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Unwritten Tales. Scrutinizing the Making of Religious Histories within a Chinese Muslim Community

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-01420319

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01420319

Preprint submitted on 20 Dec 2016

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Histories within a Chinese Muslim Community

Marie-Paule Hille

To cite this version:

Marie-Paule Hille. Unwritten Tales. Scrutinizing the Making of Religious Histories within a Chinese Muslim Community. 2016. �halshs-01420319�

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Working Papers Series

Le dicible et l’indicible. Enquête sur les conditions

d’écri-ture d’une histoire religieuse au sein d’une communauté

musulmane chinoise

Marie-Paule Hille

N°119 | décembre 2016

Cette étude propose une réflexion sur les conditions d’écriture d’une histoire religieuse au sein d’une com-munauté musulmane chinoise centrée sur la comparai-son de plusieurs processus d’écriture échelonnés sur une période de 50 ans. L’enquête sur les matériaux écrits, souvent éclairée par une enquête orale, montre que la place accordée à la relation des miracles peut être considérée comme un révélateur de la frontière entre le dicible et l’indicible dans le rapport que la com-munauté, à travers la figure de ses passeurs d’histoire, entretient avec le pouvoir politique. Depuis les années 1980, il apparaît que la circulation des récits les plus mystiques se fait à l’ombre de l’espace public.

Fondation Mattei Dogan

et Fondation Maison des

sciences de l’homme

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Le dicible et l’indicible. Enquête sur les conditions

d’écriture d’une histoire religieuse au sein d’une

communauté musulmane chinoise

Marie-Paule Hille

Décembre 2016

L’auteur

Marie-Paule Hille, historienne et anthropologue, est Maître de conférences à l’EHESS. Elle mène depuis une dizaine d’années des recherches sur l’islam dans le nord-ouest de la Chine et a consacré sa thèse, soutenue en 2014, à l’étude d’une communauté musulmane de langue chinoise, le Xidaotang. Ses travaux en histoire et anthropologie religieuse portent plus spécifiquement sur le culte des saints et les pratiques hagiographiques en islam chinois. En alliant une approche historique et anthropologique, elle s’intéresse également aux sociabilités et réseaux marchands entre musulmans et Tibétains dans la région de l’Amdo aux XXe et XXIe siècles.

Le texte

Ce texte a été rédigé par la lauréate en 2015 du prix d’histoire sociale fondation Mattei Dogan & FMSH.

Citer ce document

Marie-Paule Hille, Le dicible et l’indicible. Enquête sur les conditions d’écriture d’une histoire religieuse au sein

d’une communauté musulmane chinoise, FMSH-WP-2016-119, décembre 2016.

© Fondation Maison des sciences de l’homme - 2015 Informations et soumission des textes : wpfmsh@msh-paris.fr

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75013 Paris - France http://www.fmsh.fr

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The views expressed in this paper are the author’s own and do not necessarily reflect institutional positions from the Foundation MSH.

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Résumé

Cette étude propose une réflexion sur les conditions d’écriture d’une histoire religieuse au sein d’une communauté musulmane chinoise centrée sur la comparaison de plusieurs processus d’écriture échelon-nés sur une période de 50 ans. L’enquête sur les matériaux écrits, souvent éclairée par une enquête orale, montre que la place accordée à la relation des miracles peut être considérée comme un révélateur de la frontière entre le dicible et l’indicible dans le rapport que la communauté, à travers la figure de ses pas-seurs d’histoire, entretient avec le pouvoir politique. Depuis les années 1980, il apparaît que la circulation des récits les plus mystiques se fait à l’ombre de l’espace public.

Mots-clefs

Islam, soufisme, histoire religieuse, histoire orale, récits de miracle

Unwritten Tales. Scrutinizing the Making of Religious

Histories within a Chinese Muslim Community

Abstract

By comparing some writing processes which took place during different periods, this paper examines writing conditions of a religious history within a Chinese Muslim community. Our investigation on written materials, enlightened by oral history interviews, shows that untold accounts of miracles are at the core of what could or could not be told about that history. Moreover, this analysis demonstrates that from the 1980s onwards, accounts of mystical experience have mostly circulated in the shadows of the public sphere.

Keywords

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Sommaire

Les pourtours de l’indicible : une lecture critique de Brève

histoire (1983)

8

Une religiosité introuvable : voix dissonantes autour d’un

ouvrage de référence académique majeur (2010)

10

Une histoire religieuse feutrée à l’ombre de l’espace

public dans la capitale

12

Une histoire religieuse valide à transmettre

14

Une histoire religieuse : ses sources et ses publics

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Bibliographie 18

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A

près la chute du régime maoïste à la fin des années 1970, on a pu observer, dans certaines communautés soufies de Chine, des processus de production écrite relatant l’histoire de ces confréries à tra-vers le récit de la vie de leurs saints1. Cette étude

s’intéresse à des saints musulmans ayant vécu durant la première moitié du XXe siècle dans le Nord-Ouest de la Chine et qui, depuis le début des années 1980, font à nouveau l’objet d’un culte en public dont la manifestation la plus visible est le pèlerinage sur leur tombeau. Ces saints (listés dans le tableau ci-dessous) ont successivement été à la tête d’une confrérie soufie, le Xidaotang.

1. Ce texte est une version remaniée d’une présentation orale effectuée le 15 avril 2016 dans le cadre du séminaire animé par Françoise Daucé et Isabelle Thireau (Faire de la sociologie

en contexte autoritaire. De la prudence méthodologique à l’in-ventivité sociologique, EHESS, Paris) sur le thème : «

Enquê-ter sur le mysticisme en Chine contemporaine : quelques ré-flexions sur la complémentarité des enquêtes orale et écrite ». Une première version écrite a ensuite été discutée au sein de l’Atelier collectif de description et d’écriture scientifique de

l’acti-vité humaine (EHESS, Paris). Je remercie tous les

partici-pants de cet atelier et plus particulièrement Lorraine Guéné et Eduard Rodriguez-Martin pour leurs commentaires. Mes remerciements vont également à Xénia de Heering et Ariane Mak pour leur relecture attentive et leurs remarques qui ont contribué à approfondir certains points dans la version finale.

Le Xidaotang (litt. Hall de la Voie de l’Ouest), fondé par Ma Qixi, est apparu tardivement au tournant des XIXe et XXe siècles dans le Nord-Ouest de la Chine, là où une présence soufie est attestée depuis au moins le XVIIe siècle. Bien que son fondateur, originaire de Lintan, soit issu d’un puissant lignage de saints soufis, cette branche de l’islam est considérée comme « autochtone » par les islamologues chinois : elle n’est pas née de l’introduction de nouvelles doctrines soufies venant des pays arabes ou centrasiatiques. Par ail-leurs, son fondateur a toujours accordé une place importante à la langue chinoise dans son ensei-gnement religieux, en s’appuyant notamment sur une littérature musulmane écrite en chinois (Han kitab) apparue au XVIe siècle. Précisons ici que les membres de cette communauté sont tous des musulmans de langue chinoise (Hui).

Provinces et régions autonomes du Nord-Ouest de la Chine (Lipman J., 1997 : 10)

Il est une difficulté majeure dans l’analyse de ces matériaux écrits en chinois2: la transcription de

termes arabes en caractères chinois souvent sous une forme dialectale, ici celle de Lintan, bastion de cet ordre religieux.

Si l’on considère les faits religieux en Chine ces soixante dernières années, il est impératif de lire ces matériaux en prenant en compte la condition historique de leur écriture. En respectant le fil chronologique de leur découverte, nous essaierons 2. Rappelons ici que le chinois étant une langue de haute culture avec une écriture sans alphabet, les musulmans ont du faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour trouver les moyens de transcrire la langue arabe.

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de comprendre dans quelles mesures la nature du régime politique chinois a pesé sur ces processus d’écriture. Il s’agira dans un premier temps de déterminer sur quels aspects ont porté la censure de l’État ou l’autocensure des auteurs ; puis, de poser les prémices d’une réflexion sur ces histoires en mesurant leur dimension sacrée à l’aune des conditions historiques de leur production et des publics visés.

La comparaison des productions écrites du Xidao-tang, dont l’enquête a permis de retrouver une trace, constitue une étude de cas instructive pour comprendre le rapport de cette communauté au pouvoir politique. Elle incarne en effet un para-doxe que l’idéologie marxiste peine à résoudre : une religiosité soufie guidée par un projet poli-tique dit progressiste. Faute de pouvoir résoudre le paradoxe, l’idéologie marxiste, dans ses catégo-ries historiographiques, a supprimé un des termes de l’équation : l’appartenance du Xidaotang à un islam soufi sous une forme confrérique, désignée en chinois par le terme menhuan (lignage de saints musulmans).

Au début des années 1980, un grand historien de l’islam dans le Nord-Ouest de la Chine, Ma Tong, s’est employé, au moyen d’un argumentaire méthodique, à extraire le Xidaotang de la caté-gorie menhuan. Pour chaque caractéristique sou-fie, Ma Tong argumente la dissemblance avec les autres confréries : le Xidaotang a certes un Maître spirituel mais la transmission de son pouvoir cha-rismatique n’est pas héréditaire ; il a des tombeaux, mais ces derniers ne sont pas aussi somptueux que les mausolées des autres confréries ; etc. Pour cet historien, tout l’enjeu était d’exclure le Xidao-tang de la catégorie menhuan et de gommer ainsi

toute appartenance directement identifiable au soufisme. Considérées par les autorités chinoises comme des bastions de superstitions et de féoda-lité, les confréries soufies posent en réalité un pro-blème d’ordre politique, dans le sens où l’autorité religieuse de leur shaykh (maître) concurrence celle de l’État.

Dépouillé publiquement de toutes caractéris-tiques menhuan, le Xidaotang a été érigé, au début des années 1990, comme un modèle de la compatibilité entre islam et socialisme de marché. Les organes chargés de la propagande interne au Parti n’hésitent pas à le qualifier de progressiste, en égrenant le rôle social, économique et cultu-rel qu’il joue localement. Cette histoire récente évoque celle du début du XXe siècle durant lequel le Xidaotang avait opéré en son sein une profonde réforme de l’éducation. Les intellectuels, issus de ce système éducatif, avaient alors joué une part active dans les mouvements de réforme de la société musulmane et affichaient leur volonté de participer à la construction d’un État-nation moderne ; on les retrouve à l’initiative des pro-ductions écrites analysées ici.

L’enquête a permis de découvrir que les membres les plus éduqués du Xidaotang, souvent proches du pouvoir religieux, ont à plusieurs moments, dans des contextes politiques divers et pour des publics différents, pris l’initiative d’écrire l’histoire de leur communauté. Les moments et les visées de ces quatre principales productions écrites, recensées ci-dessous, ont donné des histoires reli-gieuses ayant une texture, une autorité et des fina-lités différentes, ancrées dans une expérience his-torique particulière.

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Dans ces histoires, la place accordée à la relation des miracles peut être considérée comme un révé-lateur de la frontière entre le dicible et l’indicible dans le rapport que la communauté, à travers la figure de ses passeurs d’histoire, entretient avec le pouvoir politique. En matière de religiosité, l’af-faire n’est pas anecdotique car la sainteté repose sur la reconnaissance par la vox populi de signes permettant d’attester que le saint est un proche de Dieu, et les miracles font partie intégrante de ce processus d’attestation.

Les pourtours de

l’indici-ble : une lecture critique

de Brève histoire (1983)

Une des pièces maîtresses de ma documentation sur le Xidaotang, Recueil des matériaux historiques

du Xidaotang (désignée ci-après comme Maté-riaux historiques), ne m’a pas été fournie, comme

on aurait pu s’y attendre, par les personnalités éminentes de Lintan, proches du pouvoir reli-gieux, mais à Xining, dans la province voisine du Qinghai, par une famille d’intellectuels descen-dants des premiers convertis par le saint fonda-teur Ma Qixi lors de son voyage vers l’ouest au tout début du XXe siècle. Par la suite, au cours de mon enquête, certains de mes interlocuteurs le désigneront comme « le livre à la couverture verte », preuve qu’il a circulé ou été conservé à l’époque au sein des foyers, sinon dans la biblio-thèque privée du Xidaotang.

Ce livre d’une apparente banalité, publié en 1987, renferme un document, intitulé « Brève histoire du Xidaotang », rédigé sous le nom de plume Zi Heng en 1983 et placé en tête de volume. En voici la composition : un texte principal (écrit visiblement à partir de sources de nature très composite), trois biographies et quatre généalo-gies saintes. À la suite de cette « Brève histoire », l’ouvrage propose onze articles, deux chroniques historiques (dont une compilée par deux auteurs anonymes) et une reproduction des sentences parallèles3 composées par Ma Qixi (dont il ne

reste qu’un seul rouleau original). Parmi les douze textes du volume, six ont été écrits par des person-nalités extérieures au Xidaotang : trois rééditions 3. Les sentences parallèles sont une forme littéraire spéci-fique formée de deux phrases absolument parallèles tant par la construction que par le sens, de sorte qu’une partie peut éclairer l’autre en cas d’obscurité. Calligraphiées, elles sont généralement destinées à être suspendues et contribuent à la renommée des maîtres spirituels.

d’articles publiés au début des années 1980 dans des revues scientifiques, deux rééditions de textes écrits dans la première moitié du XXe siècle, ainsi qu’un inédit. Les auteurs des six autres textes sont des intellectuels du Xidaotang qui écrivent pour moitié sous un nom de plume.

Pour mieux comprendre la nature de ce recueil et les conditions dans lesquelles il a été publié au milieu des années 1980, je me suis tournée vers Zhu Gang, un ami et collègue des intellectuels du Xidaotang enseignant à l’université de Xining qui m’avaient fourni le livre. Il est l’auteur d’une des onze contributions (à mes yeux la plus novatrice dans le sens où il n’adopte pas la catégorisation imposée par Ma Tong et reconnaît l’appartenance du Xidaotang à un islam soufi) et d’une des deux chroniques.

Xining, 20 juillet 2009, entretien avec Zhu Gang à son domicile.

Les matériaux historiques sur le Xidaotang ont

été publiés par les deux centres [de recher- che : Qinghai minzu xueyuan minzu yanjiusuo et Xibei minzu xueyuan xibei minzu yanjiu-suo]. Après des discussions, on est arrivé à ce consensus sur la création d’une « Collec-tion de Matériaux historiques sur l’islam dans le Nord-Ouest ». À l’époque, le Xidaotang nous paraissait être le plus significatif. Il four-nit de nombreuses sources capitales pour les recherches sur l’islam. Pour les autres courants, il n’y en a pas autant. Les documents histo-riques pour les autres courants sont plus insi-pides/prosaïques (pingdan 平淡). Après avoir publié ce volume, nos supérieurs n’en ont pas sorti d’autres. On a arrêté. Ils n’y prêtaient plus attention. C’était un document interne pour la recherche. Quand on l’a publié, on a mis n’importe quel (suibian 随便) numéro de bouquin, ça n’importait guère puisque c’était un document interne. On en a publié 1000 exemplaires. C’est bien trop peu. Dans ce laps de temps, c’est vraiment une chance qu’on ait pu sortir un pareil volume.

Dans la préface du recueil de 1987, les édi-teurs précisent en effet qu’il s’agit de documents internes réservés aux chercheurs spécialistes de l’islam ou aux cadres de l’administration, et qu’étant donné la nature des contributions, un problème d’« objectivité scientifique » se pose. Il faut comprendre ici que la moitié des contri-buteurs sont des intellectuels du Xidaotang.

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La quatrième de couverture précise cette spé-cificité de l’ouvrage par la mention « matériaux internes » (neibu ziliao内部资料). Le livre ne dis-pose pas d’ISBN – système de standardisation adopté entre 1986 et 1987 en Chine et qui per-met une distribution légale, en librairie4. Comme

le regrette Zhu Gang, ce volume, qui n’a fait l’objet que d’une seule impression en un nombre d’exemplaires très limité, n’a pas lancé une collec-tion d’études sur l’islam du Nord-Ouest. La date d’édition des Matériaux historiques correspond ainsi à une série d’enquêtes diligentées par des centres de recherche pilotés par l’administration et non par des universités : le Centre de recherche sur les nationalités de l’Institut des nationalités du Qinghai (Qinghai minzu xueyuan minzu

yanjiu-suo) et le Centre de recherche sur les nationalités

du Nord-Ouest de l’Institut des nationalités du Nord-Ouest (Xibei minzu xueyuan xibei minzu

yanjiusuo). Dans le même entretien (Xining, 20

juillet 2009), Zhu Gang me décrit ses conditions d’enquête en 1984 au sein du Xidaotang :

Les cinq personnes qui nous ont donné les informations sont toutes décédées. Ding Shiyuan connaissait parfaitement l’histoire du Xidaotang. Il racontait l’histoire du Xidao-tang comme il racontait une histoire. Nous n’avions que des données orales. Sur le plan de la religion, ils [les cinq informateurs] nous expliquaient chaque canon, un à un. Nous leur avons posé de nombreuses questions aux-quelles ils ont répondu sans exception. […] Ils avaient autour de 60 ans. Ils n’avaient pas de matériaux écrits, tout nous a été transmis oralement. Ils nous ont parlé un à un. […] Ils étaient très contents qu’on s’intéresse à eux. Et ils parlaient volontiers de leur histoire. Quand ils se confiaient, les autres [les religieux des autres courants] ne le savaient pas. Ils disaient : « Il faut avoir cette conscience pour nos descendants. » Ceux des autres courants n’acceptaient pas de parler. Ils étaient très conservateurs (baoshou 保守). Mais eux, ils donnaient des explications de leur plein gré. Ils étaient sincères et émus. C’étaient des gens blessés qui avaient souffert. Ils étaient libres avec moi, ils n’étaient absolument pas fermés (fengbi 封闭). Ils n’étaient pas réfractaires, je suis un musulman Gedimu. Les cultes sont les mêmes. Je faisais partie des leurs.

4. Je remercie Xénia de Heering pour ses précisions concer-nant ce point en particulier.

Grâce à Zhu Gang, mais aussi à d’autres informa-teurs proches du pouvoir religieux, je parviendrai à lever l’anonymat de l’auteur du premier texte du recueil, qui n’est autre que Ding Shiyuan, l’infor-mateur principal de Zhu Gang dans les années 1980.

Jusqu’à mon enquête de 2012, Matériaux

histo-riques a été ma source principale pour me

familia-riser avec l’histoire du Xidaotang mais des indices m’ont vite laissé penser que « Brève histoire » était probablement un assemblage de plusieurs maté-riaux internes à la confrérie et que les passages les plus mystiques avaient été vraisemblablement supprimés du texte principal dont la première partie s’apparente à une hagiographie. Une ren-contre en 2012 allait confirmer et compléter cette piste.

Lors des terrains précédant celui de 2012, l’en-quête orale ne m’avait pas beaucoup aidée pour déterminer à quel point les miracles participaient du processus de reconnaissance de la sainteté des Maîtres du Xidaotang et donc de la légiti-mation de leur pouvoir religieux. C’est seulement en 2012 que j’ai pu m’entretenir avec le gendre de Ding Shiyuan, Min Shengzhi, un universitaire à la retraite, professeur de tibétain, haut placé dans la hiérarchie religieuse pour être le petit-fils du Maître spirituel de la confrérie à la qua-trième génération (décédé en 1957). Cet homme m’avait accordé à deux reprises des moments de discussion très brefs durant lesquels il avait été peu loquace. En 2012, j’ai d’abord mis au cœur de notre discussion le texte « brève histoire », écrit par son beau-père, et sur lequel je voulais obtenir plus d’informations, notamment sur les passages dont je devinais la censure.

Lanzhou, 6 mai 2012, entretien avec Min Shengzhi dans la salle de réunion du Xidaotang à Wujiayuan.

Tout cela [les miracles] n’est pas raconté dans les livres, parce que…maintenant le Parti communiste chinois actuel après l’ouverture, la mentalité des gens s’est quelque peu libérée, et après tout, les gens sont plutôt libres, n’est-ce pas ?…mais il y a certaines choses qu’on n’ose pas encore écrire et qu’on n’ose pas encore dire, parce qu’ils sont marxistes-léninistes, nous, on est idéalistes (weixin zhuyi 唯心主义), c’est pas pareil. Les deux sont inconciliables (liang

ge duilimian 两个对立面), les deux ne peuvent

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donc il y a des choses qu’il [Ding Shiyuan] a supprimées.

À ce stade de l’enquête, plusieurs formes d’évalua-tion se répondent concernant le « livre vert » et le texte « brève histoire » qui y figure. Zhu Gang voit dans ce volume un matériau de grande valeur car il connaît précisément les possibilités d’en-quête et d’écriture qui se sont ouvertes au cher-cheur dans les années 1980, puis qui se sont vite refermées dans les années 1990, après la répres-sion des manifestations étudiantes sur la place Tiananmen en 1989. Ainsi quand Zhu Gang parle de « chance », il témoigne de deux possi-bilités qui se sont ouvertes de manière conco- mitante : la possibilité d’enquêter puis de publier d’une part ; la capacité de parole rencontrée au sein du Xidaotang, d’autre part, qui est selon lui introuvable ailleurs.

Le gendre de Ding Shiyuan, de son côté, est plus intéressé par les limites de cette entreprise et parle d’une écriture entravée de leur histoire religieuse, pour des raisons idéologiques qu’il identifie bien. Dans la suite de notre discussion, Min Shengzhi fera référence à deux sortes de limites : une auto-censure appliquée par l’auteur et des coupes dans le texte effectuées par les instituts de recherche sur les nationalités chargés de publier les maté-riaux. Min Shengzhi, petit-fils du quatrième Maître du Xidaotang, a la possibilité de jauger les frontières du récit de son beau-père à partir de sa connaissance interne de l’histoire sainte de la confrérie, histoire dont il dessinera plus précisé-ment les pourtours au cours de nos entretiens. L’enquête de 2012 a donc constitué un jalon important dans mon parcours de compréhen-sion de la place des miracles dans le récit de la vie des saints grâce à la mise en perspective de deux séries d’ouvrages, toutes deux publiées en 2010, sur lesquelles Min Shengzhi va porter un regard critique. La première, Recueil d’études sur

le Xidaotang [courant de] l’islam chinois, est

com-posée de trois tomes regroupant une grande par-tie de la littérature primaire et secondaire sur le Xidaotang5. La seconde, Textes anciens sur les

5. Zhongguo yisilanjiao Xidaotang yanjiu wenji [Recueil d’études sur le Xidaotang (courant de) l’islam chinois], Min Shengguang [Hadj Muhammad Nūr al Dīn] (ed.), Lan-zhou, Gansu minzu chubanshe, 2010, 3 vols. Les 128 études réunies dans ces trois volumes sont des republications de textes de nature différente : sources premières datant de la période républicaine – remaniées pour la plupart –, articles de seconde main publiés dans de nombreuses revues scien-tifiques chinoises, documents internes conservés dans la

courants soufis de Chine, comporte deux volumes non publiés, édités par Ma Tong et sa fille Ma Haibing, regroupant de nombreux documents sur les confréries soufies chinoises6.

Une religiosité introu-

vable : voix dissonantes

autour d’un ouvrage de

référence académique

majeur (2010)

Dans un discours tenu lors d’une réunion de présentation du Recueil d’études sur le Xidaotang, Min Chengxi, fils aîné du Maître religieux actuel, reconnaît l’autorité des Matériaux historiques :

En 1987, le Centre de recherche sur les natio-nalités de l’Institut des nationatio-nalités du Qinghai et le Centre de recherche sur les nationalités du Nord-Ouest de l’Institut des nationalités du Nord-Ouest compilent conjointement et publient en interne le Recueil des matériaux

historiques du Xidaotang. Ce recueil est devenu

pour un temps le document le plus fiable et faisant autorité pour que le monde extérieur connaisse et étudie le Xidaotang. Si on le considère dans le temps présent, Recueil des

matériaux historiques du Xidaotang montre

encore des lacunes. Mais il a constitué des bases solides pour éditer cette fois-ci notre

Recueil d’études7.

Lors de l’élaboration des trois volumes du Recueil

d’études, le comité de rédaction intègre dix des

seize contributions se trouvant dans Matériaux bibliothèque du Xidaotang, documents officiels publiés sur le Xidaotang et une traduction du chapitre de Jonathan Lip-man consacré au Xidaotang dans son livre Familiar Strangers (1997). Le premier volume est composé de trois rubriques : « Commentaires historiques » (18 contributions), « Biogra-phies des chefs religieux » (8 contributions) et « Essais sur la pensée de Ma Qixi » (14 contributions). Le deuxième vo-lume présente trois autres rubriques : « Études sur la pensée religieuse » (19 contributions), « Études sur la culture et l’édu-cation » (16 contributions) et « Études sur le modèle écono-mique » (6 contributions). Le troisième volume regroupe trois rubriques : « Études sur le modèle organisationnel » (15 contributions), « Rapports sur les activités » (13 contribu-tions) et « Dialogues académiques » (19 contribucontribu-tions). Dans chaque rubrique les contributions sont classées par ordre chronologique croissant et proposent à la fin une courte bio-graphie de leur auteur.

6. Zhongguo sufei xuepai dianji [Textes anciens sur les cou-rants soufis de Chine], Ma Tong, Ma Haibin (Eds.), s. l., 2010, 2 vols., inédit.

7. Discours prononcé par Min Chengxi lors d’un forum (http://zgxdt.q.sohu.com/forum/20/topic/46074354. Consulté le 27 avril 2013).

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historiques de 1987. En plus des six textes écrits

par les chercheurs extérieurs, quatre textes écrits par des intellectuels du Xidaotang ont fait l’ob-jet d’une nouvelle publication : le texte de Ding Zhengxi (1942) dans la rubrique « commen-taires historiques » (vol. 1), les deux articles de Ma Fuchun et celui de Min Shengzhi dans les rubriques « recherches sur la pensée religieuse » et « recherches sur l’éducation et la culture » (vol. 2). Six textes des Matériaux historiques n’ont donc pas été retenus. Outre les deux chroniques histo-riques situées en fin de volume ainsi que les seize sentences parallèles de Ma Qixi8, deux textes

rela-tant des événements historiques locaux écrits par Min Shengzhi et « Brève histoire » ne sont pas non plus republiés. Ainsi, les deux chroniques et les trois textes qui relatent l’histoire interne du Xidaotang avec une richesse de détails sur les dates, les noms de lieu et de personne ne sont pas retenus par les éditeurs qui donnent la priorité aux analyses des observateurs extérieurs et aux articles traitant du thème de l’éducation. Si ces trois volumes font la fierté de nombreux membres du Xidaotang, notamment ceux qui ont fait partie du comité scientifique, d’autres font entendre une voix plus critique. C’est le cas de Min Shengzhi.

Lanzhou, 6 mai 2012, entretien avec Min Shengzhi dans la salle de réunion du Xidaotang à Wujiayuan.

Comme tu [l’enquêtrice] comprends, alors tu peux le concevoir, mais si tu étais marxiste-léniniste et que je te racontais tout ça, tu éprouverais de l’aversion (fangan 反感), il te semblerait que nous délirons, mais ce n’est pas de l’invention. Les mots, cette chose, tu peux en faire quelque chose à laquelle tu peux te référer. Souvent on leur [aux chercheurs] dit, mais faites donc des recherches sur la religion, mais la chose intrinsèque à la religion ils ne l’ont pas trouvée/ils ne s’y sont pas heurtés (yudao 遇到). […] Regarde ce qu’on a écrit sur le Xidaotang [référence ici aux trois volumes publiés en 2010], n’y-a-t-il pas la quantité des terres, le nombre de personnes, le fait de man-ger à la grande marmite, hein ? Tout ce qu’on 8. L’accent étant mis sur des travaux de réflexion aboutis, les deux chroniques historiques ne sont pas rééditées. Les sentences parallèles de Ma Qixi ont fait l’objet d’un ouvrage dirigé par Min Shengguang en 2004, il est donc naturel de ne pas les voir figurer dans le volume de 2010. Min Sheng-guang [Hadj Muhammad Nūr al Dīn], Ma Qixi shilian shangshi [Apprécier les sentences poétiques de Ma Qixi], Pékin, Zhonghua shuju, 2004.

dit là ce n’est que de l’apparence, ce sont des choses superficielles, quelles sont les choses les plus significatives ? Ça on ne peut pas le dire. Donc si on dit qu’on va étudier la religion, il faut étudier l’essence (neihan 内涵) de la reli-gion, il ne faut pas étudier la pellicule super-ficielle (pimao 皮毛) de la religion, si on en reste aux choses superficielles, on n’éclaire pas les problèmes. Est-ce qu’ils sont persuasifs, ces articles [ceux des trois volumes] ? Au premier coup d’œil on voit qu’ils sont légers (fuzao 浮躁), il n’y a rien à lire, qu’est-ce qu’il y a à lire ? Certains chercheurs n’osent pas écrire cette chose.

[…] il y a de nombreux articles concernant le Xidaotang, ils ont sorti trois volumes, tu le sais ça hein ? … que des choses superficielles, ils n’osent pas faire des recherches approfon-dies, si tu ne crois pas en la religion alors tu ne peux pas écrire sur elle, ce n’est pas vrai ? Si tu ne crois pas en elle, alors tu ne peux pas écrire sur elle […] S’ils veulent vraiment faire des recherches sur le sens de la religion, il fau-drait qu’ils sachent déjà clairement ce qu’ils appellent religion.

Min Shengzhi déplore avant tout le manque de

vraies études religieuses sur le Xidaotang et constate

que les analyses socio-économiques supplantent de loin celles sur les formes religieuses. Pour lui, les études regroupées dans ces trois volumes, jugées superficielles, n’apportent rien de nouveau aux connaissances déjà acquises sur le Xidaotang. Aucune de ces contributions ne reflète la réalité de la vie religieuse au sein du Xidaotang ni son histoire sainte.

Du point de vue de la production historiogra-phique, ce début des années 2010 semble ouvrir une nouvelle ère privilégiant une littérature de seconde main assez univoque, centrée sur les contributions du Xidaotang aux domaines socio-économiques et éducatifs. C’est en quelque sorte une vitrine publique des accomplissements de cette petite communauté intégrée à la grande communauté nationale. Les matériaux relatant la vie religieuse interne de la communauté, comme les hagiographies qui décrivent la vie des saints et leurs miracles, restent dans la sphère privée et trouvent d’autres canaux de transmission.

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Une histoire religieuse

feutrée à l’ombre de

l’espace public

dans la capitale

Comme nous l’avons évoqué, la même année, en 2010, paraît un autre ouvrage en deux volumes, qui va considérablement réorienter mes ana-lyses sur les formes d’une expression mystique au sein du Xidaotang. Ces deux volumes me sont remis en main propre par l’historien Ma Tong en 2012, alors que comme à l’accoutumée je lui ren-dais visite chez lui à Lanzhou. Il a édité ces deux volumes avec l’aide de sa fille, décédée en 2006. Comme mentionné dans l’introduction, Ma Tong est un historien spécialiste de l’histoire des musulmans dans le Nord-Ouest de la Chine. À la toute fin des années 1940, au moment de l’ins-tauration du régime communiste, il avait entamé une vaste enquête sur les communautés musul-manes dans le Nord-Ouest. Après la prise de pouvoir des communistes, il participe aux équipes de travail chargées de mettre en œuvre la réforme agraire, notamment à Lintan en 1951-1952 où il a pris ses quartiers dans le complexe socio-éco-nomique et religieux du Xidaotang. Il a ainsi pu enquêter quelques années auprès de nombreuses confréries soufies du Nord-Ouest et se familiari-ser avec le Xidaotang.

Les deux volumes, en raison des matériaux d’en-quête originaux et inédits qu’ils renferment, n’avaient aucune chance de passer la censure ; ils circulent donc hors des canaux de distribution officiels. L’ironie de l’histoire veut que ce soit par la personne qui a fortement contribué à sortir le Xidaotang de la catégorie soufie que j’obtienne des matériaux témoignant d’une forte dimension mystique dans les textes hagiographiques de cette confrérie. Ce retournement invite à mieux inter-roger les cadres dans lesquels l’historien produit une histoire tout en étant conscient qu’une autre histoire est possible. En mettant à disposition des chercheurs ces matériaux, Ma Tong ouvre de nou-velles possibilités d’écriture historique, hors des catégories historiographiques qu’il a lui-même contribué à façonner. Ces matériaux vont par ail-leurs initier un tournant dans l’enquête orale sur les récits de miracles : lors de mon entretien avec Min Shengzhi, je les lui soumets alors que je les ai en main depuis peu et que je ne maîtrise pas encore pleinement leur contenu. Il les qualifie ainsi :

Lanzhou, 6 mai 2012, entretien avec Min Shengzhi dans la salle de réunion du Xidaotang à Wujiayuan.

Ce qu’il [Ma Tong] a sorti là [le recueil en deux volumes], ce sont de bonnes choses, ce sont des sources de première main, ça c’est plu-tôt bon, mais la publication de ce livre n’est pas permise […] Je l’ai photocopié, après l’avoir photocopié je le lui [à Ma Tong] ai rendu. Ce livre, les autorités n’ont pas donné leur accord, elles n’ont pas permis sa publication, pourquoi hein ? Parce que [l’aspect de] la religion qui y est diffusée relève plutôt de la fable mystique (shenhua 神话), c’est assez merveilleux

(shen-miao 神妙), c’est pourquoi on ne permet pas sa

parution. C’est comme quand on a écrit l’his-toire du Xidaotang, lors de la plainte déposée à Pékin après le décès de Ma Qixi [1914], les nôtres ne sont-ils pas allés à Pékin pour porter plainte [1914-1916] ? Porter plainte auprès du gouvernement central, et là dans cette lutte pour le pouvoir, personne n’a pris en considé-ration cette affaire, et finalement il n’y avait pas de solution, ils n’ont donc pas pu porter plainte. Alors qu’est-ce qu’ils ont fait puisqu’ils ne pouvaient pas porter plainte ? Ils ont fait des pratiques de méditation et de perfection-nement (zuojing 坐静), pendant ces pratiques il s’est passé des choses qui étaient mention-nées dans le texte original, mais ils [les deux centres de recherche] les ont supprimées, et pourquoi ils les ont supprimées ? C’est parce que c’était trop mystique (shenmi 神秘) ! Plus loin, il poursuit :

Ce moment où ils [les membres du Xidao-tang] portent plainte à Pékin, quand l’Institut du Qinghai a fait ce recueil, il en a supprimé les choses plutôt mystiques.

En prenant appui sur les deux volumes rassem-blés par Ma Tong, j’oriente la discussion sur les événements qui se sont produits à Pékin autour de l’année 1916, après l’assassinat du Maître fon-dateur par un seigneur de la guerre du Gansu. C’est un épisode fondateur de l’histoire de la com-munauté tant sur le plan religieux que politique. Un disciple de Ma Qixi, Min Haifeng, accompa-gnant les futurs maîtres de la confrérie dans leur pérégrination, aurait tenu un carnet dans lequel il aurait consigné les paroles et les agissements des futurs maîtres. On trouve des traces de ce texte

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dans Histoire religieuse du Xidaotang9, écrit en

1981 par un membre important du Xidaotang, Ma Fuchun, fils aîné du Maître à la troisième génération, puis publié dans le recueil édité par Ma Tong en 2010. Ma Fuchun explique la com-position de ce texte en ces termes :

Le Xidaotang a une histoire longue de cent ans, et il est regrettable qu’il ne dispose pas encore d’une histoire écrite à léguer aux futures générations ; les érudits qui étaient de pieux dévots ont sacrifié leur vie et sont morts pour les autres croyants ; les plus âgés, même s’ils ne sont que quelques-uns, se souviennent du temps où la voie a été créée. Comme ils ont traversé des moments difficiles, que leur esprit et leur corps ont été éprouvés et qu’il était diffi-cile d’explorer la situation de chacun, en 1954, le Maître précédent [Min Zhidao] a demandé au compagnon Feng (Feng gong 峰公) [Min Haifeng] de rassembler toutes les personnes âgées du daotang interne et externe [désigne ici les membres vivant au sein du complexe religieux et socio-économique de la confré-rie et ceux menant une vie autonome, à l’exté-rieur de ce dernier] pendant deux semaines. En m’appuyant sur leur souvenir et leur récit des faits et gestes du saint fondateur, j’ai écrit le livre Annales saintes du Xidaotang. Cepen-dant durant la période de grand chaos qui a suivi, ce livre a été perdu à jamais, et c’est avec grand regret que nous n’avons pu le conserver. Toutefois, aujourd’hui par grand bonheur, les membres de la nouvelle génération ont réussi à consigner une partie des expériences du saint fondateur ; à la lecture, bien que ce soit les paroles du compagnon Feng, ceux qui les ont retranscrites ont fait des fautes de caractères ; alors je les ai corrigées et j’ai mis les notes en ordre. Puis dans les temps qui ont suivi [cette correction], grâce à la volonté de certains, j’ai comblé les lacunes et complété de nombreux faits ; j’ai collecté et compilé tous les récits, j’ai fait un grand et unique panorama des beau-tés que chacun d’eux comprenait. Cela per-mettra aux prochaines générations d’avoir une connaissance générale de la vaste his-toire de cent ans de ma Voie (tang 堂). Ainsi, sans trahir les difficultés que le Maître a eues 9. Histoire religieuse : Anonyme [Ma Fuchun], « Xidaotang jiaoshi » [Histoire religieuse du Xidaotang], in Ma Tong, Ma Haibin, Zhongguo sufei xuepai dianji [Textes anciens sur les courants soufis de Chine], s. l., inédit, 2010, vol. 2, p. 639-660.

pour fonder sa Voie, sans trahir la Voie que le Maître nous a montrée, il faudra se relever et se développer, avoir le regard tourné vers Lui à jamais ; ce sera le bonheur de ma Voie (Ma Tong, Ma Haibin (Eds.), 2010, vol. 2 : 639). En effet, après la mise en place de la Réforme agraire à Lintan au début des années 1950, le chef religieux à la quatrième génération, Min Zhidao, pressentant le malheur qui allait s’abattre sur sa communauté, ressent l’urgence d’écrire l’histoire du Xidaotang ; dans « Brève histoire » cette ini-tiative est brièvement évoquée :

En 1954, le chef religieux se remettait peu à peu de sa maladie, […] ; de retour à Lintan, il mit en place ces quelques mesures : écrire les cent ans d’histoire du Xidaotang, « l’histoire de la création du Xidaotang approche des cent ans, afin d’éviter qu’elle ne s’éteigne à jamais (minmie wuwen 泯灭无闻) et de la trans-mettre aux futures générations, il faut réunir les personnes âgées et consigner leurs paroles par écrit […] » (Zi Heng, 1987: 46).

Par cette injonction, Min Zhidao mesure la force de l’oubli, manifeste sa volonté de garder une trace du passé et exprime la nécessité de transmettre l’histoire du Xidaotang aux futures générations ; il fait ainsi preuve d’une véritable conscience his-torique10. Ce moment de rassemblement dédié à

l’élaboration d’une histoire commune souhaitée par le chef religieux aura bien lieu et aboutira à l’écriture collective d’un texte, aujourd’hui dis-paru, intitulé Annales saintes du Xidaotang

(Xidao-tang shengxing shilu 西道堂圣行实录)11. Cette

10. Daniel Fabre montre comment « la parution des travaux de Philippe Joutard, dès 1965 avec son édition des Journaux

camisards, a incontestablement étayé l’idée qu’une véritable

conscience historique – si l’on englobe dans ce terme à la fois une sensibilité et une réflexion collectives à l’égard du passé – pouvait exister « en bas », loin du centre générateur de la Nation, à l’écart des institutions modelantes de l’État ». Il s’empresse de préciser que le récit camisard n’est pas isolé et que bien au contraire il est articulé aux grands événements nationaux. Le récit historique sur le Xidaotang considéré té-moigne, pour reprendre les termes de Daniel Fabre, « d’une grande sensibilité au passé ». Il est parsemé d’inflexions et de références aux grands événements de l’histoire chinoise (Fabre D., 2001 : 22).

11. Le titre de ce texte est composé de shilu 实录 qui fait référence à la tradition des annales dynastiques et de

shen-gxing 圣行, sheng 圣 signifiant « saint, sainteté, sacré » (que

l’on retrouve dans les composés shengji 圣迹 « les reliques »,

shensheng 神圣 « sacré » et shengren 圣人 « le sage, le saint

») et xing 行 désignant les actes, la conduite d’une personne (que l’on retrouve dans xingwei 行为 « conduite, comporte-ment », xingji 行迹 «trace, marque » et xingdong 行动 « acte, actions »).

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source précieuse, issue d’une réelle entreprise de sauvetage, relatait la vie sainte des Maîtres du Xidaotang en s’appuyant sur la mémoire vive de personnes qui leur avaient été contemporaines. À titre indicatif, les membres de la communauté, âgés de 60 à 80 ans, qui participent à l’élaboration du texte en 1954, avaient entre 20 et 40 ans au moment de l’assassinat de Ma Qixi en 1914. On peut supposer que ce moment de remémoration d’un passé commun et son écriture collective, à la veille d’un retournement historique pressenti par le maître et interprété comme une prémonition par de nombreux croyants, ont abouti à l’élabo-ration d’un matériau d’une grande richesse. En 1954, son compilateur principal, Ma Fuchun est âgé de 30 ans12. Étant le gendre de Min Haifeng

(souvent désigné comme « le compagnon Feng » dans nos sources), il est probable qu’il ait recons-titué certains faits du vivant de son beau-père. Nous savons que Ma Fuchun remet son texte Histoire religieuse du Xidaotang (une version inspirée du document disparu Annales saintes du Xidaotang) à Ma Tong en 1981, mais sa date réelle de production demeure inconnue.

Min Shengzhi lors d’une discussion a également relaté ce moment d’écriture commune et évoque, pour sa part, l’existence d’un document écrit par son beau-père, Ding Shiyuan :

Lanzhou, 6 mai 2012, entretien avec Min Shengzhi dans la salle de réunion du Xidaotang à Wujiayuan.

En 1955, le Maître Min Zhidao avait déjà un âge avancé, sa santé n’était pas bonne. Il a dit qu’il fallait aussi écrire les événements de Pékin, alors la personne qu’il a désignée c’était mon beau-père (yuefu 岳父) [Ding Shiyuan]. À cette époque mon beau-père était le direc-teur de l’école pour filles Qixi. Il a invité toutes les personnes du Xidaotang âgées de plus de 60 ans à se réunir dans le grand hall du Xidao-tang. Alors que tout le monde se remémorait [les événements passés], il aidait à noter…à noter les souvenirs. Tout ce qu’ils ont écrit là c’était assez détaillé. Une fois qu’ils ont fini d’écrire [l’histoire], est arrivée l’année 58, en 58 le Maître Min Zhidao est décédé…le 12. Ma Fuchun, fils aîné du maître à la troisième généra-tion (Ma Mingren), a étudié au département de philosophie de la West China Union University (Huaxi daxue) située à Chengdu (Sichuan) dont il sort diplômé en 1947. Dans sa jeunesse, il avait noué des liens de confiance avec l’historien Ma Tong.

Parti communiste nous a…à ce moment-là, ce document, il l’a…Le document qu’on avait écrit était ronéotypé, à ce moment-là les textes étaient reproduits à la ronéo, avec la méthode Kela13. Comme j’avais mis ce document dans

le tuyau du poêle, résultat, quand le Parti com-muniste est venu inspecter ils l’ont pris. À ce stade de l’enquête, il est difficile de déter-miner si l’initiative décrite par Min Shengzhi constitue un second moment d’écriture d’une histoire commune, plus axée sur l’événement de Pékin, ou si elle fait partie de l’opération d’écriture évoquée par Ma Fuchun. Les dates mentionnées ne sont pas un indice fiable pour déterminer la synchronie de ces deux événements.

Une histoire religieuse

valide à transmettre

Dans l’évaluation que Min Shengzhi porte sur les différents types d’histoire du Xidaotang aujourd’hui disponibles, celle compilée dans l’ouvrage non-publié de Ma Tong répond à ses attentes. Sur quoi repose le fondement de son jugement et en quoi l’Histoire religieuse se dif-férencie-t-elle des autres récits ? Il semble que le texte réponde à une promesse, formulée par Ma Fuchun dans le chapeau introduisant le texte : « sans trahir la Voie que le Maître nous a montrée, il faudra se relever et se développer ».

Dans Histoire religieuse du Xidaotang – texte com-pilé tardivement et inspiré du premier Annales

saintes du Xidaotang, rappelons-le – Ma Fuchun

reconstitue le récit de la vie du saint fondateur et de ses successeurs en vingt-deux épisodes à par-tir des histoires orales qu’il a recueillies. Le récit commence à la naissance du saint fondateur en 1857 et se termine en 1916 quand ses successeurs quittent Pékin ; l’épisode vingt-deux correspond ainsi au journal écrit par Min Haifeng à Pékin14.

13. Nous ne savons pas ici à quelle technique de duplication de document Min Shengzhi fait référence, il pourrait s’agir d’un duplicateur à alcool (ronéotype) ou d’un mimographe. Il se pourrait que cette machine eût appartenu à l’école pour filles de Qixi pour imprimer les copies d’examen. Nous n’avons rien trouvé sur la méthode Kela.

14. La narration, faite du point de vue interne à la commu-nauté, nomme les membres du Xidaotang par leur nom, sur-nom ou statut et le groupe avec les termes suivants : « Nous/ notre côté/notre camp/les nôtres » (wofang 我方/woren 我 人), « notre voie » (wo tang 我堂/ wo daotang 我道堂), « notre enseignement/religion » (wujiao 吾教), « mon/notre Maître » (wu daozu 吾道祖/women daozu 我们道祖). Les opposants sont désignés par des termes génériques comme « les ennemis » (choushizhe 仇视者), « la partie adverse »

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(dui-L’auteur élabore un récit très riche où foisonnent les noms de lieu, les dates, les moments de la journée, les discours directs. La narration détail-lée de cette histoire très localisée témoigne d’une forte sensibilité à l’égard du passé. Outre le fait qu’il relate les miracles effectués par les Maîtres ou ceux dont ils sont l’objet, le texte livre une quantité de termes religieux faisant référence soit à des pratiques rituelles, soit à des incantations qui semblent s’apparenter au wird15. Soulignons

par ailleurs que les aspects qui sont davantage de l’ordre du merveilleux sont toujours décrits dans une réalité historique située et datée16.

En se concentrant sur les charismes des quatre premiers saints, le texte hagiographique permet de fédérer la communauté autour d’une histoire sainte commune, validée par Ma Fuchun qui, en tant que fils aîné de Ma Mingren (troisième Maître) et gendre de Min Haifeng, bénéficie de toute la légitimité nécessaire pour en faire le récit. Ma Fuchun, Min Haifeng et les autres membres qui ont participé à cette entreprise d’écriture deviennent ainsi les co-producteurs d’une his-toire interne et locale qui laisse peu de place à une version officielle de l’histoire ; ils parviennent à produire une histoire à soi rassemblant les voix des anciens pour en faire une tradition conforme à la représentation qu’ils considèrent la plus juste de leur passé17.

Lors de ma discussion avec Min Shengzhi, mes commentaires sur ces différentes versions des his-toires écrites du Xidaotang ont suscité un enthou-siasme chez mon interlocuteur qui, se prêtant au jeu de ma découverte, a commencé à me livrer un récit personnel et enjoué des miracles survenus dans la vie des maîtres.

fang 对方), rarement par leur nom ou celui de leur confrérie.

15. Rachida Chih donne cette définition du wird (plur.

awrād) : « oraisons quotidiennes propres à chaque confrérie.

Elles sont composées de louanges à Dieu, de bénédictions sur le Prophète, de demandes de pardon. Leur récitation suit le rythme des cinq prières canoniques » (Chih R., 2000 : 351).

16. Denis Gril pose cette question au sujet de l’interprétation que les hagiographes pouvaient avoir des faits miraculeux relatés : « Voyaient-ils (les hagiographes) en eux le critère essentiel de la sainteté ou le signe d’une grâce divine ; un moyen d’édification ou d’illustration vivante d’une doctri- ne ?» (Gril D., 1995 : 69).

17. Nous empruntons ce terme d’« histoire à soi » à Daniel Fabre : « La contestation de « l’histoire officielle » n’est plus, quand elle subsiste, qu’une clause rhétorique, son ferment s’est dissout dans la possibilité bien admise de produire une

histoire à soi, c’est à dire d’instituer une identité locale par la

figuration du passé » (Fabre D., 2001 : 23).

Je vais te raconter deux histoires. Alors qu’ils avaient porté plainte à Pékin [1914-1916], au gouvernement personne ne s’occupait de ce dossier, ils se sont donc dit entre eux on va faire appel à Dieu, ainsi chaque jour ces quelques personnes, environ sept, quelque chose comme ça…un jour jusqu’au soir ils ont récité le dhikr de notre ahong (imam), c’est pour louer Dieu, prier Dieu, pour réciter le nom de Dieu. Avec les prières, ils observaient le jeûne, ils jeûnaient collectivement, tu com-prends ? […] Ils ont jeûné sept jours, puis ont mangé seulement deux dattes, puis finalement Ma Mingren a dit à Min Haifeng : « [Il] a dit de rompre le jeûne aujourd’hui, cela fait sept jours, il est temps de préparer un gruau de riz », il [Min Haifeng] répond : « il n’y a pas de riz ». Il [Min Haifeng] est allé demander du riz au tenancier de l’auberge en lui tendant une tasse à thé sans anse, une de ces tasses qui servent à boire le thé, il lui a donc prêté du riz dans ce genre de petite tasse à thé, ça c’est Min Haifeng en personne qui me l’a raconté. Tu penses qu’avec une telle tasse on peut faire une marmite de gruau ? Ça c’est une chose impos-sible. Il [Ma Mingren] a dit tu verses, moi je remue, alors Min Haifeng a versé le riz dans la marmite, et Ma Mingren a commencé à tour-ner. En même temps qu’il tournait il récitait des prières, ainsi la marmite de gruau était si dense qu’ils n’ont pas pu en venir à bout. Tu imagines toi en ce temps-là pouvoir remplir une marmite aussi pleine de gruau ? Ça c’est un fait réel et véridique, quand il [Min Hai-feng] a vu ça, c’était trop mystérieux.

[…]

Il y en a encore une autre, elle n’est pas men-tionnée dans ces documents. Après avoir fait la prière, lu les écritures saintes, il [Ding Quan-gong] a récité le Coran en sautant, il s’est levé du lit et lisait en sautant ; après avoir fini de réciter, Ding Quangong, Ma Mingren et Min Zhidao [les trois futurs Maîtres du Xidao-tang], à ce moment-là les trois étaient encore jeunes, ils sont sortis en sautant par la fenêtre de l’auberge, est-ce que ça y est ça dedans ? Le saut par la fenêtre il [Ding Shiyuan] l’a corrigé…donc ils sont sortis en sautant par la fenêtre…Min Haifeng a dit que lui aussi il voulait passer par la fenêtre, mais les ouver-tures étaient tellement petites qu’il ne savait pas comment s’y prendre, alors il est sorti par

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la porte, il y avait aussi deux personnes, les tailleurs de pierre, ils sont sortis par la porte. Une fois sortis, les trois Maîtres sautaient par-tout dans la rue, comme ils sautaient, par-tout le monde pensait qu’ils étaient fous, que cette bande venait mettre le désordre. Alors qu’il sautait, bang ! Il [Ding Quangong] s’est saisi à deux mains du cadre en bois de la fenêtre. Dans les temps anciens, les gens attachaient une lanière sur leur jambe [sorte de jambière] n’est-ce pas ? Alors ce genre de lanières en soie, il les a nouées sur le cadre de la fenêtre. Les gens d’un coup d’œil pouvaient voir les deux drapeaux verts qu’il a plantés, il a planté un grand drapeau. Les drapeaux verts [à com-prendre comme symbole de l’islam], ça c’est une chose du divin, ça là-dedans il ne l’écrit pas clairement.

[…]

Résultat, après être sortis, quelques personnes de la Cour suprême du gouvernement, à ce moment-là on disait Cour suprême, les ont attrapés, ils ne voulaient pas qu’ils causent des troubles à l’ordre public. Ils les ont attrapés. Après les avoir attrapés, ils ont attaché Min Zhidao à un grand orme, un de ces grands arbres qu’une personne seule ne peut embras-ser, alors ils l’ont attaché dessus. Alors qu’il était attaché à cet arbre, il a récité « lia yi lia

hai » [ar. lā ilāha, une partie de la shahada],

alors l’arbre, comme de la gomme [/du caout-chouc], s’est plié vers le bas. Ça c’est véridique, c’est Min Haifeng qui me l’a raconté en per-sonne. Avec le « lia yi lia hai » l’arbre a fait un mouvement du haut vers le bas, et avec «

yin la la hu » [deuxième partie de la shahada],

alors l’arbre a fait un mouvement du bas vers le haut. Alors les policiers, les militaires en voyant cela, [disaient] « Oh ! Ce ne sont pas des gens ordinaires ! » Ils se sont dépêchés de les relâcher, tous ceux qui avaient été attachés, furent libérés. À cette époque les gens n’avaient rien à voir avec le marxisme-léninisme, [ton ironique, rires] ils étaient superstitieux, il [ ?] a commandé qu’on les relâche, est-ce qu’il [Ding Shiyuan] a écrit cette partie ?

[…]

Quand ils faisaient les actes méritoires à Pékin, un soir, ils se sont disputés une ancienne mon-naie, tu en as entendu parler ? […] C’est Min Haifeng qui me l’a raconté. À la nuit tombée,

il y avait une chose un peu trouble qui bril-lait, pourquoi ? Alors qu’il marchait sur la route du grand hôpital, ils ont ramassé une pièce de monnaie en bronze, c’était une pièce de dix mille, à ce moment-là une pièce de ce genre valait dix mille yuan, c’était une pièce en bronze de dix mille, ils ont donc ramassé cette sorte de chose. Le soir cette chose s’est mise à émettre de la lumière, ils se la sont disputés, ils étaient jeunes, ils se la sont disputés et qui est parvenu à l’obtenir ? Ding Quangong s’en est emparé, c’est pourquoi Ding Quangong est le deuxième Maître. Ainsi quand on parle de « recevoir la lumière » de la religion, c’est la lumière, elle vient comme ça.

Une histoire religieuse :

ses sources et ses publics

Au terme de cette étude où il a été en partie question de faire une lecture critique des diffé-rentes sources proposant une histoire religieuse du Xidaotang, il convient de revenir sur une de nos questions premières concernant la condi-tion de l’écriture historique. Nous avons identi-fié quatre opérations d’écriture entreprises à des moments historiques différents : 1/ Les notes prises par Min Haifeng entre 1914 et 1916 au moment où le destin de la confrérie est en train de se jouer tant sur le plan de la légitimité reli-gieuse que politique, 2/ L’entreprise de sauve-tage d’une histoire commune en mobilisant les mémoires vives à la veille d’un tournant politique (milieu des années 1950) que le Maître pressent désastreux pour la survie de la confrérie, 3/ L’ini-tiative de publier au début des années 1980 dans un recueil académique une version autocensurée d’un document dont la première partie s’appa-rente à un récit hagiographique dépouillé de tout mysticisme, 4/ La volonté en 2010 de compiler en trois volumes un recueil d’études sur le Xidaotang destiné au monde académique et caractérisé par la faible présence d’une histoire religieuse fondée sur des matériaux internes à la confrérie.

La mise en perspective de ces quatre moments historiques et historiographiques invite à interro-ger le statut de ces textes en considérant leur visée et leur public. Dans le premier cas, l’opération s’apparente à la constitution d’une hagiographie avec pour intention de relater la vie des saints, ici des saints en devenir. L’enquête orale n’a pas permis de déterminer si au sein du Xidaotang ce genre d’écriture était courant pendant la période

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républicaine, j’ai pu néanmoins obtenir de minces informations à ce sujet :

Paris, février 2011, correspondance électronique avec Ding Xuhui après son entrevue avec Min Shengguang.

Ma Qixi has no documents handed down except the couplet « Zhonghou liu youyu dibu, heping yang wuxian tianji » 忠厚留有余 地步, 和平养无限天机 [Celui qui est capable d’une attitude loyale et bienveillante à l’égard des autres, il a assurément une nature de cœur magnanime. /Celui qui est en bonne entente avec les autres, est à même de défendre à l’in-fini le secret du ciel qu’il ne faut pas révéler]. There are private writings of Ma Qixi’s Kara-mat [Miracles] cherished by the members, but the whereabouts are unkown18

On peut supposer que ces textes, conservés au sein des foyers, sont destinés à un usage privé, sans vocation à être diffusés à l’extérieur du cercle de connaissance de l’hagiographe ou du proprié-taire de l’hagiographie.

Dans le deuxième cas, il s’agit réellement d’une opération de sauvetage des mémoires vives du passé initiée à un moment de fortes incertitudes. Le document finalement obtenu à partir d’une compilation d’histoires orales avait pour mission d’édifier une tradition transmissible aux futures générations, dans une perspective de sauvegarde à la veille d’une période de troubles. Ces deux premiers moments de production écrite, que l’en-quête a permis de retracer, confèrent aux miracles une place centrale dans la narration de cette his-toire religieuse, à côté d’autres descriptions sur les rituels et la liturgie par exemple. La vie des saints, caractérisée par le rapport privilégié qu’ils ont avec le sacré, est au centre de cette histoire religieuse.

La troisième opération a lieu au début des années 1980, au moment des réformes politiques qui per-mettent dans une certaine mesure une libération de la parole et où on observe une sortie progres-sive du totalitarisme. Le fait même de pouvoir écrire son histoire d’un point de vue interne est un indicateur du changement du climat politique et d’une capacité de parole, certes limitée, retrou-vée. La contrainte, nous l’avons vu, se situe très 18. Je remercie ici mon ami, Ding Xuhui, professeur d’an-glais à l’Université de Lanzhou, qui a aimablement accepté de jouer le rôle d’intermédiaire pour interroger Min Shen-guang, le Chef religieux actuel de la confrérie.

exactement dans le va-et-vient entre censure ins-titutionnelle et autocensure de l’auteur. Le résul-tat en est un type d’histoire dont la première par-tie se rapproche du genre hagiographique relatant la vie des saints en signalant les miracles par des coupes grossières, sans jamais vraiment les relater, laissant ainsi travailler l’imagination du lecteur qui y serait attentif. Le public visé par cette his-toire est au moins double : le milieu académique auquel on veut fournir une histoire de la confré-rie le plus fidèlement possible et la communauté dont de nombreux membres connaissent encore aujourd’hui l’existence de ce matériau. Enfin, la dernière opération, qui a lieu au début des années 2010, balaie toutes ces histoires religieuses écrites en interne pour n’offrir au public qu’un éventail d’études déviant totalement de la question reli-gieuse, et encore plus de sa dimension mystique. Ce choix manifeste le rapport complexe que le Xidaotang entretient avec le pouvoir politique et la place qu’il veut occuper dans l’espace public. La question devient alors : par quels canaux la « vraie » histoire religieuse se transmet-elle et cette tradition fait-elle encore autorité ?

Si l’enquête orale a permis d’une certaine manière d’apporter un éclairage sur les apories des sources écrites, il nous semble ici important de revenir sur la manière dont Min Shengzhi relate cette série de miracles lors de notre discussion. Outre le fait de raconter les miracles dans leur factualité his-torique, le récit de Min Shengzhi comporte trois fonctions qu’il convient de souligner : interpré-tante, attestataire et didactique. En même temps qu’il en livre le récit, Min Shengzhi interprète les symboles sacrés que le miracle révèle : la tasse sans anse, le diamètre de l’arbre, la couleur du drapeau, la lumière sont autant d’indices qui permettent de mesurer la grandeur ou la présence de Dieu. Par ailleurs, il prend soin d’insérer dans le récit sa source d’information, ce qui donne des accents de vérité : « c’est Min Haifeng qui me l’a dit », « je le tiens de Ding Shiyuan ». Il est donc le passeur d’une parole prononcée avant lui par des témoins directs ou indirects du miracle. Enfin, dans la composition du récit, Min Shengzhi prend soin de narrer chaque étape en soignant les transitions et s’assurant que l’auditrice que je suis ne perde pas le fil.

En écoutant Min Shengzhi me raconter ces his-toires comme à une enfant, je me suis demandée si ce genre de transmission orale était chose cou-rante au sein de la confrérie et si elle constitue un

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vivier de traditions à côté de récits écrits publics, plus lisses, qui n’échappent pas aux contraintes politiques et qui participent à la publicité admise du Xidaotang. Au terme de cette étude, il nous semble pertinent d’envisager le statut du récit écrit et du récit oral non pas en les opposant l’un à l’autre mais en les considérant du point de vue de leur fonction politique, soit comme ciment de la communauté en édifiant une tradition partagée, soit comme moyen de rendre visible une histoire consensuelle en adéquation avec les attentes du pouvoir politique. Les formes orales constituent vraisemblablement un interstice en privé où, à l’ombre de l’espace public, il est encore possible de transmettre une histoire « vraie », une histoire qui ne trahit pas la voie des Maîtres mais la perpétue.

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dimen-sion de la performativité : de la construction de la finance contem-poraine, FMSH-WP-2016-113,

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mot pour dire ce qu’implique être griot chez les Bwaba,

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