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La construction idéologique de la culture populaire comme une identité pour le cinema brésilien (1950-1975) : une synthese dialectique entre la chanchada et le cinema novo

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Academic year: 2021

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La construction idéologique de la culture populaire

comme une identité pour le cinema brésilien

(1950-1975) : une synthese dialectique entre la

chanchada et le cinema novo

Joao Alves de Oliveira

To cite this version:

Joao Alves de Oliveira. La construction idéologique de la culture populaire comme une identité pour le cinema brésilien (1950-1975) : une synthese dialectique entre la chanchada et le cinema novo. Musique, musicologie et arts de la scène. Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, 2013. Français. �NNT : 2013PA030107�. �tel-00949721�

(2)

UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3

ED 267

– ARTS DU SPECTACLE, SCIENCES DE

L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION (ASSIC)

Thèse de doctorat en études

cinématographiques et audiovisuelles

João ALVES DE OLIVEIRA

LA CONSTRUCTION IDÉOLOGIQUE DE LA

CULTURE POPULAIRE COMME QUÊTE

D’UNE IDENTITÉ POUR LE CINÉMA

BRÉSILIEN (1950-1975) :

UNE SYNTHÈSE DIALECTIQUE ENTRE LA

CHANCHADA ET LE CINÉMA NOVO

Thèse dirigée par Michel MARIE

Soutenue le 25 octobre 2013

Jury

:

Mme Geneviève SELLIER (professeur à Bordeaux 3)

Mme Giusy PISANO (professeur à l’École Louis Lumière)

M. Laurent JULLIER (professeur à l’Université de Lorraine)

M. Michel MARIE

(3)

Résumé

Ce travail porte sur la construction idéologique de la culture populaire au Brésil dans les films comiques intitulés chanchadas et le cinéma novo sur la période 1950-1975.

Il analyse la façon dont ces comédies, influencées par l’idéal d’une nation hétéroclite mais unique instauré par Getúlio Vargas, ont représenté la culture populaire comme une idéologie des classes subalternes. Utilisant le concept de carnavalisation, ces films populaires, influencés par la radio, le théâtre de revue et le cirque, mettaient le monde à l’envers en essayant de corriger les injustices sociales dont étaient victimes les pauvres. Souvent décriées et considérées comme légères et aliénées, elles étaient beaucoup plus critiques que l’on ne disait.

En partant du principe que le cinéma novo est le corollaire des débats sur la quête d’une identité pour le cinéma brésilien tenus au cours des années 1950, période très influencée par le Parti Communiste Brésilien, ce travail analyse les trois phases différentes du mouvement. Durant la première, la culture populaire fut construite comme l’opium du peuple et les cinéastes ayant utilisé leur propre monde comme modèle de représentation de la culture populaire. Les films, très autoréflexifs, cherchaient à éveiller la conscience critique des pauvres et à les aider à sortir de l’aliénation. La deuxième, survenue après le putsch militaire de 1964, plongea les cinéastes dans le passé afin de comprendre les erreurs de la gauche et les raisons de sa défaite. Ensuite, la recherche analyse la troisième phase du mouvement quand les cinéastes furent amenés, par un gouvernement libéral qui considérait le cinéma comme un produit marchand qui devait se réaliser sur le marché, à changer de voie et à réaliser des films tournés vers le grand public. A ce titre, les films de cette phase, aux formes plus simples, dialoguèrent avec les chanchadas afin de finalement atteindre le peuple, sans jamais renoncer au cinéma d’auteur.

Mots clés : Brésil, culture populaire, identité, comédie musicale, cinéma engagé, altérité.

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Abstract

This research focuses on the ideological construction of popular culture in Brazil in comedy films, musical or not, and cinema novo over the 1950-1975 period.

It analyzes how these comedies (called chanchadas), which were influenced by the ideal of a varied but unique nation established by Getúlio Vargas, represented the popular culture as an ideology of the subordinate classes. Using the concept of carnivalization, these popular films, influenced by radio, revue theater and circus, put the world upside down trying to correct social injustices suffered by the poor. Often criticized and considered as superficial and alienated, they were much more crítical than they were said to be at the time.

Assuming that cinema novo is the corollary of the discussion on the identity quest for the Brazilian cinema that took place during the 1950s, a period heavily influenced by the Brazilian Communist Party, the research analyzes the three phases of the movement. During the first one, popular culture was built as the people's opium and filmmakers used their own world as a model of representation for popular culture. The films, which were very self-reflexive, sought to arouse the crítical consciousness of the poor and help them pull out of alienation. During the second phase, which occurred after the military coup of 1964, filmmakers were immersed in the past in order to understand the mistakes of the left and the reasons for its defeat. During the third phase of the movement, led by a liberal government that perceived cinema as a commodity that should be sold to the market, filmmakers changed their way forward and made films directed to the general public. As such, the films of this phase, characterized by simpler forms, engaged in dialogue with the chanchadas to finally reach the people, while never giving up auteur cinema.

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A mon fils Tavinho qui, en me demandant constamment quand la thèse serait terminée, n’a jamais cessé de me stimuler.

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REMERCIEMENTS

Même si la responsabilité d’une recherche est entièrement de celui qui la rédige, elle ne se fait jamais seule. Ainsi, je remercie chaleureusement Monsieur Michel Marie pour sa patience, disponibilité, confiance et conseils ; à Pascale Beauchamp et Françoise Havez pour le travail titanesque de correction ; à mon « frère » Julivaldo Pereira pour son aide inestimable concernant la mise en page de la thèse, mais aussi pour son soutien indéfectible lors des moments difficiles et des problèmes informatiques (et ils ont été nombreux) ; à ma très chère amie Mirsa Maria Quintão pour son amitié, présence et complicité au cours des années, ainsi que pour l’aide dans l’acquisition de livres et de films au Brésil ; à mon ami Guy Naudet ; à mes amis brésiliens Marcelo Janot, Gil Vicente et Nelson Moreira (qui m’ont aidé à trouver des films et des livres rares) ; à mes amis Edwiges Rego, Pablo Moura, Cláudio Mele et Gustavo Rebello qui m’ont apporté des livres du Brésil. À ma chère amie Anna Toussaint Pereira pour son amitié indéfectible. À mes très chers amis Daniel et Corinne Dacomo, ma famille française.

En termes institutionnels, j’aimerais bien remercier le personnel des cinémathèques de Rio de Janeiro, spécialement à José Quental pour son aide précieuse, de São Paulo, du British Film Institut et de la Cinémathèque de Montréal. Il est tout aussi indispensable de remercier le personnel des bibliothèques de l’Universidade Federal Fluminense (l’UFF), de l’Escola de Comunicação e Artes (l’ECA) de la Faculté de Filosofia, Letras e Ciências humanas (FFLECH), tous les deux de l’Universidade de São Paulo (l’USP), et de la bibliothèque de l’Université Concordia, à Montréal.

(7)

“La conscience théorique d'une époque est précisément tributaire de l'époque où elle a pris corps.” (Karl Marx)

(8)

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS ... 5

SOMMAIRE ... 7

INTRODUCTION ... 11

PARTIE I: LES CHANCHADAS OU LA CULTURE POPULAIRE COMME MODELE POUR LE CINÉMA BRÉSILIEN ... 35

CHAPITRE1-L’HISTORIQUEDESFILMSCOMIQUESETMUSICAUX ... 35

1.2 –Les premiers films sur le carnaval ... 45

1.3 - L’historique des films comiques et des films cantantes ... 47

1.4 - Les premiers musicarnavalesques ... 63

CHAPITRE 2 - AUTOUR DU NATIONALISME POLITIQUE ET CULTUREL ET DE LA CHANCHADA EN TANT QUE GENRE ... 76

2.1– Le nationalismedes années 1950 ... 76

2.1.1 – Le nationalisme culturel et la quête d'authenticité ... 89

2.1.2 - L'indianisme ... 91

2.1.3 - Le modernisme ... 95

2.1.4 - La quête d'une identité cinématographique ... 99

2.2 – Les chanchadas : l’analyse du genre ... 101

2.2.1 – Le genre ... 105

2.3.- Les types de comédie ... 111

2.3.1 – La farce ... 111

2.3.2 - Des comédies satiriques ... 115

2.4 - Les différents types de comique ... 118

2.4.1 – Le comique de gestes... 118

2.4.2 - Comique de langage ... 122

2.5 - Registres comiques et fonctions du rire ... 127

2.5.1 - Le burlesque ... 128

2.5.2 - L'humour ... 128

2.5.3 – Les fonctions du rire ... 129

2.6 - Les comédies musicales ... 131

2.7 – Influences et ressemblances ... 135

2.7.1 - Les influences directes : la radio, le cirque et le théâtre de revue ... 136

2.7.2 - Les influences indirectes ... 138

2.7.2.1 - Le Romantisme ... 138

2.7.2.2 - Le Modernisme ... 143

2.7.2.2.1 – Une langue brésilienne ... 145

2.7.2.2.2 – La culture populaire ... 146

2.7.2.2.3 – La valorisation des villes ... 147

(9)

2.7.2.2.5 – La valorisation de l'humour ... 149

2.8 - Gilberto Freyre ... 150

2.9 - Un cinéma critique et désaliéné ... 153

CHAPITRE 3 – LA CONSTRUCTION IDEOLOGIQUE DE LA CULTURE POPULAIRE AU SEIN DES CHANCHADAS ... 163

3.1 – Une vision du monde des subalternes ... 163

3.2 - La représentation du populaire comme un paradigme pour le cinéma brésilien ... 169

3.2.1 – L’importance des années 1930 ... 172

3.2.2 - Du folklore à la culture populaire ... 174

3.3 - Le nationalisme culturel dans les films ... 177

3.4 – Culture populaire et identité nationale ... 180

3.5 – Les écoles de samba et le carnaval ... 185

3.6 - Culture populaire versus culture hégémonique ... 193

3.7 - Lutte de classes ... 202

3.8 - La construction de certains personnages populaires ... 209

3.8.1 - Malandros ... 209

3.8.2 - Les mégères et les vamps ... 216

3.8.3 – Les héroïnes ... 220

3.8.4 - Les Noirs ... 226

3.8.5 - La femme Noire ... 232

3.8.6 - Un peu d'exotique : les bahianaises ... 233

3.9 – La ville opposée à la campagne ... 238

3.10 - La carnavalisation : le monde à l'envers ... 247

3.10.1- Les parodies ... 251

3.11 - Un cinéma brésilien et populaire ... 258

3.12 - La circularité culturelle ... 267

PARTIE II : LE CINÉMA NOVO OU LE CINÉMA ENGAGÉ COMME PARADIGME POUR LE CINÉMA BRÉSILIEN ... 272

CHAPITRE1-LES ANNÉES 1950, L’ÉMERGENCE DU CINÉMA ENGAGÉ ET DU CINEMA NOVO .... 272

1.1 – Le contexte historique des années 1950 et du début des années 1960 ... 272

1.2 - Avant le cinéma novo : les grands studios de São Paulo ... 300

1.2.1 - Les premiers congrès de cinéma ... 307

1.2.2 - Le proto-cinéma novo ... 315

1.2.2.1 - La fiction ... 315

1.2.2.2 - Les documentaires ... 339

1.3 – Le cinéma novo et l’invention de la tradition ... 344

1.3.1 - Humberto Mauro : la thèse ... 344

1.3.2 – Limite : l'antithèse ... 346

1.3.3 - La légitimation intellectuelle du cinéma ... 349

1.3.4 - La réification de l'intellectuel ... 350

(10)

1.4 – L’émergence du cinéma novo ... 362

1.4.1 – Les phases ... 362

1.4.2 - Le début du cinéma novo ... 365

1.4.3 – La réification du politique ... 373

1.4.4 - L'instrumentalisation de l'art ... 377

1.4.5 – Le populaire-national ... 382

1.4.6 - Le romantisme révolutionnaire ... 389

1.4.6.1 - Le romantisme cinématographique : un cinéma d'auteur et indépendant ... 391

1.4.7- L'anti-impérialisme du cinéma novo ... 396

1.4.8 - Les influences du cinéma novo ... 404

1.4.8.1 - Le modernisme ... 404

1.4.8.2 - Le roman régionaliste des années 1930 ... 408

1.4.8.3 - La distanciation ... 414

1.4.8.4 - Eisenstein ... 426

1.4.8.5 – Autres influences ... 434

CHAPITRE 2-LA CONSTRUCTION IDEOLOGIQUE DE LA CULTURE POPULAIRE AU SEIN DES FILMS DU CINEMA NOVO ... 436

2.1 - Les théories marxistes au Brésil : l'« étapisme» et la révolution anti-impérialiste et antiféodale ... 436

2.2 - La révolution antiféodale : une idée « hors de lieu» ... 441

2.3 - La notion de situation coloniale et le rapport entre le PCB et les artistes ... 447

2.4 - La construction idéologique de la culture de l'Autre ... 456

2.4.1 - La vision du dehors ... 467

2.4.2 - L'écriture à la première personne : un cinéma auto-réflexif ... 477

2.4.2.1 - Les personnages relais ... 482

2.4.2.1.1 - Firmino ... 486

2.4.2.1.2 - Antonio das Mortes ... 493

2.4.2.1.3 - Gaúcho ... 496

2.4.3 - Le paternalisme intellectuel ... 498

2.4.4 - L'aliénation ... 506

2.5 - La construction de la culture populaire comme opium du peuple ... 513

2.5.1 - La représentation des religions populaires ... 513

2.5.1.1 - Le candomblé dans Barravento ... 517

2.5.1.2 - Le messianisme ... 523

2.5.2 - La représentation du carnaval ... 546

2.5.3 – La représentation du football ... 557

2.5.3.1 - Garrincha, alegria do povo ... 557

2.5.3.2 - Subterrâneos do futebol ... 569

2.5.3.3 - A falecida ... 577

2.5.4 – L'ethnocentrisme intellectuel ... 585

2.5.5 - Archaïque versus moderne ... 590

2.6 – La culture populaire comme une forme de résistance ... 599

2.6.1 - L'escapismo ... 599

(11)

2.7 - Le manque de dialogue avec le peuple ... 611

PARTIE III – LA QUÊTE D’UNE SYNTHÈSE ... 625

CHAPITRE 1 - LA TENTATIVE DE DIALOGUE ENTRE LE CINÉMA D'AUTEUR ET LE CINÉMA POPULAIRE ... 625

1.1 - Le contexte politique et culturel ... 625

1.2 – Deux films de la deuxième phase ... 633

O desafio ... 633

Terra em transe ... 643

1.3 – Les raisons possibles du changement de voie ... 659

1.3.1 - L'Instituto Nacional de Cinema (l'INC) ... 662

1.3.2 – Le Tropicalisme ... 669

1.3.3 - L'Acte Institutionnel numéro 5 ... 678

1.4 - Le changement de voie : à la recherche du grand public à travers le dialogue avec les chanchadas ... 681

1.4.1 - Vent d'Est ... 692

1.4.2 - A estética do sonho ... 699

1.5 - Les films du nouveau cinéma novo ... 702

Brasil ano 2000 ... 702

Macunaíma ... 708

O dragão da maldade contra o santo guerreiro ... 723

Os inconfidentes ... 737

Quando o carnaval chegar ... 748

O amuleto de Ogum ... 756

CONCLUSION ... 773

BIBLIOGRAPHIE ... 793

FILMOGRAPHIE ... 819

INDEX ... 822

INDEX DES NOTIONS ET CONCEPTS ... 822

INDEX ONOMASTIQUE ... 824

INDEX DES FILMS ANALYSÉS ... 828

(12)

INTRODUCTION

Il n'y a aucun doute que les années 1950, 1960 et 1970 ont constitué des décennies prodigieuses et richissimes en événements, tant pour l’histoire du cinéma brésilien que pour l’histoire du pays dans sa globalité. En termes historico-politiques, les années 1950 voient le développement du nationalisme politique et économique de même que la mise en pratique d'une politique de développement entièrement fondée sur l'accélération du processus d'industrialisation et sur la valorisation du patrimoine matériel et immatériel du pays.

Concernant l’histoire du cinéma, cette décennie marque également l'apogée et la décadence de la

chanchada1, en raison principalement de l'arrivée et du développement progressif de la télévision, qui a récupéré la majorité des acteurs et des directeurs du genre, ce qui a eu pour effet de réduire l'importance et le succès des films. Mais la télévision, qui permettait au public de voir ses idoles de la radio depuis le salon de ses maisons sans avoir à se déplacer et à payer pour cela, n'a pas été la seule cause de ce déclin. Y ont également contribué le transfert de la capitale vers Brasília, qui a provoqué un grand vide culturel à Rio de Janeiro (qui était représentée quasiment comme un personnage dans les chanchadas), l'accroissement de l'anti-américanisme provoqué par la guerre froide et la publication de certains textes par le Parti Communiste Brésilien (PCB) qui ne pouvaient que faire du mal à des films considérés comme des pastiches du cinéma américain. Selon Sérgio Augusto, « la chanchada est morte surtout à cause de l'amenuisement de l'audace et de l'évolution, sclérosée par son langage parasitaire, soumise à ce que la radio avait de plus décadent et à l'amateurisme de la télévision naissante2», mais aussi en raison de la réduction du recours à la samba dans les films au profit du rock international, ce qui dé-caractérisait les films marqués par la représentation de la culture populaire brésilienne.

Dans une recherche portant sur la représentation de la culture populaire et qui aura l'occasion d'analyser le préjugé

1

dont a toujours été victime la grande majorité des formes d'expression de cette culture, il ne nous paraît pas anodin de relever, à titre anecdotique, le fait que nous n'avons jamais retrouvé le nom chanchada rédigé en majuscules – ce qui n'arrive presque jamais avec le cinéma novo. Bien sûr, nous pouvons attribuer cette différence de traitement au fait que ce dernier a vraiment constitué un mouvement, un groupe – même s’il était assez hétéroclite - avec des idées et objectifs communs et un manifeste non officiel mais reconnu – qui peut-être exprimait davantage les idées de quelques-uns que de la totalité du groupe et au fait que le nom chanchada, substantif aux connotations très péjoratives, a été attribué par moquerie, provocation et une claire intention d'insulter, ce qui a conduit quelques-uns de ses principaux réalisateurs à refuser l'appartenance au mouvement, au genre. Selon Sylvie Pierre (Glauber Rocha. Paris : Cahiers du Cinéma, 1987. p. 172, note n 5), l'écriture du terme « cinéma novo » en minuscule universaliserait la notion. Même si nous ne sommes pas entièrement d'accord avec cela, étant donné qu'au Brésil l'écriture en minuscule signifie assez souvent une réduction d'importance, de statut, nous en avons tenu compte et nous avons décidé d'écrire les noms des deux mouvements cinématographiques en minuscule, de manière à les universaliser. Le terme chanchada, qui apparaîtra autant au singulier, symbolisant le genre, qu'au pluriel, symbolisant les films, sera écrit en italique en raison du néologisme du mot.

AUGUSTO, Sérgio. « Le film música l et la chanchada ». Traduit du portugais par Jean-Marie Rémy. In :

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(13)

Les années 1950 ont vu aussi l'émergence des grands studios de São Paulo et des premiers congrès de cinéma qui, dominés par l'influence des intellectuels marxistes, ont cherché à mettre en place une politique nationaliste qui pût développer et protéger l'industrie cinématographique brésilienne contre la domination américaine. Les premiers films de Nelson Pereira dos Santos - qui peuvent être considérés comme les ancêtres du cinéma novo - sont, sur un plan thématique, les fruits directs des thèses discutées lors de ces congrès. Dès la fin des années 1950, avec la politique du

desenvolvimentismo (développementisme) et le sentiment de liberté qui régnait, le Brésil

intellectuel, sous l'influence du PCB, a été le théâtre d'un engouement sans précédent pour un art engagé, révolutionnaire et national qui a permis l'avènement de plusieurs mouvements artistiques de gauche dont les idéaux révolutionnaires ont été brisés par l'avènement du totalitarisme et du régime d'exception instaurés par le putsch militaire de 1964.

La chanchada et le cinéma novo constituent, indubitablement, les deux principaux mouvements cinématographiques de l'histoire du cinéma brésilien. Les chanchadas sont des comédies populaires, musicales ou pas, qui représentent l'univers et la culture des classes défavorisées en utilisant plusieurs acteurs originaires des milieux populaires et des arts populaires comme le cirque, le théâtre de revue et la radio. Pour sa part, le cinéma novo présente des films sérieux et, au moins initialement, anti-commerciaux dans la forme comme dans le contenu, qui cherchaient à éveiller la conscience critique des pauvres en les persuadant du potentiel d’aliénation de leur culture.

Dans cette recherche, nous allons essayer de démontrer, à partir d'une perspective historique et d'une approche sociologique et anthropologique et par l'analyse d’une série significative de films et de textes importants d’une période (celle que nous analysons) riche en événements de toute sorte pour l'histoire du Brésil et de son cinéma, comment ces deux mouvements antagoniques ont cherché à établir une identité pour le cinéma brésilien en utilisant comme paradigme une notion de culture populaire entièrement construite, idéalisée, sous l'influence des idéologies culturelles et/ou politiques prédominantes à l'époque de leur réalisation.

Avant de poursuivre cette introduction, nous aimerions expliquer les raisons nous ayant conduit à choisir le sujet de cette thèse. Au départ, nous avons été séduit par l'idée de démontrer dans quelle mesure la réception critique des comédies populaires aurait pu être affectée d'un côté par les préjugés élitistes concernant la culture populaire, particulièrement dans sa forme comique souvent considérée comme inférieure, et de l'autre par l'idéologie marxiste qui la considérait comme le résultat de l’état de soumission économique des classes subalternes face aux classes dominantes, qui ne faisaient qu'imiter la culture cosmopolite, d'un pays lui aussi dépendant et périphérique. En analysant les chanchadas, nous nous sommes rapidement rendu compte que, en dépit d’une certaine pauvreté formelle et esthétique, les films font une apologie inconditionnelle et quasiment

(14)

idéologique de la culture populaire, qui y est défendue comme parangon d'une identité nationale, mais aussi comme modèle d'un cinéma brésilien qui devrait dépeindre l'univers des classes populaires de manière simple visant à faciliter la communication immédiate avec le peuple.

Néanmoins, ces films populaires (dans tous les sens du terme), qui ont eu du succès auprès du public et une longévité inégalée dans l'histoire du cinéma brésilien, ont été si critiqués par les intellectuels contemporains que le mouvement qui lui a succédé n'a pas eu, au départ, la moindre envie d'entamer un dialogue avec eux et a fait de la rupture et d'une violente opposition à ce genre de cinéma sa principale raison d'être. Ainsi, si la chanchada valorise le populaire comme modèle identitaire pour le cinéma brésilien, le cinéma novo fait de la représentation critique du populaire la base de son cinéma engagé et interventionniste prôné comme le nouveau modèle pour le cinéma brésilien. En outre, il était important pour les cinémanovistes3 que le cinéma brésilien fût un art égal à la littérature.

Enfin, le fait que, dans leur troisième phase, les cinéastes du cinéma novo aient changé radicalement la direction de leur cinéma en cherchant à dialoguer avec les chanchadas, nous a conduit à nous interroger sur les influences probables du contexte sur leur conception de la culture populaire et sur leur vision critique des films populaires. Cela dit, la recherche qui s'ensuit n'est pas qu'une analyse de l'importance et de l'influence du contexte sur les films, ce qui transformerait les films en simple reflet des idées dominantes des sociétés à l'époque de leur réalisation, et finirait, même si cela était vrai pour certains d'entre eux, par banaliser la recherche. Ici, nous nous attacherons à analyser l'idéalisation de la culture populaire sur la base de quelques idées dominantes en vogue au sein de certains groupes à l'époque de la réalisation des films. En réalité, nous essayerons de montrer les formes diverses de cette idéalisation au fil des années en fonction, dans le cas spécifique du cinéma, de la quête d'une identité pour les films brésiliens.

De surcroît, s'il est vrai qu'il existe plusieurs travaux sur la question de la représentation de l'identité nationale au sein du cinéma brésilien, nous n'avons connaissance d’aucuns travaux concernant la quête d'un modèle idéal pour le cinéma brésilien, alors qu’il y en a plusieurs portant sur cette quête dans le domaine de la littérature. Certains travaux commentent accessoirement des textes issus de quelques débats ou discussions à propos de la quête d'un cinéma brésilien, mais il ne semble pas y en avoir qui confrontent ces textes, lesquels constituent parfois de véritables thèses aux influences idéologiques diverses, aux films comme un produit fini, édité, a partir d'une analyse de leurs représentations, de leurs contenus. Pourtant, des premiers débats au sein de la revue Cinearte au milieu des années 1920, jusqu’aux premiers congrès de cinéma dans les années 1950, on a toujours

Nous faisons ici une traduction du terme "cinemanovista" qui est récurrent dans la bibliographie brésilienne.

(15)

essayé de définir une identité pour le cinéma brésilien, qui, conséquence d'une vision industrialiste, prêtait davantage attention à l'envie de développement de l'industrie cinématographique et à la conquête du marché qu'aux intérêts du public.

Hormis quelques œuvres comme celle de José Mário Ortiz Ramos (dont le livre4

analyse les rapports entre l’État brésilien et la production cinématographique, en cherchant à déterminer l’impact de l'idéologie étatique sur les cinéastes entre 1950 et 19705

), quelques articles, comme celui de Fernão Ramos6 (qui analyse certains des films les plus marquants de la même période que nous analyserons ici à l’exception des chanchadas que l'auteur n'analyse pas puisqu'elles sont analysées dans un autre article du même livre7, mais aussi parce qu'il s'intéresse plutôt aux « nouvelles directions » du cinéma brésilien), ou encore les citations dans des livres et/ou des articles de certains auteurs importants comme Jean-Claude Bernadet et Ismail Xavier, nous n'avons pas non plus connaissance de l’existence d'une recherche qui ait tenté de réaliser une sorte de synthèse dialectique approfondie de ce rapport de refus et d’acceptation, de haine et d’adoration, entre la chanchada et les représentants du cinéma novo, en le percevant comme une conséquence directe du contexte historique de l'époque de leur production8, mais aussi comme le résultat d'une nécessité marchande. En effet, cette préoccupation mercantile se comprend dans la mesure où le type de cinéma choisi cherchait à affirmer une certaine identité esthétique et thématique pour le cinéma brésilien, de manière à pouvoir affronter le cinéma américain avec un produit différencié. Dans le cadre de notre travail, nous aurons l'opportunité de revenir sur l'angélisme et le romantisme d'une telle proposition.

Il est important de souligner également que le cinéma novo étant très mythifié au Brésil, les études qui remettent en cause certains aspects des films du mouvement sont très rares. Nous n'avons aucune connaissance non plus d'un travail qui essaye au même temps d'analyser la manière dont la culture populaire a été idéologiquement construite au sein des films du mouvement et à démontrer la mauvaise foi des réalisateurs envers cette même culture. Ainsi, nous pensons qu'il manquait une recherche qui analysât les influences du contexte historique et des idéologies sur la conception

RAMOS, José Mário Ortiz. Cinema, estado e lutas culturais : anos 50, 60, 70. Rio de Janeiro : Paz e Terra, 1983.

4

Pour ce qui concerne les chanchadas, le livre qui tente un rapprochement entre des films et leur contexte est celui de Mônica Rugai Bastos. Tristezas não pagam dívidas: cinema e política na época da Atlântida. São Paulo : Olho d'Agua. 2001.

Le livre ne mentionne pas les chanchadas en raison, sûrement, du fait que ces films ne faisaient aucunement appel

5

aux subventions publiques.

RAMOS, Fernão. « Os novos rumos do cinema brasileiro (1955-1970) ». In : RAMOS, Fernão (org). Historia do

6

cinema brasileiro. São Paulo : Circulo do Livro, 1987. p. 301-397.

VIEIRA, João Luiz. « A chanchada e o cinema carioca (1930-1955) ». In Ramos, Fernão. Historia do cinema

7

brasileiro. Op. cit. p. 131-187.

Le livre de José Mário Ortiz est l'un des rares à analyser l'influence du contexte politique sur les cinéastes et

8

(16)

thématique des films, notamment en ce qui concerne l'influence du nationalisme populiste sur les

chanchadas et des théories marxistes sur la conception du peuple et de sa culture au sein des films

du cinéma novo, en essayant de dépasser le cadre des simples allusions ou des visions panoramiques.

Voilà pourquoi nous nous sommes intéressé à ce sujet de recherche sur une longue période, ce qui explique sa taille démesurée, allant de 1950 - la décennie qui marque l'apogée du populisme et des

chanchadas (et assiste aussi à sa décadence), mais également la naissance du cinéma novo avec le

début du tournage de Barravento9 - jusqu’à 1975, qui est l'année de la sortie du film de Nelson Pereira dos Santos, O amuleto de Ogum (L'amulette d'Ogum). Un film important qui, dans la mesure où il présente une vision totalement renouvelée d'une religion populaire, symbolise à la fois une rupture avec les influences marxistes et une négation des idéaux du début du cinéma novo et qui consolide la réconciliation entre les cinéastes et la culture du peuple.

L'une des principales difficultés de notre recherche tient au fait qu'il n'y a pas beaucoup d'ouvrages portant sur les chanchadas et que la plupart des films ne sont pas encore sortis en DVD, ce qui nous a obligé à acheter des cassettes ou des DVDs de collectionneurs, enregistrés de la télévision et souvent de mauvaise qualité. Le fait que certains livres de certains auteurs importants cités dans ce travail, tel que Jean-Claude Bernadet (entre autres), en raison du manque de réédition, ne sont pas faciles à trouver en dehors de quelques bibliothèques brésiliennes, a posé un problème supplémentaire à une recherche faite entièrement depuis la France.

Si le fait d'avoir opté pour l'analyse de la représentation (c’est-à-dire du discours) des films nous a permis de les considérer en tant qu'objets culturels mis en relation étroite avec le contexte culturel et politique de leur époque afin de signaler les déterminismes sociaux de sa production, nous sommes conscients que ce procédé nous a conduit à négliger à dessein l'aspect esthétique des films qui émerge ici et là sans jamais vraiment constituer l'axe principal de nos analyses. En ce sens, pour ce qui concerne la méthodologie, il nous paraissait sinon essentiel, du moins cohérent, que, dans une recherche à l'approche socio-historique, anthropologique et « contenutiste10 » qui concilie l'analyse de l'influence du contexte avec celle du contenu de la représentation des films, l'examen des textes historiques, de ceux écrits par les cinéastes, ainsi que certains textes phares de Marx et de certains intellectuels marxistes (brésiliens et non brésiliens), ait quasiment autant d'importance que celui des films. D'ailleurs, à propos des textes analysés dans cette recherche, nous précisons que nous avons choisi, pour ce qui concerne le cinéma novo, de ne citer, la plupart du temps, que des

Le tournage du film a commencé en 1959, mais il ne sortira qu'en 1961.

9

Sur l'analyse de contenu, lire le quatrième chapitre de AUMONT, Jacques et MARIE, Michel. L'analyse des films.

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auteurs qui étaient partisans du mouvement et/ou avec lesquels les cinéastes avaient une certaine affinité idéologique ou intellectuelle. Ainsi, à des rares exceptions près, les critiques formulées à l'encontre des films et du mouvement sont faites par des personnes identifiées au mouvement, de manière que l'on puisse parler de critique endogène et non pas de simple démagogie d'opposants au groupe.

Nous pensons que cette démarche, qui permet de rassembler l'analyse du contexte avec celle de la représentation, qui transforme les films dans des produits intertextuels11 de leur époque, nous empêche d'avoir à inférer la construction du populaire inhérente aux œuvres uniquement à partir des films ou des « intentions affichées de l'équipe de réalisation12», et prévient, sans préjudice de notre capacité interprétative, le risque de tomber dans des analyses excessivement subjectivistes. Le contexte ne détermine pas l'existence des œuvres. Il sert simplement de fondement à la vérification de l'hypothèse d'une construction idéologique du populaire visant l'affirmation d'une identité cinématographique.

Nous avons volontairement évité la comparaison avec de films d’autres pays à la cinématographie et au contexte différents, même si parfois certains films étrangers sont cités comme des contre-exemples possibles sans être toutefois analysés car, comme nous le rappelle Annie Goldman :

« l’intégration dans des structures sociales données exige une limitation géographique et historique pour des raisons évidentes. Chaque étude doit se limiter à un pays, une époque, un auteur, un courant. Il faut éviter les découpages horizontaux, les comparaisons de pays à pays, de cinéastes totalement étrangers entre eux dans le temps et dans l’espace, attitude anhistorique qui peut aboutir à un formalisme inopératoire13

».

Les principaux travaux sur le cinéma novo étant assez nombreux et très connus, nous nous restreignons ici à commenter les quelques textes sur les chanchadas que nous avons retenus. L'un des premiers critiques brésiliens à avoir pris position en faveur de ce genre fut Alex Viany. Dans son livre devenu un classique, Introdução ao cinema brasileiro, qui fut publié en 1959 et est considéré comme la première tentative de réalisation d'une synthèse historique du cinéma brésilien, Viany défend, malgré les réticences, l'importance du genre en affirmant qu'il a su prouver que le

Selon Roland Barthes, « Tout texte est un intertexte ; d'autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables,

11

sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure, ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues. Passent dans le texte, redistribués en lui, des morceaux de codes, des formules, des modèles rythmiques, des fragments de langage sociaux, etc., car il y a toujours du langage avant le texte et autour de lui. […] L'intertexte est un champ général de formules anonymes, dont l'origine est rarement repérable, de citations inconscientes ou automatiques, données sans guillemets. » In : Texte (théorie du ) » de l'Encyclopædia universalis, 1973. p. 1015. Cité chez Aumont, Jacques et MARIE, Michel. Op. cit. p. 181.

Idem. p. 180.

12

GOLDMANN, Annie. « Dépasser le stade de l’interprétation ». In : Cinéma et histoire : autour de Marc Ferro.

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cinéma brésilien pouvait dialoguer avec le public et imposer le portugais parlé par le peuple brésilien comme langue cinématographique. Une défense qui paraît tout à fait naturelle, dans la mesure où les deux premiers films de l'auteur, Agulha no palheiro (« Une aiguille dans une botte de foin », 1953) et Rua sem sol (« Rue sans soleil », 1954) ont du mal, notamment le premier, à dissimuler l'influence de la chanchada, même si leur influence principale demeure le Néo-réalisme. Un autre texte très important pour la reconnaissance et la valorisation des chanchadas est celui écrit en 1973 par Paulo Emílio Sales Gomes, Cinema : uma trajetória no subdesenvolvimento, où le critique soutient l'importance culturelle pour le cinéma brésilien d'un genre qui a su assurer, pendant plus de trois décennies, la fidélité de son public et qui a constitué, avec la Belle Époque et le cinéma novo, l'un des événements d'importance globale les plus importants de l'histoire du cinéma local14.

Il importe aussi de noter le fait qu'en 1974, l'un des critiques les plus influents du cinéma brésilien, Jean-Claude Bernadet, affirme dans une interview accordée à des étudiants de cinéma que la

chanchada Nem Sansão nem Dalila, réalisé par Carlos Manga en 1954, était l'un des meilleurs

films politiques brésiliens qu'il connaissait, ce qui a certainement contribué à ce que l'on commence à regarder ces films autrement que comme des films aliénés.

Mais il a fallu attendre 1989 pour qu’un livre soit entièrement dédié à l’analyse de l'histoire du genre. Il s'agit de l’œuvre écrite par le critique de cinéma Sérgio Augusto, Este mundo é um

pandeiro : a chanchada de Getúlio à JK, où l'auteur présente, dans une écriture journalistique

épurée et fluide, un étude historique et critique du genre. Il y affirme son importance pour le cinéma brésilien sans oublier de dénoncer l'énorme mauvaise foi et les préjuges parfois injustifiables de ses détracteurs (des préjugés dont l'auteur lui-même n'est pas, par moments, exempt non plus, même si le livre est quasiment un plaidoyer pour le genre). Malgré ce que le titre laisse supposer, Augusto ne s'occupe pas forcément de l'influence du contexte sur les films, dont il ne fait que résumer très brièvement dans un chapitre les faits plus marquants de l'époque de la création de l'Atlântida, 1941, jusqu'à la fin du gouvernement du président Juscelino Kubitschek, le 31 janvier 1961, qui coïncide avec la fin du genre. Le contexte fonctionne plutôt comme un soubassement historique qui sert à dépeindre, à faire connaître, le cadre social, économique et politique du Brésil de l'époque, du pays « qui faisait la queue pour assister aux chanchadas d'Oscarito et de Grande Otelo15». Ceci, néanmoins, n'empêche pas l’auteur de mentionner, ponctuellement, la manière dont les films récupéraient le contexte, comment ils le mettaient en

GOMES, Paulo Emílio Sales. Cinema : trajetória no subdesenvolvimento. 2e ed. São Paulo : Paz e Terra, 1996. p.

14

99. Le texte a été initialement publié dans la revue Argumento, n° 1, Rio de Janeiro, 1973.

AUGUSTO, Sérgio. Este mundo é um pandeiro : a chanchada de Getúlio à JK. São Paulo : Companhia das Letras,

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scène. Il est important de noter l'association faite par l'auteur entre le déclin du genre et la transition d'une société précapitaliste à une société industrielle de consommation de masse, symbolisée par l'émergence de la télévision, considérée comme l'une des principales raisons de la fin du cycle. La synergie entre le succès du livre, qui n'est pas le premier16 à être entièrement consacré au genre, et son analyse apologétique, est très probablement l'une des principales responsables du renouveau de l'intérêt pour le genre.

Un autre livre très important auquel il sera largement fait référence dans cette recherche s’intitule

Chanchada : cinema e imaginário das classes populares na década de 50, qui est la publication du

DEA de Rosângela Oliveira Dias. Ce livre est l'un des premiers à reconnaître l'importance critique du genre comme « interprétation du monde de l'homme des classes populaires17». L'auteur y analyse les préjugés subis par le genre et défend l'idée, sous l'angle du concept bakhtinien de carnavalisation, que les films mettent critiquement le monde à l'envers et qu’en agissant ainsi, ils dénonceraient le processus de marginalisation imposé aux pauvres, tout en niant l'accusation d'aliénation proférée par l'élite intellectuelle de l'époque.

Le jury de la soutenance du DEA de Dias comptait parmi ses membres celui qui est, très probablement, le premier à avoir fait des recherches académiques sur le genre. Il s'agit du professeur du département de cinéma de l'Universidade Federal Fluminsense (UFF), João Luiz Vieira, qui a rédigé l'un de ses DEA (il a réalisé un deuxième sur David Griffith) et sa thèse de doctorat sur les chanchadas. Le DEA, qui s'intitule Foto de cena e chanchada: a eficácia do “star

system” no Brasil (dirigé par le sociologue Muniz Sodré), fut soutenu au sein de l'Escola de

Comunicação da UFRJ, en 1977, et analyse l'établissement du modèle de star system créé par l'Atlântida. Sa thèse, soutenue à la New York University en 1984 et dirigée par Robert Stam, s'intitule Hegemony and Resistance : Parody and Carnival in Brazilian Cinema et analyse la question des parodies et de la carnavalisation dans le cinéma brésilien. Deux textes importants qui n'ont jamais été publiés, ce qui démontre le peu d’intérêt envers le genre qui existe encore au Brésil. L'auteur a néanmoins publié deux articles qui sont des références obligatoires dans la

Le premier est le petit livre de Rudolf Piper. Filmúsica l brasileiro e chanchada. São Paulo : L. Oren, s/d (1975).

16

L’œuvre, dont la majorité des pages est consacrée à la publication de quelques photos de scène et de nombreuses photos d'affiches de films, ne cherche pas à analyser les films et se contente de présenter un résumé historique du genre très succinct. Toutefois, l'auteur n'oublie pas de dénoncer les critiques injustes dont les films ont été victimes. Ce livre apparaît en même temps que celui d’Alberto Silva (Cinema e humanismo (préfacé par Alex Viany). Rio de Janeiro : Pallas, 1975) qui possède un court chapitre intitulé « (Re) Visão da chanchada » (p.53-59) qui défend, lui aussi, l'importance du rôle historique du genre, que l'auteur considère comme essentiellement brésilien, pour le cinéma brésilien. Nous en profitons pour citer aussi le livre de Domingos Demasi : Chanchadas e dramalhões. Rio de Janeiro : Funarte, 2001. Il s’agit d’une édition très soignée dans le format livre d'art qui possède un court texte écrit en trois langues (portugais, espagnol et anglais). Les deux tiers du livre sont constitués de photos de scène des principaux acteurs du genre, avec des légendes écrites dans les trois langues précitées.

DIAZ, Rosângela de Oliveira. Chanchada : cinema e imaginário das classes populares na década de 50. Rio de

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bibliographie sur le genre : « Este é meu, é seu, é nosso : introdução à parodia no cinema brasileiro18» et « A chanchada e o cinema carioca (1930-1955) », qui constitue le quatrième chapitre du livre Historia do cinema brasileiro, organisé par Fernão Ramos.

Nous pouvons citer encore A chanchada no cinema brasileiro19, le livre d’Afrânio Mendes Catani et José Inácio de Melo Souza, qui raconte l'histoire du genre dès les premiers films comiques et musicaux du cinéma muet jusqu'à son déclin au début des années 1960 avec le début du développement de la télévision au Brésil et l'avènement du cinéma novo ; l'excellent DEA de Miguel Chaia, O tostão furado : um estudo sobre a chanchada, qui, présentée en 1981 à la Faculté de Philosophie, Lettres et Sciences Humaines de l'Université de São Paulo, reste toujours inédite, ainsi que le livre Popular cinema in Brazil, de Stephanie Dennison et Lisa Shaw, publié en 2004 par la Manchester University Press, qui analyse l'histoire du cinéma brésilien considéré comme populaire de 1930 jusqu'aux années 1990 sans négliger l'importance de l'influence que le genre a reçu d'autres formes de culture populaire, comme le cirque, le théâtre de revue et la radio.

Cette thèse comporte trois parties. La première est presque entièrement consacrée à l’analyse des

chanchadas. Ainsi, dans le premier chapitre de la première partie, qui en comporte trois, nous

présenterons un bref résumé du contexte social, politique et économique des années qui ont précédé l'émergence des chanchadas, mais aussi des années 1950. Nous y ajouterons un condensé de l'histoire des films musicaux et comiques au Brésil depuis le cinéma muet, afin de démontrer l’omniprésence des films comiques et musicaux dans l’histoire du cinéma brésilien.

Dans le deuxième chapitre de cette première partie, nous analyserons l'histoire de la chanchada. Nous y présenterons un résumé plus détaillé du cadre économico-politique des années 1950 - un procédé qui se répétera à l'ouverture de chaque chapitre de manière à bien signaler le rapport direct existant entre le contexte et les films – où dominait un nationalisme populiste d'ordre économique et politique qui visait à accélérer l'industrialisation du pays en restreignant la domination des entreprises et des capitaux étrangers au bénéfice de la production et des capitaux nationaux, mais qui n'arrivait pas à intégrer la base de la pyramide sociale dans son processus de développement, ce qui ne faisait qu’accroître l'inégalité sociale. Un état de marginalisation qui apparaît clairement dans les comédies populaires.

Puis nous analyserons la quête du nationalisme culturel et la recherche d'une authenticité, d'une spécificité brésilienne dans les arts, avant d'examiner les types de comédies et de comiques plus

Publié in Filme Cultura. Rio de Janeiro : Embrafilme, n° 41-42, maio de 1983. Cet article apparaît, de manière plus

18

ou moins remaniée, dans JOHNSON, Randal and STAM, Robert (org). Brazilian Cinema (expanded edition). 3e ed. New York : Columbia University Press, 1995. p. 256-269 ; et dans Positif, n° 314, avril 1987 avec le titre « La parodie dans le cinéma brésilien ».

Publié par la Brasiliense, à São Paulo en 1983.

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récurrents dans les chanchadas, ainsi que la fonction critique du rire qui agit comme une forme de résistance et de condamnation sardonique qui se métamorphose en une espèce de revanche de l'opprimé contre l'oppresseur, comme le soutenait Oswald de Andrade20. Nous chercherons à démontrer comment les chanchadas ont été directement ou indirectement influencés par les débats autour d'un nationalisme culturel, spécialement par la valorisation de la culture afro-brésilienne apportée par la publication en 1933 du livre Casa-grande & senzala (Maîtres et esclaves) de Gilberto Freyre. Nous analyserons les quelques influences directes ou indirectes de mouvements intellectuels sur le genre, qui ont rarement été relevées par les critiques en raison, très probablement, du fait que ces films ont toujours été critiqués et perçus comme légers et vulgaires, ce qui les empêcherait (interdiserait, aurions-nous envie de dire) de contenir des influences intellectuelles.

Dans le troisième chapitre, nous démontrerons dans quelle mesure ces films représentent, en la construisant, la culture populaire comme une vision de monde quasiment idéologique des classes subalternes. Nous y analyserons l'importance qu’a eu la transition du concept de folklore à celui de culture pour que la culture populaire soit définitivement reconnue et valorisée ainsi que la façon dont les chanchadas l’érigent en une sorte de paradigme identitaire qu'elles, en l'opposant à l'inauthenticité internationaliste de la culture dite d'élite, essayent d'imposer aussi comme modèle pour un cinéma brésilien qui devrait être simple, communicatif et parler la langue du peuple. Par ailleurs, nous verrons aussi de quelle manière cette opposition culturelle acquiert, au sein des films, la forme d'une lutte des classes corroborée par la représentation caricaturale et manichéenne de la bourgeoisie et de sa culture, ce qui serait déjà suffisant pour que ces films ne soient pas considérés comme aliénés, même s'ils ne peuvent pas être considérés comme politiquement engagés.

Fruit du processus d'industrialisation et d'urbanisation initié avec la révolution de 1930, les

chanchadas n'échappent pas à la règle de l'analyse dichotomique de la société alors en vogue au

Brésil. Ainsi, nous verrons comment elles font l'apologie de la ville et des classes ouvrières au détriment de la campagne et des paysans, représentés comme des naïfs et des conservateurs lors de leurs rares apparitions.

Comme dans la plupart des films de genre, on dénote dans les chanchadas la récurrence de certains personnages, de certains « types ». Nous analyserons les plus fréquents et les plus populaires, qui étaient aussi présents dans la réalité quotidienne d'une grande ville comme la Rio de Janeiro des années 1950, alors capitale du pays et où se situe la plupart des intrigues des films. Nous

« A sátira na literatura brasileira ». In Boletim Bibliográfico da Biblioteca Pública Municipal de São Paulo,

20

21/8/1945. p. 39-40. Apud : FONSECA, Maria Augusta. Palhaço da burguesia : Serafim Ponte Grande, de Oswald de

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chercherons à démontrer comment ces films, dont une grande partie met en valeur le carnaval et la samba présentent, face aux problèmes de tous ordres (notamment d'ordre économique en raison de l'inégalité sociale du pays) affligeant les plus défavorisés, des solutions individuelles mais efficaces qui permettent aux marginalisés des films de fuir ponctuellement le bord du système où ils sont cantonnés en raison d’un développement et d’un processus d'industrialisation qui ne les incluaient pas. Ils sont invariablement sauvés par les coups de la chance ou du hasard, par la malandragem ou le très répandu jeitinho21 brésilien qui, considérés comme illusoires, furent souvent blâmés par les critiques marxistes, incapables de remarquer l'effet de carnavalisation qu'ils accomplissent et qui, en mettant le monde à l'envers, le rendait moins inégalitaire. Les films présentent aussi d'autres formes de carnavalisation, de subversion par le rire, parmi lesquelles nous soulignons les parodies en raison de leur récurrence dans les films mais aussi de leurs ambivalences, qui constituent l'un des traits caractéristiques de la culture populaire. C'est particulièrement à travers les parodies que les films se moquent de la culture dite d'élite, des films américains, mais aussi de la précarité même du cinéma brésilien.

A la fin de cette première partie, nous chercherons à comprendre comment les chanchadas, malgré le fait qu'elles représentent la culture populaire comme la seule authentiquement nationale, font, au bout du compte, l'apologie d'une certaine forme de circularité culturelle dans la mesure où elles présentent plusieurs moments de la culture hégémonique, dès lors que ces dernières ne mettent pas la "brésilité" en danger.

La deuxième partie, qui est divisé en deux grands chapitres, est consacrée à l'analyse du cinéma novo. Le premier chapitre, où nous analyserons les étapes de l'élaboration de l'idée d'un cinéma engagé comme modèle pour le cinéma brésilien, est divisée en quatre sous-parties. Dans la première, nous analyserons le contexte historique des années 1950 en accordant une attention spéciale à la publication par le PCB ou par ses leaders de certains textes aux caractéristiques stalinienne et antiaméricaine qui, typiques de l'époque de la guerre froide, servaient à désigner la ligne politique à suivre par les communistes et leurs sympathisants et dont les contenus très nationalistes ont eu une très grande influence sur l’intelligentsia de gauche y compris sur les futurs cinémanovistes. Outre la publication de ces textes, qui nous permettra de signaler le début de la tentative de mise en place, par le PCB, de l'idée de création d'un front unique qui engloberait une supposée bourgeoisie nationaliste, les années 1950 sont aussi témoins de la création de l'Instituto Superior de Estudos Brasileiros (Institut Supérieurs d’Études Brésiliennes, l'Iseb), une espèce de

think tank qui utilisait les codes des sciences sociales pour interpréter la réalité brésilienne et qui a

Dans le chapitre suivant, nous définirons ces deux concepts, considérés comme des traits de caractère du Brésilien.

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eu une énorme influence sur la dissémination de certaines idées de gauche et notamment sur deux textes cinématographiques très importants : « Uma situação colonial22», de Paulo Emílio Sales Gomes, et « Estética da fome23», de Glauber Rocha. Nous chercherons à démontrer l'importance que le concept de « situation coloniale », importé par les intellectuels de l'Iseb, a eue pour la conception de la culture populaire comme quelque chose d'aliéné. Il sera important d'évoquer l'apparition, parallèlement à l'engouement politique et à l'envie grandissante d'un art engagé et militant survenus vers la fin de cette décennie, d’un nouveau concept de culture populaire devenu synonyme de révolutionnaire, alors même que la culture émanant du peuple devenait l'expression même de l'aliénation.

Dans le deuxième sous-chapitre, nous analyserons les premières fictions et les premiers documentaires pouvant être considérés comme une espèce de proto-cinéma novo - dans la mesure où ils ont eu une influence notable sur les futurs films du mouvement - avant d’évoquer, dans la troisième, l'invention de la tradition par les jeunes réalisateurs et l'importance du livre Révision

critique du cinéma brésilien, publié par Glauber Rocha en 1963. Une tradition qui a conduit à la

valorisation de l'auteurisme24 du cinéaste brésilien Humberto Mauro, à la critique de l'aliénation supposée du film Limite, le chef-d’œuvre absolu de Mário Peixoto (film que la plupart des cinéastes de l’époque n'avaient pas encore eu l’occasion de voir), et à une réification de l'intellectuel et de l'intellectualité qui passait par le refus total des chanchadas, considérées comme des films légers et vulgaires et surtout non intellectuels.

Puis, dans la quatrième sous-partie, nous plongerons dans l'analyse du cinéma novo en tant que mouvement. Nous évoquerons les trois phases très distinctes, le début du mouvement avec la sortie en 1961 de Barravento, considéré comme le premier vrai film du mouvement, et la diversité et le manque d'une esthétique de groupe. Ensuite nous examinerons la réification du politique, l'instrumentalisation de l'art et l'utilisation du concept gramscien de national-populaire (si biaisée que nous préférons, dans le cas des films, parler de concept populaire-national), qui furent essentiels à la création du cinéma engagé voulu par les jeunes réalisateurs. Puis nous évoquerons le romantisme et l'incohérence des propositions des cinéastes concernant tant le projet de révolution - à partir de l'éveil de la conscience critique d'un peuple qui ne voyait ni ne comprenait leurs films -, que le projet cinématographique, qui espérait réduire la domination du marché par les films américains avec des œuvres non commerciales qui accordaient une attention toute spéciale au

GOMES, Paulo Emílio Salles. « Uma situação colonial ». O Estado de São Paulo, 19/11/1960. In : GOMES, Paulo

22

Emílio Salles. Crítica de Cinema no Suplemento Literário. V2. Rio de Janeiro : Paz e Terra, 1981. p. 286.

Texte écrit en 1965 pour la rétrospective du cinéma brésilien à Gênes et publié pour la première fois dans Revista

23

Civilização Brasileira, Rio de Janeiro, n° 3, Juillet 1965.

Nous ferons ici usage de deux termes venus de l'anglais et utilisés par une partie de la critique française : auteurisme

24

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processus créatif des films, au détriment quasi absolu des autres étapes de l'industrie du cinéma. Nous y analyserons aussi l'influence du PCB sur leur conception d'anti-impérialisme et les principales influences du mouvement, à savoir le modernisme et le roman social des années 1930 jusqu’au cinéma d'Eisenstein en passant par la notion brechtienne de distanciation.

Dans le deuxième chapitre, nous chercherons à démontrer comment la culture populaire fut idéologiquement construite en raison de sa perception comme opium du peuple dans les films et dans les textes des cinéastes. Dans l'examen du contexte qui ouvre le chapitre, nous analyserons les conséquences de l'importation ipsis litteris des théories marxistes européennes et la tentative de les imposer, sans adaptations ni ajustements, à la réalité et à l'histoire spécifiques du Brésil. Influencés par la conception stalinienne d'une révolution par étapes, les communistes brésiliens requalifient le pays pré-capitaliste qu’était le Brésil des années 1950 et 1960 en un pays féodal, de manière à pouvoir réaliser la révolution bourgeoise et antiféodale avec le soutien de la bourgeoisie nationaliste, avant la révolution socialiste. En prenant appui sur des textes de l'historien communiste Caio Prado Júnior et sur le concept "fora de lugar" ("hors de lieu") créé par le critique littéraire marxiste Roberto Schwarz, nous essaierons de démontrer que cette idée est « hors de lieu » en raison de sa totale inadéquation à l'organisation politique du Brésil.

Le cadre historique posé, nous nous tournerons vers l’analyse de la construction de la culture de l'Autre au sein des films. Nous chercherons à démontrer comment la perception de la culture populaire par les cinémanovistes configure un cas de construction du dehors qui repose sur une vision un peu similaire à celle qu’avait l'élite économique du pays. Ensuite, notre mise en évidence de l'aspect autobiographique des films et de certains personnages permettra de renforcer cette idée d'une conception allogène du peuple et de sa culture.

Cette construction idéologique de la culture populaire comme une vision du dehors est corollaire d'un certain paternalisme des jeunes intellectuels qui se positionnaient comme les sauveurs d'un peuple incapable de salut par lui-même, souvent représenté comme infantilisé et mystifié par la pratique d'une culture construite comme étant aliénée et aliénante. Une mauvaise foi qui apparaît dans la façon dont les films représentent certaines expressions de cette culture telles que le

candomblé, le messianisme, le carnaval et le football et qui, comme nous chercherons à le

démontrer, ont du mal à dissimuler l'ethnocentrisme des intellectuels. Nous analyserons aussi la vision dichotomique des cinéastes, qui représentent la campagne comme archaïque et opposée à la modernité des villes, elles-mêmes représentées dans certains films comme symbole des lumières, puisque bercail des intellectuels.

À la fin du chapitre, afin de mieux justifier l'idée d’une construction idéologique du populaire, nous fournirons des contre-exemples à la supposée aliénation en démontrant que la culture populaire

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peut aussi apparaître comme une forme de résistance et d’échappatoire dignes de n'importe quelle utopie, tout en démontrant comment l'esprit communautariste et solidaire de la culture populaire est profondément ancré dans la nature clanique de la société brésilienne.

Enfin, dans le tout dernier sous-chapitre, nous essaierons de comprendre les raisons pour lesquelles les films du mouvement n'ont pas réussi à dialoguer avec le peuple et n’ont pas rencontré le succès escompté auprès du public. Celles-ci tiennent à la difficulté de compréhension des films par les classes auxquelles ils étaient censés être destinés, combinée à une conception totalement exogène de la culture populaire et à un certain désintérêt pour les autres étapes de l'industrie cinématographique que la réalisation (telles que la distribution et l'exploitation).

Dans la troisième et dernière partie, nous analyserons le changement de cap des cinéastes et leur tentative de synthétiser le cinéma populaire des chanchadas avec le cinéma d’auteur afin de séduire le public, tout en cherchant à en déterminer l'origine. Le cadre historique nous informera sur les problèmes posés par le coup d’État perpétré par les militaires de l'Armée de Terre, qui a obligé les réalisateurs à revoir l'idée d'un cinéma révolutionnaire et interventionniste. Il nous informera aussi sur les deux formes différentes de réaction au putsch alors imaginées par la gauche communiste. Si le PCB prônait une forme de réaction pacifique et démocratique, républicaine, la gauche radicale - menée fondamentalement par le PC do B (une dissidence opposée au réformisme du PCB qui est apparue en 1962) aux influences maoïste et stalinienne - préconisait la résistance armée. Ce débat s'est étendu aussi aux arts (notamment le théâtre, la musique et le cinéma) et aux artistes de l'époque qui se sont remis en question, ont revu leurs opinions antérieures tout en mettant en doute l'influence et les positions communistes et en cherchant à comprendre et à identifier les raisons possibles de l'origine du putsch conservateur qu'ils n'avaient pas vu venir. Un questionnement qui se reflète dans les films auto-réflexifs de la deuxième phase, où les réalisateurs utilisent les films pour s'interroger sur le rôle de l'intellectuel de gauche dans les années précédant 1964 et sur ses possibles responsabilités dans l'émergence du putsch.

Après avoir analysé certains des films de transition de la deuxième phase, dans lesquels les cinéastes accusent le coup de la déception provoquée par la fin du rêve d'une révolution socialiste guidée par la locomotive du cinéma, nous étudierons l'émergence de trois événements qui, au-delà des difficultés posées par l'avènement d’un État totalitaire, ont été déterminants pour le changement de direction du cinéma novo : la création de l'Instituto Nacional de Cinema (l'Institut National de Cinéma, l'INC) qui, avec sa conception de l'industrie cinématographique, valorise un cinéma internationaliste, commercial, de communication facile avec le public et entièrement tourné vers le marché (pour les membres de l'INC, le cinéma était un art, mais aussi et avant tout une industrie) ; l'avènement du Tropicalisme qui, en rompant avec la vision dichotomique alors dominante, a

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proposé une valorisation non hiérarchisée des aspects archaïques et modernes du pays, a remis en cause la dictature du goût des élites intellectuelles et a positivé la nécessité d'une interaction anthropophage entre les cultures nationale et étrangères tout en instaurant une relation décomplexée avec le marché et la possibilité de succès commercial ; et la publication de l'Ato Institucional

Numéro 5 (l'AI 5) qui, considéré comme un deuxième coup dans le coup militaire, a mis fin à la

liberté d'opinion et d'expression et a instauré un véritable État d'exception qui a conduit de nombreux artistes, intellectuels et hommes politiques d'opposition à la prison, à la mort ou à l'exil. Finalement nous analyserons la manière dont ce changement s'est opéré au sein de quelques films de la troisième phase du mouvement du cinéma novo, qui annoncent la nouvelle voie choisie par les cinéastes et dénotent surtout leur changement de mentalité concernant la culture populaire qui commence à être perçue comme un paradigme d'identité culturelle et surtout comme un modèle d’interaction possible des cinéastes avec le grand public. Nous y verrons aussi dans quelle mesure, dans leur tentative de dialoguer avec le marché (devenu, comme l’observe Gustavo Dahl, une forme de culture possible), ils vont reconsidérer leur conception des chanchadas dont les mérites seront, malgré quelques oscillations, graduellement mis en valeur.

Quelques précisions

Nous en profitons, avant de poursuivre notre recherche, pour poser quelques balises et définir quelques concepts qui seront utilisés de façon plus ou moins récurrente tout au long de ce travail. Nous allons tâcher de répertorier, de définir et, aussi souvent que possible, de faire un petit historique sur l'origine de ces concepts et leurs applications afin d'accompagner l'évolution de l'histoire des idées au sein d'une jeune société comme la société brésilienne.

Tout d'abord, nous devons expliquer ce que nous entendons par représentation. Représenter c'est, entre autres choses, rendre présent un absent, ce qui veut dire que la représentation a quelque chose de l'ordre de la suppléance et du remplacement. Ainsi, nous pouvons affirmer que « toute représentation vaut pour quelque chose d'autre qu'elle, (…) ce qui justifie son caractère de redoublement, attesté par le préfixe : 're'25». Ce remplacement peut être fait par analogie ou par ressemblance, par renvoi au modèle, comme les signes, ou par remplacement, comme les symboles. Même s'il y a dans plusieurs films que nous analyserons un certain mélange des deux, la question de la suppléance est plus récurrente et ne pourrait être plus opportune dans le sens où les représentations qui seront analysées ici reconstruisent presque entièrement leurs objets à partir d'un

FONTAINE, Philippe. La représentation : Les figures de la réflexion. Collection Philo. Paris : Ellipses, 2001. p. 6.

Références

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