal et sanglant de sa découpe ; et parfois le chirurgien, pour les opérations de découpage les plus sophistiquées. »47

44 Jean-Jacques Urvoas, Assemblée nationale, Compte rendu de la commission des lois, audition d’Alain

Marleix, 6 octobre 2009, p. 7.

45 Jean-Marc Todeschini, Sénat, Compte rendu intégral des débats en séance publique, première lecture, 14

décembre 2009.

46 Jean-Marc Ayrault, Assemblée nationale, Compte rendu intégral des débats en séance publique, première

lecture, 14 octobre 2009.

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« Le gouvernement a tantôt usé de la hache, tantôt du scalpel, c'est au laser qu'il opère ici sa microchirurgie singulière. »48

La richesse du vocabulaire français se lit dans la prose peu vertueuse utilisée pour décrire l’action du politique. L’inventivité des synonymes donnés au découpage électoral (« tricotage », « tripatouillage », « l’art de la découpe », « vente à la découpe des couturiers du ministère de l’Intérieur, charcutage », « hold-up », « magouillage », « coup de force », « bouclier électoral », « circonscriptions sacrifiées » ou « dépecées ») reflète les accusations partisanes portées contre le découpeur et la carte électorale. De l’autre, pour celui qui découpe, l’opération devient inextricable :

« Le redécoupage est toujours une opération casse-gueule. À l'époque on avait traité Pasqua de "charcuteur". Moi je serai tout juste un rémouleur. »49

« […] cet exercice extrêmement difficile, et politiquement délicat […] et l'extraordinaire difficulté des questions à résoudre. »50

Ici réside le pivot de la présentation du sujet. La décomposition du terme de « découpage électoral » et sa reconstruction par ses enjeux permettent de penser le sujet dans son ensemble. La place et le rôle du politique sont le prisme d’analyse pertinent du découpage électoral. Ils lui donnent sa pleine perspective. Son action sera étudiée par le processus d’élaboration de la carte électorale et ses conséquences électorales. Plus encore, ces deux angles ne donnent leur portée entière qu’au prisme plus général de l’égalité de représentation. In fine, le découpage électoral peut être défini abstraitement comme le produit de la recherche de l’égalité de représentation.

Section 2. Approche et enjeux du sujet

L’égalité électorale a d’abord été liée à la fin du cens avec l’avènement du suffrage universel dans les régimes représentatifs aux XIXe et XXe siècles. L’élection, mécanisme

48 Saisine par soixante députés, Cons. const., déc. no 2010-602 DC du 18 février 2010. 49 Alain Marleix, Le Monde, 08/01/2009.

50 Alain Marleix, Déclaration sur la réforme de la carte électorale pour l’élection des députés, Assemblée

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indéniablement égalitaire, donne « à chaque citoyen une voix égale dans le choix des représentants »51. Dans la théorie politique, le progrès politique constitué par l’établissement du suffrage universel, « le droit pour tous de choisir librement les gouvernants »52, a conduit au postulat de l’égalité des voix. Cette transformation n’a pas suscité d’introspection sur la mise en œuvre concrète de cette nouveauté. L’égalité du poids des votes s’est alors trouvée assimilée53 à l’égalité du suffrage qui comporte pourtant deux

éléments distincts. L’égalité politique ne saurait être limitée de manière formelle et restrictive uniquement à son aspect procédural (le droit de suffrage). Il est nécessaire de lui adjoindre une dimension substantielle (l’égalité des votes). L’égalité politique renvoie alors à l’égalité électorale réalisée par le découpage électoral. L’approfondissement de cette égalité se réalise notamment par les mécanismes des systèmes électoraux, portés par l’équation « un homme égal une voix » et un double postulat de l’égalité politique. En ce sens, les inégalités de représentation sont considérées comme « le relais du système censitaire »54. De façon détournée, les citoyens deviennent des sujets « passifs » du cadre

électoral et leurs suffrages peuvent être « pratiquement annulés » suivant les limites des circonscriptions. Ce qui en pratique revient à ôter toute valeur à leur vote.

Rapportée au découpage électoral, l’inégalité électorale se comprend comme le fait que chaque voix ne compte pas autant entre les circonscriptions et interfère avec la légitimité politique issue des élections conférée par le suffrage universel. L’expression de « suffrage universel » est ambiguë car elle peut renvoyer aussi bien à une procédure qu’à un droit55. Le découpage connait un lien fort avec ce concept. En effet, il confond ces deux notions en ce qu’il ne se situe pas uniquement sur l’aspect représentatif, à la différence des modes de scrutin. Il est une institution qui vise à assurer l’égalité de représentation autant que l’égalité de suffrage des citoyens. Le découpage électoral permet d’aborder les électeurs en tant que sujets du choix et titulaires du droit56. Il permet, de plus, d’étudier la représentation

au niveau macro par la carte électorale, ou micro avec la plus petite composante qui est individuellement celle de l’électeur. Par le découpage électoral, l’égalité de représentation se lit sur deux faces selon le point de vue d’où l’on se place. Le découpage électoral

51 Bernard Manin, op. cit., p. 191. 52 Ibid., p. 171.

53 Cette assimilation se repère encore souvent.

54 Maurice Duverger, « Esquisse d’une théorie générale des inégalités de représentation », in Jean-Marie

Cotteret, Claude Émeri, Pierre Lalumière, op. cit., p. XIX. Daniel Gaxie exprime une idée proche ici : Daniel Gaxie, Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, 3e éd., Paris, Seuil, 1993 (1978), 275 p.

55 Pierre Rosanvallon, Le sacre du citoyen, Paris, Gallimard, 2001 (1992), p. 21. 56 Selon la distinction opérée par Bernard Manin. op. cit., p. 308.

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comprend donc une double dimension liée à l’égalité de représentation. La première liée à la démocratie se base sur l’électeur dans le sens où elle « suppose l’égalité des citoyens »57, et la seconde construite en fonction des enjeux politiques induits par l’(in)égalité de représentation : qu’elles sont les conséquences sur la compétition politique ? Que recouvrent les biais de représentations ?

Ces dimensions retrouvent le double aspect de l’égalité politique, quantitatif et qualitatif. Elles peuvent être illustrées pour en discerner l’intérêt concret :

- Lors des élections législatives de 2007, la deuxième circonscription de Lozère comptait 34 400 habitants contre 188 134 pour la deuxième circonscription du Val d’Oise ; toutes deux élisaient un député. Concrètement, comment procéder pour que la voix d’un habitant du Val d’Oise compte autant que celle d’un habitant de Lozère ?

- De telles inégalités ont pu subvenir en l’absence de découpage électoral général entre 1958 et 1986, et entre 1986 et 2010. Pourtant, l’égalité quantitative, une fois réalisée, doit aussi être maintenue par la mise à jour de la carte électorale. Comment expliquer ce manque sous la Ve République ?

- Les acteurs de la compétition politique sont aussi ceux qui établissent la carte des élections. Ils organisent ce qu’ils convoitent. Dès lors, comment s’assurer qu’un parti politique n’en tire pas profit ? Que le vote d’un électeur rural équivaut à celui d’une grande ville ; celui d’un électeur de gauche à celui de droite ? Ou encore que derrière l’égalité numérique, l’égalité politique est également respectée ?

Ces trois pistes de réflexion sont les questionnements tangibles que pose le découpage électoral, dans son premier intérêt. Son enjeu est donc crucial car il peut avoir des conséquences « graves sur la démocratie et l’expression du suffrage »58. Présentées sous ces

angles, l’élection et la démocratie se révèlent être « bien autre chose que le lieu où s’ordonnent […] les préférences conscientes des électeurs »59. Le principe « un homme,

une voix » trouve là un dynamisme et une remise en question particulièrement fructueuse.

57 Pierre Martin, Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, 3e éd., Paris, Montchrestien, 2006, p. 13. 58 Vanessa Barbé, « Le découpage électoral selon le Conseil constitutionnel », La Semaine Juridique

Administrations et Collectivités territoriales, 9 mars 2009, no 11, p. 52.

59 Philippe Braud, Le suffrage universel contre la démocratie, Paris, Presses Universitaires de France, 1980, p.

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Si l’égalité quantitative se conçoit comme le moyen « d’approcher l’équité de la représentation politique »60, ce principe postule conjointement une égalité qualitative. En pratique, les citoyens ne peuvent se concevoir seulement comme des unités électorales interchangeables. Sa mise en perspective in concreto sert à envisager l’égalité électorale construite par la carte électorale. Chaque voix compte, mais que pèse-t-elle réellement ? En s’extrayant de ces questionnements précis, un deuxième intérêt peut se trouver dans la démarche même d’aborder l’objet délicat qu’est la loi électorale. Comme Maurice Duverger l’a écrit : « officiellement, les réformes électorales ont pour but d’assurer plus de justice dans la représentation : pratiquement, ce motif avoué ne trompe personne et surtout pas les parlementaires »61. Face à un objet dont l’absence de neutralité ne fait aucun

doute62, dont les débats politiques et accusations partisanes n’ont d’égales que les

caricatures, cette recherche doit avant tout démystifier le découpage électoral. S’y intéresser permet de s’immiscer dans un mécanisme politique obscur où l’action se « dessine en marge de la scène »63 avec l’ambition d’éclaircir les zones d’ombres, de dépasser les lieux

communs, quitte à s’inscrire contre les fantasmes et les « flux de désirs »64 polarisés par la

scène électorale et le champ politique. Le rapport à l’objet se doit d’être distancié, sans en diminuer les enjeux et la portée, en adoptant une démarche raisonnée sans se laisser influencer dans un sens ni dans l’autre, par le sensationnalisme ou l’anecdote. Ce deuxième intérêt, plus global, est donc contenu dans l’objet même des lois électorales, considérées comme une institution « de régulation de l’expression du peuple souverain »65. Il prend une pertinence particulière dans le cadre de l’égalité de représentation et de la légitimité dans le sens où cette question est décisive. En effet, le mode de scrutin et les découpages électoraux permettent l’accès au pouvoir ; les concevoir peut alors s’assimiler à « faire le pouvoir ». Les acteurs politiques leurs accordent d’ailleurs une réelle importance, comme Michel Debré qui écrivait : « la première manifestation de la vie politique, le premier problème de la science politique – à n’en pas douter, c’est le mécanisme des élections »66.

60 Dominique Turpin, op. cit., p. 48.

61 Maurice Duverger, « Esquisse d’une théorie générale des inégalités de représentation », in Jean-Marie

Cotteret, Claude Émeri, Pierre Lalumière, op. cit., p. XIX.

62 À propos des lois électorales. Pour des développements limpides sur ce point : Philippe Braud, op. cit., p.

80-135.

63 Ibid., p. 21. 64 Ibid., p. 135. 65 Ibid., p. 89.

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Plus fortement encore, il affirmait : « le mode de scrutin fait l’élection, c’est-à-dire qu’il fait la démocratie, ou la tue »67,68.

Si « les gens sérieux n’en parlent qu’avec le sourire »69, si les mécanismes électoraux ne rencontrent pas un intérêt démonstratif, c’est en partie en raison de leur connaissance a

priori entretenu par des abords aisés. Le découpage électoral en est un exemple confondant.

Il donne dans un premier temps une impression, vague mais assurée, d’une connaissance sur le sujet : on a « déjà vu ou entendu » quelque chose, on situe l’objet, il s’agit d’une notion connue. En d’autres termes, « on sait de quoi il en retourne ». Néanmoins, dans un second temps, ce sentiment se dissipe confusément dès que l’on essaie de surpasser le commentaire convenu ou ressassé épisodiquement par les médias. Le découpage électoral est d’une familiarité mystifiante, sa connaissance un faux semblant, prétexte à ne pas développer les recherches. Les apparences sont parfois trompeuses. Concernant le découpage électoral, elles servent souvent de révélateurs à une « action du politique » mais, pour les circonscriptions découpées, les apparences ne restent toutefois qu’un critère parmi d’autres pour les analyser. Pour dépasser ce qui est actuellement écrit sur les lois électorales et le découpage électoral en particulier, l’approche suivie tentera d’apporter un regard nouveau sur des éléments déjà analysés, et d’importer des méthodes nouvelles70. Il est ainsi

primordial de ne pas se focaliser exclusivement sur les effets électoraux du découpage. Le découpage électoral n’affecte pas seulement les résultats des élections, les immediate

politcal outcomes, mais plus amplement « the fundamental rules of the game »71, il devient

systématiquement une question partisane fortement controversée.

Le troisième intérêt du sujet immédiatement identifiable fait suite à cette idée par l’approche du découpage électoral en tant qu’institution, processus, décision ou action politique. Cette dimension est absente des recherches. Cette approche dépasse les seules conséquences électorales par l’étude de la pratique, de la méthode et des usages du découpage électoral sous la Ve République. Elle renvoie explicitement à l’incomplétude

67 Ibid., p. 168.

68 Cette assertion est encore discutée par les recherches relatives aux systèmes électoraux. Par exemple dans

l’excellent ouvrage : Pascal Delwit, Jean-Michel de Waele, Le mode de scrutin fait-il l’élection ?, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2000, 214 p.

69Michel Debré, op. cit., p. 165.

70 Par exemple : Thomas Ehrhard, « Le rôle des intérêts inter- et intra- partisans dans les processus de

découpage électoral. Vers une déconstruction du rôle des partis politiques », Revue internationale de politique

comparée, 1/2014, vol. 21, p. 65-87.

71 Sur ce point et le suivant : Andrew Gelman, Gary King, « Estimating the Electoral Consequences of

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actuelle de la définition du découpage électoral, à son cloisonnement dans les études électorales, et enfin à sa place minorée dans l’ensemble élargi des lois électorales. Comme si la délimitation des circonscriptions était un simple acquis, postérieur à l’établissement d’un nouveau mode de scrutin, et préalable à l’élection. Il a été vu que lorsque les circonscriptions coïncident avec des limites administratives préexistantes, la réalisation de la carte électorale ne connait pas de difficulté particulière. Il en est autrement lorsqu’elles doivent être créées artificiellement, comme pour les circonscriptions législatives en France. S’intéresser au processus permet d’appréhender au mieux la place curieuse72 du politique

dans l’opération, car le gouvernement organise les élections qui l’intéressent directement. Aussi, si la loi électorale est l’objet de manipulations c’est parce qu’elle dispose intrinsèquement d’éléments, visibles dans le processus, qui mettent en jeu sa neutralité. La question principale du processus est celle de la place de l’arbitraire dans l’élaboration du tracé des circonscriptions. Comment est-il encadré ? Quelles sont les contraintes qui pèsent sur l’action politique ?

Ces trois intérêts perceptibles aussitôt le sujet défini, mettent en évidence le dernier. Le découpage électoral est un sujet pluriel dont la recherche demande une connexion entre différentes sous-disciplines de la science politique. Son attrait provient des difficultés qu’il soulève73, des métaphores et comparaisons potentielles qu’il suscite. À la rencontre de ces

éléments se trouve le découpage électoral des circonscriptions législatives sous la Ve République.

Section 3. Cadre spatio-temporel du sujet

Depuis 1820, la France a connu douze découpages électoraux des circonscriptions législatives en 1820, 1831, 1852, 1857, 1862, 1867, 1875, 1889, 1927, 1958, 1986 et 2010. Le cadre temporel du sujet s’étend du 4 octobre 1958 à la période actuelle. Il comporte donc les trois derniers découpages électoraux comme cas d’étude. Il couvre l’ensemble de la Ve République. Ce cadre historique se justifie par le caractère uninominal du scrutin qui

nécessite une délimitation de circonscriptions en vue des élections législatives. Les scrutins

72 Cette qualification est celle de Jean-Claude Colliard in « Préface », in Laurent Touvet, Yves-Marie

Doublet, Droit des élections, Paris, Economica, 2007, p. IX.

73 Lisa Handley et Bernard Grofman : « Redistricting is a very important topic for anyone interested in

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organisés sous cette forme se sont tenus entre 1852 et 1870 dans le cadre des circonscriptions, entre 1875 et 1881 dans des arrondissements, avant de disparaitre. Ce sont les ordonnances du 13 octobre 1958 qui ont rétabli le scrutin uninominal, majoritaire à deux tours, dans le cadre de circonscriptions. Le cadre formé par Ve République se justifie aussi par l’homogénéité de la période couverte, une passerelle vers le XIXe siècle aurait déséquilibré la cohérence du sujet. En effet, contrairement à l’histoire institutionnelle française riche en modifications, la Ve République connait une certaine stabilité concernant

les modes de scrutin. Treize des quatorze scrutins législatifs ont ainsi été organisés avec un scrutin uninominal majoritaire identique, si l’on excepte le changement de seuil du nombre de suffrages nécessaires pour être qualifié au second tour74. L’exception de l’épisode

proportionnel dans le cadre du département adopté par la loi du 10 juillet 1985 ne dura qu’un an. Le scrutin uninominal majoritaire fut rétabli le 11 juillet 1986, occasionnant un nouveau découpage électoral. La constitution du 4 octobre 1958 participe également à renforcer l’unité du cadre temporel avec le droit à l’égalité, ici électorale, clairement énoncé.

Ce bloc historique définit une période politique longue mais relativement restreinte en cas d’études. Abordé par la temporalité du découpage électoral, il peut aussi se montrer fertile et intellectuellement fructueux. Il y a donc un intérêt vif à considérer l’espace-temps entièrement, y compris dans ses absences, afin de décoder le rythme structurant du découpage. Ainsi, le cadre formé par la Ve République est paradoxalement fécond. La France n’a connu que deux découpages électoraux depuis 1958, en 1986 et 2010. Sur cette dernière période, un redécoupage aurait dû survenir conformément à la loi75 dès le deuxième recensement intervenu en 1999. Le Conseil constitutionnel avait en outre souligné le caractère impératif d’un redécoupage à plusieurs reprises76. L’absence dépasse ici la simple anecdote pour devenir un fait central et remarquable. À l’évidence, la période temporelle délimitée par la Ve République oriente la recherche sur des cas tangibles autant

que sur leurs absences. Le principe d’égalité altéré par ces absences trouve une résonnance dans la crise de la démocratie77, essentiellement de la représentation en réalité, renforcée

74 Une limite de 10 % au moins du nombre des inscrits fut fixée par la loi en 1966, puis augmentée à 12,5 %

en 1976.

75 Article 2 de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986 : « […] en fonction de l'évolution démographique, après le

deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation ».

76 Dans ses observations du 15 mai 2003 relatives aux élections législatives de 2002, du 7 juillet 2005 sur les

échéances électorales de 2007, et du 29 mai 2008 relatives aux élections législatives de 2007.

77 Cet élément n’étant pas central, il n’y a pas lieu de s’étendre sur cette notion aussi vaste qu’usée et

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« au tournant des années soixante-dix et quatre-vingt »78. Cet élément contextuel termine de sceller le socle des bases communes du sujet défini par le cadre temporel Ve République. Ce cadre n’est toutefois pas restrictif. Il est le contour et non un carcan pour le sujet. Son agencement conceptuel permet une combinaison thématique et appelle des aménagements mélioratifs. D’abord, parmi les trois découpages électoraux, celui de 2010 sera particulièrement ciblé. Son achèvement après les premiers mois de recherche a permis son suivi complet et l’accès à ses acteurs. Cette thèse est aussi le premier travail universitaire qui lui est consacré, son apport sera donc inédit par rapport aux sources et conséquences électorales de ce découpage qui a « vécu » pour la première fois en 2012. Ensuite, le cadre de la Ve République sera bonifié par des incursions historiques, avec notamment la pratique

observable sous le Second Empire, ou enrichi par des comparaisons spatiales. Objet universel, la délimitation des circonscriptions se repère d’ailleurs plus fréquemment au centre de la littérature anglo-saxonne qu’à l’intérieur de celle en langue française.

Section 4. Rattachement bibliographique de l’étude du

découpage électoral

L’étude du découpage électoral en France est un sujet neuf. Il est presque vierge, au point d’apparaitre original. En France, le découpage électoral est un sujet sous-traité par la science politique : il est à la fois insuffisamment traité, par rapport à la place qu’il occupe ailleurs, et délégué à d’autres disciplines. Il est possible de percevoir une double lacune doctrinale, quantitative et qualitative. Deux causes expliquent ce constat. La première est liée à l’orientation de la discipline, la seconde tient à la difficulté, visible au déficit conceptuel, d’appréhender le sujet. À cet égard, l’intérêt que lui porte la discipline se résume-t-il à l’absence de définition du découpage électoral79 ? Il est sans doute excessif de répondre à cette interrogation par l’affirmative mais deux mouvements ethnocentrés concourent malgré tout à une certaine relégation du sujet. D’abord, et principalement, comme l’a noté Pierre Favre, car la sociologie électorale et l’étude des systèmes électoraux, qui ont pendant « longtemps constitué l’un des domaines les plus actifs et les inventifs de la

78 Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, histoire de la représentation démocratique en France, Paris,

Gallimard, 2002 (1998), p. 322.

79 Comme cela a été montré, le découpage électoral ne connait pas de définition clairement établie, ni d’entrée

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