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Violence des femmes : représentation sociale des travailleuses de centres de femmes ayant animé le programme d'intervention "Violente, moi? Explorer, décider, agir autrement"

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Academic year: 2021

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Violence des femmes

Représentation sociale des travailleuses de centres de

femmes ayant animé le programme d’intervention Violente,

moi? Explorer, décider, agir autrement

Mémoire

Kate Pronovost

Maitrise en service social

Maitre en service social (M.Serv.Soc.)

Québec, Canada

© Kate Pronovost, 2016

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Violence des femmes

Représentation sociale des travailleuses de centres de

femmes ayant animé le programme d’intervention Violente,

moi? Explorer, décider, agir autrement

Mémoire

Kate Pronovost

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

Ce mémoire s’intéresse à la représentation sociale de la violence des femmes des travailleuses de centres de femmes ayant animé le programme Violente, moi? Explorer,

décider, agir autrement (Relais-femmes, Damant & Roy, 2015). Soulevant de nombreux

débats au sein de la population et de la communauté scientifique, la violence des femmes demeure une problématique peu reconnue et documentée. À l’aide du cadre théorique des représentations sociales et d’entretiens auprès de douze intervenantes provenant de divers centres de femmes du Québec, ce mémoire a pour but de saisir la manière dont leur représentation sociale façonne les défis qu’elles perçoivent dans l’intervention. L’analyse du contenu de leur représentation, des défis d’intervention perçus et des explications données quant à ces défis suggère que certains éléments de leur représentation ont façonné les défis d’intervention qu’elles ont perçus. Les liens entre leur représentation, leurs perceptions des défis et leurs explications demeurent toutefois complexes, et ce, en raison d’autres facteurs ayant pu influencés leur intervention et des limites méthodologiques de ce mémoire. Les résultats de cette recherche amènent à formuler des recommandations notamment quant à la formation des intervenantes, la sensibilisation des organismes partenaires et l’exploration des pratiques pour favoriser l’engagement des participantes du groupe.

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iv

T

ABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV LISTE DES TABLEAUX ... VI LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ... VII REMERCIEMENTS ... VIII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 :Quelle est la problématique de cette étude? ... 4

1.1 Quel est le problème à l’étude? ... 4

1.1.1 Comment la violence est-elle définie? ... 4

1.1.2 Comment les actes violents sont-ils classifiés? ... 5

1.1.3 Quelle est l’ampleur de la violence des femmes au Canada ? ... 8

1.1.4 Quelles sont les conséquences de la violence des femmes? ... 9

1.2 Quel est l’état des connaissances sur la violence des femmes? ... 10

1.2.1 Quels sont les facteurs de risque de la violence des femmes? ... 11

1.2.2 Quelles sont leurs principales motivations ? ... 14

1.2.3 Quelles sont les pratiques d’intervention auprès de ces femmes ? ... 18

1.3 Pourquoi réaliser cette étude? ... 21

CHAPITRE 2 : Quel est le cadre théorique de cette étude? ... 24

2.1 Qu’est-ce qu’une représentation sociale? ... 24

2.2 Quelles sont les conditions d’élaboration d’une représentation sociale? ... 26

2.3 Comment s’élabore une représentation sociale? ... 28

2.4 Quels sont leur contenu et leur structure ? ... 30

2.5 Quelles sont leurs fonctions ? ... 31

2.6 Comment son contenu peut-il être analysé? ... 32

2.7 Pourquoi utiliser cette théorie comme cadre théorique? ... 36

CHAPITRE 3 : Quelle est la méthodologie de ce mémoire? ... 38

3.1 Quelle est la perspective épistémologique de cette étude? ... 38

3.2 Quels sont l’approche et le type de recherche? ... 38

3.3 Quels sont la population et l’échantillon à l’étude? ... 39

3.4 Quelles sont les stratégies de recrutement? ... 43

3.5 Comment les données sont-elles collectées? ... 43

3.6 Comment les données sont-elles analysées? ... 45

3.7 Quelles sont les considérations éthiques? ... 47

CHAPITRE 4 : Quel est le contenu de la représentation sociale des intervenantes? ... 48

4.1 Quelles sont les informations des animatrices sur la violence des femmes ?... 48

4.1.1 Quelles sont leurs connaissances? ... 48

4.1.1.1 Quelles sont leurs connaissances sur l’existence de la violence des femmes? ... 48

4.1.1.2 Quelles sont leurs connaissances sur les caractéristiques des femmes? ... 49

4.1.1.3 Quelles sont leurs connaissances sur leurs comportements associés? ... 55

4.1.1.4 Quelles sont leurs connaissances sur leurs motifs? ... 57

4.1.1.5 Quelles sont leurs connaissances sur les conséquences de la violence des femmes? 59 4.1.2 D’où proviennent leurs connaissances? ... 62

(5)

v

4.1.2.2 Quelles sont leurs formations ? ... 63

4.1.2.3 Quelles sont leurs perceptions de la violence des hommes? ... 64

4.2 Quels sont les attitudes des animatrices à l’égard des femmes? ... 66

4.2.1 Quelles sont les circonstances qui influencent leurs interventions? ... 66

4.2.2 Quelles sont les émotions ressenties dans l’intervention? ... 67

4.2.3 Quelles réactions devraient-elles avoir auprès des femmes?... 71

4.3 Quelles sont les principaux éléments du contenu de leur représentation sociale? ... 75

CHAPITRE 5 :Quels sont les défis rencontrés par les animatrices du programme dans leurs interventions? ... 76

5.1. Quels sont les défis d’intervention liés aux participantes du groupe? ... 76

5.1.1 Quels sont les défis liés à l’engagement des participantes? ... 76

5.1.2 Quels sont les défis liés à la cohésion du groupe? ... 78

5.2 Quels sont les défis d’intervention liés au programme? ... 80

5.2.1 Quels sont les défis liés au contenu du programme? ... 81

5.2.2 Quels sont les défis liés aux caractéristiques du groupe? ... 83

5.3 Quels sont les défis d’intervention liés aux animatrices? ... 84

5.3.1 Quels sont les défis d’intervention liés à l’alliance thérapeutique?... 84

5.3.2 Quels sont les défis d’intervention liés à la coanimation? ... 86

5.3.3 Quels sont les défis d’intervention liés au partenariat? ... 88

5.4 Quels sont les principaux des défis qu’elles perçoivent dans leur intervention? ... 89

CHAPITRE 6 :Comment les résultats peuvent-ils être interprétés? ... 90

6.1 Comment leur représentation sociale façonne-elle les défis perçus? ... 90

6.1.1 Comment les défis perçus sont-ils expliqués par leur représentation ? ... 91

6.2 Est-ce que leur représentation sociale répond aux conditions d’élaboration? ... 98

6.3 Quelles sont les limites méthodologiques de ce mémoire? ... 101

6.4 Quelles sont les pistes d’intervention et de recherche de ce mémoire? ... 103

CONCLUSION ... 105

BIBLIOGRAPHIE ... 108

ANNEXE A : Formulaire de consentement à participer à la recherche (intervenantes) ... 116

ANNEXE B : Schéma d’entrevue post-programme des intervenantes ... 118

ANNEXE C : Informations que disposent les animatrices sur la violence des femmes ... 122

ANNEXE D : Attitude des animatrices à l’égard des femmes ... 123

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vi

L

ISTE DES TABLEAUX

TABLEAU 1: Les types d’actes violents ... 7 TABLEAU 2: Indicateurs des représentations sociales de la violence psychologique selon les trois

constituants d’une représentation sociale (Ouellet, Lindsay, Clément et Beaudoin, 1996: p. 38) .... 33

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L

ISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

CH Centre hospitalier

CLSC Centre local de services communautaires

CRI-VIFF Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes

CTS Conflict Tactics Scale

DPJ Direction de la protection de la jeunesse ÉSPT État de stress post-traumatique

MSP Ministère de la Sécurité publique OMS Organisation mondiale de la Santé

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REMERCIEMENTS

Quelqu’un m’a dit un jour que la réalisation d’un mémoire, c’était un long jeu de serpents et échelles. Quelques fois, tu tombes sur la bonne case : tu grimpes les échelons à pas de géants. D’autres fois, tu pognes un serpent et là, tu descends. Cette personne disait juste. Ce mémoire fut une longue partie. À plusieurs reprises, j’ai remis en doute ma capacité à jouer à ce jeu-là. J’ai aussi été agréablement surprise de mes bons coups. Une chose est sûre, je n’aurais pas pu le compléter sans l’aide de certaines personnes.

Merci à l’équipe de recherche Évaluation participative du programme Violente, moi?

Explorer, décider, agir autrement qui m’a accueillie à bras ouverts et qui ont facilité la

réalisation de mon mémoire à bien des égards. Je remercie les participantes de cette étude, travailleuses des centres de femmes, pour leur générosité, leur authenticité et leur dévouement.

Merci aux professeurs que j’ai côtoyés dans mes cours à la maitrise. Vous avez allumé en moi une passion profonde pour le travail social. Un d’entre eux a davantage été marquant dans mon parcours académique, soit ma directrice de mémoire Valérie Roy. Je te remercie Valérie pour ta rigueur, ton ouverture, ta souplesse et ton empathie. Bien des choses se sont passées pendant ces années et j’ai pu compter sur ta compréhension, à chaque fois.

Merci à ma famille et mes amies pour leurs précieux conseils et leur soutien inébranlable. Un merci particulier à mes deux hommes, Eric et Caleb. J’ai l’impression que ces mots ne sont pas suffisants pour exprimer toute la reconnaissance et la gratitude que j’ai pour vous. Merci Eric pour ton amour. Nous avons partagé le pire comme le meilleur dans la dernière année. Ta présence, ton écoute et tes encouragements ont fait la différence. Merci Caleb pour tes gazouillis, tes sourires et tes regards complices. Du haut de tes 6 mois, tu as accepté de partager tes courts après-midis avec mes longues séances de rédaction finale. Merci pour tout, je vous aime.

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1

INTRODUCTION

Depuis le milieu des années 1970, la violence des femmes soulève plusieurs réactions, autant dans la communauté scientifique que dans le grand public. Les résultats controversés du National Family Violence Survey de Straus, Gelles & Steinmetz (1980) ont donné naissance à un des plus importants débats, soit la symétrie de la violence conjugale. La méta-analyse d’Archer (2000) et la recension de Fiebert (2012) ont exploré plus de 250 études qui proposent une lecture systémique de ce problème, où la violence est conçue généralement comme des conflits conjugaux. La violence des femmes est donc considérée comparable à celle des hommes : les gestes violents commis, leurs motifs à exercer de la violence et les conséquences de leurs actes sont similaires (Dutton, 2006; 2007; Ehrensaft, Moffitt & Caspi, 2004). Cette analyse systémique de la violence a alors un impact sur les pratiques d’intervention, soit de préconiser des modèles de pratiques inclusifs indépendants du genre des participants, dans lesquelles les programmes d’intervention offerts aux femmes et les hommes sont semblables (Carney, Buttell & Dutton, 2007; Corvo, Dutton, & Chen, 2008).

Cette lecture systémique a été critiquée par des auteurs adoptant plutôt une vision féministe de la violence des femmes. Ils soulignent que l’utilisation du Conflict Tactics Scale (CTS) dans les études populationnelles influencerait à la hausse les taux de perpétration de la violence conjugale chez les femmes (Jasinski, Blumenstein & Morgan, 2014). En s’appuyant sur des échantillons cliniques et des données policières, ils reconnaissent la violence des femmes et soutiennent qu’elle s’inscrit dans un rapport asymétrique, tout en étant différente de celle des hommes en ce qui a trait au contexte, aux motifs et aux conséquences (Dobash & Dobash 2004; Frieze, 2005; Johnson, 2011; Kimmel, 2002; Swan & Snow, 2006). Les pratiques d’intervention doivent donc tenir compte des besoins spécifiques des femmes, sur les plans individuel et structurel (Banwell, 2010). Certains chercheurs soulignent d’ailleurs la diminution des comportements violents des femmes ayant participé à des programmes d’intervention de groupe adaptés à leurs particularités personnelles et sociales (Koonin, Cabarcas, & Geffner, 2001; Leisring, Dowd, & Rosenbaum, 2003).

(10)

2

C’est dans cette perspective féministe que le programme québécois d’intervention Violente,

moi? Explorer, décider, agir autrement. Un programme adapté pour mieux intervenir auprès des femmes qui exercent de la violence1 a été développé, en partenariat avec les

centres de femmes (Relais-femmes, Damant et Roy, 2015). Ce programme fait présentement l’objet d’une recherche évaluative dans laquelle s’inscrit ce mémoire. Malgré le fait que ces milieux de pratique adhèrent à une interprétation féministe de la violence exercée par les femmes, les animatrices de ce programme, actrices au cœur de ces débats et des pratiques, peuvent avoir leur propre lecture de la problématique. Il devient alors intéressant d’explorer leur représentation sociale de la violence des femmes et leur expérience d’intervention auprès de ces femmes. Ce mémoire s’intéresse donc à la question suivante : Comment la représentation sociale de la violence des femmes des

animatrices du programme façonne-t-elle les défis qu’elles perçoivent dans l’intervention? Deux objectifs spécifiques sont alors visés :

1) Quel est le contenu de la représentation sociale de la violence des femmes des animatrices du programme?

2) Quels sont les défis qu’elles perçoivent dans l’intervention auprès des femmes du groupe?

Six chapitres composent ce mémoire. Le premier présente la problématique à l’étude par une recension d’écrits scientifiques sur la violence des femmes, tandis que le deuxième expose les principaux concepts de la théorie des représentations sociales, cadre théorique utilisé dans ce projet de recherche. La méthodologie qui a été utilisée pour répondre aux questions de recherche est décrite dans le troisième chapitre. Il est alors question du paradigme épistémologique, du type de recherche, de l’échantillon à l’étude, des stratégies de collecte et d’analyse de données et des considérations éthiques. Les quatrième et cinquième chapitres présentent les résultats des deux questions spécifiques de recherche, soit le contenu de la représentation sociale de la violence des femmes des travailleuses et leurs défis d’intervention auprès de ces femmes. Le dernier chapitre discute des principaux résultats: une réponse est apportée à la question générale de recherche et des liens sont faits avec l’état des

1 Pour alléger le texte, le programme est désigné Violente, moi? Explorer, décider, agir autrement dans le mémoire.

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3

connaissances et le cadre théorique. Les limites méthodologiques de cette étude sont également explorées. Finalement, la conclusion identifie des retombées du projet sur l’intervention auprès des femmes qui ont des comportements violents et sur le plan de recherche futures.

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4

CHAPITRE

1

Q

UELLE EST LA PROBLÉMATIQUE DE CETTE ÉTUDE

?

Ce premier chapitre présente le problème de la violence exercée par les femmes. Dans un premier temps, l’objet d’étude est exposé : une définition de la violence est proposée, suivie de la présentation d’une classification des actes violents et de l’ampleur de la violence des femmes. Puis, la recension des écrits scientifiques est présentée sous trois thèmes distincts : 1) les facteurs de risque et 2) les motifs de leur violence, ainsi que 3) les pratiques d’intervention auprès de ces femmes. Finalement, la pertinence scientifique et sociale de cette recherche sera démontrée.

1.1QUEL EST LE PROBLÈME À L’ÉTUDE?

Dans le but de faciliter la compréhension de la problématique, une définition de la violence et une classification des actes violents sont proposées et un aperçu de l’ampleur du problème et de ses conséquences est donné.

1.1.1COMMENT LA VIOLENCE EST-ELLE DÉFINIE?

Constituant un problème de première importance, la violence est au cœur des préoccupations de différents acteurs des milieux gouvernementaux, institutionnels et communautaires. Les conséquences couteuses de ce problème aux plans humain, social et économique, ainsi que sa forte prévalence au sein de la population expliquent particulièrement cette inquiétude. L’Assemblée mondiale de la Santé a d’ailleurs adopté, à Genève en 1996, une résolution stipulant que la violence constituait l’un des principaux problèmes mondiaux de santé publique (Organisation mondiale de la Santé, OMS, 2002).

Plusieurs définitions sont proposées et cette pluralité témoigne de la divergence des lectures possibles de ce problème. Le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF) propose cette définition de la violence:

Un exercice abusif de pouvoir par lequel un individu en position de force cherche à contrôler une autre personne en utilisant des moyens de différents

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5

ordres afin de la maintenir dans un état d'infériorité ou de l'obliger à adopter des comportements conformes à ses propres désirs (CRI-VIFF, 2016).

L’OMS (2002) offre une définition plus large qui tient compte des violences interpersonnelles, des comportements suicidaires et des conflits armés. Elle inclut aussi les différentes conséquences possibles de la violence :

La menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraine ou risque fortement d’entrainer un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement (sic) ou des privations (Krug

et al., 2002, dans OMS, 2002, p. 5).

Bien que ces deux définitions ne mettent pas l’accent sur les mêmes éléments, le concept de domination demeure au cœur de ces propositions. Dans le cadre de ce projet de recherche, la violence est donc définie à l’aide de la notion de domination et de l’objectif de contrôle visé par l’individu en position de force et sa définition comprend ses conséquences possibles.

1.1.2COMMENT LES ACTES VIOLENTS SONT-ILS CLASSIFIÉS?

Face à la diversité et à la complexité de ces définitions, l’OMS (2002) tente de classifier les différentes formes de violence dans le but de créer une typologie permettant d’avoir une vision globale de ce phénomène. Dès lors, les actes violents sont classés en trois grandes catégories : 1) violence dirigée vers soi-même; 2) violence interpersonnelle (par une personne ou par un groupe d’individus); 3) violence collective (par un groupe reconnu collectivement) (Tableau 1). Pour chaque catégorie, la nature des actes violents peut être physique, sexuelle, psychologique ou de privation/négligence (OMS, 2002).

La violence auto-infligée regroupe les comportements suicidaires et les sévices commis à soi-même, alors que la violence collective est commise par des gens appartenant à des groupes, et ce, afin de parvenir à des objectifs sociaux, politiques et économiques. Pour sa part, la violence interpersonnelle regroupe la violence intrafamiliale et la violence

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communautaire. La violence intrafamiliale comprend les actes violents commis essentiellement envers les membres d’une même famille et les proches. Elle inclut donc la maltraitance des enfants, la violence infligée par un partenaire amoureux et la négligence à l’égard des personnes âgées. La violence communautaire tient compte quant à elle des gestes violents qui se commettent entre des individus n’ayant pas de liens de parenté ou entre des personnes qui ne se connaissent pas (OMS, 2002). Cette violence peut se traduire, par exemple, par des agressions sexuelles par des inconnus et par des actes violents commis dans des milieux institutionnels (école, milieu de travail, établissement de soins, etc.) (OMS, 2002).

Ce mémoire s’intéresse plus particulièrement à la violence interpersonnelle exercée par les femmes. Les études recensées portent principalement sur les comportements violents commis à l’égard des membres de leur famille (partenaire2, enfants et parents) et leurs proches (amis et connaissances).

2 Le terme partenaire, employé dans cette étude, fait d’ailleurs référence à toutes relations possibles entre les femmes et leur partenaire amoureux, homme ou femme (union libre, conjoint de fait, union civile, mariage, etc.).

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TABLEAU 1:LES TYPES D’ACTES VIOLENTS

Adaptée de l’OMS, 2002

Violence

Auto-infligée

Comportements

suicidiaires Sévices auto-infligés Interpersonnelle Famille/partenaire Enfant Partenaire Personne âgée Communautaire Connaissance Étranger Collective

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1.1.3QUELLE EST L’AMPLEUR DE LA VIOLENCE DES FEMMES AU CANADA ?

Les connaissances à l’égard de la violence des femmes au Canada proviennent majoritairement de données des services policiers, judiciaires et correctionnels (Statistique Canada, 2011). Dans son article Les femmes et le système de justice pénale, Statistique Canada (2011) dénombre 233 000 auteures présumées et 776 000 auteurs présumés d’infractions au Code criminel au Canada en 2009. Plus du quart (28%) du nombre total d’auteurs présumés de moins de 18 ans était des adolescentes et plus du cinquième (22%) était des femmes d’âge adulte (Statistique Canada, 2011). Plus récemment, en 2014, 13% des auteurs présumés étaient des femmes et le taux de perpétration était plus élevé chez les 18 à 24 ans, ce qui correspond à la tendance canadienne observée au cours des 10 dernières années (Statistique Canada, 2015). Les infractions des femmes et des adolescentes rapportées sont les vols de moins de 5 000 $, les voies de fait de niveau 13 et les infractions contre l’administration de la justice (Statistique Canada, 2011). Les principales victimes des crimes violents commis par les femmes en 2009 étaient le conjoint ou un autre partenaire intime (46%), une connaissance (29%), un étranger (14%) et un autre membre de la famille (12%) (Statistique Canada, 2011). Ce constat diffère considérablement du profil des hommes contrevenants qui commettent surtout des infractions violentes envers des connaissances (Statistique Canada, 2011). Fait à noter, les auteures présumées d’un homicide ayant une identité autochtone sont 23 fois plus nombreuses que les femmes non-autochtones (Statistique Canada, 2015).

Entre 1979 et 1997, les taux de crimes violents commis par des auteures présumées ont presque triplé et ils ont continué de croitre jusqu’en 2001 (Statistique Canada, 2011). Cette hausse des taux d’infractions de violence chez les femmes est surtout attribuable à une augmentation d’inculpations relatives aux voies de fait de niveau 1 (Statistique Canada, 2011). Alors qu’une baisse du taux d’hommes inculpés de voies de faits de niveau 1 est notée depuis le début des années 1990, celui des femmes a plus que doublé (Statistique Canada, 2011). L’écart entre le nombre de femmes et d’hommes inculpés de crimes se

3 Les voies de fait de niveau 1, ou voies de fait simples, constituent la forme la moins grave de voies de fait et consistent à pousser quelqu’un, à le gifler, à lui donner un coup de poing ou à lui proférer des menaces verbales en personne (Statistique Canada, 2011).

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rétrécit alors d’année en année (Kong & Aucoin, 2008, cités par Statistique Canada, 2011, p.26). Il faut néanmoins être prudent dans l’interprétation de ces données. Elles ne permettent pas de déterminer si la hausse du taux de crimes violents commis par les femmes et déclarés par la police est attribuable à une augmentation réelle de la violence des femmes ou un changement dans les pratiques d’application des lois (Statistique Canada, 2011).

Au Québec, bien que le Ministère de la Sécurité publique (MSP, 2013) offre plusieurs données sur les tendances de la criminalité, peu d’informations sont disponibles sur la violence des femmes. De façon plus spécifique à la violence familiale et entre partenaires, le MSP (2013) rapporte que 15 790 femmes et 3 941 hommes ont été la cible d’actes de violence conjugale en 2012 au Québec. Une augmentation de plus de 6 % de victimes masculines est notée en 2012 comparativement à l’année précédente (MSP, 2013). Les analyses réalisées ne permettent toutefois pas de déterminer si les auteurs présumés de ces victimes masculines sont des hommes ou des femmes (MSP, 2013). Le MSP (2013) souligne que, depuis les dix dernières années, le taux de perpétration de crimes conjugaux exercés par les femmes par 100 000 habitants a augmenté de 34 % comparativement à une diminution de 6 % chez les hommes. Plus particulièrement, les auteurs féminins âgés de moins de 30 ans se démarquent : des augmentations de 62 %, chez les 25 à 29 ans, et de 123 %, chez les 12 à 17 ans, sont observées (MSP, 2013). En plus de ces victimes directes, les infractions commises par des femmes dans un contexte conjugal ont eu également des répercussions sur plus de 700 jeunes âgés de moins de 18 ans et plus de 1 200 personnes âgées de 18 ans et plus (MSP, 2013).

1.1.4QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA VIOLENCE DES FEMMES?

Selon Leisring, Down & Rosenbaum (2008), les écrits scientifiques soulignent moins les conséquences de la violence exercée par les femmes que celles de la violence des hommes. En contexte conjugal, les principales répercussions de leurs comportements violents touchent surtout leurs enfants et elles-mêmes. Puisque les femmes ont souvent recours aux gestes violents pour se défendre (Dasgupta, 2001; Friese, 2005; Saunders, 2002), leur

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vulnérabilité serait plus grande quant aux agressions possibles de leur partenaire (Bachman & Carmody, 1994). Certaines études ont même démontré que les taux de blessures physiques graves et de décès étaient chez les femmes plus élevés lorsqu’elles exercent de la violence (Archer, 2000; Cooper & Smith, 2011; Saunders, 2002).

Malgré les limites des données disponibles, celles recensées suggèrent une augmentation des taux de crimes violents chez les femmes au cours des dernières années au Canada et au Québec. En plus de l’attention sociale croissante envers les femmes qui exercent de la violence, il est possible de croire que les professionnels auront à rencontrer de plus en plus ces femmes dans leur milieu de pratique. L’exploration des informations sur la violence des femmes et sur les pratiques d’intervention auprès de ces femmes est alors essentielle pour ces intervenants. La prochaine section fera un état des connaissances sur cette problématique.

1.2QUEL EST L’ÉTAT DES CONNAISSANCES SUR LA VIOLENCE DES FEMMES?

Afin de guider la recension des écrits scientifiques, deux questions ont été posées : Quelles connaissances sur la violence des femmes sont à la disposition des travailleuses qui interviennent auprès des femmes qui ont des comportements violents? Quelles sont les pratiques d’intervention développées auprès de ces femmes? Cette démarche documentaire a été réalisée grâce aux banques de données de Criminal Justice Abstracts, PsycInfo, Social

Services Abstracts et Social Work Abstracts (Ovid). Elles ont été consultées à l’aide des mots-clés suivants : Characteristic, Consequence, Intervention, Life experiences,

Motivation, Female offenders, Practice, Prevention, Risk factors, Treatment et Violence.

Bien que plusieurs études recensées aient pour sujet la criminalité des femmes (ex : les indicateurs de crimes violents de Baskin-Sommers, Baskin, Sommers & Newman, 2013), seules celles qui s’intéressent aux femmes exerçant de la violence interpersonnelle ont été retenues (violence conjugale, les homicides et les infanticides). Par contre, les études portant sur un profil précis de femmes exerçant de la violence (ex : les jeunes mères monoparentales ayant un faible revenu de Huang, Son & Wang, 2010) et ayant un

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échantillonnage mixte où les hommes et les femmes n’étaient pas différenciés (ex : les facteurs de risque de la violence conjugale de Capaldi, Knoble, Shortt & Kim, 2012)n’ont pas été recensées. Trois thèmes ont alors émergé de la recherche documentaire : 1) les facteurs de risque et 2) les motifs de leur violence ainsi que 3) les pratiques d’intervention auprès des femmes.

1.2.1QUELS SONT LES FACTEURS DE RISQUE DE LA VIOLENCE DES FEMMES?

Les écrits recensés ont permis d’identifier trois principaux facteurs de risque de l’utilisation de la violence chez les femmes, soit les troubles de santé mentale, les troubles de dépendances et l’historique de victimisation des femmes.

Malgré que plusieurs études considèrent davantage les troubles de santé mentale comme des conséquences de la violence conjugale dont sont victimes les femmes, certains démontrent toutefois qu’ils peuvent être un facteur de risque de la violence exercée par les femmes. En ce sens, Flynn, Abel, While, Mehta & Shaw (2011) mentionnent que plus de 20% des femmes ayant commis un homicide souffraient d’un trouble de santé mentale lors de l’agression. Plus particulièrement, les troubles de santé mentale des femmes se traduisent par un état de stress post-traumatique (ÉSPT), des troubles d’autorégulation et de personnalité.

L’étude de Gold et al. (2007) suggère une relation significative entre la sévérité de l’ÉSPT et la violence psychologique exercée par des femmes vétérans de la guerre du Vietnam, infirmières pour la plupart ayant été exposées à divers types de traumas. L’étude de Goldenson, Greffner, Foster & Clipson (2007), regroupant 33 femmes ayant reçu un mandat de traitement pour des agressions physiques envers leur partenaire, souligne entre autres qu’elles ont plus de symptômes traumatiques qu’un groupe témoin de 32 femmes non-violentes (59% vs 51%). Les auteurs demeurent toutefois prudents dans la généralisation des résultats, et ce, particulièrement en raison de la possibilité de désirabilité sociale (données auto-rapportées) ainsi que la faible taille de l’échantillon et constitué uniquement de femmes hétérosexuelles (Goldenson et al., 2007).

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L’utilisation de la violence est également associée à certaines difficultés d’autorégulation des femmes, soit leur gestion des émotions (Price, Bell, Lilly, 2014; Swan, Gambone, Fields, Sullivan & Snow, 2005) et leur mécanisme de coping (Murdoch, Vess & Ward, 2010; Swan & Snow, 2003). Plusieurs études démontrent que la gestion des émotions est directement liée à l’ÉSPT des femmes et qu’une gestion inadéquate les amèneraient avoir recours à la violence conjugale (Price et al., 2014; Swan et al., 2005; Thornton, Graham-Kevan & Archer, 2016). Cette corrélation est d’ailleurs explorée dans l’étude de Swan et al. (2005) sur le rôle de la colère et de la victimisation de 108 femmes américaines ayant commis des agressions physiques dans leur relation conjugale hétérosexuelle : celles (40%) présentant un ÉSPT sont plus susceptibles d’extérioriser leur colère, ce qui prédirait, à son tour, l’utilisation de cette violence. À nouveau, la taille de l’échantillon et la présence possible de désirabilité sociale (données auto-rapportées) peuvent limiter ainsi la généralisation des conclusions de cette étude. Quelques recherches se sont aussi intéressées aux mécanismes de coping des femmes ayant recours à la violence. Ils peuvent être regroupés en trois catégories, soit l’évitement, la résolution de problème et la recherche de soutien (Amirkhan, 1990, cité dans Swan & Snow, 2006, p. 9). La résolution de problème et la recherche de soutien sont corrélées négativement avec la violence des femmes : plus les femmes emploient des stratégies de résolution adéquates et qu’elles vont chercher de l’aide, moindre sera leur violence (Swan, 1999). Par contre, l’évitement est considéré comme un indicateur élevé de l’utilisation de leurs comportements violents (Swan, 1999).

Les écrits recensés suggèrent aussi que les troubles de personnalités chez les femmes les rendaient plus à risque d’exercer de la violence conjugale. En plus d’examiner l’impact des symptômes traumatismes sur la violence des femmes, la recherche de Goldenson et al. (2007) rapporte que des traits de personnalité antisociale (67% vs 45%), limite (63% vs 40%) et dépendante (58% vs 444%) sont plus présents dans l’échantillon à l’étude que dans le groupe-témoin. Des études sur les homicides perpétrées par les femmes observent que plusieurs ont également reçu un diagnostic de trouble de personnalité (Ehrensaft, Cohen & Johnson, 2006; Flynn et al., 2011; Goldenson et al., 2007). À titre d’exemple, les résultats

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de Flynn et al. (2011), portant sur les caractéristiques sociales, criminelles et cliniques de plus de 4 500 anglais ayant commis un homicide, concluent que les femmes présentent davantage un trouble de la personnalité que les hommes (11% vs 6%).

La consommation d’alcool et de drogue est aussi un facteur de risque de la violence exercée par les femmes. Selon Murdoch et al. (2010), les femmes exerçant de la violence auraient été exposées à la consommation d’alcool et de drogues pendant leur enfance et auraient un historique d’abus de substances à l’adolescence. L’abus de substance à l’âge adulte est également considéré comme un des facteurs importants qui contribuent aux comportements violents des femmes (Gabora, Stewart & Allegri, 2007; Kruttschnitt, Gartner & Ferraro, 2002). En ce sens, la recherche de Gabora et al. (2007) a exploré le profil de 58 femmes incarcérées pour des infractions relatives à la violence conjugale et a conclu que 89% d’entre elles avaient un trouble de dépendance. Il faut encore une fois être prudent dans la généralisation des résultats, car cette étude utilise des données auto-rapportées (désirabilité sociale) et un échantillon de femmes incarcérées pour des infractions relatives à la violence conjugale, ce qui n’est pas représentatif de la diversité des contextes dans lesquels les femmes peuvent exercer de la violence.

L’historique de victimisation des femmes durant leur enfance est un autre facteur qui favoriserait le développement de leur trajectoire violente à l’âge adulte (Graham-Kevan, 2009; Murdoch et al., 2010). Ces expériences de victimisation sont caractérisées par un dysfonctionnement familial et des abus psychologiques, physiques et sexuels (Murdoch et

al., 2010). Par ailleurs, l’environnement familial dysfonctionnel, soit la négligence,

l’incompétence parentale ainsi que les conflits relationnels, rendrait les femmes plus susceptibles de subir des agressions physiques et sexuelles pendant leur enfance (Murdoch

et al., 2010). En plus d’être un indicateur de la victimisation de ces femmes dans leurs

relations amoureuses à l’âge adulte, ces traumatismes infantiles prédisent également leur utilisation de la violence en contexte conjugal.

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L’historique de victimisation des femmes dans leurs relations intimes antérieures et actuelles est également considéré comme un facteur risque de leurs comportements violents. Elles seraient davantage victimes que les hommes de violence physique sévère dans leurs relations amoureuses, soit des abus sexuels, des blessures physiques graves et de contrôle coercitif (ex. : contrôle économique et des activités) (Swan & Snow, 2002). La sévérité de ces gestes inciterait les femmes à utiliser la violence pour se défendre ou pour mettre fin à la situation de violence (Murdoch et al., 2010). À titre d’exemple, l’analyse de neuf homicides commis en Suède par des femmes de 2007 à 2009 rapporte que ces femmes étaient plus à risque d’avoir subi de la violence physique de la part de la victime (partenaire amoureux) (Caman, Howner, Kristiansson & Sturup, 2006). Finalement, il est aussi possible d’inclure dans l’historique de victimisation leurs conditions de vie difficiles, c’est-à-dire leur faible revenu, leur précarité ou absence d’emploi et leur faible niveau de scolarisation (Barnish, 2004; Murdoch et al., 2010).

1.2.2QUELLES SONT LEURS PRINCIPALES MOTIVATIONS ?

Les études recensées sur les motivations des femmes à avoir des comportements violents portent majoritairement sur la violence exercée en contexte conjugal et leurs résultats varient selon la perspective théorique des auteurs.

Une lecture systémique de la violence conjugale considère que les motivations des femmes à exercer de la violence sont similaires à celles des hommes, soit la coercition, la colère et jalousie (Straus, 2010). À titre d’exemple, les résultats de l’étude Felson & Outlaw (2007), examinant le rôle des motifs de contrôle dans la relation conjugale de 10 000 partenaires, concluent qu’il n’y a pas de différence de genre dans les motivations de contrôle et de jalousie. Les femmes seraient alors aussi contrôlantes et jalouses que leur conjoint, mais utiliseraient des formes de violence différentes pour les contrôler et exprimer leur jalousie (Felson & Outlaw, 2007).

Des auteurs féministes affirment plutôt que la violence exercée par les femmes n’est pas équivalente à celle hommes (Dobash & Dobash 2004; Frieze, 2005; Johnson, 2011;

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Kimmel, 2002; Swan & Snow, 2006). Bien que ces auteurs reconnaissent que les femmes peuvent avoir des motivations similaires aux hommes, ils précisent que leur capacité à exercer de la coercition serait moindre, et ce, parce qu’elles n’inspireraient pas autant la peur que les hommes (Das Dasgupta, 1999; Hamberger & Guse, 2002). Par conséquent, plusieurs recherches rapportent que les femmes exerceraient moins de violence pour contrôler leur partenaire, mais davantage pour se défendre et se protéger (Swan & Snow, 2006). En ce sens, l’étude de Swan & Snow (2003), qui analyse les motivations des femmes à utiliser la violence conjugale, rapporte que 75% des participantes ont affirmé avoir eu des comportements violents pour se défendre, ce qui en fait le motif le plus fréquent.

Johnson (1995, 2008) a tenté de concilier ces théories en proposant une typologie des formes de violence où les motivations des auteurs varient. Le désir de contrôle sur le partenaire est le motif principal dans les relations de terrorisme intime (majoritairement exercé par les hommes) et de violence mutuelle (utilisée tant par les hommes que les femmes). La résistance violente ayant pour motivation l’auto-défense est principalement associée aux femmes, tandis que la violence situationnelle, exercée par les deux partenaires, a pour objectif la résolution d’un conflit (Johnson, 2008).

Bair-Merritt et al. (2010) soutiennent toutefois que ces théories ont tendance à singulariser les motivations des femmes qui sont complexes et multiples. Ils affirment que l’absence d’une compréhension unifiée des motifs des femmes exerçant de la violence conjugale affecte la capacité de leur concevoir des programmes de dépistage et d’intervention efficaces. Bair-Merritt et al. (2010) ont d’ailleurs analysé 23 études sur les motifs de la violence exercée par les femmes dans leur relation conjugale hétérosexuelle et ont dégagé cinq grandes catégories, présentées selon leur fréquence rapportée: 1) l’auto-défense; 2) la colère; 3) la vengeance; 4) le contrôle coercitif; 5) le désir d’attention (Bair-Merritt et al., 2010).

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L’auto-défense a été nommée dans presque tous les articles recensés, à l’exception de trois qui ont administré un questionnaire qui n’abordait pas cette motivation (Bair-Merritt et al., 2010). Quatre études l’ont d’ailleurs rapporté comme motif principal (Hamberger, 1997; Henning, Jones & Holdford, 2005; Saunders, 2002; Swan & Snow, 2003). La définition de l’auto-défense variait toutefois d’une étude à l’autre. La plupart des femmes disent avoir recours à la violence pour éviter d’être blessées physiquement ou psychologiquement (protection), tandis que d’autres l’utilisent après avoir été blessées (réplique) (Bair-Merritt

et al., 2010). Enfin, certaines racontent avoir initié la violence conjugale par crainte d’un

danger imminent (anticipation). En ce sens, une étude récente de Whitaker (2014), explorant les raisons incitant plus de 5000 partenaires masculins et féminins âgés de 18 à 25 ans à exercer de la violence conjugale, apporte une nuance quant à ce motif : elle souligne que la protection et la fuite sont deux motivations associées à l’auto-défense. Dès lors, les résultats concluent que près de 6% des femmes ont exercé de la violence pour se défendre (It was self-defense), tandis qu’environ 14% l’ont utilisée pour fuir leur partenaire (To escape my partner) (Whitaker, 2014). La généralisation de ces résultats doit toutefois être faite avec prudence : cette étude comprend des données auto-rapportées (désirabilité sociale) par les répondants qui devaient faire un choix parmi des affirmations prédéterminées (motifs imposés).

La colère a été relevée dans 16 études, dont deux la rapporte comme motivation première (Bair-Merritt et al., 2010). Bien que le terme colère n’ait pas été directement utilisé dans son étude, Whitaker (2014) rapporte que près de 75% des 3699 femmes de l’échantillon disent avoir perdu leur calme (I lost my temper) pour expliquer leur comportement violent. La vengeance a été relevée dans 15 études, dont une la nomme comme premier motif (Bair-Merritt et al., 2010). Ces femmes auraient alors des comportements violents à l’égard de leur partenaire dans le but de se venger d’abus physiques et psychologiques que ce dernier leur a infligés (Bair-Merritt et al., 2010). Whitaker (2014) aborde également le motif de la vengeance et l’explique par le désir de punir son partenaire (To punish my partner) (19%), de se venger d’abus verbal (To get back at my partner for verbal abuse) (20,5%) et d’abus physique (2,7%) (To get back at my partner for physical abuse).

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Malgré que trois études n’aient pas abordé ce motif dans leur questionnaire, le contrôle coercitif a été ciblé dans 14 articles (Bair-Merritt et al., 2010). Aucune n’a toutefois démontré que le contrôle coercitif était la motivation première des femmes. Son absence dans certaines études et comme motif principal peut d’ailleurs être expliquée par l’interprétation féministe qu’ont les auteurs de la violence des femmes. Dans cette optique, Hamberger (1997) émet un doute quant aux raisons réelles des comportements de contrôle des femmes sur leur partenaire. Il souligne qu’elles peuvent exercer du contrôle dans le but d’assurer leur propre sécurité (protection). Les résultats de la récente étude de Whitaker (2014) nuancent toutefois cette interprétation féministe, puisqu’ils démontrent que près de 30 % des femmes affirment exercer de la violence pour avoir le contrôle sur leur partenaire. Parmi ces femmes, près de 23% disent être violentes dans le but de lui faire faire ce qu’elles veulent (To make my partner do what I wanted) et près de 7% mentionnent vouloir lui montrer qui dirige (To show who is boss) (Whitaker, 2014). Dix études suggèrent que les femmes auraient exercé de la violence conjugale pour attirer l’attention de leur partenaire, dont deux qui identifiaient ce motif comme le principal (Bair-Merritt et al., 2010). Whitaker (2014) a également démontré dans sa récente étude que près de 66% des femmes avaient utilisé des actes violents envers leur partenaire afin de se faire entendre (To make

my partner listen), ce qui fait de ce motif le deuxième plus fréquent après la colère.

Bair-Meritt et al. (2010) soutiennent finalement que huit articles classifient les motivations des femmes selon la sévérité des actes commis, la nature de la relation avec leur partenaire ainsi que leurs caractéristiques personnelles. Par exemple, les études de Cascardi & Vivian (1995), O’Leary & Slep (2006) et Swan & Snow (2003) démontrent que les femmes utilisent davantage la violence en réponse ou en défense d’une agression physique (auto-défense) si les actes posés à leur égard sont sévères. Il est aussi noté que les femmes commettant des actes violents sévères sont plus portées à rapporter plusieurs motifs pour expliquer leur violence (Weston, Marshall & Coker, 2007). Somme toute, bien que les auteurs ne s’entendent pas sur les motivations principales des femmes, Bair-Merritt et al. (2010) soulignent que de comprendre ces motivations permet de développer des programmes de prévention et d’intervention qui sont plus efficaces. La recension a d’ailleurs permis d’identifier quelques pratiques d’intervention auprès de ces femmes.

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1.2.3QUELLES SONT LES PRATIQUES D’INTERVENTION AUPRÈS DE CES FEMMES ?

Le débat sur les différentes manières d’interpréter la violence conjugale a des répercussions sur les pratiques d’intervention auprès des personnes qui exercent de la violence. D’une part, une analyse systémique, présentant la violence conjugale comme étant davantage mutuelle, mènera à des modèles de pratiques qui sont plus inclusifs et indépendants du genre (Carney, Buttell & Dutton, 2007; Corvo, Dutton, & Chen, 2008). Dans cette perspective, Hamel (2005) soutient que la thérapie familiale, incluant l’intervention de couple, serait plus efficace pour améliorer les dynamiques relationnelles entre les deux partenaires que les pratiques où ces derniers ne sont pas réunis (ex. : intervention auprès de la victime et intervention auprès de l’auteur). Or, peu d’études ont été recensées sur les interprétations des intervenantes travaillant auprès des femmes exerçant de la violence, mais celle de Damant, Guay, Cantin, Thibault et Shaw (2005) s’avère des plus pertinentes au contexte du présent projet

Damant et ses collègues (2005) ont en effet exploré la représentation sociale de la violence des femmes de trente intervenantes d’organismes communautaires, soit de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale ou en difficultés, de ressources pour mères et enfants, de maisons de transition pour femmes judiciarisées, de centres de femmes, de centres d’aide pour femmes victimes d’agression sexuelle et d’organismes offrant un programme pour femmes violentes. L’analyse des entrevues suggère une représentation incluant les thèmes du caractère exceptionnel ou non de la violence des femmes, des formes diverses de violence, des explications individuelles et sociales, des types différenciés selon les victimes, lesquels varient largement selon les milieux de pratique.

Les résultats suggèrent d’abord que les intervenantes de maisons d’hébergement accueillant uniquement des femmes victimes de violence, de centres de femmes et de centres d’aide d’agressions sexuelles considèrent les comportements violents des femmes comme étant exceptionnels et surprenants. Celles travaillant auprès de femmes en difficultés et judiciarisées démontrent une plus grande familiarité avec la problématique. En ce qui

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concerne les formes de violence, les intervenantes de maisons d’hébergement, des centres d’aide d’agressions sexuelles et des centres de femmes tendent à inclure la violence verbale et psychologique, qui font partie d’un ensemble de comportements violents. Les intervenantes travaillant auprès de femmes en difficulté et en maison de transition incluent plutôt uniquement des comportements de violence physique où il y a atteinte à l’intégrité physique et un danger potentiel.

En ce qui a trait aux explications des gestes violents, la trajectoire des femmes (bagage familial, social et culturel, violence subie), leurs difficultés actuelles (toxicomanie, problèmes de santé mentale) et leur environnement (stratégies de survie) sont mentionnée par la plupart des intervenantes (Damant et al., 2005). De façon plus spécifique à la violence des femmes envers leur enfant, les intervenantes travaillent auprès des femmes victimes de violence conjugale expliquent la violence de ces dernières par une réaction à leur propre victimisation et par les conditions de vie difficiles dans lesquelles elles vivent. Celles des maisons pour femmes en difficulté et des centres d’aide d’agressions sexuelles l’expliquent de façon plus générale par les trajectoires des femmes (bagage familial, social et culturel, violence subie).

Enfin, pour ce qui est des types de violence, les intervenantes travaillant avec des mères semblent influencées par les conséquences de la violence sur les enfants, l’intérêt de la mère pour ses enfants et sa motivation à changer ou non ses comportements violents. Pour ce qui est de la violence exercée envers un partenaire, les perceptions dépendent également des milieux de travail des répondantes. Les intervenantes des maisons d’hébergement et des centres d’aide d’agressions sexuelles travaillant auprès de femmes victimes de violence identifient les comportements violents des femmes comme de la légitime défense et les différencient des femmes étant violentes dans l’ensemble de leurs relations. Certaines intervenantes de maisons de transition pour femmes judiciarisées perçoivent la violence conjugale plutôt comme étant mutuelle. Par contre, quelques intervenantes de maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence et en difficulté, centres de femmes et de programme pour femmes violentes soulignent avoir observé des gestes violents à l’endroit

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du partenaire (ex : dénigrement sexuel), et ce, même s’il n’exerçait pas de violence de son coté.

L’étude de Damant et al. (2005) avait conclu qu’aucune stratégie d’intervention n’avait été développée pour intervenir auprès des femmes exerçant de la violence ; seules certaines pratiques avaient été créées pour l’intervention auprès de femmes toxicomanes ou itinérantes. Depuis ce temps, Damant et al. (2014) ont recensé plus de 19 programmes d’intervention de groupe pour les femmes exerçant de la violence en Amérique du Nord. Cinq programmes parmi ces 19 ont été élaborés pour une clientèle masculine, mais sont utilisés auprès des femmes, alors que deux ont également été développés pour les hommes mais adaptés aux besoins des femmes. Au Québec, 16 programmes ont été identifiés : ces groupes sont offerts principalement dans des organismes communautaires et s’adressent aux femmes qui ont des comportements violents dans leur relation conjugale ou dans d’autres contextes. Bourgoin (2004) a d’ailleurs observé une amélioration de la qualité des habiletés communicationnelles et une diminution des comportements de violence physique chez les femmes ayant participé au programme Temps d’arrêt.

À la lumière de leur recension des écrits, Damant et al. (2014) proposent les pistes suivantes pour le développement des programmes : 1) une approche féministe ou basée sur les genres serait nécessaire pour expliquer la violence des femmes sans reproduire les explications données pour la violence des hommes; 2) l’analyse féministe de la violence des femmes doit inclure les principales sources d’oppression vécues par les femmes; 3) les programmes développés doivent être évalués afin de mesurer leurs effets. À la suite de ces recommandations, le programme d’intervention Violente, moi? Explorer, décider, agir

autrement (Relais-femmes et al., 2015) a été développé en partenariat avec les centres de

femmes du Québec. Deux travailleuses sont alors amenées à coanimer le programme qui a pour but d’aider les femmes à trouver des alternatives à la violence. Trois modules distincts, qui reflètent l’approche théorique du féminisme intersectionnel pour comprendre la violence des femmes, constituent ce programme : 1) violence; 2) socialisation; 3) conditions de vie (Damant et al., 2014).

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Le premier module violence permet de comprendre la définition, les causes et les conséquences de la violence, de développer des alternatives aux comportements violents et de vivre dans un environnement sécuritaire. Le deuxième module socialisation aborde le genre comme une forme d’oppression : il permet d’identifier les stéréotypes liés aux rôles de genre, de cerner le rôle de la socialisation dans la vie des femmes et d’explorer des liens possibles entre la socialisation et les comportements violents. Le dernier module explore les conditions de vie des femmes et les considère comme des formes d’oppression pouvant interagir avec le genre pour créer un contexte dans lequel la violence peut se produire. Les objectifs de ce troisième module sont d’explorer les impacts des conditions de vie sur les femmes et de développer leur empowerment à l’égard de leurs conditions de vie en utilisant la solidarité du groupe. Comme il sera décrit au chapitre 3, le présent projet de recherche s’inscrit dans le cadre d’une recherche en cours qui évalue ce programme (Roy, Damant et Johnson, 2013-2016).

1.3POURQUOI RÉALISER CETTE ÉTUDE?

À la lumière de cette recension, il a été observé que peu d’informations étaient disponibles sur les femmes exerçant de la violence interpersonnelle. Cette rareté des données sur la violence des femmes, expliquée par l’émergence relativement récente de la problématique, justifie en grande partie l’importance de mener un projet de recherche sur ce sujet.

La violence exercée par les femmes est une problématique encore peu reconnue mondialement, et ce, malgré ses manifestations et sur ses conséquences possibles. En ce sens, dans leur Rapport mondial sur la violence et la santé, l’OMS (2002) souligne que, bien que les femmes puissent exercer de la violence, les enjeux sont plus importants pour les femmes victimes de partenaires masculins. Dans sa Politique d’intervention en matière

de violence conjugale, le Gouvernement du Québec (1995) présente les clientèles

particulières (lesbiennes et hommes violentés) pouvant être victimes de violence de la part d’un partenaire féminin, mais ne mentionne pas la problématique de la violence exercée par les femmes. Tout comme l’OMS (2002), la violence conjugale y est principalement décrite par la relation femme-victime et homme-agresseur. S’intéresser à la violence exercée par

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les femmes n’implique en aucun cas de nier ou de minimiser les violences faites aux femmes, mais amène plutôt à s’intéresser aux réalités de ces femmes afin notamment de mieux les soutenir.

Il a été aussi noté que la violence interpersonnelle exercée par les femmes était peu explorée dans la littérature scientifique ou sinon, souvent abordée dans la perspective des femmes exerçant de la violence conjugale. En contexte conjugal, plusieurs études recensées cherchent surtout à comparer la violence exercée par les femmes à celle des hommes, et ce, dans le but de soutenir ou réfuter une de ces deux visions interprétatives de la problématique (systémique ou féministe). Banwell (2010) affirme que cette tendance à adopter l’une ou l’autre de ces deux approches est réductionniste et limite ainsi notre compréhension de la violence des femmes. Ainsi, bien que le présent projet s’inscrive dans une recherche plus large évaluant l’efficacité d’un programme basé sur une analyse féministe, il s’intéresse aux représentations des intervenantes qui peuvent adhérer à différentes visions. La recherche de Damant et al. (2005) suggère d’ailleurs une représentation incluant plusieurs nuances, notamment quant au caractère exceptionnel ou non de la violence, aux formes et types de violence.

Par ailleurs, les études recensées ont fourni très peu d’informations sur les pratiques professionnelles auprès de ces femmes, ni même les défis rencontrés dans l’intervention. Damant et al. (2005) ont fait le même constat dans leur étude sur les représentations sociales de la violence des femmes chez des intervenantes d’organismes pour femmes : aucune stratégie d’interventions adaptée aux femmes qui exercent de la violence n’avait été développée dans les milieux étudiés. Depuis, le programme Violente, moi? Explorer,

décider, agir autrement (Relais-femmes et al., 2015) a été développé, mais il s’agit d’un

programme spécifique qui est offert uniquement dans les centres de femmes. Il demeure aussi que les informations sur la manière dont la violence des femmes est représentée chez les intervenantes et sur les défis d’intervention qu’elles perçoivent auprès de cette clientèle se font rares dans la littérature scientifique. En sachant que l’étude de Damant et al. (2005) a été réalisée au début des années 2000, il est intéressant de voir comment la représentation

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de la violence de femmes ont pu évoluer chez des intervenantes de centres de femmes, mais ayant une expérience directe d’intervention auprès de cette clientèle. Les résultats du mémoire pourront ajouter aux connaissances sur la violence des femmes et éventuellement contribuer à l’amélioration des pratiques actuelles auprès des femmes qui ont des comportements violents.

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CHAPITRE

2

Q

UEL EST LE CADRE THÉORIQUE DE CETTE ÉTUDE

?

Ce chapitre présente la théorie utilisée dans cette étude, soit celle des représentations sociales. Elle sera présentée en cinq sous-sections : 1) la définition d’une représentation sociale; 2) les conditions et les processus de son élaboration; 3) son contenu et sa structure; 4) l’analyse de contenu d’une représentation sociale; 5) ses fonctions. Finalement, les raisons expliquant le choix de cette théorie pour ce mémoire seront exposées.

2.1QU’EST-CE QU’UNE REPRÉSENTATION SOCIALE?

Le concept de représentation a d’abord été abordé par Durkheim, père de la sociologie moderne, à la fin du XIXe siècle (Jodelet, 1997). Dans son étude sur les religions et les mythes, Durkheim (2003) présente la représentation comme étant collective. Il rapporte que les premiers systèmes de représentations que l’homme s’est fait du monde et de lui-même étaient d’origine religieuse. Il distingue les représentations collectives des représentations individuelles :

La société est une réalité sui generis ; elle a ses caractères propres qu'on ne retrouve pas, ou qu'on ne retrouve pas sous la même forme, dans le reste de l'univers. Les représentations qui l'expriment ont donc un tout autre contenu que les représentations purement individuelles et l'on peut être assuré par avance que les premières ajoutent quelque chose aux secondes (Durkheim, 2003, p.25). La notion de représentation collective de Durkheim a été reprise plusieurs années plus tard par Moscovici (1961) sous l’expression « représentation sociale » dans sa thèse portant sur la manière dont les Français se représentent la psychanalyse (Seca, 2007). Dans sa théorie des représentations sociales, Moscovici (2004) conçoit la représentation sociale comme des ensembles dynamiques destinés à l’interprétation et au façonnement du réel. Ces ensembles déterminent le champ des communications possibles, des valeurs ou des idées présentes dans les visions partagées par les groupes (Moscovici, 2004). Moscovici soutient aussi que la représentation est d’origine sociale, car elle est construite à travers les interactions sociales (Moscovici, 2004). Ces notions rejoignent donc le caractère collectif mis de l’avant par Durkheim.

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À la suite des travaux de Moscovici, la représentation sociale a fait l’objet de plusieurs études, dont celle de Jodelet (1989) sur la représentation sociale du corps et de la maladie mentale. Jodelet (1989) a ainsi défini la représentation sociale comme une construction sociale et cognitive : elle est une connaissance de sens commun, socialement élaborée et partagée par des individus, qui a une visée pratique d’organisation, de maitrise de l’environnement et d’orientation des conduites et des communications. Dans le même sens, Jean-Claude Abric (1994, p.12) souligne que « toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par l’individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social qui l’environne ». Une représentation est donc une vision globale et unitaire de quelque chose (objet), mais également de quelqu’un (sujet) (Abric, 1994). Elle permet de restructurer la réalité en intégrant « à la fois des caractéristiques objectives de l’objet, des expériences antérieures du sujet et du système d’attitudes et de normes » (Abric, 1994, p. 13). Bref, la représentation est définie comme une « vision fonctionnelle du monde, qui permet à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et de comprendre la réalité, à travers son propre système de référence, donc de s’y adapter, de s’y définir une place » (Abric, 1994, p.13).

Somme toute, ces définitions regroupent des éléments qui s’apparentent : la représentation sociale n'est pas individuelle, mais collective; elle est socialement construite; elle est indissociable des conduites (Herzlich, 2005). Ces trois concepts se retrouvent d’ailleurs dans la définition proposée par Fischer (2010, p.131): « la représentation sociale est la construction sociale d’un savoir ordinaire élaboré à travers les valeurs et les croyances partagées par un groupe social concernant différents objets (personnes, évènements, catégories sociales, etc.) et donnant lieu à une vision commune des choses, qui se manifeste au cours des interactions sociales ». Dans le cadre de ce mémoire, la représentation sociale de la violence des femmes (objet) est conçue comme la manière dont les intervenantes (sujet) comprennent ce phénomène à partir de leur propre système de référence, soit des référents individuels (valeurs, attitudes, approches, expériences antérieure, etc.) et des référents sociaux (normes, idéologies, contexte professionnel, etc.). Les représentations des intervenantes s’élaborent aussi à partir de leurs expériences d’intervention, c’est-à-dire par le biais de leurs interactions sociales auprès de ces femmes. Cette compréhension de la

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violence des femmes leur permet ainsi d’orienter leurs interventions et de leur donner un sens.

2.2QUELLES SONT LES CONDITIONS D’ÉLABORATION D’UNE REPRÉSENTATION SOCIALE?

Toute situation sociale n’engendre pas nécessairement une représentation sociale : « s'il n'y a pas de représentation sans objet, il peut y avoir des objets sans représentation » (Moliner, 1996, p.30). Pouliot, Camiré, et Saint-Jacques (2013) soutiennent que la décision de s’engager dans une recherche portant sur la représentation sociale nécessite une phase préparatoire de diagnostic. Pour ce faire, Moliner (1993, 1996) prend en considération cinq conditions : 1) les spécificités de l’objet; 2) les caractéristiques du groupe; 3) les enjeux; 4) la dynamique sociale; 5) l’absence d’orthodoxie.

Pour ce qui est des spécificités de l’objet, Moliner (1993) utilise les trois conditions de Moscovici (1961) qui sont essentielles à l’apparition de la représentation sociale d’un objet : il y a dispersion de l’information, focalisation et pression à l’inférence. Dans un premier temps, il faut que l’objet à l’étude soit complexe et difficile à comprendre pleinement (dispersion de l’information). Mariotti (2003) rapporte que, lorsque les connaissances à l’égard d’un objet peuvent être soumises à des distorsions, le processus représentationnel est alors possible. Puis, la focalisation fait référence à l’importance accordée à l’objet social par les membres du groupe (Mariotti, 2003). Elle permet de déterminer si l’objet à l’étude possède les caractéristiques pour développer ou non l’intérêt des sujets pour certains aspects du phénomène (Mariotti, 2003). Finalement, Mariotti (2003) soutient qu’il y a pression à l’inférence quand les discours et les actes relatifs à un objet social sont difficiles à cerner, rendant possible les inférences sur les aspects méconnus de l’objet. Puisque la violence des femmes est un phénomène relativement récent qui occasionne plusieurs débats, souvent polarisés dans l’espace scientifique et public, il y a tout lieu de penser qu’il s’agit d’un objet relativement complexe. De même, dans le contexte du projet, l’intérêt démontré par les intervenantes à l’égard de la problématique et leur implication dans la recherche évaluative semblent des indicateurs de l’importance qu’elles accordent à l’objet. Enfin, on peut penser qu’il y aura présence d’inférences sur la

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violence des femmes considérant la difficulté à cerner tous les éléments de cette problématique en émergence.

La deuxième condition, les caractéristiques du groupe, fait référence à l’aptitude des sujets à générer une représentation sociale sur l’objet (Mariotti, 2003). Ainsi, les sujets du groupe doivent partager certaines variables de personnalité ou d’histoire individuelle, partager des interactions sociales et avoir des similitudes au plan de leurs positions sociales ainsi que des normes, des croyances et des valeurs auxquelles elles adhèrent. Les sujets du groupe à l’étude (intervenantes qui ont animé le groupe) peuvent présenter des traits de personnalité (empathie, respect, ouverture d’esprit, etc.) ou des expériences antérieures (formation, expériences d’intervention, etc.) semblables. En outre, comme elles sont toutes associées à un centre de femmes du Québec, et membre d’une association (R des centres de femmes du Québec) et qu’elles ont des éléments en commun, il est alors possible de croire qu’elles ont des situations d’interactions sociales, qu’elles occupent une position semblable au sein de leur organisme et qu’elles partagent ainsi des approches, des croyances et des valeurs similaires.

Les troisième et quatrième critères de Moliner (1993, 1996) sont les enjeux et la dynamique sociale. Si l’objet de représentation est significatif pour les membres, c’est qu’il est porteur d’un enjeu (Mariotti, 2003; Moliner et al., 2002 dans Pouliot et al., 2013). Moliner (1993; 1996) rapporte que les enjeux se dévoilent dans les interactions du groupe avec d’autres groupes et qu’un objet de représentation est toujours inséré dans une dynamique sociale. La volonté des travailleuses à animer le programme Violente, moi? Explorer, décider, agir

autrement (Relais-femmes et al., 2015) et leur participation à cette recherche peuvent

témoigner de l’importance qu’elles accordent à la violence des femmes. De plus, cet objet peut se définir dans les interactions qu’elles ont avec d’autres groupes, tels que leur coanimatrice, d’autres travailleuses de centres de femmes, des intervenants judiciaires, des organismes partenaires, etc. La violence des femmes est alors insérée dans une dynamique sociale.

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