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Marco Micone : ecrivain quebecois

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(3)
(4)

••

.~

Marco Micone : écrivain québécois

par

Kétra PELLETIER

Mémoire de maîtrise soumisàla

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de

r

obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langueet1ittérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Août 2000

(5)

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(6)

Je tiens avant tout à remercIer mon directeur de mémoire, monsieur Yvan Lamonde, pour sa rigueur intellectuelle, sa confiance et sa grande disponibilité.

Je tiens égalementàremercier monsieur Pierre L'Hérault pour son aide généreuse ainsi que monsieur Marco Micone, sans qui je n'aurais eu la possibilité de consulter des documents de première main, jamais publiés.

Je remercie tous mes proches, qui m'ont encouragée à poursuivre ce chemin sinueux empli d'embûches, lequel débouche néanmoins sur un enrichissement culturel et un éPanouissement personnel.

Enfin, mes derniers remerciements vont àSébastien, qui a toujours su m'épauler au moment oùj'en avais le plus besoin.

(7)

ABSTRACT

What is the nature of Quebec literature these days? Will we soon bespeaking yet agaio of

a

nationalliterature? Will we possess

as

much breadth of literature as do ethnic groups? These are sorne of the questions asked by one of the protagonists of Monique LaRue in L'arpenteur et le navigateur, a work which bas provoked an autcry from the literary community.

Quebec literature, like Quebec society, has reached a crossroads; it is now in the process of redefining itself.

Is Marco Micone, an immigrant of ltalian origin, considered a Quebec author? In this paper, we will attempt to answer that question by delving ioto his fiction, by

examining his contemplative essays andbyevaluating his position within the mainstream. We will also observe the way in which the concept of a culture immigrée (transplanted culture), expounded by Micone, played a major role in the issue of écritures migrantes (ethnie writing).

(8)

RÉsUMÉ

Qu

~est-ce que la littérature québécoise de nos jours? Parlerons-nous bientôt encore

de littérature nationale? Aurons-nous autant de littératures que

de

groupes ethniques?

Voilà quelques questions que se pose l'un des protagonistes de Monique LaRue dans

L'arpenteur el le navigateur.,

ouvrage qui a provoqué un tollé dans le domaine des lettres.

La littérature québécoise, tout comme la société, est rendue à un carrefour; elle est

présentement en train de redéfinir son identité.

Marco

Micone~

immigrant d'origine italienne, est-il considéré comme un écrivain

québécois? Nous tenterons au cours du mémoire de répondre

à

la question en sondant son

imaginaire, en nous intéressant

à

sa réflexion essayistique et en évaluant sa place au sein

de l'institution littéraire québécoise. Nous verrons aussi la façon dont le concept de

culture immigrée.,

élaboré

par

Micone, a joué un rôle de premier plan dans la

(9)

TABLE DES MATIÈRES

Remerciements 1

'''Abstract" 2

Résumé 3

Table des matières générale .4

Introduction

H ·Istoue e. dl"ImmigratIon lta lenne au. . . l' Que ec'b .6

Les études ethniques 8

Les études sur Marco Micone 13

Premier chapitre: L'imaginaire théâtral et l'apport essayistigue de Marco Micone

L'influence de Marcel Dubé sur le théâtre de Micone 23

Lafamilia 27

Les préjugés que les Italiens et les Québécois entretiennent 34 Les implications de la langue dans l'œuvre dramatique de Micone 37

Pourquoi écrire? 40

La critique constructive de la société et de la politique québécoises .47 De 1975 à 1986 : l'élaboration du concept decul/ure immigrée 52

De

1987à 1992 : la période de transition 54

De 1993à 1996 : la société québécoise métissée .54

(10)

Deuxième chapitre: Marco Micone et l'institution littéraire québécoise

L ,.Institution Itteralre que. . 1'" ,béCOise. .59

Marco Miconeet lesécritures migrantes 65

La réception critique auQuébec 78

Le didactisme et les procédés de distanciation 91

La conception miconienne de la traduction 95

Marco Miconeet1"édition 100

Conclusion

La position de 1"entre-deux 106

Une question de langue 109

La désillusion de MarcoMicone 112

L'apport dumémoire 114

Table des matières de labibliographie 116

Bibliographie 117

Appendice

(11)

INTRODUCTION

«Si l'émigration avait pu aiderà l'émancipation de laclasseouvriè~elle n'auraitj ...eüté. ))

Marco Micone,Gens du silence, p.ix.

Histoire de rimmigration italienne au Québec

L, histoire de rimmigration italienne au Québec débute véritablement à la fin du XIXe siècle, malgré l'apport de quelques Italiens venus coloniser l'Amérique du Nord aux siècles précédents. Leur nombre était si limité que nous ne pouvions parler de mouvement migratoire.

N'étant encouragée ni par le Canada ni par l'Italie, rémigration est devenue la solution pour quelque quatorze millions d'Italiens entre 1861, moment d'achèvement de l'unification politique de leur pays, et 1914, début de la Première Guerre mondiale. D'une part, les émigrants cherchaient à améliorer leurs conditions de vie face à

rappauvrissement de l'Italie méridionale et face

«

à un avenir qui ne laiss[ait] présager qu'oppression, misère et humiliation»1. D'autre part, le développement industriel et urbain dans les pays occidentaux nécessitait l'embauche de main-d'œuvre non qualifiée. Les sociologues Claude Painchaud et Richard Poulin soutiennentàcet égard:

Les phénomènes migratoires sont avant tout conditionnés par la liberté de circulation de la main-d'œuvre et l'obliaaoon quece~itrouve àvendre sa

1Bruno Ramirez, Les premiers Italiens de Mon/réal L 'origine de la Petite Italie du Québec, Montréal,

(12)

force de travail sur place ou., au contraire,pour améliorer sa situation2• àse déplacer et mêllleàs'espatrier

Les historiens et les sociologues qui ont étudié la communauté italienne s'entendent sur les trois phases du mouvement migratoire. L'apogée de la première vague d'immigration italienne correspond au grand exode de 1880 à 1890.

n

s'agit d'une émigration incontrôlée et temporaire. Elle est d'abord constituée de travailleurs saisonniers dans les secteurs de la construction de chemins de fer et d'infrastructures urbaines (canalisations, routes, bâtiments) et de l'extraction des matières premières.

Suite à ce mouvement migratoire, le Commissariat général de l'émigration en Italie adopte, en 1901, IJne loi qui a pour but de protéger les émigrants italiens contre la discrimination de la classe ouvrière. Cette loi

sem

en vigueur jusqu'en 1922, c'est-à-dire jusqu'à la prise du pouvoir par le mouvement fasciste.

La seconde phase, datant de 1914 à 1945, correspond à l'entre-deux-guerres. Le fascisme de Mussolini, la dépression de 1930 qui entraîne la fermeture de plusieurs usines ainsi que la politique américaine des quotas qui discrimine les émigrants italiens sont autant de causes qui découragent l'émigration en terre d'Amérique.

Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour constater une deuxième vague d'immigration. En 1950, la Réforme agraire appauvrit davantage l'Italie

méridionale~les petits exploitants agricoles doivent s'opposer aux grands propriétaires terriens. L'Amérique assiste alors à un nouvel exode. Cette dernière phase migratoire italienne va de 1946 à 1973. À partir de 1973, les Italiens choisissent plutôt d'émigrer vers l'Afrique du Nord.

Les Italiens actuels du Canada et du Québec sonttrismajoritairement issus du courant migratoire de .'après-guerre et De progressent, en termes

(13)

démographiqu~ que grâce à une fécondité supérieure à la mortalité et aUI départs puisqu'il n'y a presque plus d'immigration italienne au CanadaJ•

Les Italiens du Québec proviennent en grande partie de l'Italie du Sud Ce sont d'anciens ouvriers agricoles peu scolarisés. En ignorant les langues du pays d'accueil, en manquant d'information et en ayant un besoin pressant de travailler, la première génération d'immigrants italiens était inéluctablement condamnée à être au bas de l'échelle socialeetéconomique.

Devant cette histoire de l'immigration, Marco Micone, lui-même immigrant d'origine italienne, justifie ses motivations quantàla pratique de l'écriture:

Injustices et attitudes racistes se pounuivirent tout au long de l'histoire de l'immigration au Canada (•.•1 Lonque ces découvertes s'ajoutent à la certitude que l'émigration n'existerait pas si eUe ne profitait pas en premier lieu au pays d'accueil, l'indignation surgit et l'immigré devient parfois écrivain".

Les études ethniques

En 1945, le roman de Hugh MacLennan, The TwoSolitudes,explorait les relations entre francophones et anglophones dans un petit village du Québec. Le syntagme

troisième solitude, qui désigne les groupes immigrants et ethniques au Québec, provient

précisément du titre de ce roman. En 1959, l'une des premières études sur la figure de l'immigrant dans la littérature canadienne-française se trouve dans la revue Citi=en,

publiée par le ministère fédéral de la Citoyenneté et de l'Immigration. L'intérêt d'un écrivain pour les rapports interculturels et l'analyse d'un critique sur la figure de

3Ibidem,p.23.

(14)

rimmigrant montrent que la notiond'ethnicité prend naissance au Québec dans le champ

de la littérature. Du littéraire au politique, la question ethnique passe désormais aux mains de l'Étatparle biais des politiques d'immigration.

Jusqu'en 1968, c'est-à-dire jusqu'à la création du ministère de l'Immigration du Québec, seul le gouvernement fédéral a le pouvoir de légiférer en matière d'immigration. Annoncée au début des années 1970 et mise en place dans les années 1980, la politique fédérale du rnulticulturalisme pose plus explicitement la question de la diversité ethnique au Canada et au Québec. Bien qu'il soit plus une idéologie qu'un concept, le multiculturalisme se fait peu critiquer, si ce n'est par les tenants du nationalisme québécois et de la souveraineté. À ce sujet, l'écrivain Neil Bissoondath observe que«peu de silences sont aussi éloquents que celui qui, dans ce pays, entoure le culte que nous vouons au multiculturalisme»5.

Outre le multiculturalisme, d'autres concepts apparaissent, mais cette fois dans les travaux de chercheurs en sociologie. En t976, le sociologue John Porter, qui a élaboré la notion de mosaïque verticale, soutient que [a conscience ethnique provient d'une

nostalgie pour les coutumes et les traditions nationales ancestrales et d'une prise de conscience que l'égalité des chances pour les groupes ethniques n'est en fait qu'un leurre. En t980, Raymond Breton et son équipe, quant àe~ établissent une distinction entre les groupes ethniques fondateurs et les autres groupes. lis fournissent également une représentation complexe de la diversité ethnique au Canada. En 1983, Gary Caldwell, dans son bilan des études ethniques, confirme qu'il n'existe pas de véritable tradition de

SNeil Bissoondath,Lemarché aux illusions. La méprise du multiculJllralisme (Selling Illusio" :the Cult of MultictlltllralismillCa"ada),traduit par Jean Papineau, préface de Lise Bissonnette, Montréal, Boréal et

(15)

recherche chez les francophones sur les collectivités ethniques du Québec, d'autant plus que le conceptd'identité ethnique resteàdéfinir6.

En 1994, soit onze ans après l'ouvrage de Caldwell, Julien Bauer observe que «les définitions varient, de raciales elles sont passées à culturelles puis reviennent à

l'aspect mcial, ethnique, visible mais ont un point en commun: l'absence de critères précis»7. En 2000, la pléthore de tennes pour qualifier le groupe ethnique ou ses

membres (communauté culturelle, communauté immigrante, minorité visible, Néo-Québécois, etc.) témoigne toujours de la complexité et de l'actualité de la question.

Gary Caldwell, dans le même bilan, établit un lien entre la conjoncture politique globale et la perception du fait ethnique. Les études portant sur les ethnies apparaissent dans les années ]960 et elles sont généralement commandées par les gouvernements fédéral et provincial. Jeremy Soissevain, en rédigeant Les Italiens de Montréal. L'adaptation dans une société pluraliste (1971), une étude justement réclamée par le

gouvernement fédéral dans le cadre de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, fait figure de proue. Deux autres ouvrages sur la communauté italienne constituent des références: l'étude de Bruno Ramirez surLes premiers Italiens de Montréal: l'origine de la petite Italie du Québec (1984) et celle de Claude Painchaud

et Richard Poulin surLes Italiens au Québec (1988).

Soissevain tente de démontrer que l'Italo-Canadien jouit d'une identité mobile grâce à un système de classes original dans la communauté italo-canadienne. Une personne peut occuper deux~gsàpremière vue diamétralement 9Pposés, puisqu'elle a

6Gary Caldwell,Le.~ études ethniqlles011Qllébec. Bilall et perspectives, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, p.13 et 15.

(16)

en effet un statuten tant qu'Italo-Canadien etun autre en tantque membre de la société montréalaise. En conséquence, certains ItaIo-Canadiens concentrent leurs activités dans la communauté à la recherche d'une plus grande influence sur ses membres et d'un plus grand prestige.

Ramirez, pour sa part, remarque des éléments de stabilité et de continuité" facilitant l'émergence d'une infrastructure communautaire, dès l'arrivée des premiers Italiens à Montréal. Ces derniers manifestent un certain sentiment national et un profond attachement aux traditions italiennes. En d'autres termes, les liens familiaux ainsi que les liens depaesaneriasfavorisent l'intégration économique des nouveaux arrivants.

D'après Painchaud et Poulil\ le conflit linguistique au Québec a permis aux ltalo-Québécois l'existence d'un espace ethnique plus large qu'ailleurs au Canada. D'une part, le taux de conservation de la langue d'origine reste élevé dans cette communauté. D'autre part, les Italo-Québécois ont réorganisé le pouvoir à l'intérieur de leur communauté, favorisant ainsi la formation d'une nouvelle bourgeoisie italo-québécoise.

Ces monographies ont comme dénominateur commun de briser le silence entourant la communauté italienne. Dans son avant-propos, Bruno Ramirez déplore le manque d'études portant sur l'histoire de l'immigration au Québec. Il rattribue à l'indifférence des historiens canadiens pour l'immigration et pour la population italienne et aux récentes méthodes concernant l'histoire sociale au Québec. De son côté, Gary Caldwell juge que «les études sur le processus global qui sous-tend l'intégration des

(17)

immigrants à la société canadienne sont rares par opposition à celles qui suivent l'itinéraire de groupes ethniques particuliers

»9.

Avec l'institutionnalisation des sciences sociales dans les années 1960, la sociologie et la démographie occupent le champ des études ethniques au détriment de la littérature. De prime abord, la sociologie et la littérature semblent évoluer parallèlement, sans qu'il n'y ait nécessairement contamination. Pour l'une, l'écrivain constitue un acteur social et la littérature n'est que l'expression d'une situation ou d'une condition. Pour l'autre, la tentation du sociologisme et la réduction sociologique risquent de rendre l'analyse littéraire peu pertinentelO•

Sherry Simon relève deux facteurs qui démontrent que la littérature cherche à éclipser la sociologie. Dans unpremier temps, il n'existe aucun lien entre l'origine socio-culturelle de l'auteur et laportéede son écriture. D'ailleurs, selon la critique, l'expression

écriture ethniquell qui circule présentement dans l'institution littéraire québécoise n'est que temporaire. Dans un deuxième temps, dans le milieu des années 1980, certains théoriciens relisent les textes québécois sous l'angle du cosmopolitisme et du post-colonialisme. L'étude de l'étranger dans la littérature québécoise, pensons notamment à

L'écologie du réel. Mort et naissance de la /illérature québécoise contemporaine de Pierre Nepveu ainsi qu'au Voleur de parcours. Identité et cosmopolitisme dans la littérature québécoise contemporaine de Simon Harel, élargit les horizons d'attente pressentis par l'institution littéraire. Les horizons d'attente constituent des critères qui

9GaryCaldwell,«L'intégration des immigrantsàMontréal dans les années 1970 », Recherches

sociographiques, 34 :3 (1993), p.488.

10Voir l'article de Marcel Fournier,«Littérature et sociologie au Québec»,Éludesfral1çaises, 19 :3 (hiver

1983-1984), p.S-18.

IlVoir le texte de Sherry Simon et David Leahy, «La recherche au Québec portant sur l'écriture ethnique» dans John W. Berry et J. A. Laponce (dir.) Ethnicity alld Culture ill Canada: The Research Landscape, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p.387-409.

(18)

prédétenninent le sens de toute lecture. Avec ce mouvement révisionniste, le lecteur n'associe plus automatiquement le texte et l'écrivain québécois au projet nationaliste, au profond désir de fonder un pays. Désormais, l'écrivain québécois se rapproche de plus en plus de l'écrivain ditethniquegrâce

à

des thématiques comme l'exil intérieur, le manque, le vide et la dépossession.

Les études sur Marco Micone

Hormis l'ouvrage de Claude Painchaud et Richard Poulin dans lequel les auteurs remercient Marco Micone, peu de sociologues ont souligné sa contribution intellectuelle quant à l'élaboration du concept de culture immigrée. L'œuvre de Marco Micone est avant tout reçue et étudiée en littérature.

L'un des premiers critiques à se pencher sur l'écriture ethnique, comme nous l'avons vu, est Sherry Simon. Dans son article portant sur le théâtre de Marco Miconel2, Simon remarque que 1'« autorité» de ses pièces repose sur une dialectique de la représentation et de l'interprétation. En etTe~ les pièces Gens du silence, Addolorata et

Déjà l'agonie représentent une réalité préexistante et sont organisées de manière à ce que les spectateurs aient une analyse juste des événements. André Bourassa., pour sa part, propose une dichotomie entre une critique sociologique du reflet et une critique sociologique de la production13. D'après lui, l'approche critique utilisée dans les pièces de

Marco Micone représente plus ou prou la communauté italienne et met davantage l'accent

SUTune analyse des rapports de force entre ses membres.

12SherrySimo~ « Speaking with Autority. The Theatre ofMarco Micone »,COlladioll Litera/lire, 106

(automne 1985). p.57-64.

(19)

À partir de la dialectique de Simon et de la dichotomie de Bourassa, nous avançons que la représentation (ou critique du reflet), qu'elle soit réaliste ou non, consiste en l'aspect littéraire de l'œuvre miconienne le plus reçupar la critique québécoise alors que l'interprétation (ou critique de la production) consiste en l'aspect littéraire le plus reçu par la critique étrangère. En bref: la notion de culture immigrée de Marco Micone

est, du moins partiellement, occultée au Québec.

La langue dans l'œuvre de Marco Micone est étudiée d'un point de vue socio-politique et d'un point de vue psychanalytique. D'un côté, nous avons le thème de l'«autorité» de la langue dans la critique de Sherry Simon et le rêve américain chez Alexandre Lazaridès; de l'autre, nous avons la question du travail de la langue che7 Fulvio Cacciaetla référenceà la blessure originelle chez Pierre L'Hérault

D'après Sherry Simon, une prise de parole dans l'institution littéraire correspond en quelque sorteàune prise de position. En effet, choisir d'écrire en français au Québec pour un immigrant suppose un certain engagement; des implications sociales, culturelles et politiques résultent de ce choix. En 1984, Simon soutient que les lieux de l'affinnation de la différence dans les productions littéraires des groupes ethniques se trouvent avant tout sur le plan fonnel de l'écriture14•

En ce qui concerne l'écriture des pièces de Micone, la langue agit comme un instrument de pouvoir. Les personnages masculins, afin de compenser le sentiment de perte provoqué par l'immigration, emploient la rhétorique de l'autorité tandis Gue les personnages féminins vivent une relation privilégiée avec la langue, qui sert à exprimer leur lucidité. Le multilinguisme représente, par surcroît, l'incapacité de saisir une seule

14SherrySimo~«Écrire la différence.Laperspective minoritaire»,Recherches sociographiques,25 :3

(20)

réalité" l'immigrant étant prisdans un étau entre lepasséet leprésent Simon affirme que

«Micone ne recherche pas avant tout un effet de vraisemblable»et que «la langue de son théâtre, quelque peu artificielle et hybride, a un important effet dramatique»15. Étrangement, les personnages de Micone, n'ayant ni une langue ni un langage à eux, parlent beaucoup. La langue permet de créer un effet de distanciation entre les personnages et leur expérience déchirante de l'immigration, ce qui rend la pièce consciente d'elle-même.

Dix ans après la publication des travaux de Simon, Alexandre Lazaridès maintient une position semblablel6, à savoir que langue et pouvoir vont de paire.

La

maîtrise de la

langue anglaise pour Antonio, dans Gens du silence, est directement liée à la promotion sociale. Face à rignorance linguistique et à réchec social, n'ayant pas réalisé les rêves qu'il caressait avant son exil, l'immigrant transpose sa déception dans la cellule familiale. Par conséquent, il impose ses règles dans la maison-pays, là où personne ne peut contester son autorité.

Sur le plan psychanalytique, soulignons l'influence de la réflexion de Gilles Deleuze et Félix Guattari dans les travaux de Fulvio Caccia et dans ceux de Pierre L'Hérault. Caccia préconise la déterritorialisation symbolique de la langue pour tous les écrivains étrangers, afin qu'une littérature mineure se forme. Cette déterritorialisation symbolique consiste en l'usage intensif de la langue, c'est-à-dire«pousse[r] celle-ci à ses limites en approfondissant ses faiblesses, en l'asséchant, l'érodant de l'intérieur. [II s'agit d'une] économie syntaxique et métaphorique »17. Cette littérature doit instaurer des

ISIbidem,p.462.

16Alexandre Lazaridès,«Écriture(s) de l'exil».Jeu,72 (septembre 1994), p.52-62.

(21)

conditions révolutionnaires dans

la

langue majeure. En résumé, la littérature mineure

travaille la langue. Lors d'un entretien avec Caccia18, Marco Micone avoue qu'il ne

connaît pas les influences subtiles de l'écriture des ltalo-Québécois sur la langue québécoise; il lui semble cependant plus facile d'identifier les influences culturelles. Devant l'obsession de la langue de Caccia, le dramaturge détourne le sens général de

l'entrevue en insistant sur sa préférence pour le théâtre engagé, lequel promeut une analyse de classes.

Dans ses travaux les plus récents19, Pierre L'Hérault reprend quelque peu la

définition delittérature mineurede Deleuze et Guattari :

Une littérature majeure ou établie suit un vecteur qui va du contenu à l'expression: un contenu étant donné, dans une fonne donnée, trouver, découvrir ou voirlaforme d'expression qui lui convient. Ce qui se conçoit bien s'énonce.•• Mais une littérature mineure ou révolutionnaire commence par s'énoncer, et ne voit et ne conçoit qu'après (...

1

L'expression doit briser les formes, marquer les ruptures et les embrancbements nOnNID. Une forme étant brisée, reconstruire le contenu qui sera nécessairement en rupture avec l'ordre des cboses20•

Le travail du mode mineur chez Marco Micone s'opère dans la structure de la diégèse et non dans sa sémiosis. L'Hérault suit les différentes productions littéraires de rauteur de façon chronologique, afin de constater une évolution dans l'écriture miconienne. Il note une séquence générique qui semble se répéter: du récit, Micone passe

àl'essai, puis au théâtre et conclut avec la poésie. Quant au récit Le figuier enchanté, il

18FulvioCaccia,«Laparoleimmigrée» dansSous le signe du Phénix. Entretiens avec quinze créateurs

itafo-québécois, Montréal, Guernica, 1985, p.259-272.

19Il s'agit de conférences., dont le texteest demeuré manuscrit, qui ont eu lieu àTurin(14 avril 1997) et à

Minneapolis(22novembre 1997).Mais ilestpossible de voir les traces de l'analyse de L'HérauJt dans la

fJéfaced~ T~i1ogia, ~ontréaJ,.VLB, 1996, p.7-1.~.. . . CetteCltatJon proVlent de Gilles DeleuzeetFelixGuattan,Kafka. Pour une litteralUre mineure,Pans,

(22)

vient simplement boucler la boucle. Suiteàcette indécision générique, L'Hérault affinne que la blessure originelle surgit de l'inconscient du texte. L'écriture miconienne consiste en une écriture de l'entre-deux, puisqu'eUe est prise entre le rêve et la réalité, entre la fiction et la réflexion, entre lemajeuretlemineur, entre l'incapacité d'oublier la blessure

initiale et la difficulté, sinon l'impossibilité, de lui donner un sensdansun genre unique. Peu d'analyses ont été publiées sur le travail de traduction de Marco Micone; la plupart des articles publiésàce sujet sont des entrevues avec le traducteur. En fait., nous ne possédons qu'une seule analyse, celle de Denise Agiman-orvieto, présentée dans le cadre du cours de Sémiologie de la représentation théâtrale, àl'Université du Québecà Montréal, au professeur Gilbert David à la session d'hiver 1995. La traduction de La

Mégère apprivoisée de William Shakespeare par Micone, dont l'accueil a été mitigé,

suppose une appropriation du texte. Agiman-Orvieto remarque l'importance du contexte historique, les références à Brecht., les influences marxistes et féministes dans la traduction. Enfin, à la recherche d'une cohérence et d'une Parole, Micone a transformé, selon eHe, une comédie en un drame humain ponctuéparle rire.

Pour ce qui est des entrevues, elles portent surtout sur la traduction de La

Locandiera, représentée au Théâtre du Nouveau Monde en 1993 et en 1994 et qui fut un

vif succès. Dans l'entretien accordé à Diane Pavlovic, Marco Micone exprime son désir de rendre une langue plus directe en comparaison avec les traductions françaises déjà existantes, ainsi que le ludisme propre à la pièce La Locandiera de Carlo Goldoni. La

(23)

constante, une négociation Jamais réglée, entre le style de l'auteur et celui du traducteur»21.

Dans rentretien réalisé cette fois par Solange Lévesque, Marco Micone parle plutôt du didactisme dans ses pièces de théâtreet dans ses traductions; il a

«

la conviction que [s]on devoir était aussi d'expliquer en plus d'émouvoir et de divertir»22. Il avoue un

peu plus loin dans l'article que sa notion de culture immigrée a influencé considérablement sa façon de traduire, et que la traduction permet de réactualiser un classique.

Du côté de la critique étrangère, nous nous intéressons en particulier à deux articles, soient celui de Jean-Michel Lacroix et celui d'Ursula Mathis.

Lacroix croit que l'émergence d'une littérature d'immigration dans le corpus québécois «rompt avec la tradition de l'affirmation volontariste d'une unité ou d'une identité nationale rattachéeàun groupe fondateur et à un territoire»23. Les trois pièces du dramaturge sont par la suite analysées à la lumière du concept de culture immigrée. En terminant son texte sur la cacophonie des voix, Lacroix appelle à la polyphonie et au métissage.

Mathis, quant à elle, reprend des citations de Marco Micone et les explicite de manière à ce qu'elles soient mises en rapport avec la culture immigrée. Ainsi, elle décrit indirectement les grands axes de cette culture. Elle conclut sur le devenir québécois et, à

l'instar de Lacroix, pense que l'œuvre de Micone contribue à changer les paramètres de la

21 Diane Pavlovic,«La traduzione come tensione. Entretien avec Marco Micone» dans Carlo Goldoni,La

Locandiera,traduction et adaptation de Marco Micone, Montréal,Bor~ 1993, p.219.

22Solange Lévesque,«Traduire, c'est émigrer. Entretien avec Marco Micone»,Jeu, 70 (1994), p.23.

23Jean-Michel Lacroix.,«Représentation de la parole immigréedansl'espace théâtral de Marco Micone»

dans Jean Béranger, Jean Cazemajou, Jean-Michel Lacroix et Pierre Spriet(éd.)Mll/ii/ingllisme et mlliticlllhtraiisme ell Amérique ditNordEspace, seuils, limites, Bordeaux, Marillier, 1990, p. 193.

(24)

littérature québécoise. En fait, Micone dialogue avec la littérature québécoise grâce à un mouvement d'appropriation et de désappropriation. Tout en participant à.un mouvement culturel et à une tradition post-moderne où dominent le métissage, l'hybridation et le pluriel, l'écrivain évoque des images rarement exploitées par la littérature québécoise.

Hormis Pierre L'Hérault, l'ensemble de la critique québécoise considère Marco Micone avant tout comme un dramaturge et un traducteur assigné au Théâtre du Nouveau Monde. Son récit Le figuier enchanté, qui a pourtant obtenu un prixàl'étranger, est passé sous silence. Le figuier enchanté,

par

son caractère hybride, est-il plus difficile à appréhender ou est-il reconnu comme un simple ouvrage de synthèse? Nous l'ignorons. Nous savons par contre que Micone a joué un important rôle dans le rapprochement entre la communauté italienne et la société québécoise. Son théâtre et sa traductio~ entre autres, ont contribué à jeter un pont.

À l'exception des entretiens avec l'auteur, la notion de culture immigrée est peu mentionnée par la critique québécoise. En effet, les théoriciens reconnaissent l'expérience de l'immigratio~sans toutefois tenir compte de sa conséquence immédiate, c'est-à-dire le métissage culturel. La critique étrangère, avec un regard détaché, souligne la contribution des écrivains des minorités culturelles à la littérature québécoise, non seulement sur le plan de la fonne, mais également sur le plan du contenu.

En dépit d'une volonté de s'éloigner de la sociologie, en faisant fi de l'origine ethnique, la littérature québécoise retient d'abord de l'écriture des minorités culturelles son aspect linguistique. Or, la langue constitue un élément primordial dans la formation d'une identité. Nous faisons face ici àun paradoxe de l'institution littéraire québécoise, à savoir qu'elle tente d'occulter l'origine ethnique, mais évalue récriture de l'autre avec

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une donnée identitaire. Il s'agit de «la différence quand même»24, telle qu'exposée par Régine Robin dans le colloque Écrire la différence; il s'agit, en d'autres termes, de la reconnaissance d'une identité objective. Deson côté, Marco Micone parle del'obsession de la langue25; l'intégration des immigrantsà la société québécoise ne doit pas seulement

se faire par l'apprentissage de la langue française. Nous ajoutons de même que l'intégration de l'écriture des minorités culturelles au sein de l'institution littéraire québécoise ne passe pas seulement par la langue (par la fonne), mais aussi par

l'élaboration de nouvelles thématiques et de nouvelles thèses, dont laculture immigrée.

Notre but consiste en quelque sorte à réinvestir la sociologie dans la littérature québécoise en tenant désormais compte de l'origine ethnique de l'écrivain. De cette manière, il nous est possible d'accorder toute l'importance méritéeà la notion deculture immigrée, mise en branle dans les pièces de théâtre, dans le poème Speak What, dans le récitLefiguier enchantéainsi que dans les diverses interventions de Marco Micone.

L'une de nos hypothèses est d'avancer que cette notion decul/ure immigrée est à l'origine de la problématique de J'écriture des minorités culturelles, aussi appelée

écritures migrantei6; c'est pourquoi nous désirons étudier l'arrivage des deux notions.

Tout en portant attention aux choix génériques faits par l'écrivain et à leur complémentarité, nous analyserons également son imaginaire. Enfin, à la lumière du récent débat autour de l'ouvrage de Monique LaRue, L'arpenteur et le navigateur, nous essaierons d'évaluer l'ampleur de la place faite à Marco Micone dans l'institution

24Régine Robin, ({ La différence quand même », Vice Versa, 2 :3 (mars- avril 1985), p.17 et 19. 25Marco Micone,«Les "Francophones québécois" ou Pobsession de~a langue»,LeDevoir, 17 octobre

1991.88.

26Voir les articles suivants: Robert Berrouët-Oriol, « L'effet d'exil»,Vice Versa, 17 (décembre

1986-janvier 1987), p.20-21 ; Robert 8errouët-Oriol et Robert Fournier,«L'émergence des écritures migrantes et métisses au Québec »,Québec Sludies, 14 (1992). p.7-22.

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littéraire québécoise, avec l'imaginaire théâtral qu'il a développé et la réflexion

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PREMIER CHAPITRE

L'IMAGINAIRE THÉÂTRAL ET L'APPORT ESSAYISTIQUE

DE

MIeONE

«Enfant, je croyal. que le reste du monde ressemblait à mon village. Adolescent, immigré malgré moi, je désinis que Montréal lui ressemblât. Adult~ je suis habité par la ville et le villag~ étriqués et méprisés où ces étraDgen, ces voleun de jobs, ces autra, ces etbniques, ces aUophones impriment leur différence mais aussi leur ressemblance.»

Marco Micone,«La culture immigrée ou J'identité des gens du silence», CoUoque Écrire la différence, VICe Versa.2 :3 (man- avri1198S), p.13.

En 1958, Marco Micone, alors âgé de 13 ans, immigre à Montréal. Il fréquente l'école française pendant deux ans avant d'entreprendre le restant de ses études secondaires en langue anglaise. En 1964, il retourne à l'éducation en langue française et s'intéresse, par la même occasion, à la littérature québécoise en suivant des cours de perfectionnement. Après la rédaction d'un mémoire sur le théâtre de Marcel Dubé à l'Université McGill au début des années 1970, Micone pratique récriture dramatique, mais abandonne, prétextant ne pas avoir «encore cerné la problématique de

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l'émigration»1.C'est au début des années 1980 qu'il revient à la charge avec la parution deGens du silenceaux éditions Québec/Amérique.

L'influence de Marcel Dubé sur le théâtre de Micone

Nous ne pouvons pas ignorer l'influence de Dubé sur la première pièce de théâtre de Marco Micone.

La

structure des tableaux de Gens du silence, structure qui est également mise en place dansAu retour des oies blanches (1969) de Marcel Dubé, se déploie en triptyque. Elle représente ainsi trois périodes concrètes de la vie d'Antonio: son arrivée en terre d'Amérique (en 1959), celle de sa femme Anna et de sa fillette Annunziata (au début des années 1960), ainsi que l'illusion de sa réussite (en 1980). Ces trois périodes renvoient aux trois grands axes de laculture immigrée,que nous étudierons plus en détail dans la section portant sur la contribution essayistique de l'auteur :

1) Le vécu des immigrés au pays d'origine. 8ien que la pièce commence avec Antonio qui s'interroge: «Y a-t-il quelqu'un i~i?»2, le chœur chante les conditions dans lesquelles l'émigré a quitté son pays d'origine.

2) L'expérience de l'émigration-immigration. Les préjugés des Québécois, la barrière linguistique, la pauvreté, l'incompréhension de la situation politique font parfois regretter leur départ à Antonio et Anna. Mais, pour eux, il est impossible de retourner dans leur Italie, puisqu'un immigré n'émigre pasdeux fois3! L'immigré doit faire face à

une tension constante entre le passé et le présent

[ Note biographique dansGellsdusilence, Montréal, QuébeclAmérique. 1982, p.12.Toutes les mentions

aux piècesdeMicone dans ce texte concernent les premières versions.àmoins d'avis contraire.

2Ibidem, p.17.

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3) Le vécu au pays d'accueil. Ce dernier axe de la culture immigrée fait référence

àl'intégration complète des immigrantsà la société québécoise, et ce, non seulement au chapitre économique. Cette volonté d'adaptation est avant tout exprimée à travers la seconde génération d'immigrants, et plus particulièrement par Nancy (anciennement Annunziata), dans Gens du silence. Nancy explique la cu/ture immigrée à son cousin Gino:

On ne peut plus rien pour les parents, il faut s'occuper des jeunes. Il faut prendre d'autres moyelU que les gardiens du gbetto n'ont pas encore pris. D faut remplacer la culture du silence par la culture immigrée pour que le paysan en nous seredresse,pour que l'immigrant en nous se souvienne et pour que le Québécois en nous commenceàvivre".

À l'instar de Zone (1955), des Beaux dimanches (1968) et d'Au retour des oies blanches (1969), Gens du silence met en scène des jeunes qui prennent la parole et qui

remettent en question le système de valeurs des parents. Dans Zone, des adolescents

pratiquent la contrebande de cigarettes, afin de se sortir de leur condition misérable. Dans

Les beaux dimanches, les enfants fuient l'ennui créé par les amis riches et parvenus des

parents, à l'exception d'un rejeton qui est légèrement retardé mentalement. Pendant ces beaux dimanches ensoleillés, les invités comme les hôtes videront des bouteilles d'alcool, essayant de vivre dans l'illusion du bonheur. L'illusion de la réussite et du bonheur est aussi celle qu'Antonio entretientà la fin de la pièce Gens du silence. À cet égard, Nancy lui rétorque:

«

Cesse donc de te croire riche parce que t'as une maison »5. Enfin, dans Au retour des oies blanches, tandis que sa mère glisse dans l'alcoolisme, Geneviève,

4Ibidem,p.118.

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d'humeur dépressive, met fin à ses jours, afin de se sauver de cet univers qui n'est qu'illusion: l'illusion d'un grand amour avec son oncle, le secret sur l'identité de son vrai père ainsi que l'illusion du pouvoir de son père Achille, qui est en réalité un politicien endetté et déshonoré.

Un autre parallèle entre les pièces de Marcel Dubé et celle de Marco Micone concerne le jeu de la vérité. Lejeu de la vérité est exercé la plupart du temps parla voix féminine. Par exemple, toujours dans Au re/our des oies blanches, Geneviève tente de soutirer r'infonnation tant désirée de la bouche de son père, Achille, lorsqu'elle amène son amie Laura souperà la maison. Elle réveille alors un secret enterré depuis près de dix ans: le viol de Laura commis par Achille dans une chambre d'hôtel. Par la suite, Geneviève affronte sa mère. Elle la croit d'abord jalouse de son aventure amoureuse avec son oncle, alors que la mère ne désire que protéger sa fille contre une réalité trop douloureuse. En effet, Geneviève a commis l'inceste sans le savoir, puisque son oncle est en fait son père biologique. Ce jeu de la vérité se termine en tragédie, soit par le suicide de Geneviève.

Du côté de Gens du silence, c'est Nancy qui essaie d'entraîner son père Antonio sur le chemin de la vérité. Par ce jeu., elle espère le défaire de ses préjugés et de ses croyances sur les Québécois. Après qu'Antonio ait affirmé qu'il ne veut pas avoir affaire

avec [sic] des Québécois, avec [sic] ces bons à rien, Nancy lui demande: «Avec

Jean-Claude non plus qui vient te chercher avec son auto tous les matins pour t'emmener à J'usine? »; son père lui répond: «Lui, c'est pas un Québécois comme les aut' ))6. Puis,

elle continue à l'interroger sur sa belle-sœur Jeannette, son compagnon de chasse Paul

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Tremblay et ses compagnons de travail Pierre, Jacques et René. Antonio fait dévier la conversation et parle de sa souffiance face à l'accueil méprisant des Québécois. Le jeu de la vérité amorcé par Nancy n'est qu'un effort vain. Celle--ci l'affinne plus tôt dans le texte : il est trop tard pour les parents. Ce jeu ne provoque aucun drame en soi, il confinne uniquement le départ de Nancy de la maison familialeet, parle fait même, son départ du ghetto, nomméChiuso, qui signifie en italien fèrmé.

Chez Oubé, la voix des femmes est pratiquement morte. Elle est soit absorbée par l'alcoolisme, soit étouffée par un avortement ou par un suicide. Ces deux derniers événements témoignent effectivement d'un refus de la vie. Pourquoi vivre si rillusion prédomine sur la réalité? À l'inverse, les personnages féminins de Micone, qui est d'une autre génération, sont bel et bien vivants. Ils dénoncent leur situation avec une grande lucidité. Même Anna, la mère de Nancy, déplore le fait qu'elle joue les rôles de servanteà

la maison et de prisonnièreà l'usine. Mais, contrairementà la première, seule la seconde génération d'immigrantes passe àl'action. Dans Gens du silence, nous l'avons constaté,

Nancy sort du ghetto italien. DansAddolorata, la deuxième œuvre dramatique de Micone,

c'est le personnage éponyme qui quitte son mari à la fin de la pièce pour mieux revenir dans la seconde version.

Il existe un dernier rapprochement entre l'œuvre dubéenne et l' œuvre miconienne: l'importance de la cellule familiale. D'ailleurs, La cellule consiste en un

texte pour court...métrage écritparMarcel Dubé en 1969. Lecritique Alexandre Lazaridès remarque à ce sujet que «la famille est le lieu dramatique par excellence du théâtre

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rnulticulturel; cette dramaturgieestproche en cela du théâtre québécois, qui a privilégié la cellule familiale comme forgeetfigure du destin »7.

Lafamilia

La scène du départ du père, liéeà la blessure originelle d'après Pierre L'Hérault, est

run

des éléments récurrents des piècesGens du silence, Addolorata et Déjà l'agonie.

Dans la première pièce, les conséquences du départ sont avant tout vécues par la mère, Ann~Annunziata étant trop jeune pour s'en souvenir.

L'erreur a commencé deux ans apris le mariage quand t'es parti pour venir

ici, Anto'. J'étais jeune, moi aussL Tu m'as laissée quatre ans toute seule à mordre l'oreiller. La rage, Anto', s'est changée petità petit en indifférence. Tu m'as laissée tout ce temps sousla surveillance de ton père et de Collina. Des

mois et des mois à essayer d'éteindre le feu que j'avais en moi, à coups de messes, de chapelets et de robes noires. Ç'a été trop long quatre ans, bien trop long pour moi et Annunziata. T'étais devenu un étranger ettul'es restéS.

Le déPart d'Antonio a provoqué un sentiment d'abandon chez Anna, transformé maintenant en indifférence, et le fait de le rejoindre, quelques années plus tard, a créé rim~ression d'un être étranger pour toute la famille. De surcroît, plus il se croit riche, plus Antonio devient un étranger. Frank Caucci note«qu'au fur etàmesure qu'il réalise son rêve économique, l'immigré n'arrive plus à communiquer avec ses enfants »9. Antonio n'est donc

«

pas parlable», pour utiliser l'expression d'Anna et de son fils Mario10. Dans les deux situations, la position d'autorité du père est remise en cause. Dans

7Alexandre Lazaridès,«Écriture(s) de l'exil »,Jeu, 72 (septembre 1994), p.58.

8MarcoMicone~ Gensdllsilence, op. cil.,p.101et109.

9Frank Caucci,«Topoï deJatransculture dans l'imaginaireitalo-québécois»,Québec SIl/dies, 15(automne 1992-hiver1993), p.43.

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la première situation,réprimandant le non-conformisme de sa fille. Dans la seconde, Mario proteste contre laAnna tente d'intervenir entre Nancy et Antonio, ce dernier demande du père, c'est-à-dire contre la remise desclés de la voiture. Le syntagme

«

pas parlable» signifie qu'il n'y a aucune négociation possible entre le père et les autres membres de la famille.

Le même sentiment d'abandon et la même impression d'étrangeté sont ressentis cette fois par Addolorata et par son mari dans la seconde pièce de Micone. Giovanni résume:

On est toute une générationqU'OD a passé l'enfance loin de nos pères. On est

les orphelins de l'émigration. L'émigration nous a voléDOS pères quand on en

avait le plus besoin. C'est pour ça qu'on est tout fuckés. Demande-toi pas pourquoi ton père a toujoun été un étranger pour toL Demande-toi pas pourquoi t'as jamais pu le senti.-J1•

Dans Déjà "agonie, la problématique de l'émigration se présente autremen~ puisqu'elle met en scène trois générations d'immigrants italiens: franco, Luigi et Nino. Franco a vécu à Montréal pendant quelques années pour enfin revenir mourir au village natal. Luigi, demeuréà Montréal, considère sa propre émigration comme un déracinement et ne voit pas, par conséquen~ la reconnaissance dont il est obligé de faire preuve à l'égard de son père. En fait, Luigi se plaint de ne pas avoir un chez-soi, une résidence fixe. Nino, quantàlui, n'apasconnu directement les avatars de l'émigratio~mais souffre de l'absence de ses parents militants, toujours en train de participer àdes réunions de comité ou à des manifestations. Par son absence, le père (Franco et Luigi) reste un étranger, quelqu'un d'insaisissable.

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À l'instar des deux premières pièces de théâtre de Marco Micone, Déjà l'agonie

met en scène la relation conflictuelle entre le père et le fils, entre Franco et Luigi dans ce cas-ci. Le premier aurait souhaité que son fils soit entrepreneur au lieu d'être idéaliste; le second aurait voulu que son père reste un peu plus longtemps à Montréal pour s'y intégrer.

En 1986, la pièce Déjà l'agonie a été représentée à

La

Licorne sous le titre de

Bi/ico, ce qui signifie en italien être en équilibre. Or, Nino joue le rôle du chaînon

manquant. Là où il y a fèlure, là où la cellule familiale est sur le point d'éclater, Nino vient ressouder les liens familiaux grâce à la sympathie que lui témoignent ses grands-parents. Il représente de même laculture immigrée, puisqu'il porte en lui les germes de

deux cultures, étant issu de l'union d'un Italien immigré et d'une Québécoise.

Ce qui ressort de cette trilogie, c'est la figure d'un père étranger qui, par ses ambitions économiques ou idéologiques, afini par oublier l'existence de sa femme(Gens du silence) et celle de ses enfants (Gens du silence, Addolora/a, Dé}â l'agonie).

En ce qui a trait à J'autorité paternelle, présente surtout dans les deux premières œuvres dramatiques de Micone, elle provient d'abord de la société italienne. L'immigrant, lors de son arrivée en Amérique, reproduit les modèles de la société patriarcale italienne, à défaut d'avoir d'autres références culturelles. De plus, l'établissement du nouvel arrivé dans la petite Italie ou dans un quartier ethnique encourage cette reproduction de modèles.

L'autorité paternelle provient également d'un manque de pouvoir. En effet, le père s'approprie tout l'espace intérieur de la maison, il devient même contraignant au sein de sa famille, parce qu'il est un être dominé et exploité dans la réalité extérieure, parce qu'il ne possède pas les moyens des gardiens du ghetto (journaux, télévision, radio, églises et

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associations) ni ceuxdes patrons anglais (postes de direction dans les usines). Il s'agit en quelque sorte d'une compensation.

La reproduction de la société patriarcale italienne à l'intérieur du quartier ethnique force la femme à adopter une attitude de soumissionet d'abnégation envers son mari ou envers son père. Ce qui amène Nancy à déclarer:«Moi [... ] je suis deux fois immigrée : comme Italienne au Québec et comme femme à Chiuso»12. Dans Gens du silence, le

passéisme, aux yeux d'Antonio, renvoie à une axiologie positive, c'est pourquoi il prône le travail, la vie rurale, le mariage, la famille et l'isolement de la femme; tandis que dans

Addolorata, le rituel de la sauce tomate, quoique ironique, démontre bien tout le poids d'une tradition. Dans la seconde version, lors de la consultation de la psychologue, nous apprenons que la protagoniste est allergique à l'air climatisé. Nous supposons donc qu'Addolorata n'est pas adaptée au monde moderne; elle est plutôt rattachée aux traditions et à la chaleur de son Italie natale.

L'isolement de la femme est le lot d'Anna, d'Annunziata et d'Addolorata. D'une part, rappelons qu'Anna a vécu quatre ans à CoUina comme veuve blanche. Débarquée en Amérique, Anna manifeste son désir de travailler à l'usine, afin d'apporter un salaire plus convenable à la famille. Suiteàsa requête, Antonio réplique:«Va faire un tour dans une usine tu vas voir ce que c'est. C'est pire qu'en enfer». Enfin, mécontent, il la menace: «Et à partir de demain y aura plus de téléphone ici»13. En somme, Antonio limite et contraint l'espace de sa femme en tentant de la couper du monde extérieur. D'autre ~ pendant que son frère joue au hockey dans la rue avec ses copains, Nancy reste à la maison: «Moi, j'étais derrière la fenêtre et je le regardais jouer. Chaque fois qu'il

12Marco Mîcone,Gensdll silence, op. cil.,p.97.

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comptait un but, j'étais tellement excitée que je criais comme une folle». Puis, nous apprenons un peu plus loin: «"L'avenir, c'est pas important pour les femmes, t'iras

à

l'école française" disait mon père. C'était aussi la plus proche»14. En allant

à

l'école la plus proche, Nancy est alors confinée une fois de plus dans la sphère privée. Quant

à

Addolorata (la jeuneLolita), mentionnons que Giovanni (portant le nom de Johnny avant le mariage) est dans l'obligation de se rendreàla maison paternelle de sa bien-aimée pour la rencontrer.

La femme est également responsable de la transmission des valeurs italiennes. L'une des valeurs préconisées par la culture italienne est la virilité. Pour ce faire, la femme doit soit encourager les comportements de l'homme, soit consentiràn'être qu'un objet sexuel. Dans le premier cas, Lolita incite Johnny à faire vrombir le moteur de sa voiture15 alors que, dans Gens du silence, l'achat d'une automobile, laquelle ressemble

étrangementàune femme, est approuvéPaTle père etparla mère:

Est vraiment belle là. Pour que le vieux la trouve à son goût i'faut vraiment qu'a soit spéciale. J'sais ben qu'i'aurait préféré une Italienne, mais quand il l'a vue i'a pas pu résister.Ma mère aussia1contente.J'y ai promis qu'on sortirait souvent ensemble. C'est pas croyable, c'est la première fois que je me sens commeça.C'est comme si j'ai pus besoin de penanne. Avant de l'avoir là, je m'ennuyais beaucoup avec mes chumsl'.

Si nous admettons que l'automobile est une métaphore de la femme-objet, cet exemple se situe en réalité àmi-chemin entre les deux attitudes que les femmes doivent adopter, soit l'acquiescement et le renoncement. Dans le dernier cas, la quatorzième

14Ibidem, p.74et75.

ISMarco Micone,Addolorata, op. ciL, p.83.

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scèned'Addolorata, assez crue, montre le déroulement de la nuit de noces de Lolita et de

Johnny. Tandis qu'elle pleure, Johnny s'emporte: <<.Je vas m'en souvenir longtemps de ma nuit de noces. Même pas une fois. Mon chum, i a fait ça quatorze fois. Moé, si ça continue comme ça, ça va me prendre

un

an. Même pas une fois! J'ai été obligé de finir ça tout seul»17. Notons qu'Addolorata désigne la vierge de la douleur. Plus tard,

Addolorata accusera Giovanni de l'avoir violée durant toutes ces années; dans Gens du silence, la même accusation estportéecontre Antonio.

Par conséquent, les personnages masculins des trois œuvres dramatiques de Marco Micone évaluent les avantages et les inconvénients des relations extraconjugales. Antonio, marié à Anna, laquelle est restée au vi//àggio, raconte au docteur de quelle

manière il a étéchanné par «une grande dame avec des souliers qui [lui] arrivaient aux genoux... [qui] avait l'air d'une vraie actrice»18. Dans la seconde version d'Addolorata, Jimmy se moque de la fiancée de son ami Gianni (Johnny) et lui relate les faits concernant le mariage entre son frère et une Calabraise :

Vou Imow wby he broke up with the French girl? Vou won't be6eve il. He broke upwitb her because sbe was not a virgin anymore. T'aurais pas honte d'avoir un frère commeça? (••.1Non, mon histoire est pas finie. Vou know wbatmystupid brotber does now? Vou'U never guess. He stiU seesbis French girl friend19•

17Marco Micone,Add%rata, op. cit., p.87. 18Marco Mîcone, Gens dl, silence, op. cit.,p.3!.

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Malgré le fait qu'il s'agisse dans Déjà l'agonie d'un mariage exogamique entre Luigi et Danielle, cette dernière affimte que les «Nations Unies ont couchéà [s]a place dans[5]00lit»20.

Le couple miconien, quel qu'il soit, est inévitablement en crise, mais l'illusion du pouvoir chez 1'hommeetl'abnégation chez la femme cimentent leur union.

Anna accepte sa condition pour l'avenir de ses enfants, mais elle exprime toutefois un regret:

Ce qui m'intéresse. moi, c'est ce que moi j'ai fait De toute ma vie. Anto', j'aurai jamais eu le bonheur d'accueillir mes enfants après l'école avec une coUation. J'étais prisonnière à l'usine avec quarante mères comme moi. À midi, on se disputait le téléphone pour dire à nos enfants qui rentraient de l'école quoi manger et pour leur rappeler surtout qu'on était en train de préparer leur avenir sur des machines à coudreZI•

QuantàAddolorata etàDanielle, elles ont toutes deux choisi

r

émancipation par la voie de la rupture amoureuse. En effet, Addolora~ dans la première version., entreprend la vie de mère monoparentale avec ses deux garçons22• Dans la seconde version, elle

affirme sans équivoque qu'elle ne veut plus se sacrifier pour personne23. Pour ce qui est de Déjà "agonie, Danielle récupère le discours sacrificiel d'Addolorata. Lorsque Luigi lui reproche de frelater ses principes, Danielle, opportuniste, lui répond: «Je considère

20Marco Micone,Déjà l'agonie,préface de Monique LaRue, Montréal, L'Hexagone, 1988, p.72.

21Marco Micone,Gens du silence,op.cil.,p.116.

22Dans la seconde versiond'Addolorata, la protagoniste a une filleetun garçon.

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que fai fait ma part. Que les autres en fassent autan~ maintenant! Je n'ai plus envie de me sacrifier pour quoi que ce soit. Dorénavant, je vais penser d'abordàmoietàNino»24.

Les préjugés gue les Italiens et les Québécois entretiennent

Bien que la société québécoise se fonde sur le patriarcatetait déjà connu le poids idéologique de l'Église catholique, les Italiens et les Québécois conservent plusieurs préjugés quant à leurs différences.

En dépit du fait qu'ils soient des gens du silence, Marco Micone donne surtout la parole aux immigrants italiens dans l'ensemble de son œuvre dramatique. Les préjugés des Québécoisà l'endroit des Italiens apparaissent uniquement dans Gens du silence. Si

nous analysons les préjugés, véhiculés dans la pièce par des voix provenant de fenêtres différentes25, nous remarquons quatre isotopies dont trois d'entre elles renvoient à une

axiologie négative.

La première isotopie concerne l'alimentation. Les Québécois croient que les femmes italiennes souffrent d'obésité, parce qu'elles se nourrissent constamment de pâtes. D'ailleurs, le lien entre les Italiens et les pâtes va jusqu'à expliquer Ja répartition des joueurs de hockey: l'équipe des Pissous (Pea soups?), constituée d'enfants

québécois, qui affronte l'équipe des Spaghetti, constituée d'enfants italiens26.

Pour ce qui est de la cueillette des pissenlits dans les parcs publics, celle-ci partage deux isotopies. Elle est autant reliée àJ'alimentation qu'à la salubrité. L'une des voix, représentant l'opinion générale des Québécois, précise que la présence de chiens,

24Marco Micone,Déjàl'agonie, op. cil.,p.71.

25

11s'agitdu deuxième tableau deGens d" silence, op.cil.,p.25-29.

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qui urinent et déÏequent partout dans les parcs, rend les plantes infectes etindigestes. En ce qui a trait aux autres problèmes d'hygiène et de salubrité, la seconde voix rapporte qu'une voisine italienne ne se rasepas les aisselles et que les Italiens vivent en moyenne quinzeparlogement.

La troisième isotopie, la plus développée parl'auteur, toucheàla criminalité: les Italiens sont des voleurs. Ils volent les jobs, les logements, jusqu'aux tomates des Québécois. De plus, ils sont tous liés, de près ou de loin,àla mafia sicilienne. En somme, ils sont des gens malhonnêtes. Leur premier crime consisteàémigrer au Québec. Par leur zèle et par leur salaire de crève-faim, ils entrent directement en compétition avec les ouvriers québécois. Et en plus d'entrer en compétition sur le marché du travail, ils cherchentàfréquenter les mêmes femmes, àsavoir les Québécoises.

La dernière isotopie, renvoyantà une axiologie plutôt positive, concerne la beauté chez les Italiens. En effet, l'une des voix s'étonne de la beauté de «son» Tony, qui n'est pasun Italien comme les autres. D'après elle, les Italiens s'amusent avec les Québécoises, mais épousent par principe les Italiennes. Marco Micone fait un clin d'œil à ce côté Casanova des Italiens en inscrivant sur le tee-shirt de Mario: <<Kiss me l'm Italian»27. Confondant les richesses culturelles de l'Italie du Nord avec la pauvreté de l'Italie du Sud, le médecin, pour sa part, s'exclame sur les beautés du Lac Majeur, de la Place Saint-Marc et du Palais de Médicis28. Ce cosmopolitisme touristique ne tient malheureusement

pas compte de la réalité vécue par l'émigré méridional, lequel est en fait peu instruit et peu cultivé.

27 /hidem.

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Pour évaluer la perception des anglophones parles Italiens, nous devons regarder du côté de Gens du silence,car c'est dans cette pièce que la thématique de la langue agit comme pivot Antonio emploie la métaphore des cartesafin d'indiquer la supériorité des Anglais: ceux-ci possèdent le pouvoir et non seulement ils ont les bonnes cartes, mais savent comment les jouer. Antonio croit alors qu'il suffit d'apprendre la langue anglaise pour accéder aux leviers du pouvoir. Plus loin, il déclare: «L'Amérique, c'est anglais»29.

En réaction contre leur accueil mitigé, les immigrants se construisent une image plutôt défavorable des Québécois; c'est le cas notamment d'Antonio et de son ami Rocco.

À l'instar des Québécois, les Italiens entretiennent des préjugés sur le plan de J'alimentation. Ils disent d'eux qu'ils se nourrissent mal, qu'ils fréquentent couramment les restaurants et qu'ils possèdent tous des dentiers. Par contre, les trois autres isotopies n'ontpasété soulignées par les Québécois.

L'une d'entre elles se rapproche un peu de cette excursion culinaire. Il s'agit en fait de l'isotopie de la dilapidation. Les Québécois déPensent tout leur avoir, sans jamais épargner; ils achètent tout, ne faisant rien par eux-mêmes.

Selon les Italiens, en n'épargnant pas, les Québécois sont condamnés à être des locataires. La troisième isotopie concerne donc l'inactivité. Les Québécois sont paresseux, lâches, bonsàrien.

De

plus, ils se plaignent régulièrement, accusant les autres, les immigrants par exemple, d'être responsables de leur sort.

Enfin, la dernière isotopie touche au manque de culture. Antonio affinneque les journalistes du ghetto, ayant étudiéà l'étranger, ont une meilleure formation que celle des

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Québécois. Toute leur crédibilité, pour Antonio, repose sur ce fait Ricco, quant àlui, allègue que les Québécois n'ont pas une langueàeux.

En définitive, les Italiens et les Québécois perçoivent l'inférioritéde l'autre

dans

la différence. En contrepartie, lorsque les uns ou les autres connaissent personnellement un membre de l'autre groupe culturel, il y a particularisation: c'est un Québécois pas comme les autres ou c'est un Italien pas comme les autres... Marco Micone suggère alors, dans cette exposition de préjugés, qu'une meilleure connaissance de la culture québécoise par les Italiens ainsi qu'une meilleure connaissance de la culture italienne par les Québécois modifieraient grandement leurs perceptions.

Les implications de la langue dans l'œuvre dramatique de Micone

Dès son arrivée au Québec, Mareo Mieone trouve que la langue française correspondà la langue du quotidien, car elle est parlée par les gens de son quartier. Étant donné qu'il fréquente l'école francophone durant ses deux premières années d'éludes, Micone apprend d'abord le français et le trouve par la suite plus fluide que l'anglais et l'italien. Ces langues, d'après lui, ne collentpas à la réalité, étant trop académiques. Lors de ces ébauches littéraires, le niveau de langue se présente à J'auteur comme J'une des principales difficultés. Micone doit également choisir entre la langue française et la langue anglaise, afin d'exprimer son vécu dans la communauté italienne et son expérience de l'émigration. Une connaissance élémentaire de l'anglais, une meilleure élocution en français, une prise de conscience de la culture québécoise et des études en littérature française l'amènent d'abordà écrire la première version de Gens du silence en français international. Marco Micone résume ici sa démarche:

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D • faDu qu'il s'écoule quelques années pour que je trouve un contenu et une langue. La recherche d'un niveau de langue que . .rleraient mes penoDDage5 a étélongue etpénible.

1•••1

FiDaIeIIlent, j'aioptépour une languePOPUlairenon joualisante.C'estlalangued'Addolorataet deGensdllsilence.J'aiaussitenuà ce qu'il y ait une présence de l'italien et de l'anglais dans les dialogues pour mieux refléterlaréalitévécue par cespenonnages30•

La langue miconienne consiste en une langue plus ou moins réaliste, puisqu'elle implique une projection dans le temps: elle sera la langue parlée des Québécois d'origine italienne dans 10, 15 ou 20 ans. Les blasphèmes légèrement métamorphosés, par exemple la version de«sacrement» d'Antonio qui devient«sacraminte»et l'emploi de «Christ» avec une prononciation anglaise Paf un polyglotte comme Mario ou Jimmy, témoignent d'un métissage culturel certain.

Dans son théâtre, Marco Micone présente trois positions distinctes sur la langue. La première position est adoptée PafAntonio qui croit que manier la langue anglaise est nécessaire pour accéder aux pouvoirs politique et économique. Afin de l'aider dans l'apprentissage de l'anglais, Antonio offre alors à son fils Mario l'Encyc/opaedia

Britannica en quarante volumes. Mario n'a que sept ans et déjà ildoit adopter le discours paternel: «L'école anglaise, c'est pour ton avenir »31. Àdéfaut d'avoir lui-même connu la prospérité, Antonio transpose son désir de réussite économique sur son fils, à l'instar de Franco dans Déjà / 'agonie. En conséquence, Mario ne possède pasune langue maîtresse: il parle le calabrais avec ses parents, le français avec sa sœur Nancy et l'anglais avec ses

'~chums" 32. L'exemple d'une identité linguistique trouble et problématique figure

30Marco Micone, cité par Fulvio Caccia,«La parole immigrée », dansSOIiSlesiglledllPhéllix. Elltrelie"." avec quillze créateurs italo.québécois,Montréal, Guernica, 1985,p.267.

31 Marco Micone, Gens dll silence, op. Cil., p.75. 32Ibidem,p.76.

(44)

également

dans

la seconde version d'Addolorata. En effet

J

immy s'exprime en variant continuellement les langues; il passe de l'anglais au français et vice versa, tout en larguant àl'occasion des expressions italiennes. Aussi déracinés, sinon plus que leurs parents, MarioetJimmy appartiennentà une génération de ratés33• Mario ne tennine

pas

sa dixième annéeet travaille dans la même usine que son père, alors que Jimmy, ancien garçon de café, devient revendeur de drogues et croupit en prison.

La seconde position sur la langueestprise,defaçon plus inconsciente, parGianni, qui est en fait Johnny dans la première version d'Addolorata. Celui-ci a fréquenté l'école française tout au long de ses études. Malgré tout, l'apprentissage de la langue française n'assure pas l'intégration complète de l'immigrantà la société québécoise. Bref, Gianni n'estpassorti du ghetto. À preuve, il aépouséune Italienne, il travaille dans un café dont le nom est Caffè Etna et son réseau d'amis est constitué d'enfants d'immigrants italiens.

Si la pratique de la langue anglaise ne permet

pas

d'accéder aux pouvoirs, tant politique qu'économique, et si le seul apprentissage de la langue française ne suffit

pas

à

assurer l'intégration des immigrants à la société québécoise, il existe bel et bien une troisième voie (voix). Cette troisième position est exprimée à travers le personnage de Nancy, l'ambassadrice de la culture immigrée. Sa réussite scolaire, son émancipation vis-à-vis l'autorité paternelle, ainsi que sa sortie du ghetto italien lui pennettent,àl'instar de Marco Micone, d'enseigner la culture immigrée à d'autres enfants d'immigrants et d'en infonner la majorité québécoise.

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