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L’absence de découpage électoral : les facteurs d’un renoncement politique

Avant de s’intéresser aux découpages lorsqu’ils surviennent, un détour par ceux qui n’ont pas eu lieu s’impose. Saisir l’absence nécessite de faire référence à une situation de normalité qui aurait prévalu ordinairement. La fréquence des découpages électoraux est très éloignée de ce que la loi prévoyait. La périodicité a été entachée d’une absence de valeur normative (paragraphe 1). Des tentatives avortées de modifier la carte électorale marquent la période comprise entre 1986 et 2010, et conduisent à la maintenir inchangée. Nous essayerons d’en présenter les causes et conséquences politiques (paragraphe 2). Celles-ci seront ensuite confrontées à la théorie des réformes électorales afin de percevoir à quel point cette singularité remarquable peut être considérée comme spécifique au découpage électoral, et quelles en sont les conséquences épistémologiques (paragraphe 3).

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Paragraphe 1. L’absence de découpage électoral malgré la loi

La temporalité du découpage électoral sous la Ve République est liée à l’article L. 125 du

Code électoral. Depuis 1958, elle n’a été encadrée que sur une courte période, entre le 10 juillet 1985 et le 19 juin 2012 (A). Avant et après cette intervalle, aucune disposition ne prévoit de temporalité entre les opérations de redécoupage. Pendant la période où elle fut en vigueur, la périodicité des découpages ne fut pas plus fréquente. L’absence d’effectivité de ce critère est causée par des critères multiples (B).

A. L’article L. 125 : une périodicité prévue mais non-respectée

L’ensemble des contraintes délimitant les possibles des découpages électoraux a été vu, à l’exception d’un dernier critère, celui de la périodicité. Aujourd’hui supprimée, elle est demeurée en vigueur entre 1985 et 2012.

L’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à la composition et à la durée des pouvoirs de l’Assemblée nationale ne prévoyait aucune périodicité pour la révision de la répartition des sièges entre départements. Cela n’est pas surprenant, dans la mesure où cette imprécision textuelle était également présente pour la méthode de l’attribution des sièges et la délimitation des circonscriptions. Entre le 28 octobre 1964 et le 10 juillet 1985, le Code électoral n’a comporté aucune obligation de procéder à un redécoupage des circonscriptions de manière périodique. Son article L. 125 était laconique : « Les circonscriptions sont déterminées conformément au tableau no 1 annexé au présent code ». Le découpage électoral n’a ainsi été soumis à aucune contrainte juridique concernant sa périodicité jusqu’au changement de mode de scrutin réalisé en 1986. La périodicité fait son apparition en même temps que l’ensemble des critères et contraintes qui sont mis en place. Initiée par la loi, elle précède même de quelques mois les premières décisions du Conseil constitutionnel relatives au découpage. L’introduction de la périodicité de la révision des circonscriptions législatives date du 10 juillet 1985, dans l’article L. 125 : « La révision de la répartition des sièges a lieu au cours de la première session ordinaire du Parlement qui suit la publication des résultats du recensement général de la population ». La référence exclusive à la répartition des sièges s’explique par le mode

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de scrutin alors en vigueur (proportionnel dans le cadre départemental) qui ne nécessitait pas de délimitation de circonscriptions. Elle sera modifiée en conséquence, un an plus tard, lors du retour du scrutin majoritaire uninominal. Suite à la décision du 2 juillet 1986, la nouvelle formulation du Code électoral se conforme au changement intervenu. Le 12 juillet 1986, elle est énoncée de la manière suivante : « Il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l’évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation ». Cette version restera en vigueur jusqu’au 19 juin 2012, date à laquelle, la périodicité des découpages électoraux est supprimée du Code électoral, dans une indifférence totale.

Une interprétation trop rapide de la causalité entre la décision du Conseil constitutionnel et sa codification s’observe parfois544. La précision démontre au contraire que le Conseil

constitutionnel n’a pas véritablement posé de principe, sa formulation en plus d’être ouverte, reprend le principe de la périodicité de l’ajustement de la carte électorale, déjà inscrite dans le Code lors de cette décision. En l’espèce, après avoir précisé que le respect de l’égalité de suffrage impliquait une révision périodique, le Conseil constitutionnel n’en a pas fixé les détails. Il se fonde même assez explicitement sur l’article L. 125 de l’époque pour constater, qu’un nouveau découpage doit intervenir après « chaque recensement général de la population »545.

Théoriquement, la révision était indexée sur le recensement, c’est-à-dire sur l’évolution démographique. Elle était, en ce sens, le corollaire des bases « essentiellement démographiques », fondement du découpage électoral. La temporalité prolongeait ainsi le principe démographique pour atteindre un respect de l’égalité électorale. Spécifiquement à propos de la temporalité, celle prévue en 1985 (après chaque recensement général) était plus fréquente que sa version ultérieure, qui prévoyait une nouvelle délimitation des circonscriptions après deux recensements. Cet allongement peut être interprété, a

posteriori, comme un indice de la retenue prudente du personnel politique concernant les

opérations de découpage électoral. Malgré une décision du Conseil constitutionnel dans laquelle se devine le souhait d’un maintien de la périodicité prévue, le doublement du délai entre deux ajustements de la carte électorale dès 1986 montre le peu d’empressement à les réaliser.

544 Clément Benelbaz, op. cit., p. 1685.

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En 2007, Laurent Sermet s’interrogeait sur la manière d’éviter un prolongement de la situation vécue à partir de 1986. Il concluait à la nécessité d’une révision périodique, dont le respect serait assuré par l’État de droit, alors que la règle de l’article L. 125 était « jusqu’à présent, restée lettre morte »546. La réalisation de ce souhait, unanimement partagé et reconnu au-delà des oppositions partisanes, s’est éloignée depuis la suppression de l’alinéa relatif à la temporalité, le 19 juin 2012.

Intuitivement, il peut être pensé que cette suppression pourrait être causée par le changement de méthode de recensement. En ce sens, il ressort en des observations547 du

Conseil constitutionnel du 29 mai 2008, relatives aux élections législatives des 10 et 17 juin 2007, que les termes de l’article L. 125 sont devenus obsolètes depuis la suppression des recensements généraux. Néanmoins, la suppression de la temporalité semble une réponse disproportionnée à la demande du Conseil. Une simple modification rédactionnelle aurait permis de rendre opérant le principe du recensement périodique. En effet, comme cela a été vu, malgré un recensement glissant, les communes de moins de 10 000 habitants connaissent une enquête tous les cinq ans par roulement. Cette périodicité aurait pu servir de base à une nouvelle temporalité rythmée sur la nouvelle technique du recensement. Mais plus simplement encore, une révision périodique de la délimitation des circonscriptions aurait pu être définie en se référant au décret d’authentification annuel de la population. En raison de cette souplesse, la périodicité atteindrait un vaste choix concernant la fixation des délais entre chaque découpage. Ces deux exemples montrent que la suppression de la périodicité n’était pas une fatalité liée à la nouvelle méthode de recensement.

Une autre raison peut être alors invoquée avec plus de succès : l’inopérance de la temporalité. Elle porte non pas sur son caractère technique, clairement énoncé et réalisable sans difficulté, mais sur son respect et l’aspect coercitif de sa mise en œuvre. Plus précisément, l’explication de cette suppression est à chercher dans l’absence de valeur normative de cet alinéa de l’article L. 125, en raison de l’impuissance à le faire respecter faute de sanction prévue. C’est d’ailleurs avec un certain fatalisme que Frédéric Lénica, Marc Tschigffrey et le conseiller d’État interrogé ont reconnu l’absence d’effectivité de cet alinéa. Il a alors pu être considéré (de manière transitoire) qu’il était inutile de maintenir cet

546 Laurent Sermet, op. cit., p. 2361.

547 Jean-Claude Colliard, « Le Conseil constitutionnel conseiller en matière électorale », in Bernard Owen

(dir.), op. cit., p. 56 : Après chaque consultation électorale sur laquelle il a exercé son contrôle, le Conseil « publie des observations pour faire le bilan des opérations et, surtout, indiquer les modifications des textes législatifs ou réglementaires qui lui paraissent souhaitables ».

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alinéa. Il reste néanmoins curieux que cette suppression soit intervenue après l’arrivée au pouvoir d’un nouveau Président de la République et de sa majorité législative plutôt qu’à l’issue du dernier découpage électoral en 2010. Une modification aurait pu recouvrir une certaine logique, dans l’attente d’aménagements solvant les difficultés rencontrées lors de la réalisation de la carte électorale. Il n’en est rien. Le 19 juin 2012, cette suppression sèche et isolée est passée complètement inaperçue548 alors qu’elle bouleverse – malgré tout – le

système. Entre ne pas respecter la temporalité, et n’avoir plus aucune temporalité de prévue, le sens du découpage électoral diffère. Si la différence est ténue en pratique, elle est fondamentale en théorie pour l’encadrement juridique. Les contraintes ne produisant pas seulement des effets directs et attendus, les retirer est un signal de renoncement à les faire respecter.

Il existe maintenant un vide juridique, consécutif à une absence (ou résignation) politique de procéder au découpage électoral. La France ne compte plus aucune indication de la fréquence à laquelle les découpages électoraux doivent être réalisés. Elle partage cette caractéristique avec le Yémen et les Territoires Palestiniens. Avant de poursuivre plus en avant sur la temporalité positive du découpage électoral, il est nécessaire de prolonger la temporalité négative par l’étude de l’absence de redécoupage électoral malgré la loi. Comment cela-t-il pu se produire ?

B. Une inopérance liée à l’impuissance du Conseil constitutionnel

Plusieurs facteurs ont contribué à ce qu’il n’y ait pas eu de redécoupage électoral entre 1958 et 1985-1986. Dans un ordre croissant d’importance, il est possible de citer : l’absence de contrainte législative concernant la périodicité, la hausse relativement modérée de la population jusque dans les années 1970, la création de circonscriptions supplémentaires et le rôle inexistant du Conseil constitutionnel549. Ces éléments ont permis au découpage de 1958, réalisé sur les données du recensement de 1954, de durer 27 ans.

548 Aucune déclaration publique, aucun article universitaire, aucune brève journalistique n’y a fait allusion. 549 Qui est plus large que la question de la périodicité. Les premières jurisprudences relatives au découpage

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Sur la période suivante, entre 1986 et 2008, le Conseil constitutionnel ne fut pas inactif mais impuissant, malgré des demandes « itératives »550. Suivant la temporalité prévue par l’article L. 125, une nouvelle délimitation des circonscriptions aurait dû survenir dès 1999, suite aux deux recensements généraux de 1990 et 1999 intervenus depuis le dernier découpage électoral de 1986, basé sur les données de 1982. Le Conseil constitutionnel avait rappelé la nécessité d’un nouveau découpage électoral. À trois reprises, dès la périodicité atteinte, il s’était saisi de cette question et en avait souligné le caractère impératif : dans ses observations du 15 mai 2003 relatives aux élections législatives des 9 et 16 juin 2002551, du

7 juillet 2005 sur les échéances électorales de 2007552 et du 29 mai 2008 relatives aux

élections législatives des 10 et 17 juin 2007553.

Le Conseil constitutionnel avait gradué ses observations, toutes basées sur « des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution ». Il incombait au législateur de modifier le découpage en 2003. En 2005, le Conseil avait jugé « regrettable » s’il n’était pas réalisé avant les échéances électorales de 2007, et que le cas échéant, cela devait « être entrepris au lendemain de celles-ci ». En 2008, après avoir rappelé ses observations précédentes, les sages de la rue Montpensier ont qualifié d’impérative554 une nouvelle

délimitation des circonscriptions législatives. Le vocable est passé du rappel ferme à l’injonction, mais là où le Conseil constitutionnel aurait pu l’imposer, au-delà des mots, il s’y est refusé, non sans raisons.

L’argument de l’inégalité démographique entre les circonscriptions a été soulevé à de nombreuses reprises depuis les élections législatives de 2002555,556. Il a mobilisé les

constitutionnalistes, comme Pascal Jan qui avait déposé une requête dirigée contre le décret de convocations des électeurs557, mais aussi le Front national qui avait déposé 339 requêtes

550 Jean Gicquel, Jean-Éric Gicquel, Droit Constitutionnel et institutions politiques, 22e éd., Paris,

Montchrestien, 2008, p. 642.

551 JORF, 21 mai 2003, p. 8694. 552 JORF, 8 juillet 2005, p. 11259. 553 JORF, 4 juin 2008, p. 9205.

554 La phrase exacte est la suivante : « Il est désormais impératif de procéder à ce découpage ».

555 Par exemple concernant la demande d’annuler les décrets de convocations des électeurs en 2002 : Cons.

const., déc. no 2002-2621/2666/2700 du 25 juillet 2002, Cons. const., déc. no 2002-2725 du 10 octobre 2002. 556 En 2007, ce furent 461 requêtes stéréotypées, avec comme unique grief les inégalités de représentation de

la carte électorale. Pour aller plus loin : Jean-Pierre Camby, op. cit., p. 15 et suivantes.

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par l’intermédiaire de ses candidats558. Le rejet de ces requêtes s’explique aisément. Selon sa jurisprudence constante, Le Conseil constitutionnel se refuse lorsqu’il est saisi sur la base de l’article 59 de la Constitution, à se prononcer sur la constitutionnalité des textes applicables559. Jean-Claude Colliard estime que le Conseil n’a pu dévier de sa position traditionnelle du refus de se prononcer sur la loi électorale en tant que juge électoral560. En

conséquence, pour l’article L. 125 du Code électoral, cela signifie que l’alinéa qui comprenait la temporalité « n’avait pas de valeur normative », car « le législateur ne pouvait se lier pour l’avenir »561. L’impuissance à obtenir une application de la périodicité

prévue était donc réelle, en l’absence de solution alternative562, y compris par la

conventionalité563. Mais elle ne fut pas totale, car le Conseil constitutionnel « avait déposé

dans le Code électoral une "bombe à retardement" »564 en subordonnant la création de deux

nouveaux sièges de député à Saint-Martin et Saint-Barthélemy à la correction « des disparités démographiques affectant actuellement l’ensemble des circonscriptions législatives au plan national »565, c’est-à-dire à un nouveau découpage électoral. Le Conseil

constitutionnel aurait pu également utiliser « son arme ultime » d’après Marc Tschiggfrey566, en annulant des élections, cette piste étant une hypothèse très peu

probable567, illusoire voire « impossible ».

Ce n’est donc pas la faute d’un manque de tentatives et de moyens qui aura empêché de donner une valeur normative à la périodicité prévue par le Code électoral. La théorie des contraintes juridiques s’applique avec pertinence : une obligation « peut toujours être

558 Nadine Susani, « Le Conseil constitutionnel et le découpage électoral pour les élections législatives de

2007 », Revue Française de Droit Constitutionnel, 2007, no 69, p. 145-159.

559 Jean-Claude Colliard, « Le Conseil constitutionnel conseiller en matière électorale », in Bernard Owen

(dir.), op. cit., p. 59.

560 Jean-Claude Colliard, « Le découpage électoral et la commission prévue à l’article 25 de la Constitution »,

Les Petites Affiches, 19 décembre 2008, p. 42-46.

561 Ibid., p. 42.

562 Une autre hypothèse avait été soulevée par Bernard Maligner in « L’actualité du droit électoral français »,

in Bernard Owen (dir.), op. cit., p. 21-22. Il y évoque la possibilité d’un contrôle de conventionalité de la loi.

L’absence de découpage électoral aurait pu être « contestée au regard des dispositions de l’article 25, B, du Pacte international sur les droits civils et politiques, qui font référence au principe d’égalité ».

563 La Cour Européenne des Droits de l’Homme a jugé que l’absence de prise en compte « du dernier

recensement dans la carte électorale n’avait pas réduit "de façon substantielle" les droits du requérants ». Pour aller plus loin sur ce point : Laurent Touvet, Yves-Marie Doublet, « Les modes de scrutin en France », in Laurent Touvet, Yves-Marie Doublet, op. cit., p. 431.

564 Jean-Claude Colliard, « Le découpage électoral et la commission prévue à l’article 25 de la Constitution »,

op. cit., p. 43.

565 Cons. const., déc. no 2008-24 ELEC du 29 mai 2008 : par une réserve d’interprétation sur la loi organique. 566 Les deux termes « arme ultime » et « impossible » sont de Marc Tschiggfrey. Source : Entretien avec Marc

Tschiggfrey.

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transgressée si elle n’est pas efficacement appuyée par une contrainte appropriée »568. En son absence, il n’y aucune équivalence systématique entre le caractère obligatoire d’une action et son application. Le raisonnement peut paraître simpliste mais il fait appel à la source du droit : si cette équivalence « était toujours vraie, le droit n’aurait pas besoin de sanction, il n’y aurait jamais de crime », ni de « transgression de normes juridiques, ce qui est totalement absurde »569. Les injonctions du Conseil constitutionnel de procéder à une

nouvelle délimitation paraissent marquées de la conscience de cette fatalité.

Les apports conceptuels de la théorie des contraintes juridiques permettent de relativiser le non-respect de la temporalité du découpage électoral, par une inscription dans un ensemble conceptuel juridique plus vaste qui n’est pas spécifique à cette loi. L’obligation normative de redécouper n’équivaut pas à une contrainte absolue dans la mesure où elle est dépourvue de sanction. La formulation de l’article L. 125 est, de plus, marquée par une formulation déclarative prononcée570. Les majorités successives s’en sont jouées, comme le cabinet du

Premier ministre, Lionel Jospin, pour lequel « l’article L. 125 n’oblige[ait] en rien le gouvernement à procéder à un redécoupage »571. Il ne s’agit toutefois que d’une

interprétation politique, parfois curieusement partagée par la doctrine, selon laquelle ne pas redécouper « ne constitue ni une illégalité, ni une inconstitutionnalité »572. Cette

interprétation se révèle doublement erronée. Elle méconnait d’abord, la différence fondamentale « au sens juridique »573 entre les normes sans sanction, les normes avec contraintes et sanction, et les contraintes sans normes. En ce sens, ce n’est pas parce qu’une norme ne prévoit pas de sanction, que sa violation n’est pas illégale. A contrario, cela reviendrait à considérer que sa violation est légale ! Cette interprétation se méprend ensuite fortement sur la teneur des décisions du Conseil constitutionnel. S’il n’a pas agi contre l’absence de découpage électoral, c’est à cause de l’impossibilité constitutionnelle pour lui de se prononcer sur cet objet, comme cela a été présenté, et en raison de l’absence de sanction prévue par l’article L. 125. Il n’a, en aucun cas, déclaré l’absence de découpage constitutionnelle. Une telle position semble incongrue comme en témoignent les

568 Christophe Grzegorcyk, « Obligations, normes et contraintes juridiques. Essai de reconstruction

conceptuelle », in Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats, Christophe Grzegorcyk, Théorie des

contraintes juridiques, Paris, L.G.D.J., 2005, p. 25.

569 Ibid., p. 30.

570 « Il est procédé à la révision des limites des circonscriptions […] ». 571 Le Monde, 10/09/1999.

572 Cette curiosité est d’autant plus forte quand son auteur est un constitutionnaliste : Clément Benelbaz, op.

cit., p. 1687.

573 Christophe Grzegorcyk, « Obligations, normes et contraintes juridiques. Essai de reconstruction

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observations du Conseil. Cet état de fait a profondément « déplu » et « agacé »574 les sages mais témoigne de l’impuissance de l’institution (sur ce point).

Par le dépassement d’une vision de l’obligation seulement pensée en fonction des normes, la théorie des contraintes juridiques permet également de situer l’acteur dans le contexte juridique au sein duquel il agit. Cela permet de comprendre pourquoi un acteur accomplit une obligation, et les raisons qui peuvent le pousser à ne pas en respecter d’autres. En ce sens, le qualificatif de « regrettable » employé par le Conseil constitutionnel semble intégrer cette dualité, et la conception de normes non sanctionnées car sans contraintes de fait.

Jusque dans ses dernières observations, le Conseil constitutionnel n’a pu que se montrer sévère et menaçant dans ses formulations. La carte électorale est donc restée inchangée entre les élections pendant vingt-quatre ans, de 1986 et 2010. Sous un autre angle, les délimitations des circonscriptions ont été identiques pour les élections de 1988, 1993, 1997, 2002 et 2007, alors qu’elles auraient dû être modifiées pour les scrutins de 2002. Cet état de fait subi a été suivi par la doctrine. Malgré une actualité cyclique, à l’approche de chaque nouvelle élection, les inégalités de représentations autant que l’absence de redécoupage furent signalées. Notamment par Pierre Avril qui estimait singulier que cet « espèce de scandale […] n’ait pas été davantage dénoncé »575. D’autres moins virulents, comme Claude Émeri576 et Dominique Turpin577, avaient écrit l’urgence qu’il y avait à redécouper. Jean-Claude Colliard avait profité d’une préface pour faire connaître son point de vue, dans une prose sans détour : « Nous avons voté en 2007 sur des contours établis en 1986 sur la

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