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Etude sur la rhétorique des premièrs écrits de Louis-Ferdinand Céline (1924-1944)

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(2)
(3)

Étude sur la rhétoriQue des premiers écrits

de Louis-Ferdinand Céline L1924-19441

par

Paul Choinière

Mémoire de maîtrise soumis

à

la

Faculté des études supérieures et de la recherche

en

vue

de l'obtention du diplôme de

Maîtrise

ès

Lettres

Département de langue et littérature françaises

Université McGill

Montréal, Québec

Février 1998

(4)

1+1

NationalUbrary of Canada Acquisitions and Bibliographie services 395 Wellington Street OttawaON K1AON4

canada Bibliothèque nationale du Canada Acquisitions et services bibliographiques 395. ruew..."gton OttawaON K1A 0N4 Canada

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O~12-43845-7

(5)

Résumé

Depuis la mort de Céline, les pamphlets qu'il avait écrits au début de la Seconde Guerre mondiale ont toujours été lagrandedifficulté des études céliniennes. Mais ces dernières années, pour diverses raisons, les pamphlets ont tenté peuàPeu la curiosité des chercheurs. Porté par ce courant, ce travail se consacre à intégrer les pamphlets dans un modèle d'analyse générale de la prose de l'auteur deVoyage au bout de lanuit.

Pour faire cette analysej'ai développé un modèle herméneutique qui partage l'oeuvre de Céline entre une quête poétique et une tâche polémique, tout en montrant que ces deux genres usent des mêmes stratégies rhétoriques.

La première partie de ce travail étudie la rhétorique particulière que développe Céline lorsqu'il mélange poétique et polémique. La seconde partie étudie séparément la quête poétique et la tâche polémique car après Voyage au bout de la nuit Céline a séparé ces

deux. genres.

Sans aplanir les différences entre la poétique et la polémique, ce travail se concacre àla tâche de montrer la continuité et la cohérence de l'oeuvre de Céline. Cette oeuvre est particulièrement bien dotée pour mettre à l'épreuve un modèle herméneutique, car peut-être plus qu'aucune autre, elle se partage entre le ravissement et l'horreur, entre la beauté et la terreur. C'est là, dans cette profonde humanité, que se situe la richesse herméneutique de l'oeuvre de Céline.

Abstract

Sïnce Céline's death, the pamphlets he wrote at the beginning of World War II always presented great difficulties for those who studied mm. But in the last few years, for various reasons the pamphlets have stirred up researcher's interest. Following this movement, this thesis is an attempt to integrate these pamphlets to the prose of the author ofJoumey to the End ofthe Night in a general pattern of analysis.

Inorder to do this analysis, is developed an henneneutic model of analysis which divides Céline's work into a poetical investigation and a polemic pursuit that demonstrate that these two genres use the same rhetorical strategies.

Part 1 of this thesis investigates the distinct rhetoric used by Célinein mixingpoetryand polemic. Part Il examines the poetic investigation and the polemic pursuit separately, Céline having separated these two genres afterJoumey to theEndofthe Night.

Without eliminating the differences between poetry and polemic, this thesis aiOlS at demonstrating the continuity and coherence of Céline's work witch is particularly well suited for putting an henneneutic model of analysis to the test because it is a work that is tom more than any other between the ravishing and the horrifie, between the beautiful and the terrifying. And that is where in this profound humanity Céline's work is so rich in interpretation.

(6)

Table des matières

Introduction

p.8

Chapitre premier

Exposé de la problématique

Lesdeuxvoiesdel'oeuvre de Célineaprès Voyagetnlbout dela nuit

Lesdeuxvoies de l'oeuvre de Célineàl'époque de la publication deVoyage auboutde la lIuit

Exposé de la théorie

Lapoétiqueetla rhétorique chez Aristote .

Larhétorique et l'herméneutique chez Olivier Reboul . L'herméneutique chez Paul deMan

Lapolémique chez Marc Angenot

p.9 p.9 p.IS p.16

p.IS

p.23 p.24 p.27 Notes . . p.31

Première partie

Les deux voies de l'oeuvre de Céline dans Voyage au bout

de la nuit

Deuxième chapitre

Voyage au

bout

de

IIII1"it

p.35

Poétique de Céline

p.37

Notes ...•...•...•....•...•...•...•.•... •... p.67

Poétique de Voyage au bout de la nuit

Thématique Allégorique

Rhétorique de Voyage

Paris Allégorie-dutbMtre Allégorie de la galère p.39 p.41 p.48 p.54 p.56 p.61 p.63

(7)

Deuxième partie

La séparation de la poétique et de la polémique dans les oeuvres

romanesques postérieures à Voyage au bout de la Duit

Troisième ch.Ditre

p.71

...•...

...

Mort

à

crédit

Auguste et Clémence

Roger-MarinCourtial desPereires

p.'3

p.74 p.81

...

Guignol's ba"d

Borokromet Cascade

Hervé Sosthène de Rodiencomt

...

"'

.

p.84 p.8S p.87

Éléments de la styUstique des romans

...••...•.•.... p.90 Notes ...•... p.93

Quatrième ch.Ditre

p.9S

...

...

L

es ecnts me caux..

, .

'di

.

Médecine Hygiène

Meil

culpa

BagateUes

pOlir 1111 IIIaSlICI'e

Remarques

Sur les causesdelarédactiondespamphlets Idéologie de Céline

Typologiede l'idéologie

de Céline

p.97 p.97 p.lOO p.lll p.114 p.114 p.ll' p.124 p.127

L'École des CIUItwres

Les

beaux drqs

...

p.133 p.134

Conclusion

p.136

...

Notes Bibliographie

.••...

p.l40 p.143

(8)

Notes et citations

Les notes sont désignées par un chiffre précédé d'un tiret, eUes se trouvent

à

la fin de chaque chapitre. Les citations sont désignées, soit par un chiffre entre parenthèses, indiquant la page, lorsque l'identification du livreestclaire, soit par les initiales du titre du livre suivies de la page.

Les lettres n, oup, placées après les initiales du livre, désignent soit la notice <Voyage, notice-V,0,21), soit la préface (Voyage, préface-V,p,21). Pour les oeuvres d'Aristote, la pagination de l'édition Bekker s'intercale entre le titre et la page de l'édition Budé (P,1421a,21).Pour les écrits médicaux,y compris Semmelweis, les citations proviennent du

Cahier Céline 3. Voici la liste des titres cités dans ce travail; les notices complètes se

trouventàlafin, dans la bibliographie. Al -Allégorie de la lecture, P. de Man

BM - Bagatelles pour un IIUlSsacre

CI - Célinel,F. Gibault

cn -

Célineil,F. Gibault

cm -

Céline

m,

F. Gibault

CC1 - Cahiers Céline 1

CC2 - Cahiers Céline 2

CC3 -Cahiers Céline 3

CC7 -Cahiers Céline 7

EPY -Entretiens avec le professeurY

FP -Lesfictions du politique chez Céline, Y. Pagès

GB - Guignol's band

IR-Initiation à la rhétorique, O. Reboul

MC-Mortàcrédit

NONG -Nidroite. ni gauche, Z. Stemhell

P-Poétique

PP -Laparole pamphlétaire, M. Angenot

RI -Rhétorique1 RII -Rhétorique Il

RITI - Rhétorique

m

ROOR -Roman des origines et origines du roman,M.Robert RSSR -Roman de la subversion et subversion du ro1lUJ1l, D. Latin

V - Voyage au bout de la nuit

(9)

Remerciements

ÀMonsieur Marc Angenot pour m'avoir accordé son aide bienveillante.

À tous les professeursquim'ont aidé; ce sont euxquinous donnent le désir de connaître et de comprendre.

À mes amis. àma famille; sans eux la vie n'aurait cenainement pas le charme qu'ellea.

À Éric, Émanuelle, Marie Claude, Michel Nepveu et Ève Ste-Marie pour avoir relu ce travail,àStacy pour m'avoirfaitlire Céline.

(10)

La méditation que je fis hier m'a rempli resprit de tant de doutes, qu'il n'est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne voy pas de quelle façon je les pourai résoudre; et comme si toutà coup j'était tombé dans une eau très profonde7 je suis tellement surpris, que je ne puis niassurer mes pieds dans le fon~ ni nager pour me soutenir au-dessus. Je m'efforcerai néanmoins, et suivrai derechef la même voie où j'étais entré hier, en m'éloignant de tout ce en quoi jepourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que celafOt absolument faux; et je continuerai toujours dansce chemin, jusqu'à ce que j'aie rencontré quelque chose de certain, ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu'à ce que j'aie appris certainement, qu'il n'y a rien au monde de certain.

(11)

Introduction

Mon travail se voudrait une contribution à l'une des tâches les plus délicates des études céliniennes, à savoir la réunion, dans un même modèle hennéneutique, des écrits romanesques et des pamphlets. Lorsque, comme simple lecteurdel'oeuvre romanesque de L.-F. Céline, on lit ses pamphlets pour la première fois, l'on ne peut s'empêcher de se demander ce qui a bien pu pousser Céline a écrirede tels livres. Bien qu'il ait toujours été un auteur agressif, la surprise que provoque une première lecture des pamphlets reste difficile à sunnonter. Difficile d'imaginer la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade publier un tome des oeuvres politiques de

L.-F.Céline-1. Mais lorsqu'on les relit attentivement, avec l'intention de surmonter ce qui nous

choque et de comprendre les motifs qui ont poussé Céline à écrire ces puissants volumes, on voit se dessiner certains liens, et certaines images sortent progressivement de l'ombre. Pour moi, et ce sera l'hypothèse de départ de ce travail, la compréhension de ce qui sépare -et unit-les pamphlets et unit-les romans passe par une lecture attentive de Voyage au bout de la nuit. Dans

Voyage au bout de la nuit se côtoient deux genres d'écriture que Céline va, après Voyage.

développer séparément. D'une part, une poétique qui, tout en travaillant à trouver la justesse du rythme et des images, tente de rendre les impressions et les émotions du héros pris dans le mouvement chaotique du monde. D'autre part, une polémique qui, tout en s'appuyant sur la rhétorique développée dans la poétique. s'engage dans la voie de la harangue agressive, attaquant avec insistance ceux qu'il voit travailler, secrètement, à la déchéance du monde.

Dans la première partie de ce travail, j'analyserai la coexistence, dans Voyage au bout de la

nuit, d'une poétique, dominée par la tâche du "rendu émotif I f du grand mouvement des

rihommes et des choses", et d'une polémique dominée par un malaise face àla civilisation, par

une angoisse quant à la place à prendre dans un monde soumis à l'imposture et qui court fatalement à sa perte. Dans ce roman, paralIèlement à la création poétique, se déploient des stratégies rhétoriques qui cherchent à convertir le lecteur à une vision du monde bien particulière. Je montrerai à quelles conditions est possible, dans Voyage, la coexistence de ces deux genres et comment, ce sera la deuxième partie de ce travail, ils se sont développés, après

Voyage au bout de la nuit, dans Mort à crédit et Guignols band, et dans Mea culpa et

(12)

Chapitre premier

Exposé de la problématique

Les deux voies de l'oeuvre de Céline après la publication

de

Voyage au bout de la nuit

Polémique

C'est avec la publication de Voyage au bout de la nuit que L.-F. Céline devient un écrivain

dans la plus large acception du tenne. c'est-à-dire non plus seulement quelqu'un quiécrit, mais aussi un personnage public, un écrivain français. Après la parution de Voyage. il y a des articles sur Céline dans les journaux et on entend sa voix par les interviews auxquelles il se soumet. Aussi. il écrit des lettres aux journaux. soit pour pour s'expliquer sur un point particulier, soit pour répondre à des propos qui lui sont adressés. C'est par l'élaboration de

Voyage que le docteur Destouches devient un écrivain, mais c'est par la publication et par le

scandale entourant le prix Goncourt que Louis-Ferdinand Destouches devient un écrivain public: un personnage public dont on écoute la voix avec respect.

À la suite de la publication de Voyage. Céline se laisse entraîner à rendre quelques devoirs.

attendri. sans doute. par la sympathie que lui avait manifestée quelques personnages de la gauche pendant l'affaire du prix Goncourt-3. C'est ainsi qu'il fut invité par Lucien Descaves à

prononcer, à Médan. un "hommage" à Émile Zola à l'occasion de l'anniversaire de la mort de l'écrivain. Dans la note de présentation du texte, dans les Cahiers Céline, on peut lire cette

remarque faite par un journaliste qui a assisté à l'événement: "Une foule beaucoup plus nombreuse que d'habitude était venue. curieuse de COnDal1re celui qui fut "la rêv61ation de l'ann6e, le pbénoRne. l'iconoclaste'''' CC l ,77• L'éditeur des Cahiers ajoute, dans sa notice: "Jamais sansdoute Céüne n'a~t6

aussi physiquement le point demired'une foule venue voirl quoi ressemblait l'auteur de Voyage."CCl,77• En

fait d'hommage, le discours de Céline est, pour reprendre un procédé du texte, un dixième de Zola pour neuf dixièmes de pessimisme messianique: "fi n'est peut-être que temps. en somme. de rendre un suprême hommage l Émile Zola l la veille d'une immense d6route, une autre." [...1" Le sadisme unanime actuel procède avant tout d'un désir de néant profondément installé dans l'homme et sunout dans la masse des hommes. une sorte d'impatience amoureuse, à peu près irrésistible. unanime, pour la mort. Avec des coquetteries, bien sûr, mille dénégations: mais le tropisme est là, et d'autant plus puissant qu'il est parfaitement secret et silencieux."CCI,82-81. Céline parladixminutes, "D'une voix mordante qui s'interdisait tout effet. sur un ton monocorde. avec tantôt "un brin de<16ftGavroche". tantôt quelque chose de professoral." CCI,77•

(13)

Suiteàla traduction deVoyage en russe, Céline décide de se rendre en Russie poury dépenser sur place ses droits d'auteur.4, mais aussi, sans doute, un peuparcuriosité. Durant les années

trente, plusieurs écrivains français ont fait leur voyage en Russie, beaucoup invités et surtout guidés par le parti communiste. Mea Culpa raconte un de ces voyages, mais plutôt que de

chanter les grandeurs du régime, Céline s'évertueà dénoncer l'inhumanisme et l'imposture du communisme. Dans Mea cuIpa, Céline montre la Russie déchirée entre la mauvaise foi des

dirigeants communistes et la bêtise du prolétariat. Le ton est moins sentencieux que dans

l'Hommageà Zola, mais tout aussi direct. Lepessimisme messianique s'y double d'une autre

hantise, celle de l'omniprésence de l'imposture et du consentement: 'Topu gafe-toi bien~ Tes suprême~Tes affranchi commepersonne~Tes bien plus libre. compare toi-même. que les serfs d'en face~ Dans l'autre prison! Regarde-toi dans la glace encore~Unpetit godet pour les idées! VOle pour mézigue! Popu t'es victime du système! Je vais le refonner l'Univers! Toccupepasdelanature! Tes tout en or! qu'on te répète! Te reproche rien~Va pasréfléchir~Écoute-moit Je veux ton bonheur véritable! Je vais te nommerErnpereur~ Veux-tu? Je vais le nommer PapeetBon Dieu! Toutçaensemble!Boum~Çayest! Photographie!" [...] "Toutçac'est encore l'injustice rambinéesous un nouveau blase. bien plus terrible que l'ancienne. [...] Les Russes baratinent comme personne! Seulement qu'un aveu pas possible, une pilule qu'est pas avalable: que l'homme est la pire des engeances!... [...] "lesuis~ lU es! nous sommes des ravageurs, des fourbes, des salopes!" lamais on dira ces choses-là. Jamais! Jamais! Pourtant la vraie Rivolutioo ça .nit bien celle des Aveux, la p1lDde purification!"CC7. 39-43.

Céline reviendra sur son voyage en Russie, mais cette fois pour en faire le récit, dans

Bagatelles pour un massacre. L'HommDgeà Zola publié en 1933 et Mea Culpa publié en 1936

sont des textes relativement courts. En 1937 Céline frappe un grand coup avecBagatelles pour un massacre: quatre cent pages d'une verve violente, acide et débridée. Après avoir démystifié

le communisme dans Mea Culpa" Céline s'attaquecettefois à ceux qu'il aperçoit derrière tous les maux de son époque, que ce soit le bellicisme, la critique, lecinéma, la propagande, qu'elle soit capitaliste ou communiste, c'est-à-dire les juifs: "Entoutecandeur.ilmeparaitbien quetoUSceux qui reviennent de Russie. ils parlentpourne riendUe••• Usœntmlt pleinsde~Iails objectifs, inoffensifs, mais évitent l'essentiel ils n'en parlent jamais du luif.LeJuifesttaboudanstousles livres qu'on nousp~nte.Gide, Citrine, Dorgel~, Serge, ete.•. n'en disent moL•• Donc ils babillenL.. Us ont l'air de casser le violon. de bouleverser la vaisselle, ils n'éb~bentrien du tout.Osesquivent. ils trichent. ils biaisent devant l'essentiel: le Juif. Ds vont jusqu'aubordseulement de la vériœ: leJuif.C'est du fignolé passe-passe. c'est du courage lIa gomme, y a un filet. on peut tomber. on se fracture pas. on se fera peut-atte une entorse... On sort dans les applaudissements... Roulements de lamboursL. On vous pardonnera. soyez sOrs!..• [...] Mais ne touchezpaslIa question juive. ou bien il va vous en cuire... raide comme une balle,onvous fera calencher d'une manière ou d'une autre..•LeJuif est le roi de l'ordelabanqueetdelaJustice•..Parhommedepaille ou carn!ment.fipo~ touL.. Presse... Théâtre... Radio... Chambre... Sénat... Police_ ici ou Il-bas... BM,49•

En 1938 et en 1941, Céline récidive avec deux ouvrages de la même trempe, aux titres toujours aussi évocateurs:L'école des cadavresetLes beaux draps,danslesquels il poursuit la tâche rhétorique et politique entreprise avec Bagatelles pour un massacre. Durant toutecette

(14)

période (de 1932 à 1944)~ Céline envoie régulièrement des lettres aux journaux.; sur des questions de littérature jusqu'en 1936, puis, jusqu'en 1944, surdes questions de politique, de même teneur que les pamphlets. fiarrive bien souvent queces lettres, par le ton plus personnel qu'elles adoptent, donnent un point de vue bien précis sur un point de détail de la pensée de Céline; c'est pour cette raison que jem'yréférerai tout au longdece travail.

En 1944 Céline quitte Paris encatimini~prévoyant sans doute qu'il ne pouvait plus échapper, tel le Cyrano deRostan~àquelque mauvais coup

-s.

Poétique

Parallèlement à son activité d'écrivain public L.-F. Céline poursuit son oeuvre romanesque. En 1936, juste avant la publication de Mea culpa, Céline publie Mortà créditchez Denoël, son éditeur jusqu'en 1944. Ce roman raconte l'enfance de Ferdinand -quiàpartir de maintenant, ne se cache plus derrière Bardamu-: ses premières expériences de la vie, à l'abri du passage Choiseul, ses premiers emplois dans le commerce parisien et sa rencontre avec le grand inventeur Roger-Marin Courtial des Pereires. Ce roman poursuit et approfondit le travail poétique entrepris avec Voyage au bout de la nuit. Dans Mort à crédit la déconstI'Uction de la langue française est beaucoup plus poussée. Céline réussit à rendre avec beaucoup plus de justesse le rythme de la langue parlée et les mouvements émotifs de l'énonciation -6. Si, par

rapport à Voyage~ Mortà crédit perd du côté polémique et politique, il gagne du côté de la description minutieuse d'une force, peut-être plus profonde et implacable que ceDe qui pousse les hommesàla guerre: la dégénérescence. Dans Mort à crédit, ne serait-œ que par un effet de répétition, le jeune Ferdinand se pénètredecette vérité que toute chose, en commençant par sa propre personne, non seulement tend vers le pire, mais aussiàyretourner incessammenL

Après s'être fait renvoyer de sa place d'apprenti, le petit Ferdinand doit affronter la colèrede son père: "Alorstues encore plus ~11al1IR,plus sournois, plus abject que j'imaginais Ferdinand?" Alfts il a regardé ma mère,illa prenait à témoin qu'ily avait plus rien à tenter•••Quej'&aisirœ~able... Moi-meme je restais atterré, je me cherchais dansles rœfoods, dequels vices immenses, dequeUes inouïes dépravations je

pouvais êtreàla fin coupable? .. Je ne trouvaispastœsbien... rétais indécis... j'en trouvais des multitudes, j'étais sar de rien..•"

"Une fois la surprise passée, mon père a rebattulacampagne...fia recommencé ('inventaire de tous mes défauts, un par un...firecherchait les vices embusqués au fond de ma nature comme autant deph~nomènes.•.

n

poussait des cris diaboliques... fi repassait par les transes••.

n

se voyait persécuté par un carnaval de monstres•.. fi

déconnait à pleine bourre fien avaitpourtous les goOts..•Desjuifs•.• des inlriguants... les Arrivistes.••Etpuis sunout des Francs-Maçons Je ne sais pasce qu'ils venaient faire parIà..•

n

ttaquaitpartout ses dadas•••

n

se démenaitsifondansle déluge, qu'il finissaitparm'oublier•••

n

s'attaquaitàLempreinte, l'affreuxdesgastrites... au Baron Méfaize, son directeur généraL. À D'importequietquoi.pourvuqu'il se aœDlOUSSC et bouillonne.•.

n

faisait un rafut horrible, tous les voisins se bidonnaient. Ma mère se trainaitàses pieds•••

n

en finissaitpas de

(15)

rugir•.. TI retournait s'occuper de mon son... D me découvrait les pires indices... Des dévergondages inouïs! après to~ilse lavait lesmainsL_comme Poaœ Pilare!._ qu'ü disaîL••

n

se~ tlaconscience•.. Ma .œre me regardait.•. "son maudit"._ Elle se faisait une triste raïson.•• Elle voulait plus m'abandonner..• Puisque c'~t évident que je finirais surL'écbaf~eUe m'accompagnerait jusqu'aubout.••" MC,649-6S 1.

En 1944 Céline publie Guignol's band, un roman auquel il pensait depuis le début des années trente. Dans une lettre de 1930 à Joseph Garein, Céline parle d'un épisode londonien pour

Voyage, après l'épisode de la guerre: "une petite Mite anglaise. pour la rigolade et l'oubli"

(08.0.946). Une dizaine d'années plus tard, le chapitre est devenu un roman et la rigolade s'y est

teintée de ce subtil mélange d'ironie et de tragique qui est l'âme de ce que Céline appelle sa

"petite musique". Guignols band raconte les aventures londoniennes de Ferdinand, sa

fréquentation du "milieu" français et sa rencontre de l'aventurier Hervé Sosthène de Rodiencourt. Dans ce roman la narration prend de plus en plus de place et l'action est presque inexistante. Comme Mort à Crédit, Guignols band n'est qu'une suite de mésaventures qui, toujours, immanquablement tournent mal et auxquelles Ferdinand finit par se soumettre comme on se soumet àun mal nécessaire. Tout le roman n'est qu'une suite de mésaventures où il est bien souvent difficile de savoir si Ferdinand fuit ou bien appelle le malheur:"Braoum! Vraoum!... C'est le grand décombreL.. TOUle la rue qui s'effondre au bord de l'eauL.. Cest Orléans qui s'écroule et le . tonnerre au Grandcaf~!••. Un guéridon vogue et fendl'airL.Oiseaudemarbre!. .. virevolte, crève la fenêtre en face à mine éclats! ... Tout un mobilier qui bascule, jaillit des crois&s, s'éparpille en pluiedefeu! •••Lefier pont, douze arches, titube, culbute au Limon d'un seul coup!Laboue du fleuve tout éclabousse!... brasse, gadouiUe la cohue qui hurle étouffe déborde au parapet! •..Çavatèsmal..•Notre bouzine cane, grelotte, engagée de lraviole au montoir entre trois camionsd~pone,hoquette,eUe est mone! Moulin fourbu! Depuis Colombes qu'elle nous prévient qu'eUe peut plus! de cent malaises asthmatiques... Elle estnée pour les petits services... pas pour les chassesà courre d'enfer!. .. toute la foule riteànos trousses qu'on avancepas••• Qu'on est calamité pourrie!... C'est une idéeL .. Les deux cent dix-huit mille camions, chars d'assaut et voituresiLbras,dansl'épouvante massés fondus se chevauchentl qui passera le premier cul par~essustete... le pont croulant, s'empettents'~venttent s'écrabouinentiLtant queçapeut... Seule une bicyclette en r6:bappe et sans guidon... Ça va maiL •. Lemonde s'écroule!. .."08,87.

Ces deux paragraphes ouvrent Guignols band. fis racontent les premiers bombardements de Paris et la débâcle de l'année française en 1940. Bien qu'ils ne soient placés là que comme préambule et ne fassent pas partie à proprement parler de l'action du roman, ils n'en servent pas moins d'exemple pour la suite du récit qui fait se succéder une longue suite de bagarres: bagarre àLaVaiUance, bagarre au Leicester, bagarre et explosion à la croisière pour Dingby, meurtre de Van Claben, orgie au Touit-Touit Club. Mais Céline prévient le lecteur: "À vous de comprendre! Émouvez-vous! "C'est que desbagarreslOus vos chapitres!" QueUe objection! Quelle tourterie!"

G8,85. À l'imagedela poétiquedeCéline, Guignols band nous offre, bien ensevelie sous son désordre, une image du monde absolument séduisante et d'une grande justesse; mais il faut, bien souvent, endurer mille contrariétés pour pouvoir la contempler.

(16)

Lorsqu'il s'enfuit de Paris, comme le fait si souvent Ferdinand dans Guignol's band, Céline

emporte dans ses énonnes bagages le manuscrit de la suite deGuignol's band-7.

§ § §

Après Voyage au bout de la nuit, l'oeuvre de Céline prend deux directions. Dans rune il continue, et avec succès, le travail poétique qu'il avait entrepris dans Voyage, le travail sur le

style, sur la "petite musique". Mais, Mortà crédit et Guignols band, tout en se déployant sur le plan stylistique, se vident peu à peu de références politiques et sociales pour se concentrer sur les mésaventures de Ferdinand dans un monde qui tient beaucoup plus du chaos que du cosmos. Dans ces romans, Ferdinand n'est plus préoccupé que par son propre destin dans un monde, qui, de quelque façon qu'il le considère, ne semble tendre qu'au pire. Dans l'autre direction, au contraire, Céline tente de changer le cours du monde; prophète de malheur, iltente de sauver la France de la crise de l'humanité occidentale. De Mea cu/pa à Bagatelles pour un massacre, Céline dénonce de plus en plus violemment et avec de plus en plus de précision ceux

qu'il voit travailler au malheur de l'humanité. Ce qu'il voit (et lit) le scandalise, Louis-Ferdinand Céline devient un polémiste, un écrivain politique -8: "Lepamphlétaire, solitaire, affronte unehydre,un monstre protéiforme; son refus devient englobant, sa malédiction entraine la société entièredansle déluge.[...] [Il] n'affronte pas une poignée d'imposteurs, mais une vaste conspiration, une cabale aux limites floues qui s'appuie suc la lâcheté et la duperie générale."PP.92.

Mais que ce soit dans les pamphlets ou dans les romans, Céline travaille au déploiement d'une même rhétorique, une rhétorique au registre assez largeyqui use touràtour de la séduction et de

l'invectivey de la compassion et de l'accusation; mais c'est toujours le déploiement du même

talent et de la même technique. Céline arrive a créer un style "émotif' qui s'appuie sur la

vivacité de l'énonciation et sur l'efficacité des métaphores. Une différence cependant distingue la rhétorique des pamphletsde cene des romans, c'est en quelque sorte leurs tâches. Si, dans les pamphlets, Céline tentede nous persuaderde la culpabilitédes bolcheviks, des juifs, des franc-maçons, dans les romans il tente plutôt de nous persuader de son innocence face aux catastrophes qui se multiplient autour de lui. Ainsi, de Voyage à Guignol's band, Céline développe progressivement une rhétorique de l'innocence, où comme dans Guignol's band

Ferdinand est ballotté d'une aventure à l'autre sans qu'il lui soit possible d'intervenir et sans même qu'il s'insurge contre qui ou quoi que ce soit. Tandis que de Voyage à Bagatelles, il

développe une rhétorique de la culpabilité, où avec de plus en plus de précision et d'acharnement il s'en prend à ceux qu'il voit comme la cause de la dégénérescence de la civilisation occidentale (qu'il finira par appeler aryenne). Mais, dans Voyage. ces deux tâches

(17)

La réception des oeuvres de Céline par la critique littéraire témoigne, elle aussi, de cette distinction de la poétiqueetdela polémique que montre son oeuvre. L'accueil de Voyage fut

unanime; roman extrêmementouve~ Voyage apportait des arguments à la droite comme à la

gauche. Mais c'est surtout avec la gauche que Céline s'est expliqué lors de la sortiedeVoyage.

Si la plupart des critiques de gauche avaient encensé Voyage, certains, peut être plus perspicaces, avaient dénoncé l'agnosticisme et l'anarchie qui faisaient le fond du roman. Avec

Mort à crédit, les choses se sont gâtées pour Céline, principalement pour des raisons politiques.

La gauche attendait Céline dans son camp. Certains critiques littéraires "de gauche" avaient défendu le Voyage lors de sa sortie; mais dans le milieu plus politisé de la rédaction des journaux on attendait, de la part de Céline, un engagement beaucoup plus clair. Aragon écrit en 1933: "Le grand problème pour vous Louis-Ferdinand Céline sera. quoi que yous en croye~ de sortir de

l'agnosticisme... Vous qui refusez à choisir, YOUS choisirez. Nous vous reverrons un jour dans la bataiUe.

Pennettez-moi de souhaiter vous voir du co~ des exploités et non pas des explioiteurs." CIl.129. C'est justement le genre de commentaire qui fait réagir Céline -9. Si, lors de la publication de ses

deux premiers romans, c'est surtout avec la gauche que Céline s'explique, il reste que Céline ne futpas un homme de gauche. S'il eut, au tournant des années ttent~quelques affinités avec la gauche, il ne fit jamais partie d'aucun club de gauche. Céline montre, surtout à cette époque, beaucoup d'indépendance idéologique. Cela ne veut pas dire qu'il expose des idées nouvelles ou uniques, mais plutôt qu'il montre une démarche et un assemblage assez originaux.

n

fera la même chose à la fin des années trente avec la droite, mais cette fois avec moins d'originalité dans les assemblages. Mais, à l'époque de Voyage, Céline flotte encore un peu idéologiquement; ses convictions de gauche n'ont pas la solidité et l'assurance qu'auront, quelques années plustard. ses convictions de droite.

Mais je crois que la "carrière" de polémiste de Céline a commencé beaucoup plus tôt. DèsLa

vie et l'oeuvre de P.LSemmelweis, Céline se montre rhéteur et polémiste. On insiste souvent

sur le coté "romanesque"', "'romancé" qu'a donné le jeune docteur Destouches à sa thèse, mais il ne faut pas oublier que cette thèse a aussi un important volet polémique. En fait, dès

Semmelweis, Céline glisse une volonté polémique derrière sa narration. Sous le récit de la vie

tragique de P.I. Semmelweis, Céline glisse une critiquede la profession médicale, et même, plus généralement, une critique du pouvoir. Semmelweis est, lui aussi, un Don Quichotte qui se brise à un monde perdu.

Cependant ceux qui attendaient une "'politique de Célinelt

ne furent pas long à être servis. Quelques mois après Mort à crédit Céline fait paraître un manifeste anticommuniste puis, l'année suivante un pamphlet grotesquement antisémite. C'est à la fin des années trente que Céline passe de la gauche (avec laquelleilne s'était jamais vraiment bien entendu) à la droite(à laquelle il n'a jamais vraiment adhéré, mais avec laquelle on peut. jusqu'à un certain point,

(18)

l'identifier). On voit bien les traces, dans l'idéologie de Céline, de ce côté transfuge déçu, réactionnaire: Céline est poussé àdroitepar sa d&:eptiondela gauche. Pour ajouter au tragique de la destinée politique de Céline, on peut déjà révQer qu'il lui arrivera la même chose à droite. Comme Bardamu, le Céline pamphlétaire est condamné à toujours errer.

Les deux voies de l'oeuvre de Céline

à l'époque de la publication

de

Voyage au bout de la

nuit

Mais avant de me pencher sur la question de leurs vies séparées, je voudrais étudier ce qui en est de ces deux genres d'écriture dans Voyage au bout de la nuit. Si, lors d'une première lecture

de Voyage, on est séduit par le style particulier de la narration et fasciné par l'invention

métaphorique, lorsqu'on lit plus attentivement on constate que le récit est tissé de tensions de toutes sortes. Les personnages que croisent Bardamu tout au long de ses aventures se livrentà d'incessantes parades rhétoriques: par des jeux rhétoriques souvent extrêmement élaborés ils tentent de convertir Bardamu à leur vision du monde. Si dans Mort à crédit Ferdinand apprend, par répétition, l'inévitable déchéance de toutes choses, dans la première partie de

Voyage, l'apprentissagede Bardamu se fait sur un autre plan. Par la guerre, mais surtout par

son expérience de l'arrière il apprend à connaître mais aussi à se méfier des discours et à se battte contre la résistance de son discours à se fondre dans le monde tel qu'il est (qui s'oppose au monde tel qu'il devrait être). C'est la prise de conscience de cette déchirure qui fonde les deux discours de Bardamu; un discours critique, irrépressible mais dangereux et un discours docile et innocent, mais insatisfaisant. Dans Voyage, Bardamu est tiraillé entre un élan polémique et une sagesse populaire, entre la révolte et la soumission. C'est sur cette opposition que se développent les deux genres rhétoriques deCéline: une rhétorique de la culpabilité et une rhétorique de l'innocence.

Voyage repose sur une autre opposition fondamentale. Lors deson expérience de la guerre,

Bardamu découvre deux choses insupportables: mourir sans raison et mourir dupé. De cette découverte, qu'il vit comme une violence et une défloratioD, un affranchissement, Bardamu dira: "Jamais je n'avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses" V.13. C'est par l'expérience de la guerre que Bardamu aperçoit ce qu'il y a au fond des choses etdes hommes, c'est-à-dire la mort: la mort sans raison au fond des choses et la mort trompée et exploitée au fond des hommes. Après l'expérience de la guerre Bardamu se rend compte que la vie n'est qu'une voie sans issue où l'on meurt toujours pour de mauvaises raison ou sinon sans raison

En fait la guerre laisse entrevoir dans leur paroxysme deux pulsions premières qui sont pour Bardamu la source d'une horreur profonde.

Le

désirdemort au fond des hommes: "Àpr&ent. j'étais prisdanscette fuite en masse, vers le meurtre en commun. vers le feu..• Ça venait des profondeursetc'était

(19)

arrivé." V_14 et la dénégation de ce désir par une agitation ridicule etdangereuse~agitation qui, à

grandeécheUe~donne l'humanité~la société: "Ça prouve quepourqu'on vous croye raisonnable. riende

tel que de posséder un sacré culot. Quand on a un bon culot. ça suffit. presque tout alors vous est permis. absolument tout. on a la majorité pour soi et c'estlamajoritéquid6:rètede ce qui est fou et ce qui ne l'estpas_"

V.61. C'est donc vers le bout de ces deux voies que se fera la quête de Bardamu; une quête sociale etpolitique~à travers la vie ensociété~à travers une lecture critique des discours et une quête morale, ascétique à travers la désillusion et le malheur. Molly~qui est le personnage le plus chargé. positivement du roman~diraà Bardamu, lorsqu'il laquittera~à la toute fin de son périple: "Vous en êtes comme malade de votre désir d'en savoir toujours davantage... Voilà tout..•Enfinçadoit

êtrevotre cheminàvous...ParI~tout seul... C'est le voyageur solitaire qui va le plus loin... [...l "C'est peut-être ça qu'on cherche à uavers la vie. rien quecel~ le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir." V.235.236.

Une chose dont se persuade Bardamu tout au long de ses aventures, c'est que dire la vérité aux hommes c'est à coup sûr s'attirer leur opprobre. S'il y a une leçonà tirer de Voyage c'est bien

celle-là. L'épisode final~ où se trouve toujours la morale, va dans ce sens: Robinson meurt parce qu'il dit à Madelon ce qu'il pense vraiment. C'est parce qu'elle trouve cet aveu insupportable qu'elle le tue et disparaît dans la nuit. En mourant ainsi Robinson devient un héros; il meurt parce qu'il a dit la vérité. Mais malgré l'évidence de cet anathème jeté sur la vérité par les hommes et malgré les fâcheuses conséquences que ses propres tentatives ont entraînées, Bardamu ne peu~ ne sait s'empêcher de vouloir proférer cette vérité~ toujours~ inlassablement. C'est cette force obscure qui motive le déploiement discursif de Céline; pour le meilleur (les romans) comme pour le pire (les pamphlets). Je tenterai, tout au long de cette étude~de faire voir la mécanique de cette double parole dans l'oeuvre de Céline: dans Voyage

au bout de la nuit d'une p~ puisqu'elley cohabite~ puis, dans un deuxième temps~comment

elle a vécu sa vie dansMort à crédit, Guignol's band et les pamphlets.

Exposé de la théorie

Cette étude repose sur trois concepts théoriques fondamentaux. D'abord, sur une distinction poétique-polémique fondée sur l'oeuvre de Céline eUe-même; par poétique j'entends, d'une façon très générale, un travail de mise en forme, qui s'appuie essentiellement chez Céline sur l'efficacité des images et sur une recherche du rythme. Par polémique, j'entends un certain usage, très tyPé~du discours; usage qui, comme le montre l'étymologie~est relatif à la guerre, ici guerre discursive, guerre entre les discours. Ensuite sur une certaine conception de la rhétorique comme jeu intéressé sur les pouvoirs de la parole-10. Car Céline, que ce soit par ses

romans ou par sespamphlets~travaille à l'élaboration d'une même rhétorique; rhétorique qui, en s'appuyant sur un formidable talentdeséduction poétique et un désir d'attention tyrannique, est supportée par un désir ambivalent d'agression et de séduction qui repose lui-même sur un

(20)

sentiment ambigu qui. tour à tour. passe de l'innocence à la culpabilité. Cette distinction tripartite qui s'inspire en partie de la philosophie aristotélicienne est évidemment artificielle, mais elle nous Pennettra d'améliorer notte compréhension de ce qui distingue les pamphlets des romans dans l'oeuvre de L.F. Céline.

Pour isoler les pamphlets du reste de l'oeuvre de Céline, la critique a usé de diverses stratégies qui vont de l'ignorance à la complaisance, de la mauvaise foi à la bonne conscience et, en fait, très peu d'études de la bibliographie célinienne intègrent ses écrits politiques à ses écrits romanesques lorsqu'elles tentent d'expliquer la poétique de Céline dans son ensemble. Mais depuis quelques années maintenant, cet ostracisme tend à s'adoucir, tant du côté de la critique que du côté de l'édition. Lamaison d'édition Gallimard a publié en 1986 le VIf volume des

Cahiers Céline, qui revient sur le contenu des deux premiers Cahiers de la série: Céline et

l'actualité littéraire 1.1933-1957 et 11,1957-1961. Ce cahier double le contenu des deux

premiers avec des lettres et des entrevues qui avaient sans doute été jugées impubliables six ans plus tôt. Aussi. font maintenant leur apparition, depuis le début des années quatre-vingt-dix, des ouvrages de critique littéraire. que ce soit des monographies ou des recueils, qui tentent d'expliquer l'apparente étrangeté des deux courants de la production de Céline-Il. En fait deux voies s'offrent au critiquepoUfexpliquer cette étrangeté première; soit la voie de la rupture où les romans et les pamphlets sont donnés comme étrangers l'unà l'autre, isolés chacun dans un univers distinct, soit ils sont pris dans un continuum, qui ne relève pas de l'évidence, mais qui, tout de même, s'explique. C'est la voie que j'ai choisie. Cette continuité est évidemment postulée et idéale. mais elle sert de guide au progrès de la compréhension. Je ne crois pas à la possibilité d'évacuer complètement cette étrangeté, mais il est assurément possible d'intégrer certains éléments, à première vue différents, dans une vision d'ensemble de l'oeuvre de Céline. Malgré cela, la réédition des pamphlets reste une entreprise problématique qui, du reste, se heurte à la volonté deCéline lui-mêmede ne jamais laisser rééditer les pamphlets. C'est pour ces raisons que la question de la place des pamphlets dans l'oeuvredeCéline, et de la place de son oeuvre (y compris les pamphlets) dans la culture contemporaine, reste l'une des questions les plus délicates, mais aussi des plus fécondes de la critique célinienne.

J'appuierai l'étude de cette problématique sur deux ensembles théoriques. n'abord sur la

Poétique et la Rhétorique d'Aristote. pour en retenir certaines grandes conceptions qui nous

serviront pour la suite de cette étude et sur ('Introduction à la rhétorique d'Olivier Reboul. pour apporter quelques précisions à la théorie aristotélicienne et aussi pour l'importance qu'elle accorde à l'aspect hennéneutique de la rhétorique. Ensui~, dans une perspective herméneutique. je m'appuierai sur un des textes d'AllégoriedelaLecture dePaul de Man. dans lequel ilanalyse le déploiement des figures métaphoriques et métonymiques d'un passage d

i\

(21)

lecture rhétoriquement consciente et une lecture esthétiquement sensible. Je retiendrai enfin• pour l'étude de la polémique, certains concepts deLa parole pamphlétaire de Marc Angenot, où, après avoir défini quelques concepts fondementauxdela polémique, l'auteuranalyse d'une part comment s'est constitué le genre "pamphlet"à la fin du

xnc.c

siècle et d'autre part comment

ils'enchâsse dans le grand mouvement de la production discursivede la fin du

xnc:

siècle.

La

poétique et la rhétorique chez Aristote

Lapoétique

Dans le grand système d'Aristote, la Poétiqueet laRhétorique occupent des places voisines

dans la catégorie du faire -l~ qu'Aristote différencie du savoir (la philosophie théorique) et de l'agir O'éthique et la politique). Dès les premières pages de la Poétique, comme c'est son habitude, le Philosophe nous donne une définition initialede la poétique: "L'épopée et le poème tragique. comme aussi la comédie [...] sont toutes d'une manière générale des imitations. [...] Car de même que certains (les uns grâceàl'art et les autresgrâce àl'habitude) imitentparles couleurs et le dessin bien des choses dont ils nous tracent l'image de meme que d'aulreS [...] imitentcaract~res.passionsetactions." P.1447..29 -13.

Commeille fait dans toute son œuvre, Aristote analyse la poétique avec la même méthode qui alterne division et définition. C'est la façon d'imiter qui distingue les genresdela poétique, soit la tragédie et la comédie: "Comme ceox qui imitent représentent des hommes en action, lesquels sont nécessairement gens de mérite ou gens m61iocres [•••] ( le vice et la venu faisant chez tous les hommes la différence du carac~re)ils lesre~ntent ou meilleurs que nous ne sommes en gén~ra1,ou pires ou encore pareils à nous...P.1448a.31.

Pour Aristote, cette distinction s'appuie sur l'histoirede la poésie grecque: "Lapoésie sedivisa suivant le caractère propre des auteurs: les auteurs l ('AmeBevie imitaient les belles actions et les actions des hommes de mérite; les auteurs vulgaires imilaient les actions des hommes vils, composant d'abord des "bllmes" commes d'autres composaientdeshymnes et des~Ioges."l...] "Cest [ce] qui distingue la tragédie et la com6fie: celle--ci veut représenter les hommes inférieurs. ceUe-Ià. veut les repr&entcrsu~rieursaux hommes delar&li~." P,l448b.33°'·48a.31. Ainsi la tragédie, qu'Aristote associe au théâtrede Sophocle, est produite par

des auteurs au caractère élevé et raconte les exploits des grands héros, tandis que la comédie, qu'Aristote associe au théâtre d'Aristophane, blâme et montre les hommes sous leur plus mauvais jour. Aristote ajoute que l'on peut aussi imiter les hommes tels qu'il sont, commedans le théâtre d'Euripide. Après cette définition des genresde la poétique, Aristote s'attarderaà la définition de la tragédie, car la définition de la comédie, qui n'est ici qu'esquissée, devait se développerdans le second üvrede la Poétique, dont malheureusementil ne nous est rien resté. Je ne conserVerai ici que quelques élémentsde la définition que fait Aristotedela lragédie etde la production poétique en général. Ces éléments sont la vraisemblance, l'importance des métaphores et la catharsis.

(22)

§ § §

Une des remarques les plus intrigantes de la Poétique concerne l'effet et peut-être même la fonction de la tragédie; au chapitre VI, Aristote donne cette définition de la tragédie: "Latrag&tie est l'imitation d'une action decaractèreélevé et complète [...)dansun lanpge relevé d'assaiwnnanents [...l

imitation qui est faite pardespersonnages en action et non au moyend'unr6:it. etqui, suscitant pitiéetcrainte, opère la purgation propreà pareilles émotions." P.1449b,36. Cette définition de ce que la tradition a appelé, faute de pouvoir traduire justement ce mot, la catharsis, est l'un des éléments les plus anciens. et aussi un des plus obscurs de l'histoire littéraire. Aristote ajoute au caractère étrange de la catharsis en y mêlant le plaisir:"Orla crainte et la pitié peuvent naître duspe~taeleet elles peuvent naître aussi de l'agencement mêmedesfaits. (•..) En effet. la fable doitêtre composée de tellesoneque. même sans les voir, celui qui entend raconter les faits, en frémisse et en soit pris de pitié. [...)Carce n'est pas n'importe quel plaisir qu'il faut chercheràprocurer avec la tragédie. mais le plaisir qui lui est propre....P,1453b.48. Pour ce qui est de savoir si, en évoquant la crainte et la pitié, la tragédie a pour tâche de les apaiser ou de les exciter, ou même, de savoir si la représentation des passions a plus à voir avec une visée morale (civilisatrice) ou émotive Oibératrice), les exégètes de l'oeuvre anistotélicienne se perdent en conjectures: aujourd'hui encore, aucune interprétation n'a pu s'imposer.

Dans le Livre Il de la Rhétorique, qui est consacré à l'étude des passions et des caractères, Aristote donne cette définition de la crainte et de la pitié: la crainte "est une peine ou un trouble consécutifà l'imagination d'un mal àvenir pouvant causer destruction ou peine" RU,82a,72, la pitié "est une peine consécutive au spectacle d'un maldestructif et pénible. frappant qui ne le méritait pas. etque l'on peut s'attendre àsouffrir soi-même" RII.85b.81. On voit que la crainte comme la pitié sont éveillées par la présence, imaginaire ou réelle, de la destruction. Dans la Naissance de la tragédie,

Fr.Nietzsche nous montre la tragédie, et derrière eUe l'art grec en général, comme l'affrontement de forces constructrices, civilisatrices et positives et de forces destructrices et négatives -14. Pour Nietzsche, la grandeur et le fragile équilibre de la tragédie repose sur l'affrontement perpétuel de ces deux forces. Le héros grec est cet homme, guidé par la déesse Athéna ou le dieu Apollon qui, par sa force et son courage (Hercule), sa volonté et son ingéniosité (Ulysse), arrive à vaincre les forces chaotiques du dehors. Les images les plus fortes de cette volonté civilisatrice se trouvent dans les derniers dialogues de Platon. Que ce soit dans leTimée, où Platon, par un récit mythique, nous montre comment le Démiurge met de l'ordre dans le chaos, les yeux fixés sur les Idées-fonnes (qui sont ici des idées mathématiques et géométriques), ou dans les Lois, où nous assistons à une réunion de sages athéniens dissertant sur l'édification de la Cité Idéale. Latâche, pour le hérosgrec,qu'il soit mythique ou philosophique, restedevaincre le désordre; le désordre des forces que cache la nature pour le héros mythique, le désordre des passions, qu'eUes soient civiles ou individuelles, pour le héros philosophe.

(23)

Je voudrais retenir une seconde remarque de la Poétique qui ~ presque autant que la précédente, donné naissance à une longue série d'exégèses: "ll faut pœf&er l'impossible qui est

vraisemblable au possible qui est incroyable." P.146Oa,69. Un peu plus loin, le Philosophe revient sur

cette définition: "D'une façon gén6'ale. l'impossible doitsejUSlifieren considérationdela poésie ou du mieux ou de l'opinioncommune. Pour cequiestdelapo&ie. l'impossible quipersuadeest pœférable au possible qui ne persuade pas." P.1461b,73 -Aristote aurait pu ajouter: pour ce qui estde la poésie et comme de la

rhétorique-. Cette remarque concerne ce que l'on pourrait nommer plus généralement la vraisemblance et nous mène au coeur de la problématique commune à la poétique et à la rhétorique. La vraisemblance est le fond commun d'images, d'idées et de discours à partir duquel se construisent la poésie et la rhétorique, mais toutes deux travaillent bien souvent aux limites de la vraisemblance. C'est comme si. au-delà de ce qui est et de ce qui pourrait arriver (le nécessaire et le vraisemblable). Aristote posait une troisième catégorie, qui serait le domaine exclusif de la poésie (et de la rhétorique), qu'il nomme le merveilleux; un domaine que le sens commun reconnaît comme invraisemblable mais possible, et qui malgré ce caractère d'exception semble contenir une prime de vérité. Aristote nous explique, que d'unep~ "Ilfaut

dansles caractères, commedanslacomposition des faits, chercher toujours ou le nécessaire ou le vraisemblable, de sotte qu'il soit nécessaire ou vraisemblable que tel ou tel personnage parle ou agisse de telle façon. qu'après telle choseilse produise telle autre." P,1454a,51, mais aussi que"L'imitation a pour objet non seulement une action complète mais encore des faits propres àexciter la crainte et la pitié. et que ces passions sont émues suttout lorsque ces faits se produisent contre notre attente. tout en découlant les uns des autres. car ils auront alors le caractère du merveilleux plus que s'ils étaient dus au hasard et à la fonune (même les faits dus à la fortune paraissent surtout merveilleux quand ils semblentpourainsi dire arrivésàdessein) [...lil s'en suit que les fables composées ainsi sont plus belles." P.1452a,43. Latragédie est une forme particulière d'imitation; son

premier devoir est de susciter la crainte et la pitié par l'évocation de la destruction et de l'effondrement du monde. L'efficacitéde cette évocation dépend des règles très strictes de la vraisemblance et du merveilleux.

Le merveilleux et la vraisemblance se distinguent de la nécessité, et c'est même au nom de

cette distinction que Platon rejetait la poésie hors del'enceinte de la cité idéale. Par contre la pensée d'Aristote est beaucoup moins dogmatique que celledeson maître; Aristote ne met pas en cause la légitimité des fondements d'une pratique, mais cherche à comprendre son fonctionnement, la place qu'elle occupe dans la viede la cité et aussi la manière de la porterà

sa plusgrandeefficacité. Pour définir la poésie, Aristote la compareà l'histoire: "Ce n'est pas de raconter les choses réellement arrivées qui est l'oeuvœpropredu pœte mais bien de racontercequi pourrait arriver. [...lEneffet, l'historien et le poète [.••) se distinguent [.••len ce que l'un raconte les événements qui sont arrivés, l'autre des événements qui pourraient arriver. Aussi la poésie est-elle plus philosophique et d'un caracrà'e plus élevé que l'histoire; car la poésie raconte plutôtlea&énl, l'histoire leparticalier." P,1451b42. La

poésie rejoint ainsi la philosophie, ou du moins partage avec eUe une partie de son domaine car elle sait entrevoir, au-dessus du monde empirique, des liens d'un ordre supérieur.

(24)

Pour Aristote la figure poétique qui permetde faire detels liens avec le plusdesubtilité est la métaphore. Aristote donne cette définition initiale de la métaphore: elle est "le transportà. une

chose d'un nom qui en désigne uneautre." P,14S7b.61·lS. La métaphore fait partie de ce qu'Aristote a

appelé, plus haut, "assaisonnement", et qui concerne plus généralement le style de la poésie,et

derrière lui le génie particulier du poète:"Ilestd'ailleurs imponant d'user convenablementdechacundes

modes d'expression (...) mais ce qui est de beaucoup le plusimponan~c'est d'excellerdans les métapbores.En

effet c'est la seule chose qu'on ne peut prendreà autrui. et c'est un indice de dons naturels; car bien faire les métaphores c'est bien apercevoir les ressemblances." P.14S9a.6S. Tant dans la Poétique que dans la

Rhétorique, Aristote donne plusieurs descriptions de figures (figures de mots, figures de

pensée), mais c'est à la métaphore qu'il réserve tous ses éloges; elle forme le fond du génie propre du poète, être poète c'est bien faire les métaphores. Lepoète tragique imite le monde tout en révélant les aspects les plus inquiétants et les plus séduisants; non seulement le channe et le plaisir, mais aussi l'efficacité de la représentation tiennent dans cet écartàla réalité.

La rhétorique

Dans tous ses traités, c'est par la division et la classification qu'Aristote arrive à identifier l'objet de son étude, et la rhétorique n'échappe pasàcette approche. Aristote est beaucoup plus près d'une approche scientifique que d'une approche philosophique comme la pratiquait son maître Platon~ qui cherchait théoriquement l'essence d'une chose avant de la considérer dans son existence (pour presque chaque fois juger la chose inférieure à ridée). Pour Aristote. la rhétorique existe et il s'agit de savoir comment elle fonctionne; d'une part en écartant cenaines pratiques qui la travestissen~ comme la sophistique, puis en répertoriant ses parties pour trouver les moyens de la porter à son plus haut degré d'efficacité. En fait, pour Aristote, la rhétorique est deux choses: d'une part, un catalogue de règles et d'outils

Oes

livres 1 et

m

et d'autre part, une méthodepourutiliser ceux-ci au mieux Oe livreIll).

Comme dans laPoétique, Aristote commence laRhétorique par une définition initiale, cette fois comparative: "La Rhétorique est l'analoguede la Dialectique; l'une et l'autre. en effet, portent sur des questions qui sont àcertains égards delacompétenceCOIDDlUDeà tous les boDUlleSetne requièrent aucune science spéciale. Aussi tous y partidpeat.iIsà quelque degré: tous se mêlent jusqu'k un cenain point de questionner sur une thèse et de la soutenir, de se défendre et d'accuser." R.I.S4a71. En suivant cette

distinction, la Rhétoriqueprend deux directions: une technique d'argumentation Oivre

n

et une certaine théorie de la séduction et du talent poétique (Livre II et11I). Larhétorique est unart

-une teehnique- public, elle est née avec la démocratie et sa fonne est intimement liée à l'exercice de celle-ci. Elle s'élabore sur un fond civil, éthique-16 et même philosophique: "La

rhétorique est utile, parce que le \'l'8Ï etle juste [ont] une plus grande force natureUe que leurs contraires."

(25)

rhétorique en genres. qui sont ici associés à des raisons et à des façons de prendre la parole dans la Cité.

Dans le livre 1, Aristote rapproche la rhétorique. pour la situer dans l'ensemble de l'expérience humaine. d'une part de la dialectique, parl'invention logique et d'autre part de l'éthiqu~parla connaissance des caractères et des passions, puis dela politique par l'utilisation que doivent en faire les orateurs. Onpeut voirainsi en quoi la rhétorique est une technique: d'abord elle doit travailler pour constnlire son discours avec les formes de la dialectique -entre autres l'enthymème, qui est une forme du syllogisme- et l'exemple. ensuite elle se consttuit par l'évocation des passions et par l'utilisation des métaphores. pour donner un effet à son discours. Lerhéteur doit jouersurdeux tableaux: ildoit non seulement convaincre les esprits mais aussi les séduire.

C'est dans le livre II de la Rhétorique qu'Aristote traite des passions et des caractères. Mais ce

livre n'est pas une éthique; les passions et les caractèresy sont décrits sans y être jugés, il est plutôt un catalogueà la disposition de l'orateur. Aristote s'y attarde à l'étude des passions pour expliquer comment elles agissent sur la sensibilitédel'auditoire. soit que le rhétheur se pare de certains caractères. soit qu'il évoque certaines passions dans son discours. Dans la Rhétorique. les passions et les caractères ne sont que des outils au service de l'orateur, des outils dontildoit apprendreà manier les effets.

Dans le livre

m,

Aristote traite du style: "Dne suffitpasd'êueen possessiondes arguments à produire,

ilest encore nécessaire de les présenter commeil faut. et cela contribue pour beaucoup à ce que le discours paraissent avoir tel ou tel ~re." RID,03b.38. En fait, le livre

m

se divise en deux parties: la première sur l'action et le style, la seconde sur les parties du discours. L'action est la mise en scène du discours: l'intonation de la voix, les poses et les gestesdel'orateur, c'est ce que Olivier Reboul nomme l'aspect oratoire du discours. Lestyle est le travail sur la construction, la mise en forme du discours. Lediscours doit être clair pour bien mettre en valeur son objet; c'est ce qu'Aristote nomme la convenance. Le discours doit convenir en même temps à son objet et à son auditoire.

n

doit aussi être inventif pour intéresser et séduire ceux à qui il s'adresse.

n

doit, tout en représentant son objet, le relever. C'est par la qualité de l'invention que se déploie tout le talent de l'orateur.

n

sait utiliser les ressources de la langue (exemples. images. citations, jeux de mots) pour omer. embellir (ou enlaidir) son sujet pour en augmenter le pouvoir de séduction. En fait, l'orateur. comme le poète. est soumis à une sortede devoir de séduction envers son auditoire. Pour l'un comme pour l'autre. le moyen de séduction le plus efficace resté l'utilisation de la métaphore: "Ufaut (••.]tirer sesmc!tapboresdechoses appropri&s. mais

non point évidentes, comme, en philosophie, apercevoirdes similitudes

marne

entre des objets fort distants témoigne d'un esprit sagace." RDI.12a.68. Les parties du discours, la troisième partie du livre

m,

(26)

concerne la bonne ordonnance du discours. L'orateur doit évidemment respecter le bon ordre des parties pour faciliter la compréhensiondeses auditeursetgarder leur attention.

Larhétorique est soumise à l'auditoire et à la vraisemblance. Elle est intéressée et calculatrice, c'est ce qui rapproche la rhétorique de la politique et d'autres pratiques sociales comme le travail, l'échange, l'économie. Elle est prisedans les jeux et enjeuxde pouvoir qui composent le tissu de la société. C'est pour cette raison que Platon déprécie la rhétorique; elle n'a pas comme la philosophie -la dialectique- les yeux fIXéssur la vérité. La rhétorique reste attachée aux intérêts des hommes. Elle est politique, mais d'une politique toute matérialiste et intéressée, opposée à la politique spéculative et prescriptive du philosophe.

Si la partie technique de la rhétorique vient des tribunaux et des débats publics, ou même de l'enseignement de la dialectique (la logique), la partie stylistique, elle, vient de la poésie. Mais Aristote prend bien garde de confondre la rhétorique et la poésie: "Le premier branle fut donné, comme c'était naturel, par les poètes: de fait, les mots sont des imitations, et, dans le jeu de tous nos organes, la

voix est le plus propre à l'imitation; ainsi se constituèrent les ans, la rhapsodie, le débit des acteurs, sans compter les autres. Comme les poètes, nonobstant l'insignifiance de ce qu'ils disaient, semblaient atteindre à la gloire grâce à leur façon de le dire, le style fut d'abord poétique [...) et aujourd'hui encore les gens incultes pensent pour la plupan. que les orateurs de ce genre parlent excellemment." R1II,04a.,40. On voit ici poindre

l'un des aspects fondementaux de la philosophie aristotélicienne: la supériorité du philosophe parce qu'il possède une connaissance supérieure théorique de son sujet, plus que le poète qui

n'en n'a qu'une connaisance intuitive, non théorique, qu'une connaissance d'usage. Le rhéteur comme le poète sont tous deux des imitateurs; si le poète prend la nature pour modèle, le rhéteur, quantàlui semble prendre le poète comme modèle. C'est ce qu'insinue le passage cité plus haut qui enchaîne avec cette réflexion: ''D'ailleurs l'action est un don de nature: elle est plutôt étrangèreàla technique; mais appliquée au style, elle est technique."RUI,04a,40. La prose de Céline suivra cette même voie qui va dela poésieàla rhétorique; la rhétorique que Céline déploieradans sa polémique utilise amplement les tours qu'il a mis au point dans ses oeuvres poétiques.

La rhétorique et l'herméneutique chez Olivier Reboul

Dans sonIntroduction à la rhétorique, Olivier Rehoul donne aussi àla rhétorique un senset une tâche herméneutiques: "Dans l'université actuelle, la fonction hennéneutique de la rhétorique est primordiale, pour ne pas dire unique. On n'enseigne plus la rhétorique comme un artde produire des discours, mais comme un artde les interpréter; elle n'est plus un artqui vise à produire, elle est une théorie qui vise à comprendre." ~9. On se souvient qu'Aristote, dans son analyse de la rhétorique, distinguait le faire du connaître, et qu'il plaçait la rhétorique, ainsi que la poétique, du côté du faire, c'est-à-dire du côté des techniques (au sensgrecdece mot). Un des lieux communs de l'histoire dela rhétorique est qu'après Aristote, la rhétorique n'a fait que développer ce que le Philosophe avait

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défini comme le domaine propre de la rhétorique. Sans rien apponer de nouveau à ce qu'est la rhétorique. le nouvel intérêt dont jouit la rhétorique depuis les années cinquante, en linguistique mais aussi en théorie littéraire, a pennis d'en développer le potentiel herméneutique.

Aujourd'hui, la rhétorique est devenue une méthode d'analyse, une grammaire qui nous permet de comprendre le langage et l'homme: "Si la rbitorique est l'ande persuader par le discours, il faut bien voir que le discours n'est pas, n'est jamais un événement isolé. (...)

n

s'opposeàd'autres discours, qui l'ont précédé, qui peuvent être implicites. [...)Laloi fondamentalede la rhétorique est que l'orateur n'est jamais seul, qu'il s'exprime toujours avec ou contre d'autres orateurs, en fonction d'autres discours, toujours." lR.8. C'est au lieu de rencontre de la rhétorique comme herméneutique et des sciences sociales comme connaissance de l'expérience de l'homme en général que je voudrais situer mon travail. Celui qui prend la parole dans la société" que ce soit par le roman ou le pamphlet (puisque ce sont les genres dont nous parlerons). fait ce double geste de lire le monde dans lequel il vit et d'y agir: "Pour être un bon orateur, il ne suffit pas de savoir parler; il faut encore savoir à qui l'on parle, comprendre le discours de l'autre, que ce discours soit manifeste ou laten~détecter ses pièges, soupeser la force desesarguments et surtout en capter le non-dit." lR.9. fine faut pas oublier que le rhéteur, si convaincu

qu'il soit de son bon droi~ doit toujours agir sur le terrain de son auditoire et lui parler sa langue; c'est une situation souvent paradoxale pour le rhéteur (nous le verrons dans l'oeuvre de Céline). mais inévitable: "On ne peut réfuter une rhétorique que sur son propre plan, que par une autre rhétorique." lR.IIO. Autre paradoxe pour le rhétheur,iln'y a pas d'en dehors de la rhétorique; c'est

la leçon que tire Bardamu de ses voyages autour du monde. La vérité comme valeur suprême est une utopie: un autre monde.

L'herméneutique chez Paul de Man

C'est à la lectured'Allégorie de la lecture de Paul de Man, que la problématiquedece travail a commencé à se fonnerdans mon esprit. Dans le premier chapitre de ce livre, oùil analyse un passage d'À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, Paul de Man arrive à faire avancer

de front une lecture esthétiquement sensible, attentive aux procédés littéraires de mise en images et une lecture rhétoriquement consciente, attentive aux processus de mise en valeurs des images que cache la production apparemment désintéressée de la création poétique.

Une telle lecture n'est pas une méthode de classification, mais une méthode d'interprétation. Elle ne sépare pas ce qui est uni, eUe souligne l'apparente étrangeté de certains mariages, en gardant toujours à l'esprit la signification supérieure qu'ils pourraient cacher. Des expressions comme "séduction métaphorique" (99), "valeur persuasive [des} métaphores" (88) ou même

"intensité sémantique" (lOI). "efficacité représentationnelle " (lOI) nous font voir comment se

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romanesque. Des expressions comme"dramatisation [de} ['importance sémantique" (102) ou

encore "polarité toumoyanle " (8S) et "stabilité toUllisanredu processus métaphoriques I f (90)

montrent commen~ en étanttoujours attentif aux tensions dynamiques (tensions qui donnent

comme une vie au texte), P. DeMan arrive à combiner une lecture inspirée de l'interprétation

littéraire, attentive à la construtionde la beauté du texte, àune certaine vigilance rhétorique et philosophique, attentive àla mise en valeurs des images et ausystème d'oppositions qui régit

leur genèse.

Derrière ce côté philosophique, sans doute inspiré par les travaux deJ. Derrida,s'en cache un autre, hérité de la philosopbie esthétique allemande et qui concerne la critique:

"n

faut interpréter le signe pour comprendre L'idée qu'il doit communiquer, et cela parce que le signe n'est pas la chose mais une signification dérivée de lachose par un processus appelé représentation etquin'estpasseulement génératif, qui ne dépend pas d'une origine univoque. L'interprétation du signe n'est pas [..•) une signification mais un autre signe; c'est une lecture et non un décodage, et cette lecture doit être.àson tour. interprétée en un autre signe. ce procédé se répétant ainsi ad infinitum." AL.30. Olivier Reboul insistait sur la part oratoire de tout

discours. Paul de Man nous fait voir l'équilibre toujours précaire et changeant qui travaille la lecture littéraire. Cette instabilité herméneutique n'est évidemment pas étrangèreà l'entreprise littéraire de Marcel Proust.

Pour P. De Man, la métaphore est la figure par excellence de l'ambiguïté et de la réunion des contraires -17. Bien souven~ c'est de ces réunions qu'eUe accomplit, qui au premier abord

peuvent sembler contradictoires, que le texte tire toute sa solidité et sa ricbesse: "Lesoupçon qu'il puisse en être autrement provoque une cenaine méfiance qui. comme le montre bien le récit ultérieur des relations entre Marcel et Albenine. produit plus qu'elle ne paralyse le discours interprétatif.Lalecture ne peut commencer que dans ce mélange instable de littéralisme et de méfiance." AL.84.

Ainsi, le premier pas de l'analyse littéraire serait donc de passer au-delà de la mystification métaphorique pour voir apparaître sous la surfacedel'oeuvre la possibilité de déployer d'autres lectures -18. Le premier gestedecette lecture est d'être attentif aux valeurs des métaphoreset

aux noeuds de contradictions qu'elles peuvent cacher. Ces noeuds de contradictions ne doivent pas être considérés comme négatifs. Bien au contraire, il faut les considérer comme des énigmes qui portent en elles, quand on sait pénétrer leur mystère, la clef de leur réconciliation. C'est un pacte herméneutique où toutes les chances doiventêtre données à l'oeuvre. Non pas par respect pour la mémoire de l'auteur, mais par souci de dégager, autant que faire se peu~

l'interprétation des pièges qui pourraient la figer. Cette attention à la progression de l'interprétation devient le critàe d'évaluation de l'interprétation-19•

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