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La relation entre les éléments intangibles de l’institution, de la culture et de la structure organisationnelle et le comportement décisionnel des décideurs stratégiques (hauts fonctionnaires) des organisations publiques : recherche qualitative.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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La relation entre les éléments intangibles de

l’institution, de la culture et de la structure

organisationnelle et le comportement décisionnel des

décideurs stratégiques (hauts fonctionnaires) des

organisations publiques. Recherche qualitative.

Thèse

Yanina Klimenko

Doctorat en science politique

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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Résumé

Les administrations publiques sont confrontées aux enjeux complexes. De multiples transformations organisationnelles sont entreprises afin de trouver un équilibre entre l’intérêt public et les capacités organisationnelles. Cependant, de nombreuses recherches démontrent que le changement dans le secteur public est souvent incrémental, nonobstant l’envergure des efforts déployés.

La thèse propose une nouvelle explication à ce paradoxe. Le cadre théorique s’appuie sur l’évolution des théories décisionnelles, culturelles, structurelles, institutionnelles, ainsi que sur les apprentissages empiriques. Il suggère que le comportement décisionnel dans une organisation est influencé par un construit social. Quelle est la nature exacte de ce construit : vient-il de la culture, de la structure ou de l’institution ? Afin de répondre à cette question, la thèse propose un nouveau concept intégrateur de la force de nivellement systémique. Le volet empirique a permis de tester l’application du concept sur les décisions stratégiques, non routinières, prises dans un contexte de transformation par des décideurs de la haute fonction publique (sous-ministres et sous-ministres adjoints ou associés). L’analyse du discours sous l’angle du nouveau concept a permis de saisir la nature, les mécanismes et les effets de l’action de la force de nivellement systémique.

La recherche conclut que la force de nivellement systémique se crée avec le temps afin d’assurer la pérennité du système d’organisations. Elle est composée d’éléments identitaires et des mécanismes par lesquels elle influence le comportement décisionnel. Par ces mécanismes du développement de la conscience systémique, de la routinisation et de l’anticipation des sanctions dans un environnement de pressions, la force fournit les critères décisionnels et contraint le décideur à recourir aux patterns. Conséquemment, le non-recours aux patterns systémiques génère l’action du « nivellement ». Les décisions se prennent ainsi sous l’influence de la force de nivellement systémique, teintée de la couleur paradigmatique dominante dans ce système d’organisations. Ces décisions sont le produit de la rationalité analytique propre à ce système, sont collectives et patternisées (elles ne sont ni aléatoires, ni individuelles, ni sans précédent).

L’application du concept de la force de nivellement systémique démontre qu’une approche intégratrice est possible et même souhaitable dans l’étude des phénomènes sociaux complexes. En ce qui concerne les difficultés méthodologiques mentionnées par la littérature, le choix d’une méthodologie qualitative apporte une profondeur à l’analyse. L’avenir des travaux dans cette lignée touche l’identification des moyens permettant aux organisations d’échapper à l’incrémentalisme décisionnel. Ces recherches contribueraient à mieux outiller les gestionnaires stratégiques à faire face à la force de nivellement systémique et à améliorer ainsi la gestion des organisations publiques.

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Abstract

Public administrations face complex challenges. Multiple organizational transformations are undertaken to find a balance between public interest and organizational capacities. However, numerous researches show that change in the public sector is often incremental notwithstanding the effort.

The dissertation offers a new explanation to this paradox. The theoretical framework is built on decisional, cultural, structural, institutional theories evolution and empirical learnings. It suggests that decision-making behavior in an organization is influenced by a social construct. What could be the exact nature of this construct: does it come from culture, structure, or institution? To answer the question, the dissertation proposes a new integrative concept of the systemic leveling force. The empirical part discusses the results brought by the application of the concept on strategic, non-routine decisions taken in the context of transformation by senior decision-makers (Deputy Ministers and Assistant or Associate Deputy Ministers). Analysis of discourse from the angle of the new concept has made it possible to understand nature, the mechanisms, and the effects of the action of the systemic leveling force.

The research concludes that the systemic leveling force is created over time to ensure the sustainability of the system of organizations. It is made up of identity elements and the mechanisms by which it influences decision-making behavior. By mechanisms of the development of systemic consciousness, of the routinization and the anticipation of sanctions in an environment of pressures, the force provides the decision criteria and constraint the decision-maker to use the patterns. Consequently, the non-use of systemic patterns generates the action of "leveling". Decisions are thus taken under the influence of the systemic leveling force, tinged with the dominant paradigmatic color in this system of organizations. They are the product of the analytical rationality proper to this system, are collective and patterned (they are neither arbitrary, individual, nor unprecedented).

The application of the concept of the systemic leveling force demonstrates that an integrative approach is possible and even necessary in the study of complex social phenomena. Regarding the methodological difficulties mentioned in the literature, the choice of a qualitative methodology brings depth to the analysis. The future work in this line could focus on the identification of the means enabling organizations to escape decisional incrementalism. These researches could help senior decision-makers to better deal with the effects of the systemic leveling force and further improve the management of public organizations.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Liste des figures ... vi

Liste des tableaux ... vii

Liste des abréviations, sigles, acronymes ... viii

Remerciements ... ix

Introduction ... 10

Chapitre 1 : Volet théorique ... 15

1.1. Théories décisionnelles ... 15 1.2. Éléments d’influence ... 32 1.2.1. Perspective culturelle ... 33 1.2.2. Perspective structurelle ... 38 1.2.3. Perspective institutionnelle ... 64 1.3. Limites de la littérature ... 70 1.4. Contribution de la thèse ... 77 1.5. Question de recherche ... 79

Chapitre 2 : Volet empirique ... 81

2.1. Choix méthodologique ... 81

2.2. Risques et stratégies de contournement ... 87

2.3. Populations et collecte des données ... 88

Chapitre 3 : Résultats ... 93

3.1. Tendances générales ... 93

3.1.1. Présence de trois éléments d’influence ... 93

3.1.2. Particularités paradigmatiques ... 96

3.1.3. Particularités du discours ... 112

3.2. Codes et nouvelles catégories conceptualisantes ... 118

3.2.1. Éléments identitaires ... 121

3.2.2. Environnement et mécanismes ... 131

3.2.3. Effets et réactions ... 146

3.3. Force de nivellement systémique ... 155

Conclusion ... 170

Annexe A. Intégration des recherches empiriques ... 195

Annexe B. Courriel d’invitation ... 197

Annexe C. Formulaire de consentement... 198

Annexe D. Guide de l’entrevue (feuillet d’information) ... 200

Annexe E. Guide de l’entrevue (questionnaire) ... 201

Annexe F. Guide de l’entrevue (indicateurs) ... 202

Annexe G. Calendrier général des travaux ... 204

Annexe H. Compilation des segments ... 205

Annexe I. Codes et catégories conceptualisantes raffinés ... 207

Annexe J. Guide de l’entrevue [indicateurs validés] ... 209

Annexe K. Illustrations supplémentaires des codes... 210

a) Éléments identitaires ... 210

Identité comme administrateur différent du politique ... 210

Rationalité analytique propre à l’organisation ou au système d’organisations publiques ... 213

La mission de l’organisation est un « drapeau » idéologique ... 215

Expert technique ... 216

Identité comme fonctionnaire au service public qui agit dans l’intérêt public, pour la société ... 217

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b) Environnement et mécanismes ... 220

Exposition à la visibilité ... 220

Urgences et pressions ... 221

On ne sait pas exactement ce qui se passe ... 224

Timing ... 225

Développement de la conscience systémique ... 226

Routinisation... 233

Pérennité ... 234

Anticipation de sanctions ... 238

Description du processus décisionnel ... 240

c) Effets et réactions ... 246

Réactions ... 246

Construction du mur (on est différent) et rejet de nouvelles valeurs ... 251

Lire leur environnement ... 254

Parcellisation du pouvoir ... 255

Valorisation... 257

Annexe L. Incrémentalisme. Figure 16 agrandie. ... 260

Annexe M. Modèle théorique final. Figure 17 agrandie. ... 261

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Liste des figures

Figure 1. Environnement décisionnel 15

Figure 2. Distribution des théories décisionnelles 29

Figure 3. Caractéristiques de la décision publique 31

Figure 4. Éléments de conceptualisation 70

Figure 5. Influence sur la décision 72

Figure 6. Modèle théorique 79

Figure 7. Compilation des occurrences des trois éléments d’influence 94 Figure 8. Distribution des trois éléments pour l’ensemble des entrevues 95

Figure 9. Répartition Bureaucratie, NMP et NGP 110

Figure 10. Distribution de chacun des codes par entrevue 120

Figure 11. Éléments identitaires 121

Figure 12 Environnement et mécanismes 131

Figure 13. Effets et réactions 146

Figure 14. Fréquence des codes dans les entrevues 161

Figure 15. Carte des codes 164

Figure 16. Modèle théorique ajusté. Incrémentalisme décisionnel. 169

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Liste des tableaux

Tableau 1. Modèles de prise de décision, adapté de Pfeffer (2011 : 282-286). 23

Tableau 2. Différences paradigmatiques 45

Tableau 3 Institutionnalisme 64

Tableau 4. Population 89

Tableau 5. Bureaucratie 97

Tableau 6. NMP 103

Tableau 7. NGP 107

Tableau 8. Transition vers les nouvelles catégories conceptualisantes 157

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Liste des abréviations, sigles, acronymes

▪ SM : Sous-ministre

▪ SMA : Sous-ministre adjoint ou associé ▪ NMP : Nouveau Management Public ▪ NGP : Nouvelle Gouvernance Publique ▪ PPP : Partenariat public-privé

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Remerciements

Un texte est linéaire. En le lisant, nous nous attendons à ce que les points les plus importants viennent d’abord et ceux d’une importance moindre-ensuite. Ce n’est pas le cas de ce petit texte de remerciement. Parce qu’il parlera de personnes qui m’ont soutenue, m’ont entourée tout au long de mon parcours et dont les contributions sont d’une importance vitale pour la réussite de mon projet.

Grâce à Mathieu Ouimet, mon directeur de thèse, je suis entrée dans cet univers fascinant d’études doctorales. Je le remercie de m’avoir tendu la main et de ne pas la relâcher. Je le remercie de sa disponibilité, de son incroyable ouverture d’esprit et de sa générosité sans pareil. Tes conseils m’ont sortie de bien d’impasses. Merci Mathieu !

Je tiens à remercier toutes les professeures et tous les professeurs du Département de science politique de l’Université Laval. Chacun d’entre vous a contribué à ma réussite par nos conversations, vos éclaircissements et les encouragements. Je me suis sentie bien. En famille. Merci à Sule Tomkinson, Éric Montigny, Pierre-Marc Daigneault, Marc-André Bodet, Steve Jacob. Un merci spécial à Annie Gagnon et à Amélie Tremblay. Je remercie Jean Mercier, Jean Crête, Thierry Rodon d’avoir donné à mon projet la chance de se réaliser. J’adresse également ma gratitude à Denis Proulx, le professeur associé de l’École nationale d’administration publique qui a éveillé mon intérêt envers le management des organisations publiques.

Ce projet m’a laissée vivre des moments surprenants. Bien sûr, je le trouve fort intéressant. J’ai l’espoir d’avoir communiqué cet intérêt à travers les pages de la thèse, ne serait-ce qu’en partie. Merci d’avoir accepté de faire ce chemin avec moi.

Mes remerciements particuliers s’adressent aux participants, les ministres et les sous-ministres adjoints ou associés qui m’ont fait l’honneur en acceptant de me donner une entrevue. Merci d’avoir partagé votre sagesse. Merci de votre générosité et de votre sincérité. Je crois fermement que la contribution de chacune et de chacun d’entre vous est fondamentale à l’avancement des connaissances.

Je termine par les remerciements à ma famille : à mon conjoint Pavel et à nos deux fils, Kirill et Tal. Je vous remercie de votre patience, de votre écoute, des discussions, mais surtout du soutien et de votre amour inconditionnel.

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Introduction

The emphasis on decision process underlines the difference between policy sciences and other form of intellectual activity (Lasswell, 1971: 1).

Les administrations publiques d’aujourd’hui sont confrontées aux enjeux complexes, difficiles à cerner. La réponse à ces défis leur demande d’adopter de nouvelles approches tant au niveau d’ajustements en matière de politiques publiques qu’au niveau de l’organisation interne. De multiples transformations organisationnelles sont entreprises afin de trouver un équilibre entre l’intérêt public et les capacités organisationnelles, et ce, depuis les dernières décennies. Par ailleurs, de nombreuses recherches démontrent une certaine étanchéité du secteur public au changement qui est souvent incrémental nonobstant l’envergure d’efforts déployés (Christensen, Laegreid, 2012 : 635 ; Rist, 1998 : 161 ; Le Galès et Scott, 2008 : 326). Plusieurs cherchent à expliquer ce paradoxe des points de vue distincts : par la force identitaire de la culture des organisations publiques (Pastin, 1986 : 131 ; Grosenick, 2001 : 8), par leur inertie (Rose et Davis, 1994), par l’action des matrices cognitives et normatives (Surel, 1998 : 176), par la limitation de l’action de l’individu (Giddens, 2014 : 24 ; Sewell, 1992 : 27 ; Harvey, 2000 : 45 ; Egeberg, 2003 : 117), par l’esprit collectif et la cohésion mentale (Déroche, 1966 : 75 ; Merton, 1970 : 33 ; Skocpol, 1985 : 15 ; Sewell, 1992 : 21 ; Charbonneau, 2011 : 303) ou par le rejet des valeurs étrangères (Poulsen, 2007 : 487 ; Greve, Hodge, 2010 : 153 ; Charbonneau, 2011 : 312). La thèse explique ce paradoxe d’incrémentalisme à travers la prise de décision. Afin de rendre les résultats plus parlants, ce sont les décideurs dont la position structurelle permet de prendre des décisions stratégiques (celles qui ont une visée à long terme, qui engagent les ressources organisationnelles) et qui possèdent une marge de manœuvre permettant de prendre des décisions non routinières dans un contexte de transformation sont ceux qui prennent la place centrale de la thèse. Mais pourquoi choisir le comportement décisionnel ?

La prise de décision constitue une des dimensions essentielles en gestion des organisations. Elle engage les ressources de l’organisation et rend le décideur imputable. Dans le contexte

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public, la fonction décisionnelle comporte des particularités : d’un côté, les décisions d’un gestionnaire public portent sur les ressources appartenant à la société et sont souvent encadrées par des obligations législatives et réglementaires bien tangibles. De l’autre côté, elles se prennent dans un contexte contradictoire d’objectifs flous, de ressources limitées, de dispersion des acteurs à travers une multitude de paliers hiérarchiques aux pouvoirs décisionnels bien « dosés ». L’incrémentalisme décisionnel, théorisé dans les travaux de Lindblom (1959 : 85), Simeon (1976 : 523), Kingdon (2003 : 124), Palier, Surel (2005 : 24) et expliqué par sa nature collective (Allison, 1969 : 701 ; Simeon, 1976 : 560 ; Sewell, 1992 : 21 ; Skocpol, 1985 : 15 ; Déroche, 1966 : 75 ; Merton, 1970 ; Charbonneau, 2011 : 303) semble être une caractéristique propre à la décision publique. Les carcans normatifs formels font en sorte que les processus décisionnels « décident » de façon presque autonome du décideur. Par ailleurs, comme Kingdon le souligne, malgré que les décisions publiques ne soient rien d’autre que des incrémentalismes étirés dans le temps (Kingdon, 2003 : 78), l’environnement présente des opportunités d’action et une marge de manœuvre décisionnelle. En gestion des organisations publiques, une fenêtre d’opportunité se présente dans un contexte de transformation organisationnelle. Par définition, elle apporte des incertitudes et force à prendre des décisions non routinières. Ainsi, en écartant les décisions légalement et administrativement encadrées par les éléments tangibles (lois, directives, règlements, politiques internes, etc.), en choisissant les décisions prises par la haute fonction publique dans un contexte de transformation, arriverons-nous toujours aux décisions incrémentales ? Sur quels critères les décideurs stratégiques des organisations publiques appuient-ils leurs décisions en absence d’un encadrement formel et spécifique, en se trouvant dans l’incertitude générée par les transformations ? D’ailleurs, si l’administration publique peut être considérée comme un système puisqu’elle est constituée de plusieurs organisations (Busino, 1988 : 225) et puisqu’elles relèvent de la même institution et sont souvent structurées de façon similaire (Meier et Hill, 2005 : 67), l’incrémentalisme décisionnel est-il organisationnel ou systémique ?

La décision dans le secteur public n’est pas collective uniquement dans le sens du nombre élevé de personnes impliquées à son élaboration. L’existence d’une certaine cohérence décisionnelle possible grâce aux similitudes dans les intérêts des individus (Lindblom, 1959 ;

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1979 ; Skocpol, 1985 : 12 ; Kingdon, 2003 : 229) ainsi que grâce à la présence d’une force socialement construite (méta structure, méta rationalité, agrégation, éthos, etc.) est remarquée par plusieurs auteurs (Kickert et Gigch, 1979 : 1218 ; Shrivastava, Mitroff et coll., 1987 : 105 ; Sutcliffe et McNamara, 2001 : 485 ; Rayner et coll., 2010 : 29). Selon la littérature, ces forces structurantes trouvent leurs sources dans les effets des routinisations, dans les habitudes, dans les éléments moraux et agissent par l’imposition des patterns socialement construits. Il s’agit donc d’éléments bien moins tangibles qu’un processus réglementé. Ces éléments sont étudiés autant par le champ de science politique que par celui du management des organisations publiques : il s’agit de la culture, de la structure et de l’institution. La comparaison des caractéristiques de ces trois éléments révèle une difficulté définitionnelle, mais permet de constater que les trois éléments exercent une pression limitative et encadrante sur le comportement des membres de l’organisation.

L’objectif de la thèse est donc double : d’apporter des éclaircissements quant à la relation entre le comportement décisionnel des hauts fonctionnaires de l’administration publique et certains facteurs organisationnels intangibles rassemblés sous un nouveau concept de la force de nivellement systémique et de proposer, de ce point de vue, une option explicative à l’incrémentalisme décisionnel. La question de recherche est formulée ainsi :

La force de nivellement systémique, un construit social composé des intangibilités attribuées à la culture, à la structure et à l’institution, influence-t-elle le comportement

décisionnel des dirigeants dans les organisations publiques ?

À la lumière des constats théoriques et empiriques, la contribution scientifique de la thèse se décline en trois points dont l’essentiel est la réponse à la question de recherche par une innovation conceptuelle entourant la notion de la force de nivellement systémique. Les chapitres de la thèse fournissent l’argumentaire de la réponse à la question de recherche :

1) Le volet théorique fait état de la littérature et identifie les principales caractéristiques de la décision dans l’administration publique, une sphère sociale qui diffère de la

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sphère privée. La revue de littérature parcourt l’évolution des théories décisionnelles, le glissement de la notion de la rationalité décisionnelle et cible l’élément qui semble être au cœur de cette évolution. Selon les écrits, il est question d’un élément structurant qui est le produit des processus de routinisation et d’institutionnalisation des comportements. Il s’agit des patterns qui se répandent notamment par la socialisation et font en sorte que les décideurs, dispersés à travers ces systèmes complexes que sont les organisations publiques, arrivent, tout de même, à prendre les décisions « standardisées ». Afin de mieux comprendre la nature de modélisation et son rôle dans la prise de décision, la littérature sur la culture, sur la structure et sur l’institution est revue et mise en relation avec les théories décisionnelles. Cet exercice bâtit un pont entre la littérature en science politique s’inscrivant davantage dans le courant de l’institutionnalisme sociologique, tel que Frederickson le définit (2012 : 69 ; 252) et la littérature traitant le management des organisations publiques. La comparaison des caractéristiques les plus pertinentes de la culture, de la structure et de l’institution met en évidence le caractère imbriqué de ces concepts et permet d’identifier leurs composantes intangibles (Annexe F). Les sections distinctes sont consacrées à la précision des limites de la littérature et à la formulation de la question de recherche. Le modèle théorique est cerné afin de bien la formuler. Selon ce modèle, les relations suivantes se dessinent : les composantes intangibles de l’institution, de la structure et de la culture forment la force de nivellement systémique qui influence le comportement décisionnel du décideur stratégique en l’incitant à prendre des décisions de type particulier. Ces décisions sont le produit de la rationalité collective et sont patternisées (elles ne sont ni aléatoires, ni individuelles, ni sans précédent) et se prennent sous l’influence de la force de nivellement systémique, teintée de la couleur paradigmatique dominante dans ce système. Ainsi, les décideurs peuvent présenter un style décisionnel semblable s’ils évoluent dans un système d’organisations qui relèvent de la même institution et sont structurées de façon similaire. Le volet théorique se termine par la précision de la contribution de la thèse.

2) Le chapitre portant sur le volet empirique présente l’argumentation méthodologique, l’identification de la population pertinente (les décideurs stratégiques de la fonction

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publique québécoise: sous-ministres et sous-ministres adjoints ou associés), l’établissement du protocole et l’élaboration de l’instrument de mesure. Ce chapitre met de l’avant les critères de sélection, les moyens de sollicitation et l’approbation du projet de recherche par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval1. Les outils de collecte et de l’analyse des données sont présentés dans cette partie de la thèse et sont annexés à cette dernière (Annexes B, C, D, E, F). Le calendrier des travaux (Annexe G) ainsi que les risques appréhendés s’y trouvent également.

3) La partie subséquente présente et interprète les résultats obtenus. Le double codage précise davantage les codes et les catégories conceptualisantes. Le premier codage a dégagé les tendances globales de l’ensemble des entrevues et a répondu positivement à la question de recherche. Les nouvelles catégories conceptualisantes construites à l’aide du logiciel d’analyse qualitative MAXQDA sont présentées et illustrées par les citations les plus pertinentes. Une lecture plus approfondie est possible grâce aux exemples regroupés dans l’Annexe K. Une section est consacrée au nouveau concept de la force de nivellement systémique, construit à la suite du raffinement des catégories conceptualisantes conséquemment à l’application du protocole méthodologique.

La conclusion se prononce sur la réponse à la question de recherche et les contributions annoncées. Elle discute également de principaux apprentissages et intègre l’ensemble des résultats dans un modèle théorique validé empiriquement. Le comportement des instruments développés (Annexes B, C, D, E, K) est également discuté. Le protocole méthodologique et les outils développés permettent la reproduction de la recherche dans d’autres organisations. Finalement, la conclusion discute de la réponse de la thèse aux lacunes constatées dans la littérature et dresse les avenues pour les recherches futures.

1 Ce projet a été approuvé par le Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval : No

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Chapitre 1 : Volet théorique

1.1. Théories décisionnelles

The outcome of any large-scale reform be it good or bad, depends on the decisions made at various levels of administration and the context in which these decisions are carried out (Frederickson et coll., 2012 : 225).

La prise de décision est au cœur des études en science politique (Hassenteufel, 2011 : 71). L’environnement décisionnel des organisations publiques est particulièrement rigide et se diffère de celui des organisations privées (Gortner et coll., 1993 : 24-26). La réalité externe est marquée par la reddition de comptes publique à l’aide d’une multitude de contrôles (vérification, rapports annuels de gestion, évaluation des programmes, commissions parlementaires, Vérificateur général, etc.), ainsi que par les tensions exercées par les groupes de pression, les médias et les « experts », tel que schématisé par la Figure 1 (inspiré de Mercier, 2002 : 6) :

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Étant divergentes des organisations privées, les organisations publiques ne sont pas homogènes au sein de l’administration publique. Elles se diffèrent notamment par leurs structures décisionnelles, par leurs sources de financement et par leurs politiques internes (ministères, sociétés d’État, etc.). L’évolution de ces organisations dans leurs réalités externes et internes exigeantes et complexes, cependant, est teintée d’un paradoxe : autant ces organisations rendent les comptes publiquement, autant leur fonctionnement interne est obscur (Mercier, 2002 : 136). C’est un système fermé, composé des organisations spécialisées (Busino, 1988 : 225), aux relations hiérarchiques verticales (Osborne, 2010 : 8), fournissant des services publics à une société démocratique demandant la transparence et l’ouverture. Ce paradoxe s’étend sur l’environnement décisionnel : d’un côté l’action publique est assujettie à la médiatisation excessive, de l’autre côté, les informations qui font les manchettes sont souvent parcellaires et n’expliquent pas les problématiques. La justification des actions et des décisions, la publication de multiples rapports non vulgarisés, la mise en œuvre des exigences et des recommandations de multiples organes de contrôle grugent les énergies du secteur public, mais ratent la cible explicative et rendent presque impossible l’identification des priorités. Le quotidien l’importe sur le fondamental et ces multiples exercices de reddition de compte deviennent une finalité en soi.

Avec la reddition de comptes et la transparence, le fardeau de la preuve incombe désormais aux gestionnaires qui doivent produire de multiples rapports nécessitant le recours à de nombreuses ressources. Or, la mobilisation de ses ressources figure rarement dans le calcul de la performance des ministères […] Ces effets pervers de la mesure et de la gestion de performance sont connus […] : la paralysie organisationnelle […], vision de tunnel [qui] pousse à ne retenir que les extrants quantifiables […] l’accent sur des cibles parcellaires fait oublier que la performance globale est différente de la somme de la performance des unités […] peut entraîner une sclérose de l’appareil administratif (Rouillard, Caron, 2016 : 296).

Ces particularités de l’environnement décisionnel des organisations publiques ajoutent de la complexité pour les dirigeants de ces organisations :

Les réformes entreprises dans les trente dernières années semblent avoir plutôt aggravé la complexité de leurs tâches [sous-ministres canadiens]. En cela, elles auront accompagné les tendances observées dans la société civile. Il reste cependant à la société politique d’accepter une pondération entre l’accroissement des responsabilités et l’autonomie nécessaire à la gestion contemporaine. La responsabilité ministérielle et les exigences de la transparence de la gestion publique ont jusqu’à présent fait obstacle à la recherche de cet équilibre (Bourgault, Savoie, 2009 : 12).

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Au-delà des tensions externes, les fonctions de la production et du traitement de l’information (Baumgartner et Jones, 2015 : 15), de la planification (Proulx, 2014 : 79), du développement d’instruments de l’action publique, du conseil aux politiciens (Lascoumes et Le Galès, 2004 : 21 ; Paquin, 1980 : 570), de la prise de décision, de l’organisation, de l’évaluation et du contrôle (Newcomer, 2007 : 326 ; Rouillard et Caron, 2016 : 296) remplies par les organisations publiques ne sont pas neutres à l’interne, ce qui « […] pose de multiples problèmes d’équilibre, entre la spécialisation et la culture générale, entre les impératifs de l’obéissance et ceux de la compétence et de la neutralité, entre les droits du gestionnaire et ceux de l’employé, entre les organismes centraux et les ministères opérationnels » (Mercier, 2002 : 136). Dans ce contexte particulier, sur quels critères les décideurs stratégiques des organisations publiques appuient-ils leurs décisions ?

La première conceptualisation de la prise de décision a été proposée par Simon (1945 : 67). Le processus est dépeint comme rationnel, analytique, par lequel le décideur, tout en ayant accès à l’information complète, fait un choix d’alternatives selon les préférences des conséquences offertes par chacune d’elles. Une série de ces décisions constitue la stratégie organisationnelle, alors que les routines organisationnelles aident à maximiser l’utilisation du temps du décideur. Cette rationalité est tout de même limitée : il est même possible de parler d’individus aux comportements irrationnels si leurs objectifs ne correspondent pas aux nôtres, s’ils agissent en se basant sur une information incomplète ou erronée, s’ils ne tiennent pas compte des conséquences futures ou si leur raisonnement est embrouillé par les émotions. Selon Simon (Ibid. : 68), les organisations et les individus ne sont pas toujours en mesure d’adapter leurs comportements au système des objectifs et des moyens. En revanche, selon Schubert (1957 : 347 ; 348 ; 367), c’est l’intérêt public qui est le dénominateur commun de toute bonne décision publique. La neutralité absolue d’un Bon Administrateur est la valeur sûre. Lindblom (1959) fait avancer les connaissances en cette matière en suggérant qu’un décideur devrait établir un objectif général, de le simplifier à un but, d’estimer quelques alternatives qui n’impliquent pas de bouleversements et de les comparer aux décisions antérieures avant de décider. Pour le décideur décrit par Lindblom, il est impossible de suivre le processus rationnel puisque ses capacités intellectuelles et informationnelles sont trop limitées pour englober toutes les facettes d’un problème complexe ; il évolue dans un

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environnement organisationnel avec des contraintes politiques et budgétaires imposées ; le temps et les ressources lui font défaut ; il ne possède pas de préférences bien ancrées comme critères de décision ; les objectifs globaux lui sont souvent inconnus. La recherche des solutions pour les problèmes de société est dispersée entre plusieurs organisations. Lindblom (1959 : 85 ; 1979 : 523) met de l’avant un concept important : l’ajustement mutuel partisan comme explication de l’existence d’une certaine cohérence décisionnelle inter organisationnelle, alors que les décisions se prennent en absence de coordination centralisée pour chaque décision prise. Cette auto-coordination fait apparaître une sorte de conscience collective possible grâce aux similitudes dans les valeurs et les intérêts de l’ensemble de ces individus (Simeon, 1976 : 577 ; Lindblom, 1979 : 523 ; Kingdon, 2003 : 78). Un paradoxe vient du champ du management (Jaques, 1993 : 299) : d’un côté, les décisions organisationnelles sont publiques, connues par l’ensemble de l’organisation, de l’autre côté, un gestionnaire n’est jamais en mesure d’expliquer les raisons profondes de sa décision puisque son processus décisionnel est inconscient pour lui. Selon l’auteur, malgré la rationalisation et un recours aux certaines données, les vraies raisons se trouvent dans les convictions profondes de la personne, ainsi que dans sa lecture intuitive du contexte situationnel (Ibid. : 300). Un des modèles que Allison (1969 : 598) propose afin d’expliquer une décision gouvernementale lui permet de conclure que les gouvernements, qui sont un conglomérat d’organisations dispersées, définissent les alternatives et estiment les conséquences à l’aide de leurs processus organisationnels, influencés par la mission organisationnelle, la disponibilité de l’information, les processus de sanctions et de récompenses (Ibid. : 701). Ces processus sont profondément marqués par des éléments structurels et sont basés sur les routines. Ainsi, selon l’auteur, les décisions ne sont jamais individuelles, mais sont les extrants de ces processus qui fournissent une décision répondant au mieux aux patterns standardisés du comportement valorisé. Ces patterns renforcent la structure et rendent l’organisation imperméable aux changements :

But the Treasury and the State Department put together are nothing compared with the Na-a-vy . . . To change anything in the Na-a-vy is like punching a feather bed. You punch it with your right and you punch it with your left until you are finally exhausted, and then you find the damn bed just as it was before you started punching (Franklin Roosevelt, cité dans Allison, 1969:702).

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L’évolution subséquente des théories décisionnelles fait modifier l’image d’un décideur de celui qui est en possession de toute information pertinente, qui décide seul en parcourant les critères rationnels judicieusement choisis, qui prévoit tous les impacts de ces décisions puisqu’il se trouve dans un environnement prévisible et stable, dépourvu de toute irrationalité vers un décideur impersonnel, perdu dans les méandres organisationnels. Simeon (1976 : 559-560) remarque les propriétés d’une décision bureaucratique : le besoin de simplification, l’impossibilité d’apprendre de l’environnement et une ténacité remarquable à vouloir utiliser les procédures. Selon l’auteur, la force qui fait agir le gouvernement est le désir de sa propre expansion dans un contexte de routine et de stabilité autant que possible (Ibid. : 578). La littérature d’aujourd’hui considère que le processus décisionnel est plutôt collectif, avec une multitude d’intervenants (Kooiman, 2003 : 11) et ressemble à une toile de microdécisions (Simeon, 1976 : 573 ; Kübler, Maillard, 2009 : 9 ; 62). Cette conceptualisation a mené à un constat révélateur que les organisations sont non seulement très loin d’être rationnelles et optimales, mais sont carrément « absurdes ». Morel (2002 : 132-139) distingue quatre mécanismes par lesquels les décisions absurdes se prennent : 1) choisir une solution parce que les causes ont l’apparence similaire et non pas sur une base de causalité établie ; 2) omettre des étapes dans le raisonnement ; 3) confondre l’aléatoire et le systématique ; 4) prendre les décisions par stéréotypes, sans réfléchir. Loin d’être des organisations efficaces, ce sont plutôt des « anarchies organisées » (Cohen, March, Olsen 1972 : 325), incapables de prendre des décisions satisfaisantes2 (Chalom, 2006 : 283-284).

Pour certains, les organisations sont complexes (les gens sont nombreux et les variables en jeu sont multiples) ; surprenantes (chaque action engendre des effets inattendus, tout de suite ou plus tard) ; trompeuses (elles défient toute attente et camouflent les surprises qu’elles nous réservent) ; et ambiguës (il est difficile de savoir ce qui s’y passe). En réalité (…), nous ne savons pas avec certitude ce que sont les problèmes, ni ce qui se passe réellement, ni ce que nous voulons ; les ressources nous font défaut, nous ne savons pas qui doit faire quoi, ni comment obtenir ce que nous voulons, ni comment déterminer si nous avons réussi (Proulx, 2006 : 12).

2 « Pour prendre un exemple québécois contemporain, le gouvernement du Québec a efficacement réduit son déficit, à la fin des années 1990 (…), mais il a, par les mêmes actions, créé des déficits ou des contraintes dans le secteur parapublic (hôpitaux, établissements d’enseignement) et aussi dans les municipalités » (Mercier,

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Les décisions se prennent dans un contexte d’incertitude, de complexité, de connaissance médiocre chez les individus de leurs propres rôles dans l’organisation (Zahariadis, 1997 : 28 ; Kübler, Maillard, 2009 : 145 ; Mercier, 2002 : 136). L’objectif global échappe non seulement aux décideurs, mais à la majorité d’individus à l’intérieur de la structure organisationnelle. Les objectifs plus opérationnels ne sont pas plus clairs, et ce, en premier lieu pour ceux qui doivent les réaliser. Il est dans la culture de l’administration publique de contrebalancer ces relations un peu chaotiques par une approche générale d’évitement des risques inutiles, de réduction de la zone d’incertitude, de prévention des confrontations par l’utilisation d’un langage administratif nébuleux. Cette ambiguïté dans les objectifs, l’impossibilité de contrôler les missions et les ressources, la complexité des problèmes, la difficulté d’avoir des mesures de performance solides (Vining et coll., 2015 : 216), l’incapacité de départager des responsabilités entre les organisations, contrecarrées par l’obligation de rendre des comptes, fait en sorte que l’Administration publique, pour se protéger, produit des quantités exorbitantes de rapports, d’analyses, de notes d’explication, d’évaluations, etc. Cependant, même si les contenus de ces rapports sont publics, la multiplication de l’information hermétique non contextualisée fait en sorte qu’il est difficile de porter un jugement éclairé à leurs sujets. En ce qui concerne le processus de prise de décision dans le secteur public, il se démarque par l’utilisation des patterns décisionnels ou des causalités stéréotypées dont on croit qu’ils ont déjà fait leurs preuves, des processus graduels, sans bouleversements. La prise de décision dans le secteur public est décidément incrémentale, elle se révèle souvent mal adaptée à la résolution des problèmes posés et mène fréquemment à des conséquences non voulues (Kingdon, 2003 : 124 ; Palier, Surel, 2005 : 24).

Le décideur individuel et rationnel s’estompe. La pression permanente de reddition de comptes et de justification dans un contexte d’objectifs contradictoires fait émerger des patterns de décision collective. Cette façon de fonctionner est possiblement liée aux principes d’impersonnalité et de neutralité valorisés par les organisations publiques. La volonté constante de confier des décisions aux innombrables comités et groupes de travail constitue un des patterns décisionnels qui permet de diluer la responsabilité individuelle (Harvey, 2000 : 52). Ceci donne l’apparence de consultation, mais la qualité de ces décisions reste questionnable : 1) les décisions sont parfois déjà prises avant même la constitution des

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comités ne portant dans ces cas qu’une connotation symbolique (Bénard, 2006 : 159) ; 2) l’effet Groupthink (Janis, 1982) fait en sorte que les décideurs peuvent ignorer des aspects importants se trouvant en conflit avec les principes inhérents au groupe, menant ainsi à des décisions « absurdes » (Morel, 2002) ; 3) le consensus, nécessaire pour les décisions de groupe, prend une tangente conformiste et s’obtient par le nivellement le plus bas. Ceci implique des concessions importantes de l’une ou de l’autre des parties prenantes et peut mener également à des décisions déficientes.

(…) decision makers (…) behavior reflect the pressures of the environment, the play of political influences surrounding policy disputes, the norms, assumptions, and values found in the culture and the ideology, and the opportunities and constraints imposed by the institutions (…) Examining the process can show how these results came about (Simeon, 1976 : 576).

Si pour les théoriciens des processus rationnels de la prise de décision la réalité elle-même est rationnelle, objective et compréhensible, les écrits subséquents soulignent l’ambiguïté de l’environnement décisionnel contemporain et rendent légitime une position plus constructiviste de la réalité. Éprouvés par les expériences passées, ces construits (les façons culturelles d’aborder les problèmes, par exemple) se sont montrés efficaces pour résoudre les problèmes de l’environnement décisionnel de l’administration publique et ainsi réduire l’ambiguïté qui le caractérise (Frederickson et coll., 2012 : 184 ; March, 1994:183).

Déroche (1966) soutient qu’il existe deux types de décision : 1) la décision routinière et 2) la décision portant sur une situation nouvelle. Les décisions routinières s’appuient sur les précédents du passé, sur les instructions et directives en place. Elles sont encadrées par des normes. Face aux situations nouvelles, c’est plutôt l’influence des institutions et de la culture bureautique qui est palpable par la manifestation de trois types d’attitudes généralement employés par les décideurs bureaucratiques : « (…) prudence craintive [le dossier est alors mis sur la tablette en attendant que la situation se résolve d’elle-même] ; (…) ouverture d’un parapluie [faire appel à des instances hiérarchiquement supérieures] ; (…) rationalisation administrative [ramener] l’inconnu vers le connu en expédiant le problème dans la machine administrative, avec tous les formalismes qui lui sont propres en essayant de (…) rejeter [la décision] vers l’entité impersonnelle de la puissance publique, en limitant son rôle à celui de

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simple facteur » (Déroche, 1966 : 194-197). Hall (1993 : 275-296) distingue trois types de décisions : la décision routinière, la décision routinière stratégique (propres aux bureaucraties) et la décision incrémentale, généralement influencée par le politique. Pour leur part, Crichton et coll. (2007 : 154) distinguent deux types : la décision basée sur les directives (documents écrits) et celle basée sur l’expérience antérieure du décideur. Selon les auteurs, 80 % des décisions sont de la première catégorie (Ibid. : 157-158). Cette routinisation décisionnelle excessive peut prendre ses sources dans les structures hiérarchiques propres aux bureaucraties qui distribuent le pouvoir décisionnel selon l’autorité formelle.

Pfeffer (2011 : 278) explique qu’il est important de distinguer les concepts de l’autorité et du pouvoir pour comprendre la prise de décision dans une organisation. Le pouvoir légitime est l’autorité hiérarchique. La transformation du pouvoir vers l’autorité est un processus important qui implique l’allocation des ressources, la légitimité d’établir les objectifs et d’évaluer le degré de leur atteinte et peut être discutée en termes d’institutionnalisation du contrôle social, selon l’auteur (Ibid. : 279). Dans les organisations publiques cette légitimité d’autorité et donc, le droit de prendre des décisions et de gérer les ressources, est attribuée aux gestionnaires formellement nommés. Les fonctions de gestion sont le plus souvent encadrées par des politiques organisationnelles qui enchâssent les actions des individus ou des groupes afin d’obtenir les résultats prévisibles. Par ailleurs, les situations marquées par l’incertitude et par l’ambiguïté du contexte où une marge de manœuvre inattendue est offerte sont aussi fréquentes. Ce sont les « fenêtres » laissant entrer le pouvoir et permettant l’exercice des décisions non routinières. Le manque d’écrits sur les relations du pouvoir dans les organisations dans la littérature managériale, selon Pfeffer (Ibid. : 281), est une influence du paradigme dominant de rationalité qui par les notions de productivité et du capital humain donne une illusion de réponse aux gestionnaires qui voient leur carrière plafonner. Les variables structurelles, utilisées par la logique explicative des notions du pouvoir et des comportements politiques sont beaucoup moins populaires dans la littérature « rationaliste » puisqu’elles ne proposent pas de recettes simples et sont beaucoup plus difficiles à évaluer, ce qui ressort clairement de la synthèse des modèles décisionnels (Tableau 1) proposés par l’auteur (Ibid. : 2011 : 282-286) :

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Tableau 1. Modèles de prise de décision, adapté de Pfeffer (2011 : 282-286).

Rationnel Bureaucratique Anarchie Pouvoir politique

Objectifs et préférences

Cohérents avec les acteurs. L’objectif précède le comportement qui reflète

l’intention. L’organisation est caractérisée par ses

objectifs. La diversité des objectifs

dans une organisation n’est pas prise en compte.

Raisonnablement cohérents avec les

acteurs.

Ambiguës. Rationalisés ex post.

Cohérents avec les acteurs, mais incohérents

à travers l’organisation. L’objectif organisationnel global n’existe pas et s’il existe,

les décisions ne sont pas prises en cohérence avec

celui-là. Pouvoir et contrôle Centralisé. Centralisé, importance des règles. Décentralisé, anarchique. Coalitions et groupes d’intérêts changeants. Processus décisionnel Majoritairement rationnel, par les ordres.

Prévoit la présence des alternatives qui se distinguent clairement parmi lesquelles on choisit ; Rationalité limitée (capacités et ressources limitées). Satisfaction (le choix se fait jusqu’à l’alternative satisfaisante), alors que les conséquences sont entièrement prévisibles (Simon, March, Allison).

Rationalité procédurale : les choix

sont déjà faits par les règles et les routines dont l’efficacité est éprouvée. Les décisions

sont prédéterminées et ne constituent pas de

choix libre (Simon, March, Allison).

Ad hoc. Garbage can.

Caractère aléatoire fait en sorte que le processus presque inobservable : certains

acteurs prennent

Garbage, alors que

d’autres-Can.

Désordonné, tiraillé par les intérêts.

Normes et

règles Normes d’optimisation. Les précédents.

La tradition. Participation épisodique

Liberté des forces des marchées. Conflit est légitime et

attendu. Traitement

d’information Complet et systématique.

Réduit par l’utilisation des règles et des

procédures.

Collecte et utilisation aléatoire de l’info.

L’info est utilisée et retenue stratégiquement.

Compréhensi on de l’action

Connu au moins à une distribution de

probabilité.

Utilisation consensuelle des routines partagées.

Ambiguë. Action n’est pas nécessairement motivée

par un choix conscient ou une planification.

Désaccord sur les moyens.

Décisions Découlent des choix de maximisation.

Découlent des programmes et des routines. Les ressources

sont allouées pour atteindre les objectifs, basés sur la mesure de

performance.

Ne sont pas liées aux intentions ; découlent de

l’intersection des personnes, solutions et

problèmes.

Découlent de la négociation entre les

intérêts. Les ressources sont allouées selon le pouvoir.

Idéologie Efficacité et efficience. Stabilité, prédictibilité,

équité. Aléatoires.

Luttes, conflits, gagnants et perdants.

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Si les décisions sont si prévisibles, peuvent-elles être erronées ? Selon Hollnagel (2007 : 9), puisqu’il existe des procédures et des routines organisationnelles, le décideur ne se pose plus la question : comment prend-on une décision, mais plutôt à quel moment la prendre ? Le processus décisionnel rationnel n’est plus tenable, selon l’auteur, non seulement parce que toute l’information n’est jamais disponible, mais parce que les décisions d’aujourd’hui se prennent rapidement. Klein (2007 : 13) ajoute que le sens peut être mal attribué à la nature du problème ou à l’information reçue à cause de la distorsion dans l’interprétation des faits, de l’incompatibilité des valeurs, de la contradiction entre les objectifs à atteindre. L’auteur (Ibid. : 24-25) attire l’attention aux trois phénomènes pouvant mener aux erreurs décisionnelles : la tendance des individus à ignorer les signes du problème ; à rationaliser les données qui contredisent les conclusions déjà tirées et à refuser de réviser une décision erronée malgré la présence de l’opportunité de le faire. Williams (2007 : 43 ; 45-46) soutient qu’un certain degré d’incertitude est associé à toute décision. Cette incertitude peut surgir de l’insuffisance des connaissances du décideur et de la façon avec laquelle le problème lui est présenté. Discutant des possibilités d’apprentissage et de correction des décisions erronées, Tallak et coll. (2007 : 202) soutiennent qu’il est assez difficile de le faire, puisque les effets de ces décisions sont étendus dans le temps et ne sont pas toujours attribuables à une seule action ; l’environnement est en mouvance constante ; l’information sur les effets d’une autre décision connexe est absente ; les décisions les plus importantes sont uniques et de ce fait, fournissent peu de précédents. Les chercheurs soulignent que les décideurs n’appliquent souvent pas de raisonnement global ou systémique, ce qui peut mener à des évaluations des situations déficientes (Ibid. : 208). Finalement, Frederickson et coll. (2012 : 174) soutiennent que les décideurs peuvent suivre un cadre qui peut paraître erroné pour un observateur, mais qui est très logique et habituel pour eux. Par extrapolation et puisque les décisions sont contextualisées, il peut y avoir une rationalité spécifique propre à une organisation ou à un système d’organisations.

En examinant les organisations gouvernementales en tant que système d’organisations publiques, plusieurs politologues (Skocpol, 1985 : 12 ; Kingdon, 2003 : 229) soulignent la capacité de l’État à poursuivre ses propres intérêts et ce, en tant qu’une entité qui est capable d’avoir une sorte de mécanisme de coordination interne. Puisque la méta coordination n’est

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pas réaliste, l’ajustement mutuel de Lindblom (1959 ; 1979) ou la poursuite de l’objectif d’expansion des structures bureaucratiques de Simeon (1976), par exemple, sont des manifestations qui présupposent l’existence d’une force structurante qui dépasse un individu ou une organisation et permet l’atteinte des objectifs globaux, « gouvernementaux ». Ainsi, les individus agissent séparément dans un environnement complexe et ambigu, mais arrivent, tout de même, à prendre les décisions « standardisées » avec un succès si phénoménal que le système est non seulement capable de se coordonner, mais est en mesure d’agir de façon autonome et de poursuivre ses propres objectifs. La littérature du champ du management des organisations apporte quelques pistes explicatives.

Kickert et Gigch (1979 : 1218) discutent du concept de « méta système » notamment en matière de contrôle et de prise de décision dans les organisations. En se basant sur les résultats de recherche menée auprès des universités, les auteurs proposent une conceptualisation intéressante de « méta décision ». Selon cette conceptualisation, la structure d’un système peut être définie comme une somme d’interactions, de relations de pouvoir, de coordination, de communication entre les sous-systèmes la constituant : qui fait quoi et quand (Ibid. : 1226). Cette structure est subdivisée top-down en sous-systèmes et simultanément agrégée bottom-up en méta structure qui, une fois mise en place, prédéfinit les décisions de l’ensemble du système. Autrement dit, plusieurs décisions sont déjà prises au niveau de méta système et sont implicites. Puisque chaque sous-système fonctionne en accord avec les niveaux supérieurs et ultimement par l’agrégation avec le méta système, les règles notamment décisionnelles ne peuvent pas être modifiées par les niveaux inférieurs sans que le méta système soit changé (Ibid. : 1228). La subdivision et l’agrégation peuvent aller jusqu’à l’infini presque, mais le niveau le plus haut d’agrégation est qualitativement différent des autres puisqu’il est composé d’aspects culturels, déterminant la configuration et la nature même de la méta décision : sera-t-elle rationnelle, incrémentale ou autre (Ibid. : 1229).

Top down one might consider some elementary level of detail-e.g. the individual level- as the end of the regression just as in the earlier-mentioned definition of hierarchy. But what about a bottom up integration? Does one stop at the level of cultural system of values or does one proceed into the universe? To answer to this question would probably lead us to philosophy, something we prefer to avoid (…) the level of meta control (…) in nothing other than the application of the two-level controller-controlled system configuration at one two-level higher (Ibid. : 1230).

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Shrivastava, Mitroff et coll. (1987 : 105) considèrent qu’il existe une « rationalité sociale », une « méta rationalité », possible grâce à l’existence dans une organisation d’un cadre cognitif institutionnel : une idéologie collective plus ou moins partagée qui par le processus de routinisation se matérialise dans les politiques et les procédures (Ibid. : 95). Ce cadre formate les aspects fondamentaux du processus décisionnel : il fournit le cadrage de l’information sur la base de laquelle les décisions seront prises et le langage par lequel « la conscience organisationnelle » est délimitée (Ibid. : 98). Les organisations sont constituées de personnes et donc, sont remplies d’émotions. Selon les auteurs, la rationalité dans les organisations est sociale, c’est-à-dire, personnalisée, teintée d’émotions : les cadres institutionnels peuvent inculquer aux membres de l’organisation de « fausses » aspirations, agir sur la santé mentale, influencer la perception de la réalité et produire ainsi des comportements dysfonctionnels et des décisions émotives (Ibid. : 105). Les travaux de Merton (1970 : 33) sont les premiers qui viennent à l’esprit quand il est question d’un climat psychologique particulier dans les organisations publiques, mais il y en a d’autres qui vont dans le même sens (Jeannot, 2016 ; Busino, 1988 ; Charbonneau, 2011). La question un peu rhétorique qui se pose est pourquoi les méta structures sociales des organisations génèrent-elles des émotions négatives et des frustrations de tout genre ?

DiMaggio (1997 : 278-280) apporte des éléments de réponse à la question comment les schèmes mentaux s’agrègent-ils dans les structures culturelles plus complexes. Selon lui, deux processus sont nécessaires pour qu’une idéologie (culture) puisse entrer dans la conscience des individus : il s’agit de la « thematization » (la façon comment les schèmes se regroupent) et du processus de « switching » (comment il est possible de changer d’un groupe de schémas). L’auteur précise deux modèles pertinents, celui axé sur l’identité de groupe ou d’individu et celui axé sur le rôle. Mais ce qui est particulièrement intéressant, c’est la couleur émotionnelle qui est obligatoirement présente dans ces processus. C’est grâce à l’énergie émotionnelle qui active ces processus que l’individu intègre les schèmes plus facilement, au niveau plus profond, celui que l’on appelle « le niveau identitaire » (Ibid. : 279). Autrement dit, si l’organisation souhaite inculquer certains comportements ou certaines valeurs, elle exercera une pression émotionnellement déplaisante pour l’individu pour qu’il rentre dans les rangs de la logique organisationnelle. Quant au « switching », si l’individu change

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d’idéologie, c’est le langage qui sera le premier indicateur de ce changement (Ibid. : 280). Si la parole est un processus cognitif et toute langue est un système de symboles, les changements ou les différences paradigmatiques dans les schémas seront visibles à travers les « symboles » que l’individu utilise dans son discours.

Au sujet de l’utilisation des pratiques préconisées par l’organisation dans les processus de prise de décision Sutcliffe et McNamara (2001 : 485) remarquent que les organisations forcent les décideurs à suivre des « pratiques préconisées » et des raccourcis mentaux. Selon les auteurs, prenant la forme d’une réponse à la complexité de l’environnement et à la rationalité limitée des décideurs, dans les faits, le recours à ces techniques renferme le jugement des individus dans les cadres souhaités et stabilise ainsi l’organisation face aux situations nouvelles. Les auteurs concluent que la décision n’est jamais individuelle : elle est formatée par le système formel des règles et des hiérarchies organisationnelles ainsi que par le contexte dans lequel la décision est prise (Ibid. : 486). De plus, la façon dont la décision est prise (en utilisant les patterns organisationnels), dans quel contexte (environnement), ainsi que la taille de l’organisation sont les facteurs qui définiront le résultat de cette décision (Ibid. : 496). Ainsi, la routinisation du comportement décisionnel peut être considérée en tant qu’un moyen de stabilisation : en encourageant le recours aux patterns, l’organisation limite l’introduction de nouvelles informations et de nouvelles visions du monde et s’assure ainsi de se prémunir de toute déstabilisation. L’existence d’une certaine cohérence décisionnelle qui fait apparaître une sorte de conscience collective possible grâce aux similitudes dans les valeurs et les intérêts des individus faisant partie de l’organisation ou d’un système d’organisations publiques est soulevée notamment par Simeon (1976 : 577), Lindblom (1979 : 523) et Kingdon (2003 : 78) et trouve l’écho dans la littérature sur l’éthos public. Une recherche quantitative menée auprès des hauts fonctionnaires et des employés du secteur public ainsi qu’auprès des employés du secteur de l’éducation (Rayner et coll., 2010 : 33 ; 35 ; 41) conclut que l’éthos public (système de valeurs) influence le comportement des employés du secteur public en agissant sur leurs motivations intrinsèques de sorte qu’ils soient davantage motivés par l’intérêt public que par des avantages financiers (Ibid. : 44). Conceptualisé à l’aide de trois composantes : les croyances, les pratiques et l’intérêt public, l’éthos public est défini ainsi : « (…) a way of life that includes a set of values held by the

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individual, together with organizational process and procedures that shape, and are shaped by, those values » (Rayner et coll., 2010 : 29). Une autre recherche phénoménologique qui a poursuivi les travaux sur l’éthos auprès des hauts fonctionnaires de la fonction publique québécoise a effleuré la notion de l’influence limitative de l’éthos sur le comportement des individus par la cumulation des aspects culturels, structurels et institutionnels sans toutefois faire le lien avec le comportement décisionnel des décideurs stratégiques :

En tant que « mode de vie », c’est un construit dynamique sujet au changement, qui inclut les valeurs endossées par les individus, mais aussi les normes et processus institutionnels qui à la fois donnent forme et sont forgés par ces valeurs, ce qui conduit Rayner et coll. (2010) à suggérer que l’éthos public comporte trois dimensions : les croyances du secteur public, qui expliquent en quoi les agents publics peuvent y adhérer ; les pratiques du secteur public, se référant aux normes affectant le comportement des agents ; et enfin l’intérêt public qui réfère à la finalité de l’institution publique (Fortier et Émery, 2011 : 19).

Finalement, l’étude de l’éthos n’est pas dépourvue de difficultés. Rayner et coll. (2010 : 30) et Fortier et Émery (2011 : 36) soulignent celles méthodologiques et d’intelligibilité : « Nos entretiens convergent tous vers l’idée qu’il n’est pas possible de comprendre la spécificité du secteur public et son éthos avant d’y avoir vécu et cheminé assez longuement » (Fortier, Émery, 2011 : 36). La conclusion tirée de la revue de littérature sur la prise de décision dans les organisations publiques s’articule autour des apprentissages suivants :

1) Une schématisation de la distribution de théories et de recherches recensées selon le type de décision dont elles traitent (individuelle ou collective) et selon la nature de la réalité dans laquelle la décision évolue (rationnelle ou chaotique). Telles que schématisées par la Figure 2 ci-dessous, les théories recensées présentent la décision publique à travers le temps comme rationnelle individuelle, rationnelle collective, chaotique individuelle ou chaotique rationnelle. Ne serait-ce que de façon numérique, cette distribution présente la décision publique d’aujourd’hui comme décidément collective, mais qui est loin d’être chaotique ou aléatoire.

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Figure 2. Distribution des théories décisionnelles

Les théories recensées accordent une place importante aux patterns (routines) décisionnels. Cette place est différente selon les décennies. Elle est marquée par une dynamique de la compréhension du rôle des patterns : perçus comme de simples outils d’aide à la décision dans une vision plus rationaliste de la réalité des années 1940 de la décision rationnelle individuelle, dans les théories plus récentes, ils semblent jouer le rôle d’un mécanisme

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organisationnel imposé par les méta- structures sociales afin de forcer les décideurs à garder la rationalité collective décisionnelle de leur organisation ou de leur système d’organisations.

2) Le caractère collectif d’une décision n’est pas attribuable uniquement au nombre élevé de personnes impliquées à son élaboration. L’existence d’une certaine cohérence décisionnelle est possible grâce aux similitudes dans les intérêts des individus ainsi que grâce à la présence d’une force socialement construite (méta système, méta rationalité, agrégation, éthos, etc.) qui peut exercer une pression sur le comportement décisionnel. Selon la littérature, ces forces structurantes trouvent leurs sources dans les effets des routinisations, dans les éléments moraux et agissent par l’imposition de l’utilisation des patterns socialement construits.

3) L’évolution des théories sur la prise de décision et les enseignements issus des recherches empiriques recensées dans cette thèse suggèrent que la décision dans le secteur public possède une rationalité collective difficilement attribuable à un seul individu ; elle est majoritairement routinisée, mais peut être erronée ; elle tend à reproduire les recettes éprouvées, à suivre des patterns dans les objectifs de réduction de l’incertitude, d’évitement des risques et de réduction de confrontation. Cette décision est dépendante de la configuration de l’autorité et du pouvoir à l’intérieur des structures organisationnelles (Figure 3).

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Figure 3. Caractéristiques de la décision publique

Les théories décisionnelles s’entendent au sujet de l’incrémentalisme décisionnel qui persiste dans les organisations publiques. Cependant, elles ne se prononcent pas clairement au sujet des mécanismes par lesquels la méta rationalité collective socialement construite peut agir sur la prise de décision. Existe-t-il un lien entre la conscience collective agrégée et l’incrémentalisme décisionnel ? Ces apprentissages de la littérature sur la prise de décision exigent une compréhension approfondie de la nature des construits sociaux que l’on peut retrouver dans une organisation ou dans un système d’organisation et qui se caractérisent par l’utilisation des patterns. La littérature sur la culture organisationnelle, sur les structures sociales et organisationnelles ainsi que la littérature s’inscrivant dans le courant de l’institutionnalisme notamment sociologique traditionnellement traite de ces questions. Le prochain chapitre examinera la question de la rationalité collective en tant que construit social à travers ces trois perspectives, à savoir, les perspectives culturelle, structurelle et institutionnelle afin de positionner l’influence de ces trois éléments sur le comportement décisionnel.

Rationnelle

Collective

(32)

1.2. Éléments d’influence

We have focused too much on the official decisions-makers and not enough on the influences which shape the alternatives they consider, the assumptions they make, and the kind of action they take (Simeon, 1976: 554).

La littérature sur la prise de décision accorde une importance aux patterns socialement construits en tant que fondements de la rationalité collective, mais ne révèle pas leur nature. Afin de mieux la comprendre et établir si le lien entre la rationalité collective et l’incrémentalisme décisionnel existe, il est nécessaire de se tourner vers d’autres écrits. La littérature sur la culture organisationnelle, sur les structures et sur l’institution ressort de plusieurs domaines de connaissances : la science politique, la sociologie, la psychologie, l’économie, le management et les sciences de la gestion des ressources humaines. Il ne serait jamais possible de faire état de toute la richesse de cette littérature dans le cadre de la thèse puisque chacun de ces domaines de connaissances examine la question sous l’angle différent et à l’intérieur des subdivisions internes de chaque domaine. L’objectif du chapitre est de présenter les points essentiels de la littérature sous l’angle de pertinence de ses éclaircissements à la prise de décision sous le prisme de la science politique et le management des organisations publiques.

La revue de la littérature fait donc l’état des apprentissages tels qu’ils se présentent, même si les contradictions et les imperfections ressortent au moment de mise en commun des perspectives adoptées. La thèse ne vise pas à définir chaque élément ou d’éliminer les contradictions, mais plutôt de dégager des éléments les plus pertinents qui contribueraient à répondre à la question de recherche.

Figure

Figure 1. Environnement décisionnel
Tableau 1. Modèles de prise de décision, adapté de Pfeffer (2011 : 282-286).
Figure 2. Distribution des théories décisionnelles
Figure 3. Caractéristiques de la décision publique
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