A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004
LES PRATIQUES DES MAÎTRES EN ÉDUCATION À LA SANTÉ :
ANALYSE DES TRACES ÉCRITES DANS LES ÉCOLES
ET DANS LES CLASSES
Dominique BERGER (1), Didier JOURDAN (2), Anne RIFFAUT (3) (1) IUFM de l’Académie de Lyon, (2) IUFM d’Auvergne, (3) Médecin, ENSP Laboratoire interdisciplinaire de recherche en Éducation à la Santé
MOTS-CLÉS : ÉDUCATION À LA SANTÉ – ÉCOLE PRIMAIRE – PRATIQUES PROFESSIONNELLES – ENSEIGNEMENT
RÉSUMÉ : La recherche vise à examiner la corrélation existant entre les déclarations des maîtres et des directeurs et la présence d’écrits (professionnels et d’élèves, dans la classe et l’école) pour mettre en relief les obstacles à la mise en place de projets d’Éducation à la Santé (ES) dans la classe et l’école. Le récolement des différentes traces (Écrits et dispositifs) permet de dresser une typologie conduisant à l’analyse des pratiques les ayant générés, à la mise en évidence du curriculum réel et à la mesure de l’impact sur la prise en charge des problématiques de santé.
ABSTRACT : The research focuses on the link between the primary school teachers’ statements and the presence of any kind of documents and traces about health education practices from teachers or pupils at the school and classroom scale. The objectives are to identify the main obstacles in health education programs ’implementation in school and classroom. The collected data allow us to make typology of the practices.
1. INTRODUCTION
Une première étude portant sur l’ensemble de l’Académie de Clermont-Ferrand a permis de montrer que 71 % des enseignants du 1er degré déclaraient pratiquer l’éducation à la santé (ES) avec leurs élèves. Ce travail avait également souligné la diversité des conceptions des maîtres dans leur rôle et de leur positionnement en éducation à la santé. Il a paru intéressant de prolonger et d’approfondir cette approche quantitative par une seconde, qualitative, cherchant à observer les traces de l’éducation à la santé dans les classes à travers certaines disciplines (expression écrite et orale, arts, SVT, EPS, éducation civique) dans le développement de compétences transversales et dans l’école, au travers de son fonctionnement et de son organisation pédagogique et matérielle.
Notre postulat de départ est le suivant : si l’ES est abordée de façon significative par les maîtres, il en demeure des traces dans les écrits professionnels des maîtres et les productions des élèves. Le recueil de ces traces confronté aux déclarations des maîtres recueillies par entretien devrait permettre de rendre compte des pratiques réelles des enseignants, de leurs conceptions didactiques et pédagogiques et de la nature des actions dans la classe et dans l’école.
2. LES OBJECTIFS DE L’ÉTUDE
Le premier consiste à approcher les pratiques réelles des enseignants à partir des productions écrites présentes dans la classe en tentant de vérifier le postulat énoncé au départ. Ce qui est significatif dans la pratique de la classe est en corrélation avec les représentations des maîtres et est présent sous forme de traces au sein de la classe.
Le second porte sur l’analyse des écrits professionnels usuels des maîtres : projets, cahiers journal, préparations, dossiers documentaires… et les productions des élèves : cahiers, réalisations diverses. Ces données seront confrontées à l’intention initialement déclarée par les enseignants et permettant de valider l’hypothèse selon laquelle l’écart constaté est révélateur des obstacles et des difficultés de mise en œuvre de l’ES au sein de la classe.
Le troisième vise à mettre en évidence et à évaluer la cohérence des pratiques dans l’école. En effet, la promotion de la santé des élèves passe par le « programme caché » de l’école, c’est-à-dire par la façon dont la santé au sens très global du terme est prise en compte au quotidien à la fois dans l’organisation matérielle et pédagogique. Toutes les traces relatives à la promotion de la santé (accueil des élèves, des parents, actions développant l’autonomie des enfants, leurs capacités à être acteurs dans la vie de l’école) ont été recueillies. Dans le champ de l’ES et de la promotion de la santé, le curriculum réel peut différer fortement du curriculum affiché.
Le cadre méthodologique
Cette enquête qualitative sur les « traces écrites » porte sur 36 écoles de Clermont-Ferrand (Auvergne) et de son agglomération. C’est un échantillon très limité et non représentatif de l’académie mais choisi parmi les écoles ayant répondu à la 1e enquête. Le critère d’inclusion a été le volontariat des personnes.
L’analyse s’est engagée sur deux axes : la promotion de la santé au sein de l’école et les pratiques pédagogiques des maîtres en ES au sein des classes. Nous avons ainsi recueilli des traces au niveau global de l’école en interviewant les directeurs et dans les classes des maîtres volontaires selon les grilles d’analyses suivantes :
La grille « directeur » se réfère à la promotion de la santé. Elle explore 5 domaines dans lesquels le directeur ou l’équipe des enseignants peut intervenir pour promouvoir ou améliorer la santé des élèves (au sens global) :
L’hygiène : la restauration avec l’équilibre des repas, la propreté et l’hygiène des lieux ; la sieste : avec un lieu adéquat notamment ; les sanitaires : avec l’hygiène générale des locaux, le respect de l’intimité des élèves, la présence de papier hygiénique, savon, etc. la propreté des locaux de classe, de la cour,
La sécurité de la cour, des locaux, la présence d’une pharmacie, d’une trousse de secours, l’affichage et l’existence d’un protocole d’urgence, la surveillance des récréations,
L’ergonomie des classes, des locaux, du mobilier,
La communication, l’accueil, l’accueil des familles, l’accueil des enfants en général, des malades et/ou handicapés, la communication avec et entre les enfants, l’existence de règles de vie en commun, l’ouverture de l’école vers l’extérieur avec l’existence de partenaires « choisis », Les lieux et temps de vie : les lieux pour les enseignants, pour les parents, l’infirmerie… les temps comme la fête de l’école ; temps de convivialité entre adultes, temps avec les parents, temps spécifiques pour l’éducation à la citoyenneté, à la santé, à la vie.
Les grilles « enseignants » se réfèrent à l’ES. Elles explorent les différents champs disciplinaires dans lesquels l’ES trouve place ainsi que la vie de la classe. Elles s’intéressent ainsi, à la maîtrise de la langue (langue orale et langue écrite), à l’éducation civique, aux sciences, aux arts plastiques, à l’éducation physique et sportive. Chacune d’elle est composée de trois parties :
Description des traces recueillies, objectifs affichés, compétences abordées, logique didactique (interdisciplinaire, projet…),
Méthode : type d’approche (globale, centration, place de la personne…), type de production, évaluation, activité des élèves,
Contenu : thèmes abordés, compétences travaillées, organisation des activités, supports utilisés. Elles ont pour objectif de recenser les productions et les traces les plus diverses recueillies dans les classes. Rédigées lors de l’entretien avec les enseignants selon leurs déclarations, elles sont le reflet de ce qui leur apparaît important et significatif dans l’Éducation à la santé.
3. RÉSULTATS PROVISOIRES
Notre premier objectif consistait à rendre compte des pratiques des enseignants à partir des productions écrites présentes en classe. L’hypothèse à examiner a démontré que ce qui est significatif dans la pratique de la classe est en corrélation avec ce que pense le maître et est présent sous forme de traces écrites au sein de la classe. Cette hypothèse a été vérifiée à la fois dans le recueil et la nomenclature des écrits D’emblée nous pouvons souligner que l’ES à l’école n’entre pas dans un cadre didactique et pédagogique univoque et clairement défini. Elle apparaît très largement tributaire des conceptions des maîtres qui s’étalent d’une approche thématique de prévention et d’éducation sanitaire centrée sur les risques à une vision globale de la classe et de l’école où les questions de santé sont liées à une pratique de classe visant à leur promotion. Nous relevons parfois des contradictions formelles entre des objectifs affichés et des pratiques antagonistes signant en fait une incertitude et une fragilité des conceptions (ex : les travaux sur les règlements de classes). À l’observation, chez chaque maître, nous constatons non pas un style pédagogique unique dominant qui lui serait propre mais bien souvent un continuum entre des pratiques s’inscrivant dans une approche très traditionnelle centrée sur les contenus ou un thème et d’autres plus constructivistes centrées sur l’apprentissage et l’élève. L’alternance et l’intrication des méthodes pédagogiques utilisées semblent la règle sans qu’une cohérence forte puisse être dégagée. Le second objectif portait sur l’analyse des écrits professionnels usuels recueillis - projets, cahier journal, préparations, dossiers documentaires… - et des productions des élèves - cahiers, réalisations diverses… Ces données ont été mises en relation avec ce que les maîtres ont déclaré vouloir faire initialement et ont permis de valider l’hypothèse selon laquelle l’écart constaté est révélateur des obstacles et des difficultés de mise en œuvre de l’ES au sein de la classe. Par ailleurs, les écrits professionnels des maîtres sont peu nombreux, comme si ceux-ci n’étaient que peu utiles à leur pratique. Mis à part pour les maîtres formateurs dont les écrits répondent au double objectif de modélisation de la pratique et de transfert en situation de formation, il semble que les autres maîtres ne produisent d’écrits que lorsque le projet qu’ils soutiennent doit être présenté à l’autorité administrative pour financement ou lorsqu’ils ont besoin de préciser l’organisation et la
planification des séquences. Dans ce dernier cas, les écrits sont très sommaires et très schématiques. Nous n’avons donc pu nous appuyer sur ce type de traces écrites pour rendre compte de l’architecture de la totalité des séquences d’éducation à la santé en école élémentaire, mais ces traces nous ont cependant permis de mettre en exergue des approches très argumentées et réfléchies, toutes dans la perspective d’une conception globale de la santé à l’école, d’une conception pluridisciplinaire centrée sur la vie de l’enfant, sa réussite, le développement de ses compétences psychosociales et le « mieux-vivre ensemble ». Ces approches sont toutes inscrites dans un projet pédagogique et dans un projet de classe. Nous notons également l’importance des approches transdisciplinaires où bon nombre de maîtres, plutôt que de traiter d’une question de santé en tant que telle, choisissent de l’approcher dans une activité disciplinaire par un support approprié. En ce qui concerne l’approche plus thématique, c’est essentiellement dans l’analyse des traces recueillies auprès des enfants que nous trouvons les schémas les plus caractéristiques de la situation pédagogique ordinaire en éducation à la santé. L’entrée est volontiers appuyée sur un thème (sommeil, alimentation, hygiène…) et part d’un travail sur documents pour se poursuivre par la mise en évidence de notions et par des exercices de renforcement sur fiches. Quelques productions d’écrits (schémas et résumés) viennent parachever la démarche.
Le troisième objectif visait à la mise en évidence et l’évaluation d’une cohérence des pratiques dans l’école. L’ES des élèves ne passe pas seulement par des séquences de classes : elle est également fortement conditionnée par l’établissement et la façon dont la santé des élèves est prise en compte à l’école. Aussi, toutes les traces relatives à la promotion de la santé à l’école ont été collectées : projets relatifs à l’accueil des élèves et à leur reconnaissance comme acteurs, à l’organisation de l’école (restauration, récréations), à l’affichage… L’hypothèse à vérifier a montré que les démarches globales des écoles ont une incidence sur les pratiques constatées notamment dans l’établissement d’une cohérence entre les conceptions, les organisations matérielles et pédagogiques et les pratiques au sein de l’établissement. Dans le champ de la promotion de la santé, la variable « établissement » paraît déterminante.
BIBLIOGRAPHIE
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