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VIVRE A TANANARIVE Crises, déstabilisations et recompositions d'une citadinité originale

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ECOLE DOCTORALE DE GEOGRAPHIE DE PARIS

THESE

Pour l’obtention du grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS IV Discipline : Géographie

présentée et soutenue publiquement par

Catherine GUERIN-FOURNET

Le 9 septembre 2002

VIVRE A TANANARIVE

Crises, déstabilisations et recompositions

d’une citadinité originale

Directeur de thèse : Monsieur le Professeur Christian HUETZ DE LEMPS

JURY :

M. M. Philippe GERVAIS-LAMBONY, Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre

M. Christian HUETZ DE LEMPS, Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne M. Jean-Pierre RAISON, Professeur émérite à l’Université Paris X-Nanterre M. Hervé RAKOTO RAMIARANTSOA, Professeur à l’Université de Poitiers M. Olivier SEVIN, Professeur à l’Université Paris IV-Sorbonne

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« L’on ouvrirait les villes comme on ouvre les livres »

Augustin BERQUE, Du geste à la cité, Formes urbaines et lien social au Japon, Gallimard, 1993, p. 9

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Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement mon directeur de thèse, Monsieur Christian Huetz de Lemps, qui dirige mes travaux depuis le DEA, pour sa disponibilité, pour la constance de ses encouragements et pour son soutien indéfectible depuis des années, aussi bien moral qu’intellectuel.

Mes pensées vont bien sûr à Joël Bonnemaison, qui avait contribué à définir mon sujet, et dont l’aide s’était avérée précieuse dès la maîtrise. Monsieur Paul Claval a également fortement compté parmi les grandes figures marquantes de ma formation à la recherche, en encadrant ma maîtrise, mon premier travail consacré à Tananarive. Je le remercie ici vivement de ses conseils et encouragements depuis plusieurs années. Madame Faranirina Rajaonah fait aussi partie de cet entourage professoral qui a su à la fois me communiquer énergie et enthousiasme, ainsi qu’aide et critiques constructives. Je lui suis très reconnaissante à de nombreux égards. Plusieurs chercheurs ont aussi consacré de leur temps pour me prodiguer conseils et encouragements. Je pense en particulier au soutien précieux et constant de Monsieur Jean-Pierre Raison, de Monsieur Philippe Gervais-Lambony, et de Madame Jeanne-Marie Amat-Roze. Un grand merci également à Florence Bonnaud de Paris IV, pour ses conseils en cartographie et pour la réalisation d’une partie des cartes de ce mémoire, ainsi qu’aux amis et collègues géographes qui m’ont ponctuellement aidée à résoudre des questions délicates et qui se reconnaîtront.

A Tananarive, je tiens à remercier vivement Madame Josélyne Ramamonjisoa, directrice du département de Géographie à l’université, qui a suivi l’évolution de mes travaux sur le terrain. Ma gratitude va également aux nombreuses personnes qui ont accepté de me rencontrer à plusieurs reprises et qui m’ont beaucoup aidée : Gabriel Rantoandro, Daniel Raherisoanjato, Claudine Ramiarison, Gina Rafiringa Andrianilaina, Rija Andriamihamina, Marius Razafindrakoto, entre autres. Que toutes les personnes qui ont accepté de m’accorder des entretiens, que ce soit à titre privé ou institutionnel, soient également chaleureusement remerciées.

Ce travail n’aurait pu être mené à bien sans la présence d’amis tananariviens qui y ont apporté leur contribution. Je pense bien sûr à mes enquêteurs, en particulier Serge Razafiarison, à mes côtés depuis ma maîtrise, à qui je suis redevable d’une compréhension profonde de la société merina et d’une connaissance fine des quartiers tananariviens grâce à nos longues promenades en ville, ainsi qu’à Ndrema Andriamampianina Rahasijesy et à Helihanta Rajaonarison. Tous ont partagé mon enthousiasme pour Tananarive et ont eu à cœur de me faire partager leur connaissance et leur attachement pour leur ville. Enfin, je remercie avec la plus profonde affection les amis qui m’ont hébergée durant mes séjours à Tananarive, me permettant ainsi de

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me sentir toujours entourée : Françoise et Jean Rajaofera, Sylvia et Charles Randrianarivony, et Laurence et Seth Ramananantoandro. Bien plus qu’un accueil, c’est un véritable soutien qu’ils m’ont apporté, ainsi que la chance de pouvoir partager la vie de familles tananariviennes. Ankaditapaka est devenu un peu mon chez moi tananarivien. Que tous ceux qui ont d’une manière ou d’une autre participé à ce travail soient ici vivement remerciés, même si je ne peux les citer tous, notamment les Tananariviens qui ont accepté de consacrer du temps à répondre à mes enquêtes, ainsi que tous ceux qui ont voulu me faire connaître leur ville et leur culture. Je songe en particulier à la famille Jean-Baptiste, ainsi qu’à mes amis malgaches de France.

Enfin, j’exprime ici ma plus profonde gratitude envers tous ceux de mon entourage qui m’ont entourée et encouragée, ils sont nombreux, famille ou amis. Parmi eux, mon père, à qui je dois le goût des voyages et la chance d’avoir connu Madagascar. Mes parents ont été présents à chaque instant dans ce travail, par leur soutien moral et leur aide concrète, et par leur indéfectible disponibilité, notamment durant la relecture : je les en remercie du fond du cœur. Mon mari enfin, qui a su me donner sans cesse le soutien et l’énergie nécessaires pour mener à bien ce travail, aussi bien sur le terrain que durant les mois de rédaction, et qui a été présent à tous les moments, dans l’échange des idées, dans la maturation de ma réflexion, comme pour la résolution de problèmes concrets, dont la cartographie : il a contribué à chaque étape de l’élaboration de ce travail. Ce mémoire est aussi le nôtre, fruit d’une passion partagée pour Madagascar et pour Tananarive.

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CHAPITRE PREMIER- TANANARIVE, VILLE IMPROBABLE ? DE LA SACRALISATION DE L’ESPACE A UNE PROGRESSIVE ALTERATION DU SENS...

I- PUISSANCE ET PERENNITE DE L’ORGANISATION MERINA DE L’ESPACE ... II- L’INTRODUCTION DE MODELES URBAINS EUROPEENS ET COLONIAUX : LES METAMORPHOSES DE TANANARIVE... III- LA PERTE DU SENS : LA REMISE EN CAUSE DE L’ORGANISATION TRADITIONNELLE DE L’ESPACE URBAIN... CHAPITRE II - TANANARIVE CAPITALE ?... I- LES APPARENCES D’UNE CAPITALE METROPOLITAINE...

II- UNE CAPITALE CONTESTEE...107

III- DISCOURS SUR TANANARIVE ET IMAGES DE LA VILLE : DES REPRESENTATIONS TRADUISANT L’AMBIGUÏTE DU STATUT DE CAPITALE ...121

CHAPITRE III – VIVRE LA CRISE A TANANARIVE : L’ALTERATION DES PAYSAGES, DES PRATIQUES ET DES REPRESENTATIONS DE LA VILLE...135

I- DE LA CRISE ECONOMIQUE A LA DESTRUCTURATION URBAINE...136

II- LES CAUSES DE LA CRISE...169

III- L’IMPACT LIMITE DES STRATEGIES DE REPONSE A LA CRISE...178

CHAPITRE IV- LA VILLE : LE LIEU D’EXPRESSION D’UNE CITADINITE PROFONDEMENT MARQUEE PAR LA RURALITE...203

I- A LA RECHERCHE DES MARQUES RURALES DANS LE PAYSAGE URBAIN ...205

II- PRATIQUES SOCIO-SPATIALES CITADINES ET EMPREINTE RURALE...222

III- L’AMBIVALENCE DES REPRESENTATIONS SPATIALES IDEALES DES TANANARIVIENS...249

IV- LA CONNAISSANCE DE LA VILLE, INDICATEUR DE CITADINITE...262

CHAPITRE V - LE QUARTIER, UN ESPACE HIERARCHISE ET CLOISONNE, ELEMENT FONDAMENTAL DE STRUCTURATION DE L’IDENTITE CITADINE...289

I- LE QUARTIER, CADRE PRIVILEGIE DE LA CITADINITE TANANARIVIENNE ...290

II- DE LA TYPOLOGIE RATIONNELLE DES QUARTIERS A LEUR PERCEPTION HIERARCHISEE...305

III- VIVRE L’ESPACE DU QUARTIER AU QUOTIDIEN : CHRONIQUE DU QUARTIER-VILLAGE ?...353

CHAPITRE VI – LA MAISON A TANANARIVE : L’ESPACE PRIVE AU CŒUR DES AMBIGUITES DE LA CITADINITE TANANARIVIENNE...375

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I- UN FORT INVESTISSEMENT SYMBOLIQUE : L’HABITATION SOUS LE SIGNE DU SACRE...376

II- L’ORGANISATION DE L’ESPACE PRIVE TANANARIVIEN : INFLUENCES RURALES ET EMPREINTE CITADINE...389

III- LES PRATIQUES DE L’ESPACE DOMESTIQUE, REVELATRICES DE CRISPATIONS INTERNES ET DE TENSIONS ENVERS L’EXTERIEUR...410

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Tananarive, la grande ville mal-aimée dans un pays rural

Dans le contexte d’un pays très rural, structuré par des sociétés paysannes très anciennement ancrées et organisées, l’existence d’une ville millionnaire contraste vivement.

Tananarive se trouve en effet dans la situation paradoxale d’être une grande ville et la capitale de l’un des pays très ruraux du monde, où le taux d’urbanisation est inférieur à 25 %. Certes, avec une population dans l’agglomération estimée à environ un million et demi d’habitants, Tananarive ne représente que 10 % de la population malgache totale, ce qui ne constitue pas une proportion très élevée, mais la capitale concentrerait plus d’un tiers de la population urbaine du pays, accusant ainsi une forte domination dans le réseau urbain. La position de Tananarive révèle donc une forte hiérarchisation de ce réseau, avec une primauté marquée au sommet de celui-ci.

Surprenante de prime abord, l’existence d’un tel organisme urbain s’explique pourtant aisément. Tananarive a en effet été fondée précocement au début du XVIIe siècle

par les souverains merina1 et habitée depuis de façon permanente. Surtout, Tananarive se situe au cœur de la région historique de l’Imerina, sur les hautes terres centrales de Madagascar, qui s’étagent entre 1 000 et 2 500 mètres d’altitude. Or, ces hautes terres constituent depuis plusieurs siècles la région la plus peuplée de l’île2, en relation avec le développement d’une civilisation fondée sur la riziculture, à l’instar des royaumes agraires de Java ou du monde indien. A l’image du processus d’urbanisation en Asie, un monde rural densément peuplé a donc contribué au développement d’une grande ville3, dont les fonctions sont demeurées en liaison étroite avec celui-ci, mais dont elle s’est pourtant progressivement différenciée. Aujourd’hui, Tananarive se présente donc en décalage complet par rapport au reste du pays.

Ville décalée, Tananarive est aussi la ville mal-aimée, victime de représentations défavorables, aussi bien auprès des étrangers que des Malgaches. Tananarive semble en effet de prime abord s’opposer à ce qui constituerait l’essence de Madagascar : la ruralité, considérée comme la marque de l’authenticité malgache. Or, dans un pays très majoritairement rural, Tananarive présente superficiellement un visage trop moderne, qui l’apparente trop aisément à une métropole du « village mondial ». Ainsi, sur l’Avenue de l’Indépendance, le voyageur étranger retrouve immédiatement ses repères, avec des salons de thé, des boutiques modernes, des passants habillés à l’occidentale : Tananarive n’est nullement dépaysante, du moins dans ses quartiers centraux. A cet égard, le hiatus entre la capitale et le reste du pays est considérable. Tananarive est en effet la seule véritable métropole de l’île, la seule vraie ville au sens occidental du terme, et c’est précisément la raison pour laquelle elle est mal-aimée et méconnue. Il existe ainsi la conviction tenace

1 Les Merina sont les habitants de l’Imerina, la région autour de Tananarive.

2 L’Imerina abrite les plus fortes concentrations de populations de Madagascar, avec des densités comprises

entre 50 et 100 hab/km².

3 Cette configuration suscite immédiatement des comparaisons avec le monde indien ou encore de

nombreux pays d’Asie du sud-est, où l’existence de villes anciennes et de taille conséquente n’est pas antinomique avec une ruralité très largement majoritaire. D’emblée, les rapports de Tananarive et du monde malgache rappellent ainsi les origines géographiques du peuplement de l’île, dont maints traits culturels, malais ou indiens par exemple, ont été transmis à Madagascar.

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que le charme de Madagascar réside dans ses paysages rizicoles immuables qui évoquent l’Asie, dans sa faune et sa flore endémiques, véritables ambassadeurs du pays à l’extérieur : qui n’a pas été fasciné, enfant ou adolescent, par les lémuriens, les orchidées, les baobabs… Madagascar est synonyme de nature exubérante, incroyablement variée et encore en partie vierge. On peut parler de « mythe rural et écologique »4 à propos de l’image que projette l’île au niveau international. Cette perception du pays contribue puissamment par contrepoint à dévaloriser Tananarive.

En outre, Madagascar bénéficie à l’étranger de l’image d’un paradis terrestre5, représentation qui tire sans doute ses racines d’une vision idéalisée du pays élaborée depuis plusieurs siècles et fondée sur des éléments folklorisés ou sur des clichés occidentaux et coloniaux : population pacifique, femmes aux cheveux lisses, nature généreuse, paysages et climats variés, autant d’éléments qui contribuent à assimiler Madagascar aux mondes enchanteurs des îles du Pacifique et à y entretenir le mythe du bon sauvage. Face à ce tableau stéréotypé, la capitale apparaît comme un organisme monstrueux, développé inconsidérément et hypertrophié. Tananarive enlaidit le pays, c’est une anomalie qui ne correspond pas à l’essence profonde du pays : telle est la représentation dominante de la ville.

Dans ce contexte, le choix de Tananarive comme sujet de recherche a souvent suscité l’étonnement, si ce n’est l’incompréhension, des personnes rencontrées. Les Tananariviens eux-mêmes ont souvent eu du mal à comprendre que je séjourne à Tananarive sans quitter plus souvent la ville. Quant aux Occidentaux, ce choix leur semble souvent pour le moins incongru. La ville apparaît en effet le plus souvent à leurs yeux comme un repoussoir, avec sa pauvreté oppressante, sa saleté, son bruit étourdissant, ses embouteillages décourageants, ses trépidations permanentes, sa pollution qui laisse son empreinte et son odeur sur les vêtements, les cheveux et la peau le soir, et son insécurité qui nécessite d’être toujours plus ou moins sur ses gardes.

Ainsi, pour forcer le trait, mener un travail de recherche sur Tananarive, c’est presque comme faire de la géographie urbaine en Afrique il y a une trentaine d’années6 ! Une telle entreprise est perçue comme ingrate et encore quelque peu marginale. L’orientation des recherches sur le terrain malgache témoigne de cette dévalorisation de la capitale, et plus généralement du thème urbain à Madagascar. En 1999, le responsable de l’IRD de Madagascar m’expliquait ainsi qu’aucun programme de recherche dans quelque domaine que ce soit n’était en cours sur le milieu urbain7. Il n’existe par ailleurs aucun programme de recherche international sur les villes malgaches, contrairement à l’Afrique (australe, orientale, occidentale…). Les étudiants étrangers rencontrés au cours de mes années de thèse travaillaient pour la grande majorité soit sur le monde rural, soit sur la gestion des ressources non-renouvelables (parcs naturels, forêts…). La plupart des

4 Expression empruntée à Sophie Moreau, que je remercie ici.

5 Les ouvrages disponibles sur Madagascar, en particulier les « beaux livres » qui se multiplient depuis

quelques années, constituent une bonne illustration de la prégnance de ces deux représentations du pays, le sanctuaire de la nature et le paradis terrestre. Ces ouvrages contribuent ainsi à véhiculer une image stéréotypée et réductrice de l’île.

6 « Il y a moins d’un demi siècle, la ville africaine n’était pas considérée comme un bon objet scientifique.

On postulait qu’elle ne pouvait révéler le "vrai" d’une Afrique restée rurale et façonnée par ses traditions », BALANDIER G., avant-propos au numéro spécial d’Afrique contemporaine, « Villes d’Afrique », n° 168, 1993.

7 Cela n’a pas toujours été le cas, l’ORSTOM ayant fourni de très nombreuses études, en particulier sur les

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programmes des instituts de recherche (CIRAD, ONE…), nombreux à Madagascar, portent presque exclusivement sur ces deux grands types de sujets. Ces préoccupations se comprennent toutefois aisément dans le contexte d’un pays très pauvre où est largement admis le postulat selon lequel tout développement doit passer par le monde rural et l’indispensable sécurisation alimentaire, objets de toutes les recherches en agronomie, en élevage, en foresterie8

Localement, il existe des initiatives ponctuelles de recherche en géographie urbaine, à l’Université d’Antananarivo ou à l’Ecole Normale Supérieure d’Antananarivo, mais qui connaissent une faible diffusion. Sinon, les travaux récents menés sur Tananarive privilégient une optique historique, archéologique et architecturale : les chercheurs tananariviens se préoccupent avant tout de mettre en lumière le passé méconnu de la ville9. Ainsi, l’unique ouvrage scientifique consacré à Tananarive, La cité des mille10, consacre neuf chapitres à ces questions, plus un sur la préservation du patrimoine, et seulement cinq à la géographie de la ville depuis la colonisation. Dans le milieu universitaire, les travaux en histoire et en géographie urbaines de Faranirina Rajaonah11, et de Josélyne Ramamonjisoa12 sont les seuls qui existent sur la capitale et qui proposent un essai d’analyse globale de la ville. La capitale est donc singulièrement délaissée, alors que Tuléar avait fait l’objet d’un programme d’études pluridisciplinaire fécond au début des années quatre-vingt-dix. Les organismes internationaux et les ONG travaillant à Tananarive sont certes des commanditaires insatiables d’études et de monographies, souvent à l’échelle des quartiers, ou bien très ciblées sociologiquement (innombrables études sur la pauvreté), mais les documents produits ne proposent en général pas d’approche synthétique de la ville, et se révèlent plus informatifs qu’analytiques. Au total, on constate une carence dans l’étude actuelle de Tananarive : peu séduisante, la capitale malgache est délaissée par la recherche en sciences humaines. Une approche synthétique et problématisée fait défaut.

C’est dans ce contexte de dépréciation de l’image de Tananarive que s’inscrit ma recherche sur cette ville, à l’occasion de ma maîtrise13 (1994-1995), dont le choix avait été motivé par la découverte de Madagascar à l’occasion d’un voyage de loisir, poursuivie en DEA14 en 1997-1998, puis en thèse à partir de septembre 1998. En 1995, lors d’un premier séjour de deux mois, je découvre avec enthousiasme la ville et ses habitants, et

8 L’Ecole d’Agronomie d’Antananarivo est réputée aussi bien dans le pays qu’à l’étranger, où elle envoie

ses ingénieurs faire des doctorats ou des DESS. Il est révélateur des préoccupations des élites du pays que de nombreux bacheliers malgaches s’orientent vers ces filières.

9 Optique qui n’est pas neutre idéologiquement : il s’agit pour certains intellectuels de renforcer la

connaissance de la ville pré-coloniale afin de mettre en exergue ses spécificités et sa grandeur, pour limiter la portée de l’influence européenne postérieure.

10 La cité des mille - Antananarivo : histoire, architecture, urbanisme, 1998, CITE-Tsipika, 181 p.

11 RAJAONAH F. V., 1996-97, Elites et notables malgaches à Antananarivo dans la première moitié du XXe siècle, thèse d’Etat, Université Lumière-Lyon 2, 4 tomes, 1082 p.

ESOAVELOMANDROSO F., 1989, « Discours colonial et transformations de l’espace urbain : Tananarive dans l’entre-deux guerres », Cahiers du CRA, n° 7, p. 83-106

ESOAVELOMANDROSO F., FREMIGACCI J., 1989, « Héritage de l’histoire et mode d’urbanisation malgache : Tananarive », Cahiers du CRA, n° 7, p. 71-82

ESOAVELOMANDROSO F., 1985, « Aménagement et occupation de l’espace dans la ville moyenne d’Antananarivo pendant la colonisation (l’exemple du quartier d’Ankadifotsy) », Cahiers d’études

africaines, n° 99, p. 337-361

12 RAMAMONJISOA Josélyne, 1978, Antananarivo, étude géographique d’un espace urbain, Thèse, Nice,

2 vol., 514 p.

13 Habiter à Antananarivo, mémoire de Maîtrise sous la direction du Professeur Paul Claval, Université

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tisse des liens amicaux aussi solides que précieux pour l’avenir. Quelques années plus tard, de longues discussions avec Joël Bonnemaison et avec Paul Claval me convainquent de reprendre le fil de ces travaux dans le cadre du DEA, que Christian Huetz de Lemps dirige depuis. Trois séjours à Tananarive jalonnent alors ce travail universitaire : quatre mois en 1999, trois mois en 2000 et en 2001, durant lesquels j’ai eu la chance d’être hébergée dans des familles tananariviennes amies, ce qui a fortement contribué à la construction de mon regard sur la ville et ses habitants. Ces séjours ont joué un rôle considérable dans ma connaissance de la ville, de ses habitants, de la culture des Tananariviens : s’y est progressivement élaborée une familiarisation avec un terrain difficile et très étranger culturellement, contrairement aux apparences souvent trompeuses, qu’il a fallu dépasser. J’ai ainsi pu goûter cette expérience de tout chercheur confronté au temps long, à la maturation des idées, au dévoilement lent et subtil du réel. Si celui-ci continue de se dérober, tant il est vain de prétendre tout connaître et comprendre d’une ville et de sa société en seulement quelques années d’étude, ce temps de la recherche m’a incontestablement permis de progresser dans ma connaissance intime du terrain et dans l’appréhension de ses subtilités cachées.

C’est précisément le fruit de cette approche de la vie tananarivienne dans son foisonnement et dans sa complexité que je souhaite livrer dans cette étude, dans la volonté de faire partager la vie d’une ville, en donnant vie et parole à la foule des anonymes qui font cette ville. L’une des motivations de ce travail de thèse consiste en effet à livrer un témoignage de ce que signifie vivre à Tananarive à la fin du XXe siècle, à une période

charnière pour Madagascar, qui correspond à l’ouverture sur le monde extérieur, à la libéralisation économique, et à des recompositions politiques de premier ordre. Dans cette optique, mon approche a été profondément nourrie des lectures des romans de Balzac et de Zola, et de leur évocation, l’un de la mentalité citadine, parisienne ou provinciale, l’autre de la description de la vie des villes en devenir du XIXe siècle. L’œuvre des

romanciers du XIXe siècle semble d’ailleurs stimuler nombre de travaux de chercheurs en

sciences humaines sur la ville, comme en témoigne le propos de S. Jaglin, qui souligne la nécessité de « conserver l’équilibre entre un stendhalisme géographique traqueur de détails significatifs et un encyclopédisme balzacien »15. Si placer un travail universitaire sous cette double paternité semble ambitieux, cet objectif constitue néanmoins un horizon stimulant.

Tananarive est une ville qui se dérobe à l’analyse facile, qui n’est pas immédiatement déchiffrable, qui ne s’offre pas à une lecture transparente, aussi bien dans la complexité de ses paysages qui renvoient à une stratification historique, que dans les représentations que les habitants construisent de leur ville. Aussi ce travail aura-t-il pour ambition, non seulement de livrer une sorte de chronique de la vie des Tananariviens, mais aussi de fournir quelques clés d’interprétation d’un paysage urbain souvent déroutant et d’une société bien particulière dans sa structuration et dans son rapport à la ville16. A

14 Crise urbaine et redéfinition de la citadinité à Antananarivo (Madagascar) : vers la ruralisation ? Etude de géographie culturelle, mémoire de DEA sous la direction du Professeur C. Huetz de Lemps, Université

Paris IV-Sorbonne, 147 p.

15 JAGLIN S., 1995, Gestion urbaine partagée à Ouagadougou. Pouvoirs et périphéries (1983-1991), p.

585.

16 Cette motivation s’est également nourrie des analyses d’Augustin Berque sur l’urbanité japonaise, qui ont

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l’instar de Julien Gracq pour Nantes, on aimerait percer à jour la « couronne secrète » de Tananarive :

« … le sentiment qu’une vie autochtone, qui a ses coutumes et ses rites à elle, malaisée à pénétrer de l’extérieur et presque entièrement close sur elle-même, peut se perpétuer ici (…). Et cette teinte, cette coloration attirante et unique qu’y prend le va-et-vient de tous les jours, produit d’une distillation longue et subtile à laquelle toute sa géographie, toute son histoire ont dû collaborer, mais qui n’aurait pu aboutir sans quelque transmutation chimique dont elle garde pour elle la formule, c’est peut-être la vraie séduction, la couronne secrète d’une ville. »17

L’itinéraire de ma recherche trouve donc son origine dans une fascination pour Tananarive, et s’est construit de la volonté jamais démentie de comprendre autant que possible, cette ville, son fonctionnement et son identité, de démêler les fils de son apparente complexité mais aussi de déjouer les pièges de sa trop évidente familiarité avec des éléments culturels supposés connus qui peuvent aisément induire en erreur et masquer la complexité du réel. C’est en effet le problème rencontré par les chercheurs sur Tananarive et sa région : « Le nouvel arrivant ne se trouve pas vraiment dépaysé, il est rassuré par ces retrouvailles avec un réseau de signes (…). Il pense déjà comprendre ce pays, cette société au cadre matériel tout proche du nôtre. Seul l’apprentissage de la durée lui apprendra que ces éléments sont intégrés dans un ensemble différent, qu’ils n’ont pas la même fonction que dans les sociétés occidentales. »18 Plus encore lorsqu’on étudie une ville, objet par essence complexe, ce souci doit demeurer prioritaire.

Les principes généraux de la démarche méthodologique19

Sources et méthodes

Cette approche globale d’une grande ville nécessitait la mise au point d’une méthodologie qui permette de répondre à la diversité des questions posées. Aussi les sources et outils employés sont-ils caractérisés par une grande hétérogénéité.

Mon travail a tout d’abord classiquement été nourri de lectures : ouvrages généraux de géographie urbaine, tropicale et culturelle, études monographiques réalisées sur d’autres métropoles africaines, ouvrages thématiques sur Madagascar. Les travaux de géographes africanistes ont été fondateurs, en particulier ceux de Philippe Gervais-Lambony, particulièrement stimulants pour mon approche20. L’apport de la littérature grise disponible à Tananarive a également été important. La presse malgache a été utilisée systématiquement, notamment pour étudier les phénomènes de représentations de la ville, de même que les guides de voyage. La littérature prenant la ville comme cadre étant très peu développée à Madagascar, cette source souvent précieuse n’a quasiment pas pu être mobilisée.

Le terrain ensuite, s’est organisé autour de deux axes majeurs : la parole d’une part, la découverte sensorielle d’autre part.

17 GRACQ J., 1985, La Forme d’une ville, p. 117.

18 RAISON-JOURDE F., 1991, Bible et pouvoir, introduction.

19 Pour une présentation détaillée de la méthodologie, en particulier du travail d’enquêtes, on renverra le

lecteur en annexe. On trouvera également une carte des quartiers ayant fait l’objet d’enquêtes (n° 29 a). 20GERVAIS-LAMBONY P., 1994, De Lomé à Harare : le fait citadin, Karthala/IFRA, Paris, 472 p.

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La parole est en effet l’outil principal que j’ai employé pour tenter de cerner l’identité tananarivienne : parole des habitants avant tout, à travers les enquêtes auprès des ménages et les entretiens libres, et parole des « experts » également, universitaires, responsables municipaux et autres acteurs de la ville. Ce terme de « parole » rend bien compte de l’esprit de ma démarche, qui a toujours consisté à privilégier l’échange verbal avec l’autre, dans son immédiateté21. L’approche a donc toujours été délibérément qualitative : dans le travail d’enquêtes était plus visée la recherche de détails significatifs que d’éléments représentatifs, qu’un travail à l’échelle d’une thèse ne permet d’ailleurs pas sur un sujet aussi vaste. En effet, sur une métropole d’un million et demi d’habitants, le caractère illusoire de prétendre à une quelconque représentativité m’est rapidement apparu. Aussi ai-je choisi de limiter le nombre des enquêtes, alors que j’avais prévu à l’origine d’en conduire beaucoup plus : cinquante enquêtes par quartier ont été menées dans cinq quartiers de la ville, auxquelles s’ajoutent une quinzaine d’entretiens libres avec des Tananariviens. Significativement d’ailleurs, ma démarche a évolué au cours des années, puisque le questionnaire a été étoffé après une première campagne d’enquêtes en 2000, et que sa durée moyenne d’administration a sensiblement augmenté, passant à trois quarts d’heure au lieu d’une demi-heure.

La découverte sensorielle constitue un outil beaucoup plus personnel, subjectif pourrait-on même objecter. Mais, comme M. de Certeau, j’ai la conviction que « le paysage imaginaire d’une recherche n’est pas sans valeur, même s’il n’a pas de rigueur. »22. Cette découverte s’est tout d’abord fondée sur une lente imprégnation de la ville, de ses paysages, de ses rythmes, de ses bruits, de la vie de ses habitants, de la diversité de ceux-ci. Cette imprégnation s’est opérée par de longues marches dans tous les quartiers, par des promenades à buts multiples (marchés, foires, fêtes publiques ou privées, cultes dominicaux, restaurants populaires…), ainsi que par des discussions inlassables avec tout interlocuteur tananarivien, quel que soit son statut (chauffeurs de taxi et commerçants, toujours prompts au bavardage, employés…). Cette approche sensorielle m’a permis d’acquérir une connaissance approfondie de la configuration et de la vie de la ville, souvent bien plus exhaustive géographiquement et socialement que celle qu’en avaient la plupart de mes relations malgaches. Cette connaissance subjective s’est également renforcée de courts séjours dans les campagnes environnantes, à diverses occasions (festivité religieuse, cérémonie de « retournement des morts ») et de voyages en province, avec notamment la visite de toutes les grandes villes côtières. Cette connaissance plus large du pays me semble a posteriori indispensable pour mieux comprendre Tananarive, pour mieux la situer à la fois dans son environnant rural et à l’échelle nationale. Bien des analyses présentées dans ce travail doivent beaucoup à ces voyages de loisir en-dehors de Tananarive23.

21 Pour rendre compte de cette parole, j’ai choisi de faire figurer en encadré dans le corps du texte des

entretiens illustrant un thème particulier ou des portraits de personnes interrogées. Ce procédé permet de mieux les mettre en valeur, et le cas échéant de suivre les mêmes individus (dotés de prénoms fictifs) sur plusieurs chapitres à propos de sujets différents. Cette technique de l’encadré a d’ailleurs également été employée pour proposer des mises au point synthétiques sur des questions ponctuelles, dans l’optique d’alléger le texte et de faciliter la lecture.

22 CERTEAU (de) M., L’invention du quotidien, p. 67.

23 Le fait d’avoir habité durant trois ans à Dakar, adolescente, a sans nul doute également contribué à

susciter mon intérêt et à construire mon regard sur les métropoles du Sud. Par ailleurs, d’autres voyages personnels dans plusieurs pays du Sud (Maroc, Yémen, Egypte, Turquie, Chine), avec la découverte de leur capitale et de leurs grandes villes, m’ont permis de développer des comparaisons, de remettre en cause certaines idées préconçues et d’être plus sensible à certains thèmes urbains.

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En dernier lieu, j’ai fréquemment eu recours à d’autres disciplines des sciences humaines. Cette approche pluridisciplinaire, outre le fait qu’elle m’était familière de par ma formation en classes préparatoires, s’imposait de par le caractère ouvert et très vaste de mon sujet. Parmi les disciplines les plus sollicitées se trouvent bien sûr l’histoire, aussi bien celle de Madagascar que des travaux plus généraux d’étude des mentalités24, l’anthropologie urbaine et l’anthropologie politique25, la sociologie26. De façon plus ponctuelle, des techniques d’analyse de discours ont pu être utilisées. Enfin, dans quel domaine classer le travail sur l’iconographie ? Je me suis efforcée de rechercher les représentations picturales et photographiques de Tananarive, récentes et anciennes (cartes postales27, archives photographiques), afin de mener une analyse de la manière dont la ville était objet de représentation. Plus encore, l’approche par l’image constitue un outil important de ma démonstration, un complément indispensable du texte. La présence de l’illustration dans ma démarche a été précoce et je l’ai voulue toujours centrale.

Géographies…

Ce travail s’inscrit dans le cadre désormais classique de la géographie urbaine tropicale. Cependant, l’approche choisie nécessite de faire appel à d’autres domaines de la géographie. Tout d’abord, la démarche propre à la géographie culturelle s’avère particulièrement utile pour appréhender la question de la citadinité à Tananarive : examiner de quelles manières la culture merina marque l’organisation de l’espace est au cœur de mon propos. Corrélativement, l’approche ethnogéographique a été très sollicitée dans l’analyse : il s’agit de saisir comment les Tananariviens pratiquent et perçoivent leur ville. Ces phénomènes ont été appréhendés à travers les enquêtes et les entretiens. En outre, un questionnaire pour les élèves des classes de septième a été distribué dans plusieurs écoles de la ville, afin de cerner l’espace vécu et la perception de la ville par les enfants de différents quartiers.

Par ailleurs, ce travail se réclame également en partie de la géographie sociale, puisqu’il ne s’agit pas tant de s’intéresser aux questions purement urbanistiques (politiques urbaines, infrastructures, morphologie urbaine avec en particulier localisation des activités économiques…), qui seront évoquées ponctuellement, qu’aux groupes sociaux, à leurs interactions réciproques et à leur rôle dans la construction de la citadinité tananarivienne. A cet égard, il a fallu déterminer quelles catégories sociales étudier. J’ai choisi de m’intéresser aux Tananariviens qui représentent la majorité de la population, c’est-à-dire les catégories modestes, sachant que cet ensemble regroupe une réalité très hétérogène. Une place importante est également faite aux classes moyennes, en raison du fait que la plupart des mes relations et interlocuteurs en faisaient partie. Ce sont ces deux types de population qui ont été ciblées lors des enquêtes et des entretiens. En revanche, on ne trouvera que des remarques ponctuelles sur la minorité très aisée : l’approche de cette population très particulière à tous égards aurait nécessité une méthodologie spécifique, ainsi qu’un traitement à part, tant leurs pratiques et représentations de la ville diffèrent de

24 Sur l’histoire de Madagascar, les travaux de F. Rajaonah ont joué un rôle fondateur dans la maturation de

mon sujet. Ceux de F. Raison-Jourde ont éclairé ma connaissance de la société merina depuis l’arrivée des Européens. En histoire des mentalités, les travaux d’historiens comme R. Muchembled ont fourni des éclairages précieux.

25 Les travaux de G. Balandier sur l’Afrique par exemple.

26 Travaux novateurs de sociologues sur les métropoles africaines, comme ceux d’A. Marie.

27 Je remercie vivement ici M. Huetz de Lemps pour avoir mis à ma disposition sa collection de cartes

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celles de la majorité des Tananariviens : comme dans tout pays pauvre, le hiatus est grand entre ses élites économiques et le reste de la population.

Les limites géographiques de l’étude

Pour des raisons de cohérence avec la problématique, il a été décidé d’écarter les espaces trop périphériques de la ville, les franges d’urbanisation, car la spécificité du fait urbain y est trop diluée : il n’entrait pas dans le cadre de mon sujet d’étudier la citadinité d’espaces semi-ruraux ou semi-urbains.

C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de centrer l’étude sur l’aire urbaine proprement dite, qui coïncide plus ou moins avec les limites administratives de la ville, celles d’Antananarivo-Renivohitra (Tananarive-capitale). On peut par ailleurs justifier l’exclusion du champ d’étude de communes périphériques comme Ivato (au nord-ouest) ou Tanjombato (commune limitrophe au sud) par le fait que ces communes satellites sont dotées de fonctions autonomes (emplois nombreux avec l’aéroport, les zones franches, services de proximité) qui ne justifient pas pour l’ensemble des habitants une fréquentation assidue de Tananarive. Les pratiques et les représentations de la ville en sont donc modifiées.

Dans ce territoire communal, les quartiers choisis pour les enquêtes constituent un échantillon assez complet de la diversité de la ville : un quartier historique (la ville haute), un quartier traditionnel mais urbanisé plus récemment (Ankadifotsy), un quartier populaire de plaine (Isotry), un quartier planifié récent (les 67 hectares) et un quartier périphérique (Ivandry-Soavimasoandro). Dès le début de mes recherches, la volonté d’étudier la ville dans son ensemble, et non de me concentrer sur une partie seulement de l’espace urbain, s’est en effet imposée.

Une précision sémantique…

Tananarive ou Antananarivo ? La question, en apparence anodine, a parfois suscité des discussions passionnées avec des Tananariviens. Selon certains, Antananarivo, correspondant en fait à la désignation malgache originelle, devrait donc s’imposer. Les autorités malgaches ont d’ailleurs réussi à diffuser internationalement ce nouveau nom de leur capitale après l’indépendance. Derrière cette revendication, le souci de se démarquer d’une dénomination considérée comme la marque du passé colonial est évidente. On peut même aller plus loin en voyant dans « Antananarivo » la volonté de faire référence à la cité royale pré-coloniale et dans « Tananarive » la seule référence à la ville coloniale. Le dualisme urbain qui n’existe pas dans la morphologie urbaine se retrouverait ainsi reproduit au niveau symbolique du nom même. Ainsi, à Madagascar, pour nombre de personnes, « Tananarive » n’existe tout simplement plus, à l’instar de Leningrad, et intituler ainsi une thèse universitaire pourrait être mal interprété et considéré comme provocateur. La dénomination de la ville est donc loin d’être neutre.

On a cependant souhaité s’affranchir de ces considérations politiques et idéologiques, puisque nombre de Malgaches s’exprimant en français emploient « Tananarive », de même que Majunga et non Mahajanga, Tamatave et non Toamasina, par exemple, et on a donc choisi se fonder sur la tradition des « exonymes » en français28.

28 Voir CHEVALIER M., 1997, « Un élément du patrimoine géographique français. Les exonymes », Géographie et Cultures, n°23 , p. 101-132. Pour les Malgaches s’exprimant en français, l’ambiguïté est

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équivalents en arabe.

Thèmes et axes de recherche : que signifie vivre à Tananarive aujourd’hui ?

On partira d’une interrogation simple, qui oriente et structure l’ensemble de ce travail : que signifie être Tananarivien aujourd’hui ? quelles réalités recouvre la question « comment vit-on à Tananarive » ? dans quelles dimensions se déploie le fait d’être Tananarivien ?

Cette question très simple permet d’aborder l’étude de la vie citadine selon plusieurs angles, et d’ores et déjà de poser des jalons fondamentaux dans la connaissance et dans l’analyse de la ville. C’est tout d’abord la notion de paysage qui intervient : tout au long de cette étude, on verra à quel point le paysage est au cœur de la définition de l’identité citadine, tant il existe un rapport affectif spécifique à l’aspect de la ville, rapport qui se fonde essentiellement sur une prégnance tout à fait particulière du passé dans le fait d’être citadin aujourd’hui. On s’intéressera en particulier au paysage historique, en le confrontant au paysage urbain actuel et à la manière dont cette évolution est perçue par les Tananariviens. En tentant de discerner ce que ce paysage nous apprend sur ce que signifie vivre en ville, on verra ainsi qu’il représente un enjeu majeur dans les représentations de la ville.

Voir ce que signifie vivre à Tananarive aujourd’hui permet également d’aborder des aspects simples de la vie de la ville. C’est ainsi s’intéresser aux pratiques alimentaires, vestimentaires, religieuses, sanitaires, aux loisirs, au travail, aux déplacements, à la vie sociale, en un mot à la vie quotidienne dans ses rapports à l’espace : on rejoint ici les problématiques de « l’espace vécu ». Trois axes d’analyse se dégagent de cette approche du vécu quotidien :

- la question du rapport aux modèles occidentaux, centrale dans le contexte d’une métropole de pays pauvre : quel est le degré d’acculturation des pratiques à cet égard, ces modèles étrangers sont-ils acceptés ou bien rejetés, font-ils l’objet de tensions particulières dans les représentations ?

- les pratiques tananariviennes sont-elles spécifiquement citadines ou bien portent-elles la marque de pratiques rurales ? dans quelle mesure la différenciation entre les deux s’est-elle ou non effectuée ?

- il faudra enfin confronter ces pratiques quotidiennes de l’espace au contexte de crise économique qui a sévi du milieu des années soixante-dix au milieu des années quatre-vingt-dix, et qui s’est traduit par une paupérisation massive, par le déclin des classes moyennes, mais aussi par l’enrichissement visible d’une petite minorité. De par son envergure et sa durée, cette crise économique a eu de surcroît de multiples conséquences : dans le domaine de la politique urbaine tout d’abord, avec le déclin de la gestion municipale, le recul et la dégradation de l’espace public, dans l’exacerbation des frustrations et des tensions des rapports sociaux, dans l’altération générale de la sociabilité tananarivienne (déclin des loisirs, contraction des déplacements, mise à mal des réseaux de solidarité traditionnels) et enfin dans une dégradation du paysage, particulièrement mal ressentie (crise de la structure urbaine, du logement, de l’environnement urbain, de

quelques lignes d’intervalle, Tananarive et Antananarivo. Antananarivo ne s’est en fait jamais entièrement substituée à l’ancienne dénomination. De surcroît, en français, les Malgaches utilisent le diminutif de Tana dans le langage courant, ce qui revient à supprimer l’ambiguïté.

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l’apparence visuelle de la ville). Ces différents aspects de la crise constituent le cadre structurel dans lequel s’inscrit désormais la vie de tout Tananarivien.

On s’efforcera par ailleurs de voir qui sont les Tananariviens, et plus encore qui ils se veulent et se disent être, quelle image ils construisent d’eux-mêmes. Pour ce faire, on mettra en évidence les différentes composantes qui structurent la société : divisions sociales bien sûr, mais aussi divisions statutaires (formes de castes) qui constituent la grande particularité de la société merina et qui jouent un rôle fondamental dans l’organisation socio-spatiale de la ville, ainsi que divisions en fonction de l’origine géographique ; on s’intéressera au cas très particulier des minorités tananariviennes, qu’elles soient étrangères, non-Merina (Indo-Pakistanais, Chinois, populations originaires d’autres régions de Madagascar), ou simplement non citadines de souche (cas des migrants ruraux…), et à leurs rapports souvent malaisés avec la population majoritaire. Ce sont donc les représentations qu’ont et que construisent les Tananariviens de leur société qu’on tentera de comprendre. C’est bien la notion d’identité qui sera sollicitée à cet égard : peut-on définir une identité tananarivienne, c’est-à-dire un ensemble de représentations sociales et spatiales auxquelles souscrivent une majorité d’habitants ?

S’intéresser ainsi au fait de vivre à Tananarive, de pratiquer et de percevoir l’espace urbain, constituent autant de thèmes qui peuvent être résumés en un mot : la citadinité. On a, après réflexion, finalement choisi d’utiliser ce néologisme géographique, qui tend néanmoins à se diffuser depuis quelques années dans les études sur les pratiques et les représentations citadines29. On se fondera sur une acception très simple de la citadinité, ce qui présente l’avantage de recouvrir un large champ du réel. On entendra donc par citadinité le sentiment de vivre en ville. Comment est vécue et perçue la ville par ses habitants, quelle que soit leur origine géographique (originaires ou non de Tananarive, citadins ou ruraux), ethnique (nés et ayant toujours vécu à Tananarive mais non Merina), nationale (quelle citadinité ont les Indiens de Tananarive ?) ou statutaire (les « castes » dessinent-elles des citadinités différenciées ?). On appréhendera donc la question de la citadinité de la façon la plus large qui soit, afin de mettre en évidence la diversité des manières de vivre la ville, et de montrer l’existence, ou les modes de coexistence, parfois problématiques, de plusieurs citadinités, de plusieurs manières d’être Tananarivien. Cette citadinité pourra donc désigner simplement le fait d’habiter en ville sans y être nécessairement intégré, ou renvoyer à la perception nette que l’appartenance à la ville est pleinement constitutive de l’identité individuelle pour chacun. Cette acception large du fait d’être citadin permettra d’éviter d’accoler subrepticement tout jugement de valeur à cette notion de citadinité30. On ne veut en effet voir dans l’étude de la citadinité tananarivienne aucune idée de supériorité citadine sur le monde rural ; c’est pourquoi on évitera de s’interroger sur l’existence de degrés de citadinité, par exemple pour les migrants ruraux : on préférera examiner quel est leur rapport à la ville, dans quelle mesure ils se sentent ou non citadins, mais sans se fonder sur des critères préalables d’évaluation de ce qui est citadin et de ce qui ne l’est pas. Qui plus est, à Tananarive, les rapports entre citadins et ruraux sont beaucoup trop complexes et trop imbriqués pour être réduits à une opposition manichéenne. On s’intéressera plutôt aux représentations que les premiers ont

29 Voir la mise au point sémantique de P. Gervais-Lambony, 2001, Vocabulaire de la ville, p. 92-108. 30 Voir NAVEZ-BOUCHANINE F., 1996, « Citadinité et urbanité : le cas des villes marocaines », La citadinité en questions, Cahier Urbama n° 29, coll. Sciences de la ville n° 13, Tours, p. 103-112.

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des seconds, afin de mettre en évidence les contours d’une citadinité dessinée par les habitants de la ville, et non préalablement déterminée.

Pour cerner cette citadinité tananarivienne, on s’intéressera donc aux pratiques des individus, et à la manière dont ils pensent la ville. Connaître la ville, s’y déplacer, y nouer des relations amicales, sortir pour se distraire, s’investir dans la vie collective, associative ou religieuse, constituent ainsi des pratiques de la ville, dont on s’efforcera de montrer la spécificité par rapport au monde rural : en cela, elles fondent la citadinité. Aimer ou non la ville, la trouver belle ou laide, agréable ou pénible, ces jugements constituent quant à eux des indicateurs de l’élaboration de représentations citadines. Il faudra également voir de quelle manière la ville est perçue par rapport au monde rural, ce qui constitue une question très délicate.

Etudier la citadinité tananarivienne, c’est donc pour nous voir de quelle manière la ville est vécue et pensée par ses habitants, en tant que telle et par rapport à la campagne.

Or, la citadinité tananarivienne est aujourd’hui en crise. Le malaise citadin intervient et se développe dans un contexte économique et politique changeant, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Alors qu’en 1995, Tananarive donnait la singulière impression que rien n’y avait changé depuis fort longtemps, que la ville s’était comme figée dans le marasme économique, les bouleversements s’accélèrent depuis quelques années, en partie grâce à une amorce de reprise économique : mutations paysagères, restauration d’un discours citoyen et politique, pénétration accrue des modes de consommation occidentaux... Il faudra naturellement étudier cette « géographie du changement » (J.-P. Raison) tananarivien, puisque cette période de transition n’a encore fait l’objet d’aucune analyse.

Ces mutations récentes déstabilisent les Tananariviens et remettent en cause un certain nombre de principes traditionnels fondateurs de la citadinité. Désormais, celle-ci se présente comme fragilisée, menacée dans ses fondements par divers phénomènes, telles les déstructurations profondes engendrées par la crise économique, puis les déstabilisations liées aux prémices de reprise, la modernisation et l’altération irrémédiable du paysage urbain ancien, l’évolution de la composition de la population, la croissance de la taille de la ville. Plus encore, c’est l’existence même d’une citadinité tananarivienne intégratrice qui est mise en cause : les tensions internes à la société se font de plus en plus manifestes, et la perspective d’une citadinité fragmentée en groupes plus ou moins étrangers les uns aux autres s’esquisse.

Cette crise de la citadinité se manifeste dans deux domaines fondamentaux du « vivre ensemble » tananarivien, que l’on peut appréhender selon deux couples : citadinité/ruralité et citadinité/identité. En effet, les Tananariviens éprouvent tout d’abord de plus en plus de mal à définir leur position par rapport au monde rural, valorisant et rejetant tour à tour leur proximité historique, sociale et paysagère avec celui-ci. Par ailleurs, la question de savoir ce que signifie être Tananarivien devient désormais beaucoup plus délicate, en raison de l’émergence de tensions internes à la société qui ébranlent un édifice social traditionnel et hiérarchisé, où chacun avait sa place assignée. L’identité tananarivienne, confrontée à de nouveaux enjeux, ne se définit plus simplement, mais fait l’objet de conflits d’images.

On assiste donc à des phénomènes de redéfinition de la citadinité, redéfinition qui prend le plus souvent la forme de crispations identitaires. A cet égard, la période actuelle coïncide avec la radicalisation et la plus grande visibilité de ces crispations, ce qui la rend

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d’autant plus stimulante à étudier. On verra que les recompositions qui s’opèrent tendent en fait paradoxalement à renforcer les éléments de déstabilisation.

L’optique de ce travail de recherche consiste donc à s’interroger sur la nature ambivalente et sur l’évolution actuelle d’une citadinité tananarivienne, à la fois hiérarchisée et fortement empreinte de ruralité, dans un contexte de crise économique en partie en voie de résorption, ainsi que sur les processus contradictoires de déstabilisations et de recompositions des identités territoriales à l’œuvre à Tananarive au tournant du XXIe

siècle.

Pour tenter de répondre à ces questions, on a choisi une démarche en trois temps, qui articule trois problèmes majeurs au cœur de la définition de la citadinité tananarivienne.

La première partie sera consacrée à l’examen des facteurs de déstabilisation de l’identité tananarivienne, le premier étant le poids d’un passé omniprésent dans les paysages et dans les représentations citadines (chapitre premier), le deuxième la difficulté qu’éprouve la ville à s’affirmer pleinement et sans ambiguïté comme capitale à la fois nationale et régionale (chapitre II), et le dernier relevant de la profonde déstructuration

qu’a entraînée la longue période de crise économique (chapitre III). Le caractère obsédant

du passé, l’instabilité du statut de capitale et les conséquences déstructurantes de la crise dessinent ainsi les contours d’une citadinité fragilisée et difficile à penser sereinement.

La deuxième partie sera l’occasion d’examiner comment cette citadinité se déploie dans ses dimensions sociales et géographiques et comment elle s’affirme et se différencie par rapport à une référence rurale très forte. C’est pourquoi on s’intéressera aux manières différenciées dont les Tananariviens pratiquent et perçoivent leur ville, en se fondant sur une approche par échelles concentriques, qui permet de cerner les spécificités de la citadinité à différents niveaux géographiques : échelle de la ville tout d’abord (chapitre

IV), puis échelle du quartier (chapitre V) et enfin échelle de l’espace domestique (chapitre VI). Cette démarche par emboîtement d’espaces doit nous permettre de progresser dans

l’analyse et dans la compréhension de la diversité de la citadinité tananarivienne, en procédant par « effet de loupe », tout en examinant à chaque étape de quelle manière celle-ci se définit par rapport à la ruralité.

Après ces deux parties qui se fondent sur une approche structurelle de la définition de la citadinité, on abordera en dernière partie les mutations plus conjoncturelles qui s’affirment dans les années quatre-vingt-dix, en s’interrogeant sur leur impact sur les questions identitaires latentes. Cette approche permettra de voir à quel point la citadinité tananarivienne est ébranlée et caractérisée par l’émergence de crispations croissantes. C’est aussi bien l’évolution du paysage urbain qui pose problème (chapitre VII) que

l’affirmation d’une identité tananarivienne de plus en plus divisée (chapitre VIII).

Il s’agit donc, dans chacune des trois parties de cette étude, de mettre en évidence des éléments, différents mais convergents, de déstabilisation de la citadinité.

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Présentation succincte de Tananarive : quelques repères généraux (voir carte page suivante)

Une présentation de Tananarive débute classiquement au sommet de la colline de direction méridienne où se trouve le palais du Rova, ancienne résidence royale, qui domine à l’ouest la plaine du Betsimitatatra d’un escarpement abrupt de plus de deux cents mètres.

- Cette colline, affleurement granitique, à la forme générale d’un Y, est désignée comme la « ville haute ». Elle comporte un certain nombre de sites et monuments historiques de la ville : le Rova, le palais d’Andafiavaratra (ancienne résidence du Premier ministre au XIXe siècle), de très nombreux

temples et églises. Le quartier de Faravohitra s’est développé à la même époque avec la présence des missionnaires, sur la partie orientale de la colline (la branche droite du Y). Dans son ensemble, le cas très particulier des quartiers situés au sud du Rova excepté, la ville haute est un espace prestigieux, considéré comme le dépositaire de l’histoire de Tananarive. Les grandes familles tananariviennes y résident. La ville haute est à vocation presque exclusivement résidentielle : c’est une zone très peu animée.

- Une descente topographique accompagne le développement du « Y » vers le nord, si bien qu’on parle ensuite de « ville moyenne » pour désigner les quartiers collinaires qui dominent encore la plaine, mais de bien moins haut. Ces quartiers ont été développés entre la seconde moitié du XIXe siècle et la

première du XXe. Ils ont en particulier fait l’objet d’aménagements considérables sous la colonisation

française. Ce sont aujourd’hui des quartiers centraux, très vivants et souvent densément peuplés : Antaninarenina, qui concentre de nombreuses fonctions centrales (administrations et commerces de luxe), Ambatonakanga et Isoraka à l’ouest, Ankadifotsy à l’est, tous trois plus résidentiels, constituent les principaux quartiers de ville moyenne. Des quartiers plus populaires et commerciaux, très denses, bordent ces derniers, comme Andravoahangy et Besarety.

- Le centre de la ville proprement dit a été installé sous la colonisation dans le vallon, jadis marécageux, enserré entre les deux branches du Y : c'est Analakely. D’autres quartiers se sont développés aux alentours, tous à vocation administrative ou commerçante : Tsaralalana au plan en damier (seul espace ainsi construit à Tananarive), Behoririka, autour du lac du même nom, Soarano (quartier de la gare), Antanimena. Cet ensemble est très actif et constitue toujours le cœur de la vie de la ville, en dépit de la suppression du grand marché du Zoma. L’Avenue de l’Indépendance, monumentale, constitue l’axe majeur de cette zone. Dans le prolongement, le sud du vallon est fermé par le jardin d’Ambohijatovo. Au-delà, un tunnel permet de rejoindre les quartiers tranquilles et aisés, situés aux abords de la route circulaire, ou, plus loin, le quartier d’Ambanidia, quartier dense situé au pied de la ville haute.

- A ces quartiers collinaires ou centraux, s’opposent ceux de la plaine, situés à l’ouest. On y trouve tout d’abord, immédiatement aux pieds de la colline, le lac Anosy et le stade de Mahamasina. Au-delà du lac se situe une vaste zone, aménagée dans les années soixante sur d’anciennes rizières, qui abrite des bâtiments administratifs, des ministères, un hôpital : Anosy et Ampefiloha. La plaine de l’ouest accueille également la grande cité planifiée des 67 hectares, des quartiers très défavorisés développés anarchiquement (Isotry, Andavamamba…), en particulier aux abords de la voie ferrée et du canal principal qui traverse la plaine, le canal d’Andriantany. Le quartier d’Anosibe, très peuplé et très pauvre, abrite le marché de gros de la ville et sa principale gare routière. Enfin, jusqu’à la rivière Ikopa qui marque la limite occidentale de la ville, le paysage se compose d’espaces marécageux dans lesquels sont installés des quartiers d’habitations extrêmement modestes (Andohatapenaka). La route-digue ceinture la plaine du sud au nord. Tous ces quartiers sont inondables et construits sur des terrains argileux.

- Au nord de la gare, l’espace se divise entre zones industrielles récentes (Ankorondrano, route des hydrocarbures), construites sur la plaine, marécages, et espaces collinaires périphériques, très hétérogènes socialement, certains étant très aisés (Ivandry), d’autres plus populaires (Ambohimanarina), d’autres encore en développement rapide sous forme de villas (Ambatobe autour du Lycée français).

- L’est de la ville est au contraire un espace de collines, moins élevées que celle du Rova cependant. Ces collines ont été urbanisées beaucoup plus tardivement, si bien que le paysage y est beaucoup plus aéré, plus vert. Ces quartiers sont soit à vocation résidentielle de standing, soit abritent des constructions hétérogènes dans les lavaka, ces grandes crevasses qui entaillent les collines et fragilisent le terrain. On rencontre ce paysage, par endroit semi-rural, jusqu’au sud de la ville.

Au nord-est, l’espace s’urbanise rapidement et de manière anarchique depuis quelques années, aux abords de la RN 2, à partir du carrefour d’Ampasampito, avec l’installation de migrants.

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De ce très rapide aperçu de la ville, il faut retenir l’opposition majeure entre les collines, qu’elles soient centrales ou périphériques, et la plaine. Aux contrastes topographiques répondent les contrastes dans la morphologie sociale de la ville.

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UNE CAPITALE FRAGILISEE : LES FACTEURS DE

DESTABILISATION DE L’IDENTITE

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D’une part, ils se montrent fiers de leur ville et de son histoire, et donc fiers d’être Tananariviens. Ce sentiment d’attachement très fort s’exprime à travers des chansons populaires, des poèmes, qui expriment un sentiment qu’on pourrait comparer à la saudade portugaise, tant le rapport affectif si particulier des Tananariviens à leur ville se nourrit à la fois de fierté et de nostalgie d’un passé révolu.

En effet, cette nostalgie constitue l’autre versant du rapport des Tananariviens à leur ville. Plus encore, beaucoup d’entre eux manifestent dans leurs discours le sentiment d’un mal-être, d’une difficulté à définir une identité tananarivienne univoque, laquelle apparaît plutôt comme instable et fragile. Ainsi, à la différence des habitants de nombreuses capitales dans le monde, le Tananarivien exprime un sentiment ambigu : certes, il aime sa ville, mais il ressent également un malaise, une difficulté à se situer en tant que citadin.

Ce sentiment d’une citadinité malaisée et délicate à définir traduit donc un défaut d’identification de la ville, qui s’exprime de différentes manières : Tananarive est-elle une ville merina ou une capitale nationale ? une ville authentiquement malgache ou bien une métropole internationale ? Ainsi, pour tenter de comprendre pourquoi il n’est pas simple de se percevoir en tant que Tananarivien, on partira de l’idée qu’il existait un équilibre lors de la fondation de la ville au XVIIIe siècle, équilibre qui a été rompu par l’introduction

des modèles occidentaux et qui n’a jamais été retrouvé. Le statut de Tananarive, centre évident du monde merina, a été relativisé. Le sens originel de son site a été dévoyé, si bien que la ville est désormais « désorientée » au sens propre du terme : elle a perdu son sens géographique, et corrélativement sa cohérence. L’évolution historique constitue donc un premier élément de déstabilisation de la ville, comme on le verra dans le chapitre premier.

C’est ensuite la fragilité du statut de capitale qui retiendra notre attention au chapitre II, car elle est à la fois cause et conséquence de ce mal-être. Tananarive hésite

quant à la définition de son rôle politique et symbolique dans le monde actuel, depuis l’indépendance du pays. Aussi bien les paysages que les pratiques et les représentations de ses habitants témoignent de l’ambiguïté de cette vocation.

Enfin, la crise économique, aux fortes répercussions sur la vie des Tananariviens et sur le paysage urbain, a joué un rôle de catalyseur des problèmes identitaires, redéfinissant les enjeux sociaux et aggravant les altérations paysagères. Cette période a ainsi conduit à l’exacerbation des frustrations, et à la remise en cause de ce que signifie vivre à Tananarive. Ces questions feront l’objet du chapitre III.

On souhaiterait ainsi montrer dans cette première partie qu’il existe trois facteurs principaux de déstabilisation de l’identité tananarivienne, qui contribuent à l’instabilité actuelle de la perception de la ville par ses habitants et qui expliquent donc les hésitations d’une citadinité en devenir. Vivre à Tananarive, c’est donc affronter perte de repères et inquiétude dans son rapport à la ville : il n’est pas aisé d’être Tananarivien.

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SACRALISATION DE L’ESPACE A UNE PROGRESSIVE ALTERATION DU SENS

Chacun peut faire l’expérience étonnante d’une conversation avec un Tananarivien sur sa ville : très vite seront évoquées dans la discussion l’histoire et la géographie urbaines, les deux étant présentées comme indissociables. Tout discours sur la ville tend à remonter aux origines de celle-ci, comme si le passé prenait le pas sur le présent, ce dernier étant entièrement tourné vers le premier. Il est ainsi arrivé fréquemment qu’au cours d’un entretien sur les enjeux actuels de la ville, mon interlocuteur se lance immédiatement dans un exposé historique, en arguant qu’« il faut reprendre au début ». A l’inverse, on parlera beaucoup plus rarement du devenir de la ville. Tananarive semble possédée par son passé, qui « vampirise » son existence actuelle, de même que les Malgaches sont habités de la présence obsédante des ancêtres dans leur vie quotidienne.

Le passé pose problème à Tananarive. La ville a connu depuis le début du XIXe

siècle des traumatismes successifs jamais réellement acceptés, qui constituent aujourd’hui des éléments de déstabilisation profonde, vécus intensément. Mes questions ont ainsi souvent suscité l’expression d’un malaise relatif à leur ville chez nombre de mes interlocuteurs. C’est en partant de ce constat qu’il a semblé non seulement opportun, mais de plus nécessaire, d’éviter autant que possible le trop traditionnel et fastidieux chapitre d’ouverture consacré à la présentation générale de la ville. Une telle présentation objective, c’est-à-dire rigoureusement historique et géographique, aurait en fait manqué la place centrale occupée dans les représentations citadines par ces éléments neutres en apparence. Or, c’est précisément dans la fondation de Tananarive et dans la corruption de ces éléments fondateurs au XIXe siècle qu’il faut rechercher les éléments constitutifs de

l’identité tananarivienne actuelle.

Ainsi la démarche adoptée a-t-elle consisté à mêler les éléments historiques à leur résonance dans le présent, et à laisser la parole aux Tananariviens chaque fois que cela était possible sur un thème historique. On vise ainsi à donner davantage une lecture de l’histoire des représentations de Tananarive jusqu’à nos jours qu’une histoire de la ville en elle-même, qui a déjà été largement étudiée. On tentera donc ici une analyse inédite fondée sur l’évolution historique des représentations de la ville.

I- PUISSANCE ET PERENNITE DE L’ORGANISATION MERINA DE L’ESPACE

A- Une situation continentale et en altitude 1- La capitale au cœur des hautes terres centrales

La situation de Tananarive ne laisse pas de surprendre. En effet, la ville est placée au cœur des hautes terres centrales de Madagascar, s’étageant entre 1 245 et 1 473 mètres d'altitude. C'est une situation étonnante et très rare pour une ancienne capitale coloniale française. En effet, une localisation littorale et portuaire était souvent préférée. Aujourd’hui encore, la situation de la capitale de Madagascar semble médiocre, celle-ci étant enclavée dans les hautes terres qui rendent difficile l'accès aux côtes : il faut toujours plus de six heures pour joindre par la route Tamatave, située à 350 km sur la côte orientale (voir carte n° 2).

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Figure

Tableau n°1 : La population de Tananarive. Etat des lieux des estimations Nombre d’habitants
Tableau n° 2 : estimations des taux de croissance urbaine
Tableau n°3 : l’évolution de la composition ethnique de Tananarive
tableau   suivant   montre   bien   la   baisse   spectaculaire   de   la   consommation   de   certains produits courants :
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