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Le Livre dans les trésors du Moyen Âge. Contribution à l'histoire de la Memoria médiévale

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(1)

p ar Éric PALAZZO

N

ous étions d an s la crypte où l'o n g ard ait les riches­ ses de l'abbaye, lieu d o n t l'abbé se m ontrait fort jaloux et q u 'il n 'o u v ra it q u 'e n d es circonstances excep tio n n elles et po u r des hôtes de m arque. N ous étions e n to u ­ rés de reliquaires et de châsses d e g ra n d e u r variée, à l'in té rie u r desquels la lum ière des torches faisait re sp le n d ir d es objets d 'u n e m erveilleuse beauté. Des parem ents tissés de fils d 'o r, des couronnes d 'o r constellées de gem m es, des coffrets d e d ifféren ts m étau x historiés avec des figures, des nielles, des ivoi­ res. N icolas nous détailla, extasié, u n évangé- liaire d o n t la reliure sautait aux yeux avec ses adm irables plaq u es d 'ém ail qui com posaient une un ité bariolée de co m p artim en ts o rd o n ­ nés, cloisonnés p ar des filigranes d 'o r et fixés, en guise de clous, p ar des pierres précieuses. Il nous m ontra u n délicat édicule avec deux co­ lonnes de lapis-lazuli et d 'o r qui en cad raien t une descente au Sépulcre rep résen tée en u n fin bas-relief d 'a rg e n t, su rm o n té e p a r u n e croix d 'o r criblée de treize d iam an ts su r u n fond d'o n y x bigarré. Puis je vis u n d ip ty q u e chryséléphantin, divisé en cinq p arties, avec cinq scènes de la vie d u Christ, et au centre u n agneau m ystique com posé d'alvéoles d 'arg en t doré et de p âte de verre, u n ique im age p oly­ chrome su r u n fond de cireuse blan ch eu r... (le trésorier aux visiteurs d u trésor) : « Tu vois,

depuis bien des armées il se passe des choses honteuses dans ce pays, m êm e d ans les mo­ nastères, à la cour p apale, dans les églises... Quelle vilaine époque, je suis en train de per­ d re confiance d ans le genre hum ain, je vois p a rto u t com plots et conspirations de palais. C 'est à cela que d ev ait se réd u ire aussi cette abbaye, u n nid de v ip ères su rg i p a r magie occulte dans ce qui était une châsse de membres

saints. Regarde, le passé de ce m onastère ! » Il

n ous in d iq u ait d u d o ig t les trésors épandus to u t autour, et o m ettan t croix et autres objets sacrés, il nous dirigea vers les reliquaires qui constituaient la gloire d e ce lieu », puis suit la lo ngue d escription des reliq u es conservées dans ce trésor, m ais de quel trésor s'agit-il ?

A u risque de décevoir le lecteur, cette d escrip tio n d u tréso r d 'u n m o n astère n 'est p o in t extraite d 'u n texte m édiéval mais du best-seller rom anesque d'U m berto Eco, Le nom

de la rose1. D urant leu r séjour si m ouvem enté

* Cet article constitue la version écrite d'u ne conférence prononcée à l'U niversité d e Paris-X Nanterre e n avril 1994 dans le cadre d e s séances organ isées par le Centre de recherche sur l'A ntiqu ité tardive et le H au t M oyen  g e sur « Les trésors au M oyen  g e ». Il a b én éficié d es rem arques d e nom breux parti­ cipants à ces séances ; je les en rem ercie vivem ent.

1 L'édition utilisée est celle parue dans la collection « Le livre d e poche », Paris, 1982 ; le chapitre o ù se trouve la descrip­ tion est in titu lé : « Où N ic o la s raconte m aintes choses, tandis qu e n o u s v isito n s la crypte d u trésor », p. 524-532. Il existe de nom breux récits d e voy a g es et d e v isites de trésors, de l'époque m oderne, qui prennent, tou te proportion gardée, la forme du

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d ans l'ab b ay e d u n o rd d e l'Italie, cadre de l'intrigue d u rom an, G uillaum e de Baskerville et son jeune disciple A dso on t eu m aintes fois l'occasion d e constater la place préém inente tenue p a r le trésor, avec les objets et les reli­ ques qui le com posent, p o u r la gloire d u lieu. Alors que les deux héros effectuent une visite de l'abbaye en com pagnie d e l'abbé, celui-ci leu r déclare à p ro p o s des so m p tu eu x objets adm irés : « Ces richesses que vous voyez, et d 'a u tr e s q u e v o u s v e rre z en co re, so n t l'héritage de siècles de p iété et de dévotion, et tém oignent de la puissance et de la sainteté de cette abbaye. Princes et p u issants de la terre, archevêques et évêques on t sacrifié à cet autel et aux objets qui lui sont destinés, les anneaux de leurs investitures, les ors et les pierres qui étaien t le signe d e leu r g ran d eu r, et les ont voulus ici refondus p o u r la p lu s grande gloire du Seigneur et de ce lieu »2.

Laissons à p résen t la fiction p o u r revenir sur le terrain de l'histoire m édiévale, « réelle », m êm e si, Eco, d an s sa description rom anes­ que, n 'e s t vraisem blablem ent pas éloigné du sens q u 'av a ie n t les trésors p o u r les hom m es d u M oyen  ge. En to u t cas, le récit de l'écrivain italien exprim e parfaitem ent les

ob-genre d e visite relatée par Eco dans son rom an ; voir par exem ­ p le le récit d u v o y a g eu r allem and , H an s G eorg E m stinger qui visita en 1606 d e n om b reu ses é g lises en France et leur trésor. D ans le livre d e v o y a g e o ù E m stin ger a relaté son v o y a g e , le p assage sur la v isite q u 'on lui fit faire d u trésor de Saint-Sem in de T oulou se est particulièrem ent intéressant, cf. H.-G. Em stin- gers, Raisbuch, hrsg. v o n A.F. W alther, Stuttgart, 1877, p. 179- 180, voir aussi la description d u trésor d e Saint-Denis, p. 219-222 (je rem ercie M. Jean V ezin d'avoir attiré m on attention sur ce texte).

2 Op. cit. en n ote 1 p. 181. S 'en su it u n e disputatio entre l'abbé et G uillaum e sur les richesses et la pauvreté dans l'Eglise.

jectifs de n o tre co n trib u tio n à l'h isto ire des trésors m édiévaux.

Dans les pages qui suivent, je me p ro ­ pose d'exam iner la fonction d u livre, en p a rti­ culier d u livre liturgique, d ans les trésors des églises au h a u t M oyen  ge. Je n 'ab o rd era i p ra tiq u e m e n t p as le sta tu t d u livre dan s la société m édiévale, ce qui d ép asserait très lar­ g em en t le cadre de la p ré sen te étu d e, sau f lorsqu'il s'agira de bien caractériser la fonction sym bolique d u livre dans les trésors p ar ra p ­ p o rt à celle q u 'il occupe dans d 'au tres dom ai­ nes d e la société3. D ans la v aste littératu re tra ita n t des trésors m édiévaux4, l'étu d e de la fonction sym bolique des livres, conservés à côté de pièces très diverses, n 'a pas fait l'objet d 'u n e étu d e particulière. D 'au tres approches on t été privilégiées dans ces recherches, telles que l'histoire des formes et des styles, m ettant en av an t la conception m u séo g rap h iq u e des objets, la perception esthétique p a r les ho m ­ m es d u M oyen  ge des pièces des trésors, parfois au détrim en t de l'ap p ro ch e liturgique et théologique, ainsi que de l'im portance des

3 Parmi les nom b reuses références touchant, de près ou d e loin , à la place d u livre dan s la société au M oyen  ge, voir entre autres, E. Lesne, Les livres, « scriptoria » et bibliothèques du

commencement du VIIIe siècle à la fin du XI' siècle (Histoire de la propriété ecclésiastique en France 4), Lille, 1938 ; B. Bischoff, Paléo­ graphie de l'Antiquité romaine et du M oyen Âge occidental, tr. fr.,

Paris, 1985, p. 198-260 (avec d e nom breux ren vois bibliographi­ qu es) ; Histoire de l'édition française. Le livre conquérant. Du Moyen

 ge au milieu du XVIIe siècle, sou s la direction d e R. Charrier et

H.-J. Martin, 2° éd., Paris, 1989, p. 21-164, ainsi que les articles réu n is dan s l'o u v ra g e The role of the book in medieval culture,

Proceedings of the Oxford International Symposium (26 September -1 October 1982), e d ited b y P. G anz, 2 v o l. (B ibliologia 3 et 4),

T um h out, 1986.

4 Voir les références don n ées dan s la prem ière partie de cet article, infra.

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trésors p o u r l'histoire religieuse et politique. Aux yeux de nom breux auteurs, le livre a p p a ­ raît com me une pièce de luxe5, au m êm e titre que n 'im p o rte quel a u tre objet d u trésor. Pourtant, étant donné son rôle dans la société m édiévale, sa form e (avec com m e su p p o rt le parchem in, car l'aspect le p lus som ptueux d u m an u scrit n e concerne b ien so u v en t qu e la reliure d'orfèvrerie ou d 'iv o ire 6) et su rto u t le fait q u 'il contienne u n texte, le livre ne p e u t

5 La notion de « livre d e lu xe » d o it être traitée avec le p lu s d e précautions p o ssib le car les catégories m éd iév a les d u luxe n'étaient certainem ent pas id en tiq u es aux nôtres. Lors d u colloque international consacré à l'abbaye d e Saint-Sever (tenu à Saint-Sever en m ai 1985, Saint-Sever. Millénaire de l'abbaye, M ont- de-M arsan, 1986), la table ron d e (cf. pp. 335-339 d e la pu blica­ tion) qui su ivit les com m unications traitant d u célèbre Beatus d e Saint-Sever (Paris, Biliothèque nationale, lat. 8878, XIe siècle) fut l'occasion d 'u n e v iv e d isc u ssio n à p ro p o s d u statu t et d e la fonction d e ce m anuscrit dan s l'abbaye gascon n e d u tem p s de l'abbé G régoire d e M ontaner (1028-1072). Certains historiens de l'art considèrent ce m anuscrit com m e « u n e oeuvre d'art », sans fonction particulière ; d'autres, san s nier so n caractère luxu eu x, p en sen t qu 'il a bien d û avoir u n e fo n c tio n (liturgique, sp iri­ tu elle ?) au sein d e l'ab baye (voir p rin cip alem en t l'éch an ge entre J. W illiam s, qui le classe d a n s la catégorie d es objets de luxe, et P.K. Klein : « U n e autre rem arque au sujet d es objets de luxe. Je su is d'accord pour estim er qu e le Beatus d e Saint-Sever est un m anuscrit d e luxe. M ais m êm e les « objets d e lu x e » com m an dés et d on n és par les em p ereu rs carolingien s et otto- niens avaient toujours aussi u n e fonction liturgique. Donc, je m e d em and e ce que l'on a fait ici à Saint-Sever avec ce sp len d id e m anuscrit d e Beatus, qui n 'était sû rem en t p as d estin é à un e vitrine » (p. 336) ; N . Stratford, q u an t à lu i, préfère parler d'« objet prestigieux » (p. 336) ; sur l'u tilisation dans la liturgie pascale d 'u n autre exem plaire illustré d u com m entaire d e Bea­ tus, O. K. W erckmeister, The first Romanesque Beatus Manuscripts

and the Liturgy o f the Death, dan s A ctas del simposio para el estudio de los codices del « Commentario al Apocalipsis » de Beato de Liebana, t. n , M adrid, 1980, p. 167-192. D an s le fil d u texte, j'em ploierai p lu s v o lo n t ie r s le s te rm e s « p r é c ie u x », « a p p a ra t », « som p tu osité » pou r d istin gu er d es livres hors d u com m u n, don t un grand nom bre étaien t d é p o s é s d a n s les trésors, par rapport à la production dite courante.

6 Cf. F. Steenbock, Der kirchliche Prachteinband im frühen

Mittelalter,Berlin, 1965.

raiso n n ab lem en t être considéré de la m ême m anière que les autres objets d u trésor. Dans le m êm e esprit, la distinction d o it être faite entre les reliques (contenues dans les reliquai­ res m ais qui n 'e n d e m eu ren t p as m oins des « pièces » autonom es d u trésor), d 'u n e part, les livres d 'a u tre p a rt et enfin l'ensem ble des autres objets sacrés, car seules les prem ières p o ssèd ent le pouvoir, aux yeux des hom m es d u M oyen Âge, de conférer à des pièces d'une grande richesse le statu t de trésor7.

Sans p réten d re traiter de la fonction de l'ensem ble d u trésor d'église au M oyen Âge, j'ab o rd erai essentiellem ent, dans le cadre de cet article, le rôle d u trésor, articulé autour des reliques, d an s la co n stitu tio n de la memoria spirituelle d 'u n m onastère, d 'u n e cathédrale, d 'u n e église paroissiale...., afin de m ettre en évidence la place essentielle tenue p ar les li­ vres, au sein d u trésor, p o u r la constitution de cette m ém oire. T out d 'a b o rd , je rappellerai rapidem ent l'ap p o rt de certains auteurs à cette approche. A près avoir abordé dans le détail le cœ ur de m on propos, je rapprocherai la fonc­ tion m ém oriale des livres d ans les trésors du phénom ène plus général de développem ent et de co n stitu tio n , s u rto u t à l'ép o q u e carolin­ gienne, de la notion de memoria tem porelle et spirituelle.

C onscient d u caractère partiel de m on enquête, je n 'o u b lie p as que le sujet que je p ro p o se s'in sè re d a n s u n e p ro b lém atiq u e beaucoup p lus vaste, d ép assan t largem ent le cadre d e ce travail, à savoir la place d u livre dans la société m édiévale et de son « efficacité sym bolique » p o u r les hom m es d u M oyen

7 Sur l'im portance et le statut d es reliques dans la société m édiévale, voir les références don n ées p lu s bas.

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Âge. Plus m odestem ent, j'ai tenté de m ettre en connexion u ne problém atique, bien connue et étudiée p o u r des dom aines de l'histoire m é­ diévale autre que celui d u trésor : la notion de

memoria, avec la fonction m ém oriale des livres

des trésors. Je soum ets donc au lecteur les ré­ su ltats de m on enquête to u t en sachant qu'il ne s'ag it que d 'u n aspect restreint, la memoria et les livres des trésors, d u thèm e d u livre dans la société médiévale.

D u p oint de vue de la chronologie, étant donné que l'époque carolingienne constitue le m om ent fort p o u r l'ap p a ritio n et le dévelop­ p e m en t d e la memoria m édiévale, je m e suis essentiellem ent concentré su r cette période et le h a u t M oyen  ge au sens large. Je n 'a b o r­ d erai que de façon ponctuelle le devenir des trésors à p a rtir d u M oyen  ge central, ce qui m ériterait une étude particulière d 'au ta n t plus que la place du livre dans la société, et a fortiori dans les trésors, n 'a cessé d'évoluer. D ans un cadre chronologique élargi on p o u rrait aussi se livrer à u ne analyse de l'évolution d u sym ­ bolism e d'un m anuscrit particulier, de la tran s­ form ation de son sta tu t au sein d 'u n trésor précis.

D ans la dernière p artie d e cet article, je poserai u ne série d e questions destinées su r­ to u t à su sciter d 'a u tre s recherches d ans ce dom aine. Bon nom bre d 'en tre elles concernent le rôle des livres d u tréso r d an s la pratiq u e liturgique et intellectuelle d u M oyen Âge, ain­ si q ue leu r ra p p o rt avec les autres objets d u trésor. N écessitant des investigations dans une docum entation encore p lus vaste (notam m ent de nom b reu x in ventaires in éd its d e France, d 'A n g lete rre, d 'Italie, d 'E sp ag n e) que celle que j'ai utilisée, en particulier p o u r la seconde

m oitié d u M oyen Âge, il s'ag it sim plem ent de souligner des pistes de recherches possibles.

I. L'apport des recherches antérieures sur la fonction du trésor m édiéval et le rôle du livre

Parm i les no m breu x trav au x consacrés aux trésors m édiévaux, seuls quelques-uns ont très succinctem ent abordé leu r fonction dans la société m édiévale et, a fortiori, le rôle d u liv re d a n s la d é fin itio n de cette fonction8. D 'au tres approches ont été privilégiées dans ces recherches. É tant do n n é qu e l'o n trouve d ans les trésors de véritables « objets d 'a rt », les historiens de l'a rt se sont beaucoup intéres­ sés à ces pièces d e g ran d e valeur. L'histoire des formes et des styles, ou bien encore celle des techniques, dom ine larg em en t la p ro d u c­ tion de ces derniers su r ce sujet9. Ces travaux sont souvent m arqués p ar u ne conception m u- séo graphique, n o ta m m e n t d an s la p résen ta­ tion de m onographies de trésors m édiévaux10. Il fau t dire que, potentiellem ent, ces derniers constituent les véritables « prém ices » de

col-8 Voir l'état d e s q u estio n s et la bib liograp h ie dan s la contribution à ce v o lu m e d e J.-P. C aillet ; d u m êm e auteur voir

Les trésors ecclésiastiques de l’A ntiquité tardive à l'époque romane : permanences de l'esprit et des origines, d a n s Trésors et routes de pèlerinages dans l'Europe médiévale, C onques, 1994, p. 33-46.

9 Voir par exem p le l'im portant catalogu e de l'exposition

d u M usée d es Arts D écoratifs, Les trésors des Eglises de France, Paris, 1965.

10 Parmi les nom b reu ses m on ograp h ies de trésors, voir récem m ent les pu blications consacrées à ceu x d e Saint-Maurice d'A gau ne (D. Thurre, Les trésors ecclésiastiques et leur constitution.

Eclairage à travers deux exemples helvétiques : Saint-Maurice et Sion, op. cit. à la n ote 8, p. 77-93 ; étu d e rep rise et am plifiée dan s le

présent volum e, ci-avant) et d e Q uedlin bou rg, sur ce dernier cf.

D er Quedlinhurger Schatz ivieder vereint, herau sgegeb en v o n D.

K otzsche, Berlin, 1992, v o ir aussi M.-Cl. Léonelli, Les trésors des

cathédrales de la vallée du Rhône aux XIV ‘ et X V e siècles, dan s La Cathédrale (XII'-XIV'), Cahiers de Fanjeaux, 3e, 1995, p. 367-390.

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lections d 'œ u v res d 'art, voire de m usées11 ; j'y re v ie n d ra i p lu s lo in. Il n 'e m p ê c h e q u e l'approche m u séo g rap h iq u e, nécessaire p o u r l'histoire et la description des pièces, n 'a pas contribué au d év elo p p em en t des recherches su r le sens et la fonction des tréso rs d an s l'histoire12.

U n au tre in térêt des historiens de l'a rt porte su r la perception esthétique q u 'av aien t les hom m es d u M oyen  ge des pièces qu i com posaient les tréso rs. C ette ap p ro ch e a principalem ent perm is de réin sérer dan s u n contexte bien p lus vaste que les seuls trésors, le sens esthétique des objets et leu r rôle dans la définition d u « Beau » a u M oyen  ge13. Dans ce dom aine, la n a tu re des m atériau x em ployés p o u r la confection des objets d u trésor tien t une place essentielle dans leur v a ­ leur esthétique, voire théologique et philoso­ phique. Par exemple, l'or, m atériau noble si il en est, contribue larg em en t au caractère p ré ­ cieux des objets ainsi q u 'à leu r v a leu r

spiri-11 À tel p oin t qu e certains catalogu es d e collections de m u sées so n t in titu lés « T résor m é d iév a l », co m m e celu i d u Victoria and Albert M useum à L ondres, The Medieval Treasury.

The A rt of the M iddle Ages in the Victoria and Albert M useum, ed.

b y P. W illiam son, Londres, 1986.

12 Voir par ex em p le les p a g es u n p eu décevan tes d u ca­ talogue O m am enta ecclesiae. Kunst und Künstler der Romanik, 3 vol., C ologne, 1985 (en particulier la contribution d'A . v o n Euw ,

Liturgische Handschriften, Gewànder und Gerate, t. I, p. 385^414),

ainsi qu e celu i consacré au trésor d e Sain t-D en is, Le trésor de

Saint-Denis, Paris, M usée d u Louvre, 1991, à propos d u q u el on

lira la chroniqu e critiq ue d e D. N eb b iai-D alla G uarda dan s

Revue Mabillon, n.s. 2 (t. 63), 1991, p. 297-300.

13 D an s cette d irection d e recherche, o n con su ltera l'article très su g g estif d e M.-M . Gauthier, Pulcher et form osus.

L'appréciation du beau en latin médiéval, dan s La lexicographie du latin médiéval et ses rapports avec les recherches actuelles sur la civilisation du M oyen  ge, Colloques internationaux du CNRS n°

589, Paris, 1981, p. 401-419.

tu e lle 14 : « L'exam en des in v entaires des tré­ sors ecclésiastiques, p a r tranches chronologi­ ques d u VIe au XVe siècle, et l'étu d e de leurs épaves, révèlent u n p hénom ène de vaste am ­ p litu d e , où l'o r re n d explicite u n e nouvelle structure des m entalités »15.

É v idem m en t, l'e x p lo ra tio n d o cu m en ­ taire des trésors m édiévaux est fondam entale p o u r l'historien de l'art, l'h isto rien et le litur- giste. L'approche de la docum entation p eu t se faire à p artir d e l'é tu d e des objets conservés, comme on l'a v u plus haut, ou bien p ar l'étude des n o m b reu x tém oignages textuels (inven­ taires de trésors ou autres) que le M oyen Âge a légués aux m édiévistes. Les Mittelalterliche

Schatzverzeichnisse d es églises d 'A llem ag n e

constituent l'u n des in stru m en ts les p lus pré­ cieux p o u r quiconque so u h aite ab o rd er les trésors m édiévaux16. D ans sa vaste recherche su r les trésors d u M oyen  ge en France, E. Lesne a égalem ent exploité u n e im pression­ nante série de textes17. L'utilisation exhaustive

14 Sur ce sujet, cf. M.-M. Gauthier, L'or et l'église au Moyen

Âge, dan s Revue de l'Art, 26, 1974, p. 64-77. Le contenu d e cet

article d ép a sse am plem en t le th èm e an n on cé dan s le titre ; il s'agit d'u ne exploration d'ensem ble d u rôle et de la fonction des objets précieux, la plupart con servés d an s d e s trésors, dans le culte d iv in au M oyen  ge, ainsi qu 'un catalogue d es principaux élém en ts historiographiques dan s ce dom aine.

15 Gauthier, art. cit. à la note précédente, p. 65.

16 B. Bischoff, M ittelalterliche Schatzverzeichnisse, I. Von

der Zeit Karls des Grossen bis zu r M itte des 13. Jahrhunderts, M u­

nich, 1967 (cité désorm ais, Schatzverzeichnisse). Il v a sans dire qu e, m algré les nom b reu ses é d itio n s m on ograp h iq u es, u n tel recueil qui regrouperait les inventaires d e s églises d e France (et d'autres pays) fait cruellem ent défaut. Souhaitons qu'il soit un jour o u l'autre entrepris ; voir déjà les rem arques et les nom ­ breuses références dans l'article d e M.-M. G authier cité à la note 14.

17 E. Lesne, L'inventaire de la propriété. Eglises et trésors des

églises du commencement du VIIIe à la fin du XT siècle (H istoire de

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désor-de sources textuelles (vies désor-de saints, recueils de m iracles, chroniques, cartulaires, inventai­ res, testam ents, chartes, textes liturgiques, p ar exemple) offre la possibilité d 'élarg ir considé­ rablem ent la vision historiq ue d u tréso r m é­ diéval et sa fonction au sein de la société. Elle perm et encore, sans perdre de vue les objets18, d 'a b o rd e r u n e p ro b lém atiq u e d 'h isto ire so­ ciale, politique, v oire litu rg iq u e et théologi­ que, ainsi que d 'éta b lir une typologie d u tré­ sor m édiéval. À ce propos, il existe d e no m ­ breux points com m uns m ais aussi, et surtout, de g ran d es différences entre le tréso r d 'u n e cathédrale, celui d 'u n m onastère et celui d 'u n souverain ou d 'u n prince. Les trois types re­ g ro u p en t les biens les p lus précieux des lieux ou des personnes. M ais la « thésaurisation »19 n 'e st p as to u t à fait identique p o u r u n roi ou u n prince et p o u r u n e gran d e cathédrale, p ar exem ple : la n a tu re des objets déposés, leur fonction, et leur devenir (après la m ort d u roi ou d u prince, p a r exemple) diffèrent dans bien des cas. Il p eu t cependant y avoir interférences entre, p a r exem ple, le trésor d 'u n roi et celui d 'u n e cathédrale. P o u r cela il fau t que le sou­ verain lègue à l'Église ses biens personnels qui

m ais, L esne, Eglises et trésors) ; tout au lo n g d e cet article on m esurera l'im p ortan ce d e la sy n th èse d e L esne p o u r notre propre recherche.

18 D. Gaborit-C hopin a récem m ent confronté les sources te x tu elles n eu strien n es d u h au t M oyen  g e a v ec les objets, conservés o u disparus, d es trésors de la m êm e région, Les trésors

de Neustrie du VIIe au IXe siècle d'après les sources écrites : orfèvrerie et sculpture sur ivoire, dan s La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850. C olloq u e historiqu e international p u b lié par H.

A tsm a, Beihefte der Francia, 1 6 /2 , t. 2, Sigmaringen, 1989, p. 259- 293.

19 Terme pris id dan s le sen s d e la constitution d 'u n tré­ sor et n on pas, com m e l'entend ait Isidore d e Séville com m e la « m ise à part d e l'or », E tym ., liv. XV I, 18-6, Etimologias, H, B.A.C., M adrid, 1983, p. 300-303.

changent en qu elq u e sorte d e statu t car ils deviennent p ro p riété de l'Église avec to u t ce q ue cela su p p o se d u p o in t de v ue de leur fonction spirituelle et tem porelle20.

La fonction liturgique et théologique des trésors n 'a été abordée que de façon succincte p a r différents a u teu rs21. À ce propos, le Père G y a récem m ent soulevé des questions essen­ tielles22, com m e p ar exem ple celle de la fonc­ tion sacrale d u trésor, celle des différences qui existent, dans le degré de sacralité des objets, en tre le tréso r d 'u n e g ra n d e église et celui d 'u n e p etite église paroissiale, celle d u sens esthétique (voire théologique) indissociable du sens religieux conféré aux objets d u trésor, celle de la désignation d u local. L 'utilisation

20 Les rois, les em pereurs et les princes ont so u v en t par­ tagé leurs b ien s entre l'E glise et leurs héritiers, tout en d istin ­ g u a n t so ig n e u sem en t, com m e C h arlem agne, les b ien s d e la chapelle p rivée d e ceu x d u trésor personn el ; voir les exem p les étu d iés par P. Riché, Trésors et collections d'aristocrates laïques

carolingiens, dans Cahiers Archéologiques, 1972, p. 39-46, Les biblio­ thèques de trois aristocrates laïcs carolingiens, dan s Le Moyen Âge,

69, 1963, p. 87-104 ; Lesne, Eglises et trésors, passim ; W. W atten- bach, Das Schriftwesen im M ittelalter, L eip zig, 1896, p. 570-641 ; P.E. Schramm-Fl. M ütherich, Denkmale der deutschen Kônige und

Kaiser. Ein Beitrag zu r Herrschergeschichte von Karl dem Grossem bis Friedrich IL, 768-1250, M unich, 1962, p. 31-32 et 64-67 ; Fl.

M ütherich, The Library o f Otto III, dan s The role of the book... (cité à la note3), t. H, p. 11-26 ; B. Bischoff, D ie Hofbibliothek Karls des

Grossen, dan s M ittelalterliche Studien, 3, Stuttgart, 1981, p. 149-

169 et Die Hofbibliothek unter Ludwig dem Frommen, ibid. p. 171- 186 ; R. McKitterick, Charles the Bald and his Libray : the Patronage

o f Learning, dans English Historical Review , 95, 1980, p. 28^47 ; S.

K eynes, King Aethelstan's Books, dan s Learning and Literature in

Anglo-Saxon England, Studies presented to Peter Clemoes, M. La-

p id g e and H. G n eu ss éd., Cam bridge, 1985, p. 143-201 ; sur le partage et la disp ersion d es livres d'abbés, cf. Ph. Grierson, Les

lim es de Tabbé Seiwold de Bath, dan s Revue bénédictine, 52,1940, p.

96-116.

21 Pour un état de la question, cf. M.-M. Gauthier, art. cit. à la note 14, p. 66-72.

22 P.-M. Gy, « Les trésors d'E glise et la liturgie. À propos d u Trésor d e Saint-D enis », La Maison-Dieu, 188,1991, p. 73-85.

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p ratiq u e des objets d u trésor d ans la liturgie n 'a p ra tiq u e m e n t p as fait l'o b jet de re c h er­ ches23.

P ou r l'histoire religieuse, sociale et poli­ tique, p eu d 'a u te u rs on t relevé l'im p o rtan ce des trésors dans l'ex p ressio n de la richesse m atérielle et de la puissance spirituelle. J. Ta- ralo n a n o té que les tréso rs a p p araissaie n t dans les sociétés théocratiques, où les dons et les offrandes sont essentiels24. Selon M. Pas­ toureau, le trésor est une notion clef d u p o u ­ voir féodal. Dans la seconde m oitié d u M oyen Âge, les trésors sont des « m usées im aginai­ res » (j'ajouterai, des « cabinets de curiosités ») serv an t la « liturgie d u p o u v o ir »25. D ans le h au t M oyen Âge, cette fonction d e d ém o n s­ tration de p o u v o ir26 n 'éta it pas aussi p réém i­ nente que d ans la seconde m oitié d u M oyen Âge. Com m e on le verra, ce qui p rim ait avant to u t p e n d a n t le h a u t M oyen  ge, c 'é ta it la constitution de la memoria spirituelle à côté de l'ex p ressio n de la p u issan ce tem porelle, ex­ prim ée p a r les richesses d u trésor. Or, p o u r que cette m ém oire spirituelle puisse exister, la présence de reliques était obligatoire, car, sans elles, il n 'y a pas de trésor possible, d u m oins dans l'A n tiq u ité et p e n d a n t le h a u t M oyen

23 Sur ce point, les pages d e F. Steenbock sur la fonction d es reliures précieu ses, p ou r les livres litu rgiqu es, dan s le d é ­ roulem ent d u culte, sont assez décevan tes, op. cit. à la note 6, p. 51-56.

24 J. Taralon, Les trésors des églises de France, Paris, 1966, introduction.

25 M. Pastoureau, L'échiquier de Charlemagne. Un jeu pour

ne pas jouer, Paris, 1990, p. 14-18, surtout, p. 14-15.

26 R appelons-nous la fierté d e l'abbé d u m onastère visité par G uillau m e d e B askerville et A d so dan s Le nom de la rose lorsqu'il leur m ontre les richesses d u lieu ; o n n e sait d'ailleurs pas grand ch ose d e l'exhibition d e s trésors par leu rs p o s s e s ­ seurs, aux vassau x, ou aux visiteu rs d e m arque, com m e le dit Pastoureau, cf. note précédente.

Âge. Les reliques p e rm e tte n t la « sp iritu ali­ sation » des objets m atériels d u trésor. Elles sont le p o in t de d é p a rt d e la m ém oire d 'u n lieu, son capital spirituel, entraînant avec elle les objets déposés à leur côté27.

II. La place des livres dans la définition mé­ diévale du trésor

D onner une définition précise d u trésor m édiéval d em eu re u ne g ag eu re, cela p o u r plusieurs raisons. En p rem ier lieu, la variété des term es em ployés d an s les textes m édié­ vaux p o u r désigner le trésor soulève des diffi­ cultés d 'in te rp ré tatio n d ans bien des cas im ­ possibles à résoudre. En second lieu, la notion m êm e de trésor, ainsi que son contenu, a sans cesse évolué to u t au long d u M oyen Âge, si bien q u 'o n se dem ande parfois ce que peuvent avoir en com m un, su r le p la n symbolique, les cabinets de curiosités de l'ép o q u e m oderne et les trésors des abbayes d u h a u t M oyen Âge. Sans entrer dans ces problèm es, ce qui entraî­ nerait trop loin p ar ra p p o rt aux limites fixées dans le cadre de ce travail, il faut rappeler la nécessité im périeuse d 'é ta b lir u ne typologie des trésors ; j'y re v ien d rai d an s la dernière partie de cet article. Cette typologie ne pourra être mise au po in t q u 'ap rès s'être penché sur

27 Voir déjà les rem arques d e X. Barrai y Altet, Reliques,

trésors d'églises et création artistique, d a n s La France de l'an mil,

sou s la direction d e R. Delort, étu d es rassem blées par D. Iogna- Prat, Paris, 1990, p. 184-213 et Définition et fonction d'un trésor

monastique autour de l'an mil : Sainte-Foy de Conques, dan s H aut Moyen Âge. Culture, éducation et société. Etudes offertes à Pierre Riché, coordination M. Sot, La G arenne-C olom bes, 1990, p. 401-

408. V oir au ssi J. N u n o -G o n za lez et J.-L. H em ando-G arrido,

Reliques et reliquaires à l'époque romane dans la région de Palencia : quelques réflexions sur le concept de trésors dans l'histoire, op. cit. à la

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une au tre typologie, celle des inventaires (ou des docum ents assimilés).

P our no tre propos, contentons-nous de constater que, parm i les objets d u trésor, tous n 'o n t pas la m êm e v aleu r spirituelle et m até­ rielle m êm e si, d ans leu r ensem ble, ils sont considérés à la fois com m e des offrandes à Dieu et des signes d u pouvoir sur terre. Dans le trésor est conservé to u t ce qui a été offert à l'Église p o u r l'h o n n eu r de la m aison de Dieu, to u t ce qui sert à l'orn er et à y célébrer digne­ m en t le culte : « Ut thesaurus, sive ministerium

vel ornamentum ecclesiarum, fideliter devotioni eorum, qui haec vel ad honorem domus dei, vel ad sustentationem familiae ecclesiasticae, si nécessitas egerit, obtulerunt, custodiatur »28, rappelle un

canon d u concile de Valence en 855. Déjà dans l'A ntiquité et p e n d a n t le h a u t M oyen Âge, on établit une distinction entre les ministeria, c'est à dire les objets qui servent a u culte, et les or-

namenta désignant p lu tô t tou t ce qui est utilisé

p o u r décorer l'édifice lors des célébrations. C ette d istin c tio n en tre les deu x catégories d 'o b jets existe s u rto u t p o u r l'A n tiq u ité. A u cours de cette période, chaque église, lors de sa fondation, reçoit l'éq u ip em e n t liturgique, « p ra tiq u e e t u su el », n o rm a le m e n t req u is p o u r les célébrations : les ministeria sacrata et les codices. Par exem ple, p o u r la fondation et la do tatio n d 'u n e église ru rale des environs de Tivoli (Italie), la charte datée de 471 signale : « Patenam argenteam, calicem argenteum maiorem

I, calices argenteos minores I I ...item codices: evangelia IIII, apostolorum, psalterium et comi- tem »29. À p a rtir d e l'é p o q u e carolingienne,

“ • M G H , Concilia EU, 1984, p. 363.

29 Les livres cité s so n t les E van giles, les Epîtres, les psautiers (les livres bibliques) et probablem ent un capitulaire,

cette d istin c tio n n 'e s t p lu s au ssi tran ch ée q u 'a u p a ra v a n t et les ornamenta com m e les

ministeria sont rangés dans le trésor, ou bien

d an s la sacristie s'ils serv en t dans la liturgie qu o tid ien n e, p a r exem ple d ans le cadre p a ­ roissial30. D ans certains textes, le term e de tré­ sor désigne su rto u t, parfois exclusivem ent, la collection d es pièces d 'o rfè v re rie . En 886, l'an n aliste d e Saint-V aast d 'A rras relate que l'incendie de Beauvais, où avaient été tra n s­ portés tous les biens d u m onastère à cause des risques de pillage d us aux invasions, a d étru it to u t Yornatus (le trésor) d u m o n astère q u 'il d istingue des vêtem ents sacrés, des livres et des chartes31. Dans une de ses lettres, Louis le Pieux appelle trésor l'orfèvrerie (ou les pièces d'orfèvrerie), elle-m êm e incluse dans les orna­

menta ecclesiae qui com portent égalem ent les

sorte d e liste d e lectures pour les Evangiles ou les Epîtres ; cf. A. C havasse, Evangéliaire, épistolier, antiphonaire et sacramentaire. Les

livres romains de la messe aux VU' et VIII' siècles, dan s Ecclesia Orans, 6,1989, p. 177-225 (p. 177).

30 D ans les capitulaires ép iscop au x du IXe siècle, desti­ n és à réglem enter la liturgie et la pratique r eligieu se d a n s les p aroisses, l'énu m ération d es principaux instrum ents d u prêtre fait apparaître ind istin ctem en t les ornamenta et les ministeria : « ut unusquisque secundum possibilitatem suam certare faciat de

o m atu ecclesiae, scilicet in patenam et calicem, planetam et albam, missalem, lectionarium, martyrologium, paenitentialem, psalterium vel alios libros, quos potuerit, crucem, capsam, velut dixim us iuxta possibilitatem suam » (3e capitulaire d e Gérald d e Liège, d éb u t du

IXe siècle, M G H , Capitula episcoporum, I, P. Brom m er éd., H an ­ nover, 1984, p. 39-40) ; « De ministerio sacerdotali... calice et patena,

cruce, capsa, casula et alba seu libris » (capitulaire de W alcaud de

L iège, débu t d u IXe siècle, Brommer, p. 48). A. A n g en en d t a récem m ent bien m ontré qu'à travers ces con sign es concernant les livres dans les capitulaires, il s'agissait d e veiller à ce q u e les prêtres p o s sè d e n t b ie n les v e rs io n s « correctes » d es textes litu rgiqu es im p o sés par la Réform e carolingien ne, Libelli bene

correcti. Der « richtige » Kult als ein M otiv der karolingischen Re­ fo rm , dans Das buch als magisches uns als Reprdsentationsobjekt,

h erausgegeben v o n P. Ganz, W olfenbütteler M ittelalter-Studien, W iesbaden, 1992, p. 117-135, surtout p. 128-129.

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vêtem ents et les livres32. D 'u n e m anière géné­ rale, les co m m en tateu rs m édiévaux qui ont donné u ne défin itio n d u tréso r d 'ég lise (ou plu tô t des ornem ents nécessaires à l'église) y ont inclus l'ensem ble des objets précieux do n t la destination com m une est de servir d ig n e­ m ent la célébration d u culte divin33.

C om m e p o in t de d é p art docum entaire p o u r n o tre p ro b lém atiq u e, p ren o n s com m e exem ple la d o n a tio n faite p a r G régoire le G rand à l'Église de M onza. Afin de célébrer

32 Lesne, Eglises et trésors,p. 191 note 2.

33 Les com m entaires sur cette qu estion n'ab ondent pas pendant le M oyen  ge. B èd e le Vénérable, Raban Maur, W ala- frid Strabon, R u pert d e D e u tz , P ierre D am ien , H o n o riu s d'A utun, par exem p le, ne so n t pas prolixes d an s ce d om ain e (voir notam m ent, Raban Maur, De Universo, lib. XXH, cap. XXIH « De omamento », PL 111, col. 580-582 ; H onoriu s d 'A u tun , Spe­

culum ecclesiae, « A d divites », PL 172, col. 864 ; Rupert d e D eutz, Liber de divinis officiis, II, 23 « De om atu altaris et templi » [dans Corpus Christianorum , CM VII, T u m h o u t, 1977, p. 56-60] et

G uillau m e D urand, Rational des divins offices, Livre III, « D es

peintures, des voiles et des ornements de l'église » [édition critique

dans Corpus Christianorum, C M CXL, par A. Davril et T. Thibo­ deau, T um h out, 1995, p. 177 e t ss. ; et Rational ou M anuel des

divins offices, traduit par Ch. Barthélém y, t. I, Paris, 1854, p. 41-

66]). D an s le récit d e l'arrivée d es reliques d e saint Philibert à T ou m u s au IXe siècle après u n e lon gu e pérégrination d e s m oi­ nes de N oirm outier pou r échapper aux invasion s des norm ands, le narrateur expliq ue qu'à l'an non ce d e l'arrivée im m inente d es envahisseu rs, les frères d u m onastère se so n t p réoccu p és de m ettre leu r trésor à l'abri, su rtou t les reliq u es d e Philibert. Parmi les objets précieux qu 'ils rassem blent, o n trouve d e l'or, d e l'argent, un encensoir, d e s calices d'or, d es boîtes d'argent, des évangéliaires, d es livres, d es cloches, d es vêtem ents liturgi­ ques d e prix et, bien sûr, les reliques d e saint Philibert ; cette « liste » offre u n bon ex em p le d e ce q u e p o u v a it contenir un trésor m onastiq ue au IXe siècle, ainsi qu 'elle perm et de se faire un e id ée d e ce q u e les m o in e s em portaient avec eux, com m e sym b oles d e la m ém oire d e leur m onastère, lors d'u n dan ger ; sur ce texte, so n éd ition et so n analyse, voir D. Iogna-Prat, Un

dossier hagiographique épineux : « la translatio sancti Valeriani »,

dans Saint-Philibert de Toum us. Histoire, Archéologie, A rt, A ctes du colloque d u CIER, T ou m u s, 15-19 juin 1994, Mâcon, 1995, p. 27-40.

dignem ent le baptêm e d u fils de Théodelinde, rein e des lo m b ard s, et p o u r réco m p en ser l'a c tio n co n stan te que celle-ci av ait m enée p o u r rétablir la paix entre son peuple et Rome, Grégoire le G rand lui envoya en 603 des dons précieux, légués ensuite à la cathédrale Saint- Jean de M onza, fondée p ar elle34. Pour l'Église d e M onza, ce tré so r é ta it le sym bole de l'h isto ire d u lieu et p e rp é tu a it la glorieuse m ém oire de la fondation. A u XIIIe siècle, dans son Rational des divins offices, G uillaum e D u­ ra n d re p re n d ses p ré d é c e sse u rs e t écrit : « Dans les principales festivités, on expose aux reg ard s d u p eu p le les trésors de l'Église, et cela p o u r trois raisons. Prem ièrem ent, p ar une considération de prévoyance... Secondement, p a r respect p o u r la solennité. Troisièm ement, en m ém oire de leur offrande, c'est à dire en souvenir d e ceux qui les on t d 'ab o rd offerts à l'Église »35.

En effet, comme nous allons le constater su rto u t p o u r l'époque carolingienne, quel que so it son contenu, le tréso r a p p a ra ît comme l'élém en t principal de la m ém oire spirituelle d 'u n lieu, com m e u n m onastère p a r exemple, d 'u n e Église. Ses richesses (avec au cœ ur les

34 X. Barbier d e M ontault, Les trésors de la Basilique royale

de M onza, Tours, 1885. Parmi ces d o n s précieu x o n relève no­

tam m ent u n e couronne, un e croix, et u n livre d 'E van giles orné d 'u n e reliure précieuse sur laquelle se trouvent inscrits d es vers d e d édicace à la reine, cf. Steenbock, op. cit. à la note 6, n° 12, san s manuscrit aujourd'hui.

35 Rational des divins offices, livre III, trad. Ch. Barthélé­ m y, op. cit., note 51, p. 61 ; voir déjà J. Beleth, « Très sunt causae,

quare in sollemnitatibus magnis in apertum deducitur vel excluditur thesaurus ecclesiae : propter cautele considerationem, ut appareat, quam cautusfuerit in seroando ille, qui ilium debet servare, et propter sollemnitatis venerationem et propter oblationis memoriam, u t scilicet offeratur in memoriam illorum, qui ea prius ecclesiae obtulerunt », Summa de ecclesiasticis officiis, H . D ou teil éd., Corpus Christiano­ rum, CM XLI A, T um hout, 1976, p. 217.

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reliques) rap p ellen t le so u v en ir de la fo n d a­ tion et m atérialisent l'histoire vivante d u lieu. T o ut d o it être fait p o u r p ro té g e r ce trésor, sym bole d u passé de l'Église, p o u r le m ettre en valeur dans le p résen t et l'accroître dans le futur. Ainsi, la memoria spirituelle sera préser­ vée et contribuera à l'expression sym bolique de puissance d u lieu, au m êm e titre que les biens m atériels assu rero n t le développem ent économ ique et l'assise d u pouvoir tem porel de l'Église.

III. La memoria spirituelle conservée dans les trésors : le rôle des livres à côté des reliques

A u cœ ur des trésors se trouvent les reli­ ques. Elles sont l'élém ent essentiel qui confère u n statu t sp iritu el au trésor et p ar extension, aux objets le constituant. La « thésaurisation » spirituelle ne p e u t se faire q u 'à p artir de reli­ ques, quelles q ue soient leu r n atu re et leu r im portance. D ans l'A ntiquité déjà p uis surtout à p a rtir de l'ép o q u e carolingienne, les reliques o ccu p en t une place centrale dans la société, tan t su r le p lan social que spirituel36. Eléments de protection tem porelle et spirituelle des m o­ nastères notam m ent, c'est au to u r d'elles que la

36 La littérature sur les reliques au M oyen  g e est abon­ d an te ; citon s sim p lem en t la sy n th èse p rop osée par P. Geary d an s Le vol des reliques au Moyen Âge. Furta sacra, Paris, 1990, en particulier p. 21-72, ainsi que P. Brown, Le culte des saints. Son

essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, 1984, chap. V et Reliques et statu t social au temps de Grégoire de Tours, d an s La société et le sacré dans l'Antiquité tardive, Paris, 1985, p. 171-198.

A u M oyen  ge, les reliques étaient tellem ent « vivan tes » que, d a n s certaines circonstances, elles p o u v a ien t faire l'objet d'u n e h u m iliation don t le dérou lem en t su ivait u n rituel « liturgique » b ien spécifique, cf. P. Geary, L'humiliation des saints, dan s Anna­

les ESC, 1979, p. 27-42 ; L. Little, Benedictine Maledictions. Liturgi­ cal cursing in romanesque France, Ithaca-Londres, 1993.

m ém oire tem porelle d 'u n lieu se construit. À ce titre, su rto u t à l'époque carolingienne, leur v én ératio n est g ra n d e car elles sym bolisent l'id en tité d 'u n lieu. La politiq u e des carolin­ giens d an s ce d o m ain e est particu lièrem ent révélatrice de cette im portance prise p ar les reliques. Par exem ple, dans les églises tous les au tels d e v a ie n t être p o u rv u s de reliques. Com m e l'écrit P. G eary, « en qualité d'ancê­ tres, et de chefs vivants d e la famille m onasti­ que, les saints étaient obligés de défendre les m em bres de leurs familles, corps et biens »37.

M ais il y a u n revers d e la m édaille car, tellem ent convoitées, les reliques sont souvent volées. La signification d e ces vols correspond à la haute valeur sym bolique des reliques dans la société. U n m onastère où Ton s'est fait dé­ rober des reliques se voit touché au plus p ro ­ fond de lui-m êm e ; il red ev ien t u n lieu « sans histoire », sans m ém oire spirituelle fondatrice. De p lu s, la fam ille m o n astiq u e, red even u e vulnérable sur le p lan spirituel et donc aussi dans son tem porel car l'absence de la relique fait d u même coup disparaître la protection d u sain t, se tro u v e atte in te d a n s son orgueil com m unautaire car elle s'e st faite dépouiller d e son bien le p lu s cher. En revanche, le m o­ nastère bénéficiaire d u vol ajoute u ne dim en­ sion nouvelle à son histoire et à sa m ém oire spirituelle, en m êm e tem ps q u 'il développe un no u v eau culte. A fin de les p ro tég er d u vol et des destructions, d ans les m onastères (ou les églises) les reliques sont conservées et rangées d a n s le tréso r38 ; on en d resse l'in v en taire,

37 Geary, op. cit. à la note précédente, p. 42.

38 Cf. L esne, Eglises et trésors, p. 200. Il serait urgent d'entreprendre u n e étu d e sur les reliques d an s les trésors, car c'est autour d'elles, répétons-le q u e ces derniers se développent.

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comme on le fait aussi p o u r les autres objets précieux d u lieu. A insi, le tréso r rassem ble toutes les richesses tan t spirituelles que m até­ rielles d u m onastère.

Voyons à p résent le rôle d u livre, à côté des reliques, d ans la fonction m ém oriale d u trésor.

A près les reliques, les livres sont les ob­ jets d u trésor d o n t la signification sym bolique touche le p lus directem ent la fonction m ém o­ riale. Parm i les objets du trésor, les livres a p ­ paraissent comme les plus représentatifs de la

memoria fo n d atrice d 'u n m o n astère, d 'u n e

Église. C om m e les cartulaires p o u r les biens d u tem porel, les livres d u trésor, quel que soit leur contenu, ont u ne fonction sacrée p o u r le lieu, jouent u n rôle com m ém oratif, en p e rp é ­ tu a n t la m ém oire des origines e t celles des donateurs successifs ayant enrichi la puissance tem porelle et spirituelle de l'Église. A insi, on peu t dire que les livres d u trésor form ent les fondem ents d e la réalité ecclésiale d 'u n e Église. C eci s 'e x p liq u e e s s e n tie l le m e n t p a r l'im portance accrue de la v aleu r sym bolique de Y écrit d ans la société m édiévale, su rto u t à partir de l'époque carolingienne.

À cette époque, les livres acquièrent une valeur q u 'ils n 'av aien t pas to u t à fait a u p ara ­ vant. Évidem m ent, c'est u n fait bien connu, le d é v elo p p e m e n t d e la R enaissance c aro lin ­ gienne a été déterm inant dans ce processus de revalorisation de l'écrit aux yeux des contem ­ porains39. Lieu d u savoir intellectuel e t

spiri-39 Cf. les références citées à la note 3 ; les scriptoria m o­ nastiques ont joué u n rôle très im portant dan s ce ph én om èn e, cf. O.-G. O exle, Les moines d'Occident et la vie politique et sociale

dans le haut M oyen Âge, dan s Revue bénédictine, 103,1993, p. 255-

272, p. 265. Sur l'efficacité sym b oliq ue d u livre au M oyen  g e la

tuel, le livre est alors considéré comme un véritable trésor en soi, égalem ent symbole de p o u v o ir à l'in s ta r des b ien s tem porels. À l'ép o q u e carolingienne, on a égalem ent con­ science de la valeur historique d 'u n manuscrit, de son origine, de son h istoire et su rto u t de son rôle sym bolique p o u r la m ém oire fonda­ trice d 'u n lieu. O n assiste alors à une sorte « d'individualisation » très poussée de certains m anuscrits, objets connus de tous et chargés d 'u n e forte puissance com m ém orative40. Par exem ple, les livres ayant fait l'objet de com­ m andes royales ou princières ou bien d 'u n e donation ém anant d 'u n personnage im portant p o u r une Église, apparaissent comme les plus à m êm e à développer et p erp étu er la memoria sp iritu e lle d 'u n lieu o u d 'u n e perso n n e. Com m e l'a fait rem arquer O.-G. Oexle, le dé­ velo p p em en t de la memoria, p ar les relations de fraternisation et de com m ém oration entre des grou p es e t/o u des in d iv id u s, est égale­ m en t m arq u ée p ar l'échange d'objets, de ca­ deaux, et su rto u t de livres41.

bibliographie est abondante, voir déjà les références citées à la note 3 ; pour u n e approche anthropologique de la place du livre et le rôle m agique d e l'Ecrit dans les sociétés sans écriture, voir l'article très su g g estif d e M. H arbsm eier, Buch, Magie und kolo-

niale Situation. Z u r Anthropologie von Buch und Schrift, dans Dos Buch als magisches und als Reprdsentationsobjekt, édité par P. Ganz (Wolfenbütteler M ittelalter-Studien, 5), W iesbaden, 1992, p. 3-24.

Sur la grande v a leu r sp iritu elle d u livre à l'époq ue carolin­ gienne, P. Dinzelbacher, Die Bedeutung des Bûches in der Karolin-

gerzeit, dans A rchiv fü r Geschichte des Buchwesens, 24, 1983, col.

258-287, voir au ssi J. G oody, La raison graphique, tr. fr., Paris, 1979.

40 Sur tou tes ces questions, cf. R. McKitterick, The Caro-

lingian and the w ritten Word, C am bridge, 1989, surtout p. 135-

164.

41 Cf. O exle, art. cit. à la n o te 39, p. 271 ; l'auteur fait égalem ent observer qu e les pactes d e memoria entre les m onastè­ res et l'entou rage laïq ue étaient la p reu v e concrète d e choses d on n ées par les fid èles pou r obtenir la prière, dans certains cas

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A v a n t d e d é v e lo p p e r , à p a r tir d'exem ples, ces différents points, voyons ra­ pidem ent les différents types de livres que l'on trouve le p lu s fréquem m ent dans les trésors42. Liste établie essentiellem en t à p a rtir des in ­ v en taires de trésors des églises allem andes entre le IXe et le XIIIe siècle :

- Missel (e t/o u sacram entaire) : 51

- Livres d'Évangiles e t/o u évangéliaire : 28 - Lectionnaire : 26

- Psautier (et psautiers glosés) : 22

- G raduel (antiphonaire de la messe e t/o u de l'office) : 20

- A ntiphonaire (de la m esse ou de l'office) : 14 - H om éliaire : 12

- Epistolier : 11 - Collectaire : 11

perm an en te, d e s m o in e s : p rop riétés foncières, u sten siles et vêtem ents liturgiques, reliq u es.... (p. 269-270).

42 La liste d e s différents ty p e s d e livres contenus dans

les trésors a été réalisée à partir d e s M ittelalterliche Schatzver-

zeichnisse (cf. note 16). Il n'est pas d e m on ressort d e procéder à

u n e critique serrée d e tous les ty p es d e docum ents exploités par B. Bischoff. E ffectivem ent, tous n 'on t pas le m êm e statut et ne so n t pas forcém ent d e s inventaires m ais plu tôt, à ce qu'il sem ­ ble, d e s d on ation s effectuées lors d 'u n e fondation (je remercie M. A tsm a d'avoir attiré m on a tten tion sur ce p oin t lors de la d isc u ssio n qui su iv it m a com m u n ication ), m ais il m'a sem blé n écessaire de les utiliser pou r m o n enqu ête dans la m esure ou ils représentent la p lu s im portante d ocum entation réunie à ce jour sur les trésors et qu e bon nom b re d e textes qu e j'ai retenus so n t transcrits d a n s d e s livres d 'E van giles. D e p lu s, m êm e si certaines d e ces listes relèvent d e rém u n ération d e donations lors d e fond ation s, n e son t-elles p as à ce titre d es inventaires ? Les inventaires d 'é g lise s françaises, esp a g n o le s et italiennes, u tilis é s p o n ctu ellem e n t selo n les p u b lication s, n 'on t en rien m od ifié les résultats obtenu s p ou r les églises allem andes. Je n'ai pas n on p lu s tenu com p te d e l'ordre d e rangem ent (s'il y en a un), à travers le tem p s, des objets et d es livres dans les inventai­ res, d on c dan s les trésors ; j'y revien s dan s la dernière partie de cet article.

- M atutinale (recueil litu rg iq u e p o u r l'office des m atines) : 8

- Ordines (ou rituels ?) : 7 - Bible : 7

- Séquentiaire : 6 - Actes des apôtres : 6

- Officiale (recueil po u r l'office ?) : 6 - Passionnaire : 5

- Bénédictionnaire : 4 - H ym naire : 4 - Livre des Rois : 4

- N octurnal (recueil po u r les offices de nuit) : 4 - Tropaire : 3

- Baptisteria (rituels divers ?) : 3 - Règle (de saint Benoît...) : 3 - Libelli (sans précision) : 3 - Vies de saints : 3

- Livre de la Genèse : 3

- 2 m entions : O uvrages de saint Jérôme, Bède, H ay m o n d'A u x erre, Épîtres d e Paul, des Ca-

nones, des serm onnaires, des m artyrologes, le

livre d'Isaïe, le livre des P rophètes, les P ara­ boles, l'A p o caly p se, l'É v an g ile selon sain t M atthieu (accompagné d 'u n commentaire). - 1 m ention : Pastorale (livre d u prêtre), péni- ten tie l, re c u eil de p ré d ic a tio n s, capitulum (recueil de capitules), le com m entaire de saint A ugustin su r l'Évangile de Jean, u n pontifical, le livre d e Salomon, le livre d e Job, le livre de Jérémie, les sentences d 'Isid ore de Séville, une

expositio su r la Genèse, une expositio su r les

Épîtres, le livre de Samson, u n livre de Dialo­ gues (Grégoire le G rand ?), u n Feriale (?).

U n com m entaire détaillé d u décom pte des livres entraînerait trop loin car il faudrait alors ten ir com pte de la chronologie des in ­ v entaires ainsi que d u reg ro up em en t p lus ou

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moins im portant des catégories de livres dans telle ou telle liste. M ais on rem arque d 'o res et déjà la nette p réd o m in an ce des livres litu rg i­ ques sur tous les autres types. Ce constat me paraît être représentatif d u rôle sacré d u livre liturgique au sein de la société m édiévale. Les liv res d u c u lte , av ec en tê te les m is­ sels/sacram en taires et les Évangiles, contien­ nen t les textes d o n t le caractère sacré est le plus fort aux yeux des hom m es d u M oyen Âge. Ce sont les livres d e la Parole de Dieu, à travers les épisodes de la vie d u Christ, ainsi que ceux qui v ien n en t e n tête dans la hiérar­ chie des o u v rag es d estin és à la célébration l i t u r g i q u e 43. D an s u n c e rta in n o m b re d 'in v en taires, le caractère sacré des livres d'Évangiles ap p araît clairem ent p ar les dési­ g n a tio n s s u iv a n te s : « Textus aureus »u ,

« Evangelium I aureis literis scriptum exteriusque una parte auro gemmisque et eburno paratum, altera parte argento »45. A ussi, n'est-ce certaine­

m ent pas u n hasard, com m e l'a fait rem arquer B. Bischoff, si la m ajeure partie des inventaires des trésors d 'ég lises est transcrite d an s les livres d'Évangiles. En effet, quel au tre livre que le recueil des paroles et gestes d u C hrist avait le pouvoir de conférer à la liste des biens les plus précieux d 'u n lieu son caractère sacré nécessaire à la mise en v aleu r d u patrim oine spirituel de l'Église ?

43 Sur tous ces livres, cf. E. Palazzo, Histoire des livres li­

turgiques. Le Moyen Âge, des origines au XIIIe siècle, Paris, 1993.

44 Voir les nom b reu ses m en tio n s dan s Bischoff, Schat-

zverzeichnisse.

45 Bischoff, Schatzverzeichnisse, n° 23, inventaire d u trésor d u monastère fém in in d'Erstein (A lsace), d e la prem ière m oitié d u Xe siècle (addition au fol. 162v d u ms. W olfenbüttel, H erzog-August-Bibliothek, cod. 2186 ; 16. A u g. fol.).

Les textes relevant de l'adm in istratio n d u tem porel, les chartes, sont recopiés dans un livre, le cartulaire, do n t la fonction com m ém o­ rative est certaine mais qui n 'e st généralem ent pas conservé dans le tréso r46. À leur tour, les inventaires de trésor, garants de la m ém oire spirituelle d 'u n e Église, sont m ajoritairem ent transcrits dans les livres sacrés qui servent à la com m ém oration liturgique, à la rencontre avec le divin dans l'acte rituel d u souvenir.

La con n ex io n e n tre les d e u x types « d 'in v en taires » ou de textes n 'e st d'ailleurs pas rare au M oyen Âge et m e semble être si­ gnificative de l'asso ciatio n , p a r l'écrit, des d eux « m ém oires » constitutives de l'histoire de tel ou tel lieu. Par exem ple, dans le cartu ­ laire de Freising réalisé sous l'év êq u e H itto (811-835)47, le diacre Cozroh a écrit une préface d an s laquelle il explique que le cartulaire qui su it a été en trepris p arm i d 'a u tre s projets à l'initiative de l'évêque dès son arrivée. Parmi ces autres projets, on relève la restauration des

46 À l'excep tion d e qu elq ues cas com m e le cartulaire de Prüm qui doit peut-être à sa reliure d'orfèvrerie d'être conservé dan s le trésor, cf. Steenbock, erp. cit. à la note 6, n° 80, p. 173-174. Le cas d e la « N e w M inster Charter » (Xe et XIIe siècles, Londres, British Lib. C otton m s. V espasian A. VIII), réalisée pou r confir­ mer solennellem ent l'introduction de m oines bénédictins à N e w M inster est particulier dan s la m esure o u il ne s'agit pas à pro­ prem en t parler d 'u n e charte m ais d 'u n texte, transcrit dans un m anuscrit, qui tou ch e directem ent l'h istoire de l'abbaye. À ce titre, il m érite d'être d ép o sé dans le trésor car il devien t u n objet essen tiel pour la memoria du lieu ; sur le m anuscrit, cf. E. Tem ­ ple, Anglo-Saxon Manuscripts. 900-1066, London, 1976, n° 16, fig. 84 reproduisant le folio 2v o ù l'on v o it le roi Edgar offrant le livre a u Christ ; je rem ercie P. S tim em an n et J. V ezin d'avoir attiré m on attention sur ces cas.

47 B ayerisches H auptstaatsarchiv d e M unich, HL Frei­ sin g 3a ; cf. P. Geary, Entre gestion et « Gesta », dans Les cartulai-

res. A ctes de la Table ronde (Paris, 5-7 décembre 1991), étu d es ré­

u n ies par O. Guyotjeannin, L. M orelle et M. Parisse, Mémoires et

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m anuscrits de l'Écriture sainte et la réalisation de m anuscrits liturgiques p o u r la célébration d ans la cathédrale (cantelenis et omnium divina-

rum documentorum officiis) (par la suite conser­

vés dans les trésors ?). Cette double entreprise de restau ratio n de la m ém oire sp iritu elle et d 'en tretien de la m ém oire tem porelle est clai­ rem en t so u h aitée p a r H itto. Il recom m ande que soient m en tio n n é les testimonia de ceux qui avaient enrichi l'Église p o u r la rédem ption de leurs âm es ; et C ozroh d 'ajo u ter à ce p ro ­ pos : « Afin que la m ém oire de ceux qui ont enrichi cette m aison avec leu rs biens et qui l'o n t faite leu r héritière pu isse survivre à ja­ m ais ainsi q ue to u t ce q u 'ils on t transm is et donné p o u r le salu t de leur âm e »48. Le cartu­ laire, avec sa préface, a p o u r fonction de re­ g ro u p e r les biens tem p o rels a v an t H itto et ceux acquis p a r lui, d'enregister la memoria des bienfaiteurs, ainsi que de restaurer et de com ­ pléter les livres liturgiques qui servent aussi à la com m ém oration de la m ém oire des m orts (et p a rm i eux en b o n n e place les b ien fai­ teurs)49.

Dans le m êm e dom aine, les actes tran s­ crits d an s les livres liturgiques sont rares et relèvent de la volonté de conférer une certaine

48 « Ut in perpetuum permaneret eorum memoria qui hanc

domum suis rebus ditaverunt et hereditaverunt, seu quicquid pro remedio animarum suarum ad ipsam domum tradiderunt et condona- verunt », cf. Geary, art. cit. à la note précédente, p. 22.

49 À la fin d u IXe siècle, le cartulaire écrit p ou r Saint- Em m eram de Ratisbonne com m ence au ssi avec une dédicace à l'év ê q u e A m b richo (+ 891). « C om m e à Freising, e lle inscrit l'élab oration du cartu laire dan s le con texte d e l'intérêt de l'évêq u e pou r la préservation des livres et d e la liturgie », Gea­ ry, ibid., p. 23. Sur le style et les fonctions d es préfaces d e cartu­ laire, P. Bourgain et M.-Cl. H ubert, Latin et rhétorique dans les

préfaces de cartulaire, ibid., p. 115-136 ; les auteurs m ettent bien en

évid en ce qu e le th èm e d e la m ém oire d om in e dans les préfaces d e cartulaires jusqu'au m ilieu du XIIe siècle.

sacralité à ces textes adm inistratifs, ou bien d 'u n e sim ple question de m ise en page dans les livres liturgiques p erm ettan t l'ad d itio n de textes d iv ers50. Le lien entre la fonction com­ m ém orative des livres liturgiques et la néces­ sité d 'e n tre te n ir la memoria spirituelle d 'u n e église se tro u v e, d an s certains cas, concrétisé p a r la tran scrip tio n de l'in v en taire d u trésor dans u n livre d u culte exclusivem ent destiné à com m ém o rer les d o n a te u rs d 'u n lieu. Par exem ple, le liv re d u ch ap itre de l'abbaye Sainte-C olom be en B ourgogne (Sens, Biblio­ th èque m u n icip ale, ms. 44, XIIe-XIIF siècle) com prend, a p rès la p artie obituaire (p. 283- 369) d ont la fonction com m ém orative est fon­ dam entale, des additions en tête desquelles on trouve l'inv en taire d u trésor (p. 360-370), sui­ vi, entre autres, des distributions perçues lors de certaines g ran d es fêtes (XIVe s.), d 'u n acte d e Philippe, abbé de Sainte-Colom be au XIVe siècle, d 'u n e liste d e re d e v an c es d ues à l'abbaye (XIIIe s.), d 'u n e au tre liste de dépen­ dances de la pitancerie (XIIIe s.), d 'u n acte de 1290 en faveur d e Sainte-C olom be...51.

C om m e je l'ai déjà dit, nom breux sont les souverains, princes, évêques, abbés...qui o n t fait do n de livres (souvent des livres litur­ giques) à un e Église. Ces offrandes particuliè­ res servaient à la fois la m ém oire collective de l'Église ou d u m o n astère et la m ém oire p e r­ sonnelle des d o n ateu rs52, ou pou v aient encore

50 J.-L. Lem aître, Les actes transcrits dans les livres liturgi­

ques, ibid., p. 59-78.

51 Lem aître, art. cit. à la n ote p récéd en te, p. 74 et du m êm e auteur, Répertoire des docum ents nécrologiques français, Paris, 1980, n° 854, p. 446.

52 Voir les nom breux exem p les réunis par Lesne, Eglises

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