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La progression de l'âme dans la foi : à travers les "Homélies sur le cantique des cantiques" de Grégoire de Nysse

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Texte intégral

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La progression de l’âme dans la foi

À travers les Homélies sur le Cantique des cantiques

de Grégoire de Nysse

Mémoire

Marleine el-Khoury

Maîtrise en théologie

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

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La progression de l’âme dans la foi

À travers les Homélies sur le Cantique des cantiques

de Grégoire de Nysse

Mémoire

Marleine el-Khoury

Sous la direction de

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Résumé

« La progression de l’âme dans la foi »

À travers les Homélies sur le Cantique des cantiques de Grégoire de Nysse, j’étudie la façon par laquelle l’âme prend connaissance de son intérêt envers un Absolu, essayant de comprendre qui est cet Absolu. Ainsi progresse-t-elle dans un cheminement constant qui ressemble à une progression non dépourvue d’une certaine pédagogie. Dans la foi, l’âme se construit selon des considérations rationnelles bien précises qui sont le fruit de la raison issu du vécu spirituel, tout au long de sa vie.

La progression de l’âme dans la foi constitue le sujet de mon étude et correspond à ses trois parties centrales : la « Foi » trace la pédagogie avec laquelle l’âme avance dans sa connaissance d’elle-même et du but qui la tend vers l’Absolu qui l’attend. L’« Espérance» approfondit les dogmes que la raison élabore dans sa relation à l’Absolu rencontré. L’« Amour » se construit petit à petit en se donnant des raisons d’y croire à travers les expériences spirituelles qu’elle se trouve capable de vivre et dont elle ne sera plus capable de s’éloigner.

Donner un sens à sa propre vie est la raison d’être de cet itinéraire parcouru par l’âme.

(4)

Table des matières

Résumé ...iii

« LA PROGRESSION DE L’ÂME DANS LA FOI » Table des matières ... iv

Remerciements ...v

Préambule ... vi

Introduction ... 1

1 Première partie : Grégoire de Nysse ... 4

1.1 PREMIERCHAPITRE ... 4

1.1.1 Vie et formation ... 4

1.2 DEUXIEME CHAPITRE :SON ŒUVRE ET SON RȎLE DANS SON SIECLE ... 15

1.2.1 Le IVème siècle : survol politique et ecclésial ... 15

1.2.2 Son œuvre ... 18

1.2.3 Sa théologie et son siècle ... 21

1.3 TROISIEME CHAPITRE ... 25

1.3.1 Théologie : bagage et héritage ... 25

2 Deuxième partie ... 30

Le livre du Cantique des cantiques ... 30

2.1 PREMIER CHAPITRE ... 30

LE LIVRE : PRESENTATION HISTORIQUE ET LECTURE SYMBOLIQUE ... 30

2.2 DEUXIEME CHAPITRE ... 37

LE CANTIQUE DANS LA TRADITION PATRISTIQUE :HIPPOLYTE DE ROME ET ORIGENE ... 37

2.2.1 L’interprétation d’Hippolyte de Rome ... 37

2.2.2 L’interprétation d’Origène ... 41

2.3 TROISIEME CHAPITRE ... 47

2.3.1 L’interprétation de Grégoire ... 47

3 Troisième partie ... 52

La progression de l’âme dans la foi ... 52

3.1 PREMIER CHAPITRE ... 59

PREMIERE ETAPE :LA LUMIERE ... 59

3.1.1 Le buisson ardent ... 59

3.1.2 L’apatheia ... 67

3.1.3 La parrhêsia ... 76

3.2 DEUXIEME CHAPITRE ... 82

DEUXIEME ETAPE :LA NUEE ... 82

3.2.1 La vanité du monde ... 85

3.2.2 La contemplation invisible des choses de Dieu... 87

3.3 TROISIEME CHAPITRE ... 102

TROISIEME ETAPE :LA TENEBRE ... 102

3.3.1 La « connaissance existentielle de Dieu » ... 107

3.3.2 L’Extase ... 116

Conclusion ...127

(5)

Parce qu’elle a dit : «Je suis blessée d’amour » Ct 2, 5 Parce qu’ils ont dit : « Notre cœur n’était-il pas brûlant lorsqu’il nous expliquait les Écritures ?» Lc 24, 32

Remerciements

À ma famille qui a accepté ma longue absence et m’a transmis la foi des Pères.

À M. Paul-Hubert Poirier, mon directeur de recherche, en qui j’ai découvert une personne qui sait allier la rectitude intellectuelle à la douceur de l’âme.

À tous les enfants, les jeunes, leurs parents rencontrés dans mon travail pastoral, bénévoles, catéchètes, paroissiens et pasteurs, une multitude de « pierres vivantes », de chercheurs de Dieu en qui j’ai entendu la voix de cette Église-Épouse qui espère son Époux.

(6)

Préambule

L’objet d’étude de ce travail universitaire est le Cantique des cantiques, livre sacré, qui décrit le sentiment d’amour humain entre une pastourelle et son berger. La tradition chrétienne à laquelle appartient Grégoire de Nysse, auteur du commentaire étudié, a toujours reçu ce texte de façon symbolique. Il décrit le sentiment religieux d’amour spirituel de l’Épouse, l’âme ou l’Église envers celui dont elle se sait aimée, son Époux, Dieu.

Afin de dissiper toute distraction inutile, il me semble important de souligner d’emblée ce caractère symbolique -allégorique et parabolique- qui situe l’analyse au-delà des descriptions physiques et sentimentales de l’amour humain. Cela dit, la première lecture littérale du texte n’est pas à bannir d’emblée ; elle donne au sens spirituel de la deuxième lecture une profonde valeur humaine dans une participation incarnée à la vie divine.

Cette étude se veut être une ode à la foi qui habite l’âme humaine et qui est la réponse à tout amour divin et humain, tout à la fois.

(7)

Introduction

C’est par l’expression d’une admiration que je souhaite amorcer cette étude. Elle décrit au mieux la profondeur théologique de Grégoire de Nysse, théologien mystique du quatrième siècle, l’auteur des Homélies sur le Cantique des cantiques. Elle appartient à Hans Urs von Balthasar1, l’un de ses commentateurs ; parlant de Grégoire de Nysse, il dit ceci :

Pour qui l’expérience religieuse se traduit sans brisure par l’expression conceptuelle, pour qui le cristal de la pensée s’allume intérieurement et devient une vie mystique […] Le charme de Grégoire c’est l’harmonie parfaite qui règne entre le « système » et sa réalisation religieuse, entre l’idée et le drame.

En effet, tout en systématisant sa pensée théologique, Grégoire semble y décrire un vécu personnel tout autant théologique que spirituel. Cette unité entre la spiritualité et la théologie est le propre de la pensée mystique de Grégoire de Nysse dans sa compréhension de la mission de l’âme humaine, créée homme et femme, dans un chemin de retour vers son créateur. Comme si pour lui, la réflexion théologique éclairait la spiritualité chrétienne et cette dernière nourrissait la première. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de travailler sur les Homélies sur le Cantique des cantiques. Cette œuvre résume au mieux sa pensée mystique dans une réflexion théologique et pédagogique fondée sur les écrits bibliques. Elle est construite sur la pensée de la Tradition de son époque, celle de la patristique grecque.

Pour quelle raison choisir un Père de l’Église grecque alors que plusieurs siècles et un abîme de pensée philosophique et de culture théologique utiles à la compréhension de l’intériorité de l’âme nous séparent ? Nous n’avons en commun ni les mêmes références pour la réflexion ni la même organisation de la pensée elle-même, qu’a-t-il à nous dire ? Étant à mille lieux de la culture des Pères de l’Église et des différentes précisions théologiques, en majorité, bien installées pour nous tel un héritage plusieurs fois millénaire et qui se passe de toute contradiction, quel apport peuvent-ils encore nous offrir ?

1

Hans Urs von Balthasar, Présence et pensée. Essai sur la philosophie religieuse de Grégoire de Nysse, Paris, Beauchesne, 1941, introduction p. XIV.

(8)

La réponse est double, tout à la fois subjective et objective.

Elle est subjective comme dans le retour au passé de son adolescence patristique effectué dans les années quarante, l’Église2

a cherché à retrouver les élans de sa jeunesse comme un tremplin pour reprendre sa route. Comme un coffre à souvenirs qu’elle se permet d’ouvrir à l’occasion pour se rappeler le temps de sa jeunesse où elle se cherchait, se définissait malgré et au gré des pensées et des cultures environnantes de son temps. Je souhaite à mon tour, dans ce travail de formation universitaire, construire ma réflexion théologique sur la progression de l’âme dans la foi à l’image de nos ancêtres.

Elle est objective parce que dans ce retour au passé, la réflexion se construit dans la continuité, fidèle au dépôt de la Foi, précieusement gardé au fil des siècles afin de le retrouver, le comprendre, s’en nourrir et se construire pour aller de l’avant. À l’instar du travail de nos Pères, la réflexion théologique et pastorale, aujourd’hui, a besoin de trouver dans notre société les germes de la semence du Verbe qui ont su traverser le temps, nourris au souffle de l’Esprit.

Les Pères de l’Église, théologiens et pasteurs, ont su inventer leur propre chemin pour répondre aux questions de la Foi. Une similitude peut être perçue dans nos deux situations malgré l’éloignement du temps. Notre société ressemble à la leur : syncrétique, multiculturelle, multiréférentielle et multireligieuse.

Dans ses Homélies sur le Cantique des cantiques, Grégoire de Nysse retrace l’itinéraire de l’âme dans la foi en l’exprimant dans un langage simple et accessible – quoiqu’un peu romancé et fleuri –, compréhensible par ses auditeurs. Il a su mettre en mots cet itinéraire pour leur permettre de trouver à travers des exemples de leur vie quotidienne des points d’ancrage à leur propre construction spirituelle de leur foi.

À part le chemin de l’âme dans la foi, à travers cette étude, je souhaite pouvoir comprendre l’organisation de la pensée de Grégoire et sa capacité de la mettre à disposition de tout un chacun. Aussi voudrais-je pouvoir l’exprimer dans nos mots et notre langage d’aujourd’hui.

(9)

Ce travail se divise en trois parties : Grégoire de Nysse, le livre du Cantique des cantiques et les commentaires des Pères jusqu’à Grégoire et enfin, la pensée de ce dernier à travers ses homélies écrites vers 390.

Pour ce faire, dans un premier lieu, nous prendrons le temps de connaître Grégoire de Nysse, sa vie et son œuvre. Nous nous arrêterons aussi sur les grands défis de son siècle qui ont façonné sa pensée et forgé sa spiritualité. Parce qu’il a été un grand théologien et qu’il a influencé son temps pendant longtemps, nous survolerons les points forts de sa théologie en réponse aux difficultés rencontrées par l’Église.

Dans un second lieu, nous étudierons de près le livre du Cantique des cantiques selon sa réception dans l’histoire et les différentes interprétations qui lui ont été données, en premier par le peuple d’Israël puis par la tradition chrétienne. Nous verrons aussi les deux grands commentaires de ce livre par deux Pères de l’Église, Hippolyte de Rome (235) et Origène (254). Nous soulignerons en particulier, le fil d’or qui prolonge ces deux commentaires dans la pensée de Grégoire.

Dans un troisième lieu, la place sera donnée à l’itinéraire de l’âme dans la foi dans les homélies de notre auteur. Nous approfondirons les trois voies de l’avancée de l’âme vers son Dieu : la Lumière, la Nuée et la Ténèbre avec leurs différentes étapes.

Nous verrons que ces trois voies ne sont ni distinctes, ni consécutives. Elles se succèdent les unes après les autres dans un itinéraire singulier dans lequel les étapes de ces trois voies s’emboîtent les unes dans les autres et où chacune des étapes introduit la suivante et grandit par la précédente dans un ordre tout à fait unique qui s’approfondit en avançant et en se répétant indéfiniment.

(10)

1 Première partie : Grégoire de Nysse

Certes est-il inutile de rappeler ici la difficulté de retracer la vie de Grégoire de Nysse de façon complète et avec précision car notre connaissance en reste parcellaire et conjecturelle. Comme tout travail d’histoire, nous avançons avec prudence et tâtonnement ; nous cherchons des indices culturels et sociaux dans des textes, des lettres et des homélies de Grégoire mais aussi dans les documents le concernant chez ses contemporains religieux et profanes. C’est avec cet esprit que je souhaite dresser dans cette première partie, à grands traits, quelques moments-clés de sa vie et de sa théologie afin de présenter le dernier des Cappadociens et le « fondateur de la théologie mystique1 ».

Cette première partie est constituée de trois chapitres. En premier lieu, je présenterai sa vie et sa formation, dans le second chapitre, je résumerai son œuvre et son rôle dans son siècle et pour le troisième chapitre, j’essaierai de rechercher quelques points importants de l’héritage théologique et spirituel qu’il nous a laissé.

1.1 Premier chapitre

1.1.1 Vie et formation

Né après 331, il fut l’un des pères Cappadociens, frère cadet de Basile de Césarée, ami de jeunesse de Grégoire de Nazianze. Il est né dans une famille de neuf enfants dont Macrine était l’aînée et Pierre, le futur évêque de Sébaste, le benjamin. Parmi les membres proches de sa famille, nous dénombrons plusieurs chrétiens de vie sainte : sa grand-mère « Macrine l’ancienne », sa mère Emmélie, sa sœur « Macrine la jeune », deux de ses frères Basile, évêque de Césarée, et Pierre, évêque de Sébaste. Sa lignée n’en demeure pas moins fournie, elle comporte des personnalités chrétiennes reconnues pour une vie sainte, descendantes des quarante martyrs. Les grands-parents paternels ont vécu la persécution sous Dioclétien en Cappadoce et du côté de sa mère une proximité est considérée avec Grégoire le

1 Jean Daniélou, Platonisme et théologie mystique, la doctrine spirituelle de Grégoire de Nysse, Paris,

(11)

Thaumaturge, disciple d’Origène et évangélisateur de la Cappadoce en mémoire duquel Grégoire héritera du nom et lui consacrera une biographie.

Le père de Grégoire était un rhéteur de renom ayant pour profession l’enseignement de sa propre matière, la rhétorique. Contrairement à Basile, Grégoire n’a pas fréquenté les grandes universités et la culture classique, sa formation est restée locale et limitée à la rhétorique enseignée par son père et son grand frère. À travers leur enseignement, il connaîtra et utilisera avec talent les grands classiques grecs et les sciences humaines connues par eux. Sa formation est restée autodidacte2. C’est ainsi qu’il aura des connaissances approfondies en philosophie, en rhétorique, en sciences naturelles et cosmologiques mais aussi il connaîtra avec précision le fonctionnement du corps humain. Il évolue dans sa jeunesse sous l’aile protectrice de son grand frère Basile et sa sœur Macrine qu’il considère tous deux comme ses « didascales », ses pédagogues. Dans leurs oraisons funèbres respectives, il expliquera la dette humaine et spirituelle qu’il doit à chacun.

En 355, à l’instar de son frère Naucratius, son aîné après Basile, qui en 352, délaisse la vie urbaine pour devenir ermite, sa famille, elle aussi, adopte la vie ascétique et se retire à Annési la résidence familiale dans la région du Pont. Dans cette retraite, ils vont vivre en communion de vie, comme dans un monastère avec leurs serviteurs, travaillant de leurs mains et venant en aide aux démunis. Les femmes vivaient dans la résidence familiale située d’un côté du fleuve l’Iris, sous la direction de Macrine « la jeune », grande sœur de Grégoire, tandis que de l’autre côté, se trouvera le monastère des hommes. En 358, son grand frère Basile, Grégoire de Nazianze et bien plus tard Grégoire de Nysse y feront des séjours épisodiques. La règle de la vie monastique de Basile est en grande partie inspirée de cet épisode de vie monastique familiale et aussi de l’influence d’Eustathe, évêque de

2 Michel Aubineau dans l’introduction du Traité de la virginité de Grégoire de Nysse, Paris, Du Cerf (coll.

Sources Chrétiennes, no. 119), 1966, p. 29-82. D’après ma compréhension de la note 2 p. 55 : s’adressant à Libanios, illustre rhéteur d’Antioche, Grégoire lui dit : « Je vous consacrai (à vos écrits), avec une ardeur sans réserve, tout ce que j’avais de loisir et je devins passionnément amoureux de votre art ».

(12)

Sébaste, « qui se faisait le zélé propagateur de l’ascétisme en Asie Mineure3 ». En 359, Naucratius, son grand frère après Basile, mourra dans un accident en forêt près de la résidence familiale à Annesi ayant accompli ainsi une vie toute donnée à la foi.

Grégoire devait être jeune étudiant au début de la vingtaine quand il semble vivre un moment de crise religieuse. De cette époque, nous savons peu sinon l’avènement d’un songe qui changera le cours de sa carrière mondaine. Il fut invité par sa mère non sans insistance à assister à une célébration religieuse pour la déposition des reliques des quarante martyrs. Ne voulant pas contredire la volonté de sa mère, il y assiste contre son gré. Ce sont des détails qu’il évoque dans son discours sur les quarante martyrs, des phrases comme celle-ci : « Je reçus assez mal cette invitation […] blâmant en secret ma mère… » qui nous renseignent sur son état d’esprit envers la religion et les célébrations qui semblaient l’ennuyer. Cet épisode situe aussi son lieu de domicile, il ne devait pas être loin géographiquement du bourg où avait lieu la cérémonie. Ce bourg nommé Ibora à proximité d’Annesi est quand même suffisamment loin de son domicile pour que Grégoire ait eu besoin de s’y rendre la veille pour le lendemain et avoir eu besoin de se reposer à son arrivée. Sans doute, dit Michel Aubineau4, Grégoire habitait-il à Césarée en Cappadoce ou Néo Césarée dans le Pont. Ces deux grandes villes lui permettaient de poursuivre sa formation.

Pendant la vigile, alors qu’il faisait la sieste dans une maison voisine, il voit en songe, une foule de soldats5 qui s’approchaient de lui pour le rouer de coups. Dans le discours sur les quarante martyrs dans lequel il relate ce songe, il raconte que l’un d’entre eux qui paraissait plus humain a convaincu ses compères de lui pardonner. Grégoire aurait compris le message et se serait hâté sur les reliques des martyrs pleurant à chaudes larmes. Après cette conversion, il aurait été baptisé et aurait observé une certaine ferveur dans sa vie chrétienne. Parce qu’on peut lire dans ce récit, que Grégoire était jeune étudiant encore laïc,

3

M. Aubineau, Traité de la virginité..., p. 57 et Kevin Corrigan, Evagrius and Gregory, Mind, Soul and Body

in the 4th Century, England, Ashgate, 2009, p. 13, sur l’influence d’Eustathe de Sébaste sur la vie

monastique de Basile et Macrine.

4 M. Aubineau, Traité de la virginité…, p. 50. 5

Selon K. Corrigan, Evagrius and Gregory…, p. 12, la version diffère légèrement : Grégoire aurait vu en songe les martyrs de Sébaste eux-mêmes qui l’attaquaient pour son indifférence. (Traduction personnelle).

(13)

cet épisode a dû avoir eu lieu, selon Michel Aubineau6, durant l’épiscopat (341-362) de Dianios, évêque de Césarée et ami de la famille. Pendant les années 351 à 355, Grégoire fut élevé au rang de lecteur.

Un peu plus tard, la trentaine entamée, il commence sa carrière d’enseignant de rhétorique. Il se plaît dans la vie mondaine et semble avoir délaissé ses engagements chrétiens. Grégoire de Nazianze reproche à notre auteur cette période de sa vie. Selon lui, celui qui fut lecteur des Écritures saintes ne doit pas préférer aujourd’hui la vie publique profane aux obligations de la vie chrétienne. À ce sujet, dans un article de Vigiliae Christianae, Jean Daniélou rapporte ce qui suit partant d’une lettre de Grégoire de Nazianze : «Tu as rejeté les livres saints et délicieux que jadis tu lisais au peuple [...] Tu as pris en mains ceux qui sont âcres et mauvais et tu as préféré le nom de rhéteur à celui de chrétien7 ».

Selon Pierre Maraval8, cet abandon des livres saints reproché à Grégoire par son ami de jeunesse serait « sans aucun doute purement métaphorique » étant donné que les deux statuts de lecteur et de rhéteur n’étaient pas incompatibles. Est-ce que l’abandon a été réel ou symbolique ; est-ce que le reproche de Grégoire de Nazianze est plutôt l’expression d’une déception ?

Par ailleurs, il me semble que ce point précis, celui d’être à la fois lecteur des saints livres et rhéteur dans le monde profane est très important pour comprendre la progression de la carrière ecclésiastique de Grégoire. De sa formation à la rhétorique, il gardera un certain amour des mots, la philologie qui lui procurera aisance et précision quand viendra le temps de combattre les idées de ses adversaires considérées hérétiques. Par son lectorat, il sera formé à la parole chrétienne dans les livres de la Parole, ce qui le rendra capable de la comprendre et de la transcrire en langage compréhensible auprès de ses auditeurs et lecteurs.

6 M. Aubineau, Traité de la virginité…, p. 49. 7

Jean Daniélou, « Grégoire de Nysse à travers les lettres de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze »,

Vigiliae Christianae 19 (1965), p. 31-41. 8

Pierre Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa», in The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa, translated by Seth Cherney, vol. 99, Leiden Boston, Brill edition, 2010, p. 105-106. (Traduction personnelle).

(14)

Selon Daniélou9, cette étape de lectorat et professorat peut dater de 365. Le 11 janvier 364, sous Jovien aurait été abrogée la loi de Julien du 17 juin 362, interdisant aux chrétiens tout enseignement10. D’après les auteurs consultés pour ce travail, le reproche de Grégoire de Nazianze nous indique indirectement cette date. Puisque ce dernier ne reproche pas à Grégoire de Nysse un acte hors-la-loi, il laisse entendre qu’il était possible à un chrétien d’enseigner dans le monde profane. Jusqu’à son épiscopat, en 372, nous avons peu de renseignements sur sa carrière de professeur.

Grégoire fut probablement marié à Théosébie dont il aura probablement un fils Cynégius11. À propos de son mariage, les faits sont moins évidents : nous pouvons considérer un indice selon ses propres mots dans le troisième chapitre du De Virginitate qu’il écrit dans l’intention de louer les bienfaits de la vie consacrée à la demande de son frère Basile et en réponse au livre publié sur le même sujet par Basile d’Ancyre. En ce qui concerne la virginité, Grégoire regrette de ne plus avoir le choix. Voici ce qu’il dit 12

:

Bienheureux ceux à qui le choix des biens supérieurs est encore possible, et qui n’en sont pas écartés comme par un mur, pour s’être laissés prendre d’abord à la vie commune ; c’est notre cas à nous qui sommes séparés par une sorte d’abîme de ce titre de gloire de la virginité à laquelle on ne peut plus revenir dès lors qu’on a mis le pied une fois dans la vie du monde.

Ce regret ainsi exprimé laisse croire à un mariage. Daniélou considère ce mariage comme effectif bien que plus tard Grégoire se serait probablement séparé de sa femme pour devenir moine ou comme il le dit à la page 19 dans la même section du même ouvrage, il aurait rejoint la vie monastique après la mort de sa femme. Il me semble étrange ce doute porté envers son mariage. Je comprends qu’il vient justement de la proximité de Grégoire avec la vie monastique qu’il semble avoir réellement vécue même si ce fut par intermittence.

9J. Daniélou, « Grégoire de Nysse à travers les lettres de saint Basile et de saint G… », p. 31. 10M. Aubineau, Traité de la virginité, … p. 63.

11

J. Daniélou, Le IVème siècle, Grégoire de Nysse et son milieu, Faculté de théologie, "Notes prises au cours par les élèves.", Institut catholique de Paris, [196-?], p. 9 note 2, dans la section « La vie et l’œuvre ». L’auteur dit qu’il aurait peut-être même un deuxième fils nommé Alexandre.

(15)

Ce doute tient aussi du fait qu’il n’utilise pas précisément le terme « mariage » qui pourtant existait et ce, dans le seul passage de son œuvre dans lequel il parle de ce sujet qui nous soit parvenu.

De même, à propos de l’existence de son fils : aucun fait ne la confirme. Dans une lettre adressée à Libanios, Grégoire lui demande de prendre en charge un jeune homme confié à ses soins pour une bonne éducation des lettres grecques. Grégoire affiche une affection particulièrement diligente envers le jeune homme. Ceci n’est qu’une allusion qui pourrait confirmer la présence de cet enfant envers lequel Grégoire porte une affection certaine peut-être même une filiation spirituelle en le nommant « ὑιός» ; lequel mot selon l’usage de l’époque pouvait signifier « fils spirituel13

» sans pour autant désigner un fils biologique. En 370, à la mort d’Eusèbe, Basile devient évêque de Césarée. En 372, suite à une situation politique et religieuse particulière, il nommera son frère Grégoire, évêque de Nysse, et son ami Grégoire de Nazianze, évêque de Sasime en Cappadoce seconde, petite ville, relais de poste, voisine de Nysse. Alors que Grégoire de Nazianze verra une mésestime dans cette nomination, la refusera et ne mettra jamais les pieds à Sasime, Grégoire, par dévouement envers son grand frère tant admiré et aimé, accepta malgré lui14 cette charge et alla résider à Nysse.

Arrêtons-nous un instant sur la situation politique, géographique et religieuse qui amena Basile à nommer évêques deux poètes attirés par la vie contemplative et complètement étrangers aux affaires publiques et ecclésiales. À l’hiver 371-372, sous l’empereur Valens « favorable aux ariens15 », la Cappadoce sera divisée en deux : la Cappadoce première qui garde Césarée pour capitale et la Cappadoce seconde qui aura pour capitale Tyana. Peut-être par cette manœuvre Valens avait-il l’intention d’affaiblir le pouvoir de Basile ?

13 M. Aubineau, Traité de la virginité, ... p.76-77. Dans son sens le plus technique, ce terme voulait dire aussi

« jeune étudiant » selon la note 6 de la page 49 du même ouvrage.

14 J. Daniélou, Le IVe siècle…, p. 10 de la section « La vie et l’œuvre », cf. la note 2 : « Il a fallu lui faire

violence, dit Basile lui-même ».

(16)

C’est possible parce que la division administrative a eu comme conséquence une division de la province ecclésiastique16. De cette division, Basile a vu son territoire pastoral coupé en deux avec le danger d’en voir une partie cédée aux Homéens et c’est ce qui arriva. L’évêque de Tyana s’est empressé de se déclarer métropolite de la Cappadoce seconde faisant perdre à Basile une grande partie du territoire de son ancien diocèse. Pour contrer d’une part, l’invasion d’évêques Homéens pro-ariens et d’autre part, calmer la pression du pape Damase voyant les orientaux comme hérétiques, Basile, soucieux d’unité, n’eut d’autres choix que de nommer des connaissances fidèles aux postes d’évêques en créant des diocèses suffragants en Cappadoce première. Il accroît ainsi le nombre de ceux qui l’appuieront dans ses différentes polémiques théologiques contre les ariens.

C’est dans cette situation que Grégoire est devenu, malgré lui, l’évêque de Nysse. Cette procédure de nomination ne plaira pas à ses adversaires et restera longtemps le vice de procédure d’une nomination et non élection17

qu’ils brandiront contre Grégoire. Contre ces accusations, Basile défendra « l’élection » de son frère cadet bien que ce dernier ne lui fut pas de grande aide. Malgré son affection pour son frère cadet exprimée à maintes reprises, Basile se plaindra toute sa vie de la naïveté de ce dernier et de son manque d’expérience dans les affaires ecclésiastiques18.

À l’hiver 376, Grégoire de Nysse est déposé par les pro-ariens. En effet, « Valens avait entrepris de chasser tous les évêques orthodoxes et de les remplacer par des Homéens19 ». Un faux procès fut monté contre lui l’accusant faussement de malversation économique et d’irrégularité d’élection. Il fut mis en prison pour ces prétextes mais la vraie raison est la persécution instaurée contre les évêques nicéens. Son frère Basile enverra quelques amis qui l’aideront à s’enfuir en raison de sa faible santé. Basile décrit ce moment avec émotion en parlant de la faiblesse physique de son frère qui souffre de pleurésie et de néphrite. Au printemps de la même année, Démosthène, vicaire de la région du Pont, convoqua un

16P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa», The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa, p. 106. L’auteur

ne considère pas cette division pour raisons administratives comme étant de mauvaise foi contre Basile.

17P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa»... p. 107. L’auteur souligne que « l’élection des évêques par

le peuple était encore la règle ». (Traduction personnelle)

18J. Daniélou, Le IVème siècle…, dans la section « La vie et l’œuvre » p. 11. 19J. Daniélou, Le IVème siècle…, dans la section « La vie et l’œuvre » p. 11.

(17)

synode à Nysse réservé aux « Galates et pontiques 20» ennemis des nicéens, synode qui condamnera Grégoire et nommera son successeur. Par ce décret, il fut déposé et envoyé en exil « au-delà des frontières21 ». Ni l’endroit de son exil, ni sa durée ne sont connus22. Maraval se demande si Grégoire avait été libéré par Valens lui-même après avoir quitté Antioche en 377 ou peut-être l’a-t-il été par Gratien après la mort de Valens en 378.

En 378, retour d’exil, Grégoire raconte ce moment précis dans un discours dans lequel il exprime son émotion de retrouver son peuple et celle de ce dernier qui l’attendait en liesse à l’intérieur de son église sous une pluie battante.

Basile décède le 1er janvier 379. Ce fut une grande épreuve pour Grégoire et pourtant le départ de ce grand frère, appelé « grand » de son vivant même, lui fera prendre conscience de l’importance de son œuvre et de la grandeur de son personnage. Il sera pour lui, tel qu’il a toujours été, le modèle à suivre. Il prend alors la décision de poursuivre son œuvre et se considère comme son héritier théologique. En cette même année, il s’active au Synode d’Antioche. L’an 379 est aussi l’année de l’avènement de Théodose Ier dont nous soulignerons l’importance du règne dans le prochain chapitre.

Le synode d’Antioche a été convoqué par Mélèce23

« qui fait figure de chef de l’épiscopat oriental et qui continue l’effort de conciliation de Basile ». L’invitation a été adressée particulièrement aux évêques nicéens qui avaient subi l’exil sous Valens. L’importance de ce synode réside dans le fait que ces évêques nicéens allaient sous la demande de Mélèce signer les formulaires envoyés de Rome. Il s’agit des résultats des négociations avec Rome entamées par Basile juste avant sa mort. Grégoire y représente son frère et il réussit, avec d’autres, ce tour de force de l’unité avec l’occident telle que souhaitée par son frère. Unité, qui sera malheureusement de très courte durée.

En cette même année 379, pourtant bien chargée, il écrit Le Traité de la Création de

l’homme pour compléter les Homélies de Basile sur l’Hexameron. Dans ce traité, nous

20

P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa»..., p. 108.

21 P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa»..., p. 108.

22 K. Corrigan, Evagrius and Gregory…, p. 17, Grégoire aurait été en exil pendant trois ans en Séleucie. 23 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 12, section « La vie et l’œuvre ».

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trouvons selon Daniélou24 « des éléments doctrinaux importants […] concernant ‘l’image’ de Dieu dans l’âme »

Toujours en 379, Macrine tombe gravement malade et meurt en décembre. Pour aller la voir, Grégoire retourne à Annesi après huit années d’absence. Il vit auprès de sa sœur ses dernières heures et nous rapportera cette expérience dans un ouvrage intitulé « Sur la mort et la résurrection ». En 380, il écrit la Vie de Macrine, en hommage à sa sœur aînée. Ce livre contient quelques indices biographiques sur Grégoire et sa famille.

De retour à Nysse en 380, Grégoire rencontrera des difficultés avec les Galates de sa région. Il eut besoin d’y rétablir l’ordre. Après cet épisode, il a été appelé à Sébaste en Arménie où il séjourna environ trois mois pour remplacer l’évêque décédé. Non sans difficultés et amertume, il écope d’un échec qui fut l’élection d’un évêque non-nicéen par les protagonistes pneumatomaques d’Eustathe de Sébaste. Plusieurs années plus tard, il finira par faire élire son frère Pierre, évêque de Sébaste25.

En 380-381, Il écrit le premier livre Contre Eunome, suivi du second du même titre en 381 et prend une part active au concile de Constantinople au mois de mai de cette même année. À ce concile, Grégoire jouera un rôle important, il prononcera le discours d’introduction aux travaux du concile et sera chargé de sa présidence après la mort de Mélèce survenue pendant le concile.

Ce concile de grande importance fut convoqué par Théodose pour confirmer « l’unité de l’orient dans la foi de Nicée26

». Il a affirmé la divinité de l’Esprit et mis fin à la crise arienne. Pour Daniélou, le concile de Constantinople est le sommet de l’histoire des Cappadociens, « si Basile n’est plus là, les deux Grégoire, le frère et l’ami, sont ses représentants » et ils ont triomphé surtout en ce qui concerne l’union de l’orient à la foi de Nicée. À la fin de ce concile, Théodose publiera la liste des évêques orthodoxes et le nom de Grégoire y figure à côté de Grégoire de Nazianze, Diodore de Tarse, Amphiloque d’Icônium, Hélladius de Césarée.

24 J. Daniélou, Platonisme et Théologie mystique…, p. 11. 25 P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa»..., p. 111.

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Le concile de Constantinople chargea Grégoire d’une mission en Arabie. Il s’agissait probablement d’une mission de conciliation et d’unité entre deux évêques se disputant le même siège de Bostra. Les détails de ce voyage restent obscurs et les résultats ne furent pas concluants puisque cette même affaire sera encore à l’ordre du jour des discussions au concile de Constantinople de 39427.

En rentrant d’Arabie, Grégoire fait un détour par Jérusalem à la demande de Cyrille, évêque de cette ville, pour l’aider à résoudre ici aussi un problème d’autorité. Plusieurs des responsables de la ville ne reconnaissaient pas à Cyrille son élection par un évêque Homéen. Dans ce cas aussi, Grégoire, médiateur, ne résoudra pas le problème. Il a fallu attendre le concile de Constantinople de 382 pour voir la légitimité de Cyrille reconnue. La déception de Grégoire suite à sa visite à Jérusalem ne s’arrêtera pas à l’échec de cette médiation, elle s’étendra aussi à la ville elle-même. Il y décrira la débauche que peuvent entraîner les pèlerinages et rappellera que « Dieu ne les a pas rangés dans les béatitudes parmi les conditions d’entrée au Royaume des Cieux28

. » Après son retour à Nysse, il se concentrera sur l’écriture du Contre Apollinaire, traité sur l’Incarnation du Christ, vrai Dieu et aussi vrai homme.

En 383, Grégoire écrit le troisième traité du Contre Eunome qu’il fait suivre aux alentours de fin 384 du quatrième traité du même titre. Les quatre traités du Contre Eunome sont considérés comme l’essence théologique des Cappadociens.

Le 25 août 385, Pulchérie, la fille de Théodose décède. Grégoire présente son éloge funèbre et celui de sa mère Aelia Flacillia décédée quelques semaines plus tard. Grégoire était en ce temps-là, « l’orateur attitré de la cour de Constantinople et sans doute le conseiller de l’empereur29

». En cette même année, il écrit La Grande Catéchèse, dédiée aux éducateurs de la vie chrétienne pour la préparation de leurs catéchèses.

27 P. Maraval, «Biography of Gregory of Nyssa»..., p. 112.

28 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 16, section « La vie et l’œuvre ».

(20)

Aux alentours de 392, en réponse à la demande de la diaconesse Olympias, grande amie des Cappadociens et de quelques autres personnalités religieuses de cette même époque, également considérée comme amie spirituelle par Grégoire, il met par écrit les quinze

Homélies sur le Cantique des cantiques, en se basant sur les notes d’auditeurs des homélies

prononcées en diverses occasions. Aux alentours de cette même année, il écrira la Vie de

Moïse.

En 393, Jérôme le mentionne parmi les grands illustres qu’il faut suivre30

. La dernière apparition publique de Grégoire a eu lieu en 394, date d’un Concile qui a eu lieu à Constantinople.

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1.2 Deuxième chapitre : Son œuvre et son rôle dans son siècle

Dans le premier chapitre, nous avons suivi chronologiquement ce que nous avons pu retracer des événements importants de la vie de Grégoire. Dans ce second chapitre dédié à son œuvre et son rôle dans son siècle, nous survolerons le IVème siècle afin de situer le contexte politique et ecclésial qui l’a vu naître. En deuxième lieu, nous présenterons son œuvre que nous essaierons d’énumérer en suivant un ordre chronologique. Pour finir, nous présenterons quelques points importants de sa théologie soulignant l’apport précieux apporté par Grégoire de Nysse à son siècle en particulier et à la chrétienté en général.

1.2.1 Le IVème siècle : survol politique et ecclésial

Pour comprendre l’œuvre de Grégoire dans sa complexité et sa richesse nous avons besoin de la situer dans son époque, le quatrième siècle. Ce siècle va traditionnellement de 284 avec le début du règne de l’empereur Dioclétien jusqu’en 395 à la mort et donc, à la fin du règne de Théodose Ier1. Nous allons parcourir ce siècle selon les deux volets politique et ecclésial qui nous intéressent pour la vie et l’œuvre de Grégoire.

En politique, ce siècle a été des plus riches. Il débutera avec la dernière monarchie du « Bas-Empire » avec Dioclétien qui systématise son pouvoir et oriente les institutions politiques vers la monarchie absolue « un seul Seigneur (Dominus et Deus : Seigneur et Dieu sera le titre donné au princeps) ». Et ce siècle se termine par la mort de Théodose, grand homme politique et personnalité majeure du siècle. Après Théodose, l’Empire romain sera à jamais divisé en deux, l’Empire d’Orient et celui d’Occident.

Donc le siècle commence avec Dioclétien, son règne s’étend de 284 à 305. Il fut le grand persécuteur des chrétiens parce qu’il partageait avec leur idéologie le titre de « Seigneur et Dieu » que les chrétiens réservaient à leur Dieu. Il mena contre eux celle qui fut appelée plus tard « la grande persécution ». Il est évident pour les historiens que les raisons de cette persécution resteront à jamais confuses. Elle n’a pas atteint toutes les strates de la société et

1 Les notions de ce chapitre sont grandement puisées dans le chapitre IVe siècle (284-395) du cours de

Paul-Hubert Poirier, Le Christianisme de l’Antiquité et du Haut Moyen-âge, (HST – 11803), 4ème édition 2005-2006 et aussi dans J. Daniélou Le IVème siècle …, p. 1-70 de la section du même titre.

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toutes les régions avec la même virulence et pour les mêmes raisons. Dioclétien était conservateur et souhaitait faire régner les anciennes valeurs traditionalistes de l’Empire. Son objectif ne se limitait pas aux chrétiens ; il visait tout mouvement qui irait à l’encontre des valeurs traditionnelles. Il poursuivra entre autres le manichéisme qui existait depuis le troisième siècle. Les chrétiens devaient considérer cette persécution comme providentielle selon l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, évêque de Césarée. Elle permit aux chrétiens de se reprendre en main après un temps de relative relâche de la « petite paix » que l’Église connut avec l’édit de tolérance en 260 sous Galien. Ces événements permirent aux chrétiens d’accepter la persécution pour suivre l’exemple du Christ. Effectivement, cette grande persécution a fait surgir la théologie du martyre. Leur attitude face au martyre les fera sortir gagnants des persécutions qui ne pouvaient que cesser en les faisant accepter tant bien que mal à l’intérieur de l’Empire.

Après cette persécution et le règne de Dioclétien, vient Constantin qui règnera de 306 jusqu’en 337. Constantin fut plus clément envers le christianisme ; il reçut le baptême quelques jours avant sa mort, le 22 mai 337. Après sa célèbre victoire à la bataille du 28 octobre 312 – victoire qu’il considère comme providentielle et dont il accorde le crédit au Dieu des chrétiens –, Constantin se rapprocha de la figure du Christ de ces derniers et sa politique s’en ressentira. En 313, il mettra en place ce qui fut appelé l’édit de Milan qui confirmera, entre autres religions, la place des chrétiens comme un corps social (σῶμα) à l’intérieur de l’Empire.

À la mort de Constantin et jusqu’à Théodose, suit une période trouble pour l’Église. L’empire était encore divisé en deux parties, orientale et occidentale. En Orient dans l’ordre, nous aurons Constance II fils de Constantin (337-361), Julien l’apostat (361-363), chrétien converti au paganisme, neveu de Constantin, élevé en milieu chrétien, il sera sauvé après le massacre de sa famille et devenu empereur, il va marginaliser l’Église. Son successeur Jovien (363-364), chrétien lui-même, bien qu’il soit ouvert au paganisme, abrogea la loi contre l’enseignement par les chrétiens des lettres classiques. Quant à Valens (364-378), sa politique sera marquée par un biais favorable à l’arianisme. Nous avons vu que les évêques nicéens ont été déposés par Valens.

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Le 9 août 378, Valens meurt dans une bataille contre les Goths à Andrinople, Gratien est empereur seul pour l’occident. Théodose est choisi comme empereur de l’orient. Son règne sera des plus grands, autant pour l’Église que pour la situation de l’Empire car il saura faire reculer l’invasion des Goths et retardera leur avancée dans l’Empire. Pour l’Église, il est favorable aux chrétiens et se fait baptiser2 en 380, après sa victoire sur les Goths. Avec lui, l’évêché de Constantinople, devenue « la nouvelle Rome » sous Constantin, jouira d’une primauté d’honneur au niveau ecclésiastique. Après l’évêque de Rome, l’évêque de Constantinople aura son mot à dire. Daniélou3 souligne que cette primauté nouvelle donnera du poids aux Cappadociens, ceux-là même qui traditionnellement étaient tournés vers Antioche se tourneront dorénavant vers Constantinople, la « nouvelle Rome », à présent qu’elle a pris cette ampleur. D’ailleurs, Grégoire de Nazianze, le troisième des Cappadociens, sera pour une brève année, évêque de Constantinople.

L’Église du quatrième siècle a vécu de grandes périodes de difficultés mais aussi de gloire. De ces moments cruciaux, nous pouvons énumérer sur le plan politique : l’avènement de Constantin avec l’édit de Milan, la période des empereurs pro-ariens et le règne de Théodose. Parmi les événements ecclésiaux de gloire, nous pouvons énumérer : le concile de Nicée en 325 qui déclara le symbole trinitaire de la foi orthodoxe, le synode d’Antioche, grand moment d’unité – même éphémère – entre l’Église d’orient et celle d’occident par la signature par les évêques nicéens des formulaires de Rome à l’instigation de Mélèce, évêque d’Antioche. Finalement, le concile de Constantinople en 381 qui mit fin à la crise arienne et confirma la divinité du Saint-Esprit.

Parmi les grandes figures d’Église de ce siècle, nous avons Athanase d’Alexandrie du temps de Constantin et du concile de Nicée, Jérôme et Ambroise du côté de l’occident, du temps de Théodose. En orient, avant 379, Basile de la période des empereurs ariens et après le mort de ce dernier, son frère Grégoire de Nysse sera considéré comme la figure d’Église en orient. Enfin, le quatrième siècle verra aussi l’organisation de la vie monastique4

. Elle existait depuis plusieurs siècles, sous la forme de l’ascétisme connu par Antoine et sous la

2 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 5 de la section intitulée « Le milieu culturel et politique ». 3 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 5-6 de la section intitulée « Le milieu culturel et politique ». 4 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 60 dans la section « L’Église sous Théodose ».

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forme du cénobitisme connu par Pacôme. Basile et Grégoire systématiseront le monachisme qui inspirera les mouvements monastiques du Moyen-âge5.

C’est ainsi qu’à travers ce siècle, l’Église a su passer à travers les persécutions et en est sortie grandie. Ce qui lui assurera sa place auprès des autres religions de cette époque. Elle réussira à traverser les querelles théologiques, ariennes et christologiques. Ce qui lui assurera l’émergence de ces grandes figures ecclésiastiques qui la défendront ainsi que la reconnaissance légale de la part de l’Empire à travers la personnalité de Théodose Ier. Cette reconnaissance vaudra au Christianisme d’être reconnu comme religion d’État. Il est certain qu’il aura encore à trouver sa propre autonomie dans un Empire où l’empereur se sent investi d’une mission divine, celle de défendre la foi catholique en convoquant des conciles et promulguant des lois ecclésiastiques. Ce qui se fera parfois aux dépens de ses propres responsables religieux qui réclameront la primauté de leur siège. Quelques siècles plus tard, le schisme viendra confirmer la défaite de l’union entre orientaux et occidentaux, union qui aura été manquée au IVème siècle.

1.2.2 Son œuvre

« Si quelqu’un cherche à attribuer une catégorie à Grégoire selon les critères académiques modernes, il lui serait difficile de dire si Grégoire était philosophe, théologien ou même philologue et exégète6 »

Certainement, Grégoire a été tout cela en même temps, son père et son frère Basile, tous deux rhéteurs, l’ont formé selon l’éducation classique de son temps. Son style correspondait à celui de la seconde sophistique qui allie une écriture richement imagée, celle de l’asianisme, à la construction sobre et bien ficelée de l’ancienne école atticiste7

. Son style, qui ratisse aussi large tant en construction logique de sa pensée qu’en images et poésies, lui permettra de rejoindre le plus grand nombre de lecteurs selon un large éventail. En effet, les écrits de Grégoire seront accessibles autant aux grands penseurs de son époque

5 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 62, dans la section « L’Église sous Théodose ».

6 Giulio Maspero, Lucas Francisco Mateo-Seco, The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa, preface p.X.

(Traduction personnelle).

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qui y perçoivent la logique de l’enchaînement et la profondeur de la réflexion ainsi que par les chrétiens plus simples qui y retrouvent la pensée chrétienne décrite par des images et illustrations de leur quotidien.

Sa pensée philosophique était celle de ses proches et contemporains. Elle se caractérisait, selon Daniélou8, par un mélange bien construit avec une expression commune appartenant à la culture générale de ce temps : « la métaphysique est platonicienne […] par contre, la théorie de la connaissance commune est stoïcienne [...] Les stoïciens prennent pour la matérialité de l’âme et les platoniciens pour sa spiritualité». Chez Grégoire, nous trouvons bien sûr, cette influence platonicienne et des expressions utilisées par le néoplatonisme de Plotin et Porphyre mais chez lui elles prennent une tout autre forme : sa pensée est « purement chrétienne ; elle a emprunté ses formes d’expressions à la langue philosophique du temps où elle s’est constituée9

».

Selon Daniélou10, l’œuvre de Grégoire nous est presque entièrement parvenue, « elle est considérable et remplit trois volumes de la Patrologie Grecque ». Voici chronologiquement les œuvres les plus importantes de Grégoire.

371 Le Traité de la virginité : écrit dans l’intention de louer les bienfaits de la vie consacrée à la demande de son frère Basile et en réponse au livre publié par Basile d’Ancyre.

379 Hexameron : deux homélies écrites après la mort de Basile pour compléter celles

écrites par ce dernier sur l’explication de l’Hexameron. Le Traité de la création de

l’homme date de cette période. Ces deux œuvres donnent des indices historiques sur

la conception du monde et du cosmos du temps de Grégoire.

379 Biographie de Grégoire le Thaumaturge : elle relate la vie d’un évêque évangélisateur, il était disciple d’Origène. De son évangélisation de la Cappadoce, les pères Cappadociens recevront les idées théologiques de l’alexandrin.

8J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 26-27.

9 J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique…, p. 9.

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380 Le Contre Eunome I dans lequel il réfute la thèse d’Eunome sur la connaissance de Dieu. Au courant de cette même année, sinon au plus tôt en 379 selon Maraval11, il écrira à Eustathe de Sébaste le Traité pour la divinité du Saint-Esprit.

381 Oraison funèbre de Basile, suivie de La vie de Macrine dans lequel on trouve plusieurs éléments biographiques, suit le traité Sur l’âme et la résurrection. Dans ce dernier livre, Grégoire relate les dernières conversations avec sa sœur et à travers lesquelles nous pouvons connaître sa pensée et celle du monde chrétien de son temps concernant la mort et la résurrection. Il écrira cet ouvrage à la demande du moine Olympios, rencontré au cours de son voyage en Arabie.

382 Le Contre Eunome II 383 Le Contre Eunome III 384 Le Contre Eunome IV

385 Oraison funèbre à Pulchérie, suivie de celle consacrée à sa mère

385-6 Discours catéchétique et le traité Contre le destin. Aux alentours de cette date, il

écrit le traité du Contre Apollinaire dans lequel il réfute la thèse de ce dernier sur l’incarnation du Christ et présente la sienne celle qui sera acceptée au concile de Constantinople sur la vraie humanité du Christ tout en étant vrai Dieu : le fameux « vrai homme, vrai Dieu » du symbole de Nicée-Constantinople

388 Traités spirituels aux moines d’Annesi à propos de la vie monastique

389 L’Ecclésiaste : une œuvre exégétique spirituelle dans laquelle Grégoire situe l’âme dans l’adolescence de la Foi si, selon lui, nous considérons le livre des Proverbes comme correspondant à l’enfance de la vie spirituelle.

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392 Les Homélies sur le Cantique des cantiques et la Vie de Moïse. L’âme a atteint alors l’âge adulte. Lequel de ses deux livres a été écrit en premier, il est difficile de l’affirmer. Ce qui est certain c’est qu’ils sont tous deux de la fin de sa vie.

À ces œuvres s’ajoutent plusieurs homélies, Grégoire était pasteur, nous pouvons le suivre selon l’année liturgique mais aussi plusieurs discours publics reliés à sa position, sans omettre sa correspondance qui fut abondante.

Après avoir situé le siècle de Grégoire et présenté l’essentiel de son œuvre, je voudrais dans le prochain point souligner l’apport de son œuvre aux problématiques de son siècle et par là, confirmer l’influence qu’il a exercée de son vivant.

1.2.3 Sa théologie et son siècle

Dans la progression de la carrière ecclésiastique de Grégoire, nous avons vu qu’il a vécu sa période la plus active durant le règne de Théodose, exactement pendant les années de 379, après la mort de Basile jusqu’en 395, année qui correspond à la mort de l’empereur et à la disparition de Grégoire de la scène publique. Durant cette période, il vécut le concile d’Antioche en 379, celui de Constantinople en 381, pour lesquels il a dû se battre pour faire triompher les idées de Nicée et convaincre les hérétiques des erreurs de leurs pensées mais surtout, pour faire adhérer le plus grand nombre d’évêques indécis à l’orthodoxie de la majorité exprimée par les conciles.

C’est ainsi qu’il écrira les traités les plus importants du point de vue théologique que nous essaierons de survoler pour souligner l’apport de Grégoire à son siècle. Nous prendrons dans l’ordre, le traité Contre Eunome, le traité contre les pneumatomaques, sur la divinité du Saint-Esprit et enfin celui Contre Apollinaire sur l’humanité du Christ.

Le Contre Eunome : Selon Daniélou12, Eunome écrit entre 360 et 365, plusieurs ouvrages dans lesquels il explique sa pensée sur la connaissance de Dieu. Eunome dit que Dieu n’est pas un être transcendant, l’homme est capable de le connaître et d’en connaître la substance. Contre cet ouvrage, Basile écrira son Adversus Eunomium aux alentours de 366.

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Eunome réfute dans son Apologia apologiae la thèse de Basile. Ce dernier décède sans pouvoir lui répondre. Grégoire prendra la relève aux alentours du concile de Constantinople. Dans sa pensée philosophique, Eunome construit une logique qui remonte de l’objet créé au créateur qu’il appelle l’agennetos ; il est le non engendré. Pour Eunome, en remontant de sa création jusqu’à lui, on peut le connaître.

Dans son Contre Eunome, Grégoire recourt à la même construction logique utilisée par son adversaire pour démonter sa pensée : pour lui, Dieu ne saurait être connu puisqu’il est transcendant, il est l’être au-delà de tout. Pour Grégoire, si le Père est agennetos, ce qui veut dire « avoir une existence sans cause première13», le fils l’est aussi et ce que l’on dit du père par la négative on peut le dire du fils puisqu’ils ont la même substance. Voici ce qu’il dit à ce propos de la transcendance de l’essence divine14

: « Ce qui est sans qualité ne peut être mesuré, l’invisible ne peut être examiné, l’incorporel ne peut être pesé, l’illimité ne peut pas être comparé, l’incompréhensible ne connaît pas le plus ou le moins. » Grégoire entrevoit ici la polémique christologique qui viendrait de cette pensée. Il souligne ceci : le Père existe et c’est par la négative que nous pouvons l’affirmer puisque nous ne pouvons pas nous situer au-dessus du créateur. Grégoire utilise une image de la vie quotidienne très simple pour réfuter la connaissance de Dieu selon Eunome : la situation rappelle celle des enfants qui essaient d’attraper le rayon du soleil pour la seule raison qu’ils le voient passer à travers la vitre d’une fenêtre. Ils sont persuadés de l’avoir attrapé parce qu’ils ont vu le rayon, mais dès qu’ils ouvrent les doigts, ils s’aperçoivent de leur naïveté15

.

En passant, Grégoire réfute aussi la méthode d’Eunome qui se base sur l’akolouthia, l’enchaînement logique qui serait, à lui seul, garant de la justesse de la pensée avancée ; comme le fait Eunome en remontant de ce que l’on voit et l’on sait jusqu’à Dieu. Selon lui, cela ne suffit pas pour résoudre ces questions. L’akolouthia selon Grégoire est une pensée basée sur la « nécessaire relation entre deux propositions quand l’une d’elles est la conséquence de l’autre16

». Il reste une part du mystère de Dieu qui échappe totalement à la

13

V. H. Drecoll, « Agennesia », The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa, p.10. (Traduction personnelle).

14 H.U. von Balthasar, Présence et pensée…, p. 1.

15 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 30 de la section « Théologie ».

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logique et à la tentative de connaissance de l’homme. Enfin, il est très difficile de contourner cette idée d’agennetos, puisque selon Daniélou17 du temps de Grégoire même elle n’était pas suffisamment élaborée.

Dans le Traité sur la divinité du Saint-Esprit, Grégoire s’oppose aux pneumatomaques qui se mettent à la suite d’Eustathe, évêque de Sébaste en Arménie de l’Asie Mineure. Nous avons vu plus haut que cet évêque était proche des Cappadociens. Basile aura beaucoup de mal à le contredire et tout au long de sa vie, il le ménagera et il ne dira pas clairement que l’Esprit était Dieu ; et ce, par souci pastoral de sauvegarder l’unité. Daniélou18

affirme que pourtant chez Basile, nous trouvons quand même la doxologie trinitaire : « Gloire à Dieu avec le Fils et avec l’Esprit» et qu’il aura besoin d’écrire son traité sur le Saint-Esprit pour s’en expliquer. Même Grégoire de Nazianze ménagera les pneumatomaques en 379, par respect pour sa relation avec leur représentant, Eustathe.

Et pourtant, selon Daniélou, Grégoire réfutera ces pneumatomaques qui renient la divinité du Saint-Esprit dans son discours inaugural du concile de Constantinople, dans lequel il a dû présenter les points théologiques qui seront soulevés au cours du concile. Il ne semble pas les avoir ménagés. Le refus de la divinité du Saint-Esprit vient des milieux égyptiens19 auxquels Athanase a dû répondre par les « Lettres à Sérapion » dans lesquelles il démontre la divinité du Saint-Esprit. Le Concile de Nicée avait laissé la porte ouverte en précisant son existence et non pas sa nature20. La position de Grégoire au concile de Constantinople a été décisive bien que cela ait pris du temps, il a fallu attendre le concile de 383 à Constantinople pour que les pneumatomaques soient définitivement condamnés.

En dernier lieu, nous soulevons la question du Contre Apollinaire21. Ici aussi Grégoire apportera toute la richesse de sa pensée théologique pour réfuter ce concept christologique. En effet, Apollinaire refusait l’humanité du Christ en expliquant que le Christ-Dieu a pris la

17

J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 54, dans la section « L’Église sous Théodose ».

18 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 56, dans la section « L’Église sous Théodose ».

19 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 44, dans le ch. « Théologie trinitaire » de la section « Théologie ». 20 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 55, dans la section « L’Église sous Théodose ».

21

Charles Kannengiesser, « Apollinaire de Laodicée, apollinarisme », Di Bernardino, A., Dictionnaire

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forme humaine du Christ-Homme. Cette idée vient contredire l’Incarnation. Comme si le Christ restait Dieu à l’intérieur d’un corps et d’une chair humaine. Grégoire découvre cette théorie d’Apollinaire, qui insiste sur l’unique nature divine du Verbe incarné, pendant son voyage à Jérusalem, en 38222. A son retour, il la réfute dans l’Antirrheticus en expliquant que le concept de la « chair » n’existe que pour le temps de l’économie de Dieu. L'unité entre le Père et le Fils est de tout temps éternelle et il ne faut ni les fusionner ni les séparer. Grégoire confirme la divinité et en même temps l’entière humanité du Christ « vrai homme né du vrai Dieu, engendré non pas créé », comme l’affirmera le concile de Constantinople. Drecoll23 affirme à la fin de son article consacré au Contre Apollinaire que Grégoire semble avoir devancé, dans cette réfutation, les problèmes christologiques du Vème siècle, qui ne tarderont pas à soulever la question de la Passion du Christ et de la réalité de sa souffrance, étant donné qu’il était Dieu ? Les questions de monophysisme et du monothélisme n’étaient pas loin.

À travers ces trois œuvres, toutes construites sous forme de réfutation, nous pouvons nous faire une idée de l’apport de Grégoire aux questions théologiques du quatrième siècle. Les réponses apportées, de par leur construction logique et leur expression simple et abordable, ont su se faire adopter, en majorité, tant par les personnes qui avançaient avec lui dans la pensée théologique que par les fidèles chrétiens qui attendaient de comprendre leur foi par la parole de leur illustre évêque.

22 Kannengiesser, Ch. « Apollinaire de Laodicée, apollinarisme », p. 186.

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1.3 Troisième chapitre

1.3.1 Théologie : bagage et héritage

Dans le précédent chapitre, nous avons survolé quelques points sensibles des questions théologiques du quatrième siècle auxquelles Grégoire a apporté sa pensée pour comprendre sa contribution. Dans ce présent chapitre, je souhaite m’arrêter à la théologie de Grégoire elle-même, celle dont il a héritée et celle qu’il nous a laissée en héritage. En quoi se résume-t-elle ? Quels en sont les points principaux ? Pour ce faire, je souhaite développer quelques thématiques qui nous aideraient à pénétrer sa pensée théologique en général et son développement spirituel en particulier. Étant donné que le sujet de mon mémoire porte sur l’expérience spirituelle de l’âme, j’ai privilégié ce volet de la théologie de Grégoire. En voici quelques points que j’approfondis ici : L’ordre choisi est le mien, j’ai préféré délimiter ce développement selon une structure logique qui tient de la définition et qui me permet une certaine compréhension. Dans l’ordre, nous aurons l’incompréhensibilité de Dieu (a), l’intelligibilité de Dieu (b), le désir de Dieu (c), l’épectase (d), l’oraison (e). Pour Grégoire, l’être humain ne peut pas comprendre Dieu (a) ; c’est ce qu’il appelle « l’Akatalèptos ». Selon lui, comme nous l’avons rapidement vu dans le Contre Eunome, Dieu est totalement transcendant pour l’homme. L’essence de Dieu lui reste totalement incompréhensible. Grégoire explique cette incapacité de l’homme à pouvoir comprendre Dieu et le connaître en utilisant la théologie apophatique ou négative1. Tout ce que l’on sait de Dieu tient de la connaissance humaine qui, de par sa définition même, reste incomplète et relative. Comme lorsque l’on dit : Dieu n’est pas beau, Dieu est la beauté même. Ce qu’il créé est beau, mais lui serait la beauté et qui peut délimiter la beauté ?

Quant au fondement biblique de cette incompréhensibilité de Dieu, Grégoire le trouve2 dans He 11, 83 où l’on peut lire : «Par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait» ; mais aussi dans Ex 33,

1 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 27, « L’incompréhensibilité de Dieu » de la section « Théologie ». 2 J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 28, « L’incompréhensibilité de Dieu » de la section « Théologie ». 3 Toutes les références bibliques qui suivent seront tirées de la Bible de Jérusalem (BJ 98).

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18-23 où Moïse supplie Dieu de voir sa face et n’obtient pas gain de cause car Yahvé lui dira : « Tu ne peux voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre» ; dans Jn 1, 18 : « Nul n’a jamais vu Dieu », le Si 43, 31 : « Qui l’a vu et peut en rendre compte ? » et finalement, dans 2 Co 12, 4 : « Je sais qu’il fut ravi jusqu’au paradis et qu’il entendit des paroles ineffables ». Parce que l’homme ne peut pas dire Dieu ; avant de pouvoir le dire, il lui faut le comprendre en premier. Nous trouvons ce même fondement biblique dans l’épître pastorale 1 Tim 6, 16 : Celui « que nul parmi les hommes n’a ni vu ni ne peut voir4 ». Et ailleurs, à propos de Moïse qui voulait voir la face de Yahvé, Grégoire dira : « Dieu le lui accorde par le fait même qu’il le lui refuse ».

Cependant, Dieu n’est pas complètement invisible à l’homme. Grégoire dit qu’il est vrai que l’essence de Dieu reste entièrement inaccessible à l’homme mais ce dernier reste quand même capable de connaître son créateur à travers toute sa Création et sa Révélation. Puisqu’ « après avoir parlé par les prophètes » (He 1, 1), Grégoire trouve les réponses à l’intelligibilité de Dieu (b) à l’intérieur des Écritures mêmes, ce qui nous semble être contradictoire vis-à-vis du premier point sur son incompréhensibilité. Dieu se révèle quand même et avec l’Incarnation, il a trouvé le moyen de laisser à l’homme la possibilité de rester en contact avec lui. Et ce, d’une part, par l’économie de la Révélation « Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20) et « Le royaume des cieux est au-dedans de vous » (Lc 17, 21) et d’autre part par la vie sacramentelle. Grégoire cite souvent et commente la sixième béatitude où l’âme au cœur pur peut voir Dieu à l’intérieur d’elle-même comme dans un miroir – d’après l’expression de Paul – dans l’icône restaurée par le Baptême et dans sa ressemblance avec son créateur.

Cette image de Dieu fait naître en l’homme le désir de vouloir le voir, ce qui l’amène à se mettre en quête pour retrouver dans son âme cette icône. C’est l’icône du livre de la Genèse que Grégoire pense être enfouie au fond de chaque être humain. Cette image de Dieu5 en l’homme « fait à notre ressemblance et notre image » est donc restituée par le Baptême.

4

J. Daniélou, Le IVème siècle…, p. 33, ch. « La théologie symbolique » de la section « Théologie ». Ici, nous voyons que Grégoire attribue à Paul la paternité de cette épître, nous savons depuis que sa date est plus tardive.

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