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Les promesses du coworking : de la rupture à l’utopie, les nouveaux territoires du travail ? Étude des imaginaires associés à la pratique du coworking

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Les promesses du coworking : de la rupture à l’utopie,

les nouveaux territoires du travail ? Étude des

imaginaires associés à la pratique du coworking

Laëtitia Gabay-Mariani

To cite this version:

Laëtitia Gabay-Mariani. Les promesses du coworking : de la rupture à l’utopie, les nouveaux territoires

du travail ? Étude des imaginaires associés à la pratique du coworking. Sciences de l’information et

de la communication. 2017. �dumas-02453797�

(2)

Master professionnel

Mention : Information et communication

Spécialité : Communication Management et culture

Option : Magistère, management et culture

Les promesses du coworking

De la rupture à l’utopie, les nouveaux territoires du travail ?

Étude des imaginaires associés à la pratique du coworking

Responsable de la mention information et communication

Professeure Karine Berthelot-Guiet

Tuteur universitaire : Joëlle Le Marec

Nom, prénom : GABAY-MARIANI Laëtitia

Promotion : 2016 - 2017

Soutenu le : 05/09/2017

(3)

Remerciements

Je remercie tout d’abord toutes les personnes ayant bien voulu m’accorder du temps

dans le cadre des entretiens individuels : Claire Dumetz, François-Xavier de Vaujany,

Arthur Enard, Fanny Bronnes, Elise Guffens, Olivier Legrais, Anne Martiréné et

Stéphanie Faure. Tous m’ont permis de nourrir ma réflexion et mon travail de

recherche, en y apportant chacun un regard singulier.

Je remercie également Burson-Marsteller i&e, notamment Maxime Drouet, mon tuteur

professionnel et manager, pour ses conseils tout au long de mon travail de recherche et

de mon apprentissage. Merci aussi à Fanny Etienne, consultante associate, dont les

problématiques client m’ont inspirée mon sujet de mémoire.

Je remercie également le CELSA et son équipe pédagogique, notamment Thierry

Devars et Sylvie Gesson, qui ont été garants de la qualité du cadre d’études dans

lequel ce travail a été réalisé. Je tiens à remercier tout particulièrement Joëlle Le

Marec, ma tutrice universitaire, dont les orientations et conseils m’ont toujours permis

d’aller plus loin dans ma réflexion et ma démarche de chercheuse.

Merci également à mes proches et à ma famille dont le soutien quotidien m’a permi de

réaliser ce travail et cette année d’apprentissage dans un cadre serein.

A tous, je réitère mes remerciements pour m’avoir permis de travailler sur un sujet

riche que j’ai trouvé passionnant et éclairant, à une période charnière d’entrée dans le

monde du travail.

(4)

Sommaire

SOMMAIRE

3

INTRODUCTION

6

1.

PARTIE 1 – LE COWORKING, UNE ALTERNATIVE AU TRAVAIL EN « ENTREPRISE

CLASSIQUE » ?

12

1.1.

DES ESPACES DE L

ENTRE

-

DEUX ESSENTIELLEMENT HYBRIDES

.

12

1.1.1. ESPACES TIERS : SORTIR DE LA DICHOTOMIE DOMICILE / BUREAU.

12

1.1.2. UNE HYBRIDATION ESTHETIQUE ET FONCTIONNELLE DES ESPACES.

13

1.1.3. LA MISE EN CO-PRESENCE DE MONDES PROFESSIONNELS CLOISONNES.

14

1.2.

LE BUREAU EST MORT

,

VIVE LE BUREAU

:

UNE RECOMPOSITION SPATIO

-

TEMPORELLE

.

16

1.2.1. QUAND L’OUTIL N’EST PLUS QU’ACCES, LA DEMATERIALISATION DE L’ESPACE DE TRAVAIL.

16

1.2.2. QUAND LE BESOIN DETERMINE L’USAGE : L’ERE DU BUREAU SUR MESURE.

18

1.2.3. « ON N’EST PAS SUR UN METRO-BOULOT-DODO CLASSIQUE » : ENTRE FLEXIBILITE ET

RECOMPOSITION DES TEMPS DE TRAVAIL.

20

1.3.

LIBERTE

,

CHOIX

,

MOUVEMENT

:

DE NOUVEAUX CONTOURS POUR LE TRAVAIL

.

21

1.3.1. DE LA DEFIANCE AU REJET : UN RAPPORT DECEPTIF A L’ENTREPRISE

21

1.3.2. TRAVAIL-LOISIR, TRAVAIL-PASSION : UNE POROSITE DES ESPACES EMOTIONNELS.

24

1.3.3. LE NOMADISME, NOUVELLE NORME DU MONDE DU TRAVAIL ?

25

2.

PARTIE 2 – DE L’ESPACE AU MOUVEMENT COLLABORATIF : QUAND LA

COMMUNAUTE DEVIENT UTOPIE.

28

2.1.

UN ECOSYSTEME RELATIONNEL

:

D

UNE LOGIQUE DE MUTUALISATION AU

«

TRAVAIL

COLLABORATIF

».

28

2.1.1. « SORTIR DE L’ISOLEMENT » : ENTRE RECHERCHE D’EMULATION ET DIPLOMATIE DE LA CARTE

DE VISITE.

28

2.1.2. CREER DES RENCONTRES ET DES MOMENTS DE CONVIVIALITE, VALEUR AJOUTEE DES ESPACES DE

COWORKING.

30

2.1.3. DECLOISONNEMENT, HORIZONTALITE ET ENTRAIDE : UNE VISION DU TRAVAIL

ESSENTIELLEMENT COLLABORATIVE.

31

2.2.

DU PARTAGE DE L

ESPACE AU

«

VIVRE ENSEMBLE

» :

DES HYPER

-

LIEUX

.

33

(5)

2.2.2. TERRITOIRE D’IMPLICATION : DU SENTIMENT D’APPARTENANCE A L’APPROPRIATION.

35

2.2.1. VILLAGES, COMMUNAUTES, COLOCATIONS : ENTRE SOCIABILITES ET MICRO-SOCIETES.

36

2.3.

CULTURE COWORKING

:

DES VALEURS DE PROGRES EN FOND D

UTOPIE COMMUNAUTAIRE

. 38

2.3.1. DE L’IMPORTANCE DES VALEURS DANS LA FABRICATION D’UNE CULTURE-COWORKING.

38

2.3.2. UN PROGRESSISME SOUTENU PAR UNE SEMANTIQUE DU MIEUX-ETRE.

40

2.3.3. DE LA MARGE A L’UTOPIE, UNE POETIQUE DE L’ALTERNATIF.

42

3.

PARTIE 3 – ENTRE LE REJET ET L’UTOPIE, « LE FUTUR DU TRAVAIL » ?

45

3.1.

FUTUR DU TRAVAIL

,

TRAVAIL DU FUTUR

:

LA DIMENSION PROSPECTIVE DES ESPACES

.

45

3.1.1. LA PROMESSE DU « TRAVAIL DU FUTUR » : DES MODELES ENCORE A INVENTER ?

45

3.1.2. DES ESPACES EMINEMENT REFLEXIFS

46

3.1.3. LE FUTUR EST DEJA LA : LA STARTUP, NOUVEL IDEALTYPE ORGANISATIONNEL ?

47

3.2.

ENTRE L

ATELIER ET LE LABORATOIRE

:

DES NOUVEAUX LIEUX DE CREATION DE VALEUR

. 48

3.2.1. TERRITOIRES D’INNOVATION ET DE CREATION

48

3.2.2. EXPERIMENTER, APPRENDRE, QUESTIONNER : LES ESPACES DE COWORKING COMME

LABORATOIRES

49

3.2.3. LES NOUVEAUX LIEUX DE LA CREATION DE VALEUR

50

3.3.

NOUVEL IDEALTYPE PROFESSIONNEL

:

UNE REDEFINITION DU TRAVAIL EN TROMPE

-

L

ŒIL

? 51

3.3.1. L’ENTREPRENEURIAT, HORIZON D’ATTENTES DU COWORKING

51

3.3.2. TRAVAILLEUR DU FUTUR : ENTREPRENEUR DE SOI-MEME ?

53

3.3.3. UNE ESTHETIQUE DU PARADOXE : UN MODELE DU COMPROMIS.

55

CONCLUSION

57

BIBLIOGRAPHIE

60

ANNEXES

70

A

NNEXE

1 :

E

VOLUTION DE L

INTERET POUR LA RECHERCHE

«

COWORKING

»

SUR

G

OOGLE

70

A

NNEXE

2 :

A

NALYSES SEMIOLOGIQUES

:

DISCOURS ET IMAGES DES ESPACES DE COWORKING

72

A

NNEXE

3

R

ETRANSCRIPTION DES ENTRETIENS INDIVIDUELS

79

ENTRETIEN AVEC CLAIRE DUMETZ – SALARIEE DANS UNE STARTUP (LA RECLAME) IMPLANTEE DANS UN

ESPACE DE COWORKING (BAP NEUILLY)

79

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS-XAVIER DE VAUJANY, PROFESSEUR DES UNIVERSITES A PARIS-DAUPHINE

(6)

ENTRETIEN AVEC FANNY BRONNES, ANIMATRICE D’ESPACE DE COWORKING

86

ENTRETIEN AVEC ELISE GUFFENS., SALARIEE D’UNE STARTUP (NEONOMADE) TRAVAILLANT DANS UN

ESPACE DE CORPOWORKING (WORKLAB PARIS)

95

ENTRETIEN AVEC ARTHUR ENARD, TRAVAILLEUR INDEPENDANT (PHOTOGRAPHE) N’AYANT JAMAIS

FREQUENTE D’ESPACE DE COWORKING

100

ENTRETIEN AVEC ANNE MARTIRENE, TRAVAILLEUSE INDEPENDANTE AYANT FREQUENTE UN ESPACE DE

COWORKING PENDANT 8 ANS.

103

ENTRETIEN AVEC OLIVIER LEGRAIS, TRAVAILLEUR INDEPENDANT AYANT FREQUENTE UN ESPACE DE

COWORKING

112

ENTRETIEN AVEC STEPHANIE FAURE, SALARIEE-DOCTORANTE CIFRE FREQUENTANT REGULIEREMENT

DES ESPACES DE COWORKING

120

A

NNEXE

4

-

O

BSERVATIONS IN

-

SITU

:

VISITES ET USAGES D

ESPACE DE COWORKING PARISIENS

. 128

1.

DEJEUNER DANS UN ESPACE DE COWORKING

128

2.

RENCONTRE D

ETUDIANTS

-

ENTREPRENEURS LORS D

UNE FORMATION A L

ENTREPRENEURIAT

AVEC LE

CFA.

130

3.

ENTRETIEN INDIVIDUEL ET VISITE D

UN ESPACE DE COWORKING AVEC UNE ANIMATRICE

D

ESPACE

130

4.

ENTRETIEN INDIVIDUEL DANS ESPACE DE COWORKING

133

5.

VISITE DU

S

CHOOL

L

AB A L

OCCASION D

UNE FORMATION A L

ENTREPRENEURIAT AVEC LE

CFA.

134

6.

SEANCE DE TRAVAIL A L

’A

NTI

C

AFE AVEC UN GROUPE D

ETUDIANTS

136

7.

SEANCE DE TRAVAIL DANS UN ESPACE DE CORPOWORKING

136

RESUME

138

(7)

Introduction

« L'espace de notre vie n'est ni construit, ni infini, ni homogène, ni isotrope.

Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et

il se rassemble ? (…) Le problème n’est pas d’inventer l’espace, encore moins

de le réinventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd’hui pour

penser notre environnement…), mais de l’interroger, ou, plus simplement

encore, de le lire. »

Georges Perec,

Espèces d’espaces, 1974

Le questionnement récent sur les transformations du travail induites par la crise économique

et la digitalisation croissante des activités a projeté la pratique du coworking sur le devant des

préoccupations actuelles. Alors que les médias d’information font chaque semaine état de

l’ouverture de nouveaux espaces de coworking

1

, l’intérêt pour le sujet est également en

hausse depuis cinq ans, comme l’atteste l’évolution des requêtes sur Google mentionnant le

terme « coworking »

2

. Parallèlement, c’est le nombre d’espaces de coworking lui-même qui a

augmenté au cours des dernières années, comme le soulignent des études comme le

Baromètre Néo-nomade 2016 des tiers-lieux

3

. Ils seraient ainsi passés de 16 en 2010 à plus de

400 en 2016, avec une accélération à partir de 2013, date à partir de laquelle leur nombre a

quadruplé. Plus récemment une étude réalisée par Arthur Loyd, réseau de conseil en

immobilier, a révélé que la surface occupée par les espaces de coworking en Ile-de-France

représenterait dix terrains de football

4

, tant leur expansion a été grande en deux ans. La

multiplication des espaces est ainsi à l’image de l’engouement que suscite la pratique du

coworking, qui peut s’analyser comme une tendance de fond des cinq dernières années.

Il n’est donc pas étonnant que le phénomène ait retenu l’attention des chercheurs. Dans un

article consacré à la littérature sur le sujet, Alessandro Gandini

5

le qualifie d’ailleurs comme

l’un des « plus intéressants ayant récemment émergé »

6

. Alors que les champs de la

sociologie et de l’ethnographie se sont emparés du sujet sous l’angle des structures sociales et

1 « Un espace de coworking s’installe dans les locaux de la SNCF », 78actu.fr, août 2017 2 Annexe 1 - Evolution de l’intérêt pour la recherche « coworking » sur Google

3 « Les tiers-lieux s’imposent en France. Evolution, Répartition et tarifs des espaces de travail nomades »,

Blog.neo-nomade.com, juin 2016

4 « Coworking, vraie demande ou phénomène de mode ? », Madyness.com, 31 août 2017

5 Trad. de « One of the most interesting phenomena to recently emerge: the diffusion of coworking spaces. »,

(8)

symboliques qui s’y créent - avec des contributions telles l’enquête de Dilara Vanessa Trupia

sur La Cantine

7

à Paris ou encore celle Martine Azam, Nathalie Chauvac et Laurence Cloutier

sur Le Multiple à Toulouse

8

- les sciences de gestion tendent à le traiter sous l’angle

organisationnel. Ignasi Capdevila a par exemple comparé leur organisation à celle des

microclusters

9

. Julie Fabbri a quant à elle étudié les systèmes d’intermédiation qui s’y jouent

favorisent l’ « innovation ouverte ».

10

Beaucoup mettent en revanche en avant l’usage de méthodologies de recherche-action,

comme Alexandre Blein dont le travail sur les transactions informelles au sein des espaces de

coworking s’appuie sur une ethnographie d’un an et demi au sein d’un espace parisien

11

. Ces

postures de recherche exploiratoires sont autant d’indices de la nouveauté du sujet.

La jeunesse relative du sujet s’accompagne d’une forme d’hybridité du phénomène, aux

contours encore fluctuants dans la littérature. Les espaces de coworking sont notamment

associés au paysage très contrasté des tiers-lieux, ces « nouvelles formes d’espaces publics »

regroupant selon Antoine Burret sous un même vocable « une multitude d’initiatives », telles

que les fablabs (laboratoires de fabrication), des techshops (espaces rendant accessible tout un

ensemble d’outils) ou encore des hackerspaces (espaces permettant le partage de ressources et

de savoirs souvent du domaine de l’informatique).

12

Nombreux sont alors les auteurs qui

cherchent à en délimiter le périmètre. Dans « Les espaces de coworking : ni tiers-lieux, ni

incubateurs, ni Fab Labs », Julie Fabbri s’efforce ainsi de préciser leur définition en les

distinguant des fablabs, incubateurs ou markerspaces. Néanmoins, tous sont rattrapés par les

réalités multiples qu’ils revêtent, conduisant à l’élaboration de typologies. Julie Fabbri pointe

en effet l’existence de variantes comme le café-coworking ou encore les « espaces pour

entrepreneurs innovants »

13

. Il en va de même pour les auteurs de « Le coworking : un

dispositif pour sortir de l’isolement », qui différencient les espaces au regard de leurs finalités

respectives : aide à la gestion d’entreprise, hébergement d’entrepreneurs, collaboration par

7 Dilara Vanessa Trupia, « Produire un espace hybride de coopération. Une enquête ethnographique sur La

Cantine », Réseaux, vol. 196, no. 2, 111-145, 2016.

8 Martine Azam, Nathalie Chauvac et Laurence Cloutier, « Quand un tiers-lieu devient multiple. Chronique

d’une hybridation », Recherches sociologiques et anthropologiques, 87-10, 2015

9 Ignasi Capdevilla, « Co-Working Spaces and the Localised Dynamics of Innovation in Barcelona, International

Journal of Innovation Management, vol. 19, no 3, 2015. (En ligne)

10Julie Fabbri et Florence Charue-Duboc, « Les espaces de coworking : nouveaux intermédiaires d’innovation

ouverte ? », Revue française de gestion, vol. 254, no. 1, 163-180, 2016.

11 Alexandre Blein, « Le coworking, un espace pour les transactions hors marché ? La valorisation des réseaux

sociaux pour travailleurs indépendants », Réseaux, vol. 196, no. 2, 147-176, 2016.

12 Antoine Burret, « Démocratiser les tiers-lieux », Multitudes, vol. 52, no. 1, 89-97, 2013.

13 Julie Fabbri. « Les espaces de coworking : ni tiers-lieux, ni incubateurs, ni Fab Labs », Entreprendre &

(9)

catégorie de métier, accélérateur de rencontres professionnelles ou encore désir de créer un

collectif.

14

Par ailleurs, les limites de la définition peuvent varier d’un auteur à l’autre. Alors

que Bruno Moriset explique par exemple qu’ils ne doivent pas être confondus avec les centres

d’affaires

15

, Catherine Desbois choisit d’élargir le concept à ces derniers

16

. Loin de former un

ensemble homogène, les réalités multiples du coworking en font une notion essentiellement

hybride.

Si l’on s’en tient à sa racine étymologique, le coworking est avant tout un mode de travail. Le

préfixe « co » vient en effet du latin « cum », dont le sens premier est « avec ». Il entre

généralement dans la composition de mots où il indique l’association, la participation, la

simultanéité

17

. « Working », travailler en anglais, se rapporte à une activité de production

humaine, exercée généralement dans des cadres de réglementation et de rémunération

18

. Le

coworking peut être alors envisagé comme une co-activité et une co-présence, « le travail

avec d’autres » pouvant être entendu comme le partage strict d’un espace entre des personnes

venues y travailler, mais aussi comme le travail en équipe. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté

du concept soulignée par Alessandro Gandini, oscillant entre l’idée de « travailler en équipe

sur un projet » et le fait de « travailler de manière individuelle dans un environnement

partagé »

19

.

Le coworking, cet anglicisme entré dans la langue française est donc une pratique s’incarnant

dans des espaces. Elle consiste à partager des bureaux avec d’autres travailleurs, qui a

contrario de bureaux d’entreprise, ne sont pas investis exclusivement par une structure unique.

Dans le langage courant, les espaces de coworking se réfèrent à des lieux privatifs dont des

travailleurs d’horizons divers peuvent louer une portion d’espace. Toutefois, la pratique du

coworking peut avoir des incarnations spatiales multiples. Le travail de Blandine Bréchignac

s’intéresse par exemple au « corporate working » ou « corpoworking », c’est à dire

l’implémentation d’espaces de coworking au sein d’entreprises, ouverts à d’autres

14Anca Boboc, Kevin Bouchareb, Valérie Deruelle et Jean-Luc Metzger, « Le coworking : un dispositif pour

sortir de l’isolement ? », Sociologies, 2014 (En ligne)

15 Bruno Moriset, « Building new places of the creative economy. The rise of coworking spaces ». 2013

(pré-publication)

16 Catherine Desbois, « Le coworking : un mode de travail né de la crise ? L’exemple de Berlin », Allemagne

d'aujourd'hui, vol. 210, no. 4, 100-109, 2014.

17 Définition de « co », Larousse.fr

18 Définition de « travail, travaux », Larousse.fr

19 « This third way was coined ‘coworking’ without the hyphen, to indicate the practice of working individually

in a shared environment – and to differentiate it from co-working (with hyphen), which indicates working closely together on a piece of work », Ibid 5

(10)

travailleurs

20

. Dans un article intitulé « Coworking 2.0 », l’observatoire de la qualité de vie au

travail Actineo dresse un panorama des « nouvelles formes de coworking » telles que le

corpoworking ou encore le cohoming – la location de bureau chez des particuliers

21

.

C’est d’ailleurs souvent en tant que modalité de travail que le coworking est questionné, tant

par les chercheurs que les observateurs de tous bords. Dans sa réflexion critique sur la

littérature consacrée au phénomène, Alessandro Gandini explique ainsi y lire une « attente

d’un nouveau modèle de travail »

22

. Il n’est en effet pas rare de voir liés dans les discours

médiatiques la multiplication des espaces de coworking aux « nouveaux modes d’organisation

du travail »

23

, voire comme une « nouvelle façon de travailler »

24

. Pour Catherine Desbois,

c’est la modification profonde de la façon de concevoir le travail lui-même qui se trouve à

l’origine de ces nouveaux lieux professionnels.

25

Elle les considère d’ailleurs comme les

signes d’une « révolution du travail » et d’une « volonté de travailler autrement ». Cette

terminologie est souvent utilisée dans la communication des espaces de coworking

eux-mêmes, tels que Coworking Pays-Basque dont la signature n’est autre que « Travailler

autrement ».

26

L’idée d’une manière alternative de pratiquer et penser le travail semble donc

au cœur de l’univers de représentations associé au coworking.

Pour Philippe Breton, les discours d’accompagnement d’un phénomène sont à la fois des

filtres à travers lesquels « un objet est appréhendé et utilisé », mais également souvent un

« déterminant de l’usage, et plus en amont, un déterminant de l’objet et même parfois de son

invention »

27

. Selon lui, l’objet mobilise un univers de significations qui lui préexiste bien

souvent, faisant échos à l’idée développée par Michel de Certeau selon laquelle « les récits

marchent devant les pratiques sociales pour leur ouvrir le champs »

28

. En ce sens, l’étude des

imaginaires liés au coworking semble avoir un rôle à jouer dans la compréhension de ce

phénomène nouveau. Plus encore, elle permet de questionner les fondements de la vision du

travail qu’ils portent. Il s’agira alors de se demander :

20 Blandine Bréchignac, « Corporate coworking : « hacker » le travail ? », Sociologies pratiques, vol. 34, no. 1,

93-101, 2017.

21« Coworking 2.0 », Actineo.fr, Avril 2017 http://www.actineo.fr/article/coworking-20

22 Trad. de « as it is connoted with the expectation of being the ‘new model of work’ in the context of the

‘collaborative and ‘sharing’ economy », Ibid 5.

23 « Anticafés veut réinventer le coworking », Entreprendre.fr, 9 Mai 2017 24« Le coworking, une nouvelle façon de travailler », Capital.fr, 9 Mai 2015 25 Ibid 16.

26 Site internet de Coworking Pays-Basque

27 Philippe Breton, "Que faut-il entendre par discours d'accompagnement des nouvelles technologies ?", Les

dossiers de l'audiovisuel, n° 103, Mai-Juin 2002, p. 7.

(11)

Entre rejet et utopie, en quoi les promesses du coworking construisent-elles une voie

moyenne pour « le travail de demain » ?

Cette interrogation a conduit à élaborer plusieurs hypothèses de recherche :

1) Les représentations des espaces de coworking s’appuient sur un rejet du travail

en entreprise.

2) La promesse de modes de travail et de vie alternatifs est au cœur de la

promotion du coworking.

3) Les espaces de coworking sont les lieux où s’invente un nouveau paradigme

du travail.

Afin de vérifier ces hypothèses, un terrain de recherche a été déployé sur trois niveaux. Un

travail préliminaire d’identification des thématiques et discours associés à la pratique du

coworking s’est appuyé sur un corpus d’articles issus de médias d’informations généralistes et

spécialistes, ainsi que des sites internet d’espaces de coworking français. Le critère de

sélection de ces sources a principalement porté sur la dimension promotionnelle des contenus.

Certaines analyses sémiologiques d’images et de discours figurent en annexes afin de restituer

la démarche employée.

29

S’en est suivi un travail de terrain exploratoire, visant à aller au delà des discours

médiatiques, de les « arracher à leur prétention planétaire et à leur universalité technique pour

les ancrer dans des enjeux, des lieux et des situations – analyser leurs effets dans la ville, dans

l’entreprise, dans l’industrie culturelle, dans la relation sociale et amicale », comme le suggère

Yves Jeanneret dans « Autre chose qu’un discours, davantage un accompagnement, mieux

qu’une résistance »

30

. Huit entretiens individuels ont ainsi été conduits entre mars et juillet

2017

31

, auprès de profils variés ayant un degré de familiarité plus ou moins élevé avec la

pratique du coworking. De l’animateur d’espace au travailleur indépendant n’ayant jamais

fréquenté un espace de coworking, l’approche s’est voulue qualitative et différenciée, afin de

saisir les nuances et les subtilités des représentations. Les huits profils interrogés sont :

- Claire Dumetz, salariée dans une startup implantée dans un espace de coworking

29 Annexe 2 – Analyses sémiologiques

30 Yves Jeanneret, « Autre chose qu’un discours, davantage qu’un accompagnement, mieux qu’une résistance »,

Terminal, no. 85, 2001.

(12)

- François-Xavier de Vaujany, professeur des universités à l’université

Paris-Dauphine, fondateur du RSGC

32

, fréquentant les espaces de coworkings dans le

cadre de ses travaux de recherche

- Fanny Bronnes, salariée d’une entreprise de conseil aux entreprises et animatrice

d’espace de corpoworking

- Elise Guffens, salariée d’une startup implantée dans un espace de corpoworking

- Arthur Enard, photographe indépendant n’ayant jamais fréquenté d’espace de

coworking

- Olivier Legrais, intermittent du spectacle ayant travaillé dans un espace de

coworking

- Anne Martiréné, directrice de création indépendante ayant fréquenté pendant 8 ans

un espace de coworking

- Stephanie Faure, salariée-doctorante CIFRE fréquentant les espaces de coworking

dans le cadre de son travail et de son terrain de recherche, se définissant elle-même

comme « observatrice et contributrice »

Partant du postulat que les représentations se construisent aussi à travers les usages des

acteurs, c’est sur ces derniers que les entretiens ont essentiellement portés, à partir d’un guide

d’entretien adapté aux profils interrogés. Une partie des questions concernait également la

vision du travail propre à chacun et véhiculée par les espaces de coworking. Ils ont ensuite été

retranscrits dans leur intégralité, puis traités selon les techniques d’analyse de discours

classiques.

En parallèle, sept observations in-situ ont été menées principalement dans des espaces de

coworking parisiens afin d’apprehender leur réalité sur le terrain et questionner ses propres

impressions. Ainsi, plusieurs postures ont été adoptées afin de varier les angles d’approches :

visiteuse, travailleuse ou encore utilisatrice de l’espace de restauration. Elles ont ensuite été

restituées dans une grille d’analyse à visée interprétative

33

.

Le présent travail de recherche entend restituer les résultats issus de ce travail de terrain et les

réponses qu’il apporte aux hypothèses formulées. Il s’agira dans un premier temps de se

demander en quoi les espaces de coworking prétendent proposer une alternative au travail en

entreprise, puis de voir en quoi celle-ci peut s’incarner dans une forme d’idéal

communautaire, pour enfin questionner le « modèle du futur » supposé s’y inventer.

32

Accronyme du Research Group of collaborative spaces – Site internet du RGCS

(13)

1.

PARTIE 1 – LE COWORKING, UNE ALTERNATIVE AU

TRAVAIL EN « ENTREPRISE CLASSIQUE » ?

En tant que tiers-lieux, les espaces de coworking déploient un imaginaire de rupture par

rapport au travail dans l’entreprise classique et ce faisant, en brouillent les frontières

traditionnelles, qu’elles soient spatiales, temporelles, organisationnelles ou symboliques.

1.1. Des espaces de l’entre-deux essentiellement hybrides.

1.1.1.

Espaces tiers : sortir de la dichotomie domicile / bureau.

Dans « Building new places of the creative economy: The rise of coworking spaces », Bruno

Moriset range les espaces de coworking dans la catégorie des « tiers-lieux », terme utilisé

pour la première fois par Ray Oldenburg en 1989 pour décrire les « lieux n’étant ni la maison,

ni le bureau »

34

. Selon le sociologue américain, cette idée de troisième lieu dérive de la

distance physique et sociale créée à l’avènement de la révolution industrielle entre la maison –

« le premier lieu » - et le lieu de travail – « le second lieu ». Ces deux points de repères

représentant des mondes restreints dans lesquels les rôles sociaux de l’individu sont

déterminés et relativement limités, des tiers-lieux sont nécessaires pour que se développe une

vie sociale alternative, où chacun peut élargir ses propres perspectives.

35

Cette notion d’espace tiers est également présente dans la réflexion d’Alessandro Gandini,

pour qui les espaces de coworking permettent une « troisième voie », à mi-chemin entre une

vie professionnelle « classique » au sein d’un « bureau traditionnel et délimité », avec un

environnement social lui étant propre et une vie professionnelle « indépendante », dans

laquelle le travailleur est isolé à son domicile

36

. Elle postule ainsi l’existence d’espaces tiers

pouvant être utilisés pour travailler, sortant de la dichotomie domicile / bureau. C’est

34 « The term of third placewas coined by American sociologist R. Oldenburg (1989) to describe places out of

the home and the office », Ibid 16.

35Ray Oldenburg, « The Café as a third place », pp. 7-21in Askel Tjorat et Graham Scambler, Café Society,

2013, p. 7-8

36 Trad. de « It brought the possibility of envisaging a ‘third way’ of working, halfway between a ‘standard’

worklife within a traditional, well-delimited workplace in a community-like environment, and an independent worklife as a freelancer, characteristic of freedom and independence, where the worker is based at home in isolation. », Ibid 5.

(14)

d’ailleurs ce que suggère l’une des interviewées lorsqu’elle s’exclame pouvoir « travailler

dans un jardin sans problème ! »

37

.

Pour Pierre Dubus, le tiers-lieu est un espace interstitiel, « une sorte d’entre-deux ne

s’intégrant pas à une fonction définie »

38

. On y retrouve là l’opposition mise au jour par E.T.

Hall dans La dimension cachée, lorsqu’il distingue les territoires à organisation fixe, délimités

et correspondant à une fonction particulière, des territoires à organisation semi-fixe, dont les

usages peuvent varier au gré des réorganisations

39

. Le jardin mentionné ci-dessus n’est en

effet pas initialement pensé pour héberger une activité de travail intellectuel mais peut tout de

même se prêter à cet usage. En tant que tiers-lieux, les espaces de coworking se présentent

comme des espaces de l’entre-deux : entre domicile et bureau, entre usages et fonctions

distincts, entre isolation et environnement social professionnel.

1.1.2.

Une hybridation esthétique et fonctionnelle des espaces.

Cette notion d’entre-deux se retrouve d’ailleurs à l’échelle de l’aménagement et l’organisation

des espaces de coworking. L’hybridation semble en effet souvent au cœur de la configuration

de ces lieux, comme au Craft, à mi-chemin entre la cantine hipster et la bibliothèque

40

ou

encore l’AntiCafé, qui en se voulant en contrepied du café classique, en réinvestit tous les

codes

41

. Elle peut se manifester à travers l’implantation d’espaces de coworking dans des

lieux insolites, comme le Container au Havre, qui réinvestit l’imaginaire des docks.

42

L’hybridité peut être générée par l’ameublement et la décoration du lieu. Un mélange des

genres peut s’observer au WorkLab Paris, entre « de la récup’ », du mobilier acheté à la

Ressourcerie, « trouvé dans la rue » et du mobilier « design et ergonomique » plus qualitatif

43

.

L’esthétique du lieu participe en outre à créer le sentiment d’être « chez soi » au travail :

« Il y a toute une mise en scène qui fait que tu as l’impression d’être dans ton

salon quand t’arrives. Et tu n’as pas juste la moquette bleue et les murs

blancs. »

44

37 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2692

38 Pierre Dubus, « Réflexion sur les tiers-lieux. Signification et effets dans les institutions médico-sociales »,

VST - Vie sociale et traitements, no 103, 18-24, 2009 (En ligne)

39Edvard T. Hall, La dimension cachée, Paris : Seuil, 2014. (En ligne) 40 Annexe 4 – Observation 1.

41 Annexe 4 – Observation 6.

42« Le Havre. L’espace de coworking Le Container sort de sa coquille », Ouest-France.fr, 14 avril 2017 43 Fanny Bronnes, Annexe 3, l. 739-740

(15)

« Comme l’espace offre beaucoup de ressources, on s’y sent un peu comme

chez soi. »

45

La présence d’une cuisine, d’une salle de détente, de canapés, fauteuils confortables ou encore

d’un espace sieste font entrer dans un espace dédié au travail des éléments appartenant

classiquement à l’univers de la maison. Ces derniers tranchent avec l’image topique du bureau

d’entreprise impersonnelle construite en creux par la mention de la « moquette bleue » et des

« murs blancs ».

Cette porosité d’univers a priori clos se retrouve d’ailleurs dans l’ambition de certains espaces

d’être polyfonctionnels, comme le Coworkcrèche qui se définit à la fois comme un espace de

travail et de garde pour jeunes enfants

46

. Le Craft peut quant à lui être utilisé uniquement pour

son espace de restauration par des utilisateurs qui n’y viendraient pas forcément pour

travailler

47

. Certains se proposent même comme des lieux totaux, presqu’auto-suffisants,

réunissant toutes les fonctions de la vie quotidienne, comme Mutinerie Village, « espace de

coworking et coliving », réunissant un espace de travail, un potager en permaculture pour les

repas, un hébergement en chambres doubles et 42 hectares de prairie, rivière et sous-bois

48

.

Par l’hybridation des espaces de coworking, ce sont les frontières traditionnelles du lieu de

travail, ce premier lieu de la révolution industrielle, qui se voient reconfigurées.

1.1.3.

La mise en co-présence de mondes professionnels cloisonnés.

Celle-ci est également perceptible à la diversité des profils coexistant dans ces lieux. Si

l’accent est souvent mis sur les travailleurs indépendants

49

et les entrepreneurs dans la

littérature et les discours médiatiques, le panel d’interviewés permet d’allonger la liste des

utilisateurs : salariés d’entreprise pratiquant le télétravail, salariés de petites entreprises ou

startups implantées de façon permanente dans des espaces de coworking, intermittents du

spectacle ou encore chercheurs. Des projets entier d’entreprises peuvent y être excubés –

exportés – de manière permanente, comme les équipes de La Poste au Schoolab

50

. Des

mondes profesionnels traditionellement circonscrits à des espaces distincts se trouvent alors

mêlés dans un lieu unique.

45 Elise Guffens, Annexe 3, l. 1106-1107 46 Site internet du CoworkCreche Paris 47 Annexe 4 – Observation 1.

48 Site internet de Mutinerie Village

49 « Coworking spaces are shared workplaces utilised by different sorts of knowledge professionals, mostly

freelancers », Ibid 5.

(16)

Ce sont également des cultures professionnelles qui se mêlent au sein des espaces de

coworking. Aux salariés des grandes entreprises, des startups et des travailleurs indépendants

se mêlent également des fonctionnaires et salariés de l’administration. Ces derniers

investiraient les espaces de coworking subventionnés par des collectivités pour « montrer

l’exemple ». Ce mélange particperait d’ailleurs à atténuer la culture propre à chaque

entreprise :

« Je dirais que le sens de la culture de la boite serait plus fort si c’était un

bâtiment vraiment destiné pour nous. »

51

Par ailleurs, des cultures métiers distinctes peuvent se retrouver mêlées dans les espaces de

coworking. Dans sa communication, WeWork insiste notamment sur la « diversité des

profils », issus tant des secteurs de la mode que de la tech en passant par le droit

52

. Des

interviewés déclarent avoir fait l’expérience de cette hybridité des métiers : société de sécurité

en co-présence avec un studio de production

53

, arrivée d’une entreprise de tourisme dans un

espace surtout investi par des professionnels de la communication

54

.

Des profils n’étant pas directement liés au monde du travail peuvent également investir

temporairement les lieux. C’est le cas des étudiants, qui s’y rendrent dans le cadre de projets

d’études

55

. Une observation a ainsi été menée à l’AntiCafé à l’occasion d’un travail de groupe

avec d’autres étudiants

56

. Certains utilisateurs peuvent même être seulement de passage dans

l’espace pour boire un café, comme des retraités les jours de marché

57

.

Les espaces de coworking semblent donc caractérisés par un décloisonnement, qui met en

présence des mondes, cultures professionnelles et profils essentiellement distincts. Ce sont

ainsi des espaces socialement inclusifs, qui rebattent les cartes des organisations

traditionnelles laborales.

51 Claire Dumetz, Annexe 3, l. 216 52 Annexe 2 – Analyse sémiologiques 53 Olivier Legrais, Annexe 3, l. 2247-2248 54 Anne Matiréné, Annexe 3, l. 1800-1802 55 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2729-2732 56 Annexe 4 – Observation 6.

(17)

1.2. Le bureau est mort, vive le bureau : une recomposition

spatio-temporelle.

1.2.1.

Quand l’outil n’est plus qu’accès, la dématérialisation de l’espace de

travail.

Le bureau en tant qu’espace limité est l’une des premières structures traditionelles à être

questionnée par la pratique du coworking. Or, comme le rappelle Anne Monjaret dans « Être

bien dans son bureau », celui-ci se définit avant-tout « par ses instruments de travail »

58

.

Questionner le bureau passe donc avant tout par une réflexion sur les outils de travail. Pour

les coworkeurs, ceux-ci se résument bien souvent à un ordinateur et une connexion internet,

voire du smartphone des coworkeurs :

« De quoi j’ai besoin pour bosser ? J’ai besoin d’un bureau avec mon

ordinateur dessus, c’est tout. »

59

« L’ordinateur et l’internet. »

60

« J’ai un PC portable. J’ai également un smartphone, sur lequel j’ai mon

agenda, mes mails professionnels, mes outils de com’, à savoir Twitter,

Facebook. »

61

Les travailleurs rencontrés dans les espaces et représentés dans l’iconographie médiatique

sont en effet tous sans exception équipés d’ordinateurs portables ou de tablettes numériques.

Certains espaces tels que « Le Laptop »

62

ont même choisi de faire un clin d’œil à cet élément

définitoire du coworkeur dans leur identité de marque.

Ces outils sont par ailleurs associés à l’idée de nomadisme caractérisant une nouvelle

génération de travailleurs, parfois regroupés sous le termes ‘lone eagles’ – aigles ou oiseaux

solitaires en français. Bruno Moriset associe l’émergence de ces individus pouvant « vivre et

travailler n’importe où » grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la

communication, à la mondialisation, la digitalisation et l’ubiquité informationnelle

58 Anne Monjaret, « Être bien dans son bureau»: Jalons pour une réflexion sur les différentes formes

d'appropriation de l'espace de travail, Ethnologie française, vol. 26, no. 1, 129-139, 1996, p. 132 http://www.jstor.org/stable/40989628)

59 Claire Dumetz, Annexe 3, l. 83. 60 Olivier Legrais, Annexe 3, l. 2168. 61 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2525-26 62 De l’anglais « ordinateur portable »

(18)

caractérisant l’économie de la connaissance

63

. La question de l’accès est au cœur des métiers

de ces nouveaux nomades digitaux qui peuvent ainsi travailler dans tous types de lieux, que

ce soit dans le cadre de leurs mobilités profesionnelles ou de leur quotidien. Tous les

interviewés se caractérisent en effet comme des travailleurs mobiles, dans des périmètres plus

ou moins larges. Ils peuvent même investir au cours de leurs déplacements professionels des

lieux comme les gares

64

. L’une d’entre elle avoue partir régulièrement à Ibiza pour y finaliser

son travail de création

65

. La rue elle-même peut constituer à leurs yeurs un espace de travail :

« De toute manière, quand tu consultes tes mails sur ton téléphone, tu

travailles où ? Dans la rue ! »

66

La démultiplication des lieux de travail s’accompagne également d’une dématérialisation de

celui-ci. En 1992 déjà, Anne Monjaret observait cette tendance dans les bureaux face à

« l’essor de l’informatique, de la télématique » et « l’explosion des espaces virtuels »

67

. On

est en effet loin des « bureaux anonymes » décrits par George Perec en 1989 dans

l’Infra-ordinaire

, comme des « lieux vagues encombrés de dossiers mal ficelés, de tampons,

d’attaches-trombones, de crayons suçotés, de gommes qui n’effacent plus, d’enveloppes

jaunasses »

68

. Peter Jockusch constatait d’ailleurs dès 1992 une certaine « nudité de l’espace »

dans l’évolution vers « le bureau électronique »

69

.

Une décorrélation s’observe en effet encore le travail et son lieu d’exécution, mise en valeur

par dans les discours des coworkeurs interrogés :

« Parce que je fais un travail qui importe peu en fonction du lieu. »

70

« Et tu n’es pas obligé d’être au bureau pour travailler. Tu peux travailler

chez toi, tu peux travailler dans un autre lieu.»

71

C’est également en creux une remise en question de l’unité de temps et de lieu imposées,

contraintes par le travail en entreprise, incarné par le « 9h-18h » réglementaire. L’éclatement

des frontières physiques, tangibles et palpables du bureau traditionnel est donc étroitement lié

à la pratique du cowoking, dont le travailleur « nomade » est devenu la figure de proue.

63 Ibid 15.

64 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2694-2695 65 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1640-1642 66 Fanny Bronnes, Annexe 3, l. 927-928 67 Ibid 44, p. 136

68 Georges Perec, L’infraordinaire, Paris : Seuil, 1989, p. 90.

69 Peter Jockusch, « Une expérience allemande récente des transformations d'organisations administratives dans

le secteur public », Territoires et architectures d'entreprises, vol. 2, 33-37, 1992, p.34

70 Claire Dumetz., Annexe 3, l. 224-225 71 Fanny Bronnes, Annexe 3, l. 922-23

(19)

1.2.2.

Quand le besoin détermine l’usage : l’ère du bureau sur mesure.

La dématérialisation et le nomadisme ne signifient pour autant pas la disparition de l’espace

de travail. Les interrogés mettent en effet en valeur l’importance d’un lieu physique de

référence, ne serait-ce que dans leurs relations professionnelles avec des personnes

extérieures. Celui-ci conforterait la crédibilité et la visibilité des acteurs. Une interviewée

souligne ainsi l’importance dans sa relation avec ses clients « d’imaginer l’autre dans son

univers de travail. »

72

. Indiquer travailler dans un espace de coworking constitue selon elle un

message positif vis à vis de ses clients et prestataires travaillant en entreprise :

« Parce que ça ne leur fait pas trop peur, c’est un terme moderne. Ils

imaginent que c’est une sorte de loft, avec des mecs, qu’il y a une cuisine…

Enfin, c’est leur rêve à eux aussi. »

73

Les espaces de coworking permettraient ainsi de créer les conditions pour recevoir à

l’occasion d’une mobilité d’un salarié, par exemple. Des commerciaux en déplacement dans

une ville peuvent louer à la journée un espace pour rencontrer un client

74

. Des atelier de

formation peut également s’y dérouler

75

. Cette flexibilité peut être un avantage pour une

startup implantée dans un espace de coworking, car lui permet d’aggrandir la taille du lieu de

travail en fonction des besoins et du recrutement

76

. Celle-ci sera ainsi davantage dans une

logique d’accès à l’usage que de propriété, plus lourde à assumer pour une structure qui se

développe.

Ainsi, les coworkeurs vont avoir un usage de l’espace lié essentiellement aux tâches qu’ils ont

à effectuer et à leurs besoins – en termes de ressources et de bien-être. L’humeur peut ainsi

même constituer un facteur pris en compte dans le choix d’une portion d’espace

77

. Les

différentes saisons de l’année peuvent également induire des usages particuliers

78

, les espaces

extérieurs tels que les terrasses étant plus investis au moment au printemps et en été. Au

WorkLab Paris, c’est ainsi un principe de mouvement et de liberté qui est mis en avant par

l’animatrice du lieu : « Ici, tu t’installes en fonction de tes besoins »

79

. Selon elle, la

72 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1948 73 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1756-58

74 François-Xavier de Vaujany, Annexe 3, l. 337-338 75 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2609-2611

76 Claire Dumetz, Annexe 3, l. 126-128 77 Elise Guffens, Annexe 3, l. 1022-1023 78 Elise Guffens, Annexe 3, l. 1055-57 79 Fanny Bronnes, Annexe 3, l.755

(20)

multiplicité des espaces et la possiblité de passer de l’un à l’autre a un notamment un impact

positif sur la concentration des travailleurs :

« J ’observe aussi des habitudes des gens, je sais qu’ils vont aller s’installer

dans tel espace à tel moment de la journée, parce qu’ils veulent faire la sieste,

ou parce qu’ils ont besoin de s’isoler davantage à ce moment de la

journée. Les gens ont des cycles de concentration. Globalement, si on me

demande où est quelqu’un, je peux le trouver facilement dans l’espace. Parce

que je sais que c’est un espace où il/elle se sent bien. »

80

Il ne s’agit donc tant pas d’une disparition du bureau que d’une recomposition sur-mesure de

celui-ci.

Cette liberté physique et spatiale nouvelle se lit souvent en contrepoint de la fixité induite par

l’attribution d’un bureau classique en entreprise :

« Dans une entreprise, normalement, tu as ton bureau et tu t’y installes tous

les jours. Tu as ton matériel, ton collègue à gauche, à droite. Tu vois qui est

en face, tu sais qui est installé derrière toi, tu as tes habitudes. »

81

L’isotopie du bureau en entreprise est d’ailleurs en cause dans les discours de certains

interviewés. L’un d’eux indique apprécier la mobilité que lui permet son nouveau statut

d’indépendant, en comparaison de son ancien travail de salarié :

« Dans mon ancien job, j’étais clairement assis face à un ordi toute la

journée, entouré des mêmes personnes. Aller toujours sur ce même lieu de

travail, répéter quotidiennement ce travail, ce qui est finalement très

fatiguant, ça tape vraiment sur le système. »

82

Il en ressort ainsi une sorte de monotonie, nuisible au bien-être du travailleur. En comparaison

ses expériences de salariée, une interviewée explique ne plus ressentir « cette lassitude, cette

fatigue, cette saturation psychologique de dire « J’en peux plus d’être là depuis 8h du

mat ‘ »

83

, qu’elle attribue à l’unité spatio-temporelle du bureau classique. Moduler son espace

et sa position au cours de la journée permet selon elle de réintroduire aussi plus d’humanité

dans le rythme du travail :

80 Fanny Bronnes, Annexe 3, l.729-733 81 Fanny Bronnes, Annexe 3, l.753-755 82 Arthur Enard, Annexe 3, l.1410-1413 83 Fanny Bronnes, Annexe 3, l.824-825

(21)

« Avoir la possibilité d’aller en coworking, c’est accepter que le travailleur

est aussi un individu, avant tout. Et qu’il a des besoins. Que ce n’est pas

forcément une bonne idée qu’il travaille 5 jours du 7 au même endroit. »

84

1.2.3.

« On n’est pas sur un métro-boulot-dodo classique » : entre flexibilité et

recomposition des temps de travail.

C’est également la possibilité de choisir, plutôt que de subir, un cadre et un rythme de travail,

qui est mise en avant à travers la pratique du coworking. Les coworkeurs choississent en effet

quand ils viennent travailler. Certains usagers s’autorisent par exemple à passer quelques

heures chez eux, avant de se rendre sur son lieu de travail. La maîtrise de son temps et la

possibilité de composer ou recomposer son emploi du temps au gré des besoins est un

avantage apprécié et mis en avant :

« On n’est pas sur un métro-boulot- dodo classique. »

85

« J’ai un emploi du temps sur mesure. »

« Parce que demain matin, je vais prendre ma matinée, je vais déjeuner avec

Louise »

86

Pour Jung Bohdan, cette flexibilité est due à la nature synchronique des activités des

travailleurs, qui peuvent alors travailler à leur propre rythme, sans être figé « dans le le temps

prévu par la bureaucratie de l’entreprise

87

. Les horaires imposés par l’entreprise sont en effet

considérés comme rigides par rapport aux « rythmes des personnes »

88

. Qu’ils soient du matin

ou du soir, les individus sont alors libres de commencer leur journée à 10h30 ou bien de la

finir « beaucoup plus tard », en étant en phase avec leur « rythme personnel »

89

. Cela peut

également être un moyen de pallier à des contraintes de vie le matin. Cette souplesse va de

pair avec une absence de contrôle des horaires, dans le cas de salariés rattachés à une

entreprise. Au WorkLab Paris, la configuration du lieu sur trois étages fait que les coworkeurs

ne savent quand un autre travailleur arrive ou part. Il n’est d’ailleurs pas question de

« fliquer »

90

les salariés, rappelle l’animatrice du lieu.

84 Fanny Bronnes, Annexe 3, l.905-907 85 Olivier Legrais, Annexe 3, l.2349 86 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1720-21

87 Jung Bohdan, « La vie et le travail à l'époque de l'économie et la classe créative », Sociétés, no 112, 77-85,

2011.

88 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2846-2850 89 Olivier Legrais, Annexe 3, l.2320-24 90 Fanny Bronnes, Annexe 3, l. 788-89

(22)

Se rendre dans un espace de coworking, plutôt que sur son lieu de travail, peut également

représenter pour les salariés une réduction de leur trajet, notamment lorsqu’ils doivent faire

tous les jours plus de « 40 minutes de transport »

91

. Ils sont plusieurs à mettre en avant cet

avantage, leur permettant d’introduire plus de souplesse dans l’organisation de leur journée.

C’est également une manière de casser les routines associées au travail en entreprise. Des

salariés le voit comme un « moment plus stimulant, qui va te sortir de ton train-train

habituel »

92

.

C’est donc hors des cadres temporels, mais aussi spatiaux et émotionnels de l’entreprise que

le coworking prétend s’inscrire. Au-delà, c’est un rejet des structures classiques du monde du

travail qui s’exprime.

1.3. Liberté, choix, mouvement : de nouveaux contours pour le travail.

1.3.1.

De la défiance au rejet : un rapport déceptif à l’entreprise

Dans « Le coworking : un mode de travail né de la crise ? L’exemple de Berlin », Catherine

Desbois

93

lie la montée en puissance du coworking à l’évolution économique mondiale,

« caractérisée par la mondialisation de l’économie, le recours aux nouvelles technologies et

l’externalisation de certaines activités ». La crise économique aurait selon elle favorisé les

initiatives individuelles, le développement de startups, d’auto-entreprises, qui peuvent

« trouver des avantages au coworking ». Elle note ainsi sur la période 2010-2012 une moindre

confiance des salariés en un système économique qu’elle décrit comme « fondé sur les

grandes entreprises et les banques », associé à « un regain de précarité pour des salariés

contraints au travail partiel ou intérimaire ». Cette situation les pousserait alors à chercher

« une nouvelle voie en créant leur propre emploi » et dès lors fréquenter les espaces de

coworking ayant l’avantage de combiner flexibilité et faible coût.

La pratique du coworking serait ainsi indirectement le fruit d’un rapport déceptif à

l’entreprise et d’une envie de s’en libérer. Les profils de travailleurs indépendants interrogés

mettent d’ailleurs en avant la déception que le statut de salarié leur a finalement inspirée.

Deux d’entre eux ont notamment été victimes de licienciements économiques avant de se

91 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2564-2565 92 Elise Guffens, Annexe 3, l. 1214-1215 93 Ibid 16.

(23)

lancer à leur compte. Est mis également en cause le système hiéarchique de l’entreprise et la

pression émotionnelle, l’incertitude que celui-ci engendre :

« Je n’ai pas le stress d’une hiérarchie constante, multiple. »

94

Les contraintes et obligations inhérentes au travail en entreprise sont également critiquées

voire moquées dans les discours des coworkeurs. Des situations conflictuelles peuvent même

apapraître dans les espaces de coworking entre des profils indépendants et des travailleurs

jugés trop imprégnés de la culture de l’entreprise :

« On était tous des indépendants, excepté le mec qui avait la boite de

tourisme. Il amenait un peu avec lui le truc « Bon bah il est une heure, on

mange ! ». Tout ce qui te rappelle le salariat (…) Tout ce que tu veux, c’est

qu’il n’y ait aucun signe du salariat qui entre par la porte. C’est à dire les

déjeuners pénibles avec ton chef à savoir ce qu’il a regardé à la télé la veille,

les obligations du pot, de ceci ou de cela. »

95

La déception peut ainsi même aller jusqu’au désir d’évoluer dans un monde dénué de tout

signe rappelant celui de l’entreprise. Tous mettent d’ailleurs en valeur la liberté dont leur

nouveau statut leur permet de jouir, qui leur offre la possiblité de ne pas être « enchainés à

une boite »

96

:

« C’est la liberté, c’est juste la liberté. Si jamais ça finit par me soûler, ce qui

peut arriver du jour au lendemain, j’ai le droit de me dire que je me prends 6

mois tranquille, que je vais voir ailleurs. C’est de la liberté pure. Et c’est rare

dans le milieu du travail, alors il faut en profiter. »

97

Se dessine en creux une représentation du travail en entreprise comme contraingnant voire

emprisonnant. Celui-ci est d’ailleurs de façon récurrente associée au quartier d’affaires de La

Défense et l’image négative que celui-ci projette :

« Parce que bon, la Défense, tout ça, ce sont des univers impitoyables. »

98

Les discours d’escorte du coworking tendent d’ailleurs à réinvestir ce portrait peu flatteur du

monde de l’entreprise, dont les travailleurs seraient aujourd’hui fondamentalement en rejet.

On peut ainsi lire dans un article de l’ADN dédié à Remix Coworking que « les corporates

sont empreints d’une culture du toujours plus, de l’individualisme, de la hiérarchie qui ne

94 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1721-1722 95 Anne Martiréné, Annexe 3, l.1807-1812 96 Olivier Legrais, Annexe 3, l. 2139-40 97 Olivier Legrais, Annexe 3, l. 2145-2147 98 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1650

(24)

convient plus à beaucoup de personnes ».

99

. Le monde de l’entreprise s’y lit comme un

univers laissant peu de place à l’humain et à l’auto-détermination des individus, derrière la

course aux gains et des structures contraignantes qui leur sont imposées. Sylvie

Thorel-Cailleteau, qui a travaillé sur la figure de l’employé de bureau dans les œuvres de Gogol,

Hoffmann, Grillparzer, Huysmans et Melville, pointe d’ailleurs ce manque d’autonomie

comme source de souffrance pour le travailleur :

« Un nouveau personnage apparaît alors, en qui semblent se recueillir toutes

les vicissitudes de la vie moderne : c’est l’employé de bureau, humble et

malheureux, qui consacre sa vie à l’exécution mécanique de travaux dissociés

de toute finalité (…). L’employé de bureau s’inscrit dans un système fortement

hiérarchisé, ce qui suppose délégation des tâches et dissociation entre tâches

et responsabilités – des néants s’emboîtent : il prend place dans une chaîne et

ne maîtrise rien des buts auxquels il œuvre cependant ; il est voué à ne

connaître jamais que des moyens et se trouve asservi à des intérêts qu’il ne

maîtrise pas du tout. Enfin il souffre (…)

100

»

La situation de mal-être décrite n’est pas sans rappeler la racine étymologique présumée du

terme travail. Il dériverait de « tripalium », un instrument de torture et d’immobilisation, qui

lui-même se rapporte au terme « tripaliare », signifiant « contraindre ».

101

Le coworking

correspond ainsi à ce désir de subir « moins de contraintes ». Son organisation s’oppose dans

l’esprit des coworkeurs aux organisations classiques du monde du travail :

« Ouais, on s’y sent bien, on ne se sent pas sous pression. C’est beaucoup plus

détente qu’une boite classique. (…) C’est moins de pression, du détachement

aussi. Car comme ce n’est pas un espace alloué exclusivement à mon

business, c’est comme si c’était un peu extérieur.»

102

Le fait d’être dans un espace tiers crée les conditions d’une prise de recul vis à vis des

structures de l’entreprise. Plus encore, il peut même constituer une « alternative à des

salariés » en souffrance « dans l’environnement qui leur est imposé dans leur boite ne leur

correspondent pas »

103

. La réprésentation du coworking s’inscrit donc profondément en

opposition à celle du monde du travail classique, de l’entreprise et du bureau.

99 Jeremy Lopes, « En finir avec le bullshit du coworking », Ladn.eu, 18 octobre 2016

100 Thorel-Cailleteau, Sylvie. « La figure de l'employé de bureau », Travailler, vol. 7, no. 1, 77-88, 2002. 101 « Travails travaux (Travail), Etymologie Français, Latin grec sanskrit

102 Claire Dumetz, Annexe 3, l. 211-12 puis l.90 103 Stephanie Faure, Annexe 3, l. 2633-34

(25)

1.3.2.

Travail-loisir, travail-passion : une porosité des espaces émotionnels.

L’une des raisons tient à ce que dans les espaces de coworking, « on n’a pas nécessairement

l’impression de travailler. »

104

. Il existe une dimension ludique dans ces espaces, pouvant

s’incarner dans des équipements tels que des tables de ping-pong ou des baby-foot.,

introduisant des enclaves de jeu dans l’espace. L’aspect ludique peut être mis en scène dans la

communication des espaces de coworking : un échiquier entre par exemple dans la

composition d’un cliché de l’AntiCafé Beaubourg

105

. La décoration souvent très colorée

participe également à les égayer et les dynamiser. A l’AntiCafé, par exemple, un espace pour

s’asseoir complètement peint en jaune a été aménagé dans un renfoncement du mur pour

accueillir des travailleurs, créant des ruptures dans l’agencement de l’espace qui surprennent

et amusent

106

.

Dans cette perspective, les usagers mettent en valeur des moments volés au travail au sein des

espaces qu’ils investissent :

« Tu peux vraiment être toi. Ça n’a rien à voir. Si tu as envie de faire de la

manucure dans le bureau, tu peux. On avait une table, une petite courette,

c’était sympa. Une fois, on a picolé toute la journée pour un anniversaire et

on n’a pas travaillé. »

107

Le fait de pouvoir s’amuser sur son lieu de travail, d’y faire pénétrer des éléments relevant du

privé est associé dans les discours à un rapport plus authentique à soi-même. En 1966, E.T.

Hall observait non sans ironie que « beaucoup d’hommes semblent avoir deux personnalités,

une pour la maison et une pour le bureau »

108

, personnalités qu’il jugeait incompatibles voire

contradictoires, raison pour laquelle ces deux espaces devaient être dissociés. L’un de nos

interviewés affirme lui aussi faire « partie d’une génération » qui a appris à distinguer le

temps où l’on travaille du temps où « l’on s’amuse, vit, a sa vie de famille »

109

. La porosité

des espaces émotionnels est pour lui quelque chose de nouveau, qu’il associé à ces lieux de

travail plus flexibles que ceux des entreprises traditionnelles.

Ce décloisonnement entre vie privée et publique, s’il tient à la nature des espaces de

coworking, s’explique également par le fait que la plupart des interviewés ont choisi de faire

104 François-Xavier de Vaujany, Annexe 3, l. 430-31 105 Annexe 2 – Analyses sémiologiques

106 Annexe 2 – Analyses sémiologiques 107 Anne Martiréné, Annexe 3, l. 1860-62 108 Ibid 36, p. 134

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