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Le français dans un espace non-francophone et plurilingue: le cas du Nigéria

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Academic year: 2021

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Le français dans un espace non francophone et plurilingue : le cas du Nigéria

Michael Akinpelu

Département de langue et littérature françaises Université McGill, Montréal

Thèse de doctorat soumise à l’Université McGill pour l’obtention du diplôme PhD (French) – Thesis

Mars 2016

(2)

TABLE DES MATIÈRES

Résumé/Abstract ... 1-2

Remerciements ... 3

Table des tableaux et figures ... 4

INTRODUCTION ... 5

CHAPITRE 1: LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE DU NIGÉRIA ... 12

1.1. Situation géographique et données historiques et politiques ... 12

1.2. Les données économiques ... 16

1.3. Présentation du Nigéria ... 16

1.3.1. Bref aperçu de la situation linguistique africaine ... 16

1.3.2. Profil sociolinguistique du Nigéria ... 19

1.3.3. Rôle et hiérarchie des langues au Nigéria ... 22

1.3.3.1. Les langues endogènes ... 22

1.3.3.2. Langues exogènes et langue neutre ... 24

1.4. Multilinguisme et relations interethniques au Nigéria ... 27

1.4.1. La notion de multilinguisme ... 27

1.4.1.1. Bilinguisme individuel ... 28

1.4.1.2. Bilinguisme social et bilinguisme institutionnel ... 29

1.4.2. La diglossie ... 30

1.4.3. Attitude générale de la population nigériane envers les langues ... 33

1.4.4. Multilinguisme et integration nationale ... 34

1.4.5. Multilinguisme et développement durable ... 38

1.5. Résumé ... 40

CHAPITRE 2: CADRE THÉORIQUE – DÉLIMITATION DU DOMAINE ... 42

2.1. Sociolinguistique: definition, objet et domaines ... 43

2.1.1. Définition et objet d’étude ... 43

2.1.2. Domaines de la sociolinguistique ... 45

2.2. La sociolinguistique appliquée à la gestion des langues ... 48

2.2.1. Planification linguistique (Language Planning) ... 48

2.2.1.1. Origine et évolution du terme ... 48

2.2.1.2. La notion de planification linguistique ... 51

2.2.1.3. Quelques définitions du terme ... 52

2.2.1.4. Typologies de planification linguistique ... 53

2.3. La notion d’aménagement linguistique ... 59

(3)

2.4.1. Catégories de politique linguistique ... 65

2..4.2. Politique linguistique: caractéristiques, rédaction et application ... 73

2.5. Planification/aménagement/politique linguistiques: une synthèse ... 74

2.6. Fondements d’une intervention linguistique ... 77

CHAPITRE 3: LES POLITIQUES LINGUISTIQUES EN AFRIQUE ... 81

3.1.Typologies des politiques linguistiques en Afrique ... 81

3.1.1. La typologie des politiques linguistiques de Heine ... 81

3.1.2. La typologie des politiques linguistiques de Halaoui ... 83

3.1.2.1. Politiques linguistiques nationales ... 83

3.1.2.1.1. Les politiques des langues coloniales ... 83

3.1.2.1.2. Les politiques des langues africaines ... 85

3.1.2.2. Les politiques linguistiques sectorielles ... 88

3.2. La Déclaration de Harare ... 89

CHAPITRE 4: L’AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE AU NIGÉRIA ... 98

4.1. Historique ... 98

4.2. Les langues dans les documents officiels ... 99

4.2.1. La National Policy on Education ... 99

4.2.1.1. Quelques remarques ... 100

4.2.2. La constituion de la République fédérale du Nigéria ... 101

4.2.3. Discussions ... 102

4.3. L’éducation formelle au Nigéria ... 106

4.3.1. Période pré-indépendance ... 106

4.3.2. Période post-indépendance ... 108

4.3.3. Le système éducatif nigérian ... 109

4.3.3.1. L’éducation de base ... 110

4.3.3.2. L’éducation intermédiaire (Post-Basic Education) ... 111

4.3.3.3. Le niveau supérieur ... 112

4.3.4. Réformes éducatives ... 118

4.4. Problèmes et défis du système éducatif nigérian ... 122

4.4.1. L’explosion démographique ... 122

4.4.2. Le problème de gestion ... 123

4.4.3. Le manque du personnel enseignant ... 124

4.4.4. Le problème de financement ... 125

CHAPITRE 5: LE FRANÇAIS AU NIGÉRIA ... 131

5.1. L’évolution du français au Nigéria ... 132

5.1.1. Période pré-indépendance ... 132

5.1.2. Période post-indépendance ... 135

5.2. Le français sous le règne d’Abacha ... 140

(4)

5.2.2. Activités de la Task Force on the Nigerian French Language Project ... 143

5.2.3. Le français après les travaux de la Task Force : réformes linguistiques ... 148

5.3. La diplomatie française ... 151

5.3.1. La coopération franco-nigériane ... 152

5.3.2. Projets FSP au Nigéria ... 158

5.4. Associations nigérianes pour la promotion du français ... 163

5.5. État et usage actuels du français au Nigéria ... 164

5.5.1. Demande du français ... 164

5.5.2. Offre du français ... 164

5.5.2.1. Le Village français du Nigéria de Badagry ... 165

5.5.2.2. Institut français d’Abuja ... 166

5.5.2.3. Alliance française et CFTD ... 167

5.5.2.4. Le français au premier cycle du secondaire ... 168

5.5.2.5. Le français au deuxième cycle du secondaire ... 172

5.5.2.6. Le français au collège d’éducation ... 174

5.5.2.7 Remarques ... 185

5.5.2.8. Le français à l’université ... 187

5.6. Résumé général — état actuel du français au Nigéria ... 188

5.7. Le français dans un état nigérian : Osun State ... 191

5.8. Problèmes de l’épanouissement du français au Nigéria ... 192

CHAPITRE 6: L’AVENIR DU FRANÇAIS AU NIGÉRIA ... 199

6.1. Problèmes de l’implantation du français ... 200

6.1.1. Attitude des dirigeants et de la population ... 200

6.1.2. Manque de ressources ... 201

6.1.3. Politique linguistique lacunaire ... 202

6.1.4. Manque d’appui juridique à la seconde langue officielle ... 206

6.2. Réussite du projet de francisation : quelques réflexions ... 209

6.2.1. Restructuration du projet ... 209

6.2.2. Enrichissement du programme d’étude ... 213

6.2.3. Recrutement/formation d’enseignants compétents ... 214

6.2.4. Statut et rôle du français ... 217

6.2.5. Le programme de Year Abroad ... 219

6.2.6. Sensibilisation de la population ... 221 CONCLUSION ... 223 BIBLIOGRAPHIE ... 228 ANNEXES ... 241 Annexe A: Sondage ... 242 Annexes B – K: Entretiens ... 245-276

(5)

RÉSUMÉ

Pourquoi le français ne remplit-il pas encore des fonctions formelles au Nigéria, alors que la langue jouit du statut de langue officielle depuis maintenant deux décennies ? Cela serait-il dû au manque de volonté politique ou à la complexité de la situation linguistique du pays ? Comment expliquer ce phénomène, puisque le gouvernement Abacha semblait très enthousiaste et déterminé lors de sa décision d’adopter la langue ? Ces questions fondamentales, qui ont mené à la présente recherche, ont révélé plusieurs lacunes entourant l’activité d’aménagement de la langue. Parce que trop subite, la promotion du français au statut de langue officielle a été faite sans qu’on tienne compte des réalités sociales et des besoins réels de la situation linguistique jugée lacunaire, puisqu’aucune enquête formelle n’a précédé l’annonce. En outre, il n’existe pas de plan d’action qui étaye concrètement les activités qui favoriseraient la réussite de l’implantation de la langue.

Cette négligence des enjeux sociopolitiques a engendré de sérieux problèmes (le manque de financement adéquat et d’enseignants qualifiés, par exemple) liés à la mise en œuvre de la nouvelle politique ; ce qui manifestement met non seulement en péril le projet de francisation, mais également l’avenir de la seconde langue officielle au Nigéria. Cette thèse postule donc une révision du programme de francisation qui est jugé trop ambitieux et propose une stratégie d’implantation mieux adaptée au contexte sociopolitique du pays.

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ABSTRACT

Why is the French language still not occupying formal functions in Nigeria, whereas it has been enjoying the status of official language for two decades? Could it be due to a lack of political will or the complexity of the linguistic situation of the country? How can we explain this phenomenon, since the Abacha Government seemed very enthusiastic and determined in its decision to adopt the language? These fundamental questions, which led to this research, revealed many weaknesses related to the language planning activity. Because the decision to promote the language was too sudden, no formal study of the linguistic setting concerned was conducted prior to the announcement, in order to determine the social realities and real needs, and take them into consideration in the implementation of the policy. In addition, there is no concrete action plan which outlines activities to be carried out to promote the successful realization of the project.

This negligence of socio-political issues has created serious problems (such as lack of adequate funding and qualified teachers) related to the implementation of the new policy; which obviously endangers the francization project and the future of the second official language in Nigeria. This thesis thus argues a revision of the project which is considered too ambitious and proposes an implementation strategy best suited to the country’s socio-political context.

(7)

REMERCIEMENTS

Je remercie de tout cœur ma directrice, Madame Chantal Bouchard, pour son aide inestimable dans la direction de cette thèse.

Je remercie particulièrement le département de langue et littérature françaises pour l’aide financière qui m’a été accordée durant mon programme. Merci également à la faculté des Arts pour l’octroi d’une bourse (Arts Graduate Student Travel Award) pour mon voyage de recherche au Nigéria en 2015.

Je tiens à remercier mon ami Xavier Moyet, qui est maintenant le directeur de l’IFRA-Nigéria, pour son aide inestimable et son hospitalité lors de mes voyages de recherche au Nigéria. Merci aussi à M. Gérard Chouin, ancien directeur du même institut pour le temps accordé pour l’entretien. À tous les deux, j’exprime ma gratitude pour m’avoir aidé à progresser dans mes recherches en me mettant en contact avec des experts et dignitaires qui d’ailleurs ont eu la gracieuseté de m’accorder un entretien, lors de mes séjours au Nigéria.

Je remercie également M. Segun Afolabi (professeur au Village du français au Nigéria), M. Patrick Perez (conseiller de coopération et d’action culturelle à l’Ambassade de France et directeur de l’Institut français, Abuja, Nigéria), M. Lubin Cyriaque (directeur des cours de l’Institut français, Abuja, Nigéria), M. Dominique Fancelli (directeur, CFTD/AF d’Enugu, Nigéria), M. Tunde Ajiboye (professeur de français à l’Université d’Ilorin), Mme B.J. Adeoye (conseillère technique pour le français, ministère de l’Éducation de l’État d’Osun), M. Olutayo Adesina (directeur du General Studies

Programme, Université d’Ibadan, Nigéria), M. Tunde Ayeleru (chef du département des études européennes, Université d’Ibadan, Nigéria), M. Alain Croguennec (directeur de l’AF/CFTD, Ibadan, Nigéria) et Mme Elizabeth E. Itodo (chef de projet, Nigeria French

Language Project, ministère fédéral de l’Éducation, Abuja, Nigéria) pour les entretiens qu’ils m’ont accordés et les précieux documents qu’ils m’ont fournis. Merci aux jeunes élèves et étudiants qui ont aidé à administrer un questionnaire à la population de la ville d’Ejigbo.

Je tiens également à exprimer ma profonde gratitude à ma famille pour son amour, sa patience, son encouragement et son soutien durant la rédaction de cette thèse.

(8)

TABLE DES TABLEAUX ET FIGURES Chapitre 1 :

Carte 1 : Le Nigéria avec les États constituants, divisé en six zones. Carte 2 : Familles de langues en Afrique

Carte 3 : Les groupes linguistiques au Nigéria

Figure 1 : Représentation hiérarchique des langues au Nigéria

Chapitre 3

Figure 2: Typologie des politiques linguistiques en Afrique

Chapitre 4

Tableau 1 : Nombre de groupes linguistiques par État

Tableau 2 : Résumé des polytechniques, collèges techniques et monotechniques Figure 3 : Représentation de la structure du système éducatif nigérian

Tableau 3 : Système éducatif nigérian avec les langues concernées à chaque étape. Tableau 4 : Situation des effectifs du corps enseignant au primaire et au secondaire Tableau 5 : Situation des effectifs du corps enseignant au supérieur

Tableau 6 : Pourcentage du budget annuel alloué à l’éducation entre 1960 et 2013. Graphique 1 : Représentation graphique du pourcentage du budget annuel alloué à l'éducation de 1960 à 2013

Chapitre 5 :

Carte 4 : Répartition du réseau culturel français au Nigéria

Tableau 7 : Résumé du contenu du programme d’études pour le français au premier cycle du secondaire

Tableau 8 : Résumé du contenu du programme d’études pour le français au second cycle du secondaire

Tableau 9 : Contenu du programme d’étude au Collège d’éducation au Nigéria

Tableau 10 : Candidats inscrits à l’examen de français au concours de fin de cycle (2000-2013).

Tableau 11 : Nombre d’enseignants et d’apprenants en 2010.

Chapitre 6 :

(9)

INTRODUCTION

L’annonce de l’ex-chef d’État, Sani Abacha, d’adopter le français comme deuxième langue officielle, au même titre que l’anglais, en 1996, marque le début d’une nouvelle ère pour la langue dans l’espace géopolitique du Nigéria, déjà linguistiquement fort diversifié. Dans un discours prononcé le 14 décembre 1996 à l’Institut nigérian des affaires étrangères (Nigerian Institute of International Affairs) à Lagos, le président Abacha annonçait le programme de francisation auquel s’engageait le gouvernement fédéral :

Nigeria is resolutely launching a programme of national language training that will, in a short order, permit our country to become thoroughly bilingual.

Le Nigéria lance résolument un programme national de formation linguistique qui, dans un court délai, permettra à notre pays de devenir complètement bilingue1

. La déclaration sera réitérée le 31 décembre 1996 par le président à la suite d’une réunion des pays francophones à Ouagadougou (Burkina Faso) à laquelle il a participé en tant qu’observateur.

We have seen that we are virtually surrounded by French speaking countries. And these French countries are kith and kin. But because of the difference in inheritance in the languages of our colonial masters, there has been a vacuum in communication with our neighbours. It is in our interest to learn French.

Nous pouvons voir que nous sommes pratiquement entourés par les pays francophones. Et ces pays francophones sont des proches. Mais, à cause de la différence dans l’héritage des langues de nos maîtres coloniaux, il y a eu un vide au niveau de la communication avec nos voisins. Il est dans notre intérêt d’apprendre le français2.

Il ressort clairement de ces propos que le projet de francisation permettrait de bilinguiser la population dans deux langues internationales (l’anglais et le français) et plus particulièrement de combler les lacunes de communication avec les pays avoisinants

1 Guardian Newspaper, Nigeria, December 14th, 1996. Nous traduisons. 2 Ibid., December 31st, 1996. Nous traduisons.

(10)

francophones. Parmi les mesures mises en place pour faciliter la réussite du projet figure le programme national de formation linguistique par l’entremise de l’éducation. Ce qui sera appuyé, deux années plus tard, par un avis juridique. La Politique nationale d’éducation (National Policy on Education – NPE), le document qui met en relief l’administration, la gestion et la mise en œuvre de l’éducation nationale, reconnaît formellement le français et en fait une matière obligatoire à partir de la quatrième année du primaire jusqu’à la fin du premier cycle du secondaire, soit six années consécutives d’apprentissage de la langue.

For smooth interaction with our neighbours, it is desirable for every Nigerian to speak French. Accordingly, French shall be the second official language in Nigeria and it shall be compulsory in primary and junior secondary schools, but non-Vocational Elective at the senior secondary school.

Dans la perspective d’une meilleure interaction avec nos voisins, il est souhaitable que chaque Nigérian parle le français. En conséquence, le français sera la deuxième langue officielle au Nigéria et sera obligatoire au primaire et au premier cycle du secondaire, mais facultatif et non professionnel au second cycle du secondaire3.

Cette politique n’entrera en vigueur qu’en 2002-2003 pour le secondaire. Au primaire, par contre, la mise en œuvre n’est pas encore amorcée au niveau national, elle semble être laissée à la discrétion des États qui choisissent individuellement quand introduire la langue.

Cependant, deux décennies après la déclaration, la mise en œuvre de la politique linguistique en faveur du français connaît très peu de succès. En effet, la situation actuelle de la langue au Nigéria laisse beaucoup à désirer. Outre qu’elle ne remplit pas encore de fonctions officielles, son implantation dans le système éducatif nigérian est confrontée à moult obstacles. De plus, le silence total de la Constitution nigériane quant au rôle officiel du français, malgré les récentes révisions (1999 et 2011) est préoccupant. Actuellement, rien ne prouve visiblement le statut officiel du français au Nigéria. Or, le gouvernement

(11)

semble toujours montrer de l’intérêt pour son projet de francisation ; les financements et l’enseignement du français obligatoire pendant les trois premières années au secondaire toujours en vigueur en sont la preuve.

Cette situation plutôt précaire de la seconde langue officielle soulève de grandes questions liées notamment à la gestion de la politique linguistique elle-même et la stratégie mise en place. Puisque l’attitude favorable du gouvernement à l’égard de la promotion du français semble ne pas être suffisamment accompagnée d’actions concrètes, on peut s’interroger sur l’importance que l’État nigérian attache à la langue, les raisons qui l’auraient poussé et qui continuent de le motiver à garder le français comme une langue officielle, le rôle de la langue dans le développement du pays, ainsi que l’avenir du français dans le contexte linguistique si complexe de ce « géant d’Afrique » où plusieurs langues s’efforcent de survivre. En quoi l’adoption d’une autre langue officielle est-il nécessaire pour le pays ? Existe-il une stratégie rigoureuse pouvant faciliter la mise en œuvre de la politique linguistique ? Le Nigéria a-t-il les moyens de s’offrir une autre langue officielle ? Quelles fonctions (politiques, administratives, sociales) le français remplirait-il, face à l’hégémonie de l’anglais ? En effet, si l’adoption du français comme une langue officielle est jugée nécessaire pour fournir une solution permanente à l’écart qui existe avec les pays francophones limitrophes, pourquoi les objectifs du projet ne se réalisent-ils pas ?

Par ailleurs, nous désirons que cette thèse comble une lacune provoquée par l’absence de travaux liés directement à l’implantation du français depuis la décision officielle. La majorité des travaux sur la langue traitent en général des problèmes reliés à l’enseignement ou à l’apprentissage, notamment les difficultés de communication écrite et orale, telle que l’interférence linguistique. Comme références, on peut citer les travaux

(12)

d’Emmanuel Aito4

, de Mufutau Tijani5

et de Muhammad S. Muhammad6

. Contrairement à ces travaux, notre étude vise à faire le point sur l’état actuel du français deux décennies après son accession au rang de langue officielle au Nigéria, ce qui permettra de rendre compte de l’usage réel et du degré d’implantation de la langue, des défis contribuant au ralentissement de l’épanouissement du français et des réelles chances de son implantation, en proposant une stratégie de mise en œuvre de la politique linguistique mieux adaptée aux besoins et au contexte du pays, afin de faciliter la réussite du projet.

Deux hypothèses serviront d’appui à notre recherche. La première pose que la promotion du français au rang de langue officielle n’est pas une nécessité pour le Nigéria et que la nomenclature « langue officielle » ne rend pas compte de la fonction réelle du français dans le contexte nigérian. Elle propose en revanche une nouvelle nomenclature qui tient compte de la fonctionnalité de la langue dans la course au développement déjà amorcée par le gouvernement.

La deuxième hypothèse a trait au manque de volonté politique de la part des dirigeants nigérians, notamment aux activités de gestion de la politique linguistique en faveur du français elle-même. Elle présume que le manque de politique linguistique clairement définie et de structure organisationnelle rigoureuse pour la mise en œuvre de la politique est à la base de la situation précaire du français au Nigéria. En effet, la décision de l’État de faire du français une langue officielle étant trop subite, elle nuit au projet de

4

E. Aito, « National and Official Languages in Nigeria: Reflections on Linguistic Interference and the Impact of Language Policy and Politics on Minority », dans Proceedings of the 4th International Symposium on

Bilingualism, Somerville, MA, Cascadilla Press, 2005, p. 18-38. 5

M. A. Tijani, « Difficultés de communication orale : enquête sur les stratégies de communication des apprenants nigérians de français en situation exolingue », Thèse de doctorat, Université de Franche-Comté, 2006.

6

M. S.Muhammad, « L'enseignement du français en situation plurilingue: le cas du Nigeria », Glottopol, no 6,

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francisation du Nigéria au lieu de l’aider, puisque la promotion du français au statut de langue officielle s’est faite sans prendre en compte les réalités socioéconomiques du pays ou ses besoins véritables.

Or, en aménagement, la réussite d’une intervention linguistique repose largement sur l’observation d’une certaine procédure, notamment l’analyse de la situation linguistique jugée lacunaire et une organisation bien définie des actions à mener sur la langue. Pourtant, le rôle de l’État dans la promotion de la langue ne peut être sous-estimé, celui-ci a non seulement le devoir de prendre des décisions bien éclairées, mais aussi se doit de veiller à ce que la langue sur laquelle il intervient soit bien implantée, en tenant compte de l’intérêt des usagers. Cet exercice exige plus d’effort dans les contextes plurilingues. Or, comme l’a observé Ayo Bamgbose au début des années 1991, les leaders politiques africains ont parfois tendance à prendre des décisions sans mettre en place une stratégie concrète pour assurer leur mise en œuvre7

. La situation semble n’avoir pas encore changé, puisque dans un article plus récent, Emmanuel Ojo notait l’absence de politique linguistique bien définie au Nigéria : « Le Nigéria ne semble pas avoir de politique linguistique définie, distinctive et globale8

». Cependant, le développement de la langue va de pair avec le développement durable. Ce point est bien développé chez Marcel Diki-Kidiri qui soutient vivement que le développement de la langue « doit accompagner constamment les autres aspects du développement. Ceci est valable pour tous les pays, mais plus encore pour ceux du Sud qui

7

A. Bamgbose, Language and the Nation: The Language Question in Sub-Saharan Africa, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1991, p. 111.

8

E. O. Ojo, « National Language Policy and the Search for National Integration in Nigeria », The Open

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ne sont souvent perçus et définis que par rapport au seul critère de leur développement économique9 ».

Pour mener à bien notre étude, nous nous livrerons, dans le chapitre 1, à la description du contexte sociolinguistique de la République fédérale du Nigéria, ainsi que des problèmes communément associés au multilinguisme, notamment celui des conflits inévitables des groupes interethniques partageant un même espace communautaire ou géopolitique10 et celui de la dichotomie langues majoritaires / langues minoritaires. Dans le chapitre 2, il sera question de la présentation du cadre théorique. Étant donné que notre sujet de recherche s’inscrit dans le domaine de la sociolinguistique appliquée à la gestion des langues, nous nous pencherons sur la définition de quelques théories et notions pertinentes à notre recherche, notamment la politique linguistique, la planification

linguistique, et l’aménagement linguistique, la méthodologie et le processus d’implantation de politiques. Les chapitres 3 et 4 seront consacrés respectivement à l’étude des typologies des politiques linguistiques en Afrique et à l’analyse minutieuse de l’aménagement linguistique au Nigéria, en nous basant sur les documents officiels, notamment la Constitution nigériane (The Nigerian Constitution) et la Politique nationale d’éducation (National Policy on Education), en vue de mettre en lumière la place et le rôle des langues dans le développement global du pays.

Le chapitre 5 sera le lieu de l’examen du statut et de l’usage actuels du français au Nigéria. Il sera donc nécessaire, en premier lieu, de faire un aperçu historique du français

9

M. Diki-Kidiri, « Multilinguisme et politiques linguistiques en Afrique », Actes du Colloque international de Ouagadougou (Burkina Faso). Développement durable : leçons et perspectives. 1-4 juin 2004 Université de Ouagadougou, Ouagadougou: AIF-AUF-OIF, 2004, p. 27.

10

Dans Henri Boyer (éd.), Plurilinguisme : « contact » ou « conflit » de langues ? L’Harmattan, 1997, Henri Boyer soutient que « [t]out bi ou plurilinguisme est […] le cadre d’une dynamique sociolinguistique plus ou moins fortement et ostensiblement conflictuelle. », (p. 15).

(15)

au Nigéria, ainsi qu’une description minutieuse de son évolution. Nous étudierons, dans le même esprit, toutes les réformes linguistiques menées dans le cadre de la promotion du français jusqu’à ce jour. Nous nous intéresserons également à l’enseignement du français à tous les niveaux du système éducatif du pays et à la contribution de l’Ambassade française au Nigéria dans la promotion et le processus d’implantation de la langue, grâce à son réseau culturel et de coopération linguistique établi dans plusieurs régions stratégiques du pays. Cet exercice est pertinent puisqu’il nous permettra d’identifier les défis et les obstacles auxquels fait face le projet de francisation.

Le chapitre 6 va clore l’étude avec quelques réflexions sur des mesures pouvant favoriser l’épanouissement de la langue et contribuer au succès du projet de francisation, en tenant compte des besoins réels du pays dans une vision de développement social, économique et politique.

(16)

CHAPITRE 1

La République fédérale du Nigéria

1.1. Situation géographique et données historiques et politiques

Couvrant une superficie de 923 768 km2

, le Nigéria est un pays anglophone d’Afrique de l’Ouest entouré de pays francophones (le Niger et le Tchad au nord, le Bénin à l’ouest et le Cameroun à l’est). Les religions principales sont l’islam, le christianisme et la religion traditionnelle.

Historiquement, avant l’arrivée des Européens au XVIe siècle, la région nigériane était composée de divers royaumes indépendants qui assuraient eux-mêmes leur gouvernance. Plusieurs empires (Kanem-Bornu, Benin, Oyo et Sokoto) y ont dominé pendant des siècles avant que le règne colonial vienne bouleverser le paysage politique de la région. Après avoir fait du sud un protectorat en 1885 et conquis le nord entre 1901 et 1906, les colonisateurs britanniques décident, en 1914, pour des raisons administratives et politiques, de fusionner les deux parties de la région en une seule entité politique qui sera nommée « Nigéria », sous l’autorité du gouverneur général Frederick Lugard. Comme système de gouvernance, les Britanniques avaient adopté le système d’administration indirecte (indirect rule) qui consistait à gouverner par l’entremise des leaders politiques traditionnels (rois et chefs) qui étaient eux-mêmes soumis à l’autorité des officiers britanniques. Cette décision de fusionner des centaines de groupes linguistiques distincts initialement indépendants, contraints de vivre ensemble, sera à l’origine de fortes tensions et de conflits, étant donné que chaque groupe ethnolinguistique cherche à défendre son identité culturelle.

(17)

Après des années de luttes acharnées menées essentiellement par des mouvements nationalistes11, qui dénonçaient l’injustice et l’inégalité de la colonisation, le Nigéria accède à l’indépendance le 1er

octobre 1960. Une fois au pouvoir, les nouveaux leaders africains ont tout simplement choisi de gouverner le pays comme une fédération, ne voulant pas séparer ce qui avait été réuni. Néanmoins, au début, pour faciliter la gouvernance, le pays avait été divisé en trois régions (l’Ouest, l’Est et le Nord) avec comme capitale fédérale, Lagos. En 1967, le pays est passé à douze États, à dix-neuf en 1976, à vingt et un en 1987 et à trente en 1990. Le Nigéria comprend trente-six (36) États depuis 1996 et Abuja est devenue la capitale fédérale depuis décembre 199112.

L’administration politique s’exerce à trois niveaux : le fédéral, l’État et l’administration locale (local government)13

. La carte 1 suivante présente les six (6) zones de la fédération nigériane ainsi que les 36 États et la capitale fédérale, Abuja, les constituant.

11 Précisons que ces mouvements étaient composés d’intellectuels nigérians qui, à cette période-là, étaient

formés en Europe, plus particulièrement en Grande-Bretagne. Parmi ce groupe, mentionnons Obafemi Awolowo et Nnamdi Azikwe.

12 T. Falola et M. M. Heaton, A History of Nigeria, p. 6-9. Lagos était la capitale fédérale avant cette date. 13 On dénombre aujourd’hui 774 administrations locales, réparties dans les 36 états de la fédération.

(18)
(19)

cela faut-il ajouter vingt-huit années de régimes militaires caractérisés par le pillage des fonds publics et la dictature. En effet, quoique les mouvements nationalistes se soient unis d’un commun accord pour revendiquer la gouvernance de leur propre pays, force est de reconnaître que cette union n’était que superficielle, puisque chaque mouvement régional ne cherchait que son propre intérêt, notamment celui de posséder le contrôle du gouvernement central. L’indépendance obtenue n’était donc que fragile :

The most intractable divisions between nationalist movements were regional, however. The nationalist movements that had emerged as pan-Nigerian efforts to promote the indigenization of the government in the 1930s devolved into regionally based political parties with memberships that were divided largely along ethnic lines by the early 1950s. The independence thus achieved in 1960 was a fragile one, unified under a federal constitution in which politically conscious ethnic groups vied for control of the central government through ethnically based political parties. Cependant, les divisions les plus inextricables entre les mouvements nationalistes étaient régionales. Les mouvements nationalistes qui avaient émergé comme des efforts pan-nigérians pour promouvoir l'indigénisation du gouvernement dans les années 1930 ont dégénéré en partis politiques régionaux au début des années 1950, avec les adhésions bien circonscrites le long des frontières ethniques. L'indépendance ainsi réalisée en 1960 était fragile, les partis étant unifiés sous une constitution fédérale dans laquelle les groupes ethniques politiquement conscients rivalisaient pour le contrôle du gouvernement central par l’intermédiaire des partis politiques essentiellement ethniques14

.

Il faut aussi souligner que le Nigéria observe actuellement sa plus longue période de régime non militaire, depuis l’indépendance. En effet, la passation du pouvoir du président Olusegun Obasanjo au président élu Umaru Yar’Adua en avril 2007 est un moment historique, puisque c'est la première fois dans l’histoire du pays qu’un leader non militaire transmet le pouvoir à un autre. La démocratie du pays est donc naissante.

(20)

1.2. Les données économiques

Le Nigéria est très riche en ressources naturelles ; en effet, il est reconnu comme une des puissances économiques de l’Afrique. Il y a de grandes réserves de charbon, de fer, d’étain, de colombite, de plomb et de zinc. On y trouve aussi de l’or, de l’argent et du diamant en petite quantité. Cependant, le Nigéria est reconnu pour ses immenses gisements de pétrole, situés dans la région de Delta dans le Sud-Est du pays. Ce qui lui a valu le titre de premier exportateur de pétrole en Afrique15. Par contre, il faut souligner la dépendance quasi totale du pays à l’or noir qui, depuis sa découverte dans les années 1970, est devenu la matière première la plus importante et la source principale de richesse de l’économie nigériane au détriment de l’agriculture. Bien qu’il soit une source potentielle de richesse et donc de développement, le pétrole est aussi à la base des divisions ethniques, de corruption et de détournements de fonds publics par les dirigeants ; ce qui plonge une grande majorité de Nigérians dans une pauvreté extrême. On estime à 70% la population qui vit sous le seuil de la pauvreté et le taux de chômage à 24%16.

1.3. Présentation du Nigéria

1.3.1. Bref aperçu de la situation linguistique africaine

La situation linguistique du continent africain est particulièrement complexe. Des 7102 langues vivantes au monde, l’Afrique héberge à elle seule plus de 2100 langues, soit 30% de la totalité des langues du monde. Ces langues sont réparties de manière inégale sur les différents États africains, regroupés en cinq (5) régions : l’Afrique du Nord, l’Afrique australe, l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest. De toutes ces

15 Le Nigéria est considéré comme le « géant de l’Afrique » pour sa démographie et sa richesse économique. 16

« The World Factbook : Nigeria », dans Central Intelligence Agency (CIA),

https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/geos/ni.html, consulté le 30 janvier 2014.

(21)

régions, la région ouest-africaine est la plus multilingue. Avec une population totale d’environ 275 millions, on y dénombre 889 langues vivantes réparties sur 16 pays (le Cap-Vert, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée, le Mali, la Sierra Léone, le Libéria, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Ghana, le Niger, le Togo, le Bénin et le Nigéria)17

.

On distingue quatre (4) grandes familles de langues en Afrique : (1) la famille afro-asiatique (ou chamito-sémitique); (2) la famille nilo-saharienne; (3) la famille Niger-Congo (ou Congo-kordofanienne); et (4) la famille khoïsane18

. La famille afro-asiatique ou afrasienne (appelée aussi chamito-sémitique) couvre essentiellement la partie nord du continent africain (le Maghreb). Elle compte plus de 375 langues et est composée de six principaux groupes de langues, dont le berbère, le tchadique (le haoussa, etc.), le couchitique, l’omotique, le sémitique (Afrique et Moyen-Orient) et le chamite ou l’égyptien. La famille nilo-saharienne ou nilotique occupe essentiellement le haut bassin du Nil qui est maintenant le Soudan, une partie du Sahara, de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique orientale. Elle comprend plus de 200 langues réparties en dix groupes linguistiques dont le berta, le soudanais central, le soudanais oriental (le nubien), le fur, le kadugli-krongo, le komuz, le kunama, le maban, le saharien et le Songhaï. Le soudanais central et le soudanais oriental sont les groupes linguistiques les plus importants. La famille khoïsane est une petite famille linguistique qu’on retrouve surtout dans la partie sud de l’Afrique, notamment en Namibie, en Angola, au Bostwana et en Afrique du Sud. Elle compte près de trente (30) langues réparties sur cinq groupes dont le khoï du nord, le khoï

17 « Languages of the World », Ethnologue, 2015, http://www.ethnologue.com.

18 Pour une liste détaillée des langues, voir H. M. Batibo, Language Decline and Dealth in Africa : Causes, Consequences and Challenges, p. 4-9 ; J. Leclerc, « Les familles linguistiques dans le monde », dans

L’aménagement linguistique dans le monde, http://www.axl.cefan.ulaval.ca/Langues/1div_continent.htm, consulté le 24 septembre 2013, et Ethnologue, 2015, http://www.ethnologue.com.

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du centre, le khoï du sud, le hatsa ou hadza et le sandawé. Dominées par les langues bantoues et les langues européennes, ces langues sont en danger d’extinction.

En raison de son importance numérique, la famille Niger-Congo est la plus grande des quatre familles de langues. Elle s’étend de la côte Atlantique à l’ouest jusqu’à l’Océan indien à l’est et couvre une grande partie de la région Sud de l’Afrique. Avec plus de 1500 langues vivantes, elle est la plus grande famille linguistique au monde et comprend dix (10) groupes linguistiques : le kordofanien, le mandé (mandingue), l’atlantique, l’ijoïde, le dogon, le gur (voltaïque), le krou, le kwa, l’adamawa-oubangien et le Benue-Congo. Le Benue-Congo regroupe près de 1000 langues, y compris toutes les langues bantoues, dont la majorité se trouve au Nigéria, au Cameroun, en République centrafricaine et dans presque tous les pays de l’Afrique subéquatoriale.

Des plus de 2100 langues vivantes qu’on dénombre en Afrique, seules dix (10) ont un statut officiel : le kirundi au Burundi, le tigrinia en Érythrée, le swahili au Kenya et en Tanzanie, le sesoto au Lesotho, le malgache au Madagascar, le kinyarwanda au Rwanda, le créole aux Seychelles, le somali en Somalie, le swati au Swaziland et l’amharique en Éthiopie. Il faut noter que le somali et l’amharique sont les seules à avoir le statut exclusif de langue officielle dans leur pays respectif, les autres sont co-officielles avec une ou plusieurs langues exogènes. En général, ce sont surtout le français et l’anglais qui remplissent les fonctions de langue officielle dans les pays africains. La carte 2 ci-après illustre bien la répartition des familles de langue en Afrique :

(23)

Carte 2 : Familles de langues en Afrique (Source: FREELANG – Cartes linguistiques)

1.3.2. Profil sociolinguistique du Nigéria

Avec une population estimée à environ 180 millions, en 2015, selon Statistiques

mondiales, le Nigéria occupe le premier rang des pays les plus peuplés du continent africain et le septième au monde. Il est aussi considéré comme le pays le plus multilingue d’Afrique, à cause de l’hétérogénéité de la population. On y recense environ 646 groupes

(24)

ethnolinguistiques, réparties dans les 36 États et la capitale fédérale, comme le montre le tableau 1 ci-après19.

États Nombre de langues

Abia 1 Adamawa 58 Anambra 3 Akwa Ibom 20 Bauchi 60 Bayelsa 10 Benue 14 Borno 28 Cross River 50 Delta 11 Ebonyi 5 Edo 17 Ekiti 1 Enugu 1 Gombe 21 Imo 1 Jigawa 4

19 A. Yusuf, « Help, Nigerian languages are disappearing ! », p. 16-17). D’autres sources, comme Ethnologue,

(25)

États Nombre de langues Kaduna 57 Kano 4 Katsina 2 Kebbi 16 Kogi 8 Kwara 7 Lagos 2 Nasarawa 29 Niger 38 Ogun 1 Ondo 10 Osun 1 Oyo 1 Plateau 48 Rivers 23 Sokoto 2 Taraba 73 Yobe 9 Zamfara 1 Capitale fédérale 9 Total 646

(26)

1.3.3. Rôle et hiérarchie des langues au Nigéria

On distingue en général trois types de langues au Nigéria : (1) les langues endogènes; (2) les langues exogènes; et (3) une langue neutre20

.

1.3.3.1. Les langues endogènes

Les langues endogènes nigérianes appartiennent à trois des quatre grandes familles de langues parlées en Afrique, notamment les familles nilo-saharienne, afro-asiatique et Niger-Congo. Soixante-dix pour cent (70%) des langues nigérianes appartiennent à la famille du Niger-Congo qu’on retrouve principalement au sud, tandis que les familles nilo-saharienne et afro-asiatique au nord se partagent 30% des langues. Il va sans dire que le statut des langues endogènes varie selon leurs fonctions dans la société, le nombre de locuteurs et le degré d’usage. Ainsi peuvent-elles être regroupées en trois classes, à savoir les langues nationales, les langues régionales et les langues locales.

Aussi appelées langues majoritaires parce qu’elles sont des langues de grande communication, les langues nationales sont les plus influentes et représentent ensemble plus de la moitié de la population nigériane et sont composées de trois langues (le yorouba, le haoussa et l’igbo). Couvrant principalement la partie nord du pays, le haoussa (une langue de la famille afro-asiatique) constitue le groupe linguistique le plus important du pays, avec 29% de la population. Vient ensuite le yorouba, une langue de la famille nigéro-congolaise, qui domine le Sud-Ouest du pays et représente 21% de la population. L’igbo est

(27)

la troisième langue importante du Nigéria, dominant le Sud-Est du pays et comptant 18%21 . Parlées dans 18 des 36 états, ces trois langues sont officiellement reconnues comme langues nationales22

du pays par la Constitution du Nigéria. Elles ont pour fonction d'assurer l’unité du pays, de promouvoir la culture et elles sont utilisées pour l’éducation formelle initiale, c’est-à-dire les trois premières années du primaire. Les langues régionales sont les langues qui dominent dans les différentes régions où elles sont parlées. Comptant environ 5 millions de locuteurs chacune, on dénombre 11 langues dans cette catégorie : le fulfulde, l’efik, le kanuri, le tiv, l’ijo, l’edo, le nupe, l’igala, l’idoma, l’ebira et l’ibibio. Il convient de souligner au passage que même si les langues majoritaires sont perçues comme des langues nationales, elles ne sont en réalité que des langues régionales dans la pratique, étant donné que le yorouba est essentiellement parlé dans le Sud-Ouest, l’igbo dans le Sud-Est et le haoussa dans le Nord. Les langues locales, quant à elles, sont plus de 450 langues et sont perçues comme langues minoritaires, à cause de leur faible importance sociolinguistique23

.

21 « The World Factbook : Nigeria », dans Central Intelligence Agency,

https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/geos/ni.html, consulté le 30 janvier 2014. Il faut noter que le haoussa est utilisé dans d’autres pays d’Afrique de l’ouest, notamment au Niger, au Mali, au Togo, au Bénin et au Ghana, et que le yorouba est utilisé au Bénin et au Togo.

22 La langue officielle, c’est la langue de fonctionnement d’un État. Elle est utilisée pour les actes officiels du

pays et favorise les contacts diplomatiques avec d’autres pays qui partagent cette même langue. La langue nationale, quant à elle, est la langue de contact entre l’État et la population ; elle permet de souder l’unité nationale et le lien national. Contrairement à la langue officielle qui est choisie par l’État sur des bases politiques et diplomatiques et dont l’importance est aussi grande à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’État, l’importance de la langue nationale est réservée uniquement à l’intérieur du pays. En outre, l’État ne s’engage pas à l’utilisation de la langue nationale comme il le fait pour la langue officielle. Il en assure plutôt la promotion et la protection par la reconnaissance dans un texte juridique, afin d’en faciliter l’usage au sein de la population. La reconnaissance officielle d’une langue nationale lui attribue le statut de patrimoine national, mais elle est tout de même inférieure à la langue officielle. (« Le statut de langue nationale », dans Site de

l’aménagement linguistique au Canada (SALIC), Université d’Ottawa,

http://www.salic.uottawa.ca/?q=bi_canadien_nationale, consulté le 7 janvier 2014. Voir aussi, Valentin Boudras-Chapon, « Langue nationale, langue officielle, langue vernaculaire, langue véhiculaire, langue maternelle », article publié le 7 octobre 2008 dans Riposte laïque, http://ripostelaique.com/Langue-nationale-langue-officielle.html, consulté le 7 janvier 2014).

23 T. Falola et M. M. Heaton, A History of Nigeria, Cambridge, p. 4. Voir aussi Andrew Simpson et B.

Akintunde Oyetade, « Nigeria : Ethno-linguistic Competition in the Giant of Africa », dans Andrew Simpson (éd.), Language & National Identity in Africa, p. 173-76 et G. O. Simire, « Developing and Promoting Multilingualism in Public Life and Society in Nigeria », p. 231-243.

(28)

1.3.3.2. Langues exogènes et langue neutre

L’anglais, le français et l’arabe sont les principales langues exogènes24

, tandis que le pidgin nigérian remplit la fonction de langue neutre. Il faut préciser qu’il y a deux langues officielles au Nigéria : l’anglais (langue officielle de facto héritée de la colonisation) et le français (proclamé langue officielle en 1996). Le Nigerian Pidgin (pidgin anglo-nigérian) est un mélange des langues nigérianes avec l’anglais standard phonétiquement et grammaticalement simplifié, qui a vu le jour avec les premiers contacts entre les Britanniques et les populations nigérianes qui ne parlaient pas l’anglais. Il possède aujourd’hui une forme écrite et est surtout employé dans les grands centres urbains et le long de la côte du pays. Pour la population non scolarisée, le pidgin anglo-nigérian constitue une langue de communication fort privilégiée, tandis qu’il est employé par des personnes scolarisées pour les communications non formelles.

Il y a lieu de noter en passant qu’au Nigéria, il n’existe pas de langue endogène capable d’exprimer l’identité nationale, puisqu’aucun idiome ne constitue la langue maternelle de la majeure partie de la population. Il existe plutôt des langues dominantes aux niveaux régional et local. Ainsi, dans chaque État, les langues avec le plus grand nombre de locuteurs occupent naturellement le rôle d’idiome majoritaire ou de lingua franca (langue véhiculaire). Par exemple, l’efik est la langue dominante de l’État de Cross River, dans le Sud du pays, où coexistent 50 langues ; il en est de même pour l’État de Nasarawa où coexistent 29 langues dans le nord du pays, les idiomes majoritaires étant le mada, le rindre et l’eggon. Cette distribution linguistique complexe constitue sans doute un énorme défi

24 L’allemand, le portugais et le russe sont aussi des langues exogènes, enseignées dans quelques universités

(29)

pour les activités d’aménagement linguistique et suscite parfois beaucoup de rivalités entre les différents groupes ethnolinguistiques, tels que le régionalisme et l’ethnicité qui sont deux gros obstacles à la construction de l’identité nationale.

La carte 3 et la figure 1 ci-après illustrent respectivement la répartition des groupes linguistiques, ainsi que la hiérarchie des langues au Nigéria :

(30)
(31)
(32)

deux langues. On distingue plusieurs situations de bilinguisme ; le bilinguisme individuel, le bilinguisme social et le bilinguisme institutionnel (étatique).

1.4.1.1. Bilinguisme individuel

Le bilinguisme individuel s’inscrit dans une dimension sociale, étant donné qu’on apprend une langue principalement pour faciliter la communication avec d’autres locuteurs, soit pour des raisons sociales ou économiques. De façon générale, on parle de bilinguisme individuel lorsqu’un individu est capable de se servir de deux langues. Ce bilinguisme est dit parfait lorsque, chez un individu bilingue, « les deux langues ont le même pouvoir de communication sur l’ensemble des rôles sociaux […] le domaine de la famille, celui du travail, celui de la prière, celui de l’acquisition des connaissances (écoles, lectures, etc.) et celui de la politique26

». Autrement dit, l’individu bilingue maîtrise les deux idiomes au point qu’il arrive à s’en servir sans qu’il y ait interférence.

Or, le bilinguisme symétrique n’est qu’un idéal dont on s’approche sans toutefois l’atteindre en réalité. C’est pourquoi Laponce propose le terme « bilinguisme différencié » pour expliquer les variations hiérarchiques auxquelles peuvent être soumises les deux langues. Selon le rôle social de chacune des deux langues, on parlera de bilinguisme juxtaposé ou de bilinguisme superposé. Lorsque chacune des langues en présence est associée à un rôle social précis, comme dans le cas d’un individu qui parle uniquement l’anglais au travail et uniquement le français en famille, on parle de bilinguisme juxtaposé ou de bilinguisme de ségrégation27

. Le bilinguisme superposé se manifeste sous deux formes : le bilinguisme superposé de type alterné et le bilinguisme superposé à dominance

26

J. A. Laponce, Langue et territoire, Travaux du Centre international de recherche sur le bilinguisme A-19, 1984, p. 28-29.

(33)

unique. Dans le premier cas, la même langue n’est pas toujours favorisée, telle langue peut dominer dans une situation de communication et devenir subordonnée dans une autre. Dans le second cas, c’est toujours la même langue qui est en situation de dominance, quel que soit le contexte. C’est ce que Rainer H. Hamel nomme le « bilinguisme vertical », la maîtrise de deux langues de différents niveaux hiérarchiques. Il s’agit là d’un phénomène de diglossie.

[L]es locuteurs bilingues ou multilingues constituent la charnière entre les groupes linguistiques et la hiérarchie des langues. S’ils maîtrisent ou apprennent des langues du même niveau, on parle de bilinguisme horizontal. Le cas le plus typique, cependant, est représenté par des individus qui maîtrisent des langues de différents niveaux hiérarchiques, constituant ainsi un bilinguisme vertical, c’est-à-dire une sorte de diglossie qui peut être stable ou dynamique28.

1.4.1.2. Bilinguisme social et bilinguisme institutionnel

On parle de bilinguisme social lorsqu’une majeure partie de la société parle une deuxième langue par exemple les Catalans en Espagne qui, en plus de leur langue maternelle, le catalan, parlent l’espagnol. Quant au bilinguisme (ou multilinguisme) institutionnel ou étatique, c’est un système dans lequel l’État reconnaît chacun des groupes ethnolinguistiques en présence et leur permet de pratiquer l’unilinguisme régional, mais s’occupe à son niveau de la gestion du bilinguisme au sein de ses organismes gouvernementaux (comme c’est le cas au Canada, par exemple).

Dans les pays (multilingues) anciennement colonisés, c’est habituellement la langue coloniale qui remplit les fonctions officielles et est aussi utilisée pour l’enseignement, alors que les langues locales sont destinées aux fonctions non formelles (en famille, entre pairs, etc.), donc des langues vernaculaires. Dans le cas présent, il s’agit de bilinguisme de ségrégation, mais aussi de bilinguisme superposé à dominance unique, puisque c’est la

(34)

langue coloniale qui est en position de dominance, quel que soit le contexte. Dans cette optique, le bilinguisme (ou le multilinguisme) pratiqué dans les pays africains est un bilinguisme de ségrégation à dominance unique.

Étant donné que la diglossie est un phénomène propre aux États bilingues ou multilingues, dans lesquels on observe une ségrégation linguistique territoriale, il nous incombe de nous y attarder.

1.4.2. La diglossie

Utilisé pour la première fois en 1885 par l’écrivain grec Emmanuil Roidis pour décrire la situation de la Grèce moderne, le terme « diglossie » est repris en 1959 par le linguiste nord-américain Charles A. Ferguson qui, s’appuyant sur quatre exemples de situations linguistiques (celles de l’arabe, du grec, de l’allemand en Suisse, ainsi que celle du français et du créole en Haïti), établit la différence entre deux variétés linguistiques – une variété dite haute (High – H) et une ou plusieurs variétés dites basses (Low – L) d’une ou de deux langues génétiquement apparentées. La variété H est réservée aux situations formelles, s’apprend formellement et a le statut de prestige élevé, alors que la variété L est réservée à des situations informelles (communications ordinaires), s’apprend de façon naturelle et a le statut le moins élevé.

Le concept est plus tard élargi en 1967 par Joshua A. Fishman qui l’utilise pour décrire toutes les sociétés où deux langues ou des variétés de langues (pas seulement deux variétés d’une même langue) sont utilisées avec des différences fonctionnelles. Fishman modifie, de cette manière, la conception de Ferguson sur deux points saillants. Premièrement, le fait qu’il conçoive la diglossie comme pouvant impliquer plus de deux codes, Fishman étend le concept pour inclure aussi les milieux multilingues, ouvrant ainsi

(35)

la voie à la multi/poly-glossie. Deuxièmement, il affirme que la diglossie existe dès qu’il y a différence fonctionnelle entre deux langues qui ne sont pas forcément reliées génétiquement. Le modèle de Fishman fait donc valoir la différence entre le bilinguisme (la capacité d’un individu de parler deux langues) qu’il perçoit comme un phénomène individuel relevant de la psycholinguistique et la diglossie (l’utilisation de deux ou plusieurs langues dans une société) qui relèverait du social. Pour appuyer cette proposition, Fishman dégage quatre cas de figures polaires : (1) on parle de diglossie et bilinguisme lorsque deux langues coexistent et se partagent un espace de communication sociale. Dans ce cas, les formes haute et basse sont connues du locuteur qui sait nettement quand, où et

avec qui parler telle langue plutôt que telle autre ; (2) il peut y avoir bilinguisme sans

diglossie, lorsque, dans une société, des individus parlent deux langues sans attribuer à chacune des formes linguistiques distinctes un usage spécifique, comme dans le cas des situations de migration où les migrants vivent une période de transition. Ceux-ci cherchent à s’intégrer dans leur(s) nouvelle(s) communauté(s), tout en conservant la connaissance de la langue d’origine. C’est une situation que vivent les premières générations de groupes d’immigrants ; (3) on parle de diglossie sans bilinguisme lorsque, dans une communauté où coexistent deux langues, donc deux groupes linguistiques, un groupe ne parlant que la forme haute alors que l’autre la forme basse. Cette situation linguistique était commune pendant la colonisation, où la communauté des colons (européens) et celle de la population locale sont pratiquement séparées. C’est aussi le cas dans les pays africains où la population rurale est essentiellement monolingue, même si, sur le plan macrosociétal, il y a diglossie avec la présence d’une langue coloniale comme langue officielle ; et (4) il n’y a ni

(36)

Plutôt théorique, ce cas de figure n’est imaginable que dans de petites communautés linguistiques, restées isolées sans contact avec d’autres langues29.

Au Nigéria, la situation linguistique est caractérisée par un bilinguisme superposé à dominance unique, favorisant l’anglais, langue exogène, au détriment des langues endogènes qui, considérées comme langues vernaculaires30

sont reléguées aux usages informels. De plus, on observe des situations de polyglossie – des diglossies enchevêtrées les unes dans les autres, avec généralement comme structure : anglais/langue majoritaire

régionale/autre(s) langue(s) nigériane(s). C’est justement ce que Louis-Jean Calvet qualifie de situation de diglossies enchâssées31, phénomène très répandu dans les pays africains. Il n’est donc pas étonnant d’observer dans ces pays des situations de code-switching et de

code-mixing. Le code-switching, c’est l’alternance de codes ; c’est-à-dire le changement, le passage d’une langue à une autre, ou d’une variété d’une langue à une autre à l’intérieur d’un même échange verbal. C’est en quelque sorte l’hybridation de deux codes. Quant au

code-mixing, il est défini comme le mélange de deux ou plusieurs langues à l’intérieur d’un échange verbal, par exemple, le franglais – mélange du français et de l’anglais32

. Il faut noter que la frontière entre ces deux termes est très étroite, c’est la raison pour laquelle ils sont souvent utilisés de façon interchangeable.

29 C. Ferguson, « Diglossia », p. 325-40 ; Joshua A. Fishman, Sociolinguistique, 1971 ; Juliette Garmadi, La sociolinguistique, p. 122-148 ; P. Cichon et G. Kremnitz, « Les situations de plurilinguisme », dans Henri Boyer (dir.), Sociolinguistique : territoire et objets, p. 118-19 ; Henri Boyer, Introduction à la

sociolinguistique, p. 47-50 ; Louis-Jean Calvet, La sociolinguistique, p. 35-38.

30 La langue vernaculaire est une langue dont l'usage est seulement restreint à une communauté. Elle doit être

distinguée de la langue véhiculaire qui est une langue qui permet la communication entre des groupes ethnolinguistiques plus ou moins distincts dans la même région.

31 Louis-Jean Calvet, La guerre des langues et les politiques linguistiques, Paris, Payot, 1987, p. 47. 32 Voir, par exemple, Miriam Meyerhoff, Introducing Sociolinguistics, 2e éd., p. 119.

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1.4.3. Attitude générale de la population nigériane envers les langues

Dans une société linguistiquement hétérogène comme le Nigéria, l’attitude générale envers l’acquisition et l’apprentissage de langue est plutôt rattachée à la notion de prestige. Les gens sont en général ouverts à l’apprentissage d’une langue lorsque celle-ci possède une reconnaissance nationale et internationale, c’est-à-dire que la langue possède un nombre considérable de locuteurs aux niveaux national et international et, à un certain degré, elle constitue une puissance politique et économique. C’est évidemment pourquoi dans le contexte sociolinguistique du Nigéria, l’anglais jouit d’un prestige inégalé auprès de la population. Introduit dans le paysage linguistique nigérian au XVIe siècle, lors des premiers contacts avec les Britanniques, l’anglais demeure encore aujourd’hui, même après l’indépendance, la langue la plus privilégiée et la plus employée dans les grandes villes du pays et la langue des activités administratives et politiques. Instrument unificateur dans le contexte pluraliste et conflictuel nigérian, la langue anglaise n’est plus perçue comme une langue étrangère (comme l’allemand, le français et le portugais), mais plutôt comme une « langue nationale »33

. Viennent ensuite les langues majoritaires (le haoussa, le yorouba et l’igbo), suivies des langues régionales et enfin les langues minoritaires. Cette catégorisation favorise la langue anglaise qui, en raison de son statut plus élevé, exerce une forte attractivité sur les locuteurs natifs des langues qui se situent au bas de l’échelle. Considérant l’anglais comme la langue de réussite, nombreux sont les parents (éduqués) qui obligent leurs enfants à apprendre et à parler uniquement cette langue, négligeant sans scrupule la langue native qui, pour eux, n’est qu’une langue vernaculaire.

33 S. O. Oyetade, « Attitude to foreign languages and indigenous languages use in Nigeria », dans Herbert

(38)

1.4.4 Multilinguisme et intégration nationale

La question des langues est certes très complexe et épineuse dans les contextes plurilingues et les décideurs font face à d’énormes défis dans leur travail. C’est évidemment ce qui porte certains à affirmer que « la coexistence de deux ou plusieurs langues en un même lieu n’est jamais vraiment égalitaire et qu’il y a toujours ‘compétition’34

», soulignant le caractère non neutre de la diglossie et percevant le multilinguisme comme une entrave à l’intégration nationale, l’émergence d’un État-nation étant tributaire de l’existence d’une langue commune. Cette proposition ne fait pas l’unanimité chez tous les chercheurs. Pour certains, comme Joshua A. Fishman, le multilinguisme n’est pas nécessairement un obstacle à l’unité et à l’intégration nationales, puisque les notions de division et d’unification relèvent plutôt d’un ordre idéologique axé sur l’attitude de ceux qui parlent la langue :

[Linguistic] differences do not need to be divisive. Divisiveness is an ideologized

position and it can magnify minor differences ; it can manufacture differences in languages as in other matters almost as easily as it can capitalize on more obvious differences. Similarly, unification is also an ideologized position and it can minimize seemingly major differences or ignore them entirely, whether these be in the realm of language, religion, culture, race, or any other basis of differentiation. Les différences [linguistiques] ne sont pas nécessairement une source de division. La division est une position idéologisée et elle peut amplifier les différences mineures ; elle peut fabriquer des différences au niveau des langues, comme dans d'autres sujets presque aussi facilement qu'elle peut tirer profit des différences les plus évidentes. De même, l'unification est également une position idéologisée capable de minimiser les différences apparemment majeures ou les ignorer entièrement, qu'elles soient dans le domaine de la langue, la religion, la culture, la race, ou de toute autre base de différenciation35

.

Cette idée est plus tard reprise par Ayo Bamgbose qui soutient que

34 H. Boyer, « Conflit d’usages, conflit d’images », dans Henri Boyer (éd.), Plurilinguisme : contact ou conflit de langues ?, p. 9.

35 J.A. Fishman, « Nationality – Nationalism and Nation – Nationism », dans J. A. Fishman, Ch. Ferguson et

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« multilingualism is not necessarily a barrier to national unity and integration. In fact, in the African situation […] conflicts between groups of people within a country rarely have anything to do with linguistic differences. (Le multilinguisme n’est pas nécessairement un obstacle à l’unité et à l’intégration nationales. En fait, dans le contexte africain [...] les conflits entre les groupes de personnes au sein d’un pays n’ont presque rien à voir avec les différences linguistiques)36

». Les véritables sources de division en Afrique et plus particulièrement au Nigéria, selon le linguiste nigérian, relèvent plutôt d’ordres idéologique, politique, socio-économique, religieux et nationaliste.

Some of the real causes of divisiveness in African countries have nothing to do with language. They include exploitation of ethnicity by élite in order to gain political or economic advantage, the problem of sharing scarce resources with the inevitable competition (e.g. for jobs, positions, facilities, etc.), uneven developement, and sometimes external instigation based on nationalistic, ideological or religious motives. In Nigeria, for instance, the causes of our conflicts have to do with power-sharing, particularly among the élite, and access to and control of the national wealth and the economy. Dissatisfaction with political, economic, educational, or social conditions is often expressed in ethnic terms, particularly by the self-appointed leaders of the group. It is then that one hears that such and such an ethnic is being discriminated against in terms of jobs, amenities, educational facilities, etc. In my view, a more pernicious kind of discrimination is ‘statism’ which effectively disenfranchises persons that ‘belong’ to another state. As is well-known, such Nigérians are often subjected to double taxation, differential tuition fees, and discrimination in employment and admission to schools.

Certaines des causes réelles de la division dans les pays africains n’ont rien à voir avec la langue. Parmi ces causes figurent l'exploitation de l'ethnicité par l'élite, afin d'obtenir un avantage politique ou économique, le problème du partage des ressources rares avec l'inévitable concurrence (par exemple pour les emplois, les positions, les services, etc.), le développement inégal, et parfois l’instigation externe axée sur des motifs nationalistes, idéologiques ou religieux. Au Nigéria, par exemple, les causes de nos conflits ont trait au partage du pouvoir, en particulier parmi l'élite, ainsi que l'accès et le contrôle de la richesse et de l'économie nationales. L'insatisfaction des conditions politiques, économiques, éducatives ou sociales est souvent exprimée en termes ethniques, en particulier par les dirigeants autoproclamés du groupe. C’est alors que l'on entend dire que tel ou tel groupe

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A. Bamgbose, « Pride and prejudice in multilingualism and development », dans Richard Fardon et Graham Furniss, African languages development and the state, London & New York, Routledge, 1994, p. 34. Nous traduisons.

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ethnique est victime de discrimination en termes d'emplois, de services, d’établissements d’enseignement, etc. À mon avis, une forme plus pernicieuse de la discrimination est « l'étatisme » qui prive effectivement des personnes de leurs droits sur la base qu’elles « appartiennent » à un autre état. On le sait, ces Nigérians sont souvent soumis à une double imposition, à des frais de scolarité différentiels, et à de la discrimination au niveau de l'emploi et de l'admission aux établissements scolaires37

.

Évidemment, la langue occupe une place importante dans le sentiment d’appartenance commune à un État, et la coexistence des langues et les rapports de force entre les langues dans un contexte plurilingue complexe, comme celui du Nigéria, constituent un énorme défi pouvant freiner la promotion de langues et ralentir le développement durable du pays. Cependant, la vision d’une nation, une langue n’est qu’une illusion pour l’Afrique, puisque presque aucun pays africain ne peut prétendre posséder une base linguistique commune. Même l’anglais et le français ne remplissent pas ce rôle, puisqu’elles demeurent des langues étrangères pour une partie considérable de la population africaine qui ne peut s’exprimer dans ces langues. Au Nigéria, on estime que seulement entre 15 et 20% de la population peut lire et écrire en anglais38. Il faut signaler en passant que la plupart de ceux qui soutiennent que l’anglais reste la seule langue officielle au Nigéria sont des hommes politiques et le font sous prétexte qu’en tant que langue exogène, elle est neutre et acceptable pour tous les groupes ethniques. Mais en réalité, leur objectif est de fonder « leur pouvoir sur l’exploitation des différences régionales, culturelles, ethniques et linguistiques39 », cherchant leurs propres gains.

La question de la gestion des langues est à la fois très sensible et problématique au

37 Ibid., p. 34-35. Nous traduisons.

38 E. Adegbija, « Language Policy and Planning in Nigeria », Current Issues in Language Planning, vol. 5, no

3, p. 214, et G. O. Simire, « Developing and Promoting Multilingualism in Public Life and Society in Nigeria », p. 235.

39 R. M. Ouédraogo, « Planification et politiques linguistiques dans certains pays sélectionnés d’Afrique de

Figure

Tableau 1 : Nombre de groupes linguistiques par État
Tableau  2 :  Résumé  des  polytechniques,  collèges  techniques  et  monotechniques  (Source:
Tableau 3 : Système éducatif nigérian avec les langues concernées à chaque étape.
Tableau 4 : Situation des effectifs du corps enseignant au primaire et au secondaire
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