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L’INTRODUCTION DE MODELES URBAINS EUROPEENS ET COLONIAUX :

Les sources historiques concernant l’évolution de la ville sont beaucoup plus nombreuses et plus fiables à partir du XIXe siècle, du fait du passage de la langue malgache

à l’écrit sous le roi Radama Ier, fils d’Andrianampoinimerina. De plus, les témoignages de voyageurs européens se multiplient. Cette période a donc été largement étudiée, et là encore, nous avons considéré qu’il ne relevait pas du cadre de ce travail de reprendre ces études plus fournies ailleurs. Le lecteur curieux d’approfondir le sujet pourra consulter Rajaonah F. 1997, Ramamonjisoa J. 1978, ou divers articles et ouvrages écrits sous la colonisation (Robequain C. 1949, Devic J. 1952…). L’impact de la culture européenne sur la ville est en effet un sujet qui a fasciné les chercheurs, sans doute en raison de la rencontre inédite entre deux modèles urbains.

De cette rencontre, on retiendra surtout son caractère profondément bouleversant pour la pensée merina de l’espace. Si en apparence tout s’est déroulé de façon feutrée, sans affrontement majeur, et si un certain nombre d’apports européens ont été intégrés sans problème par les Tananariviens, on verra qu’en revanche l’évolution même de la structure de la ville n’a jamais été acceptée : c’est la neutralisation de la signification de l’espace qui a eu les effets les plus déstructurants et déstabilisateurs pour les habitants, bien plus que les transformations de détail du paysage, comme l’architecture.

A- Les apports européens au XIXe siècle : évolution rapide et profonde du

paysage tananarivien

En quelques décennies, les voyageurs ayant gagné la confiance des souverains (l’épisode de rejet des étrangers et de fermeture du pays sous la reine Ranavalona Ire de 1828 à 1863 mis à part) et les missionnaires anglais arrivés dans les années 1810 contribuent à modifier radicalement le paysage urbain, ainsi que les principes socio- politiques et religieux de la société merina (conversion officielle au christianisme de la reine Ranavalona II en 1869). Plusieurs innovations ont bouleversé la physionomie de la cité aux cases en bois blotties autour du Rova, contribuant à faire évoluer le paysage vers celui d’une vraie ville et à le rapprocher de celui des villes européennes : entre la Tananarive d’Andrianampoinimerina en 1810 et celle de Ranavalona III en 1896, l’évolution est saisissante.

1- L’introduction de la brique et l’essor urbain

Plusieurs missionnaires, à la fois architectes et artisans (charpentiers, maçons…) ont exercé une influence considérable sur les souverains de Tananarive et ont contribué à façonner la physionomie actuelle de la ville haute. Les plus célèbres sont l’Anglais James Cameron, arrivé à Tananarive en 1826, le Français Jean Laborde (qui n’est pas missionnaire), présent de 1832 à 1878, le charpentier Louis Gros arrivé au début des années 1820. James Sibree, Hastie, William Pool ont également laissé leur empreinte dans la capitale. Ces hommes ont gagné la confiance des souverains successifs, si bien qu’ils ont fait évoluer en profondeur l’architecture dans l’enceinte même du Rova : Louis Gros édifie le Tranovola (années 1820), Laborde construit le palais en bois de Manjakamiadana

(années 1840), tandis que James Cameron est à l’origine de la construction du revêtement en pierre de la façade (1869). Voir photos n° 5 et 6.

C’est véritablement la levée, en 1869, de l’interdit royal de construire en dur à l’intérieur de la vieille ville, délimitée par les fossés, qui a permis l’essor de l’architecture tananarivienne. Une frénésie de construction commence alors, qui allait modifier du tout au tout l’aspect de la ville haute. Alors qu’auparavant les constructions étaient toutes en végétal56, chaque famille disposant des fonds nécessaires entreprend alors la construction d’une maison en briques, réservant la pierre pour le tombeau, choix très révélateur de la hiérarchie des priorités dans la conception merina de l’existence (voir photo n° 9). La pierre a toutefois été utilisée pour les piliers extérieurs des maisons (cf. infra, 2). A l’extérieur du Rova, la physionomie de la ville change rapidement : de nombreux temples en pierres sont construits (le premier est inauguré en 1867 à Ambatonakanga). L’invention de J. Cameron, la brique locale, fabriquée à partir de la terre lourde des rizières de la plaine environnante, modifie radicalement les techniques de construction et démultiplie les possibilités de chacun. C’est J. Cameron qui a contribué à donner à Tananarive sa tonalité rouge, qui a particulièrement inspiré les poètes, lorsque le soleil déclinant fait flamboyer les façades. En quelques décennies seulement, la ville de bois devient ville de briques (les habitations) et de pierres (les tombeaux et les édifices religieux).

Parallèlement, le paysage des espaces périphériques, sur les collines environnantes, évolue. Les dignitaires de la Cour reçoivent des terrains en récompense des services rendus. Se constituent ainsi des propriétés en proche périphérie de la ville, en particulier au nord et au nord-est, souvent qualifiées de fiefs. Ces fiefs se composent d’une maison patricienne en terre ou en briques, d’un tombeau en pierre plus ou moins ouvragé, de dépendances pour les Andevo et d’une cour ceinte de grands murs en terre, les tamboho. Dans les quartiers d’Ankadifotsy, d’Anjanahary, d’Amboditsiry, d’Ivandry, de Manjakaray se multiplient ces vastes propriétés dont les vestiges subsistent aujourd’hui. (voir photos n° 7, n° 8 et n° 9)

2- L’apparition d’un nouveau style de construction, synthèse des éléments européen et merina

La présence missionnaire anglaise stimule la construction de logements. Se met alors en place le style de construction ultérieurement qualifié d’anglo-merina qui caractérise l’architecture du XIXe siècle. C’est le charpentier Louis Gros qui diffuse la

mode des maisons à étage pourvues de véranda, dans les années 1820-1830. Avec Jean Laborde, l’architecte du pouvoir durant une partie du XIXe siècle, et James Cameron, des

influences créole et indienne s’y adjoignent. J. Cameron lance le modèle de la maison à six pièces à Faravohitra, qui connaît un tel succès après 1868 qu’elle est reproduite quasiment à l’identique à des centaines d’exemplaires, couvrant notamment le côté occidental des collines et créant ainsi un paysage urbain unique de par son homogénéité et son originalité.

56 Les représentations iconographiques du milieu du XIXe siècle montrent une cité de cases de bois au toit de

Quatre éléments de base sont communs à ces maisons : un soubassement en pierre, une maçonnerie de briques enduites, une couverture de tuiles en écailles, et une varangue, ou véranda, à poteaux de briques. Ainsi, ce qui est désigné aujourd’hui sous le terme de « maison traditionnelle des hautes terres » est en fait le résultat d’un mélange entre de nombreuses influences, les principales étant européennes et merina. Cette greffe architecturale inédite réussit donc au-delà des espérances. Dans le domaine architectural, l’influence étrangère est totalement intégrée, apparaissant aujourd’hui comme un signe de création authentiquement merina. (voir photos n° 10 et n° 11)

Il est d’ailleurs étonnant de constater la vitalité des échanges architecturaux entre la ville et la campagne au cours du XIXe siècle : Louis Gros s’inspire à l’origine de la maison

merina traditionnelle, avec un corps de bâtiment à un étage et un toit à double pente57. Il y ajoute la véranda et l’escalier intérieur. La maison missionnaire s’agrémente ensuite de multiples transformations : spécialisation des pièces, piliers extérieurs carrés en briques cuites ou en pierres sculptées, balcons et balustrades ouvragés, toits à plusieurs pentes… Ce modèle de la maison patricienne, transformé par les architectes et artisans urbains, est ensuite rediffusé dans toutes les hautes terres, jusqu’au pays betsileo, dans le moindre bourg, à tel point qu’aujourd’hui encore on ne peut se sentir réellement dépaysé sur le plan paysager, même dans une localité très reculée. Le modèle de la maison urbaine a ainsi essaimé avec une vigueur étonnante, si bien qu’on peut parler de re-ruralisation du modèle architectural citadin58 (voir figure n° 3 et photo n° 85, chapitre VI).

Quant à l’habitat du plus grand nombre, il se caractérise alors par des maisons d’une pièce, en pisé avec un toit de chaume, type d’habitation qui existe encore aujourd’hui dans de nombreux quartiers de la ville. Des photographies datant de la fin du

XIXe siècle prises à Andohatapenaka (à l’ouest de la ville, au bord de l’Ikopa) montrent un

enchevêtrement de huttes de jonc et de masures en torchis au toit de chaume, et des pirogues qui circulent entre les habitations et la terre ferme : le paysage n’a guère changé depuis. (voir photos n° 12 et 13)

3- La christianisation du paysage urbain et des rapports sociaux

Le paysage urbain se couvre durant cette période de temples et d’églises, si nombreux qu’ils constituent aujourd’hui encore une curiosité dans la silhouette de la ville qui frappe tout nouvel arrivant, et contribuent à créer un réseau de signes visuels qui incitent l’Européen à se croire en terrain connu : Tananarive compte environ cent quarante clochers. Tous sont édifiés en pierre. F. Raison-Jourde souligne ainsi que ces constructions sont « des morceaux d’Angleterre implantés dans la capitale »59, tant la similitude architecturale est forte (voir photo n° 6).

L’explication de cette prolifération d’édifices religieux dans les trente dernières années du XIXe siècle tient aux particularités de la société tananarivienne et à ses rivalités

intestines. En effet, les différents groupes statutaires, Andriana et Hova, mais aussi les grandes familles internes à ces groupes, se livrent une concurrence acharnée pour édifier

57 La morphologie de la maison merina à un étage correspond à une réponse à l’insécurité qui a régné

durant plusieurs siècles sur les hautes terres : on accédait à l’étage par une échelle extérieure qu’on retirait ensuite.

58 Voir ACQUIER J-L., 1997, Architectures de Madagascar, Paris, p. 86.

un temple dans leur quartier et ainsi marquer leur présence sociale. Il y a donc dès le début une dimension spatiale de la question religieuse dans la ville haute, ce qui explique la grande proximité géographique de certaines églises : Ambohitantely et Ambavahadimitafo, ou bien les temples autour de la place d’Andohalo. Participer financièrement à la construction d’un temple, faire don du terrain sur lequel il sera érigé, et être pasteur deviennent ainsi « une manière nouvelle de se situer dans l’échelle sociale (…). Le déplacement des cultes sur la ville haute activait des solidarités de quartier, donc fréquemment de groupe ; (…) dans ces temples s’instaurait donc un système de patronage par quelques familles puissantes »60. On aura l’occasion de voir à quel point cette hiérarchie religieuse inscrite dans l’espace cultuel a perduré jusqu’à nos jours (chapitre

VIII, III ; voir aussi carte n° 28).

L’implantation du christianisme affecte également la connotation de l’espace dans la ville haute, et ébranle pour la première fois l’organisation ancienne. En effet, la carte traditionnelle de la valeur conférée à l’espace, selon l’orientation par rapport au Rova, se trouve partiellement neutralisée : Ranavalona II fait édifier le temple du palais au sud- ouest du Rova, direction connotée éminemment négativement ; l’une des quatre Memorial

churches consacrées au souvenir des premiers martyrs chrétiens est construite à

Ambohipotsy, à l’extrémité méridionale de la colline. Pour une fraction des Tananariviens qui adhère avec entière conviction au christianisme, la connotation de ces directions perd de son sens.

Par ailleurs, la christianisation de Tananarive a des répercussions considérables sur les rapports sociaux entre la ville et la campagne et sur les représentations des ruraux par les Tananariviens. Ainsi, F. Raison-Jourde analyse le mécanisme par lequel la diffusion de la nouvelle religion permet d’instaurer une hiérarchie entre la ville et la campagne, du fait que le christianisme a d’abord été à Madagascar une religion spécifiquement urbaine. Un nouveau type de rapports émerge entre ville et campagne, fondés sur l’idée d’une supériorité de la ville, celle-ci ayant un message à transmettre aux ruraux et étant investie d’une mission évangélisatrice. Se développe ainsi un discours qui marque pour la campagne la nécessité d’une aide extérieure, et l’affirmation d’une dépendance, d’une sujétion par rapport à la ville, dont les principaux thèmes sont les suivants :

Ville : Campagne :

Lumières Obscurité

Savoir Ignorance

Nouveauté Archaïsme Parents Enfants61

Dès le XIXe siècle sont ainsi scellées les relations de domination culturelle entre la

ville et la campagne, qui expliquent notamment la tradition de fréquentation des temples ruraux par les citadins62, ainsi que les représentations des Tananariviens envers les ruraux. La nature des rapports et des représentations entre les deux mondes n’a au fond guère évolué depuis un siècle. Les temples de Tananarive sont toujours, dans les représentations collectives, les « mères de temples ruraux »63 de l’Imerina.

60 Ibid., p. 345.

61 D’après RAISON-JOURDE F., 1991, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle, p. 392-393.

62 Voir chapitre IV. 63 Op. cit., p. 473.

Au total, à la fin du XIXe siècle, le paysage urbain des collines de Tananarive ne

devait plus connaître de mutation majeure. Les photographies de la fin du XIXe siècle de la

ville haute64 témoignent de la permanence de la « skyline » de Tananarive, qui n’a subi aucune altération majeure. Les quartiers d’Antsahatsiroa, d’Andohalo, d’Ambatovinaky, de Faravohitra, d’Ambohijatovo, d’Amparibe, d’Ambatonakanga… avaient déjà leur allure générale actuelle (voir photos n° 14 et n° 15).

L’architecture « traditionnelle » de Tananarive laisse ainsi le champ ouvert à l’imagination et aux comparaisons les plus inattendues : certains évoquent les vieilles villes malaises (la parenté culturelle étant manifeste), d’autres les villes mexicaines, péruviennes ou boliviennes. C’est dire si ce paysage urbain déroute tout à la fois, et fait appel à de subtiles réminiscences culturelles. C’est peut-être là la vocation d’une « architecture métisse »65, au carrefour de multiples influences, certaines très anciennes (austronésienne) et toutes très disparates géographiquement (anglaise, malaise, indienne, créole…). Il faut y ajouter la rencontre de ces influences culturelles avec des principes de construction merina et des contraintes climatiques66 et topographiques. Tout s’est conjugué à Tananarive pour produire une architecture unique et unanimement fascinante.

B- L’impact de la colonisation française (1895-1960) sur les paysages, les pratiques et les représentations de Tananarive

En quelques années, à partir de 1896 et sous l’impulsion française, l’aspect de Tananarive se modifie en profondeur. Les récits de l’époque et les documents iconographiques (cartes postales, photographies) témoignent de la rapidité et de l’ampleur de ces changements. Pour s’imprégner de la frénésie qui agite Tananarive durant ces premières années de la colonisation, la lecture du journal du général Gallieni s’avère une introduction stimulante67.

1- La mutation rapide du paysage urbain : différenciation et extension de la ville

Les grands travaux sous la colonisation

L’administration coloniale prend tout de suite conscience de la particularité du site de la ville et du parti qu’elle pourrait en tirer : il s'agit de promouvoir Tananarive au rang de « perle de l'Empire français », d'en faire une capitale superbe qui flatte la fierté de la France d’outre-mer.

Outre ces considérations esthétiques dictées par la recherche du prestige, les Français souhaitent, comme partout, imprimer leur marque urbaine, qui implique la notion d'un « espace urbain hiérarchisé (...), contrôlable (quadrillé, organisé, policé) et hygiéniste »68 ainsi que sa segmentation en quartiers commerciaux, administratifs, et résidentiels. Il s'agit de contrôler la ville en lui imposant une lisibilité de type occidental. Dans cette optique, de nombreuses réalisations sont effectuées, en particulier dans les années vingt et trente, qui entraînent de profondes mutations de la morphologie et du paysage urbains69 :

65 NATIVEL D., 2001, « Architecture et métissage en Imerina au XIXe siècle », communication à la Table

Ronde des 23 et 24 novembre 2001, Laboratoire SEDET, non publié.

66 Par exemple, le toit à double pente trouve son origine dans la forte pluviosité de la région (1 200 mm par

an).

67 Général GALLIENI, 1908, Neuf ans à Madagascar, Hachette, Paris, 372 p. 68 KIPRE P., 1988, p. 41.

69 Sur les transformations de Tananarive jusqu’aux années trente, voir ESOAVELOMANDROSO F., 1989,

« Discours colonial et transformations de l’espace urbain : Tananarive dans l’entre-deux guerres », Cahiers

- percement de voies carrossables pavées (35 km de voirie ouverts entre 1896 et 1903), aménagement de la route circulaire, sur laquelle le général Gallieni circule en bicyclette dès 1901 (elle est bouclée en 1924),

- creusement des tunnels sous les collines (1924 : tunnel Garbit vers Anosy, 1938 : tunnel d’Ambanidia vers les quartiers sud-est),

- aménagement de places à l'européenne (place de France à Antaninarenina, la Pergola), - aménagement de lieux récréatifs comme le théâtre de verdure, les jardins publics (Ambohijatovo, Andohalo), le lac Anosy. Les jardins publics, avec une pelouse et des parterres fleuris, abritent un kiosque à musique, une esplanade pour jouer aux boules… Sur le lac Anosy est construit un petit abri portuaire sur l’eau, recouvert de sable, en forme de pinces de crabe formant une plage, avec des bancs.

- construction de nombreux bâtiments d'architecture européenne, pour l’essentiel en briques : Lycée Gallieni sur la ville haute, Collège jésuite Saint-Michel au bord du lac Anosy, Ecole de Médecine, bâtiments administratifs comme la Résidence générale à Ambohitsorohitra70, de style Renaissance... Comme toutes les métropoles coloniales françaises, Tananarive est un champ privilégié d’expérimentations architecturales, surtout dans les années trente. Outre l’Avenue Fallières71, de nombreux bâtiments témoignent de cette période faste, comme le bâtiment des Postes à Analakely, l’immeuble du Printemps à Antaninarenina…, qui contribuent à donner un cachet nouveau à Tananarive, lui conférant par endroits comme un faux air de Casablanca. Voir photos n° 16, 17 et 18 .

- aménagement de la ville basse (cf. infra), où les Français procèdent à l'assèchement, puis au remblai du marécage situé au pied de la ville haute et moyenne, correspondant aujourd'hui aux quartiers d'Analakely, de Tsaralalana, d’Antsahavola et d’Antanimena. Ces travaux s'imposaient en raison de la croissance démographique de la ville : la conquête des terres inondables était devenue une nécessité. Les quartiers ainsi viabilisés sont dotés d'un plan en damier, ce au pied même de la vieille ville merina.

Par ailleurs, la période de la colonisation se caractérise par un essor urbain. De 1910 à 1960, avec une accélération du processus dans l'entre-deux guerres, l'urbanisation gagne les espaces vacants entre des villages satellites de l'agglomération, qui se retrouvent ensuite absorbés dans le tissu urbain. C'est le cas d'Ankadifotsy, d’Andravoahangy, d’Ampandrana, ou encore d’Anosipatrana. Corrélativement, la conquête de la plaine inondable se poursuit.

Les interdits coloniaux

Outre les travaux d'aménagement, qui visent à maîtriser l'espace urbain et à lui imposer le modèle occidental, les Français ont également édicté des interdits qui marquent le paysage urbain. Ainsi, à partir de 1926, les Malgaches n'ont plus le droit d'enterrer leurs morts à l'intérieur du périmètre urbain (délimité par la route circulaire), ce qui crée des réticences dues à leur attachement au tombeau familial. Cette décision a eu des répercussions importantes sur le rapport des habitants à la ville. En effet, certains tombeaux ayant dû être transférés en très proche périphérie, ces lieux sont devenus le nouveau tanindrazana, scellant ainsi l’attachement indéfectible à la ville. D’autres

70 Le bâtiment a servi ensuite de Présidence de la République sous la Ire République, puis a été abandonnée

par le Président Ratsiraka. En état de grand délabrement intérieur, il a été cédé à la Mairie d’Antananarivo dans les années quatre-vingt-dix. Le maire élu en 1999 a choisi de s’y installer et de réhabiliter les lieux.

resserrent les liens avec le tombeau ancestral sis à la campagne, revivifiant du même coup les relations entre la capitale et ses campagnes (voir chapitre IV).

Une fraction de la population, marginale toutefois, perd également à cette époque la coutume du tombeau, comme en témoigne l’essor du cimetière communal, situé en périphérie nord-est de la ville à Anjanahary, créé au tout début de la colonisation. Celui-ci est toutefois désigné par les Tananariviens par l’expression fasam-bahiny (le tombeau des étrangers) ou fasam-bazaha (le tombeau des blancs), ce qui montre bien que cette pratique d’enterrement demeure perçue comme étrangère.

La vieille ville épargnée ?

Délaissant le cœur historique de la ville, les Français se sont reportés sur l'espace le plus proche susceptible d'être ainsi aménagé. Le caractère escarpé du site incitait certes peu à se lancer dans de coûteux travaux, mais il y a également eu la volonté de laisser la ville merina telle quelle. Sans doute les Français n’ont-ils pas osé toucher ouvertement à

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