André Pieyre ~ Mandiargues
Jean-Pierre .T~d~EI
A thesis submitted to
the Facu1ty of Graduate Studies and Research ,
in partial fu1filment of the requirments for the degree of
Master of Arts
Department of French Language and Literature McGill University
Montreal August 1967
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Jean-Pierre Tad~s
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Department of FrenChLa.ngu8.ge and Literature
August l. 967. ' .. ~' .'
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André Pieyre. de Ma.nd~argUes, à l. 'âge de 5 8
ans"
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un au~eur:peucoD.nu du:~randPubl.i:C;.p0urtant,· sonoeuv:rre.
comporte' aujourd'hui
une-vingtàiné;';_;:~e;VOl.ulneSq~ré~~-·_H"
" . .... ,-','.:' -; ." \ .. l.ent une tripl.e aetiviti de: contel1r,lromanc'ier, de: poè'te;
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et' de cri tiquel.itte:t"aire.et pic~. La c~i tiqu.e, par.
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' ... ' ... :
contre, a su l.uir~server un me.il.l.eùr à.c~ueil~': A ia'i
pa-. -
-rtltion de chacun de ses ouvrages, elle a sal.ué
l.aprofon-. . " "
de original.:Lt~ dé cet écrivain.' Ma.1gr..é .ce' succès de critique
il. n'existe, à ce jour, aucune etude d'ensembl.e qui nous.
permettrait de mieux saisir l.'original.iteet l.a pl.ace
de Mandiargues dans l.a l.ittérature française contemporaine. Par notre thèse nousvoul.ions donc, en premier l.ieu,
com-ble~ cette l.acune.
C'était donc à un travail de synthèse que nous nous engagions; et les deux premiers chapitres. de notre étude entendaient répondre à cette exigence. Nous avons ainsi
présenté, tout d'abord, un "portrait littéraire" de' Mandiargues, ' pour' e~s~ te 'détermine];' lesfondeineIlta '
de sonesthetique dont ~e' pivo't central se~ait'~e i-e~
~ûr~~constant à ~'~ginair~ .• . -.. '.' ... :. '. _. ".'; ,
Dire c~ soucià.ez~ecrée~ par~ 'imagination le , "climat du rêve
etdè"là':t'ê;'eri~;
ci~t~it'ïioùs a.men~r
auseuU de cë prob1èlnefondamental:'~e'ra1e"duM;r-"
- , . r-:' " - . ".. , . " . - "' . '~ , . " ',1· ,~ .'; . , . .::- ;:'. ;~I.' . veUieux dans l ' oeuVliede Mandiargues. Nous nous som-mes'" d~nc ',empioy~s
,è ...
·~epIaceJ:.:'ëe'probièm.e·' dû.'Me~eiJ.leuXdims son contextehist'6rlque"
ava.ntded~teJ..m.in~r:;ia:"
piace qu , i.loccupea.8.ns1esrécits de'Maila.1argaes.
or, ~n B.nalYaâ.nt~es contes' de Mandiargues., on~'~p'er cevra que son Merveil1eux'na1t 'des:·.paYsages. Dece~~..
ci se dégagera une présence qui semble +e fasciner:
,. ..,'. ' . . "
celle de la femme. Un climat profondément érotique
s e trouvera alors créé, mais où~a complaisance et la bassesse. Noue étions ainsi amenés à parler de
'~er--- ~ .
veUleux érotiqu.e" qui noue semble le mieux définir la profonde particularité de l'art de Mandiargues.
Introduction
. .
.
~.
. .
.
. .
.
.
. . .
Chapitre l
Portrait Littéraire • • • • • • • • • Chapitre· II
Dans l'Orbitre de l'Imaginaire •• • • Chapitre III
Pour une. Esthétique de Merveilleux • • Chapitre IV Le MYstère F~minin •
.
.
.
• • Conclusion • •.
. . .
.
.
• • • • • • • • Appendice l 1 10 4277
98
Réponse au Questionnaire Marcel Proust. 102 Appendice II
"Giorgio de Chirico"
.
.
. . .
.
.
.
105 Essai de BibliographieI. Oeuvres d'André Pieyre de Mandiargues
A • Livres . . . ... . . . . 106
B. En collaboration • • • • . . . • • 109 C. Préfaces
1. Livres • . • • . • • • • • . • 110 2. Catalogues d'exposition. • • 110 D. Articles, contes et poèmes non
réunis en volumes • • • . • • • • •. 112 E. Interviews • . . • • • • • . • •• 116 F. Déclarations surréalistes signées
par André Pieyre de Mandiargues. . 117 II. Articles critiques sur Mandiargues • • 118 III. Livres consultés pour la rédaction
L'oeuvre d'André Pieyre de Mandiargues nous semble
une des plus attrayantes, une des plus belles de notre
époque. Emettre d'entrée de jeu un tel jugement c'est
àla fois expliquer notre choix et dire notre admiration
-que nous
~u1onslucide- devant cette oeuvre aujourd'hui
si importante, tout au moins numériquement.
Cette restriction s'impose dès qu'on essaye de faire
. . 1 .
le bilan de ses vingt-cinq années de présence sur la
scène littéraire. Car
s~ àla suite de la récente
paru-tion de son vingtième
1ivr~2
il est de l'avis de tous
les critiques
unécrivain très estîmé,
11n'en reste
pas moins
unauteur pour les nhappy few".
3Une rapide
1
Dans Les Années Sordides, son premier livre,
en
1943
àMonte-Carlo.
a paru
2
l!!
Marge, Gallimard (paris, 1967).
3 Pour reprende l'expression employée par MM. Robert
Kanters et Mathieu Gal1ey respectivement dans Le
Figaro Littéraire, nO 1103 (5-11 juin 1967)
et~ansArts, nO 85 (10-16 mai 1967).
enquête parmi 1es 1ibrairies de Montréa1 et au sein du département de français de 1'Université McGi11 n'a fait que confirmer cette réputation. Mandiargues, à 1'Age de 58 ans, n'est pas encore reconnu par le grand pub1ic. Et s'i1 faut, ma1gré tout, mentionner le succès re1atif de certains de ses ouvrages (nous pensons surtout à ce1ui remporté par son premier roman,
l!!:
Motocyclette) c'est pour nous apercevoir qu'i1 repose sur des ma1entendus.Tout d'abord, Pieyre de Mandiargues n'était, jusqu'à ces dernières années, qu'un auteur de contes et de poèmes. Or, les recuei1s de contes ou de poèmes, de nos jours, se vendent ma1. Nous ne vou1ons pas débattre sur 1es raisons de ce discrédit; contentons-nous de constater que la moue du pub1ic à 1eur égard n'a pas épargné 1'oeuvre de Man-diargues. Et si 1'auteur de
~
~
Braise4 a pu sortir de la pénombre 1ittéraire, si son nom commença à signifier"que1que chose" à une certaine inte11igentzia, ce n'est qu'en 1961, 10rs de 1a pub1ication de son premier roman. Mandiargues avait alors 52 ans.
D'autre part l'aspect souvent outrageusement éro-tique de ses récits lui a valu une réputation de libertin, d'amateur de bizarreries. Et si, à ce gont effréné pour l'érotisme, nous ajoutons ce penchant sordide pour tout
ce qui a nom "fantastique", Uinsolite" , voire "mons-trueux" , on comprendra alors que certains critiques associent son nom à celui du divin Marquis, ou compa-rent ses récits à "l'horrible Histoire ~" de "PauJ.ine .• : Réage". 5 Ses édi teure, du reste, surent utiliser, non
sans quelque profit, la mauvaise réputation de leur auteur. Or, faut-il voir en Mandiargues un auteur d'''érotiques"?
"La formule est connue, trop vite, trop facilement em-P10yée,n6 nous avisera-t-il, nous contraignant ainsi à la nuance.
Enfin la nature secrète de Mandiargues le tenait à
l'écart des spéculations littéraires. En dehors de la course aux prix, se refusant au "picotin journalistique", il laissa se faire sa réputation de poète. On pourra certes
5 Pierre Gioan, Histoire Générale ~ Littératures, Librairie Aristide Quillet, Tome III, p. 748.
évoquer stendhal et prôner qu'une telle attitude est
payante; Mandiargues reste notre contemporain et nous
voulons -non sans réserves- lui rendre justice.
Aucun des ouvrages de Mandiargues n'a passé inaperçu
de la critique. Deux recueils de contes, Soleil des
-Loups 7 et
l.!!:!!
~
Braise, furent couronnés; le premier
en 1951 par le
jurydu "Prix des
Critiques~'"le second
en I960 par celui du "Prix de la Nouvelle." Mais ma1gré
ce succès de critique 11 n'existe pas d'études
d'ensem-ble qui nous permettraient de mieux saisir l'originalité
et la place de Mandiargues dans la littérature française
contemporaine. C'est ce vide que nous aimerions combler.
Oserons-nous dire que la tâche est ardue? Car
com-ment approcher cette oeuvre aux multiples facettes.
Fal-lait-il parler du conteur? du poète? du romancier? ou du
critique? Plus scrupuleusement, devions-nous tout au
contraire présenter l'un après l'autre les différents
visages de notre auteur? Or, s'il nous paraissait
impen-sable d'amputer une oeuvre d'une de ses parties sous
texte qu'e11e ne re1èverait pas de 1a même fami11e 1it-téraire, i1 nous paraissait impossib1e -sous peine de nous répéter indéfiniment- de fragmenter cette oeuvre en contes, poèmes, romaris, et artic1es critiques. Dans ces conditions, comment aborder 1'oeuvre?
Mandiargues, lors d'une interview accordée à un cri-tique parisien, concluait 1'entretien en ces termes:
Finalement, tout se ramène à 1a poésie. Et si je finis par consentir à appe1er mes 1ivres romans c'est uniquement pour faire p1aisir aux éditeurs et aux
cri-tiques.Souven~z-vous-en: tout débouche sur 1a poésie.. . .
En affir.mant ainsi 1a prééminence de 1a poésie, 11 nous mettait en garde contre 1'apparente diversité de son
oeuvre. Oar c'était nous dire, qu'à travers des genres différents, il poursuivait 1a même aventure, celle de 1 'Ecriture.
Mais 1a poésie saura être, non seu1ement 1'éperon de tout ce qu'i1 écrit, mais aussi 1e but u1time de sa vie;
8
La poésie est surtout l'é1ément essentiè1 de ma vie, un moyen de ~onnaissance
ap-Jean Chalon, "Mandiargues Mexicain, Il
g
Figaroprofondie, une façon de sentir intensé-
gment toutes les émotions de mon destin.
C'est pourquoi nous nous sommes efforcés, dans un premier
chapitre, de tracer un portrait du poète
àl'aide des
que:""'-lues rares éléments biographiques. Ce travail aura
l'avantage de faire ressortir la singu1ière figure
litté-raire de notre auteur.
Très
vite nous découvrirons chez lui le goat de l '
in-soli te, de l'outrance, m3me. Ce goiit, il le tiendra de.",
ses lectures, des esthétiques
anti-c~assiques,et en
par-ticu1ier du surréalisme. Nous serons donc amenés
àdéfinir
ses rapports avec la "Centra1e". Lièns que nous verrons
se réduire en la foi au r3ve,
àl'imagination, en la
re-cherche du merveilleux ••• Les réponses de Mandiargues au
"Questionnaire Marcel Proust
nseront, sur ce point,
signi-ficatives. Son idéa1 de bonheur terrestre, nous dit-il,
serait un "r3ve perpétuel
ft;et son plus grand ma1heur,
"cesser de rêver
n •10
L'écriture, la poésie, lui
four.ni-9
Claude Couffon, "André Pieyre de 'Mandiargues,
n~
~
tres Françaises, nO 1053 (5-11 nov. 1964), 4.
10Voir appendice l.
ront les moyens de recréer, de prolonger ces états de
....
.
reverJ.e.
C'est donc dans un monde où le merveilleux règne en
maltre que nous pénétrerons grâce à ses oeuvres. Mais
qu'est-ce que le m~rveilleux? Pour répondre à
cette·,.emba-rassante question nous serons amenés à nous pencher sur
le problème sou1evé par le merveilleux en littérature.
Certes reprendre le problème à ses origines ~ous
amène-rait à faire des considérations sans fin. Plus simplement
nous montrerons contre quelle attitude les surréalistes durent faire face pour rendre au merveilleux son droit de cité en littérature. Mais alors que Nadja peut être considérée, en partie tout au moins, comme un coup d'oeil extrêmement aigu jeté sur la réalité de la grande ville, faisant ainsi naltre un "merveilleux -il.rbain"; avec
Man-diargues le merveilleux prendra sa source dans la nature. Car c'est une véritable fascination qu'exerceront sur ses sens les moindres détails du monde extérieur. Son ambi-tion, nous dira-t-il, sera d'abolir toutes frontières entre l'homme et les choses, de pouvoir entrer en commu-nion avec la nature entière -qu'elle appartienne au règne animal, végétal ou minéral.
Dans ce monde d'''objets merveilleux", la Femme, se révélera être l'objet par excellence, car c'est par elle que le poète pourra entrer en contact avec la nature. "La Femme est l'objet essential, le centre et le pivot du monde. nll Et ce sera par son intermédiaire, et seule-ment grâce à elle, que toutes ses visions se
cristalli-seront.
Je crois que dans la vie il n'y a qu'un objet qui me fascine, qui
"trône jusqu'au plus haut de ciel", comme on dit: c'est la femme ••• Dans mes peBsées, dans ma vie, et aussi . dans ce que j'écris, fil!lale-ment, tout tourne autour d'elle. Je serais hyp~crite en prétendant le contraire. 2
Dans ce monde où la femme a le rôle de grande prêtresse, c'est-à-dire d'intercesseur entre l'homme et la nature, l'érotisme a-t-il sa place? Certes, mais i l sera exprimé sans complaisance, ni bassesse. Et, ne serait-ce que pour cette raison, nous refuserions de ranger son oeuvre
par-Il Mandiargues, cité par Pierre Ajame, "L'Ange du bizarre est passé par là, Il
l!.!!!
Nouvelles Littéraires, 420 annéenO 1897 (9
janv.1964),
p.3.
12 Mandiargues, ci té par Alain Jouffroy, "Entretien:
Man-diargues, celui qui a fait peur aux jur,ys, " L'Expres~,
nO 651 (6
déc.1963),
pp.43-44.
1
miles "érotiques". Mais il y a plus. Lors d'une
inter-view radiodiffusée Mandiargues notait que l'érotisme
était "le miroir de la vie de l'homme". C:!était
conférer-au sexe et
àl'amour leur place privilégiée dans la
na-ture.
Et
si, au terme de cette étude, nous avons réussi
àmontrer que tout au long de son oeuvre André Pieyre de
Mandiargues s'engage tout entier, et s'engage tout entier
pour la glorification de l'amour, nous aurions peut-être
réussi
àmontrer qU'il existe un "merveilleux érotique,"
un merveilleux
OÙle sexe sera "une façon de rendre
hom-mage
àla Femme".13
PORTRAIT LITTERAIRE
Depuis Sainte-Beuve et HippolYte Taine l'élément biographique, on le sait, tient une place prépondérante dans l'élaboration de toute saine critique littéraire. La "nouvelle critique," pan'un juste renversement des valeurs, éprouve quelques réticences à utiliser un maté-riau qu'elle assimile au fait divers, sans valeur donc, sinon anecdotique. Faudra-t-il, au début de notre étude~
prendre position, et choisir entre ces deux attitudes? Certes non. Et s'il le fallait absolument c'est pour une solution de compromis que nous inclinerions. Car :facre à "Mandiargues
n,
seul l'oeuvre compte -pour nous. Mais peut-on.., pour autant" faire abstraction de tout ce réseau d'influences qui, consciemment ou non, a agi sur l'homme, et en a fait successivement l'auteur de L'Age de Craie, d'Hereda, ••• , et enfin (tout provisoirement) de ~ Ma~e.Car (faut-il le laisser entendre dès à présent?) poète avant tout, Mandiargues a réussi à faire de ses pensées, de ees goats, de ses voyages, de sa vie, un unique
ali-ment pour son st.yle.
Nous nous risquerons donc
àrappeler quelquesfa.its
biographiques dans l'espoir ,de mieux, faire comprendre
cette oeuvre, par ailleurs si riche. Oe travail n'ira pas
'sans quelques dangers.
Car .
nous avons.
àparler d'un autèur
.' , r • ~ .
. ' " . . .
contemporain et qui, ,non seulemen.t n'a jamais publié,
d'au-; "d'au-; ' ,
tobiographie, mais s'est· toujours, montré avare en
cOll:f'i-.,', • -'; " . (_ :',1dences
~ pourpal1ierà~ces diffiëul tés' nous examineron~
,delu: sortes de' documents. Toutd ',abord' nous aurons recours
, " ,' .. '1
aux interviews que/depuisquelqûeannées,Mandiarguea
. ' ; ; " , ","-, .
,accorde,
i lest vrai 'avec·, parciniome; mais où, avec .1a
plus désarmante franchise, il ne cesse,de définir'sa
, '
"fonction" de poète. NoUs analyserons également cèscourts
écrits qU'il a placés en tête de
ce~ainsde ses recueils
de contes, et qu'il intitUle préfaces, mais auxquels le
nom de "paratonnerre" conviendrait mieux.
Le personnage André Pieyre de Mandiargues a quelque
chose de fabuleux. "Il. ne faut pas faire grand effort,"
nous dit M. Guy Dumur qui connai t bien l'auteur de L'AgE!! ~Oraie, npourévoquer un autre temps que le n6tre e~ voir Mandiargu.,es boutonné jusqu'au cou dans un manteau
de loden vert, ,la tête un peu hautaine et l'oeil à demi 1 d , ' i , .. 2
c os, un 0 seau ••• Telest-i~ du, moins en ces photos
qui nous le représente -au physique mince, habillé non sans quelque recherche, et au r,egard ~ope fixé vers un
"ailleurê"- entouré de masques, d~ statuettes étranges, de sculptures précolombiennes.
Mais il est aussi facile d'imaginer Mandiargues a.mideLe~ ~t d'Achim
d'Arnim ••• , je 'pe-qx, l'imaginer plus tard carbonaro ,en ,Italie, ou'bien en France ,ami de Nodier et de' Nerval. Plus tard encore déjà étranger au siècle, auprès de Baudelaire, ,de Bar-bey ci' Aurevilly 3 et de' Vill:i.ers de, , l'Isle Adam... ' ,
Ainsi à force de s'entourer d'objets anciens, Mandiargues est devenu pièce de musée lui-m3me. A le regarder, on ne peut s'empêcher d'aill,eura, (l'évoquer un autrefois
~thi-que. Et puisqu'on ne peut résister au jeu des analogies',
2 Postface à Mandiargues, Le Musée Noir, Union Générale d'Editions (Paris, 1963):-P.
177.----3 '
osons dire nos préférenoes. Oar plutôtqu'à'Arnim, à Nodier ou à :Baudelaire, olest à Des Esseintes que Man.-diargues nous fa.itpenser~ ,
Tout comme le héros de H~SmaDs, en effet, i l semb1e
" ':".
mépriser son sièc1e ,refuse 1a réalité quotidienne., culti-' ve l'artifice avec méthode etapparei11e pour le pqs , ,
des chimères. C'est
un
gen:t,ilhomme qui. s'est retirédu
" ..
tumul.te de la vie parisienne,et, clottrédans cette
mai-. ' i,
son qui abrita en d'autre temps
nl~marq~sevaporeuse,n;4
i1,mène à loisir une, vie, non ,pas "à rebours~ mais "en marge" des autres a~eodealivres et des oeuvres dJart qu'il préfère à tout.Ces livres sont ceux desélizabétha,1ns, des roman-tiques allemands -Jean-Paul. et Achim dl Arnim, en tout premier lieu- ceux d'Agrippa d'Aubigné, de Ooleridge, de Lautréamont et des surréalistes. Oes ouvragee, les premiers, ont su l'éveiller à ce monde mystérieux de l'art. Et, devenu poète lui-même, il saura. nous racon-ter ces rencontres surprenantes qu'il aura faites dans
4
Il s'agit de l'énigmatique marquise dont parle Restif, de La Bretonne dans l'un de ses plus curieux livres:cet univers enchanté de la lecture.
Des peintres, il saura en parler avec autant dê dis-' cernement. Giorgio de Chirico, Max Ernst, Dubuffet sont pour Mandiargues les trois maltres de la peinture
mo-derne. 'Et,in1assabi~ment, i1nous dira qu~isentimènt de merveille ont t~ujoursfaitnalt;;~ en lui chacune 'de leurs
~ . ".
oeuvres. Mais c'est à l'égard de l'italien qU'il gardera " les sentiments les plUS vifs 'où se partageront
l'admira-tion et l'irrital'admira-tion.
Giorgio de Chirico, ce n'est pas sans
t~n~~~se et ce n'estpas'$ans.colère que nou,s pensons à lu~ ,,'. qu~~ iJ... n,ou~,
arrive de penser à cet homme qui., pa~
~epartie de, saproductiQ,Il.,au moins, n0Uf;J, E$~E!:ryeilla t~ntaup10lJlent,denotre
.adol~s~ence , e t qu:i.5 es.t capa:ble de nous émouvo:Lr encore.... . , .".
Chirico, le premier, lui révèlera, par sa peinture, ce monde "merveilleux" de la couleur. Et ce ne sera jamais
sans quelque nostalgie qu'il se rappellera sa première rencontre avec le "peintre enchanteur":
Je n'avais pas beaucoup plus de seize ans, je crois, quand je vis, dans la
v~trine d'une galerie qui devait se
5 Mandiargues, "Chirico: Le plus Inspiré de tous les Artistes Modernes," Les Nouvelles Littéraires, nO
1875
12:--trouver au coin de la rue La :Boétie' et de].' avenue Percier, un étrange .' peti t . tabl:eau de forme '. allongée 'oùdes<:orps . géométriques s' apP'waien.tles . 'UnS' sur
les'autreset·se'répondaie!itavec,une. sorte de· per.f'ect1on· lD7stér1euse. Mieux que des no tes,. 'j'aidians 'l.a méDto'ire en-core ·1:es cou1eursqu:1.composa:i:ent 'Qet.te
. ' . ".
ha:r:moniesilencieuse ,ce,concert
'p1as-tique~figédans. :unepureté'froide •• oô '
Levèrt;lerouge ,etl:erQse7 ,voisi.~ na:tentavec,l.e:rJ,oir ,et le . gris ... ··,·:t1,·~> .
. me'·:,seJlîqllait'~auèâi'·que',les:.f'ol:"lD.es ,avaièu"l;
W?-
latig~g6' qU:i,ne: m 'é1ia.itpasinintell.i~ .g1ble.·~. ,;.'. ' . ' ','., .... ..' ... "
. . . ,
'0' est le je~e Mandiarguesséduitpar,i' étrange, le lD1's- .
;,," " . ' ,.r. "
térieux, que nous découvrons
dans
c~s lignes. Chez 1ui,,':: '
peut-on alors sien étormer, les murs seront couverts de
tab1eaux; Chirico, Fi1ippo de Pisis,·Tehel.itchev, Max Er.nst,Leonor
Fini,
:Burri, et :Bona~turei1ement?
se.. . '
trouveront rassemblés autour de cet étrange personnage, dGnt nous nous risquerons à dévoiler 1'état civil.
André Paul Edouard Pieyre de Mandiargues est né le
14
mars
1909 à Paris. Les Mandiargues sont d'une vieillefamil.le nimoise, mais sa mère est normande. C'est elle,
6 Ibid., p. 12.
Mlle. Lucie Bérard, fille de Paul Bérard", fameux colleo-tionneur de peintures impressionnistes ,que Renoir peiF.-=-> . gnit souvent, et qui figure avec ses deux soeurs sur un
tableau célèbre, "L'Après-midi des enfants à Wargemontn •
On ne peut s'emp3cher de voirune.sorte de prédestination dans cette parenté avec le mondepictura1, qui ne. cesse~
'. ",
de jouer un rô~e dominant dans ,le cours de sa vie. Et. n'est-ce pas parmi ~espeintres.qu'11 a ,choisi ~a com-, pagne de
s~ vie~
Le 2fé~i~~-1950
·il. épousera l.a nièce'du peintre Filippo de Pisis, Bona Tibertel.l.i, auteur de toiles surréalistes.
A-t-il. eu des anc3tres littérateurs? Oui, 'si l'on peut -dire cela- de l'un
d' eux~ ,Al.exandre Pieyre, qui . fut au
XVIIIo siècl.e précepteur des enfants du ,duo d'Orléans, ou d'un curieux personnage ,Pieyre 'de :Boussugues" qUli signa' en 1880 Al.phonse Pieyre un roman prophétique, où après des
invasions, des bouleversements, et la conquête de la France parl'Al.le-magne ilneanous reste plus que la
Bretagne., '
Cette double ascendance artistique aura-t-elle quelque influence sur le jeune André? Non. Il ne sera pas
8 Denise Bourdet, Visages d'Aujourd'hui, Librairie Plon ( Paris, 1960), 1>.' 75 •
Mlle. Lucie Bérard, fille de Paul Bérard.l fameux collec-tionneur depemtures impressionnistes, que Renoir peif":ooo guitsouvent, et qui figure avec ses deux soeurs sur un
tableau célèbre, . "L'Après-midi des enfants à. Wargemon1;". On ne peut s'emp3cher d~ voir une· sorte de prédestination
. . .
dans cette parenté avec le monde pictural, qui rie cessera'!.
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de jouer un.'t'ô1e dominant" , " : dans ' . '1e cours de sa vie. Et
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n'est;"'ce pas parmi lespeiiltre's.q~' Ua .choisi 1a com- . pagne de sa
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Le~'fé";{~r~i950'i1
.épousera 1a nièce, " ,
du peintre Filippo de Pisis,. Bona. Tiberte11i, aute'a.r de toi1es surréalistes.
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A-t-Ueu des ancêtres littérateurs? Oui, si l'on peut dire cela. de 1. 'un d'eux, Al.exandre.Pieyre, qui;fut au
XVIllo siècle précepteur des enfants du. duo d'Orléans, ou d'un' curie~ personnage , Pieyre de Boussugues,·
qua signa' en 1880 Alphonse Pieyre un roman'prophétique,'où après 'des
invasions, des bouleversements, et la conquête de la France par l'Alle-magne il .neanous reste plUS que la
Bretagne.. . '
Cette double ascendance artistique aura-t-elle quelque influence sur le jeune André? Non. Il ne sera pas
8 Denise Bourdet, Visages d'Aujourd'hui, Librairie Plon (paris, 1960), p. 75.
"enfant prodige ." Il ne se sentira pas pJ.us attiré par.' J.epinceau que parJ.a pJ.ume. Ce qu.iJ.e séduira .... par con-tre, c'est J.e spectacJ.e grotesque et insoJ.ite du monde qui l'entoure. Très jeune, i1 se montrera réceptif à
tout ce qui transgressera 1es J.ois de 1anature, J. 'ordre étab1i.
Airisi 1e souvenir J.ep1~1ointain.1qui aura J.aissé .. dans soriesprit une empreiJlte,ine:ffa.çab1e.1remollte à sa ..
, " , '
première enfanoe.Mandiargues avait alors trois ou quatre ans. Sur une routesliisse, .a1orsqu'iJ. s'y promenait en compagnie de sa gouvernante, il vit . un .. charriot ciouvert)
. . .
abritant une famiJ.J.e d'ouvriers piémontais, tra!né',· par deux boeufs, qui,soue ses yeUx, tomba brusquement dans un précipice •. Etma.1gré J. 'intervention de sa gouvernante,
"Petit Jean, ne regardez pas, dit NinaCriticona. Vous
- .
êtes trop jeune pour regarder mourir,
"9
petitJean/André venait de découvrir/pour la première fOis,J.a mort, dansce qU'elle a de plus tragique et de plus absurde. Et combien de fois." par la suite) revivra-t-il -ou
reverra-t-il en imagination- cet épiSOde, "le pl.us ancien qui
. 10
eat marqué sa oonscienoe profonde". Sous la plume du
poète, ce "premier souvenir" ressortira avec ses déta11s les plus minces dans 'l'admirable récit,· "L'En:fantillage": histoired 'un homme. pour. qui "le passé et la mortré.'t-glUlent tyranniquement en lui" • lI, Le bizarre, l ' msoli te .
de ce monde, il le.s trouvera dans ces COllèges privés que ses parents ,de.tradition caJ.viniste, préférenont au lycée. Ces écoles 'lui laisseront quelques souvenirs
qu'il aura plaisir à raconter.
J'ai été dans q~elques écoles bizarrespoùr
lesquelles ma mère·· semble avoir eu' des
pré-dileotiohs •. Je iné~ouvi~ns de l ' école -G.,
qui aurait plu à Larbaud. La majorité des
. élèves étaient sud~améri'oains ~··Jè parta- .
geais un pupitre. avec le f1lsde l.'ambas-sadeurdu·Mèxique,qui·ra.ngeait pai'minos livres et nos cahiers un revolver avec lequel il tirait sur les chats se
prome-nant sur les toits. M. G ••• , q"~:était .
protestant comme ma famille paternelle,
avait une barbe rouge et s'amusait à
choisir quelques-uns de ses élèves pour les ,babiller en pâtres siciliens .et Tes photographier.·Ensuite, il allait au parc Monceau photographier les colonnes de la
Nymphée, et il faisait des montages que nous admirions.
10 Ibid., p. 209
11 Ibid., p. 197.
et
il.ajoute,
cepl.aisir qui se
pas~aitinnocemment
nous paraissait innocent, et ce n'est
que bien pl.us tard.que j'ai 'compris
qu' i1\
nel.~'était pas autant que je 1e
croyais. '.'
. ..
, . , '
'
. ' " .
'
.' ,".
Ces souvenirs prendront
for.me~eux aussi~dansun conte
qu'il. intitul.era"L'Homme. du
ParcMonceau". Mais c'est
. ' .
"un ,pare Monceau bienpl.us . é"trangeque celui, des gamins'
e~
:des
n~urri~e's
dont
il.fOurmi1l.epend~t
l.e ;our.
nij ,
qu'il. nous fera découvrir.
'lTnparc souterrain
oùles
col.onnes -serait-ce
cel.l.es~del.aNymphée?- subissent ce
trai tement des pl.us curieux:
Grimpées sur des échelles en vannerie,
de bel.les jeunes fil.lesde
quinze'~dix-sept ans, brunes comme des
mét~sses,demi-nues . sous le déshabill.é fragil.e
de soieries'orange et poupre, caressent
ces col.onnes des doigts et de la l.angue
un:peu comme si c' étaient4 de fantasques
instruments de musiqùes. .
.
La signification érotique d'un tel. passage n'échappera
pas. On comprendra alors que Mandiargues transpose l.es
images de ses souvenirs en tableaux
oùle dél.ire sexuel
~2
~ourdet,
op. cit., pp.
75-76.
l.3
~Musée Noir,
op.cit.,
p.72.
l.4 Ibid., p.
79.
atteindra son paroxysme ~ors de ~a rencontre de ~'homme
serpent ,avec ~e grand Chat Mammon.
Tout récemment, exp~iquant ~e personnage du père de son dernier roman~~ Marge, ~ rappel~era~ en des termeœ
p~us exp~icites ce souvenir:
Je me suis beaucoupp~u
a
créer as per-sonnaged:u père.do;nt monhéroé à été- , .~a 'victime .I~
m"a
été 1ÎlJ:Jpiré" par un directeur.d· é~o~e .I~ 'éta'it .' de ten~ dance pédérastique' et photographiait~es' p~us jo~is de sesé~'èves déguisés ~5
en petits pAtres ,vêtus d'une peau d' agneau. . A cSté de ces aventures inso~i tes, ce,rtairies ~ectur.es ont .profondément marqué ~ 'imagination du .. jeune Mandiargues. Ce sont tout d' abord ~es récits fantastiques de Jules,
Verne',~, dont nous retrouverons dans son oeuvre de shes: réminiscences de l'univers du Capitaine Hémo, ce
pré-curseur de ~ 'exploration sous-marine. Ainsi, dans "Le Passage Pommeraye":
Les contours des arcades, qui sont flous, cette végétation palustre, l'humidité, ~es teintes opalines et glauques, situent assez bien le passage Pommeraye dans les paysages abyssaux de ygnst Mille Lieues Sous
~~ ... 1
15 Cité par Francine Mallet dans ~ Monde, nO 6937 (3 mai 1967), II
Mandiargu.es .se souviendra aussi de ces "gravures
inou-bliablesn17 qui
~~ient
les volumes de son enfance:De longs vieillards maigres, barbus
cein1i1l.;rés decar.touch~s, a~és.de
grp_s revolvers Colt et Jieç~rabines
à :répét~.t.i.oIl.,.leregarc1 flam,llOY8.At. sous ...
lesbQ.rg_s .dé~es~és .. d 'unch~p.e~Jl.de
feutre., .:;L_~ v~si~:r:e d 'unê ·casq1l,e1;t~,._ 18
ronde, lebo~re;Le:td.'1lll;e.~Qq~~ ye;Lue •
.. " ,. ~. . . -,'
Mais le jeune Mandiargues n'en était pas encore à
" , ' j ' . ' •
imaginer de telles aventures , de tels personnages.
Après-ces collèges bizà.rres, i l ira· ei.~ Lycée c~rnot'c~ntinu~-lt'
. "-... . .
des études secondaires sans grand enthousiasme. "Je n'ai
pas
aisé~ent ~ti'~eçu
àme~ b~chots.·~.
,,19~vouera:-t-il.
Il ne se sent poussé par aucune obligation; son avenir
ne le préoccupe· pas •. "Je n 'ai jamaispen"éé
'i
~hoisir un.. . ... -- .. ··20' - - . - -.
métier," admettra-t-il. Et s' i1 fit, par la sui te, des
études d:;-a.rch~'oiogie et d' étru.scOlogi~ "assez à fond",
.' ~.. '
ce n'était donc nullement dans l'espoir d'y faire carrière.
- . .", . ..
Néanmoins, à 18 ans, Mandiargues est bachelier -le
17 Ibid., p. 53.
18 Ibid-., p. 5
3 •
19 Bbùrdet, op. cit., p. 76.
seu1 titre officiel qu'il obtiendra. Nous sommes en 1927. . . C'est l'année où Henri Bergson rêçoit le Prix Nobel de li ttérature..,où Gide publie .Le JournaJ.des
Faux-lVIonna-.
,
-. ' ~ • " !. •
yeurs ,Giraudoux . Eglantine, et François Mauriac Thérèse
. . . . . . . " .
Desqueyroux. Ju1ien Benda lance sa terrible accusation contre les "clercs". Paris commence à d~couvrir la;
pein-\' .:.
ture abstraite; on discutepassi()nn:~ent le
néo-classis-, , . ' .
. ..
cisme de Picasso. Le Corbusier v~entd'achevertm immeubl83
.... "
fonctionnel à Stuttgart~ A Monte-Carl.o les BaJ.l.ets Russes
" '
de Serge de Diaghilev brillent de. 1eurs derniers' feux.
Henri Michaux publie. sa première oeuvre, ~ Je Fus ,alora; que Robert Desnos fait para1tre son second recueil dont le titre est à lui seul. tout un pre~e:
l!.!
Liberté .2!:. ' . ' ; . .
l'AmoUl!'. Le surréalisme' est dans cè que Maùrice Nadeau appellera sa "période raisonnante." Le Manifeste du Sur-
-
-", .. " ,
réalisme a maintenant trois ans, mais il continue à pro-voquer:'.'des débats que Breton et ses amis entretiennent
par la publication de
M!
Révolution Surréaliste. Tel étai~ le climat artistique dans lequel Mandiargues se retrou-vera, ses "obligations" scolaires terminées. C'est l'heureSa seuJ.e passion sera 1. 1ecture. 11 1ira, nous di t-21
i1, à "s'abimer 1es yeux."' 11 se risquera aussi à écrire. que1ques poèmes, essayant ainsi de faire brtUer de nouveau~dans sa tête)la fièvre qU'i1ayait éprouvée à ces lectures. Mais il attendra d'a:voir sa majorité pour prendre une déoision q~t à son avenir. Car à vingt et
, : ':
. . .
un ans llhé~itera de quelque argent.; 1e voilà donc libre de disposer" à sa guise~ de sa vie ~.' Prendra-t-il alors 1e parti de 1a littérature?
Non, l ' écrivain s'éclipsera devant le . voyageur intré-pide:
"La
campagne pour moi commençait après BUdapest."22 I1 achétera une :voiture etfe~
de grands voyages qui 1'améneront en Europe centrale et orientale , en Hongrie,en Transy1vanie, dans les Pays Ba1tes. 11 sera ce voya-geur intrépide à la recherche de quelquesmerve1l1es in-connues. O'est à Valery Larbaud que nous pensons natu""!'-= ze11ement. Et rien n'arrêterait l'infatigab1e voyageur si
ce n'est1a venue des "années sordides", comme il 1es
21 Ibid., p. 76.
appellera, celles de la guerre. Contraint d'arr3ter sa
folle course
àtravers l'Europe, il nous contera.là sa
mani~re.ll'aventure
de Barnabooth. C'était. le début de
la grands aventure de l ' écr1
ture •DANS L'ORBITRE DE L,'IMAGINA!RE
Toutcommen9~
en
1943,
Oarlo~,de son premier livre:
avec la
publ.i~ation.)
àMon1ie-Dans.!!!, ADnées .. sordides.l.
~ . . ,; . . ::; ',; ' . .
Mandiargues avait alors
34
ans.
OommentexpJ.iquer~ebrllS-, que désir de se voir publier. Laissons
àPieyre de Mand1ar- ,
. ' f :~ t ' ",
g11es le soin de s'expliCluerf
Réfugié
àMontè-Oarlopendant les
hosti1i téff1j'aicomposémonpremier
livre:
'Dans";les Aimées Sordides
si .recueil
'decontes
etd~,po~mesen
prose.
"
.
C'était en
1943.
On ne trouvait
plus de 'papier jan France, mais je
m'en étais procuré en Italie et
fia'imprimer
àNice 270 exemplaires que
. ;j'envoyai.2auxgensquej'aimais ou
admirais. '
Et leB' rares
privi1égi~s àrecevoir ce recueil de proseŒ
poétiques seront des
po~tes,commeEluard et Benjamin
Péret, des critiques, comme Edmond
Jaloux~(dont
Mandiar-gues savait le goat pour le romantisme allemand) ou des
peintre~
comme Max Ernst, Dorothea
Tannin~,Leonor Fini.
l. Gallimard (Paris,
1948).
2 Pierre
Ajame,
"L'ange'du bizarre est passé par là,"
On pourrait voir quelque
prêc~ositédans ce geste
d'imprimer
s~npremier 1:i.vre ....
àpeu d'exemp1aires pour J.es
,-' ,
offrir
àqueJ.ques éJ.us comme des nfJ.eursqueJ.i on
jet-. ',\
terait par J.a portière dlun trainkdes
genss;ympathi-ques n•
3
cett~
att:ltudepourra.it aussi'
révélerunecez-,taine timidité ,pliisquedeJ.'a,veu,m3m.e de
l'aute~dès'J. 'âge de vingt
~s.liJ.,ava.itc9DlID.enoéàécri:requeJ.ques: '
;. ,~ "
poèmes nqueje
nemO~1;fà.i à~ersonne,navoue-~-l1;"timi-dité, manque
d'ambition~je
me cachais
d'écrire),4'A'par-"';" : - ' .
tir~e
J.935, sa vocation d.e,poète s'affirmera;'mais'de
; -,'.
ces poèmes -écrits donc avantJ.a>gt1erre-llous n'en
pren-, -.. ' -~'.. . . . .
drons connaissance
qu'e~J.96J."
J.orsquE;j·~prèsJ.es avoir
corrigés, iJ. J.es ré'Wlira, sous J.e
ti1;red~L'
Age
2
Craie. 5
Ainsi, Dans!!.!! Arinées Sordides ,reste pour
Mandiar-gues J.a première tentative de pub1ication. E1J.e se
renou-veJ.J.era deux ans après, avec J.a parution, toujours
àcom-pte d' auteur ,de son premier 10ng poème: He,reda
..Qj!1!!
persistance
~
J.'amour pendant
~
rêverie.
6
3 C1aude COuffon, André Pieyre de Mandiargues, n
1!.!!!
Lettres
Françaises,
nOJ.053 (5
nov~1964), 4.
4
Bourdet, op. cit., p. 77.
5 GaJ.1imard (paris, 1961).
Les premiers pas, les plus difficiles peut-être, étaient faits. Maintenant Mandiargues ne cessera plus de publier. La guerre terminée, il quittera Monte-Carlo
pour retourner à Paris.
Après ces. longues années de claustration forcée, il reprendra le chemin des grands voyages, parcourant
l'Asie Mineure, l'Egypte, l'Amérique Centrale,~etl'Eu~
rope, --naturellement. Ses· deuX terres d'élections seront
l'Italie et le Mexique dont i l parlera toujours avec pas-·
sion.
7
Mais rien ne saurait, désormais, le détourner de sapassion d '.écrirè.
En 1946 il fera paraitre aux Editions Fontaine sa
première nouvelle, ~'L' Etudiante. n Cette même année il
réunira sept contes sous le titre ~ Musée ~'que
pu-bliera.Robert Laffont.
AUjourd'hui, son oeuvre comporte une vingtaine de
volumes8 qui révèlent une triple activité de
conteur/ro-7
"Le Mexique et l'Italie sont mes deux patries. Ce sontles deux pays qui possèdent en commun le plus grand nombre de volcans en activité, et j'aime beaucoup les
volcans.", cité par P. Ajame, op. cit., p. 3.
8 Dans notre "Essai de Bibliographie" on trouvera la
liste complète de ses oeuvres, avec leurs différentes éditions.
manoier, de
po~teet de oritique littéraire et pioturale
Il Y a tout d'abord quatre reoueils de oontes qui
grou-pent une vingtaine de nouvelles, deux longs récits et
deux romans. Il
ys.
ensuite les
nombreuxtext~spropre-. - .:
ment poétiques qui ont tous
étéregroup~en quatre
nca-' , nca-' , " , .
hiers de poésie ".
Enfins~nacti
vité critique
donn~ra
,"- .
matière
àtrois
volumes:1esd~uXBelv.éd~reetLe
Cad-j ' , ' . .
". _.~
: ! ',', :1 .
ran.
Lunaire~
Les contes et les poèmes· seront dono les deuxformefl
par lesquelles
~'exprimerontle mieux son génie poètique.
'. ., ' . ~
Edmond Jaloux, le premier, <signal.era1e talent de cet
écrivain, n1e plus totalement original" de sa génération.
"J'accepte avec un plaisir infini, ecrivait-i11ors de 1a.
réédition en 1948 chez Gallimard de Dans!!! Années
~dides, ces suooessions de tableaux. ambigus, galants ou
férooes, de paysages luxueux, d'inoantations mystérieuses.,
d' arohi tecture .
àla
Pirà.n~se.
n10Ec1at du style, superbe:
de l'imagination, comment mieux définir la beauté de ces
9 Dans la bibliographie nous avons donné une liste, aussi
complète que possible, des artioles non enoore réunis
en volume.
lOCité par M. Marcel Arland, Nouvelles Lettres
~
France,
Albin Michel (paris, 1954), P. 55.
textes? Mais comment déterminer l'originalité de
Man-diargues?
On aura silrement remarqué que.)parmi les amis du
poète qui reçurent ses deux premiers volumes_ -tout au
moins les noms que nous avons
cité~-
-la quasi..;totali té
appartenait au groupe surréaliste. Etait-ce .làpureco!n-·
", ,".
ciden~e?Naturellemant',pâs~.A'lirelestextes
réunis
dans
~
ADnées Sordides, on est frappé par l'atmosphère de
" "
surréBli té qui
l~àbàign~t:oUs."ertail\S-COmme
"Les
Vol.-cans du pale" ou nLa route boréa1e", parexempl.e- par
leurs images explosives,; -leurérotismetant8t insinuant ..
tantatbrutal)se~4nt
être des textes ,proprement
sur-réalistes. Tout au long' du recueil,·, c'est
liun feu
d'ar-,
-tifice inoubl.iable et perpétuel, où les images éclatent,
fusent, que nous sommes conviéŒe Oe sont là les reflets
de ces éclairs qui)
dansla tête du rêveur .. ont laissé
la nostalgie de l'éblouissement et qu'il tentera de
re-créer par des mots. Ne l'aurions-nous pas deviné, que le
sous-titre de son second volume nous l'aurait laissé
en-tendre. Ne s'agit-il pasJen effet,de nla persistance de
l'amour pendant une rêverie"? Dans Hereda les métaphores
nous faudrait retranscrire ici les quelques 200 vers de ce poème; contentons-nous de ce court passage:
Spectre 4u sabbat le grand cérambyx Metline 'ombre de boucau front'-qui mire Le bl.ance ' d'un hêtre sur ,l. 'herbe mouUl.ée Un oeil. cornu bafoue ,~la chairtranq'ttUl.e Le!::" beauxpal.ais où mon opl.aisir hB.bi
te
Se hérissent de queuesboucl.'ée,s èndards D',élytres ronds 'd' antennesp~r1;e-:feuxDe'l.ongues'pattes'pa..ndél9s~auvoi'aveugl.e - pourun.écrasément, 'dé';t'8tes d'$.nes- l.~
'Suintant' déjà ,d'hoi"rib:le$ jets sépia. ,
Et ces der.niers vers qui sont comme une soumission du poète au dél.ire de l.'imagination:
Tu. as jeté de profondes racines
Ainsi qu'un grand'+ierre autour de mes vacances
Qui me tient daDa 'J.a"nuit de, sescâbl.es feuil.l.US3
~OD: sang nourrit, :les images' de ','tous mesr3ves Noireintend8.llte de ma rie obscure
Jete salue, 'messagère. 2 . '- "
C'est l.à un hommage rendl1 à l.a rêverie, source de toutes images.
Quel.ques années plus tard, rappel.ant cette période de guerre passée à Monte-Carlo, il notait cette disposi-tion très affir.mée pour la rêverie.l.
3
On s'explique alorsl.l
L'Age ~ Crai1!, op. cit., p.
87.
l.2 '
Ibid., p. 96.
l.3 "Je rêvais avec beaucoup plus de l.uxe qu'en aucun temps de ma vie." ~ Cadran Lunaire, Laffont (Paris,
1958),
que
~'imaginairejoua dans ses premiers textes un
rô~ebien
p~usgrand que la forme. Mais était-ce dire qu'il se
soumettait
àune des exigences foudamentales du
surréa-lisme? Sa foi dans le r3ve, cet amour de l'état de songe,
n'était-oe alors qu'un apport du surréalisme?
Définir les
~iens'qui.· un::l.ssënt Mandiargues
àla
Centrale
Surréa~isten'est' pas chos.e aisée. C'est
àl'Age
de 16 ans qU'il découvrit
l'.esth~tiquesurréaliste par
l'intermédiaire de Poisson Soluble et du Manifeste.
En1939 il fera la connaissance de. Max Ernst et d'Eluard.
Il n'entrera néanmoins' en rapport avec le groupe qu'en
-.
1947, après le retour d'André :Breton des.Etats-Unis.Il
. collaborera alors
àdiverses revues: Surréaiisme e11 1947,
Médium,
~ Surréa~isme,M3me. A partir de cette époque
il participera souvent aux activités de
~aCentrale,
sié'-~t
m3me des déclarations d'ordre' poli tique
.14
Et,
~-gré les dissensions et les déchirements qui agitaient
~egroupe surréaliste, sa profonde amitié envers André
Bre-ton ne s'est jamais démentie. Amitié si vive qu'il
vit au lendemain de la mort de celui qU'il considère
com-me"~'inventeur,
le créateur et le propriétairendu
sur-réalisme, . ces que:l.ques lignes imprégnées d,lune intense
émotion:
La nouvelle. de la, mort d'André Breton
est .,. tombée sur . nous· comme1Ul.terrible
utétéo~e'
.noir,etilrie,m 'est'pas .
:pos~., sible de :-laeolIlDlenter 'dèsang-froidr;
. OèpenCÜUlt, -;je'v:oudrais:Çiire:que' s3>1' idée
desup~~ioritéest"fondée
surquélque ' "
ehose ,ce' ne ','
sa'l1ra.itâtr~,·a.mon
senti-ment ,quesurl'existenc.ede:quelques '
hommes'tres'rarespare:Us. 8.'celui'qui
vient
de,nous3tre~lilev~.: André Breton
éta.itpour·Illoile,Su:péri~uravee,une
sorte d'
exce~ence ~':L'alni
tié . et
l'ad-miration'que'je
luipor~aisontto:ujours
été iliséparablèsd'uIi..rèspect ,extr3me •••
Si j'ai parfois reçu etaecepté:des'
leçons. demorale
15
oen'est
d~perB()nne
d ',autre que
'lui~:· ,.
..'
' , '
Malgré tout cela, Mandiargues saura garder ses distances
vis-a-vis ,du groupe surréaliste, oonservant a.insi sa
. . 16
liberté et son indépendance. ,
Or, si l'on retourne par la pensée aux années
d'avant-guerre, on se rappellera qu'une des phases les plus
attra-yantes du surréalisme sera celle de la "période des
som-15 "Un des plus grands illuminateurs,
IlLe Nouvel
Obser-vateur, nO 99 (5 oct. 1966), p. 37. -:-
-16 Cf. l'interview de Claude Couffon, op. cit., p. 4,
ft·
mells ". Breton et ses amis..l
réc~amanten effet l ' exploi
ta-tion systématique du r3ve et de l'inconscient,
s'adon-nèrent
a10rsàl'écriture automatique. Oetteroute
pérll-leuse, qU'$vaitouverte Desnos, ne sera pas celle que
sui-vra Mandiargu.es •. Nous cOIlD.aissons de lui
Un "~ragmentd'écri-. - . . . . , .
ture non contr81ée" datée de 1940 et qu'Uincorporeradans .
son troisième
~ahier'de POèSi~,. AS1;yanax~17~ettenL~ttre
. " : l .~" :. . . ,
Illwminée" -tel estl.e titre. qu'il. donnera
àces.pages- .
~. , "
sera sa seule tentàtive dans ce domaine. Il
nepersist~rapas dans cette
voie.O~rsi Mandiargues a une puissance
imaginative stupéfiante, cell.e-ci ne
pren~corps que
dif-ficllement. Elle exige de sa part une lente et longue
éla-. .' .'. :
boratiûn. -Il. est rare que
jèparvienne, nous dit-ll,
àécrire une page dans tout un après-midi ••• Je travaille
,
18
comme
unmyope.
Il ' .Oette déc1aration, si e11.e ne doit pas
3tre prise au pied de la 1ettre, est quand
m~eSigni-ficative; e1le révèle cette attention extr3me qu'il portera
toujours
àl.a "mise en écriture" de ses rêveries. Oe
n'é';;"~,tait donc pas pour se soumettre
àune exigence surréaliste
qu'il laissait vagabonder son imagination.
Aquel. besoin
1.7 Gallimard (Paris, 1964), pp. 38-39.
18
. '
' . .
'
Là aussi, c'est Mandiargues lui-même qui soulèvera un coin du voile. Cette confidence se trouvera dans le
texte préfaçant un recueil de contes de M. Marc.e1 :Béa1u. Mieux qu'une grossière paraphrase, citons intégralement
oe paragraphe:
Comme des romantiques attardés (ou trop
tôt venus) dans un monde à l'éClairage
sinistre, nous tentions de faire la nuit
en nous et autour de nous pour offrir à
la pensée une zone d'ombre où elle pat
divaguer librement, nous étions avares
des moindres bribes laissées à la
mémoi-re par les rêves, nous nous enfonçions dans la rêverie aussi loin et aussi long-temps que possible. Ces rêves, ces
rêve-ries, qui ont oertainement nourri les oeuvres initiales de Marcel Béa1u aveo autant de
générosité que les miennes, reflétaient plus ou moins (malgré notre désir
d'éva-sion) la couleur de l'époque. De là, je
pense, un certain ton, à mi-a-hemin entre 19 l'humour noir et la cruauté littéraire •••
c'était ainsi mettre en relief cette soif d'inactua1i-té qui caracd'inactua1i-térise ses premiers textes. Il s'agissait alors, pour Mandiargues, de s'affranchir de l'oppressante réali-té des "années sordides", de recréer un monde "d'ombres et de reflets" au caractère "luxueux, intime, absurde et
19 Préface à L'Araignée d'eau de Marcel Béalu, Nouvel
nostalgique"20 Et la nostalgie ne sera pas le trait le moins saillant de son univers. Car ce recouxs au songe
répondait à une nécessité interne. Il permettait au poète, face à l'absurdité de ce monde, de construire un monde, non moins absurde peut-être, mais où toutes frontières avec la logique seraient bannies, et où régnerait le
"merveilleux". Ainsi,à l'horreur de la guerre, il opposera, dans un texte intitulé "La Grande. armée",2Icette vision de cauchemar où, dans un unique cimetière -ne serait-ce pas la terre entière?- se trouvaient réunis les restes d'une armée, symbole des armées de tous les temps et de tous les pays, représentés dans ce qutils ont de plus grotesque: leurs uniformes d'apparat.
Dans ~ Années Sordides sera donc une collection de paysages et de rêves. Ces visions évoquent les tableaux de Giorgio de Chirico. Les mots, chez le poète, ont la même lucidité que les contours acérés des objets de
Chi-rico. Dans la "prière d'insérer" qui sert d'avertissement
20
~
Musée Noir, Union Générale d'Editions (paris, 1963),P. 9.
à son livre, Mandiargues écrivait d'ailleurs:
nPou~·at-teindre au climat du rêve ou de la rêverie le réalisme le plus minutieux est de rigueur". Ainsi, on pourrait dire que plus l'objet est irréel, plus l'expression poéti-que deviendra précise. D'autre part, les objets, chez l'un cGmme chez l'autre, se détachent sur un vide que le malé-fique environne de toute part. A la lecture de l'inter-prétation que donne Mandiargues de "Nature morte évangé-lique", une toile de Chirico de 1917, on apprécie mieux ce qui, dans l'univers du peintre, séduit le plus notre auteur. 22
Dans ce monde à deux dimensions, Mandiargues est tout d'abord sensible à l'illusion de distance créée par les rayures en premier plan, transposant ainsi le spectateur au devant d'une scène théâtrale. Parmi les objets
dispa-,.,.
rates qui remplissent la toile, Mandiargues découvrira un certain ordre, où, tels des chanteurs s'affrontant
..
-sur une scène, trois couples d'objets entoureront un petit mannequin. Celui-ci, dans ce"théâtre inhumain",
"appa-rait comme une figuration tragique de la solitude".22 Cet aspect théâtral, cette tension créée par la
22
présence d'objets insolites, nous les retrouverons dans la plupart des contes de Mandiargues. Ainsi, il rejoint l'esthétique de Dali, de Max Ernst et, en général, des peintres surréalistes.
On sait que pour les surréalistes l'inconscient était devenu une sorte de théâtre enfoui au plus profond de l'hom-me. Or,chez Mandiargues, dans la mesure où ses visions
ne jaillissent plus des profondeurs de l'être, mais se détachent du subconscient d'un p~sage,· on peut dire que l'inconscient se désolidarise de l'humain. Ses visions naissent des paysages. Et, pour bien marquer la non in-gérence de l'homme dans ses tableaux, il introduira un
observateur anonyme. Ainsi, dans "La Grande Armée", il sera question d'un point de vue: "Le point de vue se rapproche .... ,
2:
"Et pour peu que le point de vue se rapproche encore ... 24 Un autre texte, "Les Répétitions", débutera ainsi:
Le témoin -qui sait d'où il vient le lui apprenne- ~~vre les yeux devant un ancien château •••
Regard anonyme, présence fascinante des objets, telles sont
\
les deux composantes de cet "art du songe" qui tente. de
23 Dans
~
Années Sordides, op. cit., p. 15. 24 Ibid., p. 17.nous restituer le "climat du rêve ou de la rêverie". Mandiargues, conscient de son art, faisait remarquer à
M. Claude Couffon:
Je pense que mon cas est assez semblable
à celui des peintres: au début, ceux-ci ont envie de dresser un vaste catalogue de visions, d'images essentielles. C'est valable pour Max Ernst, pour Dale. C'est valable pour moi. 26
Et en effet, plus tard, les textes de r.'randiargues cesse-ront d'être de simples suites de paysages et de rêves pour devenir des récits. Mais une histoire exige un personnage, quelqu'un qui voyage et qui rêve, autour duquel émerge un monde, son;.~ monde. Pour être fidèle à son esthétique', Mandiargues fabriquera, au sens littéral du mot, son héros. Au début de Marbre 27 il racontera comment le nom de Fer-réo1 Buq lui est venu d'un scarabée, d'un scarabée-bouc qui se promenait sur son pupitre. Personnage sans passions, sans profondeur d'âme, il ne sera guidé que par des obses-sions érotique. Et pour que le lecteur ne soit pas trompé par les apparences, Mandiargues, au milieu du récit, prend
26 "André Pieyre de Mandiargues," Les Lettres Françaises, nO 1053 (5 nov. 1964), p. 4.
garde de lui rappeler: " ••• j'ai dit de mon témoin qU'il n'avait aucune réalité".
Qu'il entre une part de jeu dans la construction de ce récit, cela se conçoit sans peine. Ces textes n'en dénotent pas moins la suprématie de l'imaginaire chez Mandiargues. Et si, par la suite, ma1tre de son art,
il donnera naissance àde 'vrais héros de roman, vivant de leur propre vie, iis se trouveront alorseux-m@mes confrontés entre la réalité et le r@ve. Ainsi en
sera-.. ",",,,. .. ' "
-t-il de Rebecca Nul, héroine de
l!.!!
Motocyclette, et de Sigismond Pons, héros de La Marge.Ainsi placé dans l'orbitre de l'imaginaire, Mandiargues saura découvrir des mondes nouveaux. Ce sera celui des
Incongruités Monumentales28 où ia rêverie. du poète se plai-ra à décrire avec une minutie extrême des monuments et des machines imaginaires qui ne sont pas sans rappeler celles de Locus Solus de Raymond Rouss~l. Ce sera aussi l'univers baroque dont l'aspect voluptueux le séduira.
-.
L'art baroque, à mon avis ••• rejoint
l'art magique par certaines oeu~s
d'ins-piration hautement panique, comm~ ces
sta-tues de saintes en extase, qui sont des femmes jouissant, dans le déchalnement des plus lSombres forces de la nature. 29
Mais c'est aussi dans cet art qu'il retrouvera "le vieil
esprit paniquell auquel il aimerait vouer son oeuvre.
Tout ce que j'ai pu faire jusqu'ic2 ••• est
;marqué ••• par le constant désir de retrouver le vieil esprit panique, d'instaurer, s'il
se peut, dans le monde, un ordre (ou un dé~or
dre) :panique. 30
Aussi vantera-t-il l'audace de ces tailleurs de pierre qui sauront donner, avec leurs "monstres de Bomarzo",
"une représentation concrète à certain égarement des sens
et de l'esprit qui s'est parfois emparé des hommes et
au-quel se rapporte bien le IIlOt panique".31
c
'est donc: àtravers un certain dérèglement des sens que Mandiargues tentera de retrouver cet esprit IIpanique".
Un texte de I964 nous permettra de définir l'ampleur de l'imagination dans l'esthétique de Mandiargues.
L'imagination suffit. Thomas imagine
29 cité par Albert-Marie Schmidt, "André Pieyre de
.Man-diargues, " N.R.R., nO 61 (janv.-1958), p. 142.
30 Ibid., p. 142.
éperdument un oeuf, et que cet oeuf contient la mort ••• Devant ses
pau-pi~res fermées, couvertes de sa paume, de l'autre cSté d'un écran obscur
sauf de petits points roux et to~
billonnanta ••• , Thomas a placé l'oeuf, corps solitaire dans un espace illimi-té ••• Il contient la mort, tout de même qu'un autre contiendrait la vie, exacte-ment de la m3me façon. Thomas ~'efforce
de concevoir parfaitement l'oeuf et de se pénétrer absolument du rôle et de la fonction de celui-ci. Alors il le brisera
d'un coup de poing de sapensée,et i l
sait qu'il ver:œ. ce qui à nul existant jamais ne fut donné d'apercevoir.32
La premi~re phrase sonne comme un postulat. Le héros,
celui de toute son oeuvre, ne pouvait alors que s'appeler' Thomas, en mémoire du saint du même nom qui ne croyait que ce qu'il touchait. Car Thomas croit à ce qu'il
ima-gine. "L'imagination suffit." C'est là la phrase magique~
le "Sésame, ouvre-toi" qui nous ouvre l'entrée d'un monde où r~gne le merveilleux, et qu'à la suite de
Man-diargues nous essayerons de décrire.
POUR UNE ESTHETIQUE DU MERVEILLEUX
Dans
la cons'tellation des écrivains se réclamant du
surréalisme André
Pie~rede Mandiargues tient une place
à part. Nous avons vu que, dès ses premiers textes, il
prenait soin, dans sa lutte engagée contre les éléments
sordides, d'opposer au monde extérieur des objets
imagi-naires d'une égale dureté, d'une égale agressivité,
rejoi-gnant ainsi les ambitions des peintres surréalistes: Dali,
Giorgio de Chirico, Max Ernst, Méret Openheim, pour ne
nommer que ceuz_ qui le fascinèrent le plus. Nous avons
di t aussi que, dans la mesure même où Mandiargu.es
accol.!-dait la prééminence aux objets et aux paysages, il
s'é-loignait des écrivains surréalistes qui, tout au contraire,
recherchaient dans l'humain, dans l'inconscient de l'homme
plus précisément, la source de leur univers. Mais est-ce
là
vra~entune contradiction? Pour répondre, examinons;
plus en détail, les deux attitudes.
Pour libérer l'homme de la tyrannie de la logique
et refaire le monde par la poésie, les écrits surréalistes
~'élaborèrent
dans l'irrationnel et dans le rêve. André
Breton expliquait cette attitude en écrivant, dès les
premières lignes de son Manifeste
~Surréalisme:
Je crois
àla résolution future
de ces deux états, en apparence
si contradictoires, que sont
le rêve et la réalité, en une
sorte de réalité absolue,
1
de surréalité, si l'on peut dire.
Ce mot de "surréalisme", M. Marcel Béal.u le définira
dans la préface
àson AnthOlogie
~1!
Poésie Franoaise
depuis
l !
Surréalisme comme étant "l'aspiration, viei11e
comme le monde, au fantastique, au bizarre, au
merveil-leux.,,2
De son cS té Mandiargues, constatant que "le panorama
dressé par les sens dans la conscience de l'homme est
un écran peu solide", se prononoera, dès son premier
texte théorique, pour l'''envahissement de la réalite par
le merveilleux.
n3Son art procèdera donc d'une scienoe du
1 Manifestes du Surréalisme; Gallimard, "idées, nO 23"
(Paris, 1963), p. 24.
2 Editions de Beaune (Paris, 1952), P.
7.
3
~
Musée Noir, Union Générale d'Editions (Paris, 1963),
merveilleux et de l'émerveillement. Science qu'il reven-diquera au nom de l'artiste en ces ter.mes:
Je crois, que chez l'écrivain, comme chez tout artiste, c'est d'un sentiment de merveille que provient la première impul-sion de créer •
••• L'écrivain est une sorte de voyant émerveillé. Qu'il
émerveille (au moins lui-même).4
O'était revendiquer, indirectement, le titre d'écrivain surréaliste; en prenant le mot au sens précis d'inven-teur de surréalité. Mais c'était aussi relancer le pro-blème du merveilleux. Car de telles affirmations, pour naturelles qu'elles puissent paraltre aUjourd'hui, .n'en allaient pas moj~s à l'encontre d'une tradition fer.mement établie, c'est-à-dire d'un esprit posi,iviste, toujours vigoureux en ces années 20.
Dès ses prémiers écrits théoriques A. Breton s'en prend à cette "haine du merveilleux" que certains aff'i-che nt avec mépris. Pour mieux mesurer la méfiance qU'on éprouvait à l'endroit du merveilleux, il nous sem,ble