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La femme dans les premiers romans de Flaubert.

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Academic year: 2021

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(1)

VIVIANE DUPUY

La femme dans les premiers romans de Flaubert Départ"ement of French Language and Li terature, Master of Arts.

ABSTRACT

La femme occupe une place importante dans les premiers romans de Flaubert. Maternelle mais quelque peu masculine, avec de beaux yeux noirs, des cheveux magnifiques, un regard éblouissant, elle est tantôt idole intouchable et inaccessible, tantôt être de chair voluptueux et sensuel.

Auprès de cette femme aux parfums enivrants, aux vêtements troublants, on n'atteint pourtant pas le bonheur parfait, cet amour absolu tant convoité.

Déçus, désillusionnés, tous les héros de Flaubert meurent ou ratent leur vie. Tous sauf un : Jules de la première Education sentimentale, qui trouve la seule et unique voie de salut possible: l'Art.

(2)
(3)

Viviane, DUPUY

(4)

by

Viviane, DUl-'UY

A Thesis Submitted to

The Faculty of Graduate Studies and Research MCGILL UNIVERSITY

In partial fulfilment of the requirements For the Degree of

Master of Arts

*

Department of French Language

and Literature July 1970

(5)

TABLE OF CONTENTS

La femme dans les premiers romans de Flaubert

Introduction . . . . page l

Chapter l - Flaubert et son "éducation

sentimentale " . . . . 5

Chapter II - La femme

l - Son portrait physique. 18 II - Les voies de la séduction 29

Chapter III -Les deux types de femme

.

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41

Conclusion

-

... .

64

(6)

et le considèrent comme l'ancêtre du nouveau roman.

En février 1965, Nathalie Sarraute disait: " En ce moment notre maître à tous, c'est Flaubert. Sur son nom l'unanimité s'est faite

précurseur du roman actuel."l

il est le

Les études sur Flaubert se multiplient, s'ajou-tant à la critique déjà fort considérable que nous possédons sur ce grand romancier.

Cependant, seules les grandes oeuvres de Gustave Flaubert semblent avoir jusqu'à présent attiré les cri-tiques. Sur ses écrits de jeunesse, qu'il avait soigneu-sement tenus secrets jusqu'à sa mort, nous savons à vrai dire peu de choses.

l Nathalie Sarraute, "Flaubert le précurseur", Preuves, No. 168, (février 1965), p. 3.

(7)

-2-Ces premiers écrits 'sont pourtant d'une extrême importance; Flaubert est en effet l'un des écrivains dont la jeunesse a le plus profondément influencé la vie, l'accomplissement total de l'oeuvre. René

Descharmes disait avec justesse: " ... sa jeunesse contenait l'explication de toute son existence, comme ses premières compositions littéraires le germe de ses futurs chefs-d'oeuvre. ,,1

C'est pourquoi il nous a paru intéressant de nous pencher en particulier sur les premiers romans de Flaubert: Mémoires d'un fou, Novembre, l'Education sentimentale de 1845, pour y étudier un thème dominant celui de la femme. 2

1

2

René Descharmes, Flaubert sa vie, son caractère et ses idées avant 1857, (Paris: Ferroud, 1909) p. 7

Nous avons pris cette appellation de " Premiers romans " dans les Oeuvres Complètes de Gustave Flaubert (2 Vols. Paris Editions du Seuil, 1964), VI, p. 229,

aù le sens de l'expression est ainsi précisé: " Ce n'est pas sans hésitation que nous avons intitulé

Premiers romans cette deuxième section. Au sens droit et plein du terme, seule l'Education sentimentale de

1845 mérite cette appellation. Ma1s les Memo1res d'un fou et surtout Novembre, en dépit de leur l~risme et de leur caractère autobiographique, ont déja une forme romancée, qui ... , nous interdisait de les confondre avec les contes et récits et autres mystères, en quoi con-siste l'essentiel des oeuvres de jeunesse de Flaubert~

(8)

tout biographique. Pour comprendre sa vision de la femme, il est essentiel de connaître le jeune Flaubert, son caractère, son tempérament, ses lectures ; pour lui plus que tout autre, une connaissance intime s'impose.

D'ailleurs, il écrit lui-même dans la préface aux Dernières Chansons, de Louis Bouilhet :" ... toute oeuvre d'art enferme une chose particulière tenant à la personne de l'artiste ,,1

Nous parlerons également dans ce premier cha-pitre des femmes qu'il a aimées et qui ont marqué son oeuvre. Nous évoquerons l'inoubliable Elisa Schlésinger, la sensuelle et voluptueuse Eulalie Foucaud et la fi-gure maternelle de Mme Flaubert.

Passant ensuite dans un deuxième chapitre à l'étude de la femme elle-même, nous tenterons d'abord de dégager la présence d'un type physique constant, et nous essaierons de découvrir le modèle de ce type de femme auquel Gustave Flaubert demeurera fidèle toute sa vie.

1 Gustave Flaubert, préface de Louis Bouilhet, (Paris Frères, 1872) p. 1.

aux Dernières Chansons Editeurs Michel L~vy

(9)

-4-·Nous verrons ainsi comment la femme le trouble, l'attire, comment elle est pour lui tantôt idole, tantôt être de chair, mais jamais les deux à la fois.

Répond-elle à son attente? est-elle à la mesure de l'inquiétude existentielle qui est au fond àe sa quête d'absolu? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre au terme de cette recherche.

(10)

" Le secret de ce qui vous ~tonne en moi ch~re Louise est dans ce pass~ de ma vie interne que personne

~t ,,1

ne conna~ , ..• ~crit Flaubert à Louise Colet en

Novembre 1851. Ce pass~ nous le connaissons, les pre-miers romans rendent intelligible, ~clairent d'une vive lumi~re tout ce qui sans eux demeurerait

imp~n~-trable. Dans les M~moires d'un fou et Novembre en particulier, avec les transpositions n~cessaires,

Flaubert r~v~le en effet sa personnalit~ toute enti~re en ce qu'elle a de plus intime et de plus unique.

A cette ~poque, i l ne prône gu~re encore l'ob-jectivit~, il n'en fera son dogme et l'essence même de son art que quelques ann~es plus tard pendant

l'~la-boration de Madame Bovary. Le d~sir de sugg~rer sa vie est manifeste chez le jeune Flaubert; au début des M~moires d'un fou, il s'~crie " Je vais donc ~crire

l'histoire de ma vie."2 l Flaubert, Lettre à Louise

Correspondance (9 vols. 1933), Vol. I, p. 328.

Colet (d~but Novembre 1851),

Paris: Editions Conard,

1926-'2. Flaubert, M~moires d'un fou, Oeuvres Compl~tes, (2 Vols.;

(11)

-6-et dans Novembre " ... , ma vie entière s'est placée

d evan mOl comme un an orne, ... t · f t.... ,,1

Que nous livrent ces premiers romans? Ils nous offrent l'image d'un adolescent sous l'influence profonde des idées contemporaines, du courant dominant de 1830 à 1840 le Romantisme fascine en effet toute la jeunesse, d'abord à Paris, puis en province. Flaubert n'y échappe pas; il suit la mode, mais, sans doute répond-il surtout aux exigences de son tempérament fougueux et fiévreux, il se plonge dans cette atmosphère et devient un des romantiques les plus passionnés. En l8eO, évoquant ses années de jeunesse, il déclare avoir été " La dernière ganache romantique qui a porté un bonnet rouge et

qui couchait au dortoir un poignard sous son traversin

Dans la préface aux Dernières Chansons, déjà citée, il dira encore:

1 Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 248.

2 Flaubert, Lettre à Léon Hennique, (2-3 février 1880),

Vol. VIII, p. 375.

1

(12)

J'ignore quels sont les rêves des collé-giens, mais les nôtres étaient superbes d'extravagances, - ExpanRioDs dernières du romantisme arrivant jusqu'à nous, et qui, comprimées par le milieu provincial, faisaient dans nos cervelles d'étranges bouillonnements .•.

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quels élans vers la grandeur quel

respect des maîtres! comme on admirait Victor Hugo. l

Il lit et admire Victor Hugo, toute la litté-rature romantique; ses maîtres chéris sont surtout Byron et Goethe :

Je me rappelle avec quelle volupté, je dévorais alors les ouvrages de Byron et de Werther; avec quels transports je

lus Hamlet, Roméo, et les ouvrages les plus brûlants de notre époque, toutes ces

oeuvre~ enfin qui fondent l'âme en délices ou la brûlent d'enthousiasme.

Je me nourris donc de cette poésie âpre du Nord, qui rententit si bien comme les va-gues de la mer dans les oeuvres de Byron. Ce caractère de passion brûlante, ..• , devait agir fortement sur une nature arden-te et vierge. 2

Nous retrouverons le reflet des ces influences littéraires dans ses personnages féminins.

1

Flaubert, préface aux Dernières Chansons de Louis Bouilhet, p. 8.

2 Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. l, pp. 233 - 234.

(13)

-8-Romantique passionné le jeune Flaubert présente toutes les caractéristiques du héros fatal à la mode d'Anthony ou de Chatterton: mélancolie, goût de la solitude, ennui profond, pessimisme noir. Le mal dont il souffre est cette lassitude de vivre, ce dégoût pré-coce, cette désespérance qu'on a appelée Il le mal

du siècle ".

Comme tous les romantiques, mais à un plus haut degré d'intensité, il a un profond dédain de la réali-t é ; doué d'une imaginaréali-tion débordanréali-te, il se sous-trait constamment à la vie présente.

C'est une fuite perpétuelle dans le monde du rêve qui le satisfait bien plus que la réalité. Il se nourrit de poésie, et de chimères;au cOllège déjà

l

... , c'était une course effrénée de

l'ima-gination, un élan prodigieux hors du réel, je me faisais des aventures, je m'arrangeais des histoires, je me bâtissais des palais, je m'y logeais comme un empereur, ... l

(14)

" quels rêves n'ai-je pas fait d'ailleurs

?'

c'est là mon infirmité à moi."l

Nous insistons sur cet aspect de son carac-tère car nous verrons plus loin combien la femme chez lui est une femme rêvée, idéalisée.

Un autre élément fondamental de sa personna-lité, essentiel pour comprendre l'importance du thème de la femme dans son oeuvre est son érotisme, son grand besoin de sensations intenses. Comme le héros des Mémoires d'un fou, comme Jules de la première Education sentimentale, c'est une nature ardente, pas-sionnée, fougueuse, rêvant d'amours sublimes et de grandes passions, de voluptés, qui sont au ciel.

Dès le collège, j'étais triste ; je m'y ennuyais, je m'y cuisais de désirs, j'avais d'ardentes aspirations vers une existence insensée et agitée, je rêvais les passions, j'aurais voulu toutes les avoir. 2

l Flaubert, Lettre à Louise Colet (17 Septembre 1846) Vol. I, p. 316.

(15)

-10-Très tôt la femme l'attire, le trouble l'obsède

Certains mots me bouleversaient, celui de femme et de maîtresse surtout, je cher-chais l'explication du premier dans les livres, dans les gravures, dans les ta-bleaux, dont j'aurais voulu arracher les draperies pour y découvrir quelque chose .

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Quand à une maîtresse, c'était pour moi un être satanique, dont la magie du nom seul me plongeait en de longues extases ;

Nous voyons le héros de Novembre, embrasé de désirs, troublé, bouleversé jusqu'au fond de l'être

: je me sentais un besoin de volupté plus chargé d'odeurs que le parfum des clématites et plus cuisant que le soleil sur le mur des jardins. Oh! que ne pouvais-je presser quelque chose dans mes bras, l'y étouffer sous ma chaleur ou bien me dédoubler moi-même, aimer cet autre être et nous fondre ensemble. 2

1 Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l,

p. 249.

2

Ibid., p. 258.

(16)

On sent en lui un violent appétit de jouissances, c'est un voluptueux, un sensuel. Nature romantique, rêveuse, ardente et passionnée, tel nous apparaft le jeune Flaubert. La femme dans son oeuvre portera l'empreinte de certains traits de son caractère et de son tempérament. Elle trouvera aussi son ori-gine dans les femmes qu'il a connues et aimées.

amour

Il nous faut d'abord parler de son grand Elisa Schlésinger. Grâce à Mr Gérard-Gailly, éminent flaubertiste, nous n'avons plus rien à apprendre aujourd'hui sur le personnage d'Elisa Foucault aussi nous attacherons-nous uniquement à souligner le caractère de cet amour et son influence sur la vie et l'oeuvre du grand

~

.

.

ecr~va~n.

Quand Flaubert voit pour la première Îois, en

~oût 1836, Elisa Foucault, de son vrai nom Madame Emile Judée, en compagnie de l'éditeur de musique Maurice Schlésinger et de leur fille,l il a

quatorze ans et demi, elle est dans l'éclat de ses

l

Pour de plus amples renseignements sur la vie d'Elisa Schlésinger, voir Gérard-Gailly,

(17)

-12-vingt-six ans. Adolescent romantique, rêvant de grandes passions, il est prédisposé à subir le coup de foudre qui va le frapper sur la plage de Trouville.

Dans les Mémoires d'un fou, Flaubert nous dévoi-le dévoi-les traces profondes et ineffaçabdévoi-les de cet amour. Il lui donne comme à la Marie de Novembre, à Madame Arnoux de l'Education sentimentale de 1869, le nom de Maria. Nous trouvons dans ce roman les détails de leur première rencontre :

Vous dire l'année précise me serait

impos-sible; mais alors j'étais fort jeune, j'avais, je crois, quinze ans; nous allâmes cette

année aux bains de mer ... ,

...

J'allais souvent seul me promener sur la , greve.

Un jour, le hasard me fit aller vers l'en-droit où l'on se baignait .••

Ce jour là, une charmante pelisse rouge avec des raies noires était restée sur le rivage. La marée montait, ... ; déjà

un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l'ôtai pour le placer au loin; ...

Apparemment, on m'avait vu, ... , j'entendis quelqu'un qui me disait: .

Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie.

(18)

Je me retournai jeune femme

Elle me regarda.

c'était une

Je baissai les yeux et rougis.

l

Quel regard, en effet!

Le regard le charme, l'envoûte, et l'envoûte-ment durera toute sa vie. Aujourd'hui, certains érudits, notamment Jean Bruneau et Pommier, pensent qu'on a

peut-être accordé trop d'importance à cette idylle de jeunesse. Il semble même que l'on doit renoncer à la légende de ce "pur amour " De toute manière, ce qui est certain, c'est que Flaubert n'a jamais oublié sa ferveur d'adolescent, et nous en avons les preuves dans sa correspondance

l

J'ai dans ma jeunesse, démesurément aimé, aimé sans retour, profondément, silencieu-sement.

Nuits passées à regarder la lune, projets d'enlèvement et de voyage en Italie, rêves de gloire pour elle,

... , j'ai connu tout cela, et très bien connu.

Chacun de nous a dans le coeur une chambre royale ;

Je l'ai murée, mais elle n'est pas détruite. 2

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. l, p . 236.

2 Flaubert, lettre à Amélie Bosquet, (Novembre ou Décembre 1859), Vol. IV, pp. 351-352.

(19)

-14-Cette confession toute personnelle à une femme de lettres n'est-elle pas singulièrement

révélatrice? Il écrira encore quelques années plus tard à Madame Schlésinger elle-même :

Ma vieille Amie, ma vieille Tendresse, je ne peux voir votre écriture sans être remué L'avenir pour moi n'a plus de rêves, mais les jours d'autre-fois se représentent comme baignés d'une vapeur d'or. Sur ce fond lumineux où de chers fantômes me tendent les bras, la figure qui se détache le plus splendi-dement, c'est la vôtre. l

Cette figure, nous la retrouverons sous les traits de Maria dans les Mémoires d'un fou, de Marie dans Novembre, d'Emilie Renaud de la première Educa-tion sentimentale, et de Marie Arnoux dans l'EducaEduca-tion sentimentale de 1869. Flaubert prêtera à toutes ses héroines, le visage d'Elisa. Elle restera aussi celle qui lui permit de croire au romantisme de la femme, à l'être de sanctification.

1 Flaubert, Lettre à Madame Schlésinger, (5 Octobre 1872), Vol. VI, pp. 427-428.

(20)

Eulalie, elle~joua un autre rôle. Elle révéla la volupté à cette nature ardente et fougueuse. Flaubert rencontra Eulalie Foucaud de Langlade à Marseille, en 1840, lors de son voyage dans le

Midi de la France. Elle avait trente cinq ans, lui dix huit ans. Elle se donna à lui le soir même de leur rencontre. Les Goncourt rapportent ainsi la scène décrite par Flaubert :

Au coin de son feu, Flaubert nous raconte son premier amour. Il allait en Corse. Il avait simplement perdu son pucelage avec la femme de chambre de sa mère.

Il tombe dans un petit hôtel de Marseille, où des femmes, qui revenaient de Lima, étaient revenues ...

.

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Un jour qu'il revenait d'un bain dans la Méditerranée, ..• , attiré par la femme dans la chambre, une femme de trente cinq ans, magnifique. Il lui jette un de ces baisers où l'on jette son âme. La femme vint le soir dans sa chambre ... Ce furent une f .••. de délices, puis des lettres, puis plus rien. l

C'est elle qui l'attire, qui prend l'initia-tive, avec elle il découvre le plaisir; il connait l'ivresse, ces joies infinies dont il rêvait adolescent.

l Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire. Avant-propos de la l'Acad~mie de Goncourt.{ 22 Vols. ; Monaco: Les Editions de l'Imprimerie Nationale, 1956).

(21)

-16-Leur liaison fut brève et magnifique, elle se poursuivit par correspondance. Eulalie écrivit des lettres brûlantes, il y répondit. Il dira plus tard à Louise Colet: "Je ne l'ai jamais aimée Ill. Certes, mais Eulalie fit l'éducation de ses sens, et il se souviendra d'elle en écrivant Novembre. C'est à ses souvenirs de Marseille qu'il fera appel chaque fois qu'il aura à peindre la femme sensuelle, voluptueuse.

Cette évocation des femmes aimées serait incomplète si nous laissions dans l'ombre Madame Flaubert, sa mère. C'est avec elle, qu'il passera la majeure partie de son existence. Après la mort de son mari et de sa fille, Madame Flaubert concen-tra toute sa tendresse sur son fils Gustave et sa petite fille Caroline. Il - Ma mère, écrit Flaubert

à Louise Colet le 30 peptembre 1846, a besoin de moi, .•• -;

1 Flaubert, Lettre à Louise Colet, (24 Octobre 1846), Vol. l, p. 390.

(22)

n'ayant plus que moi qui la rattache à la vie, ma mère est toute la journée à se creuser la tête sur les malheurs et accidents qui peuvent me survenir " l

Gustave lui témoigne en retour une affection filiale exceptionnelle, il a toujours pour elle des paroles câlines et des caresses de petit enfant ; pour ne pas lui déplaire il se fait envoyer les lettres de Louise Colet chez un ami elle sera d'ailleurs la cause indirecte de leur rupture. Quelques jours après sa mort, Flaubert confiera à George Sand: "Je me suis aperçu, depuis quinze jours, que ma pauvre bonne femme de maman était l'être que j'ai le plus aimé. C'est comme si l'on m'avait arraché une partie des entrailles! ,,2

La Mère jouera un rôle important dans sa

vision de la femme. Derrière chacune de ses héroïnes, on apercevra une image maternelle: nous y reviendrons plus loin.

l Flaubert, Lettre à Louise Colet (30 septembre 1846), Vol. l,

pp. 346 - 347.

2 Flaubert, Lettre a George Sand (16 " ~vril 1872), Vol. VI.,

(23)

CHAPITRE II

"

LA FEMME

"

l - SON PORTRAIT PHYSIQUE

Ce rappel biographique nécessaire étant fait, passons maintenant à l'étude de la femme dans l'oeuvre de Flaubert. A la lecture des premiers romans, et aussi des oeuvres de la maturité, nous sommes d'abord frappés par la ressemblance physique entre toutes ses héroïnes. Voici le portrait de Maria :

Elle était grande, brune, avec de magni-fiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sour-cils hauts et admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; ...

Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure ... On aurait pu lui reprocher trop d'embonpoint ... l

Et celui de Marie

l

'

..

beaute

je vis une figure d'une adorable

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes~ Vol. l, pp. 236 - 237.

(24)

une même ligne droite partait du sommet de sa tête dans la raie de ses cheveux, passait entre ses grands sourcils argués, sur son nez aquilin, aux narines palpi-tantes et relevées comme celles des camées antiques, fendait par le milieu sa lèvre chaude, ombragée d'un duvet bleu, et puis là, le cou, le cou gras, .•. 1 (souligné par

nous) .

Il n'y a entre les deux portraits que le nez qui diffère. Marie comme Haria a aussi " ... ; les cheveux noirs, lissés et nattés ... ,,2

Emilie Renaud de la première Education sentimentale, Emma Bovary, Marie Arnoux ressem-blent également beaucoup à l'héroine des Mémoires d'un fou même visage, même yeux noirs, mêmes bandeaux noirs, même gorge bien fournie, même peau fine à couleur un peu fauve. On a le sentiment que Flaubert demeure hanté par un même type féminin

la femme brune aux grands yeux noirs, au teint ambré, et aux formes larges. Les grands biographes de

Flaubert ont découvert depuis longtemps le modèle de sa femme "imaginaire" Madame Schlésinger.

l

(25)

-20-Elle est, écrit René Dumesnil, Maria des Mémoires d'un fou. Elle est Emilie Renaud de la première Education sentimentale ; elle est Marie Arnoux de la version défini-tive de son roman. Elle est toujours sem-blable à la radieuse apparition de Trouville, à l'aimée de la quinzieme an~ée, elle a . toujours sous ses noms divers - et jusque sous l'apparence de la triste Maria de Novembre -cette même splendeur de la peau brune, -cette même séduction de la taille, •.. 1

Le portrait d'Elisa tracé par Maxime Du Camp dans ses Souvenirs littéraires le confirme :

Elle était jolie et surtout étrange; ses larges bandeaux lissés, bouffant sur la joue, d'un noir bleu, faisaient ressortir sa peau mate et de couleur d'ambre; ... ; les yeux très grands, très sombres, ••• ; un petit signe placé près des lèvres avait presque une apparence de moustache ..• 2 Cependant, dire que Madame Schlésinger est l'unique modèle de ses héroines, serait une affir-mation un peu hâtive. Toute méthode biographique demande à être employée avec quelque prudence.

1

René Dumesnil, Gustave Flaubert, l'homme et l'oeuvre, (Paris: Librairie Nizet, 1967)~ p. 142.

2

Maxime du Camp, Souvenirs Littéraires, (2 vols. Paris: Hachette, 1906), T.

II,

p. 338.

(26)

En comparant le portrait de Madame Schlésinger par Dévéria et celui de Madame Flaubert jeune, on constate une ressemblance frappante; chez l'une et chez l'autre, on retrouve la même cheve-lure abondante et noire, les mêmes sourcils arqués, le même visage ovale. De plus Gertrude Tenant, née Collier, amie d'enfance de Caroline Flaubert, rapporte dans un recueil de souvenirs que Madame Flaubert

était brune comme une bohémienne avec des yeux noirs mélancoliques et des cheveux noirs luisants.

Cela nous amène à nous demander si la dame de Trouville n'aurait pas été la réincarnation de la propre mère de Gustave Flaubert. Flaubert lui-même semble le suggérer dans Novembre :

l

Le type dont presque tous les hommes sont en quête n'est peut-être que le souvenir d'un amour conçu dans le ciel où dès les premiers jours de la vie ; nous sommes en quête de tout ce qui s'y rapporte, la seconde femme qui vous plaît ressemble presque toujours à la première, il faut un grand degré de corruption ou un coeur bien vaste pour tout aimer.l (souligné par nous)

(27)

-22-.

..

,

le modèle qu'il peindra sans cesse,

"

comme Raphaël la Fornarina, sous des parures diverses, mais toujours avec amour ... "l, ne serait donc

pas uniquement Elisa Schlésinger mais aussi sa mère.

Cette fixation à la mère se traduit d'ailleurs également par l'aspect maternel et protecteur que présente la femme dans les premiers romans de Flaubert. Remarquons d'abord que tous les person-nages féminins des premiers romans : Maria, Marie, Emilie Renaud, sont plus âgés que leur partenaire masculin. Dans sa vie comme dans son oeuvre, Flaubert reste fidèle à un même type de femme la femme mûre, la femme de trente ans: "J'aime beaucoup ces grands yeux des femmes de trente ans, ces yeux longs, fermés, à grand sourcil noir,

regards langoureux, andalous, maternels " 2 avoue Flaubert dans la première Education senti-mentale. Plus âgée, la femme a un visage de pro-tectrice et de mère qui l'attire. Nous voyons le

l René Dumesnil, l'Education sentimentale de Gustave Flaubert, (Paris Editions Littéraires et Techni-ques, 1935), p. 59

2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 285

(28)

de Maria, que cette dernière allaite et berce ten-drement. Comme i l aimerait être ainsi protégé et bercé. Marie, la courtisane de Novembre, le sent

peut-être; elle a parfois pour son jeune amant

des caresses très douces, très maternelles

" Elle me passa sa main dans les cheveux, en se

jouant, comme avec un enfant, ... Elle

l'appelle a plusieurs reprises "enfant".

Emilie Renaud" •.. du reste une excellente femme, une femme charmante, dont les manières maternelles avaient quelque chose de caressant et d'amoureux."2, a, surtout au début de la première Education senti-mentale, envers Henry un comportement très protec-teur; elle est toujours la se souciant de son travail, le questionnant sur ses goûts, sa famille. Devenue sa maîtresse :

l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. I,

p. 260.

2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 282.

(29)

-24-"

elle le soignait, l'habillait, lui

ar-rangeait les cheveux et choisissait la couleur de ses habits, comme une mère fait à son jeune f i l s ; ... "1. Comme l'héroine de Novembre, elle qualifie souvent son amoureux d'enfant: " Sois prudent, enfant, ..• "2 dit Madame Renaud à Henry ; et encore :

"

Enfant ! elle l'appe-lait toujours enfant - ta folie t'emporte. " 3 De même Emma Bovary et Léon, lors de leur liaison "Enfant, m'aimes-tu? " 4

se,

Chez Flaubert, la vision de la ~emme cristallise donc autour d'une image maternelle. N'écrit-il

pas d'ailleurs à Madame Schlésinger, en lui pro-posant de venir à Croisset :

"

J'aimerais tant à vous recevoir chez moi, à vous faire coucher dans le lit de ma mère! ,,5

l Flaubert, l'Education Sentimentale, (1845)

Oeuvres Complètes, p.323. 2 Ibid. p. 296.

3 Ibid. p. 297. 4

Flaubert, Madame Bovary, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 664.

5 Flaubert, Lettre à Madame Schlésinger (5 Octobre 1872), Vol. VI, p. 427.

(30)

- - - -

-Maternelle, la femme dans les premiers romans de Flaubert est aussi, par certains côtés,assez

••

ambigue, masculine et virile; les termes sont employés par l'auteur lui-même Maria des Mémoi-res d'un fou a " ... une expMémoi-ression mâle et éner-gique à faire pâlir les beautés blondes. "1

Emilie Renaud, elle,a

"

une allure un peu

1 ·... . '1 ,,2 "

cava lere et Vlrl e, ... , e t il se mêlait à la douceur de sa caresse une sorte de force con-tenue, de virilité cachée, sa main, .•. avait quelquefois des pressions brutales, ..• ,,3; Emma Bovary porte " corru.le un homme, passé entre deux

bou-tons de son corsage, un lorgnon d'écaille. ,,4. En amour, c'est la femme bien plus que l'homme qui agit; les héros des premiers romans de Flaubert, comme ceux d'ailleurs des grandes oeuvres, sont

l Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 237.

2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 282.

3_ Ib:i,.dq __ po. ---3-34-.

4 Flaubert, Madame Bovary, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 579.

(31)

-26-plutôt passifs, amoureux transis. Dans Novembre, c'est Marie qui prend toutes les initiatives; elle attire le h~ros, le " d~flore " :

Sans rien dire, elle me passa un bras autour du corps et m'attira sur elle, dans une muette ~treinte .

. .

.

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.

.

. .

elle rejeta brusquement en arrière les rideaux et se coucha, elle me tendit les bras, elle me prit,l (soulign~ par nous)

Emilie Renaud de la première Education sentimentale s'offre d'elle-même à Henry, alors que celui-ci ~~ d~sespère mais ne fait rien; elle l'invite à

entrer chez elle, puis, plus tard dans la soir~e, le rejoint dans sa chambre. On pense

imm~diate-ment à Gustave Flaubert et Eulalie Foucaud à Marseille.

Enid Starkie dans son livre : Flaubert: The Making of the Master, émet l'hypothèse de tendances homo-sexuelles chez Flaubert, surtout à propos de son attachement pour Louis Bouilhet. Elle s'appuie sur

l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 260.

(32)

certaines lettres écrites par l'auteur à son grand ami; en voici quelques passages :

Ici c'est très bien parlé, on avoue sa sodomie et on en parle à table d'hôte. Quelquefois on nie un petit peu, tout le monde alors vous engueule et cela finit par s'avouer. Chargés d'une mis-sion par le gouvernement nous avons re-gardé comme notre devoir de nous livrer à ce mode d'éjaculation .... 1

Et encore :

Dans l'absorption de tout ce qui précède, mon pauvre vieux, tu n'as pas cessé d'être présent ...• Je regrettais (le mot est faible) que tu ne fusses pas là.

Je jouissais par moi de par toi- je m'ex-citais pour nous deux et tu en avais une bonne part, sois tranquille. 2

Flaubert lui-même écrit quelques années plus tard dans une lettre à Madame Brainne :" Ne suis-je pas

ft un féminin ft, comme vous dites! Lesbos est ma

l

2

Enid Starkie, Flaubert : The Making of the Master, (Londres: Shenval Press, 1967), p. 369, Gite cette lettre du 15 Janvier 1850, de Flaubert à Louis

Bouilhet.

(33)

-28-patrie, j'en ai les délicatesses et les langueurs. ,,1 Qu'en est-t-il? Ce caractère un peu masculin de la femme dans son oeuvre est peut-être un signe.

1 Flaubert, Lettre à Madame Brainne (10-11 Décembre 1879),

Correspondance. Supplément (4 vols. ; Paris: Editions

(34)

Cette femme aux grands yeux noirs, maternelle et quelque peu masculine attire d'une manière

par-ticulière et précise. Son grand pouvoir de

séduc-tion réside avant tout dans la puissance magnétique de son regard qui trouble, qui fascine. Le premier regard de Maria suffit à enflammer le coeur de l'ado-lescent des Mémoires d'un fou: "Elle me regarda.

Je baissai les yeux et rougis. Quel regard en effet ~

1

comme elle était belle, cette femme!" C'est aussi le regard de Marie, la prostituée, qui frappe en

premier le héros de Novembre. "Je me sentis d'abord

~ d d ,,2

frappe du regard brillant de ses eux gran s yeux; ...

l

2

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 236.

(35)

-30-Le même effet se retrouve dans les deux Education sentimentale.

Ce regard de femme" ... ; aveugle, enivre, paralyse "l, ~crit avec justesse Roger Kempf. Le jeune h~ros des M~moires d'un fou est aveugl~, ~bloui par le regard ardent de Maria qui se fixe sur lui "

comme un soleil ,,2 Fr~d~ric, dans l'Education

sentimentale de 1869, ~prouvera la même sensation d , e ~bl· OUlssemen: t " ... 1 "1 ne d· lS lngua personne, t·

dans l'~blouissement que lui envoy~rent ses yeux. ,,3 Les yeux d'Emilie Renaud 's'ouvrent tout à coup,

lancent un ~clair et se referment dans leur langueur.,,4.

La puissance de ce regard est telle, que le

jeune h~ros de Novembre baisse le front; Fr~d~ric

1

Roger Kempf,"La d~couverte du corps dans les romans de Flaubert", 'Tel Quel, no 27 (Automne 1966), p. 59.

2 Flaubert, M~moires d'un fou, Oeuvres Compl~tes, Vol. I, p. 236.

3 Flaubert, l'Education sentimentale (1869), Oeuvres Compl~tes, Vol. II, p. 9.

4

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Comp1~tes

(36)

Il fl~chit involontairement les ~paules " L'oeil

aim~ incise, p~nètre, possède:

"

; ses yeux brillaient, m'enflammaient, son regard m'enveloppait plus que ses bras, j'~tais perdu dans son oeil et nos doigts se mêlèrent ensemble; .. !,I raconte le h~ros de Novembre. ,Plus loin encore, c'est un fluide lumineux qui coule sur le coeur en effluves :

Elle voulut à toutes forces s'asseoir sur mes genoux, et elle recommença sa caresse accoutumée, qui ~tait de me passer la main dans les cheveux tandis qu'elle me regardait fixement, face à face, les yeux dard~s contre les miens. Dans cette pose immobile, sa prunelle parut se dilater, il en sortit un fluide que je sentais me couler sur le coeur ; chaque effluve de ce regard b~ant sem-blable aux cercles successifs que décrit l'orfraie, m'attachait de plus en plus à cette magie terrible. 2

Dans cette prise de possession de l'amoureux, les mains et les yeux travaillent de concert :

"

comme la peau de leurs mains est douce, comme

l Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 259. 2 Ibid., p. 261.

(37)

-32-leurs regards nous pénètrent ! "1 soupire le jeune héros de Novembre. La main de Marie, la courtisane, et celle d'Emilie:

"

. . .

,

rose, molle, onctueuse

t d ,,2

e ouce, ... sont très actives.

La femme fascine, subjugue, enivre par la puissance de son regard mais aussi par le son de sa voix; " voix douce et pure, qui vous enivre et qui vous fait mourir d'amour, voix qui a un corps, tant elle est belle, et qui séduit, comme s'il y avait un charme à ses mots. Comme celle de Maria des Mémoires d'un fou, ou un peu sourde et pleine de caresses comme celle, plus tard, de Marie Arnoux.

La femme triomphe également par ses émana-tions; son odeur propre, le parfum qu'elle laisse derrière elle et que l'amoureux respire voluptueusement.

l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l,

p. 259.

2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Vol. l,

p. 283.

3 Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 236.

(38)

Marie" embaumait" et le jeune héros de Novembre se sent" ... le coeur plus mou et plus faible qu'une pêche qui se fond sous la langue. Enfant, déjà, ce dernier n'aimait rien tant que le théâtre où " •.. tout l'air était embaumé d'une chaude odeur de femme bien habillée, quelque chose qui sentait le bouquet de violettes, les gants blancs, le mouchoir brodé; La maison d'Emilie Renaud est pleine de son parfum, et "

...

,

sa peau exhalait d'elle-même un parfum doux, vapeur de beauté qui monte à la tête comme le bouquet des vins fameux

,

...

,,3 Cette odeur de la femme grise tous les héros de Flaubert et leur créateur lui-même. N'écrit-il pas à Louise Colet :

Dis-moi si tu te sers de la mets-tu sur tes mouchoirs ? ta chemise. Mais non, ne te le meilleur parfum c'est4toi son de ta propre nature.

verveine ; en Mets-en sur parfume pas ; ; l'exhalai-" 2 l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 259

2 Ibid., p. 250

3 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 297

4 Flaubert, Lettre à Louise Colet, (15 Août 1846), Vol. l, p. 256.

(39)

-34-Cette femme qui embaume possède aussi une chevelure ; rappel d'une autre toison, dégageant une odeur" forte" selon l'explication traditionnelle de Freud, qui attire, égare, sollicite les sens. Les bandeaux noirs d'Emilie Renaud, donnent envie " d'y porter la main, de les lisser encore, de les respirer de plus près, d'y poser les lèvres."l

Dans Novembre, la chevelure de Marie, la prostituée, est source d'une jouissance effective

Je touchai à son peigne, je l'ôtais, ses cheveux déroulèrent comme une onde, et les longues mèches noires tressaillirent en tombant sur ses hanches. Je passais d'abord ma main au dessus, et dedans, et dessous; j'y plongeais le bras, je m'y baignais le visage, j'étais navré.

Quelquefois je prenais plaisir à les sépa-rer en deux, par derriere, et à les

rame-ner devant de manière à lui cacher les seins

,

...

Troublants aussi sont les vêtements de la femme Ils ont des bruits qui excitent l'imagination, qui vous remuent.

l Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 282.

2 Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l,

p. 260.

(40)

1

. •• , Ô belles femmes t~iomphantes !

La grâce et la corruption respirent dans chacun de vos mouvements, les plis de vos robes ont des bruits qui nous remuent jusqu'au fond de nous, ..• 1

s'écrie le jeune héros de Novembre.

Le frôlement des vêtements de Maria fait pal-piter d'aise le héros des Mémoires d'un fou. La

robe d'Emilie siffle dans les courants d'air et voici Henry qui rêve" ... au bruit que font les jupons des femmes quand elles marchent, et au craquement de leur

"2 chaussure sur le parquet.

Dans l'Education sentimentale en sa version définitive, F~édéric se délectera à écouter le sif-flement de la robe de soie de Marie Arnoux, quand cette dernière passera près des portes .

Flaubert parait extrêmement sensible

à

ces bruits ténus, annonciateurs de la jouissance.

1 Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l p. 257.

2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p . 285.

(41)

-36-Dans une lettre à Ernest Chevalier, faisant allusion

à un voyage prochain à Paris, il écrit :

Ce qui me semble le plus beau de Paris c'est le boulevard; chaque fois que je le traverse, quand j'arrive le matin, j'éprouve aux pieds une contraction gal-vanique que me donne le trottoir d'as-phalte, sur lequel chaque soir tant de p ... font traîner leurs souliers et flotter leur robe bruyante; ... 1

Certains vêtements dessinent le corps et son relief ceux d'Emilie par exemple, qui rendent Henry rêveur

... l'on pressentait sous son vêtement des délicatesses sans nombre; taille vigou-reuse, propre aux bonds soudains et aux élasticités déchirantes, bassin large, hanches saillantes et rondes, seins durs, ventre souple, et toute la force de la santé, et toutes les grâces de la lan-gueur

2

et toutes les voluptés de la femme

mare.

D'autres laissent voir,palper. Notons la pré_ dilection de Flaubert pour les voiles et les gazes.

l

2

Flaubert, Lettre à Ernest Chevalier (25 Juin 1842), Vol.l, p. 106.

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 237.

(42)

La robe fine de mousseline blanche de Maria «

sait voir les contours moelleux de son bras ,,1 ;

lais-au bain, "sous les vêtements mouillés qui la couvraient, le jeune héros des Mémoires d'un fou, " •.. voyai(t) le contour de ses membres .•. son coeur battre, sa poitrine se gonfler

,

...

,,2 De même A travers " le vêtement mince" de Marie, la prostituée, le héros de Novembre, "voyai(t) la forme de ses seins aller et venir au mouvement de sa respiration. ,,3

Les vêtements de la femme, sont liés au désir érotique, procurent une jouissance singulière; la robe de Marie excite le jeune héros de Novembre , allume son désir, et sa sensualité ne distingue bien-tôt plus l'habit de la chair que cet habit recouvre.

Sa robe de satin craquait sous mes doigts, avec un bruit d'étincelles; quelquefois, après avoir senti le velouté de l'étoffe,

l Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 237.

2

Ibid .,

(43)

-38-je venais à sentir la douceur chaude de son bras nu ; son vêtement semblait par-ticiper d'elle-même, i l exhalait la s~duc­

tion des plus luxuriantes nudit~s.l

Emilie Renaud livre à son jeune amant la plus riche toilette

à froisser dans ses bras, à tasser, à d~chirer pour son plaisir, elle se coif-fait exprès pour qu'il lui ôtât son peigne

et lui d~fît ses bandeaux; elle

s'habil-lait longuement, choisissait ses plus fines broderies, sa robe la plus neuve, afin que, dans un emportement, dans un ~clat, Henry arrachât ce fichu, cassât ce noeud avec ses dents et foulât cette toilette ~difi~e pour lui,sacrifi~e par avance, qu'elle se procurait l'occasion de faire pour en sentir plus tard tout le plaisir. 2

En rapport imm~diat avec le vêtement, se situe la chaussure. Ce motif, comme celui de la chevelure ou du regard, est l'un des plus habituels dans l'oeuvre de Flaubert et constitue l'une de ses obsessions les

plus marquantes. On trouve cette note de 1915 ajout~e

l Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 261. 2

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 315.

(44)

par Freud aux Trois Essais sur la théorie de la sexualité et qui détermine le sens fondamental du fétichisme du pied et de la chaussure :

Dans certains cas de fétichisme du pied, on a pu voir que la pulsion de voir, qui

ori-ginairement recherchait les parties géni-tales, arrêtée en route par des interdic-tions et des refoulements s'est fixée sur le pied ou le soulier devenu fétiche. 1

Pied et chaussure de la femme troublent fort Flaubert et ses héros, exercent sur eux un charme irrésistible. Flaubert connaissait Louise Colet depuis quelques jours qu'il ~vait déjà certaine paire de ses pantoufles :

" Tes petites pantoufles sont là pendant que je t'écris, je les ai sous les yeux, je les regarde ... je songe aux mouvementsde ton pied quand il les emplissait et

qu'elles en étaient chaudes. ,,2 A la fin d'une autre

l

2

Freud, Trois Essais sur la théorie de la sexualité (Paris : Gallimard, 1962)pp. 172 - 173.

Flaubert, Lettre à Louise Colet (4 Août 1846), Vol. 1, pp. 211 - 212.

(45)

-40-lettre à Louise Colet, Flaubert confie

Allons, je vais revoir tes pantoufles! Ah ! elles ne me quitteront jamais

celles-là! je crois que je les aime autant que toi. Celui qui les a faites ne se doutait pas du frémissement de mes mains en les touchant. Je les respire , elles sentent la verveine et une odeur de toi qui me gonfle l'âme. l

Enfant, déjà, l'étalage d'un cordonnier avec ses petits souliers de satin, tenait en extase le héros de Novembre. L'adolescent des Mémoires d'un fou est particulièrement ému par le pied de Maria.

De même, le pied de Mme Arnoux troublera Frédéric lors de leur dernière entrevue :

Leurs mains se serrèrent ;

La pointe de sa bottine s'avançait un peu sous sa robe, et il lui dit presque· défaillant :

La vue de votre pied me trouble. 2

1 Flaubert, Lettre à Louise Colet (9 Août 1846),

Vol. l, p. 234.

2

Flaubert, l'Education sentimentale (1869), Oeuvres Complètes, Vol. II, p. 161.

(46)

Sous ce modèle constant de femme brune aux grands yeux noirs, avec sa chevelure, son pied, sa chaussure, ses parfums qui enivrent, cette femme aux manières maternelles et quelque peu masculines, nous trouvons en vérité dans les premiers romans de

Flaubert deux types de femme: la femme-idole,

rêvée et "impossédée ", puis l'éternelle fille d'Eve, voluptueuse et sensuelle.

La femme idole garde son secret et son mystère ; nous ne la connaissons qu'à travers le regard de son

adorateur. C'est Emilie Renaud jusqu'à l'heure de son

abandon entre les bras d'Henry; mais surtout, c'est la Maria des Mémoires d'un fou. Elle inspire une

(47)

-42-de Maria suffit à enflammer le coeur de l'adolescent romantique qu'est le héros des Mémoires d'un fou; " sa prunelle ardente" se fixe sur lui "comme un soleil ,,1. Il est ébloui et éprouve, comme en présence

d'une révélation surnaturelle,

"

un singulier

état de surprise et d'admiration, une sensation toute mystique en quelque sorte, toute idée de volupté à part.,,2

Frédéric Moreau, en apercevant Madame Arnoux, traduira ainsi cette sensation: "Ce fut comme une

apparition ,,3 Envoûté par cette apparition, on se

met à aimer d'un amour pur, platonique, " ... exalté comme celui d'une statue ou d'une cathédrale,

selon les termes des Mémoires d'un fou. Etre à ses côtés, y rêver suffit. Tel est l'amour du jeune héros des Mémoires d'un fou pour Maria, d'Henry pour Emilie:

l Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 236.

2

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol.I,

p. 237:

3 Flaubert, l'Education sentimentale (1869), Oeuvres Complètes, Vol. II, p. 9.

4 Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 2~'.

(48)

Il attendait avec anxiété l'heure des repas, où elle était à table en face de l u i ; le soir, il désirait être au lendemain, et ainsi de suite .. Les jours s'écoulaient et les semai-nes, il y avait tant de douceur à exister près d'elle !l

Tel sera aussi l'amour de Frédéric pour Marie Arnoux, de Léon pour Emma au débùt du grand roman de Flaubert Madame Bovary

Elle se dégagea, pour lui, des qualités char-nelles dont il n'avait rien à obtenir; et elle alla, dans son coeur, montant toujours et s'en détachant à la manière magnifique d'une apothéose qui s'envole. C'était un de ses sentiments purs qui n'embrassent pas l'exercice de la vie, que l'on cultive parce qu'ils sont rares, et dont la perte affli-gerait plus que la possession n'est réjouis-sante. 2

Dégagée des convoitises charnelles, la femme s'idéalise; le héros des Mémoires d'un fou voit en Maria une" Madone ",

"

la Vénus ... descendue

. ~ " 3

de son pledestal ... ,un ange au Ir regard céleste,,4

l

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 292.

2

Flaubert, Madame Bovary, Oeuvres Complètes, Vol.I, p. 610.

3

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. I p. 237.

4

(49)

-44-Henry,dans la première Education sentimentale, regarde Madame Renaud " de bas en haut comme une madone ,,1 et l'adore aussi "comme une idole" Lors de leur dernière entrevue, Frédéric Moreau avouera à Madame Arnoux :

Votre personne, vos moindres mouvements me semblaient avoir dans le monde une importance extra-humaine. Mon coeur, comme la poussière, se soulevait der-rière vos pas, vous me faisiez l'effet d'un clair de lune par une nuit d'été, quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini; ... 2

La femme prend donc forme de divinité, devient l'objet d'un culte, d'une religion. Chaque matin, l'adolescent des Mémoires d'un fou, va contempler l'idole au bain; quand elle passe près de lui, il est pris d'émotions mystiques. En sa présence, c'est toujours l'extase; la promenade en barque aux côtés de Maria lui laisse un souvenir merveilleux

l Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 294.

(50)

Vous dirai-je jamais comme c'était quelque

chose à faire mourir d'amour que cette nuit . __ ~,~,~~',' pleine du parfum de la mer, avec ses vagues .. - .,

transparentes, ... , et puis, près de moi, cette femme! toutes les joies de la terre, toutes ses voluptés, ce qu'il y a de plus doux, de plus enivrant? C'était tout le charme d'un rêve avec toutes les jouis-sances du vrai .1

Absente, elle obsède l'amoureux, son image le poursuit sans cesse; l'adolescent des Mémoires d'un fou rêve de Maria tout le jour. Deux ans plus tard, revenant sur les lieux de son amour, le souvenir de la bien-aimée le hante à un point tel qu'il en a une hallucination

...

,

je crus entendre Maria marcher près

"

de moi elle me tenait le bras et tournait la

tête pour me voir, c'était elle qui marchait dans les herbes ,,2 Henry le héros de la première Education sentimentale n'arrive pas à oublier Madame Renaud:

l

2

Flaubert, Mémoires d'un fou, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 238-239.

(51)

-46-Qu'ai-je donc? se disait-il à

lui-même; . . . Je ne sais ce qu'il y a, mais

elle embaume l'air, toute sa maison est pleine de son parfum, partout où je vais elle me suit, il me semble que je suis pris dans son vêtement et que je remue à tous les plis de son tablier; ... ·1

Les héros des grandes oeuvres connaîtront également cette obsession, Frédéric Moreau par exemple :

Les prostituées qu'il rencontrait aux feux de gaz, les cantatrices poussant leurs roulades, les écuyères sur leurs chevaux au galop, les bourgeoises à pied, .•. , toutes les femmes lui rappelaient celle-là, ... ; toutes les rues conduisaient vers sa maison ; les voitures ne stationnaient sur les places que pour y mener plus vite ; Paris se rapportait à sa personne, et la grande ville avec toutes ses voix bruissait, comme un immense orchestre, autour d'elle. 2

Les objets appartenant à cette femme obsé-dante, font également partie du culte que lui voue l'amoureux;

l

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 292.

(52)

l'adolescent des Mémoires d'un fou contemple avec émotion l'empreinte du pied de Maria sur le sable, et les larmes lui montent aux yeux lorsque le flot les efface. Dans l'Education sentimentale de 1845, Henry se met à aimer les gants d'Emilie," ... les robes qu'elle portait, à aimer la chaise où elle s'asseyait, tous les meubles de sa chambre, la maison entière, la rue où était cette maison ".1 Dans la version de 1869, nous retrouvons Frédéric

l

2

... - aimant tout ce qui dépendait de Mme Arnoux, ses meubles, ses domestiques, sa maisoh, sa rue .

.

.

. . .

.

.

. . .

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.

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. . .

.

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.

.

. . . .

.

. . .

.

. . . .

... , il humait en cachette la senteur de son mouchoir; son peigne, ses gants, ses bagues étaient pour lui des choses particulières, importantes comme des oeuvres d'art, presque animées comme des personnes; toutes lui prenaient le coeur et augmentaient sa passion. 2

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 292.

(53)

-48-Lors de la vente publique des affaires de Madame Arnoux, à la vue des vêtements de sa déesse achetés par des indifférentes, il souffrira horri-blement, car Il c'était comme des parties de son

coeur qui s'en allaient avec ces choses ;

et

"

le partage de ces reliques, où il

retrou-vait confusément les formes de ses membres, lui

sem-blait une atrocité, comme s'il avait vu des corbeaux

déchiquetant son cadavre." 2

Même les choses que l'idole n'a fait qu~ef-fleurer, en demeurent comme sacralisées, puisqu'il flotte ensuite autour de ces pièces où elle est venue

le parfum de son passage, " l a caresse de sa pré-sence ". Quand Emilie Renaud vient voir Henry dans

sa chambre, elle s'assied sur son lit. Plus tard dans la soirée :

l Flaubert, l'Education sentimentale (1869), Oeuvres

Complètes, Vol. II, p. 158.

2

(54)

Prêt à se coucher, il s'arrêta au

bord du l i t ; on eût dit que quelqu'un s'y était déjà étendu. C'était elle qui s'était appuyée dessus, ... , les draps étaient un peu tirés d'un côté, le couvre-pieds était dérangé ... Il entra dedans avec précaution, avec crainte, en tres-saillant, obéissant machinalement au singulierlinstinct de ne pas défaire ce désordre.

Dans l'Education sentimentale de 1869, Madame Arnoux viendra rendre visite à Frédéric pour le

prier d'intercéder auprès du banquier Dambreuse. Une fois partie, Frédéric contempla avec émotion " ... le fauteuil où elle s'était assise, les objets qu'elle avait touchés .•• ' " Elle est donc venue

l , , , ,,2 a . se dira-t-il.

La femme des Mémoires d'un fou et du début de la première Education sentimentale est donc une idole qu'on vénère et à laquelle on voue un culte absolu; une femme obsédante, idéale, rêvée, qui

1 ~4r

Flaubert, l'Education sentimentale, Oeuvres Complètes, Vol. l, p. 287

2 I~b~.

Flaubert, l'Education sentimentale, Oeuvres Complètes, Vol

.f!,

p. 76.

(55)

-50-n'existe que dans l'esprit de son créateur qui voit et aime en elle non pas une femme mais une divinité intouchable et inacessible. Par là même, elle nous appara~t comme un être immatériel, im-palpable, absent.

Cette idole qu'on vénère, mais qu'on ne possède pas, il arrive parfois que l'on tente de s'en libérer. On se tourne alors vers l'autre femme, la femme voluptueuse et sensuelle. C'est pourquoi à côté de la "déesse", nous trouvons toujours dans les premiers romans de Flaubert, comme dans ses oeuvres de la maturité, la présence d'une autre femme plus réelle, plus terrestre. Cette autre femme, c'est Emilie Renaud devenue la maîtresse d'Henry, mais surtout Marie, la prostituée de Novembre.

Pour montrer à quel point elle est pour lui fille d'Eve, Flaubert ne la compare plus à une

(56)

divinité mais au serpent, symbole de sexualité. Marie de Novembre a :

... , des hanches superbes, de ces vraies hanches de femme, dont les lignes dégra-dantes sur une cuisse ronde, rappellent toujours de profil, je ne sais quelle forme souple et corrompuede serpent et de démon ; ... 1

Emilie Renaud appartient" •.. à cette race de filles d'Eve venues pour perdre les hommes, à ces femmes magiques qui se jouent avec les serpents, s'enlacent dans leurs anneaux et les apaisent en

l eur par an , ... l t ,,2 Non seulement la chaîne d'or dans ses cheveux a la forme d'un serpent, mais de plus Henry raconte à Jules qu'à certains moments: " ... , elle se glisse vers moi comme une couleuvre et m'enlace de mille bras invisibles,

...

,,3 Plus tard, le lacet mince du corset d'Emma sifflera

l

Flaubert, Novembres, Oeuvres Complètes, Vol.I, p. 262.

2

Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres Complètes, Vol. I, pp. 307 - 308.

3

(57)

-52-" autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse."l

Femme-serpent, elle révèle à son amant les mystères de la sexualité, lui fait découvrir le plaisir, la volupté: sur l'épaule de Marie, le jeune héros de Novembre boit avec délices son premier baiser d'amour et y savoure le long désir de sa jeunesse

l

2

Sans rien dire, elle me passa un bras autour du corps et m'attira sur elle, dans une muette étreinte.

Alors, je l'entourai de mes deux bras et je collai ma bouche sur son épaule, j'y bus avec délices mon premier baiser d'amour, j'y savourais le long désir de ma jeunesse et la volupté trouvée de tous mes rêves, •.. 2

Et encore

Sa main douce et humide me parcourait le corps, elle me donnait des baisers

Flaubert, Madame Bovary, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 670.

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol .I.

(58)

sur la figure, sur la bouche, sur les yeux ; chacune de ses caresses préci-pitées me faisait pâmer, .••

. . . .

.

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.

. . . .

.

. . .

. .

. . .

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. .

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. .

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. . .

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.

.

... sa peau chaude, frémissante, s'éten-dait sous moi et frissonnait ; des pieds à la tête je me sentais tout recouvert de volupté ; bercés dans le même frisson, enlacés dans la même étreinte, ... , je me sentis délicieusement mourir. l

Comme le héros de Novembre, Henry connait aux côtés d'Emilie les délices de la chair,

l'ivresse des sens

Elle lui prodiguait chaque jour mille trésors d'amour toujours nouveaux.

Tantôt c'étaient d'adorables langueurs, où tout son coeur se fondait, ou bien d'âcres déchirements, pleins d'une dou-leur joyeuse qui tourne au délire ;

quelquefois elle avait des morsures chaudes où l'émail de ses dents blanches, s'appu-yant sur la chair de son amant, claquait avec la férocité de la Vénus antique, tandis que sa main, onctueuse et toujours caressante, lui semait sous la peau 2 d'ardents effluves à réveiller les morts, ... On quitte ses bras tout transformé : " Et je sortis, l'air me ranima, je me trouvais tout changé,

l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol.I, p.260. 2 Flaubert, l'Education sentimentale (1845), Oeuvres

(59)

-54-il me semblait qu'on devait s'apercevoir, sur mon visage, que je n'étais plus le même homme

,

.

...

,,1 dit le héros de Novembre. De même Henry, après le premier baiser d'Emilie :

Son image par le hasard s'offrit à lui dans la glace, et il se trouva beau, plus beau qu'un homme. Il se leva et il se sentit fort, assez pour renverser le monde à lui seul ..•

Il était grand, il était magnifique, il dominait tout, il pouvait tout, il

aurait volé avec les aigles, il se fut jeté à la gueule des canons. 2

Trouve~t-on cependant auprès de cette femme-serpent le bonheur, cet amour absolu tant convoité? Ecoutons le récit que Marie, la prostituée de

Novembre, nous fait de sa vie; nous comprendrons alors que pour elle comme pour son créateur, l'homme est un être de désir, et que sa destinée veut qu'il n'obtienne jamais satisfaction.

l

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l

p. 260.

2 Flaubert, l'Education sentimentale, Oeuvres Complètes, Vol. I. pp. 294-295.

(60)

Marie est très tôt tourmentée par ses sens :

"

, à dix ans déjà, j'avais des nuits fiévreuses,

des nuits pleines de luxure. N'était-ce pas la luxure qui brillait dans mes yeux, coulait dans mon sang, et me faisait bondir le coeur au frôlement de mes membres entre eux? ,,1 dit-elle. Obsédée par les plaisirs de la chair, elle rapporte toutes les formes d'amour à la sexualité :

1

2

A l'église, je regardais l'Homme nu sur la croix, et je redressais sa tête, je remplissais ses flancs ; je colorais tous ses membres, je levais ses paupières; je me faisais devant moi un homme beau, avec un regard de feu; je le détachais de la croix, et je le faisais descendre vers moi, sur l'autel; l'encens l'entourait, il s'avançait dans la fumée et de sensuels frémissements me couraient sur la peau. 2 De même, Emma plus tard

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. I, pp. 294 - 295.

(61)

-56-Quand elle allait à confesse, elle inven-tait de petits pêchés, afin de rester plus longtemps, à genoux dans l'ombre, les mains jointes, le visage à la grille sous le chuchotement du prêtre.

Les comparaisons de fiancés, d'époux, d'amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l'arne des dou-ceurs inattendues.1

Assoiffée de rêves et de volupté elle a beaucoup lu; il y a surtout deux livres qu'elle a relus cent fois " Paul et Virginie , e t un autre qui s'appelait les Crimes des Reines. On y voyait les portraits de Messaline, de Théodora, de Marguerite de Bourgogne, de Marie Stuart et Catherine II." 2

Nourrie de ces lectures romantiques, elle rêve d'être la maîtresse d'un empereur ou d'un bandit, elle

souhaite: " •.• les enlacements des serpents et les baisers rugissants que se donnent les lions. "3

Elle devient prostituée, non par intérêt ou par

faiblesse, mais pour assouvir son besoin de volupté,

l

Flaubert, Madame Bovary, Oeuvres Complètes, Vol. I, p. 586.

2

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. L, p. 267.

(62)

et surtout pour essayer de trouver cet amour sur lequel elle a tant lu et dont elle a tant rêvé :

Mais ma dernière pensée, mon dernier

espoir, le sais-tu? Oh ~'y

compt-tais, c'était de trouver un Jour ce que je n'avais jamais rencontré, l'homme qui m'a toujours fui, que j'ai poursuivi dans le l i t des élégants, au balcon des théâtres

; un beau jour, espérais-je, quelqu'un

viendra sans doute - dans le nombre cela doit-être îlus grand, plus noble, plus fort ; ...

Elle se met à la recherche de cet amour, c'est une quête éperdue de tous les jours et de tous

les instants: dandys, rustauds, pâles adolescents,

elle a tout essayé, mais cet amour qu'elle appelle désespérément, elle ne l'atteint jamais, elle reste inassouvie et inassouvissable :

l

Mais non! jamais, jamais le

temps a eu beau s'écouler,

Flaubert, Novembre, Oeuvres Complètes, Vol. l,

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