DE
LA
NÉSNSPÉNINCE À L'APPRENANCE
Plncouns
HEURrsrreuEAU coNTACT DU surcrDEMémoire présenté
dans le cadre du programme de maîtrise en étude des pratiques psychosociales en vue de
l'obtention
du srade de maître ès artsPAR
@ M.q.rHruu
LBnr,rrlc
- C,q.s,q.vaNrSacha
Genest-Dufault, président
dujury,
Université du
Québec àRimouski
Jeanne-Marie
Rugira, directrice
de recherche,Université du
Québec àRimouski
Sylvie
Morais, codirectrice
de recherche,Université du
Québec àRimouski
Pierre Turcotte. examinateur
externe,Université
Laval
Avertissement
La
diffusion
de ce mémoire ou de cette thèse sefait
dans le respect des droits de son auteur,qui
a
signé
le
formulaire
<<Autorisation de reproduire
et
de
dffiser
un rapport,
unmémoire
ou
une thèse>>.En
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concèdeà
l'Université
du Québec à Rimouski une licence non exclusived'utilisation
et depublication
dela
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de recherchepour
desfins
pédagogiques et non commerciales. Plus précisément,I'auteur
autorisel'Université du
Québecà Rimouski
àreproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de son travail de recherche à des
fins
non commerciales sur quelque support que ce soit,y
comprisI'Internet.
Cette licenceet
cette autorisation n'entraînent pas une renonciation dela
part de l'auteur
à
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à ses droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire,l'auteur
conserveLa
signature
d'un
ouvrage cache souvent
les
inspirationssourdes sans
lesquelles
l'auteur n'aurait jamais
pu
l'en accoucher.Les
remerciementssont ainsi
des
excusespour
autant
de
co-signaturesqu'il faudrait
ajouter
au
bas
dechaque page.
Jean-Philippe Warren
J'ai
besoin de remercier profondément, enpremier
lieu,
ma directrice
de mémoire, madame Jeanne-Marie Rugira, professeure au département de psychosociologie àI'UQAR.
Son accompagnement, sa
sollicitude,
sa patience et safoi
tout
aulong
de cette recherche auront été une source demotivation,
de courage etd'inspiration
inestimables pourmoi.
Il
y
a de ces rencontres rares et précieuses dans une
vie
qui
arrivent à faire toutela
différence, nous transportent vers des mondes inespérés et nous appellent à l'espérance. C'est ainsi queje
t'ai
rencontrée et ma reconnaissance est sanslimite.
Je tiens
également
à
offrir
toute
ma
gratitude
à
madame
Sylvie Morais,
ma codirectrice,qui
m'a initié
au monde phénoménologique et transmisun
appétit renouvelépour la
création. Sans son accompagnement généreux et tenace au travers del'écriture
de ce mémoire, l'accomplissement de cette recherche n'aurait pas été possible.Ma
reconnaissanceva
naturellementet
inévitablementà Mire-Ô
Tremblay. Merci
pour tous ces espaces pédagogiques où
tu
remets la nature au centre etla
réenchantes. Le ressourcement,l'inspiration
etla
vision
quej'ai
puisés par Ià, avectoi,
me nourrissent et m' orientent encore auiourd'hui.
I1 m'apparaît essentiel de remercier ma
famille.
Je pense à mon père et ma mère par lesquelsje
me sens convié à prendre part avec eux, et à leur suite, à un long cheminfamilial
toute
particulière
s'adresseà mon
cousinMaxime
qui
a
une place centraleet
essentielle dansce mémoire
et par qui
j'ai
puisé forceset
inspirationsvives,
à
traversune
réalité sombre:
<<tu
rayonnesplus
fort
que les ténèbres > cher cousin.Merci
à mon frère Justin,Gladys, Roxanne et Augustin, pour vos présences significatives dans ma vie.
Je me dois de souligner la présence de tous ces amis, ces alliés de
vie
et de démarche,si
importants,qui
ont
croisé ma route àRimouski. C'est un
honneur,un privilège
et une réellejoie d'avoir fait
connaissance avec vous.Un
merci
obèse à Jean-Philippe Gauthier,Marja Munay,
Simon Plourde,Marie
Beauchesne,Émilie
Picarou,Dany
Héon,Vincent
Cousin, Clency Rennie,
Sacha Genest-Dufault,
Monyse Briand,
Pascale
Bergeron, Laurence Sabourin, Sylvie Hogues, Sophie de la Brosse, Josée Desjardins, Sylvie Lavoie et Jean Humpich. Vous rencontrer soulève enmoi I'envie
puissante d'inventer mavie
et notre monde à venir.I1
m'importe
aussi
de
remercier Catherine
Sirois,
intervenanteau
CPSICBSL
et responsable àla
postvention.En
suivant sonintuition,
ellem'a
permis de contribuer à un groupe d'accompagnementpour
personnes endeuilléespar
suicide. Cetteimplication,
enplus de me faire
cheminer comme
personne,m'a
mis
sur
le
chemin
d'une
pratique d'accompagnement naissante, inédite et remplie de promesses pour 7e prattcien-réflexif queje
souhaite devenir.Finalement,
j'aimerais
remercier
sincèrement
les
professeurs
du
module
de psychosociologieà
I'UQAR qui m'ont
enseignéà la
maîtrise
en
étude
des pratiques psychosociales.Luis
Gomez,
Jean-Ma,rcPilon,
Diane Léger,
PascalGalvani
et
Jeanne-Marie
Gingras.Vous
avez, chacun àvotre
façon, contribué àm'
<< apprendre à apprendreNuI non plus n'est seul
pour
mourir.Mais
dansle
casdu
suicide,il
faut
une armée de mauvais êtrespour
décider
le
corps au geste contre nature de sepriver
de sapropre
vie.Et
je
crois
qu'il
y a
toujours quelqu'un
d'autre
à
la
minute
de
la
mort
extrême
pour
nous dépouiller de notrepropre
vie.Figure
|
: Le PlongeonHuard
Il y
a
de cela desmilliers
d'années, lorsquetout
éTart en harmonie surla
terre, lesoiseaux
de
toutes
les
variétés se
réunissaient occasionnellementautour
d'un lac,
pour discuter de sujetsqui
les concernaient.Lors
d'une de ces rencontres, uneperdrix
suggéra que I'on choisisse un des oiseaux qui serait le représentant royal de tous les oiseaux.Un corbeau posa sa candidature. D'un conmrun accord, les oiseaux le refusèrent, < On ne peut
tout
de même paschoisir
quelqu'un qui,.a chaque occasion, sans gêne, pique tout sur son passage, sans souci des conséquences. >
A
sontour,
le hibou postula à cette noble tâche.Après mûre réflexion, tous en conclurent
qu'il ne
convenaitpas
à
leurs
attentes puisque le hibou est nocturne. Les oiseaux voulaient un représentant disponible dejour.
Ils
remercièrent donc
le hibou.
Un
sage huard manifestale
désir,si
tous étaient d'accord, dereprésenter ces charmants êtres. On examina de près son comportement. Le huard répondait
à tous les critères.
Au
moment mêmequ'il fut
proclamé leroi
des oiseaux, un aigle s'avançaet
dit
majestueusement <Moi
aussije
désire ce poste.> Ce
dernier possédait également toutes les qualités requises.Dans
la
pure
tradition
ancestrale des oiseaux,lorsqu'il
y
a
deux
possibilités, une épreuved'habilité, de
courageet
de force
tranchela
question.Le
cardinal
étant chargéd'organiser cette compétition, demand
a
av huardet à I'aigle
devoler
l.enlus
haut dans leciel, celui
qui atteindrait la plus haute altitude seraitle
grand gagnant.A
I'heure convenue,tous
se réunirentautour
du lac
sacré.Au
signal
donné,nos deux
compèresprirent
leur envol.Ils
montèrent, montèrent et montèrent encore, tellement haut que plus aucun oiseaune pouvait les
apercevoirde
la
terre. Après
un
interminable laps de
temps,les
oiseauxvirent
le huardréd.r."ttdre
en trompe et plonger dansle
lac sacré. Tous, avaient hâte de levoir
remonter pour lefeliciter.
Cependant le huard demeurainvisible.
Des canards inquiets plongèrentà
sa recherche,il
était évident qu'un oiseau nepouvait
rester aussi longtemps sous I'eau, on craignaitqu'il
soit endifficulté.
Durant ce temps, on
vit
apparaîtreI'aigle
sousun soleil
radieux. Tous I'applaudirent triomphalement.Il
était
désormaisle
Roi
des oiseaux.Puis finalement
on
vit
le
huard réapparaître sur le lac.L'aigle
confirma que c'étaitlui qui
avait monté plus haut. La preuve:il
rèàescendit plustard
que le huard.Nul
n'étant en mesure de contester cetteaffirmation,
I'aigle obtint le titre.
Tout
à coup,un
grand silenceremplit
I'espace.Le
huard réapparutet
son plumage s'était transformé.En
effet,jusqu'à
cejour,
toutes les plumesde
ce dernier étaient d'une teinte égale. Beaucoup en conslurent que Dieu venait decouvrir
ce bel oiseau d'un manteau royal muni d'une collerette éclatante pailletée de perles blanches incandescentes.Or,
ques'était-il
passé réellement ?D'où
revenait-il
? Était-cepow
le
récompenserou pour
une autre raison
?
Comment
en était-il arrivé
à
setransformer
?
Toutes
cesquestions ne trouvent pas nécessairement de réponse précise.
Mais
depuis cejour,
tous les huardsqui le
suivirent
portent commelui
surleur
plumagele
symbole de cette plongée mystérieuse. t€.
Si l,aigle est Ie symbole de la royauté, si la chouette, qui voit la nuit, est le symbole de la
pensée claire,le huard, qui descend dans les profondeurs des lacs est parfoitement digne
-d,être
considéré comme le symbole de la pensée profonde. Si l'on peut reprocher
à
lapensée claire, et
par
suite à l'oiseau de Minerve, d'avoir désenclzanté le monde, ilfaut
rendre hommage au huard, qui le réenchante. Un lac dont l'espace est rempli
par
son chant semble avotr retrouvé son âme.21 Inspirée
de
la
légendedu
plongeon huard: http://www.medecinedemereterre.com/pages/philosophie-amerindienne/le gendes-amerindienne/la-legende-du-huard.html2
Le but
de cette recherche était de prendre appui directement sur le vécu singulier du chercheur par le biais d'une écriture expérientielle pour passerd'un
état de désespérance àcelui
d'apprenancesuite au
décèspar
suicide
d'un
proche.Son
défi principal
était
decomprendre comment et à quelles conditions son processus d'écriture pouvait
lui
permettrede
dégagerde
son
expérience,du
senset
des
compréhensionsinédites,
ainsi
que
desconnaissances novatrices susceptibles de renouveler
tout
autant sa démarche de recherche, que sa pratique et sa personne.Cette activité scientifique inscrite dans une perspective heuristique met en avant-plan un praticien-chercheur en quête de son chemin d' apprenance . Cette recherche s'appuie sur
le
paradigmeinterprétatif.
Plus
spécifiquement,il
s'agit d'une
approche d'inspiration phénoménologique << radicalement >> en première personne (Vermersch,2006),
en ceci quele
chercheur s'appuie essentiellement surun
contact authentique etintime
avec sa propre expérience.L'analyse
des données quaiitativesa
été faite
en moded'écriture
(Pailié
&
Mucchielli,
2008)
en
cohérence
avec
I'approche
heuristique
d'inspiration
phénoménolo g ique privilégiée par cette recherche.
Cette démarche
m'a
permis d'instaurer un contact renouvelé avec mon expérience enlien
avecla
réalité du suicide et de mieux comprendre son impact sur ma vie personnelle et professionnelle.Elle
m'a
offert
une occasion de me réapproprier mon histoirefamiliale
et personnelleet
dedévoiler
maformativité
(Honoré,
1977, 1990, 1992).Pour
approfondirmes réflexions,
j'ai
procédépar un travail d'écriture et de
réécriture
à partir de
mon expérience singulière, inspirée des cadres théoriques et pratiques de la phénoménologie et de la psychosociologie.En somme, ce travail de recherche a contribué grandement à la formation, pour ne pas
dire à la mutation, de la personne que
je
suis ainsi que de ma pratique d'accompagnement. 11 a rendu possiblel'identification
de conditions nécessaires au processusd'écriture
pourqu'il
permette ce passage de la désespéranceàl'apprenance.Ce
travail de recherche est enmesure de soutenir les efforts de ceux et celles
qui
supportent les personnes endeuillées par suicide,ainsi
quecelles-ci
qui
cherchentleur
voix/voie
suite au décèspar
suicide d'une personne chère. Plus que tout,je
souhaite sincèrement que ce mémoire puisse être pofteur d'espérance.Mots
clés: Apprenance-
Désespérance-
Suicide-
Formativité-
Phénoménologie Accompagnement-
Ecriture-
ExpérienceThe purpose
of
this
research memoir has beento utilise
the researcher's ownlife
as the foundationfrom which
to experiencewriting
as an experimental processfrom
which to transcendfrom
despairto
.. Iearnance > (learning readiness)foliowing
the deathby
suicideof
a close relative.The
writer-researcher'smain
challenge was setin
understanding how and underwhich
circumstances thewriting
process best enabledhim to
extricate andform
meaning and unprecedented insights, as
well
as innovative knowledgein
orderto
renew both himself as a researcher-practitioner and his practice.This scientific
activity, which
originatesfrom
a heuristic perspective, brings tolight
aresearcher-practitioner
in
questof his own
senseof
<< learnance >>.The
research was setwithin
therealm
of
an interpretive paradigm.More specifically,
it
was conductedwith
aradical
phenomenological approachset
at the
first
person (Vermersch, 2A06).In
other words, the researcher'sprimary
basisfor
explorationis
an authentic and intimate contactwith
his/her own experience. Furthermore, the qualitative data analysis was donein writing
mode
(Paillé
&
Mucchielii,
2008),
and thereforeis
consistentwith
the
phenomenology inspired heuristic approach privileged by this research.This
approach has heipedme
renewwith
myown
expeience regarding suicide.In
doing so
it
has helped me better understand the impact suicide has had on my personal and professional lives.In
addition, the study has fostered an opportunityfor
me to reclaim both myfamily
and personal histories,while
generating my veryownformativity (Honoré,I9J7
,1990,
1992).Inspired
by
theoretical frameworks and practicesfrom
phenomenology and psychology,I
choseto
conducta
writing
andrewriting
processin
orderto
tap
into
my singular experiencesin
order to deepen my analysis.In
sum, this research has notonly
contributed greatlyto
the formation, notto
say, to my mutation as a person, butit
has also impacted my practice as a concelor. More so,it
hashelped
me better
identify the
conditions
indispensablein
order
to
muster and
set intomotion a
writing
process geared towardthe
passagefrom
despairto
<< learnance >>.This
research paper is meant to enable those who suppolt people bereaved
by
suicide, aswell
as helping anyone seeking a way toform
and channel their inner voicefollowing
the death by suicideof
a loved one.More
than anything,I
sincerely wishfor
this memoir to be a source of hopefor
those in need.Keywords:
Learnance (learning readiness)-
Despair-
Suicide-
Formativity-Phenomenology
-
Counselling-
Writing
-
ExperienceREMERCIEMENTS
...ixAVANT-PROPOS
Légende allégorique du PlongeonHuard....
....xiii
nÉsumÉ
...xvA8STRACT...
...xviiTABLE
DESMATTÈNNS
...XiXLISTE
DESTABLEAUX...
...xxiiiLISTE
DESFIGURES...
...xxyTNTRODUCTTON
CÉNÉR1LE...
...1PARTIE r L'HISTOTRE D'UNE
QUESTrON...
...5CHAPITRE
1pROBr,ÉVr,q,rrSATION....
...71.1
Lafracture
...11.1.1
L'écriture : un bâton de pèlerin pour marcher avec maquestion
...131.1.2
Quand comprendre devient un besoinviscéral
...15I.2
Du non-sens et du sentiment d'incompréhension à l'ère duvide...
...11I.2.1
Tenter d'appartenir à laterre
...191.2.2
De la blessure d'appartenance au difficile métierd'exister
...201.2.3
Le suicide : une préoccupation mondiale - une interpellation québécoise. ...2IL.3
Pertinencescientifique
...231
.3.1
La postvention auQuébec
...25L4
Problème de recherche...
...281.5
Question de recherche...
...29cHAprrRE
2cADRE
DE
nÉrÉnnNco,
ÉrIstÉvror,ocln
ET
uÉuronor-ocrE
...312.I
Cadre deréférences...
""""""'32
2.1.1
Ladésespérance...
""""""""""'
332.1.2
L'apprenance...
""""""""""
362.2 L'épistémo1ogie...
""'43
2.2.I
Du paradigmeinterprétatif.'...".'...
"""""""""44
2.2.2
Le mondephénoménologique
"""""47
23 Méthodologie...
"""
512.3.I
Pour une méthode heuristique d'inspirationphénoménologique
...522.3.2
Pour une recherche en première personne : une écriture expérientielle ...'...'..'..'... 582.3.3
Terrain de recherche...'."...."...
""""'
6023.4
Outils de recherche : le journald'itinérance'.'...'...'."
"""""
61PARTIE
II
CHEMINS D'EXPLORATION
-
UN
PROCESSUSCRÉATEUR
...65CHAPITRE
3QUAND LA VrÉnnornE
Nous
TrENT...
.----.-- 693.1
Guerre conjugale et aliénation parentale :Mon
nom malmené ...'.'. '...69 3.I.1
Retrouver le << mémoire3.I.2
Ma vie enville
"""""""'75
3.l.3 Mavieencampagne..'...'...'.'
""""76
3.1A
De mon désirtabou.
"""'77
3.1.5
Enfant << enjeu3.1.6
L'après-guerre......'...
"""""""""
833.2
Lafin
de I'enfance : marébellion
""'84
3.2.1
Vieillir
à I'ombre d'une catastrophe..."".'
"""
"'
863.3
Errer en quête desaformativité
: Sur les traces de mon désirperdu
...923.3.I
Voyager à l'ouest : une marche d'espérance'.'...'.."'.
""""'96
3.3.2
Retour aux études : Renouer avec 1'<< éco >>'.'...'.
""""""""'97
3.3.3
Voyager au sud : Renouer avec le << socio3.3.4
De ma rencontre avec la psychosociologieuqarienne...
...'...'..' 1003.4
Sur le chemin de mon développementprofessionnel
""""'102
3 .4
.l
De la proximité avec mon père aux réalités masculines.
..-...I023.4.2
Intervenir en formation enpsychosociologie
""
105CHAPITRE ALA FEINTE
DU
PLONGEON
HUARD..
...1074.1
Écriture etsolitude.
...1084.1.I
Revenir à l'écritoire : Tonmémoire...
....1104.1.2
Voix/voied'écriture
....1104.1.3
Tour des lieux : prendre assise...
...1134.2
Lesuicide
....1184.2.1
Voir une vie se soulever par I'effondrement d'uneautre...
...1194.3
Désespérance : << La nuit des âmes4.3.1
Ta descente lente...
...1354.3.2
Ma lignée : Suis-je une catastrophe qui s'ignore?...
...1374.3.3
Le crachoir : quand la plume se met àpostillonner...
...I394.3.4
Unebête
...1444.5
Ritualiser : re-poser tavie
...1464.5.1
Cercle d'humains - Cercle deguérison
...1474.5.2
À la rencontre du feusacré...
...1504.5.3
S'éprouver seul avec soi - ennature...
...1534.5.4
De la nécessité de s'inviter à la limite de soi :I'initiation...
...1594.5.5
La feinte du PlongeonHuard
...1604.6 Sainte-Victoire...
...1654.6.1
Nettoyer, brûler,s'alléger...
...1654.6.2
S'émerveiller : L'esprit de lafamille
...1684.6.3
Le souper : à la recherche d'une paroleneuve
...1694.7
Avoir
dans le regard le miracle et la catastrophe...
...1114.8Cequeveutdirepourtoi<<êtrehantépardebe11eschoses>>.'...,.,...
4.9PARTIE
III
CHEMINS
DE
COMPRÉHENSION
...176CHAPITRE
s
COMPRÉHENSrON...
...1805.1
5.2 5.3
5.4
Rencontres épistolaires : déjouer la << normose >familiale
...'..'..
".'
1895.5
L'éciturephénoménologique
: lieu de dévoilement de la vie quivient..'...'.'.'...
1955.6
L'écriture
: un lieu où déposer moncri'....
""""
1985.1
L'écriture
comme expérience de soi : m'éprouver dans la persévérance .'...-..'....'.202
5.8
Me
<< mettre à vue >> : le partage comme possibilité d'une parole neuve'.'.'...'.".206
5.g
Symboliser une expérience intérieure : la métaphore du PlongeonHuard
---.'.'..'.'2095.10
La renaissance dupraticien-réflexif
""""""""'216
CONCLUSTON
CÉnÉnnLE
...
.-.-..-220Tableau 1 : Les 3 temps
del'épochè
...50 Tableau2:
Comparatif des étapesde
la
méthode heuristiquede
Moustakaset
deCraig
...55Figure 1 Figure 2 Figure 3 Figure 4 Figure 5 Figure 6 Figure 7 Figure 8 Figure 9 Le Plongeon
Huard
...xlll
René...
...1Les actes au cæur de la pratique de
l'épochè...
...51Interrelation
et séquence des processusheuristiques...
...56Dessin de
René
...101Isabelle. André et
René
...118Le processus d'apprenance comme chemin de renaissance solidaire...194
L'écriture
phénoménologique pour seréinventer
...191 Un cri-écrit pour passer de la crise muette à la reliance apprenante... ....201)
,.,
:
A
l'épreuve del'écriture
: S'entraîner à lapersévérance...
...206:
La
lecture comme acterituel.
...209: Le lac aux
Huards
...215Figure 10
Figure 11 Figure 12
Le sujet
de la rechercheLa
désespéranceest
un
état insidieux
qui
n'est pas
si
rare
dans
les
sociétés occidentales contemporaines.Pourlant,
plus
que jamais,
la
science
tout
comme
la technologie ont trouvé des réponses à plusieurs questionsqui
hantaientl'humanité d'hier.
Le
mal-être
qui
ronge nos
contemporainsquant
à
lui,
semble résisterà nos
avancéesscientifiques. Ce sont ces formes de désespérances silencieuses, plus spécifiquement celles
qui
résultent du suicided'un
proche,qui
sont au cæur de cette démarche de recherche. Eneffet,le
phénomène du suicide est malheureusement trop répandu au Québec3.<
Ce
n'est
pasdu
suicide
qu'il
faudrait
avoir
peur. C'est
du
silence,de
notre silence. Ce n'est pas le suicidequ'il
faut craindre et cacher à tous, c'est le manque d'amour, la peur de 1'autre,[...].
"
(Chabot, 1997,p.14)
Le
sujetprincipal
de cette recherchem'est
apparu quelque temps après le décèsd'un
oncle par suicide qui m'a progressivement piongé dans un état de crise. Cet évènement a eu
I'effet
de
mettre
en
lumière
certaines dimensionsde ma
vie
personnelle,familiale
et professionnellejusqu'alors
inexploréeset
dorénavant impossibles àéviter. D'abord,
dansune
famille
de
13
enfants,il
était
le
troisième
à
commettreie
suicide
dansla
même génération.Un
frère
et
une
sceurl'avaient
précédé.I'ai
pris
conscience queje
n'avaisjamais
réellement interrogé cette
réalité
de
mon histoire
même
si
plusieurs
de
mesdifférents
contextesm'y
exposaient grandement.Je
me
suis retrouvéimmergé
dans un questionnement existentielprofond
qui m'a
fait
remettreen
question sérieusement mesorientations
de
vie
personnelle,professionnelle
et
académiquejusqu'aux
fondements mêmesdu
praticien-chercheurque
je
m'appliquais
à
construire
graduellement depuis quelques années.'Chaque jour, trois Québécois s'enlèvent la vie. En moyenne, 30 personnes par jour sont endeuillées par
À favers
ce mémoire,je
cherche à trouver non pastn
point
de vue, mais davantage anpoint
derencontre
entremoi
etmoi
d'abord,
etpuis
entremoi
etl'autre
autour de cesujet délicat que peut être
le
suicide. Je fais le pari qu'en plongeant dans la nature de cette expérience,telle
que
je I'ai
moi-même vécue
au
contact
du
suicide
d'un
proche,
en m'engageant dans ce processus de recherche et d'écriture,je
serais susceptible de retrouverpar
1à uneparole égarée,la
mienne,et
pourquoi
pasla
nôtre.
Éventuellement celle-cipourrait
offrir
uneoreille à
d'autresqui
cherchent aussileur voix/voie
au cæur de leurs propres tempêtes.Dans le cadre de cette activité scientifique,
j'ai
choisid'investir
mon expérience dans une perspective heuristique(Moustaka,
196l
Craig,l97S).
Plus spécifiquement,il
s'agit
d'une approche d'inspiration phénoménologique. Dansl'esprit
d'une recherche en première personne,j'ai
f
intention d'investiguer mon expérience à travers untravail d'écriture
et derééciture
inspiréede
mon vécu singulier. Je
chercheà
découvrir en
quoi et à
quelles conditions cetteforme d'écriture
expérientielte (Depraz, 1999) peut me permettre de faire cette traversée de Ia désespérance versl'apprenance.En
effet,je
pourrais trouver par là, unchemin d'apprenance
susceptible
de
me
permettre
de
produire
du
sens
et
desconnaissances.
Ainsi,
sur mon chemin de chercheur je poursuis donc trois objectifs :Explorer
à travers mon processusd'écriture
les contours de l'expérience vécue au contact du suicide d'un proche.Identifier
les différentes conditionsqui
ont
émergé de mon processus de recherche et de formation m'ayant permis de passer de la désespérance à l'apprenance.Comprendre
comment et à quelles conditions mon chemin d'apprenance et mon processus d'écriture ont participé à ma transformation comme personne et à mon renouvellement comme praticien-chercheur.Ce
mémoire
est
divisé
principalement
en
trois
parties,
les
deux
premières comportentdeux
chapitreset
la
dernièrepartie, quant
à
elle,
est
constituéed'un
seul chapitre.Toute I'organisation du
présent mémoires'inscrit
dansI'esprit d'une
approche heuristique(Craig,
I9l8)
et poursuit ainsi les étapesd'une
démarche de recherche de type heuristique telles que définies par Craig (1918) à la suite de Moustakas (1968).Dans sa première partie <<
L'histoire d'une
question >>, on retrouve les deux premierschapitres
du
mémoire.Le
premier
présentela
problématique de cette recherche dans sapertinence
à
la fois
personnelle, socioprofessionnelleet
scientifique.Le
second chapitre,pour
sa
part,
présentele
cadre
de
référence,ainsi que les choix
épistémologiques et méthodologiques qui ont guidé et balisé toute cette recherche.La
deuxièmepartie,
< Chemins d'exploration >>,est
constituée égalementde
deux chapitresqui
présentent les données de recherche enmoded'écriture. Le
premier chapitre < Quand la mémoire nous tient >, est unrécit
de formationqui
met en lumière les originesdu
questionnementinvestigué
dansce
mémoire
à
travers différents
fragmentsde
monhistoire de
vie. Le
second, ,, Lafeinte
du
PlongeonHuard
)), quantà
lui,
estun
romand'initiation qui
nous plonge àl'intérieur
de I'expérience vécue au contactdu
suicide à la recherche de mes voies/voix de passage et de mon chemin d'apprenance.En ce qui
concernela
troisième
et
dernièrepartie
de
ce mémoire,
< Chemins decompréhension>>,
elle
comporteun
seul
chapitrequi
tente d'éclairer
les
conditions
quim'ont permis de
passerde
la
désespéranceà
l'apprenance.Toutes
les
étapesde
ma démarchede
recherche,à
savoir:
la
production,
f
interprétation
et
la
présentation desdonnées
ont
été réaiisées enmoded'écriture
(Pailié etMuchielli,2008).
C'est
suite à desfini
par trouver une organisation émergente susceptible de rendre compte dela
cohérence interne de cette recherche.Ce mémoire est une
réelle
opportunité deplonger à
l'intérieur
de mon
expérience singulière àla
rencontre de cequi
était jusque-làenfoui
dans mes propres profondeurs'Il
est une ouvertureà l'existence
vers ses possibilitésmultiples, un chemin
d'espérance et d'apprenance susceptiblede
renouveler
les
compréhensionset les
manières d'être-au-monde du praticien-chercheur et de la personne queje
deviens.On ne cesse de me demander:
c'est quoi
taposition
àpropos
dusuicide
?Est-ce
que
tu
adoptes uneposition
pour
ou contre ?
Jeplaide
pour
unmiracle.
Toutevie qui
retrouve
un
cheminpour
avancer est
un
miracle 'Toute
vie qui
réussit
à
ignorer
ou
à
contourner
l'absurde, l'horreur,
I'insignifiance,
l'ennlti,
lafatigue, la
souffrance, estun miracle. Vivre
est une absurdité.Mais
ilfaut
répondre: etpuis
après ?Le miracle
estdu
côtéde
la
vie.
Le
miracle est de
tenter
defaire
tenir
ensemble nonpas la
civilisation,
mais
d'abord et
avant
tout
sonpropre
coeur. Vivre
ne
nous dispense pas d'essayer de comprendre ceux et celles qui vont choisirla mort
volontaire.QUESTION
Il
y
a problème àpartir
du momentoù
une personne se sent déroutée ou inquiète... et I'obsession d'une personnepour
unproblème
constitue
en
réalité
le
ressort moteur
de
toutpouvoir
créateur.Peter
Erik
Craig
La
première étape dela
démarche heuristique selon Craig (1978) estla
<< question >>.Elle
< suppose la prise de conscience d'une question,d'un
problème oud'un
intérêt ressentide
manière subjective.Initialement, ceci
est souventvécu de
manière préconsciente ou préverbale telle une conscience subsidiaire, àun défi ou
à une crise personnelle. >> (1918, p.178)Dans le premier chapitre de cette partie,
je
commence par expliciterI'impact
du décèspar
suicide demon
oncle, ensuiteje
retourne à mes différents contextes historiques pour décrire comment mon questionnement a d'abord pris place dans mon existence.J'invite
le lecteur à cheminer avecmoi,
pour
remonter àla
genèse demon
questionnementet
ainsi découvrir Ie < dévoilement >> (Heidegger,192"7 ; Honoré, 1990) de mon thème de recherche à travers sa pertinence personnelle, socioprofessionnelle et scientifique.Enfin,
ce chapitre tente de préciser leproblème,la
question et les objectifs de recherche qui baliseront toute la démarche présentée dans ce mémoire.Dans
le
deuxièmechapitre
de
cette partie,j'introduis
mon
cadrede
référence en élaborantà
propos des
conceptsclés
de
cette rechercheà
savoir
ce
quej'entends
par désespéranceet par
apprenance. Ensuite,je
mentionneles choix
épistémologiques et paradigmatiquesqui justifient
le
type
d'approchede
la
connaissanceet
de
la
recherche adopté dans ce mémoire. Jeconclurai ce
chapitre,en
précisantla
méthodologie utiliséepour
investiguerla
thématiquede
cette rechercheet pour
analyser qualitativement mesL.L
L.r. r'n^q,cruRELa
mort
par
suicide n'est
pas
seulement unefin.
C'est
un débutpour
celui qui reste.Edwin
ShneidmanIl
sffit
parfois d'un
<<rien
>>.Naître
après unfrère mort
etêtre
appelé René, symbole
de
renaissance,et
vous
voilà
incrusté
par
un autre être, cefrère
mort,pour
la vie.P. Van Eersel
&
C.Maillard
Figure
2:
René[René] a posé un geste de mort
Mais je I'ai vu poser cent mille gestes de vie
Il
transformait le bois mort en abrisEt sortait les fleurs du sol C'était I'ami de tout ce qui est
Il
aimaitNotre oncle et notre ami rayonne plus fort que les ténèbres.
Éte
ZOn
Au
solstice précisément, quelquesjours
avant mon 33" anniversaire, mononcle
René setue. Une balle
dansla
tête. Dansla
chambred'invités de
la
maisonqu'il
venait à peine de construire.
Il
avait 50 ans.It
était mon oncle préféré;
c'était dans sa façon de conduire savie,
de créer et de se créer, d'écouter, de regarderla
natureet
les choses, dans ses silences aussi. J'avais pourlui
une admiration toute particulière et, discrètement,je
I'aimais
beaucoup.Il
estle
troisième dansla
famille
sur
13 enfantsà
se suicider dans la même génération. Les trois se suivaient dansl'ordre
des naissances. Isabelle était la cadette etla
première àpartir,
ensuiteAndré
et puis René. Dansla
génération précédente, le frère de ma grand-mère(qui
s'appelait Renélui
aussi!)
s'était suicidé. Maxime, mon cousin,fils
d'Isabelle, aimait
René commeun frère, ou
encore commeun
père...un
mentor,je
nesaurais dire exactement, sinon
qu'il
I'aimait
énormément. En écrivant,juste
là,je
I'entendsdire:
<< René.C'était
monmeilleur ami...
>Il
m'a
toujours semblé quec'était
parlui
queMaxime avait renoué avec sa
famille
maternelle suite au décès de sa mère.J'ai
apprisle
décès de René alors quej'habitais
pour l'été dansla
Baie-des-Chaleursen
Gaspésie,à
Carleton-sur-Mer.J'avais
quatre grandset
beauxmois
devantmoi.
Tout
étaitparfait!
Le temps et I'espace nécessaires pour rédiger ma maîtrise.C'était
mon projet. J'avais trouvé la bibliothèque municipale comme on découvre un trésor. Juchée au 2" étagedu
CEGEP
désertéde
ses étudiants,toute
vitrée
et
silencieuse,elle m'offrait
une
vue imprenable surle
Barachois de Carleton.Le
panoramay
est saisissant etl'été la
mer
estd'un
bleu
sombretrès
caractéristiquequi
scintille
et
fait
éclater partout
une
lumière pénétrante,vivifiante.
Il
me semblait guê, assis là,j'allais
être un peu plusintelligent
qu'à I'habitude.Sûrement parce que
j'avais
été plus proche de René que d'Isabelle etd'André
et quemes
dernières annéesde formation ont
participé
à
me
redonnerà mon
cæur
et
à
ma sensibilité, I'annonce a étéunterrible
choc. Encoreaujourd'hui,je
ne crois pasavoirpleuré
destinée
familiale
macabre encours... Trois
suicides dans unefamille,
c'est surréaliste et effrayant.Après que mon père
m'ait
annoncéla
nouvelle,j'étais
saisi,
dérouté.J'étais
à
la bibliothèque municipale justement,c'était
un avant-midi. Je me souviens sortir dehors dansun
empressementqui
s'apparente àcelui-là
qui
nous prend quandon s'étouffe
àla
table pendant un repas.J'ai
tergiversé un temps. Je ne savais pas quoi faire,qui
appeler, vers qui me tourner. J'avais peur de dire. Peur du ter:rible poids de la nouvelle que je portais dorénavant. Peur dela
blessure profonde que ces simplesmots allaient
engendrer chezl'autre
:
<< René s'estsuicidé. >> Jeanne,
ma directrice de maîtrise en
qui
j'ai
une
confiance absolue,a
été
lapremière que
j'ai
appelée.Elle
m'a
offert
une écoute etun
silenced'or.
Nous avons parlé longuement, moije
faisaisles
100 pas, dehors,pour
évacuer sûrement une part de ce qui me débordaitlittéralement et queje
n'arrivais pas à contenir. Je me souvienslui
demanderau téléphone :
- << Mais, qu'est-ce qui les tue Jeanne ?! >>
Furieux et en larmes,
je lui
aidit
commentj'aurais
préféré qu'onl'ait
tué, pour queje
puisse
voir,
<< avoir une prise sur >>, ce (ou celui) qui tue mafamille.
En
écrivant,je
me
rappelleun rêve
quej'ai
déjàfait
ado:
dansmon
rêve,je
meréveille
comme dansla
réalité. Je suis dans monlit.
Une présence dans ma chambre.Elie
m'agrippe de toute évidence, mais
je
ne
sais paspar
où. Je ne sens pas sa prise sur mon corps. Pourtant, eile metire
en dehors de monlit
vers le plancher et puis dans le sol même. Je panique. Sans savoir comment,j'arrive
à m'échapper.M'étais-je
vraiment échappé ouescaliers, mais |e haut du bas se confond tout d'un coup. Étourdissement. Perte de repères.
Je me réveille en sursaut.
Souvent, depuis
le
décès de René,me revient
étrangementun
passagedu
livre
deBernard Werber
(lggD,
<< Les fourmis >>, oùil
nous explique que lesfourmis n'ont
pas deconscience
individuelle. Elles
n'ont
pasde
< Je>.
Elles
existentplutôt
au travers d'une conscience collective, un << nous >>. Werber, pourillustrer
cette caractéristique, nous racontequ'occasionnellement,
une
certaine espèce seréunit en
immensecolonie pour
partir
encroisade à la recherche de nourriture. Si la colonie rencontre une
rivière
sur son chemin,lesfourmis à I'avant
sejettent à
l'eau
sans hésitationet
se noient.Elles
procèdentde
cette façonjusqu'à
constituer un pont de leurs corps morts suffisamment long pour quele
restede la coionie puisse traverser de l'autre
côté...
Serions-nous en train de traverser unerivière
invisible
surle
dos de nos suicidés ?Y
aurait-il un
<< nous >>qui
nous échappe dans cette réaIitéfuneste ?J'arrive difficilement
à croire quele
suicide soit un gesteisolé...
etje
suis profondémenttourmenté
à l'idée
que d'autres
encore pourraientcommettre
à
nouveauf
irréparable... Quoi faire pour s'adresser à cette tragédte ?Et juste
là,
à penser àtout
ça, les mots finissentpar
me manquer,c'est
quej'arrive
difficilement
à nommer ce qui m'apparaît quandje
suis face à face avec cette réalité sombre du suicide.Elle
me dépasse complètement enfait,
àm'en
donner un vertigequi
me saisit jusqu'à 1a moelle des os. Cette réalité,je
ne sais qu'en faire. Elle mefait
peur, mefige.
11y
a là une dimension mystérieuse sur laquelle
je
n'ai
pas << de prise >. Pourtant,je
la sens trèsprésente
et
agissante dansmon
environnement.Comme
si,
dansla
pièce
il
y
avait
un inconnuet, pour
desmotifs
quej'ignore,
cet inconnu
tue... Mon
impasse,face
à
cette situation, est totale et immense.Une
questionme
hante:
Commentvivre
avec ce sentiment ambiant d'unemort qui
Si au moins,Ia souffrance,Ia désespérance de René, m'avaient été d'une évidence...
Et
qu'enest-il de
cettepafi
d'eux, ces
suicidésde ma famille, qui
est
en moi
?Comment fait-on pour
vivre
avec son propre tiers-monde en soi ? Pour vivre sans niet, sansfuir
cette réaIité ?À
I'inverse, commentvivre
sans me terrasser, sans succomber sous le poids ? Comment exister avec ce næ.ud dans les tripes ?La vie
semblem'ouvrir
saporte sur
quelque chosed'enfoui, de
caché, denié,
desecret
qui
cherche son chemin de liberté, d'intégration. Comme si la possibilité s'offrait deregarder de plus près cette épave
terrible. Mais
bon,la
question reste:
comment fait-on pour s'approcher dulion
sans être mangé ?J'ai
résisté longuement àinvestir
ces questionnements enlien
avec cette réalité du suicide dans mafamille
qui me paraissaienttrop
difficiles
et inappropriés à ce contexte derecherche universitaire et pourtant,
d'une
certaine façontout
dansma
vie
semblait s'être ficelé pour que je n'aie pas le choix dem'y
adresser. Tous mes contextes professionnels me rappelaient à cette réalitéjusqu'à me
sentir cerné par elle, littéralement envahi. << On peutoublier
son passé. Cela ne signifiepas
queI'on
va s'en
remettre.>
(Frédéric Beigbeder, 2009, p.96)J'ai
constatéavec
effarement,comment
le
décèsde
René
a
participé
à jeter
denouveaux éclairages préoccupants sur une façon de me tisser-au-monde occlltée jusque-là dans
ma vie.
Je
devienspetit à petit
conscientd'un réflexe
d'<<engourdissementn
quis'active
dès queje
suis confronté
à
l'adversité
en
généralet à Ia
réalitédu
suicide enparticulier. Je
commenceà
apercevoirles
contours
en
moi-même
d'un
interdit
tacite d'<< aller mal >> devant cette épreuve queje
trouve silencieusement << démesurée >.J'ai
ainsicommencé à soupçonner être moi-même habité par un silencieux mal-être.
Qu'en
est-il deJe prends progressivement conscience, d'une part de
moi qui avaitperdu
la mémoire etd'une
autre
qui
conspirait
à
me
la
faire
retrouver.
J'ai
vraisemblablementmis
aux oubliettesun
certain nombre d'événementsqui
ont
profondément secouémon
enfance et I'ensemble de mafamille. I'ai
été saisi de constater cofiIrnent ces différents évènements de mon histoire, surtout ceux |iés au suicide, n'avaient jamais été abordés dans mon parcours deformation;
ni
au coursde mon baccalavéat
en psychosociologie oùj'avais suivi
un cours deRomanfamiliat
et trajectoire socialeani
dans ma scolarité de maîtrise oùj'ai
aussisuivi
un cours de Récit autobiographique. Non pas quec'était
un secret pour moi,j'y
étais seulementindffir
ent, devenu quasi amnésique.par
ailleurs, sur le planprofessionnel,je
vois que depuis quelques années,je suis attiré presque malgrémoi
par
f
intervention
auprès d'hommes endifficulté.
Je rencontre assez souvent dans ce contexte,la
désespérance des hommes, ainsi queleur
confrontation à la réa1itédu
suicide.
Je
suis aussi impliqué
au
Centre
de
Prévention
du
Suicide
etd'Intervention
de Crisedu
Bas-St-Laurent. Jetrouve
surprenants cette attlrance, cet appel en moi-même, qui me pousse à la rencontre de ces contextes professionnels quifont
écho à cettepart de mon histoire
personnelle occultée,à
proposde
laquelleje
ne me
suis pasencore réellement attardé.
C'est seulement après
le
décès de René et suite à plusieurs discussions et réflexions avec mes collègueset
formateurs quela
nécessité de plonger dans cettedirection
m'est apparue clairement.Ils
me font réaliser quej'ai
impérativement besoind'un
nouvel arucrageet
de
nouveaux compréhensifspour
arriver à m'extraire
d'un
nihilisme de plus en
plus envahissant,de ce
<à
quoi
bon de
toutefaçon
> qui
s'infiltrait
sournoisementun
peu partout dans ma vie.J'ai
compris aussitôt à la suite de Bernard Honoré (2011) que :L'essence du savoir n'est sans doute pas dans
le
savoir lui-même.Elle
est dans ledésir de
persévérer dansI'existence, selon l'expression
de
Spinoza,désir qui
, Un cours inspiré de l'æuvre de Vincent de Gaulejac, dont
il
présente l'approche dans son livre .'découvre
le
savoir
comme
moyen de
prendre
soin des
conditions
de
cette persévération. (Honoré,201I
, p .227)1.1.1
L'écriture
: unbâton
depèlerin
pour
marcher
avec ma questionJ'écris
doncpour
exister,pour
meformer
et être transformée,J'écris
pour
organiser ma pensée,pour
laisser
émerger desmots qui
pourront traduire
ma douleur etainsi
la
rendre non seulement communicable. mais aussi mutable.Jeanne-Marie Rugira
Depuis
mon
adolescence,l'écriture s'est
imposéeà
moi
comme
un
compagnonsolitaire
et
discret
sur
les
chemins
sinueux
de
mes
sombres
traversées. J'écrivais régulièrement dans la plus stricteintimité,
comme d'autres ne chantent seulement que sousla
douche.J'aiIa
souvenanced'un
moment oùm'était
venu, presque inconsciemment, cetexte
qui
commenceà
dater,
maisqui
témoigne
encoresi
bien,
de ce trop-plein
quim'habitait
et qui de temps en temps cherchait des voix/voles d'expression. Ventmort
Air
pur
qui tuepar
excès d'asepsie Néons blancs secsIlluminant
les murs blancs salesTables
froides,
mais douces Confort amerPoussière tranchante Partout sur nos habits
Qui nous étouffent Atmosphère meurtrière La météo noLts menace
D'une
implosion des corps Unvent mort accumule Une crasse cancéreuseQui colle à la peau qui craque Brûle Ia chair déjà viciée Ronge les os qui
crient
Lentement, très lentement Cette immobilité vicieuse Tue la patience
Réveille le
fou,
la bête Canines exposéesGrogner ou
hurler
longuement À s'en éclater les veinesÀtoutfaire
éclater Corps et décors Allons lous au diableFinis
les bonnes manières Ses contours et sa contenance Saignons-nous, et tousPour éviter que le sang caille à même le corps
Que la mort nous habite avant
Je me souviens avoir
griffonné
ce texte, sur le reversd'un
plan de cours pendant une classe au CEGEP,j'avais
17ou
18 ans. Je me rappelle bien madifficulté
à être présent à mescours,
à
être
dansf
immédiatetéde ma vie,
comme
si j'étais
possédéd'une
ragedifficile
à comprendre et à contenir, d'une peine muette,qui
ne se partageait pas etqui
ne savaitpas
se laisservoir.
Une peine
qui s'invalidait, qui
sedissimulait'
Un
mal-être
àf
image de ce texteécrit
sur unbout
de papier au hasardet
rangén'importe
où dans mon cartable, traité comme un objet divers sans importance. Fait pour être perduet
oublié' < Unsimple texte
qui
m'est venu
comme ça >>je
me
disais,
comme
s'il
m'était
arrivé
àl'improviste
presque, sorte de percée d'inconscient ou encored'inspiration
mystérieuse et lointaine.Tout
me porte à croire
quemon
rappol-tà
l'écrit
serait une sorte demiroir
de mapropre dissociation où
j'opère,
la
plupart
du
temps
à mon
insu, une sorte
de déni
de 1'expérience queje
vis.D'une
certaine façon,je
me suis littéralement aliéné de moi-même. Comme si I'auteur de ce texte était o un autre >> avec lequel j'entretiens une relation secrète tantôt d' admiration, tantôt d' indifférence.Une part de moi est déjà << hantée >> à cette époque par ces propos qui ne me semblent
pas
tout à
fait
<< présentables ,r.La
colère,la
violence,
la
mort,
le
désespoir,le
suicide,autant de thèmes sombres et < malaisants >>. Quoi faire avec tous ces tabous, ces non-dits et
secrets tapis au fond de soi, mais aussi disposés en champ de mines dans mon entourage?
À
cette période oùj'écris
cepetit
texte,je n'ai
que ces bouffées de malaisesqui
m'assaillent de temps en temps sans queje
ne
comprenne réellementleur
provenanceni
leur
raison d'être ;voilà
le signe mêmed'une
aliénation de soi bien réussie!Ainsi,
pendant une longue période de ma vieje
constatais simplementqu'écrire
me faisait du bien, quej'avais
duplaisir
à donner forme à ces textes lorsquel'envie
me prenait,au
milieu
de nulle part. Je les aimais bien mes textes, même sije
ne savais pas tout àfait
cedont ils parlaient, ou plutôt en quoi
ils
se rattachaient à son auteur.Aujourd'hui,
aprèsle
décès de mon oncle,je
vois
dans mes écrits,l'esprit
de ce qui m'appelle dans cette recherche tout en m'échappant.Il
y a là dans mon écriture, àlafois
cequi
chercheà
sedire
et, dans monrapport à
elle, ce quifait
obstructionà
mapossibilité
d'apprendre
d'elle.
J'y
vois
les
contoursd'une
constructionidentitaire
aux ramifications nombreuseset
complexes,
avec
son
lot
de
croyances,de
valeurs
et
d'interdits
qui conditionnent et façonnent un certain rapporl à mon expérience, aux autres et au monde. La fracture que crée enmoi le
décès demon
onclem'ouvre
à une dimension voilée de mon histoire.J'y
vois
<< une prise> nouvelle
sur cesdifférents
rapportsliés
à
cetteréalité
dusuicide et à ce cortège d'états d'âme
diffus qui
traduisent si bien ce mal-êtrequi
m'habite depuis longtemps.J'y
vois aussi une opportunité de choisir une vie libérée de cepoids,
une possibilité d'entrer sur mon chemin d'apprenance en choisissant de m'engager etd'investir
mon expérience vécue. Ce n'est pas étonnant que
l'écriture
me revienne alors comme un chemin obligé pour ce nouveau projet. Plus tard dans ce mémoire,j'aurai
à m'engager dansune démarche
d'exploration
qui
m'aidera
certainementà
comprendreles
soubassements psychoaffectifset
socioculturels dela
constructionidentitaire
de cejeune
adolescentqui
écrivait des textes si chargés, naissant ainsi douloureusement, mais sûrement, à ia vocation qui 1'attendait.
L.I.z
Quand comprendre
devientun
besoinviscéral
La
compréhensionnous
demanded'abord
del'incompréhension.
À
cette étape dema
démarche,il
me
semble importantd'éclairer
les aboutissantsde mon
chemin d'apprenance. Je réalise
aujourd'hui
que
je
comprendre Edgar
Morin
tenants
et
leshistoire personnelle
et familiale qui m'a
installé
bien
malgré elle
dansia
confusion'
Le besoin de comprendre me vient certainement de là.Très
tôt
dans mon histoire,j'étais
habité par un désir de mieux me comprendre et demieux comprendre
le
monde dans lequelj'évoluais. Et
dansl'ombre
decelui-ci,
on devine facilement sa contrepartie, soit une certaine incompréhension de moi-même et de ce monde dans lequelje
grandis, une interrogation, un <<pourquoi
comme ça? > déposé en trame defond
dans
mon
existence. Étymoiogiquement,le
verbe
<< comprendre >>nous
vient
dulatin
<< cumprehend.ere ,,qui
veut dire < prendre ensemble >> ou << prendre avec >>,il
exprimequelque chose de ce désir immanent de << mettre en
lien
>>, derelier
les différents élémentsde ma
vie
et de ma pensée en un tout cohérent qui donne un sens à notre vie. <<Vivre
c'estavoir
sans cessebesoin
de
comprendreet d'être
compris'>
(Morin,
2014,
p.26)
nous rappelle EdgarMorin.
Je saisissais mal la genèse précise de cette
soif
de comprendrequi
me semblaitflou
àcette époque.
Aujourd'hui,
je
crois bienqu'il
a germé et a pris racine asseztôt,
au début dema
vie
à
traversun
contextefamilial
complexe.Mes
parents sesont
séparés avant ma naissanceet j'ai
grandi la majeure partie de mon enfance et de mon adolescence avec monpère. Même
si
c'est
tout ce
que
je
connaissais,cette situation
n'était
pas
moinsinconfortable.
Le
petit
garçon que
j'étais
ne
pouvait pas
comprendre
pourquoi
sa<famille
>> ét211tainsi
organiséeou
plutôt
désorganisée?J'ai eu
asseztôt la
précognitiond'g;n je-ne-sais-quoi
qui
grince,irrite
et préoccupe dansma
réaIité, sur lequelje
peinais àmettre des mots et à
lui
trouver une quelconque voie de libération etvoix
d'expression. Nous risquons toute notre vief
incompréhension de soi à autrui etd'autrui
àsoi.Il
y
a incompréhension dans lesfamilles
entre enfants et parents, parents et enfants, incompréhension dansles
ateliers
ou
bureaux, incompréhension des étrangersdont on ignore les
mceurset
coutumes.La
compréhension humainen'est
nullepart
enseignée.Or, le mal
des incompréhensions ronge nosvies,
détermine descomportements aberrants, des ruptures, des insultes, des chagrins.
(Morin,
2014,
p.26)J'ai
cru
longtemps que ce désir de mieux comprendre avaitpour
finalité
de trouver une réponsedéfinitive
et des explications concrètes queje
risquais de trouver quelque part dehors; onfinirait
bien,tôt
ou tard, par toutm'expliquer
et alorsje
serais soulagé, rassuré.C'est
au
fil
du
temps quej'ai
appris
à
reconnaîtrece
désir de
comprendre davantage comme une sorte de phare existentiel me servantplutôt
à orienter mes principaux choix devie
tout enm'offrant
un éclairageinédit
sur moi-même. Comprendre quej'oriente
ma vie non pas uniquement à partir de réponses concrètes, de certitudes et de toutes ces choses queje
crois savoir, mais aussi, et peut-être surtout, àpartir
de questions ancrées profondémenten moi, de ce
que
j'ignore
encore
et
qui
constitue
le
mystère
de
mon
existence. M'envisager moi-même comme une question en marche. <<La vie est un mystèrequ'il
fautvivre
plutôt qu'une question à résoudre. >> nous a déjàdit
Gandhi. Apprivoiser, comprendreet
apprendre
qùe <<vivre
est
une
aventurequi
compofie
en
elle-même des incerlitudestoujours
renouvelées,avec
éventuellement
crises
ou
catastrophes personnelles etlou collectives. >(Morin, 20t4,
p.24-25)t2
Du NoN-suNS ET DU SENTTMENT D'rNCoMpREIrENSroN A L'ERE DU vrDE[...]
On ne devra pas oublier que ce vide, dontla
descriptionpourra
apparaitre
inutilement abstraite oulittéraire,
exprimeavant tout
aujourd'hui,
quelque chose detrès
concretet
dedirectement vécu
par
beaucoupd'entre
nous:
I'absence oul'usure
< des cadres naturels > delavie
sociale,la
disparition des perspectives,I'absurdité
d'un
travail
à
la
fois rare
et dépourvu de sens[...J
Yves Barel
La
situation décrite dansla
première partie de ce chapitres'inscrit
sans contredit aucæur
de ma
vie
singulière,mais
aussi dansun
contextepropre
à
Ia
générationde
mesparents.
C'est-à-dire
la
génération
des
<< boomers,,
qui
considérait
l'émancipation socioculturelle et politique, la libération sexuelle, la montée def
individualisme, comme denécessaires réponses aux différentes idéologies, valeurs et croyances devenues trop étroites et à