• Aucun résultat trouvé

Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une approche historiographique

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une approche historiographique"

Copied!
95
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-03139249

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03139249

Submitted on 11 Feb 2021

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

sahariennes du Maghreb : une approche

historiographique

Philippe Leveau

To cite this version:

Philippe Leveau. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une ap-proche historiographique. Guédon Stéphanie. La frontière méridionale du Maghreb et ses formes : approches croisées, Antiquité - Moyen Âge. 1 : [Colloque international La frontière méridionale du Maghreb et ses formes, essai de définitions, Antiquité - Moyen Âge à Pessac les 15-16 décembre 2016], 13, Ausonius, pp.19-106, 2018, Scripta receptoria, 978-2-35613-232-1. �hal-03139249�

(2)

La frontière méridionale

du Maghreb.

Approches croisées

(Antiquité-Moyen Âge), 1

(3)

en histoire romaine à l’université de Limoges

Illustration de couverture :

Lyon, G. F., A narrative of travels in

Northern Africa, in the years 1818, 19 and 20,

(4)

La frontière méridionale du Maghreb

Approches croisées

(Antiquité-Moyen Âge), 1

textes réunis par

Stéphanie Guédon

Ouvrage publié avec le concours de l’université de Limoges Programme Hubert Carien “Désert” (PHC Maghreb 16/MAG 18)

(5)

1, Ausonius Scripta Receptoria 13, Bordeaux.

Mots-clés :

Maghreb, Sahara, frontière, Antiquité, Moyen Âge

AUSONIUS

Maison de l’Archéologie F - 33607 Pessac cedex

http://ausoniuseditions.u-bordeaux-montaigne.fr

Directeur des Publications : Olivier Devillers Secrétaire des Publications : Nathalie Tran Graphisme de Couverture : Stéphanie Guionneau

Tous droits réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de l’éditeur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© AUSONIUS 2018 ISSN : 2427-4771 EAN : 9782356132321

Achevé d’imprimer sur les presses de Laplante

Parc d’activités Mérisud 3, impasse Jules Hetzel F - 33700 Mérignac

(6)

Remerciements 9 Stéphanie Guédon, Introduction. L’apport d’une étude diachronique

de la frontière méridionale du Maghreb 11

1. Le désert comme frontière, un tropisme géographique ? Philippe Leveau, Climat, sociétés et environnement aux marges

sahariennes du Maghreb : une approche historiographique 19 Dominique Valérian, Le Sahara et la Méditerranée, frontières du

Maghreb médiéval : approches comparées 107 2. Construire, revendiquer la frontière

Laurent Callegarin, Négocier la frontière : la fluctuation du limes

en Maurétanie tingitane 121 Michel Reddé, Il y a frontières et frontières... Les franges sahariennes

de Rome, de la mer Rouge à la Tripolitaine 139 Jean-Charles Ducène, Les frontières du Maghreb vues depuis la chancellerie

mamelouke (xiiie s.-xve s.) 161

Yann Dejugnat, Perception et statut de la frontière méridionale du Maghreb

dans le récit de voyage (riḥla) d’Ibn Baṭṭūṭa (milieu du xive siècle) 177 3. étude régionale : l’Algérie centrale : du Hodna à Biskra

Souad Slimani et Hanane Kherbouche, Les formes d’occupation

antique dans le Hodna : état des lieux 193 Nacéra Benseddik, Sidi Okba ou Thouda-Thabudeos : un nouveau milliaire 207 Mohamed Meouak, Biskra et ses oasis au Moyen Âge, marge aurésienne,

(7)
(8)

P. Leveau, in : La frontière méridionale du Maghreb, p. 19-106

Maghreb : une approche historiographique

Philippe Leveau

Introduction : géographie historique et sciences du climat

La connaissance des conditions climatiques qui régnaient sur les marges arides du Maghreb dans l’Antiquité et au Moyen Âge est de la compétence des disciplines du paléoenvironnement. Cependant s’agissant d’une région qui se trouve en bordure du plus grand désert du globe et où les conditions de vie des populations sont étroitement dépendantes des fluctuations du climat, elles revêtent une importance qui justifie la place que leur accordent les historiens et les archéologues. Il y a un siècle, S. Gsell concluait à partir des données dont il disposait – principalement les sources écrites –, qu’en Afrique les conditions climatiques de l’époque romaine présentaient de grandes similitudes avec celles qui régnaient sur cette rive de la

Méditerranée au début du xxe siècle. À peu près à la même époque, le géologue J. W. Gregory

tirait d’observations faites en Cyrénaïque des conclusions opposées à la thèse déterministe défendue alors par le géographe et écologue E. Huntington : recherchant une explication climatique de l’histoire humaine, celui-ci incluait Cyrène dans la liste des témoignages d’une diminution de la pluviosité qui aurait joué un rôle déterminant dans la chute de l’Empire

romain 1. Par la suite, l’idée d’une stabilité générale des conditions climatiques a été défendue

jusque dans les dernières décennies du xxe siècle par G. Barker et D. D. Gilberston à l’issue des

études pluridisciplinaires qu’ils ont conduites dans le prédésert de Tripolitaine en Libye 2. De

son côté, faisant un bilan des opinions de ses collègues, l’écologue H. N. Le Houérou soulignait

l’unanimité de celle maintes fois reprise selon laquelle “l’homme fait le désert” 3.

L’abandon de l’hypothèse de changements drastiques du climat qui seraient à l’origine du déclin des activités agricoles et de l’essor d’un pastoralisme nomade ne met pourtant pas un terme aux interrogations des historiens sur le rôle de ce facteur dans les changements environnementaux. Ainsi, s’interrogeant sur la possibilité de localiser un paysage forestier décrit par Corippe, Y. Modéran repose la question dans les termes suivants : “La thèse d’une identité absolue des conditions climatiques et végétatives entre notre époque et celle de Corippe, malgré tout ce qui en est dit, demeure à notre sens plus un postulat qu’une vérité

1 Huntington 1917, 181.

2 Barker 1996, 345-346 ; Gilbertson 1996.

(9)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

scientifiquement prouvée” 4. Mais surtout, le débat est relancé depuis une vingtaine d’années

au moins par les sciences de l’environnement, géologie, écologie, géomorphologie et physique de l’atmosphère, qui, grâce à de nouveaux outils de datation et d’analyses, mettent en évidence l’importance et les conséquences des variations des climats de la terre durant les trois derniers millénaires. Stimulées par les inquiétudes suscitées par les perspectives d’un réchauffement majeur du climat, les nouvelles sciences du climat relancent le débat sur son rôle dans l’histoire des sociétés.

Dans ces conditions, l’historien et l’archéologue qui désirent connaître les conditions environnementales dans lesquelles ont vécu les sociétés antiques et médiévales sur les marges du Maghreb se heurtent à des difficultés de nature plus épistémologique que factuelle. À celles qui sont imputables à l’étroite relation que la question entretient avec les outils d’analyses et les géosciences de l’environnement s’ajoute la dimension idéologique prise par le débat. En 1970, A. Laraoui à qui l’on doit une mise en question de l’historiographie du Maghreb posée en des termes qui restent actuels, ouvrait le chapitre consacré à “la recherche des origines” en énumérant deux questions où se mêlaient science et idéologie : celle d’un changement dans le climat du nord de l’Afrique et celle de l’origine des Berbères, de leur

langue et de leur culture 5. S’agissant de la première, celle qui nous occupe ici, il soulignait la

dimension idéologique de la formulation qu’en donnait S. Gsell. “Il s’agit de savoir”, écrivait-il, “si [la] prospérité [de l’Afrique romaine] a eu pour cause principale un climat plus favorable à la culture que le climat d’aujourd’hui ou si elle a été surtout l’œuvre de l’intelligence et de l’énergie des hommes ; si nous devons nous borner à regretter un passé qui ne revivra plus ou

lui demander au contraire des leçons utiles au temps présent” 6. En cela il se montrait moins

catégorique que L. R. du Coudray de La Blanchère qui, bien des années plus tôt, affirmait que “la prospérité de l’Afrique ne fut pas une question de météorologie ; elle était le prix du

travail” 7.

Cette citation d’un historien dont les travaux sont unanimement salués pour leur qualité mettait en évidence le péché originel d’un siècle d’études savantes. Les descriptions du milieu physique, relief et climat, que nous utilisons ont été faites par des géographes et des historiens dans un contexte culturel où la colonisation était vue au mieux comme une mission civilisatrice, au pire comme une revanche à l’humiliation de la défaite contre la

Prusse. En France, à la fin du xixe siècle, “l’accoucheur [de l’histoire coloniale savante]… n’est

pas un historien, mais un géographe, Marcel Dubois”,et qui plus est un géographe nationaliste

antidreyfusard 8. On doit en effet à sa génération la formulation en termes de science du

thème de la malédiction que le milieu aurait fait peser sur les sociétés nord-africaines. Une succession d’invasions venues du désert aurait ruiné les quelques constructions étatiques que l’Afrique du Nord aurait connues et la colonisation française lui aurait rendu la prospérité qu’elle aurait connue à l’époque romaine quand les influences méditerranéennes l’emportaient sur celles du désert.

4 Modéran 2003, 73, 112.

5 Laraoui 1970, 22.

6 Gsell 1913, 40.

7 Coudray de La Blanchère 1883.

(10)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

L’objectif poursuivi dans ce texte est d’essayer de montrer qu’il s’agit du côté des géographes et des climatologues d’un problème d’histoire des sciences et du côté des historiens d’un problème idéologique. Pour en rendre compte, il fallait d’abord faire l’historique des savoirs auxquels les historiens de l’Antiquité pouvaient avoir recours lorsqu’ils cherchaient à connaître les possibilités offertes par le milieu géographique maghrébin. J’ai donc tenté de rendre compte du poids de la situation coloniale dans laquelle s’étaient constitués les savoirs

des géographes et des historiens 9. À cet effet, j’ai adopté la “posture historiographique, mixte

d’épistémologie et d’histoire au second degré” qui s’est imposée en “réponse à l’abandon

des grands paradigmes des années soixante” 10. La voie d’une histoire en situation coloniale

ouverte par les géographes privilégiait l’approche historiographique d’une “production plus

subtile, plus riche et plus complexe qu’on ne le croit généralement” 11. Il était important pour

un historien de l’Afrique romaine de savoir ce qui pouvait être retenu dans les travaux des

géographes français du xxe siècle. C’était en particulier le préalable à l’approfondissement

d’une réflexion déjà largement développée à propos des marges arides du Maghreb

oriental 12. Il fallait l’étendre aux régions occidentales de l’Afrique du Nord, moins étudiées et

aux marges désertiques des Maurétanies Césarienne et Tingitane pour éclairer les relations entre le pouvoir romain et la société tribale de ces territoires.

Les milieux actuels et leur mode d’exploitation

Avant d’aborder les conditions historiques qui ont présidé à la constitution des savoirs et de m’intéresser plus particulièrement aux approches qui en ont résulté pour les marges arides, il était indispensable de présenter les données physiques, climat et relief, dont le poids a servi à justifier la malédiction qui a pesé sur l’Afrique et son corollaire, ce “miracle romain”, cher aux historiens français de la romanité africaine. Le poids qu’elle exerce sur le

nomadisme pastoral en fait un préalable incontournable 13.

Le relief et ses incidences sur les modes d’exploitation des terres arides (fig. 1) Le nord de l’Afrique est une zone de hautes terres dont le nivellement donnerait les altitudes moyennes de 900 m pour le Maroc, 800 m pour l’Algérie et 400 m pour la Tunisie. Cette caractéristique a une forte incidence sur les conditions climatiques. La formation d’un système montagneux qui s’allonge d’ouest en est sur 2400 km parallèlement à la mer est la conséquence de la migration vers le nord de la plaque africaine et de son affrontement avec la plaque européenne. Il en résulte une division tripartie du Maghreb. Les géographes y distinguent deux chaînes allongées constituant des barrières s’opposant à la circulation nord-sud, l’Atlas tellien au nord et l’Atlas saharien au sud, qui encadrent de Hautes Plaines. L’Atlas saharien, qui à la différence de l’Atlas tellien forme un obstacle discontinu, les sépare de la plateforme saharienne. Il juxtapose des massifs d’orientation sud-ouest/nord-est dont

9 Deprest 2009 ; Clerc 2014.

10 Hartog 2001, 14.

11 Dulucq & Zytnicki 2003, 3. 12 Hitchner 2016 ; Mattingly 2016.

(11)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

Fig . 1. Loc alisation des pr incipales unit és ph ysiques de l’ Alg ér ie ( Côt e 1 988, 33 7).

(12)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

l’altitude croît d’ouest en est pour culminer dans l’Aurès à 2000 m et plus. Entre les deux chaînes atlasiques, de part et d’autre du Hodna, s’interposent à l’ouest les Hautes Plaines algéro-marocaines dont l’altitude avoisine 1200 m et à l’est les Hautes Plaines du Constantinois d’altitude inférieure (700 m). La transition entre l’Atlas et la plate-forme saharienne qu’il domine est soulignée par une zone déprimée s’allongeant d’est en ouest du chott Djerid vers le chott Melghir à une altitude négative de -40 m que l’oued Djedi prolonge au-delà vers l’ouest. À l’est, entre l’Aurès et le Grand Erg oriental, dans le Sahara constantinois, le fond de la cuvette est occupé par des chotts. À l’ouest, le Sahara oranais s’abaisse progressivement vers le sud-ouest, sous l’Erg occidental, jusqu’à la vallée de la Saoura. Entre les deux, la région des daïas qui s’étend entre l’Atlas saharien et le Mzab, Laghouat et Ghardaïa, sépare le Zergoun à l’ouest et le bord de la cuvette de l’oued Rir à l’est. Ces daïas sont des dépressions au centre desquelles les eaux de pluie forment des mares où les troupeaux peuvent s’abreuver et où pousse une herbe de qualité. Les nomades y séjournent en hiver et au printemps.

Dans un article consacré aux zones arides de l’Algérie, J. Despois a mis en évidence l’effet de la topographie sur le réseau hydrographique selon que les cours d’eau qu’alimentent les eaux tombées sur les massifs atlasiques coulent vers la mer ou vers le Sahara, et ses conséquences sur la potentialité agricole. À l’ouest du massif calcaire du Moyen Atlas qui sépare le Maroc de l’Algérie, les Hautes Plaines algéro-marocaines qui se prolongent sur 700 km en Algérie occidentale, de la Dahra marocaine jusqu’au Hodna, sont drainées vers le nord et la mer. Pour des raisons hydrogéologiques, les sources y sont rares et leurs débits généralement faibles. À l’est au contraire, grâce à la faible altitude des niveaux de base locaux, le piémont Saharien bénéficie de l’apport des oueds qui descendent des Monts du Hodna, de l’Aurès et des Némencha ainsi que d’une partie de celles tombées sur les Hautes Plaines telliennes. Ces conditions qui assurent l’interdépendance humaine entre les habitants des montagnes et ceux de la frange saharienne se répètent en Tripolitaine, où le djebel Nefousa forme un arc de cercle de 190 km entre la plaine littorale de la Djeffara et la région dite des Oueds. Au sud de ce massif qui culmine à 968 m et reçoit 300 mm dans ses parties hautes, la pluviosité annuelle décroît rapidement de 200 mm à moins de 25 mm. Mais les apports des oueds Sofegin, Zem Zem et Kébir et ceux de leurs affluents ont assuré une vie agricole sur le versant saharien.

La division des Hautes Plaines en deux parties a servi à justifier une relation entre le

limes et une supposée “frontière climatique” que J. Despois a illustrée par une carte qui a

été reproduite par les historiens 14. Les grands oueds qui traversent en cluse les vastes plis

des massifs de l’Atlas saharien ont un débit et un régime en grande partie méditerranéens. Parvenues sur les piémonts, leurs crues d’automne et de printemps s’étalent largement dans les chenaux de faible pente qui parcourent des cônes de déjection aplatis. Parvenues dans des zones d’épandage, les eaux sont captées pour l’irrigation des cultures. La géologie apporte sa contribution : dans les massifs de l’Atlas saharien, les calcaires et les grès stockent des nappes qui alimentent un chapelet de sources sur les piémonts. Les sols approvisionnés

14 Despois 1942. Cette étude est une référence majeure. La carte qui l’illustre a été reproduite par C. R. Whittaker 1978, et par Trousset 1986, 93, fig. 1. Cf. infra p. 81-82.

(13)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

régulièrement en éléments fertilisants (limons) ont une bonne capacité de stockage de l’eau. La céréaliculture y est pratiquée. Mais ils peuvent aussi être propices à l’arboriculture et à l’horticulture.

Dans ces conditions, les écoulements superficiels épisodiques des oueds ont moins d’importance pour les populations de ces steppes que les écoulements par inféroflux qui persistent durant les longues périodes de sécheresse. Leur qualification impropre de “cours d’eau souterrains”, qu’explique leur disparition dans certaines sections de leur vallée, vient de ce qu’en dehors des périodes de crues, les eaux filtrent au travers des cailloutis, des limons et des sables qui en ont envahi les lits. Elles circulent sous les lits des anciens cours de rivières descendant de l’Atlas saharien et approvisionnent des nappes souterraines que l’on atteint par des puits. Dans certains secteurs, leur concentration nourrit des sources assurant une irrigation permanente. Dans ces conditions, les communautés rurales des steppes et des marges sahariennes ont mis au point des techniques adaptées qui font “mentir les isohyètes

en jouant de l’effet d’impluvium de la topographie” 15. Elles expliquent le caractère relatif

de la relation avec les isohyètes que l’on utilise pour définir les limites méridionales d’un “Maghreb utile” : 400 mm pour la culture des céréales et 200 mm pour celle de l’olivier (fig. 2). Les limites imposées aux cultures par les précipitations annuelles valent pour une agriculture commerciale, celle que la colonisation française a développée. Mais cette “tyrannie des isohyètes” ne s’applique pas avec la même rigueur aux agricultures traditionnelles. Des archéologues israéliens qui ont étudié les systèmes agricoles du nord du désert de Néguev ont montré qu’à l’âge du Fer la densité des sites était plus élevée dans les

15 Trousset 1986, 95. 

Fig. 2. Les grandes zones naturelles (Despois 1949, 100, fig. 15). À partir des précipitations et des écoulements, J. Despois distingue des régions où la pluviosité annuelle est supérieure à 400 mm (1) et des régions où elle est inférieure à 200 mm (2). Trois lignes délimitent les zones d’écoulement vers la mer ou vers les bassins intérieurs (3), le nord du versant saharien (4), la steppe à alfa (5 : limites nord et sud).

(14)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

parties rocheuses des montagnes que dans les plaines, alors que les précipitations annuelles moyennes n’y sont que de 76 à 95 mm au lieu de 140-180 mm. Contrairement à ce que l’on pensait, des affleurements rocheux massifs peuvent avoir un rôle positif sur l’efficacité du ruissellement pour pallier à l’aridité du milieu désertique alors qu’inversement la couverture végétale du sol contiguë l’augmente. Ce constat a des implications sur la compréhension de l’aridité et la classification de son degré dans une zone donnée. Les indices climatiques qui le définissent habituellement ne tiennent compte que de variables météorologiques telles que la température, les précipitations, l’évaporation en ignorant complètement l’effet des

propriétés de surface sur l’aridité de l’environnement 16.

Ces conditions rendent compte de l’existence de villages sédentaires dans les montagnes mieux arrosées et sur les piémonts. Ces villages fortifiés, les ksour dont le nom a servi à nommer le massif que le djebel Amour prolonge vers l’est, sont souvent implantés sur les voies de transhumance. Mais ils doivent leur existence à l’exploitation de ressources hydrauliques locales captées pour  les cultures. Leurs habitants, les “ksouriens”, cultivent principalement des arbres fruitiers et des légumes dans des jardins irrigués et, si les eaux sont assez abondantes, des céréales d’hiver, de l’orge et du blé dur. M. Côte en a donné une illustration valable pour tous les massifs de l’Atlas saharien avec le cas des jardins du village perché de T’kout dans l’Aurès, à 1200 m d’altitude. L’habitat villageois s’est fixé autour d’une grosse source au pied d’une crête. Un réseau de séguias en éventail épousant la topographie assure l’irrigation de cultures intensives très soignées, à dominante de vergers dans la partie haute, de maraîchage dans la partie basse. Le finage associe aux jardins des terres céréalières au nord, des parcours d’estivage en altitude, des palmiers sur le piémont saharien (fig. 3).

Le succès de l’olivier est évidemment dû aux caractéristiques écologiques d’une plante, qui, adaptée au climat méditerranéen, peut être cultivée dans les régions steppiques. En zone

subdésertique, pour un hectare, il ne demande que 2000 à 2500 m3 en arrosage saisonnier

d’appoint, alors que l’irrigation d’un hectare de céréales demande de 4000 à 6000 m3. Le

palmier dattier est beaucoup plus exigeant en eau ; il demande un arrosage permanent et

consomme 18 à 26 000 m3 à l’hectare 17. Aussi les paysans ont-ils mis au point des techniques

d’optimisation des eaux pluviales locales qui ont en commun d’empêcher le ruissellement et de les contraindre à s’infiltrer ou de les canaliser vers les basses terres pour les concentrer. En Tunisie, elles sont connues sous les noms de tabia – une surévaluation de terres –, de jessour retenant l’eau et les sols et de meskat, des casiers formés de rangées de pierre disposées sur

un versant 18. Dans le Sous oriental marocain, c’est l’irrigation faïd qui consiste à pallier à

la pénurie en concentrant les eaux superficielles sur la section d’un glacis la plus apte à la

culture 19.

Ce sont les mêmes techniques qui furent utilisées dans l’Antiquité en Cyrénaïque où Strabon décrivait une succession de deux bandes précédant le désert, l’une portant des

16 Yair 1983.

17 À quantité d’eau disponible égale, son développement est lié à une réduction des surfaces cultivées. Il s’accomode mieux du système pastoral que l’olivier.

18 Trousset 1986, 101. Corripe, Johannide, 3, v. 145-151 : des cultivateurs prévoyant un orage font des levées de terre pour retenir les eaux.

(15)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

arbres et l’autre semée en céréales. J. W. Gregory qui visita en 1908 cette région où la pluviosité annuelle est de l’ordre de 270 à 280 mm avait observé sur le plateau de Barca les vestiges de champs en terrasses, de canaux d’irrigation, de puits et d’aqueducs répartissant les eaux

(16)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

captées dans des barrages-réservoirs 20. Des aménagements de ce type ont été reconnus et

décrits plus à l’ouest en Tripolitaine sous le nom de Walls and Floodwater Farming par une équipe archéologique britannique pluridisciplinaire qui a prospecté dans les années 1979-1989 le prédésert au sud-est du djebel Nefousa dans l’arrière-pays des villes romaines littorales de Sabratha, Tripoli et Lepcis Magna. Les “fermiers du désert” transformèrent en terrasses les lits des oueds Sofeggin, Zem Zem et de leurs affluents et barrèrent les oueds pour alimenter

les nappes 21. En Algérie, sur le piémont sud de l’Aurès, J. Baradez a identifié sur des photos

aériennes un parcellaire caractéristique donnant des formes en éventail, en écheveau ou en queue de cheval : des murets épais d’un mètre échelonnés tous les 30 m qui délimitaient des “planches inondables” retenaient les terres et forçaient l’eau à s’infiltrer. Des cuvettes naturelles avaient été aménagées en bassins réservoirs et d’autres compartimentées par des levées de terre. Des barrages élevés aux étranglements des oueds sur des seuils rocheux et des canaux d’adduction branchés sur eux permettaient l’irrigation des basses terrasses des vallées. La datation précise de ces aménagements est rarement assurée. Mais les irrigations et les parcelles modernes se distinguent nettement des plus anciennes par leur position, leur maillage et leurs formes. On reconnaît dans ce paysage la description par Procope de

la plaine de Baghaï au pied de l’Aurès 22. Comme l’explique M. Meouak à propos du Hodna

occidental à l’époque médiévale, une étude de terrain montrerait très certainement que les

irrigations décrites par J. Baradez s’inscrivent dans la longue durée 23.

En fonction de la géologie, on a reconnu un second système, celui des foggaras qui a permis de développer une agriculture en milieu désertique. Une galerie de captage creusée à l’horizontale draine une nappe aquifère, ce qui en fait une “mine d’eau”. Cette technique commune à l’ensemble des déserts, prédéserts et zones steppiques d’Eurasie et d’Afrique est connue sous des noms différents  : khettaras au Maroc, qanât et falaj en Iran et Oman,

karez dans le Xinjiang 24. Sur la base de sources écrites, on admet qu’elle a été introduite

dans les oasis sahariennes seulement au xie siècle par les Arabes à partir d’un foyer iranien.

En réalité, la technique est universelle. Une tradition africaine de construction de ces ouvrages hydrauliques est bien attestée au Fezzan par la civilisation garamante apparue aux environs de 900 a.C. dans le désert libyen où une moyenne pluviométrique annuelle inférieure à 10 mm interdit toute forme d’agriculture non irriguée et où plusieurs années

peuvent se passer sans la moindre averse 25. Dans ce cas, une galerie drainante capte des

nappes profondes dont certaines sont héritées de la période pluviale de l’Holocène ancien. La conjonction des études hydrogéologiques et archéobotaniques permet de reconstituer les efforts des agriculteurs sahariens pour assurer l’irrigation de leurs champs et de leurs jardins

et pour leur apporter les fumiers, ordures et restes végétaux qui en assuraient la fertilité 26.

20 Gregory 1916. 21 Barker 1996.

22 Procope, Guerre Vandale, 4.19.11-14 ; Janon 1980.

23 Meouak 2009a ; inventaire à partir des sources écrites dans Meouak 2009b. 24 Leveau 2015a ; Angelakis et al. 2016.

25 Wilson 2009. 26 Pelling 2013.

(17)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

Faut-il pour autant faire des techniques d’utilisation de l’eau décrites la caractéristique d’une “civilisation rurale présaharienne” fondée sur les modes de gestion de l’eau, que X. de Planhol associait aux montagnes bordières de la zone aride de l’Ancien Monde ? R. Capot-Rey a consacré un précieux chapitre au paradoxe de la culture au désert qu’il décrit comme

un genre de vie qui, à la différence du nomadisme pastoral, s’oppose au sol et au climat 27.

Ce sont en fait deux variantes des nombreuses tentatives faites pour caractériser une civilisation par un mode de gestion de l’eau, alors qu’il s’agit simplement de la condition de l’existence en milieu aride de sociétés qui ont atteint un haut degré de développement dont

au Sahara les Garamantes donnent le meilleur exemple africain connu 28. Mais, comme le

soulignait P. Trousset, reconnaître dans ces zones une “civilisation” qui se distinguerait de celle du reste de l’Afrique du Nord restaurerait “la dichotomie trop simpliste entre Tell et Sahara dérivée d’une appréciation européenne des possibilités de mise en exploitation de ces aires respectives, l’opposition trop classique sur une ligne d’affrontement, entre nomades et sédentaires, qui passait pour donner la clé des vicissitudes historiques du Maghreb dans un scénario de catastrophe”. Il relève à juste titre que ces schémas avaient déjà été rejetés par

Y. Lacoste et R. I. Lawless 29.

Les conditions climatiques et leur impact sur les activités agricoles et pastorales 30

Le climat du Maghreb 31

La zone qui nous intéresse ici appartient à la zone supratropicale à la charnière entre les deux zones climatiques tempérée et intertropicale. Cela a pour effet que le régime des pluies est d’un type particulier. Alors qu’en fonction des variations saisonnières de la circulation atmosphérique générale, l’été est partout une saison humide, dans ce cas “les deux influences désertiques en été et du front polaire en hiver se conjuguent pour créer un régime de pluie de saison froide”, dit “subtropical méditerranéen” qui se prolonge vers le

sud en “subtropical steppique” 32 (fig. 4). Cette spécificité est due à la subsidence verticale

imposée par la circulation atmosphérique. De hautes pressions anticycloniques sont centrées sur la zone intertropicale saharienne. L’été, elles remontent et repoussent vers le nord les dépressions océaniques. L’hiver, le dispositif des hautes pressions anticycloniques de la zone intertropicale s’affaiblit. La circulation se renforce sur l’hémisphère nord et les trajectoires cycloniques se déplacent vers le sud, ce qui permet aux dépressions chargées d’humidité d’atteindre les parties sud du Maghreb et d’arroser les massifs de l’Atlas saharien.

27 Capot-Rey 1953, 302-365. 28 Mattingly 2003-2013 et 2016.

29 Trousset 1986, 91 renvoyant à Lacoste 1980, 92-93, et à Lawless 1972a et b.

30 Je remercie pour leur écoute et les corrections qu’ils m’ont suggérées mes collègues géomorphologues et climatologues, J. Guiot et C. Morhange (CEREGE, Aix-en-Provence), J.-P. Chabin (Centre de Recherches de Climatologie, Université de Bourgogne) et A. Oueslati (Université de Gabès).

31 La notion de climat est moderne. Il n’existe pas de mot qui en latin traduise notre concept de climat. E. de Saint-Denis traduit l’expression “uarium caeli praediscere morem” employée par Virgile (Géorgiques, 1.51), par “le climat qui varie d’un ciel à l’autre” ; le climat régional se traduirait par regionis conditio. 32 Hufty 2001, 343.

(18)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

Dans une climatologie géographique établie empiriquement au xixe siècle, le Maghreb

est rangé dans les climats méditerranéens à partir des données physiques – températures et

précipitations 33 –, observées sur une période d’une durée conventionnelle d’une trentaine

d’années. L’alternance d’une saison estivale chaude et sèche et d’une saison hivernale plus fraîche et humide a pour effet une végétation adaptée. Sur la rive sud de la Méditerranée, le climat méditerranéen “vrai” est limité aux régions littorales. Il demeure perceptible par certains de ses caractères sur une lanière large d’environ 3 à 4° en latitude, soit 300 à 400 km. Mais il se dégrade progressivement vers le sud. La durée de la saison sèche augmente à mesure que l’on s’approche du désert zonal où l’aridité s’explique par la présence quasi permanente des hautes pressions sahariennes : de l’ordre de quatre mois dans les latitudes

les plus basses, elle dure neuf mois dans les plus hautes 34. Progressivement, on passe à un

climat steppique dit de type méditerranéen à pluies d’hiver pour le distinguer de variantes déterminées par la circulation des masses d’air. Ainsi en Afrique sud-saharienne, dans le nord du Sahel, les pluies tombent l’été. Ce phénomène était perçu des auteurs de l’Antiquité. Strabon rapporte que la pluie tomberait en abondance l’été chez les Pharusiens et les Nigètes, alors que la sécheresse régnerait en hiver. Ne sachant pas expliquer un phénomène qui l’étonnait, il le signale sans se porter garant d’un fait alors sujet à polémiques : le “on-dit”

auquel il recourt renvoie à des spéculations sur l’origine maurousienne du Nil 35. Mais, pour

nous, c’est la preuve que des voyageurs avaient traversé le Sahara et atteint le Sahel 36.

Les précipitations sont concentrées sur un petit nombre de jours. Ainsi dans le Souss marocain, 60% d’entre elles tombent en 4 à 10 jours et le reste se répartit sur une vingtaine de jours. Elles sont séparées par de longues périodes de sécheresses qui peuvent durer

33 Hufty 2001, 372-373. L’indice le plus utilisé pour l’Afrique est le coefficient pluvio-thermique de Louis Emberger (1955).

34 Vigneau 2000, 230.

35 Strab., Géographie, 17.3.7 ; Gsell 1913, 87, n. 2.

36 Desanges 1980, 346-349 ; Desanges 1986, 32.

Fig. 4. La zone climatique intertropicale : climat méditerranéen vrai (blanc) : zones semi arides (gris clair), arides (gris foncé) et hyperarides (noir) (d’après Vigneau 2000, 182).

(19)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

plusieurs mois. Djelfa qui reçoit une moyenne de l’ordre de 318 mm de précipitations n’en a reçu que 90 mm en 1913, alors qu’en 1983 la tranche d’eau s’est élevée au chiffre considérable de 775 mm. Au manque d’eau et à l’irrégularité des précipitations s’ajoutent les effets de la continentalité et de l’altitude qui, l’hiver, y abaisse les températures à des moyennes se situant entre 0 et 5°C. Il y gèle plus de 50 jours par an. L’été, celles-ci s’élèvent à des moyennes comprises entre 30° et 40°C. Des vents secs et chargés de poussières qui soufflent depuis le Sahara jusqu’au littoral, le chergui au Maroc, le sirocco en Algérie, le chehili en Tunisie font monter la température jusqu’à 50° et accentuent la sécheresse.

Par rapport à d’autres régions jouissant d’un climat de type méditerranéen, la rive sud de la Méditerranée eurafricaine présente des caractéristiques climatiques propres liées à deux faits majeurs : le relief et la présence d’une masse d’eau qui, pénétrant profondément de 3 000 km vers l’est dans la masse continentale, permet aux masses d’air instables de se

recharger en humidité à la faveur de la température élevée des eaux de surface 37. Les hautes

montagnes de l’Atlas marocain exposées aux dépressions circulant d’ouest en est bénéficient des maximums pluviométriques. Les dépressions se chargent en humidité en passant au-dessus de la mer et arrosent les massifs du Maghreb oriental. Au sud, les massifs de l’Atlas saharien souffrent d’un déficit pluviométrique moindre que les steppes qu’ils dominent. Sur les Hautes Plaines et dans les massifs montagneux des marges sud du Maghreb où règne un climat continental aride, la vie rurale est conditionnée par la quantité d’eau disponible pour

les cultures.. En fonction des précipitations, on y distingue deux variantes : l’une semi-aride

sur les Hautes Plaines du Constantinois et les chaînes atlasiques orientales, l’autre aride dans les Hautes Plaines algéro-marocaines moins arrosées. Jusqu’à une tranche annuelle minimale de 400 mm qui caractérise la zone méditerranéenne, sont encore possibles en particulier les céréales d’hiver et les cultures arbustives moins exigeantes en eau (vigne, olivier, figuier). Si l’on veut en pratiquer d’autres durant l’été, il faut répéter des irrigations durant 3 à 5 mois. En dessous de 400 mm et souvent de 300 mm (climat semi-aride ou aride), la culture des céréales est aléatoire en l’absence d’irrigation. L’olivier et le figuier peuvent continuer à croître lorsque les sols sont assez meubles et profonds. Mais en dessous de 250 à 200 mm, la culture sans irrigation est impossible, sauf si la mer apporte de l’humidité comme dans le Sahel tunisien. Les montagnes reçoivent des précipitations plus abondantes. Au sud et en Tripolitaine règne un climat prédésertique caractérisé par une quasi-absence de pluies : moins de 100 mm/an.

Changement climatique et/ou fluctuations. Un état de la question

Les caractéristiques climatiques qui ont été présentées sont celles qu’ont décrit au siècle dernier les géographes que nous, historiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, utilisons. La question qui nous occupe ici est de savoir si nous pouvons continuer à le faire au début

du xxie siècle alors que, comme nous allons le voir, la climatologie a connu une profonde

évolution durant les dernières décennies et met en évidence la grande variabilité du climat. La réponse peut paraître simple et négative. En effet si nous comparons l’Antiquité aux périodes contemporaine et actuelle, nous sommes assurés que le climat a changé. Les auteurs d’un

(20)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

bilan récent expliquent qu’au début du ier millénaire, durant la période impériale romaine, le

climat de l’espace méditerranéen était plus chaud et sec qu’auparavant, mais moins chaud et

plus humide qu’au xxe siècle. En revanche, leurs études établissent que l’évolution n’est pas

linéaire. Un net refroidissement s’était amorcé à la fin du ive s. p.C. Le dernier millénaire est

la période sur laquelle la documentation est la plus importante. Il débute par une période

chaude, dite conventionnellement “Optimum médiéval” 38: au xiie siècle, les températures

évaluées étaient proches de celles observées au xxe siècle avant 1990. Après 1200, la tendance

globale a été une diminution des températures qui s’est aggravée autour de 1300. Cependant,

le xive siècle a correspondu à un palier avant que le refroidissement s’accélère durant le

Petit Âge glaciaire pour atteindre un maximum au début du xviie siècle : les températures

minimales étaient d’environ 0,7° inférieures à la moyenne de 1961-1990 39. Par ailleurs, à

cette trop rapide évocation, il faut ajouter les observations des climatologues qui, à partir de données statistiques, ont mis en évidence des différences d’évolution entre le nord et le sud de la Méditerranée ainsi qu’entre l’est et l’ouest. Ainsi, des reconstructions climatiques établissant une forte diminution des précipitations de juillet dans le sud de la France vers 2500 BP ont confirmé l’hypothèse d’une amplification forte du caractère méditerranéen du

climat dans le sud de l’Europe 40.

Ces travaux démontrent la grande variabilité du climat à l’échelle régionale et multicentenale. Mais pour la caractériser, on ne peut pas utiliser le terme de “changement climatique” qui s’applique à un changement d’amplitude majeur intervenu durant une période de l’ordre du siècle sur un espace étendu, excédant l’échelle régionale. Les notions de seuil statistique et d’échelle sont en effet essentielles pour qualifier les variations observées. Ainsi des évènements catastrophiques seront considérés comme relevant de la

variabilité interannuelle et rangés parmi les “bruits statistiques” 41. Quand on passe à l’échelle

de la décennie, on parle de fluctuations. Deux études permettent de les appréhender dans les régions sud du Maghreb à l’époque contemporaine. Selon une recherche que cite M. Rouvillois-Brigol, dans la région saharienne, la période 1900-1920 correspondrait à une phase sèche suivie de 1920 à 1950 par une période de stabilité, marquée cependant par une

aridité plus grande qu’au xviiie et au xixe siècle. La période précédente (1870-1900) aurait

été plus humide 42. Cela recoupe les résultats d’une très remarquable étude de climatologie

historique que J.-P. Chabin a conduite dans la région algérienne des Némencha (35° de

latitude nord) 43. Pour saisir les oscillations du climat sur une période de 130 ans, entre

1850 et 1980, il s’est appuyé sur deux types de sources écrites : les archives militaires pour la période 1852-1911 et les relevés météorologiques de la station de Tébessa pour la période 1925-1926/1961-1962, qu’il a complétés par une enquête directe. À une échelle inférieure au

38 La conviction que le climat commande l’histoire des sociétés explique un vocabulaire traduisant un jugement de valeur sur ce qui est bon ou mauvais pour une aire culturelle de leur choix. C’est ainsi que la période médiévale a été qualifiée d’ “Optimum des Croisades” (sic !) ou de “Medieval Climatic Anomaly”.

39 Masson et al. 2013.

40 Guiot & Pons 1986 ; Davis et al. 2003. 41 Hufty 2001, 29-30.

42 Rouvillois-Brigol 1986, 40. 43 Chabin 1993.

(21)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

siècle, la pluviosité varie constamment sans que l’on puisse constater une tendance durable vers le plus sec ou le plus humide. Mais la variabilité n’est pas anarchique. Elle s’organise en séries d’une durée supérieure à la décade selon trois phases. Des années 1850 jusqu’en 1886,

la dominante est humide ; de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle, la dominante est

sèche. Sur deux décennies à partir de 1950, on a assisté à un retour de la dominante humide et au renforcement des pluies diluviennes. Une année catastrophique est intervenue en moyenne tous les six ans.

C’est dans cette catégorie que se rangent les témoignages dont S. Gsell avait dressé la liste. Les faits sont réels. Mais ils sont d’intérêt inégal et dépourvus de valeur statistique. Des crues catastrophiques ayant entraîné la destruction d’ouvrages sont des accidents météorologiques ponctuels dont les effets sont interprétables en termes de risque naturel plutôt qu’en terme climatique. C’est le cas de données archéologiques ou épigraphiques documentant la destruction d’ouvrages d’art par une inondation. Leur utilisation met en jeu la notion de vulnérabilité, la composante sociale du risque qui s’oppose à l’aléa, sa composante naturelle. Celle des sources écrites exige de tenir compte de l’interprétation

de phénomènes météorologiques par les anciens comme des signes divins 44. Lorsque vers

le milieu du iiie siècle, saint Cyprien rapporte que de son temps “l’hiver ne nous donne

plus ses pluies abondantes qui fécondent les semences ; l’été n’a plus les vives ardeurs qui mûrissent les fruits ; le printemps a perdu sa douce température, et l’automne ses bénignes

influences ; il ne tombe plus autant de pluies en hiver pour nourrir les semences…” 45, ces

propos s’inscrivent dans le discours eschatologique d’un chrétien pour qui les malheurs de l’époque sont autant d’indices annonciateurs de la fin des temps espérée. On peut en inférer seulement qu’a contrario les pluies d’hiver étaient bien la norme méditerranéenne.

Fait exception une anecdote rapportée dans l’Histoire Auguste par le biographe d’Hadrien. Quand, en 128, cet Empereur “se rendit en Afrique”, écrit-il, “la pluie tomba

à son arrivée après cinq années de sécheresse, ce qui lui valut l’affection des Africains” 46.

Cette affirmation a suscité la perplexité des commentateurs qui l’ont expliquée par le désir de la propagande impériale de montrer que les dieux bénissaient la venue de l’Empereur. La réalité et l’extension régionale de l’épisode sont pourtant vérifiées par deux autels

dédiés en 128 l’un à Jupiter 47, l’autre aux “Vents qui apportent une pluie bienfaisante” par

le commandant de la Légion stationnée à Lambèse au pied de l’Aurès 48. Cet épisode, une

sécheresse prolongée correspondant à une oscillation vers un extrême, s’explique par l’appartenance de ces régions à une zone de contact climatique dans laquelle les processus sahariens apportent la sécheresse. Les hautes pressions sahariennes remontées durant l’été dans la zone méditerranéenne ne sont pas redescendues durant l’hiver et cette situation

barométrique a empêché les dépressions d’arroser le nord de la Tunisie 49. Ce phénomène

44 Leveau 2015b.

45 Cyprien, Ad Demetrianum, 3.

46 SHA, Hadr., 22.14 : Quando in Africam venit, ad adventum eius post quinquennium pluit, atque ideo ab

Africanis dilectus est.

47 CIL, VIII, 2609 = D. 3061. 48 CIL, VIII, 2610 = D. 3935.

49 Hufty 2001, 470 : entre 1900 et 1990, plusieurs ensembles d’années consécutives ont été plus sèches (par exemple 1942-1946) ou plus humides (notamment 1955-1958).

(22)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

n’a rien d’exceptionnel : J. Despois cite une famine probablement liée aux mauvaises récoltes

entraînées par une succession de sécheresses, qui dura de 1142 à 1147 en Fraya 50. Mais leur

augmentation en fréquence au iie siècle aurait convaincu les autorités de la nécessité de

construire un aqueduc pour Carthage, la capitale de la province, qui n’en bénéficiait pas. La prospérité économique de l’Afrique romaine explique que les villes aient investi dans ce

domaine pour pallier au risque récurrent de pénurie 51.

Retour historiographique : déterminisme physique, climatologie moderne et géographie historique

Faut-il pour autant considérer que S. Gsell et les scientifiques sur lesquels il s’appuyait se sont trompés ? Plutôt que d’évacuer le problème en constatant une erreur dont l’évidence s’impose, j’ai cru utile de situer le débat dans le contexte historique d’une science qui a connu depuis la fin du siècle dernier la profonde évolution dont la climatologie actuelle est l’aboutissement.

En 1957, J. Despois a consacré un chapitre de son livre sur la Tunisie Orientale à défendre l’idée d’une stabilité du climat et cette hypothèse occupe une place fondamentale dans des considérations géohistoriques qui étaient partagées par la majorité des historiens de son époque et le sont restées, bien que, dès l’année qui suivit la première édition de sa synthèse sur

L’Afrique du Nord dans la collection dirigée par C.-A. Julien, son collègue H. Isnard en ait fait

la critique. Ce géographe protestait contre l’idée que des facteurs physiques expliqueraient les destins de ces régions : “ce n’est probablement pas à une impuissance congénitale du pays et des hommes qu’il faut imputer la carence historique de l’Afrique du Nord, c’est aux conjonctures qui, pendant des millénaires, l’ont placée entre un Occident et un Orient en

compétition dans la Méditerranée” 52. Cette partie de l’œuvre de J. Despois doit être revue à

la lumière des apports d’une nouvelle climatologie qui unifie deux disciplines qui s’étaient

développées séparément 53. L’une est la météorologie, science de l’atmosphère, orientée par

la prévision du temps. Elle étudie la circulation des masses d’air dont la succession définit des types de temps. L’autre est une climatologie pratiquée dans sa définition spatiale par les géographes pour lesquels le climat était avec le relief l’un des deux constituants de l’espace habité et exploité par les sociétés. La climatologie des géographes est celle à laquelle nous nous référons, nous, historiens français. Il est important de souligner la place de cette position nationale dans la mesure où nous recherchons dans les monographies régionales des données climatologiques indispensables à des études portant sur les productions agricoles, plus particulièrement dans celles de J. Despois et J. Dresch, deux auteurs de référence, dont nous verrons que les travaux doivent être replacés dans le contexte d’une “géographie en

situation coloniale” 54. 50 Despois 1955, 41. 51 Leveau 2012. 52 Isnard 1950, 124. 53 Vignau 2000, 20-33. 54 Deprest 2008 ; cf. infra p. 43 et 46.

(23)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

Les climatologues ont établi que les grandes fluctuations climatiques quaternaires sont bien liées aux variations de la quantité de chaleur reçue par la Terre en fonction de sa position orbitale et de l’activité solaire. Dans l’histoire de la discipline, au plan théorique, ces idées

ont leur origine au xixe siècle dans les observations qui avaient ruiné les anciennes théories

dites “fixistes”, “catastrophistes” ou “diluvianistes” inspirées par la lettre de la Bible, et posé le principe d’une mobilité du milieu physique. La reconnaissance de la place des facteurs astronomiques dans la régulation des climats remonte à la fin des années 1830. L. Agassiz a formulé alors la théorie cyclique de la glaciation que le mathématicien et astronome

serbe M. Milankovitch devait valider au début du xxe siècle en montrant que l’alternance

de phases de refroidissement et de réchauffement tous les 20 000, 40 000 et 100 000 ans était commandée par les variations de l’intensité solaire. Il a été ainsi établi qu’après la glaciation wurmienne qui avait atteint son maximum il y a 21 000 ans, l’ensoleillement a augmenté

jusqu’à 8000 BP 55. À la suite de cette augmentation, le rétrécissement de la zone des hautes

pressions centrées sur le Sahara a permis l’entrée des dépressions porteuses de pluies amenées par les vents d’ouest entraînant une rétraction du désert. Alors qu’il avait atteint son extension maximale durant la glaciation wurmienne, celle-ci est réduite au minimum

durant les vie et ive millénaires a.C., durant la période humide africaine, comme l’attestent

les vestiges de l’occupation néolithique saharienne.

L’hypothèse de modifications considérables des paysages survenues à l’époque historique

a été en vogue au xixe siècle à l’instar de celle qu’E. Desjardin avait soutenue à propos de la

Gaule. Mais elle a été abandonnée au début du xxe siècle 56. C’est dans le contexte scientifique

que S. Gsell a soutenu que le climat du nord de l’Afrique dans l’Antiquité n’était pas fondamentalement différent de l’actuel. Il s’appuyait sur les gravures rupestres et les données archéologiques mettant en évidence l’assèchement du Sahara depuis la période néolithique.

Pour la période allant du ve s. a.C. au viie s. p.C., il utilisait les sources écrites et les données

archéologiques relatives à l’occupation du sol et en particulier l’inventaire des travaux hydrauliques anciens qu’il avait réalisé. Il concluait que cette Berbérie jouissait d’un climat analogue à l’actuel, mais peut-être un peu plus humide en particulier dans les montagnes qui

bordent le désert. Quant au Sahara, c’était un désert, mais peut-être un peu moins sec 57. C’est

en fonction de cette même croyance en une stabilité générale du climat que les forestiers et les botanistes avaient acquis la conviction que des altérations plus ou moins durables du paysage conduisaient au cours des temps historiques à l’apparition de microclimats plus secs, que les activités humaines en étaient l’origine et qu’elles s’expliquaient plus spécifiquement par la déforestation. Ils avaient établi l’effet de la forêt sur la pluviosité locale. Ainsi, à partir d’observations faites par la Station de recherche forestière d’Algérie, P. Boudy concluait que “la présence d’un massif forestier important tend à accroître la pluviosité moyenne dans la proportion de 8 p. 100”, cet accroissement portant non sur le nombre de jours de pluie, mais

sur la hauteur des précipitations 58.

55 Magny 1995, 20. Il est prévu que “le refroidissement amorcé depuis 6000 ans se poursuivra jusqu’à un premier maximum glaciaire dans 5000 ans”. 

56 Desjardins 1876. 57 Gsell 1913, 40 (cf. supra). 58 Boudy 1948, cité par Despois 1951.

(24)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

Mais l’histoire du climat a un avant et un après. L’avant, c’est l’époque de S. Gsell, celle des géographes dont les travaux sont utilisés par les historiens et les archéologues quand la source principale des connaissances était constituée par les textes des auteurs antiques complétés par des données archéologiques relatives à l’occupation du sol. M. Euzennat pouvait écrire en 1983 dans un article qu’il a consacré à la frontière romaine en Tripolitaine : “L’hypothèse d’une transformation du climat ou à tout le moins de l’hydrologie, souvent avancée même à une époque encore récente, est aujourd’hui généralement abandonnée. Les progrès de la géologie, notamment dans l’étude du Quaternaire récent, ont montré qu’il n’y avait pas eu de changement climatique sensible dans la période considérée, mais seulement des oscillations qui ont pu jouer un rôle, mais qui ne peuvent suffire à expliquer les déplacements de la frange pionnière observés. Les conclusions présentées dès 1920 par S. Gsell, en se fondant sur les descriptions dues aux Anciens, n’ont en définitive guère besoin d’être corrigées, à

condition de ne pas attendre de ces sources plus qu’elles ne peuvent donner” 59. Dans cet

avant, une grande importance était accordée aux données archéologiques. Celles-ci sont de bons indicateurs des capacités d’adaptation des sociétés et de mauvais indicateurs climatiques. Car les sociétés savent gérer les conditions offertes par le milieu. L’eau est stockée dans des citernes et les villes construisent des aqueducs. Dans les zones arides, les techniques agricoles sophistiquées décrites plus haut sont mises en œuvre pour l’oléiculture et la céréaliculture.

L’après, c’est la période qui a suivi la mise au point de la méthode isotopique de datation quand les Sciences de l’Environnement ont pu préciser des chronologies relatives par des dates exprimées en années calendaires. Dans les années 1960, C. Vita-Finzi a utilisé les phases d’alluvionnement comme un indicateur géomorphologique de l’importance des

précipitations qui ont mobilisé les sédiments dans les oueds de Tripolitaine 60. Appliquée

d’abord à l’Holocène ancien, cette méthode privilégiait le facteur climatique. Pour l’étendre aux périodes historiques, il a fallu prendre en compte les données anthropiques  : les effets du pâturage sur les couvertures végétales et ceux des aménagements agricoles sur les écoulements. L’analyse pollinique des sédiments lacustres et océaniques a fourni des données climatiques à basse résolution portant sur des durées multicentenales. Elle montre que la reconquête végétale a connu son maximum autour de 6000 BP. Au nord, dans la zone steppique, un optimum hydrique et thermique explique le développement des formations à olivier et pistachier (Oleo-lenticetum). La chênaie caducifoliée a connu une extension remarquable dans les montagnes, dans le Moyen Atlas et le Rif marocains, le Djurdjura

algérien et au nord-ouest de la Tunisie, en Kroumirie. Par la suite, autour de 4500-4000 BP 61,

une oscillation paléohydrologique majeure a entraîné la remontée en latitude de la limite de la zone intertropicale et celle de la zone climatique méditerranéenne, ce qui s’est traduit par la modification des zones bioclimatiques. Ainsi s’est amorcée une phase de développement de l’aridité qui a conduit à la zonation actuelle. Les reconstructions climatiques semblent montrer que, durant la dernière période de l’Holocène qui débute aux alentours de 3300, le

59 Euzennat 1983. Même affirmation par Lassère 2015, 27. 60 Vita Finzi 1969.

(25)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

climat ait tendu à devenir plus sec dans l’Europe du Sud et dans le bassin méditerranéen et

que cette tendance ait été plus forte dans le sud-ouest que dans le sud-est 62.

Depuis, stimulés par l’intérêt que suscitent les modifications climatiques en cours, géologues, écologues et physiciens de l’atmosphère apportent une quantité de données factuelles qui permet d’appréhender avec une précision croissante les variations récurrentes du climat au Quaternaire, les fluctuations survenues pendant l’Holocène et, ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, ses oscillations au cours des derniers millénaires dans

les différentes régions 63. Mais la connaissance de l’évolution régionale des climats du passé

est extrêmement inégale. Ainsi pour le Centre-Ouest de l’Europe (Allemagne et Europe centrale), une équipe de naturalistes a établi une courbe des variations des précipitations printanières et des températures et de la pluviosité estivales sur 2500 ans à partir de la dendrochronologie du chêne. Mais cette technique qui utilise la croissance annuelle des arbres comme un thermomètre végétal et apporte aux restitutions une précision inégalée

est difficilement applicable dans les régions steppiques 64. Par ailleurs, dans le cas du

Maghreb, les indicateurs polliniques et géomorphologiques documentent essentiellement les zones littorales et préférentiellement le Maroc et la Tunisie. Enfin, les reconstitutions climatiques sont principalement orientées vers la prévision des climats du futur. Animés par le désir d’alerter l’opinion publique sur les effets du changement climatique en cours, les climatologues sont partagés entre rigueur scientifique et exagération du risque. Mythes diluviens, “paraboles climatiques” expliquant la ruine d’Empires ou de cités par la sécheresse ou l’inondation, nombreuses sont les publications qui transforment en certitudes historiques

les incertitudes du futur et substituent la causalité climatique aux causalités sociétales 65.

La polémique qu’occasionna la médiatisation d’un article paru dans Science en 1993 qui

mettait en relation la chute de l’Empire mésopotamien d’Akkadé (iiie millénaire a.C.) avec

un changement climatique qualifié d’“abrupt” n’est pas éteinte 66.

Climat, agriculture, pastoralisme

Dans la zone géographique envisagée, le climat exerce par sa rigueur une contrainte forte sur l’agriculture et le pastoralisme. La pénurie engendrée par un déficit pluviométrique a dans ce milieu aride une tout autre gravité que dans un milieu humide. Elle est à la fois fréquente et imprévisible car irrégulière, et rend les sociétés vulnérables. Ces régions sont le domaine de la steppe, un écosystème caractérisé par une formation végétale hétérogène

62 Guiot & Kaniewski 2015. 63 Vigneau 2000, 321.

64 Büntgen et al. 2011. Cette étude à laquelle A. Wilson (2017, 122) renvoie constitue une référence

essentielle pour les régions de la Baltique et de l’Europe centrale. Elle a été permise par l’existence de séries dendrochronologiques sans équivalent en Afrique du Nord pour des raisons climatiques. Mais leur aire d’extension est marginale par rapport à celle de l’Empire romain ; les rapprochements que ces auteurs font avec des évènements historiques relèvent de théories déterministes simplistes et portent au mieux sur l’histoire de ces régions (Leveau 2014).

65 Leveau 2005. Une parabole climatique dramatise de manière rhétorique un phénomène climatique du passé afin d’alerter l’opinion public.

66 Elle donna lieu à des articles d’un grand intérêt historiographique dans les numéros 56 et 57 des

(26)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

discontinue plus au moins dense qui assure l’unité de cette zone géographique. Il avait été défini comme “climacique”, terme qui désigne l’état final d’une succession écologique dans un milieu naturel en dehors de toute intervention humaine. Cette formation se compose de plantes herbacées et arbustives de hauteur limitée poussant sur des sols généralement maigres à faible taux en matière organique, très sensibles à l’érosion et à la dégradation. Un feuillage sclérophylle et un système racinaire adapté à l’aridité climatique la rendent robuste et résiliente. L’alfa sur les sols secs, modérément limoneux, et l’armoise blanche sur les limons et les argiles couvrent de vastes espaces parsemés de buissons de jujubiers. Dans la cuvette du Hodna à la transition des Hautes Plaines algéro-marocaines et constantinoises ainsi que dans les plaines du golfe de Gabès et la Djeffara, la diminution des pluies fait disparaître l’alfa et les plantes annuelles vivaces. La steppe n’est plus qu’une végétation maigre et dispersée. En bordure des sebkras et des zahrez, sur les sols salés des chotts, la végétation est halophyte (fig. 5). Pour désigner ces régions, les historiens ont emprunté aux biogéographes le terme “prédésert” pour désigner une bande d’une largeur variable qui prend en écharpe le nord de l’Afrique ; elle se distingue du “vrai désert” hyperaride que caractérise une dégradation accrue

des écoulements et de la végétation 67. R. Capo-Rey qui l’a qualifiée de saharo-steppique

considérait qu’elle marque la limite nord du Sahara mieux que la zone des palmeraies. Plus large à l’ouest et à l’est, cette bande se rétrécit au centre sur le piémont de l’Aurès et des Némencha.

L’effet de fluctuations climatiques sur la végétation et sur les potentialités agropastorales est plus important dans ces régions arides que dans celles qui sont mieux arrosées. Sans que l’on puisse parler d’un véritable “changement climatique”, une répétition de périodes

67 Rebuffat 1976-1977 ; Barker 1996.

Fig. 5. Les zones végétales. 1. Zone du hêtre ; 2. Chêne à feuille caduque ; 3. Méditerranéen pur : chêne vert, chêne-liège ; pin pignon ; etc ; 4. Forêt mixte ; arbres à feuilles caduques et à feuilles persistantes ; 5. Méditerranéen aride : forêt méditerranéenne pure à infiltrations steppiques (tuyas, oléolentisques) ; 6. Steppe ; 7. Conifères supraméditerranéens (Birot & Dresch 1953, 62).

(27)

Éléments sous droit d’auteur - ©

Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans

de sécheresse entraîne un retrait des espèces ligneuses, le remplacement des forêts de chênes caducifoliés par des chênaies sclérophylles à chêne vert et chêne-liège et une extension de la steppe. Par ailleurs, de récents travaux en histoire du climat ont montré que la répartition saisonnière avait varié durant la période holocène. Ainsi alors qu’avant 4500 cal BP le maximum des précipitations se situait durant l’été et l’hiver, la pluviosité

aurait décliné durant ces deux saisons dans la période suivante 68. La situation paraît mal

connue pour les périodes historiques. Mais il faut en souligner l’incidence qu’a à quantité égale une modification de la répartition saisonnière des précipitations sur l’agriculture et les pastoralismes. Les pluies d’automne-hiver surviennent durant la période où la température descend à son minimum. L’évaporation est réduite. L’eau s’infiltre et constitue des réserves d’humidité dans lesquelles puisent les arbres et les cultures arbustives, ce qui les met en état de résister à la sécheresse estivale. En même temps, cette eau remplit les nappes phréatiques qui conditionnent le débit des sources. Les pluies de printemps-été interviennent quand les températures s’élèvent. L’évaporation est forte et l’eau ne pénètre qu’une couche superficielle dans laquelle s’étalent les racines des plantes herbacées. Mais c’est précisément le moment

où celles-ci ont le plus de besoins d’humidité 69. L’incidence de cette répartition des pluies

ne concerne donc pas les seules activités agricoles. Elle conditionne la ressource pastorale fournie par les plantes de la steppe et de ce fait la mobilité des troupeaux.

Nous verrons que cela ouvre des perspectives sur la possibilité d’appréhender des

modifications climatiques 70. Mais déjà, dans les années 1980, à l’occasion d’un colloque sur

l’histoire et l’archéologie de l’Afrique antique et médiévale, à une époque où les analyses polliniques apportaient les premières données sur l’histoire de la végétation dans le golfe de Gabès au large de la Tunisie, une géographe, M. Rouvillois-Brigol avait montré qu’“aux explications complexes et parfois embarrassées que donnent les tenants d’une identité parfaite des climats de l’époque antique et de l’actuelle, on peut substituer une explication beaucoup plus simple et rendant compte de toutes les variations observées. Ce sont des précipitations plus abondantes dans leur ensemble et peut-être plus régulièrement réparties sur les saisons cruciales de l’automne et du printemps qui ont permis une implantation sédentaire importante sur tout le piémont saharien, comme dans les Steppes tunisiennes

voisines” 71. Des pluies plus abondantes permettaient un épandage plus vaste sur les piémonts

de l’Atlas saharien et donc des irrigations plus étendues.

Climat et régions naturelles dans une géographie en situation coloniale. Les enjeux pour l’histoire

Lorsqu’en 2005 l’Afrique romaine figura au programme de l’agrégation d’histoire, l’interrogation de S. Gsell sur la relation entre le climat et la prospérité de l’Afrique romaine

68 Magny et al. 2011 (une pénétration plus fréquente des vents d’ouest pluvieux dans la zone

méditerranéenne est liée à l’affaiblissement progressif de l’activité des cellules de Hadley) ; Magny et

al. 2013 ; Peyron et al. 2017.

69 Isnard 1954. Modéran 2003, 620-621, utilise cette donnée à propos de la pénétration des Laguatan en Byzacène en 544.

70 Cf. infra p. 61 et 83 à propos de la vigne dans le Sersou. 71 Rouvillois-Brigol 1986, 46-47.

Figure

Fig. 2. Les grandes zones naturelles (Despois 1949, 100, fig. 15). À partir des précipitations et des écoulements, J
Fig. 3. Un ksour et son terroir : T’kout dans les Aurès (Côte 1988, 45-46, fig. 7).
Fig. 4. La zone climatique intertropicale : climat méditerranéen vrai (blanc) :  zones  semi arides (gris clair), arides (gris foncé) et hyperarides (noir) (d’après Vigneau 2000, 182).
Fig. 5. Les zones végétales. 1. Zone du hêtre ; 2. Chêne à feuille caduque ; 3. Méditerranéen pur : chêne vert, chêne-liège ; pin  pignon ; etc ; 4
+7

Références

Documents relatifs

Tous ces éléments accumulés vont donner naissance à des Troubles Musculo- Squelettiques (TMS). Ces TMS sont définis comme des douleurs ou gênes engendrant des

le début du Néolithique final est marqué par un profond renouvellement des pratiques funéraires dans les Alpes comme dans les régions périphériques.. On trouve

Cette tentative d’évaluation de l’expérience de vulgarisation s’appuie sur le programme d’intensification céréalière, lancé en 1983-84 et ayant pour objectif

La famille de Zohra obtient un logement pour sinistrés de la vieille ville, le revend et achète un appartement dans la cité du 20 Août 55 qu’elle occupe avec son

Que cependant certaines communes limitrophes telles que Fargues, Sauternes, Preignac et Bommes émettent la prétention bien étrange de limiter à leur seul territoire

Le travail des femmes en dehors de l’agriculture signe pour l’auteur l’isolement personnel des agriculteurs sur leur exploitation, mais n’est jamais vu positivement comme une

Toutes  les  autres  E.A.C.  taillées  dans  le  domaine  Bouhafs  Aïssa  ont connu pareille scission, mais  reconnue  plus tard à  la faveur  d’un  arrêté 

- Les feuilles fraiches sont utilisées en décoction contre le diabète et pour soigner les plaies et éloigner les moustiques en usage externe. - Les tubercules chauffées dans