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La schizophrénie au sein d'un Québec multiculturel : le cas des immigrants haïtiens de Montréal

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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AMELIE LAMPRON

LA SCHIZOPHRENIE AU SEIN D'UN QUEBEC

MULTICULTUREL : LE CAS DES IMMIGRANTS

HAÏTIENS DE MONTRÉAL

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en anthropologie

pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A)

ANTHROPOLOGIE

FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

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Résumé

Ce mémoire vise les modalités d'accès à des soins de santé mentale pour une clientèle immigrante. Il se concentre plus précisément sur les usagers d'origine haïtienne de la région de Montréal. Pour la réalisation d'une telle étude, les usagers ciblés ainsi que des professionnels de la santé ont été amenés à se prononcer quant aux principaux obstacles rencontrés lors de la consultation clinique. Les résultats d'analyses des récits qui m'ont été livrés font l'objet de cette recherche. En procédant à des entrevues semi-dirigées avec les personnes concernées par la problématique ciblée, une analyse qualitative des données à pu être réalisée. Les résultats obtenus établissent des liens entre le rôle de la culture et des conditions concrètes d'existence et leur rapport avec le système de santé biomédicale. Les facteurs susceptibles d'influencer l'accès à des soins de santé mentale sont au centre de cette étude. Un premier chapitre d'analyse se concentre davantage sur les usagers haïtiens, leur expérience de la maladie qu'est la schizophrénie et les barrières auxquelles ils se heurtent lors des recours aux soins. Quant au second chapitre d'analyse, celui-ci porte plutôt sur le regard des professionnels de la santé face à leur pratique avec une clientèle immigrante, les difficultés rencontrées et les mesures mises en place afin de contrer les entraves aux soins de santé mentale chez cette clientèle d'origine étrangère. Une vue d'ensemble se dégage donc de ce mémoire, en allant chercher le point de vue des différents acteurs concernés par une problématique de santé-ethnicité.

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Avant-propos

Je tiens à souligner qu'un tel projet n'aurait pu voir le jour sans la précieuse collaboration de plusieurs personnes. Tout d'abord, je désire remercier tous ceux qui ont accepté de me consacrer quelques minutes de leur précieux temps et de me livrer une partie d'eux-mêmes lors des entrevues. L'intérêt que vous avez porté à ce projet fut une grande source de motivation pour moi.

Merci à tous ceux qui ont cru en ce projet et qui, suite à une initiative personnelle, ont entrepris des démarches me permettant d'atteindre les objectifs de ce projet. Votre implication et votre dévouement m'a beaucoup touché. Je vous suis grandement reconnaissante.

Un merci tout spécial à Charlette qui m'a été d'une aide remarquable tout au long de mon séjour à Montréal. Tes nombreux conseils et ton écoute ont été grandement appréciés.

Merci à Raymond Massé qui a su diriger ce mémoire de façon remarquable. J'apprécie votre patience et le temps que vous m'avez accordé tout au long de ce projet. Vous avez su me guider dans ce processus rigoureux et vos commentaires ont permis de rehausser la qualité. La liberté et la souplesse que vous m'avez accordé dans la réalisation de ce mémoire, m'a donné confiance. Merci encore pour tout.

Merci à mes parents pour leur support tout au long de ce parcours qui parfois, m'a semblé interminable. Vous avez su me transmettre des valeurs telles que la persévérance, me permettant de me rendre au bout de mes projets et de mes ambitions. Merci particulièrement à ma mère pour la révision linguistique et ton dévouement. Tu as été d'une patience incroyable.

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Merci à mes frères, ma raison de vivre. Vous avez été là près de moi autant pour m'écouter que pour me divertir et me sortir de ma routine en période de rédaction intensive. Vous avez su me faire rire comme toujours. Je vous aime tant !

Merci à mon amie Marikim pour ses nombreux encouragements de semaine en semaine. Tu as toujours cru en moi et je l'apprécie énormément. Ton dynamisme constant et ton optimisme m'ont aidé à aller de l'avant. Tu as su mettre du soleil dans mes journées les plus sombres. Merci !

Merci à Lilianne, ma collègue tout au long de mes études et surtout une amie précieuse. Au fil des années, nous nous sommes continuellement épaulées et encouragées. Ensemble, nous avons traversé cette épreuve qu'est la maîtrise Merci de ta présence et de ton écoute dans les moments d'inquiétude et de découragement. Tu as été pour moi une source de motivation. Tes nombreux conseils et commentaires pertinents et constructifs m'ont aidé à poursuivre mon chemin.

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Table des matières

Résumé i Avant-Propos ii Table des matières iv Liste des acronymes vii

Introduction 1

Chapitre 1 : Mise en contexte de la problématique 4 1.1 La problématique santé-ethnicité au Québec 4

1.1.1 La place de la culture dans le domaine de la santé 5 1.1.2 L'importance démographique de la communauté haïtienne

au Québec et à Montréal 6

Chapitre 2 : Cadre conceptuel 8 2.1 L'anthropologie médicale en tant que sous-discipline 8

2.1.1 L'approche-interprétative 9 2.1.2 Les modèles explicatifs de la maladie 10

2.2 L'anthropologie de l'expérience 11

2.3 Le pluralisme médical 13 2.4 Les itinéraires thérapeutiques 15

Chapitre 3 : La démarche méthodologique 17 3.1 Problématique et but de la recherche 17

3.2 Question de recherche 18 3.3 Les objectifs poursuivis 19 3.4 Contexte ethnographique 20

3.4.1 Présentation générale : la communauté haïtienne au Québec 20

3.5 Lieu de la recherche et choix de l'échantillon 23

3.6 Stratégie de recherche 25 3.6.1 Les entrevues semi-dirigées 25

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3.7 Analyse des données 28 3.8 Considérations éthiques 29 3.9 Pertinence sociale et scientifique 30

3.10 Difficultés et limites de la recherche 30

Chapitre 4 : Le discours des répondants psychotiques et leurs proches concernant

la maladie dans son ensemble 33 4.1 Vivre la maladie au quotidien 34

4.1.1 Réactions face à la maladie avant le diagnostic 35 4.1.1.1 La réaction de l'individu souffrant 36

4.1.1.2 La réaction des proches 40 4.1.2 Réactions face à la maladie suite au diagnostic 43

4.1.2.1 La réaction de l'individu souffrant 44

4.1.2.2 La réaction des proches 48

4.2 L'épisode de soins 52 4.3 Les soins et services reçus et offerts 56

4.3.1 Les recours envisagés 58 4.3.2 Modalités d'accès aux soins de santé mentale 61

4.3.3 Appréciation des soins 63

Discussion 68 Bilan des causes de la maladie 68

Bilan des cheminements thérapeutiques 69 Divergence entre les discours des proches et des malades 71

Le rôle de la religion dans le pluralisme médical des soins 72 Bilan sur l'insatisfaction des proches face aux soins donnés 73

Chapitre 5 : Discours des professionnels de la santé quant aux soins de santé offerts

à la clientèle haïtienne de Montréal 75 5.1 Obstacles rencontrés lors de la consultation clinique 75

5.1.1 Le professionnel de la santé face aux usagers haïtiens 76 5.1.2 L'usager haïtien face au système médical québécois 81 5.2 Un pas de l'avant vers l'interaction patient/médecin 86

5.2.1 Facteurs pré et post-migratoires 86

5.2.2 Avantages pour l'usager 89 5.3 Adaptation des soins et services 90

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5.3.1 Une diversité des approches 91

Discussion 96 Barrières au recours aux soins 96

Confusion diagnostique 97 Contribution de la médecine homoethnique 99

Bilan des divers recours thérapeutiques 99

Conclusion 101 Bibliographie 104 Annexe 1 Schéma d'entrevue 109

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Liste des acronymes

CÉRUL : Comité d'éthique de la recherché de l'Université Laval

ACCÉSSS : Alliance des communauté culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux

MSSS : Ministère de la santé et des services sociaux DSM : Diagnostic Statistical Manual

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Introduction

Par ce mémoire, je m'intéresse à une problématique déjà rencontrée et étudiée dans le milieu des soins de santé et services sociaux au Québec, c'est-à-dire les modalités d'accès à des soins de santé mentale pour une clientèle immigrante. Il semblerait que le système de santé québécois ait éprouvé quelques difficultés à s'adapter au virage pluriel. Ce dernier entraîne avec lui une clientèle en provenance d'ailleurs et dont les conceptions de la maladie et de la santé mentale peuvent différer des nôtres, malgré la présence de certaines similitudes. Conséquemment, cela entraîne, entre autres, une différence quant aux soins de santé recherchés par cette fraction de la population. Ainsi, afin d'analyser ce phénomène, j'ai décidé de me concentrer d'une part, sur la vision que partagent des immigrants haïtiens face à la schizophrénie, de même que le rapport qu'ils entretiennent avec le système de santé québécois et les soins qui y sont offerts. Pour y parvenir, j'ai recueilli non seulement le témoignage de personnes étant elles-mêmes diagnostiquées psychotiques, mais aussi celui d'individus ayant un proche atteint de la schizophrénie. D'autre part, afin de prendre connaissance des facteurs pouvant limiter l'accès à des soins de santé mentale chez cette clientèle, j'ai rencontré des professionnels de la santé qui, dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, sont constamment en interrelations avec des usagers d'origine haïtienne. Au départ, j'estimais qu'il serait suffisamment simple de trouver des gens qui accepteraient de me faire part de leur expérience personnelle de la maladie qu'est la schizophrénie, en tant que malade ou proche d'un malade. J'espérais que l'on m'explique comment se vit cette maladie au quotidien ? Quel est le sens qui lui est attribué? Quels rapports le malade entretient-il avec son environnement social et le milieu hospitalier ? Ce n'est qu'une fois rendue sur le terrain que j'ai constaté à quel point la tâche risquait d'être plus ardue que je ne l'avais envisagée. Évidemment, avant mon départ pour Montréal, j'ai dû effectuer tout un travail de recherche sur le sujet, afin d'être un minimum préparée à ce que j'allais devoir affronter durant les mois à venir. Avec le recul, je crois que je n'avais tout simplement pas réalisé l'ampleur de ce que la maladie mentale peut signifier, non seulement pour les personnes qui en sont atteintes, mais également pour les membres de leur entourage. D'autant plus que, dans le cadre de ma recherche, il s'agissait plus précisément d'aborder la

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schizophrénie auprès d'une population pour qui ce concept est pratiquement inexistant. Suite à certaines rencontres avec des membres de la communauté haïtienne, ces derniers m'ont rapidement informée de la réalité à laquelle je m'exposais. Ils ont été clairs avec moi à ce sujet, en m'informant aussitôt des difficultés que je risquais de rencontrer sur mon chemin. En consultant la littérature anthropologique, j'ai réalisé que si je désirais véritablement saisir les problématiques rencontrées dans la quête des recours aux soins, il était important, voire nécessaire, de tenir compte de l'expérience de la maladie de l'individu atteint. Car, selon l'approche à laquelle j'adhère, considérer l'expérience vécue d'un malade, implique nécessairement de prendre en compte non seulement l'épisode de la maladie, mais aussi de l'environnement dans lequel s'est développé cette maladie. Il m'importe donc de considérer l'histoire de vie de l'individu, c'est-à-dire la période précédant l'arrivée de la maladie ainsi que l'épisode de la maladie elle-même. Ainsi, tout au long de mon travail, j'ai tenté de maintenir une ligne directrice selon laquelle le sujet à l'étude s'expose à une vue d'ensemble.

Les chapitres qui suivront feront état des différentes étapes ayant mené à l'élaboration de mon projet de recherche, à l'atteinte des objectifs de celui-ci, de même qu'aux résultats qui en découlent. Cette étude, visant à l'exploration de l'expérience de la schizophrénie chez des immigrants d'origine haïtienne, m'amène à présenter les prochains chapitres selon un ordre précis.

Le premier chapitre servira d'introduction à la question étudiée en présentant le contexte historique de l'immigration haïtienne au Québec ainsi que de son influence au sein de notre société. Par ailleurs, je soulignerai l'importance de tenir compte de la notion de culture dans une problématique telle que celle soulevée dans le cadre de cette recherche.

Le second chapitre sera entièrement consacré au survol de la littérature anthropologique exploitée, afin de mener l'étude du phénomène présenté un peu plus tôt. Du même coup, il permettra d'explorer les bases conceptuelles sur lesquelles repose cette recherche.

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Un autre chapitre traitera des démarches employées afin d'atteindre les objectifs visés par mon étude. Il sera donc question de l'approche méthodologique adoptée, du choix du mode de recrutement des participants ainsi que des méthodes de collectes et d'analyses de données. Suite à cela, je ferai part des considérations éthiques de la recherche, la pertinence de celle-ci au plan scientifique, de même que ses limites. C'est également dans le cadre de cette section que je présenterai le contexte ethnographique de ma recherche, c'est-à-dire la communauté haïtienne de Montréal. À cette fin, un bref historique de l'établissement de la communauté en territoire québécois sera tracé, permettant ainsi aux lecteurs de se familiariser avec la population à l'étude.

Un chapitre exposera les résultats provenant des analyses subséquentes des données recueillies sur le terrain. Les résultats relateront les récits des répondants psychotiques de même que ceux d'individus ayant un proche atteint de schizophrénie. Les propos qui en découlent témoignent des événements entourant l'épisode psychotique : ses débuts, les premiers symptômes de la maladie, la réaction des proches et du malade, les recours envisagés versus les soins et services offerts. Par ailleurs, ce chapitre sera enrichi d'une confrontation de ces données aux débats issus de la littérature anthropologique sur le sujet.

Un dernier chapitre présentera les résultats des analyses menées suite aux informations obtenues de la part des professionnels de la santé travaillant auprès d'une clientèle haïtienne atteinte de troubles psychotiques. Dans cette section, les professionnels indiquent les principales barrières qu'ils rencontrent au moment de la consultation clinique (barrières rencontrées soit par eux ou leurs patients). Ils expliquent les mesures employées pour y faire face lors de leur pratique quotidienne et comment le système de santé actuel est selon eux, adapté ou non, aux besoins des clientèles d'origine étrangère.

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Chapitre 1 - Mise en contexte de la problématique

1.1 La problématique santé-ethnicité au Québec

Au cours des dernières décennies, le Québec à connu diverses vagues migratoires. Depuis les années 70 l'immigration au sein de la province s'est grandement diversifiée (MICC, 2012) Maintenant constitué de plusieurs communautés culturelles, le Québec connait un métissage culturel dont les effets se font ressentir au sein de la société. Bien que l'augmentation du nombre de citoyens d'origines ethniques diverses puisse être bénéfique à divers égards, elle a, par ailleurs, engendré certaines problématiques au sein du système de santé. Les problématiques sont principalement axées autour de la difficulté d'accès aux services sociaux et de santé, plus particulièrement, ceux en santé mentale (Massé, 1995; Santé Canada, 1999 et ACCÉSSS, 2005). Les professionnels de la santé sont les premiers à pouvoir témoigner des obstacles qui se heurtent à l'utilisation des services de santé de même que des problématiques qui émanent du système de santé lui-même. C'est pourquoi, au fil des années, le système de santé et de services sociaux du Québec a dû procéder à certains changements au sein de son organisation afin d'adapter les services offerts, à une population de plus en plus hétérogène (Rojas-Viger, 2007). Cette problématique santé-ethnicité repose essentiellement sur un manque de considération à l'égard de la culture des autres. Dans une société multiculturelle, on ne peut faire abstraction du fait que les services de santé doivent desservir l'ensemble de la population, considérant qu'elle est composée de citoyens de provenances multiples. Leurs croyances et leurs valeurs vont parfois à l'encontre des programmes de santé publique initialement mis en place par le système médical québécois. L'une des principales conséquences se manifestera au niveau de la pratique clinique (Guyotat, 1991 : 1). Trop souvent encore, l'influence des croyances et coutumes de cette population immigrante est reconnue, mais uniquement en tant qu'obstacle au développement ainsi qu'au bon fonctionnement du système de santé tel que présenté à l'ensemble des citoyens (Massé, 1995 : 53).

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1.1.1 La place de la culture dans le domaine de la santé

Cette recherche, menée dans une perspective anthropologique, ne peut faire abstraction de la notion de culture. Comme tout autre concept, celui de culture possède une panoplie de définitions. Il s'avère donc nécessaire de le définir de sorte à situer mon cadre de référence. La culture, au sens où l'anthropologie la conçoit, dépasse largement le cadre des productions culturelles, matérielles et artistiques. Elle englobe les différents aspects qui définissent un être en tant que membre ou citoyen d'une société donnée. Cela signifie entre autres, qu'elle renferme l'ensemble des valeurs et des représentations sociales élaborées par un groupe ethnique donné. La culture inclut également les institutions sociales et politiques. Elle se transmet dans le temps et elle est en constante évolution (Gravel, Battaglini, Riberdy, Guay, DSP de Montréal-Centre, 2000 : l). Le concept de culture n'est donc pas statique. Puisqu'elle touche à toutes les sphères de la société et donc de la vie quotidienne des individus, la culture guide leurs conduites, leurs choix, leurs habitudes et cela ne fait pas exception lorsqu'il est question de santé. L'anthropologie médicale, me servant de référence pour la présente étude, tente d'établir des liens entre santé et culture puisque tous deux sont des facteurs à prendre en considération. Cela dit, plusieurs autres facteurs (pauvreté, racisme, discrimination, stress, difficulté d'intégration, etc.) peuvent également avoir un impact sur l'état de santé d'un individu. « La culture n'est donc jamais considérée comme un déterminant de la santé indépendant des environnements biologique, social et économique dans lesquels évolue l'individu » (Massé, 1995 : 18). S'il existe une diversité culturelle, cela implique nécessairement la présence d'une diversité des conceptions de la santé et donc, la présence d'une dynamique entre culture et santé. Il en est de même quant aux ressources d'aide qui varient d'un groupe ethnique à l'autre. Il s'agit là d'un exemple où la culture et la santé se joignent l'un à l'autre une fois de plus. Tout au long de la présente recherche, cette dualité sera représentée à travers les différents thèmes abordés, justifiant ainsi la pertinence de définir et de recourir à la notion de culture dans le cadre d'une problématique telle que celle à l'étude.

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1.1.2 L'importance démographique de la communauté haïtienne au Québec et à Montréal

Au Québec, certaines régions urbaines sont davantage concernées par le flux migratoire grandissant. La ville de Montréal s'avère une destination de prédilection considérant que plus de 70 % de l'immigration totale du Québec s'y établit (Ville de Montréal, 2010). Parmi cette diversité culturelle se retrouve de multiples collectivités dont la communauté haïtienne. Déjà présente au Canada, et principalement en territoire québécois dès la première moitié du 20e siècle, ce n'est qu'à partir des années 60 que la communauté

haïtienne a réellement commencée à prendre de l'expansion et à se développer au Québec. Toutefois, ce n'est qu'au cours des années 1970-80 que l'on note la plus forte poussée d'immigration haïtienne au Québec. Ces mouvements de population massifs sont essentiellement survenus suite à la mise en place d'un gouvernement aux tendances dictatoriales sous le régime de Duvalier, en Haïti (Lépine, 2008 : 17). Hommes, femmes et enfants ont donc trouvé refuge au Québec, dans l'espoir de voir leurs conditions de vie s'améliorer. Ces Québécois d'origine haïtienne ont une histoire qui leur est propre et qui mérite d'être racontée afin de mieux saisir la place qu'occupe ce peuple au sein de notre société. Si la communauté haïtienne ne constitue pas la communauté ethnique la plus importante au Québec (Ville de Montréal, 2010), il s'agit tout de même de la deuxième communauté ethnique en importance à Montréal, ce qui est considérable. Cependant, elle se démarque des autres au cours des années 1970 par son dynamisme sur le plan démographique (Massé, 1983 : 163). En 2006, plus de 90 % de la population immigrante haïtienne du Canada demeurait à Montréal, ce qui ne représentait pas moins de 7,2 % de la population totale de la région métropolitaine, selon les données recueillies par la Ville de Montréal (Ville de Montréal, 2010). Toujours en 2006, le recensement canadien révèle que plus de 91 435 personnes se sont déclarées d'origine haïtienne. Il faut toutefois noter que ce nombre s'élève à plus de 100 000 personnes actuellement considérant qu'entre 2007 et 2010, pas moins de 8 000 nouveaux arrivants haïtiens ont débarqués au Québec (Statistique Canada, 2006 :8 dans MIC et MIC, 2010). Il est certain qu'avec l'ampleur du séisme survenu à Haïti en janvier 2010, ce nombre continuera de s'accroitre au cours des prochaines années. D'ailleurs, à cet effet, les données affichent un total de 2 214 nouveaux arrivants qui, en 2010, ont bénéficié du programme spécial de parrainage humanitaire

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québécois pour Haïti. La catastrophe naturelle de 2010 a fait grimper le nombre d'immigrants haïtiens au Québec de plus du double comparativement aux données de l'année précédente (MICC, 2011).

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Chapitre 2 - Cadre Conceptuel

Ma recherche, s'inscrivant dans le domaine de la santé, prendra appui au sein d'une approche qu'est l'anthropologie médicale. Cette sous-discipline anthropologique se soucie de l'interaction entre les constructions tant sociales que personnelles qui donnent un sens à la maladie (Vonarx, 2005 : 64 et Kirmayer, 1993 : 43). L'accessibilité des soins de santé a fait l'objet de nombreuses recherches (Santé Canada, 1999). Cependant, très peu de chercheurs se sont intéressés, dans une perspective anthropologique, à l'expérience des professionnels de la santé de même qu'aux proches des personnes atteintes de troubles mentaux. C'est pourquoi, dans le présent chapitre, j'exposerai les bases conceptuelles qui m'ont permis de saisir la problématique à l'étude et ce, tout en situant mon projet dans un cadre anthropologique. Cette étude démontre à quel point la culture influence le domaine de la santé bien qu'elle ne soit que l'une des barrières à l'organisation des services de santé et de ses politiques. Pour cette raison, l'éventail des personnes concernées ne se limite plus seulement aux professionnels de la santé (Massé, 1995 : 5).

2.1 L'anthropologie médicale en tant que sous-discipline

Ce n'est qu'au cours des années 60 que l'anthropologie médicale nord-américaine a émergé au sein de nombreux travaux anthropologiques, pour ensuite se tailler une place au sein de la discipline anthropologique. Cette sous-discipline de l'anthropologie fait davantage référence à l'anthropologie britannique ainsi qu'américaine laquelle « s'intéresse à l'interaction entre les constructions sociales et personnelles du sens de la maladie » (Kirmayer, 1993 : 43). La culture devient donc un facteur à considérer quant aux rapports que les individus entretiennent avec la santé et la maladie. Puisque l'anthropologique médicale couvre des champs diversifiés allant du biologique au culturel, elle permet ainsi de prendre en compte la totalité des facteurs susceptibles d'exercer une quelconque influence sur l'état de santé d'un individu (Massé, 1995 : 18).

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Le terme anthropologie de la maladie est également employé, mais il est davantage associé à l'anthropologie française (Massé, 1995 : 19). Pour les anthropologues qui adhèrent à cette école de pensée, la maladie est ce qui se trouve au centre du processus de recherche plutôt que la médecine elle-même (Laplantine, 1986 ; Fainzang, 1989).

Quant à l'anthropologie médicale critique, elle tend non seulement à considérer les aspects culturels et biologiques, mais aussi les aspects politiques et économiques. Dans cette optique, elle tente de comprendre l'impact des relations de pouvoir politique et économique sur la santé (Fainzang, 2001 : 16). Ainsi, cette sous-discipline met l'accent sur les conditions concrètes d'existence et proclame que les inégalités sociales, ethniques et économiques constituent quelques-uns des divers facteurs pouvant engendrer des problèmes de santé. Cette approche a tendance à rejeter le savoir biomédical qu'elle juge oppressif par son caractère de domination internationale (Scheper-Hugues, 1990 dans Fainzang 2001). Autrement dit, cette approche déplore le manque de remise en question des savoirs biomédicaux auxquels on accorde trop souvent une valeur inestimable puisqu'ils sont soi-disant fondés sur la science.

2.1.1 L'approche interprétative

Parvenir à saisir la réalité de l'Autre est loin d'être simple. Cela nécessite de passer du temps dans un environnement qui nous est étranger pour ainsi en découvrir les structures sociales et culturelles. La maladie, qui compose la réalité de la vie humaine, ne se réduit pas seulement « à un ensemble de symptômes physiques ou psychologiques concrets, discrets et mesurables » (Massé, 1995 : 278). Ses manifestations et ses explications prennent place au sein de l'univers culturel dans lequel elle a émergé. La maladie relève donc de la culture et l'interprétation qui en découle vise à donner un sens non seulement aux manifestations symptomatiques de la maladie, mais aussi aux événements qui l'entourent (Massé, 1995 : 292).

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Lorsqu'un anthropologue s'intéresse au domaine de la santé mentale, il se doit de concevoir la maladie ou la souffrance comme relevant de la culture. Pour la majorité des professionnels de la santé, il semble que cela ne va pas nécessairement de soi. En effet, ils ont davantage tendance à se rattacher au point de vue médical, celui-ci abordant la maladie d'un point de vue plutôt biologique. Cela ne signifie pas pour autant que l'anthropologie médicale ne porte aucune attention à la biologie, mais que ses champs d'intérêts se penchent sur d'autres facteurs d'influence tels que la culture et les pratiques médicales. Selon Good, « ne tenir compte que des aspects neurobiologiques met de côté toute l'importance du social et du culturel dont les processus peuvent être associés à la maladie mentale » (Good, 1997 : 231). C'est pourquoi, l'anthropologie a recours à des concepts tels les modèles explicatifs de même que des réseaux de signification. Ainsi, tous deux permettront une meilleure analyse et interprétation des troubles mentaux puisqu'ils ont pour finalité de concevoir la maladie en tant que représentation. Une représentation à l'image de ceux qui en sont atteints, en fonction de leur interprétation personnelle de la situation. Autrement dit, les représentations de la maladie peuvent varier d'un individu à l'autre puisque chacune d'elles se réfèrent à un contexte particulier (Massé, 1995 : 292).

2.1.2 Les modèles explicatifs de la maladie

Les modèles explicatifs de la maladie permettent d'analyser la manière dont les individus perçoivent et conçoivent leur maladie et ce, sous les différentes formes que celle-ci peut prendre. Selon Kleinman, les modèles d'explication sont ancrés dans les réalités sociales qui émergent de la société dans laquelle vit l'individu qui s'y réfère (Kleinman, 1980 : 222), ce qui signifie que tout comme les réseaux de sens, ce sont des constructions sociales. Pour Kleinman, le modèle explicatif de la maladie est tel un ensemble de croyances ou conceptions, lesquelles tentent d'expliquer : un moment précis de la maladie, ses causes, le moment et la manière dont les symptômes se sont manifestés, comment la maladie a évolué avec le temps et finalement, expliquer le traitement qui s'ensuit (Kleinman, 1980a, dans Massé, 1995 : 285). Il ne faut cependant pas faire l'erreur de croire que la maladie renvoie à une même image, une même interprétation, pour tous ceux impliqués dans un épisode de maladie. Selon Kleinman (1981), chacune des personnes impliquées (thérapeute, membre

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de la famille, personne malade) analyse à sa façon un même épisode de la maladie. Cela peut engendrer des problèmes de communication lors de la consultation clinique par exemple (Kleinman, 1980 : 105). Non seulement les modèles explicatifs illustrent la façon dont les gens s'expliquent leur maladie, mais également comment ils envisagent leur traitement. Corin ajoute même que l'interprétation qu'un individu fait de son propre problème peut déterminer qui est selon lui, la personne la plus apte à exercer le traitement (Corin, 1990 : 49). Bien que le désordre mental puisse être présent et physiquement observable, les modèles explicatifs peuvent aussi changer dépendamment de la personne à qui l'expérience de la maladie est racontée. Il peut en être de même suite à un échec thérapeutique antérieur (Kleinman, 1980).

2.2 L'anthropologie de l'expérience

L'anthropologie de l'expérience, utile à la présente étude, propose de s'intéresser aux récits des malades (Kleinman, 1988), ou aux représentations des médecins (Good, 1994). Elle poursuit cet objectif « en s'efforçant de dépasser les limites de la maladie qui, selon l'anthropologie médicale, demeure trop souvent prisonnière d'une construction biomédicale » et tente de s'éloigner du registre clinique (Fassin, 2000: 98). Des anthropologues (Good et DelVecchio-Good, 1980) ont démontré que la maladie consiste en une expérience humaine et qui en plus de cela, est créatrice de sens (Massé, 1995 : 278). L'expérience telle que décrite par la population étudiée se réfère à la réalité première de celle-ci, bien que cette réalité puisse différer selon le point de vue d'un autre acteur. C'est sans doute la raison pour laquelle l'expérience demeure une notion grandement débattue au sein de la discipline anthropologique. Chaque anthropologue appréhende l'expérience vécue selon une perspective différente. Certains affirment que l'on ne pourra jamais réellement comprendre ce que vivent les « autres » puisqu'une grande partie de l'expérience vécue demeure inexplicable pour les acteurs eux-mêmes et que, de surcroit, le sens qu'ils attribuent à ces expériences leur est souvent inaccessible (Labelle, 2006 : 19). De ce fait, il devient nécessaire de recourir à divers niveaux d'interprétations, ce qui entraine un risque plus élevé de surinterprétation. En d'autres termes, lorsque l'anthropologie désire tenir compte de l'expérience vécue de la population à l'étude, elle

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doit consentir à une certaine dose de « violence interprétative » considérant que l'expérience en question ne peut se réduire à sa seule dimension consciente (Saillant, 2005 : 75). Relater son expérience reflète également toute la série de réflexions entourant ses actions. La difficulté consiste donc à véritablement saisir ce que l*«Autre » tente de nous faire comprendre comme étant son expérience, selon les informations qu'il fournit. En effet, lors de la narration d'une expérience quelconque, il arrive que certains éléments soient censurés voire même supprimés. Il est aussi possible que 1' «Autre » soit incapable de verbaliser certains aspects de son vécu (Bruner, 1986: 6 dans Labelle, 2006: 20). Cependant, les représentations utilisées pour raconter son histoire peut modifier considérablement la dite expérience. Même s'il s'agit des récits des malades, ces dernières appréhendent les expériences marquantes de leur maladie et vont les exprimer de façon métaphorique (Kirmayer, 1992b dans Kirmayer, 1993 : 51). En conséquent, l'anthropologue qui reçoit ces discours, a ensuite pour tâche de les analyser et de les interpréter, mais cette fois, selon des horizons différents. Pour Hastrup, l'expérience proprement dite « is always mediated by interpretation, which again is always socially based » (Hastrup, 1995: 84). Cette façon de concevoir l'expérience paraît tout simplement logique puisqu'elle suppose que nous ne pouvons comprendre les représentations émises par les « autres » qu'en fonction de nos propres referents culturels.

Aux yeux de Desjarlais, l'expérience est une notion des plus conflictuelles au sein de l'anthropologie contemporaine. En effet, il s'agit d'un concept trop souvent employé, ici et là, sans pour autant qu'une distinction soit établie entre les différents sens qui lui sont attribués. En demeurant mal défini, l'expérience en tant que concept, provoque une certaine confusion (Desjarlais, 1994 : 886). Néanmoins, il semble qu'elle demeure un élément de référence que l'on ne peut ignorer, principalement lorsque l'on tente de reconstituer les faits. La problématique que soulève Desjarlais réside surtout dans le risque d'omettre le rôle des facteurs sociaux dans l'élaboration de l'expérience. Cette dernière est d'ailleurs teintée d'une subjectivité prenant racine dans l'agencéité individuelle. Autrement dit, l'expérience est inhérente à la vie privée, à l'individualité de même qu'à la réflexivité individuelle (Desjarlais, 1994 : 887). Ainsi, elle possède une profondeur herméneutique qui nous rappelle en tant qu'anthropologue, qu'elle est trop complexe, trop subtile et même

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trop privée pour être comprise en totalité. Ses significations sont si multiples qu'il nous est possible d'en saisir qu'une fine parcelle (Geertz, 1986 : 373 dans Desjarlais, 1994 : 888).

Les concepts précédemment énumérés sont d'une grande utilité pour la recherche que je mène, car elle se révèle sensible aux perceptions des professionnels de la santé à l'égard de la schizophrénie et aussi, parce qu'elle tient compte de l'expérience vécue de ceux ayant un proche atteint de troubles mentaux. Cette étude s'intéresse également à l'expérience clinique des psychotiques et de leurs proches. Ces concepts sont d'autant plus pertinents qu'ils sont utilisés dans un projet visant une population d'origine haïtienne aux conceptions parfois différentes de celles des Québécois d'origine concernant la maladie mentale. Il faut souligner que les conceptions de celle-ci varient déjà au sein même de la société québécoise. L'utilisation des modèles explicatifs et des réseaux de signification tient également une place importante au sein de cette étude puisque le point de vue de différents acteurs a été sollicité. Non seulement, je me suis intéressée aux personnes malades, mais également à leurs proches, de même qu'aux professionnels de la santé dont le travail nécessite une prise de contact avec une clientèle immigrante d'origine haïtienne souffrant de troubles psychiatriques.

2.3 Le pluralisme médical

Le virage pluriel auquel fait face le Québec accentue la possibilité pour les citoyens de recourir à une gamme de services encore plus vastes que ceux initialement proposés et caractéristiques de l'Occident. Le domaine de la santé n'est pas uniquement pourvu d'un système médical reposant sur les savoirs biomédicaux. Des pratiques de soins alternatives sont également disponibles et il serait faux de croire que seule une clientèle immigrante recoure à ces pratiques. En effet, il semblerait, selon Vonarx, que la biomédecine dont nous sommes grandement les promoteurs en Occident « ne suffit pas pour satisfaire un état de complet bien-être » (Vonarx, 2005 : 58). Il en est de même pour toutes autres pratiques thérapeutiques. Bien que la biomédecine soit dominante au sein des sociétés dites occidentales, rien n'empêche pour autant la population de s'orienter vers d'autres procédés

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thérapeutiques, d'autres façons de concevoir la maladie et le sens qui lui est généralement accordé. Donc, si le Occidentaux, prennent parfois l'habitude de recourir à des soins de santé alternatifs, il ne faut pas se surprendre si d'autres sociétés et/ou communautés en font tout autant. Ce phénomène, connu sous le nom de pluralisme médical, est une notion qui renvoie à « des médecines différentes, appartenant à des horizons historiques et culturels différents, utilisées en même temps ou successivement par les mêmes personnes » (Benoist,

1996 : 492). Cela est d'autant plus vrai actuellement, considérant les échanges et contacts entre les sociétés ainsi que la montée technologique due à la modernité.

Plusieurs raisons peuvent justifier le recours à une pluralité de soins de santé et c'est ce que les chapitres à venir tenteront d'expliquer. Les malades, peu importe leur indisposition, « cherchent un éventail plus ouvert de réponses, en vue d'une efficacité plus grande que celle que leur offrirait un choix plus restreint » (Benoist, 1996 : 503). Les conduites menant à une pluralité simultanée des recours aux soins ne s'observent pas seulement auprès d'une clientèle immigrante; le pluralisme médical s'applique à la plupart des individus, toute origine confondue. La multiplicité des choix et des conduites adoptées par le malade ne s'oriente pas toujours selon la rationalité des médecins, ce qui n'est pas sans les déstabiliser. Toutefois, les explications et les réponses qu'offre ce pluralisme, s'avèrent significatives pour ceux qui s'en remettent à lui. Selon Benoist, le pluralisme médical ne découle pas d'une série de décisions individuelles de la part du malade ou des membres de l'entourage; « il résulte de rapports sociaux qui transcendent les conduites individuelles » (Benoist, 1997 : 10). D'ailleurs, bien qu'il entraîne une déstabilisation dans la pratique quotidienne des spécialistes de la santé, il semble que ce soit par l'intermédiaire de certains d'entre eux qu'une telle diversité de soins est possible. Par leur formation, les professionnels de la santé se retrouvent souvent au centre d'un carrefour d'informations où circule une multitude de connaissances et de savoirs. Certains, contrairement à d'autres, ne jurent pas que par la biomédecine même si celle-ci est à l'origine de leurs savoirs

médicaux. Tout comme les prêtres, pasteurs et missionnaires, les spécialistes de la santé construisent à leur façon un pluralisme. Là, où cela devient déstabilisant pour les médecins, c'est lorsque leurs certitudes s'ébranlent en étant contestées par des savoirs différents (Benoist, 1997).

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Ce qui intéresse les anthropologues, c'est justement cette référence à des cadres de logiques élaborés par des individus. Ces cadres façonnent le cours de leur vie et lui donnent un sens. Quoi qu'il en soit, cette recherche constante de soins, autres que ceux reconnus par la biomédecine, n'est en fait qu'une quête perpétuelle du mieux-être. D'ailleurs, des études sur le sujet ont révélé la présence d'une corrélation entre l'état de santé des malades et l'éventualité que ceux-ci se tournent vers des médecines parallèles. Il semblerait que plus l'état de santé se dégrade, plus ils ont tendance à se diriger vers des options alternatives. Toutefois, cela ne touche qu'une portion des malades puisque certains demeurent fidèles aux traitements biomédicaux, jusqu'à la toute fin (Benoist, 1996 : 323).

2.4 Les itinéraires thérapeutiques

La notion d'itinéraire thérapeutique renvoie principalement au parcours que suivent les malades ainsi que leurs familles et aux choix thérapeutiques qui en découlent (Janzen, 1995). En s'aventurant dans les itinéraires thérapeutiques, les chercheurs doivent être conscients du piège qui les guette, considérant qu'il leur est impossible de parvenir à une observation complète du cheminement thérapeutique emprunté par un malade tout au long de sa quête. Même en interrogeant ce dernier, on note un écart considérable entre le discours sur les choix thérapeutiques empruntés et la pratique réelle des itinéraires de soins (Benoist, 1996: 20). «L'observation d'itinéraires thérapeutiques révèle l'existence de choix, d'orientations préférentielles différentes selon les individus, mais le plus souvent communes aux membres d'un même groupe ethnique» (Taverne, 1996: 32). Il faut cependant savoir que tous les malades, bien qu'appartenant à une même communauté, ne constituent pas un groupe homogène. Pour cette raison, il est impossible de situer leurs itinéraires thérapeutiques de façon précise.

Lorsque la maladie survient, elle exige souvent de l'individu qui en est atteint, la recherche d'une explication et le recours à une action efficace (Benoist, 1996 : 142). C'est alors que la quête thérapeutique débute. Maintenant, qu'en est-il du choix thérapeutique emprunté ? Sur quelles bases le malade ou son entourage se positionne-t-il afin de trouver le thérapeute

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idéal ? L'étude des itinéraires diagnostiques montre en effet que la tentative d'identification du mal, de son origine et de son intensité symbolise la première démarche du patient (Benoist, 1996 : 403). Les critères menant au choix de l'itinéraire thérapeutique siègent donc dans les attentes de l'individu de même que dans sa façon d'agencer les divers recours qu'il adoptera.

Puisque le pluralisme médical et l'itinéraire thérapeutique sont deux notions intimement liées, elles figurent tout au long de cette recherche. Après les avoir brièvement défini et mise en contexte, il me semble pertinent de souligner l'influence qu'exerce le domaine religieux sur elles. La religion intervient plus ou moins directement, dans différentes sphères de la vie des individus, dont la santé. En suscitant l'espoir lors de circonstances difficiles et éprouvantes, elle devient un cadre de référence grandement valorisée. En s'appuyant sur les croyances religieuses pour faire face aux épreuves quotidiennes, les gens ont tendance à accorder beaucoup de crédit aux institutions religieuses et à leurs représentants. Ainsi, par la confiance qui leur est accordée, il arrive que les chefs religieux et spirituels servent de « co-thérapeutes » car ils peuvent encourager les gens à demander de l'aide et à adhérer aux traitements recommandés (Minn et al., 2010 : 44). La religion peut donc s'avérer déterminante des choix thérapeutiques envisagés, tout en constituant elle-même un recours à même titre que n'importe quel autre système ou pratique de soins.

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Chapitre 3 - La démarche

La présente section a pour objectif d'exposer la démarche utilisée pour la réalisation cette étude. C'est d'ailleurs par cette démarche qu'il m'a été possible de répondre à la question de recherche posée et de recourir à des méthodes d'analyse particulières de même qu'à une réflexion intellectuelle rigoureuse. Dans un premier temps, j'expose la problématique de la recherche. Par la suite, j'en viens à présenter les objectifs de celle-ci, les démarches employées pour la collecte des données ainsi que les méthodes utilisées afin d'effectuer l'analyse des données recueillies. Je fais également mention des considérations éthiques spécifiques à mon projet, de même que de la pertinence tant sociale que scientifique pouvant être rattachée à cette étude. Enfin, je termine le chapitre en présentant un bilan explicatif des limites et retombées possibles de ma recherche ainsi que des difficultés rencontrées tout au long du projet.

3.1 Problématique et but de la recherche

Puisque la communauté haïtienne de Montréal est numériquement importante dans la région, il m'a semblé important d'y porter une attention toute particulière. J'ai voulu prendre connaissance du rapport qu'entretiennent les membres de cette communauté avec le domaine de la santé, plus spécifiquement, concernant l'accès à des soins de santé mentale. Directement ou non, la société est confrontée à la souffrance sociale des collectivités. Les immigrants qui les composent sont parfois exposés à des situations de santé pour lesquelles le système sociosanitaire n'offre que des solutions partielles. Les immigrants d'origine haïtienne n'y font pas exception (ACCÉSSS, 2005 : 10). Tout comme ACCÉSSS, je me suis intéressée à l'accessibilité des services en santé mentale pour une clientèle étrangère. Cela m'amène à me poser diverses questions. D'une part, les intervenants et professionnels de la santé sont-ils conscientisés aux différents besoins de la population en matière de soins de santé ? Advenant le cas, les méthodes et pratiques thérapeutiques sont-elles adaptées aux besoins de cette clientèle ? Bref, existe-t-il des

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mesures concrètes, mises en place afin de faire face aux différents défis posés par la diversité culturelle dans le domaine de la santé ? Si tel est le cas, est-ce qu'elles permettent de susciter des changements/améliorations notables ? Cette diversité ethnique et culturelle à laquelle fait face le Québec nécessite une attention particulière. En effet, les valeurs et croyances de ces gens doivent être prises en considération dans nos pratiques quotidiennes sans pour autant se soustraire et/ou oublier qui nous sommes.

Trop souvent, certains sous-groupes d'immigrants sous-utilisent les services sociaux ainsi que de santé mentale et/ou ne trouvent pas de réponses à leurs besoins. Cette situation peut s'expliquer par la présence de services n'étant pas adéquatement outillés ni adaptés à leur réalité. C'est pourquoi, dans le cadre de la présente recherche, je souligne l'importance de tenir compte des dimensions ethnoculturelles en ce qui a trait à la santé mentale. Ainsi, en indiquant quels sont les éléments conflictuels, tant pour les communautés que pour les professionnels de la santé travaillant avec cette clientèle étrangère, il sera possible de réfléchir aux différents moyens pouvant être mis en place afin de remédier à la situation. De la sorte, il deviendrait peut-être envisageable pour les diverses communautés culturelles de recourir à des soins de santé mentale davantage adaptés à leurs besoins. Les chapitres subséquents, principalement axés sur l'analyse des données recueillies, mettront en évidence les besoins liés à la réalité de la communauté haïtienne de Montréal.

3.2 Question de recherche

Cette étude repose sur une question centrale que je me suis posée au départ: Comment, en 2010-11, des Québécois d'origine haïtienne demeurant à Montréal, atteints de schizophrénie, conçoivent-ils leur maladie et comment ils y font face au sein d'une société multiculturelle où domine un système de santé biomédical ? Cela dit, j'expliquerai plus loin pourquoi je n'ai pu m'en tenir exclusivement à cette question dans le cadre de mon projet.

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3.3 Les objectifs poursuivis

Dans le cadre de ce projet de recherche, j'ai tenté de comprendre quels sont les éléments pouvant servir d'obstacles au moment de l'intervention clinique, auprès d'une clientèle d'origine haïtienne atteinte de schizophrénie. Non seulement, je me suis intéressée aux barrières rencontrées par les patients, mais également à celles auxquelles peuvent aussi se heurter les professionnels de la santé travaillant auprès de cette clientèle étrangère. L'un des objectifs visés a donc été de dresser un portrait des diverses barrières organisationnelles (y compris linguistiques et relatives à l'information sur les services) auxquelles sont confrontés les malades et leurs proches lors des recours aux soins de santé. Pouvoir cibler ces obstacles permet ainsi de mieux saisir la problématique liée à la consultation clinique. Le second objectif poursuivi consiste à étudier l'influence des conceptions haïtiennes de la santé mentale sur la visite clinique. Connaître la manière dont les membres de la communauté haïtienne perçoivent et expliquent la maladie mentale et plus spécifiquement la schizophrénie, peut avoir un impact considérable quant au rapport qu'ils entretiennent avec le milieu clinique. Par ailleurs, cette recherche a pour objectif de rédiger un schéma des différents itinéraires thérapeutiques susceptibles d'être empruntés par les membres de la communauté haïtienne, à Montréal. Autrement dit, en sachant comment des individus d'origine haïtienne conçoivent la maladie mentale, leur manière de l'expliquer et de la vivre, cela peut nous indiquer et nous aider à comprendre les raisons qui les incitent à recourir à une pratique de soins plutôt qu'à une autre. Par l'entremise de leur discours saur la maladie et leur expérience de celle-ci, il devient possible de saisir le rapport qu'ils entretiennent avec le système de santé biomédical dont nous sommes grandement promoteur en Amérique du Nord. C'est pourquoi, leurs conceptions de la santé et de la maladie occupent une place importante au sein de ce projet de recherche, car ils constituent la base de mes questionnements face à la consultation clinique. De plus, tenir compte du point de vue des professionnels de la santé, permet de détenir une meilleure vue d'ensemble de la problématique étudiée et ainsi avoir accès aux deux facettes de la médaille.

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3.4 Contexte ethnographique

La section qui suit a pour fonction de présenter brièvement la communauté haïtienne de Montréal, son développement au sein de sa terre d'accueil et l'éventail de ses contributions au développement de la société québécoise.

3.4.1 Présentation générale : la communauté haïtienne au Québec

Avant de s'avancer sur le sujet abordé dans le cadre de la présente recherche, un minimum de repères historiques concernant la communauté haïtienne de Montréal est nécessaire. Il s'agit surtout de fournir des indications sur les contextes sociohistoriques ayant marqué cette communauté au sein de notre société. Ce n'est qu'à partir des années 60-70 que les premières vagues d'immigration haïtienne ont lieu au Québec. Cette migration est principalement due à des barrières d'ordre politique et économique prenant place en Haïti. On parle de barrières politiques en vue du régime dictatorial instauré par François Duvalier et de barrières économiques car à l'époque, le marché de l'emploi est jugé limité pour les jeunes adultes de la région (Massé, 1983 : 298). Pendant ce temps, au Québec, un besoin grandissant se faisait ressentir dans divers secteurs tels que l'éducation et la santé. Du même coup, une politique d'immigration venait d'être mise en place, favorisant l'entrée au pays de Britanniques et d'Américains, ce qui encouragea nombre d'Haïtiens ayant une double citoyenneté, à venir s'établir au Québec (Perreault, 1997). C'est à ce moment que survient la première vague d'immigration haïtienne. De cette première grande vague d'immigration, les Haïtiens venus s'installer au Québec et plus particulièrement, dans la région de Montréal, sont considérés comme des immigrants « indépendants ». Toutefois, ce n'est qu'au cours des années 1970 à 1980 que ce mouvement de population, en provenance d'Haïti, fut davantage important en territoire québécois. Le profil de ces nouveaux citoyens s'est quelque peu diversifié au fil des années. Lors de la seconde vague massive d'immigration haïtienne, on compte davantage de membres de la famille venus rejoindre leurs proches établis au Québec, depuis quelques années déjà. On compte également un nombre important d'immigrants bénéficiant du statut de réfugiés. Les immigrants de la seconde vague se sont principalement installés au nord-est de l'île de Montréal. On les

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retrouve principalement dans les arrondissements de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles. À eux seuls, ces arrondissements regroupent 55 % de la population immigrante haïtienne de Montréal (Ville de Montréal, 2010). Leur présence a radicalement changé la perception de la population environnante envers la communauté noire en générale. Les Haïtiens, ont su démontrer, plus que tout autre groupe, le caractère hétérogène de leur communauté. Car, bien que la population à l'étude soit d'origine haïtienne, il ne faut pas penser qu'elle constitue une communauté homogène (Massé, 1983 : 157 et Lépine, 2008 : 15), remarque qui vaut d'ailleurs pour toutes autres communauté culturelles (Menezes, 2009 : 8). Cela est d'autant plus vrai concernant les Haïtiens demeurant au Québec. Certains sont de nouveaux immigrants alors que d'autres, sont nés au Québec de parents qui eux, sont nés en Haïti. Pour sa part, le Dr. Raphaël, lui-même d'origine haïtienne, soutient que deux groupes culturels bien distincts cohabitent au sein de la communauté haïtienne, tant à Montréal qu'en Haïti. Il devient donc nécessaire de les définir afin de mieux comprendre la dynamique et l'origine de la plupart des conflits siégeant au sein de la population haïtienne (Raphaël, 2006 dans Lépine, 2008 : 15). Il s'agit d'un concept plus communément appelé, le biculturalisme haïtien. Au Québec, ces groupes culturels se démarquent principalement en fonction de leur vague d'immigration. Il y a donc ceux associés à la première vague d'immigration, laquelle se compose essentiellement d'Haïtiens provenant de la classe moyenne. Ce sont donc, pour la plupart, des professionnels, des gens instruits et des entrepreneurs. À eux seuls, ils représentent approximativement 10 à 20 % de la population haïtienne du Québec (Raphaël, 2006). Ce groupe se définit souvent comme étant celui des " occidentalisés ". Il se caractérise ainsi en fonction des habitudes et des discours que tiennent les membres de ce groupe. Leur façon de penser et d'agir s'apparentent à celle des Occidentaux. De l'autre côté, on retrouve ceux qui dérivent de la seconde et massive vague d'immigration haïtienne. Ils ne regroupent pas moins de 80 à 90 % de la population haïtienne au Québec et proviennent principalement de la classe défavorisée. Souvent analphabètes et/ou très peu scolarisés, ces immigrants sont essentiellement issus du milieu rural. Ils s'identifient davantage à la langue créole et donc à l'Haïti dite traditionnelle. Cet autre groupe culturel porte le nom de "créoles", lesquels sont perçus comme des « barbares » de la part des « Affranchis » (occidentalisés) (Raphaël, 2006). Cela dit, il n'est

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pas impossible pour un Haïtien « créole » d'appartenir au groupe des « occidentalisés ». Par exemple, lorsque des enfants issus de familles créoles passent par les institutions scolaires, leur statut devient alors celui de « nouveaux occidentalisés », bien que leurs parents demeurent « créoles » (Raphaël, 2006 dans Lépine. 2008 : 15). Comme on peut s'en douter, cette distinction sommaire et caricaturale, entre les groupes ethniques haïtiens, a occasionné et continue d'engendrer de nombreux conflits au sein de la population haïtienne.

Cette immigration haïtienne s'inscrit dans un contexte de tensions intra-ethniques au sein de la société d'accueil, puisque dans les années 80, le secteur de l'économie battait de l'aile menant ainsi à une compétitivité élevée vis-à-vis le marché de l'emploi. D'autres tensions, tout aussi virulentes que celles en lien avec la récession économique de l'époque, étaient perceptibles entre Québécois et immigrants (tant anglophones et haïtiens). Des conflits se concentraient autour du débat sociopolitique entourant la question de la langue française, considérée comme la langue officielle du Québec (Perreault, 1997 : 19). Bref, malgré que certaines tensions se soient érigées par le passé, entre Haïtiens et Québécois, les citoyens d'origine haïtienne ont su trouver leur place au sein de notre société et ont d'ailleurs grandement contribué au développement du Québec.

Ce bref portrait historique démontre l'étendue des difficultés auxquelles la communauté haïtienne a été confrontée depuis plusieurs générations. Ces épreuves ont laissé des marques sur la population haïtienne amenant avec eux, leur lot d'émotions, passant par la colère, l'espoir d'un avenir meilleur, la peur et la déception. Les mouvements d'immigrations massifs, laissant des familles démunies par l'absence d'un ou plusieurs proches, sont d'autant de facteurs entraînant des répercussions considérables chez un bon nombre d'Haïtiens qui recourent aux services de santé, ici au Québec. Les difficultés d'adaptation à la société d'accueil diffèrent d'une personne à l'autre, car chaque expérience migratoire est unique. Néanmoins, elles laissent des séquelles qui se répercutent parfois sur l'état de santé.

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3.5 Lieu de la recherche et choix de l'échantillon

Mon terrain de recherche a eu lieu dans les principaux arrondissements de la ville de Montréal où l'on retrouve une forte concentration d'immigrants haïtiens. Plus concrètement, j'ai parcouru les quartiers de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Montréal-Nord et Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles à la recherche d'organismes communautaires travaillant auprès de la population immigrante. Avant mon départ, des contacts préliminaires avaient été établis avec certains organismes. Ces derniers m'avaient affirmé être intéressés à participer au développement de ma recherche, une fois toutes les modalités ayant été acceptées par le comité d'éthique de mon établissement scolaire. Cela dit, la suite des événements s'est déroulée un peu différemment au moment du terrain. Parmi les organismes préalablement ciblés, se retrouvaient : le centre de crise Tracom, le centre Multi-écoute, l'Association canadienne pour la santé mentale filiale de Montréal, la maison d'Haïti, le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal de même que la clinique transculturelle de l'Hôpital Jean-Talon. Initialement, mon intention consistait à rencontrer les responsables de ces organismes ainsi que des intervenants qui y travaillent afin de les questionner sur les diverses problématiques ou barrières culturelles rencontrées dans l'exercice de leurs fonctions auprès d'une clientèle immigrante haïtienne. Je m'intéressais également aux discours généralement véhiculés par cette clientèle face à la maladie mentale et aux soins de santé qui s'y rattachent. Aussi, je disposais de certains contacts dans la région. Leur aide m'a permis de trouver des lieux ainsi que des informateurs clés me permettant d'avancer dans ma recherche et du même coup, trouver des réponses à mes questions.

Dans le cadre de mon étude, je me suis d'abord intéressée aux immigrants haïtiens de première génération. Je considérais qu'il s'agissait de la population la plus susceptible d'être confrontée à des problématiques non seulement d'intégration, mais aussi en matière de santé. Ceci étant dit, une fois arrivée sur mon terrain de recherche, j'ai vite réalisé qu'en m'orientant vers des organismes communautaires et le milieu hospitalier pour rencontrer des participants, il me serait difficile de faire la rencontre d'immigrants de première génération, tel que je le désirais. Après quelques semaines de recherches, j'ai eu l'occasion

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de m'entretenir avec des intervenants communautaires ainsi que d'autres chercheurs et professionnels de la santé intéressés par la problématique que j'étudiais. Ils m'ont informée, que de façon générale, les immigrants qui décident de se tourner vers le milieu hospitalier, à la recherche des services médicaux, sont habituellement plus familiers non pas avec le système de santé québécois, mais avec la société québécoise en générale. Autrement dit, ce sont principalement des immigrants établis au Québec, depuis déjà un certain temps, qui possèdent souvent plus d'informations sur les services offerts que ceux qui viennent à peine de s'installer. Une fois consciente de cela, j'ai pu mieux comprendre pourquoi la majorité des participants que je parvenais à rencontrer et à recruter pour mon projet, ne semblaient pas tellement influencés par leur culture d'origine. D'ailleurs, la plupart d'entre eux ont affirmé se sentir davantage Québécois qu'Haïtiens, quant à leurs habitudes de vie.

Il est à noter qu'au cours de mes entrevues, j'ai interrogé trois séries d'acteurs plutôt que deux, tel que convenu au départ. Une fois rendue sur le terrain, une opportunité des plus intéressantes pour mon projet s'est présentée à moi. Sans hésiter, j'ai saisi l'occasion. Disons que ma rencontre avec certains professionnels de la santé s'est avérée fructueuse. En effet, quelques-uns d'entre eux, principalement des psychiatres, m'ont offert de rencontrer certains de leurs patients qui correspondaient à la clientèle ciblée par ma recherche et qui étaient jugés collaboratifs. J'ai donc accepté l'offre considérant que cela pourrait s'avérer un plus pour la recherche en cours, malgré le faible nombre de participants psychotiques rencontrés, c'est-à-dire trois. Quant aux deux autres séries d'acteurs interrogés, il s'agit d'une part, d' Haïtiens ayant un proche avec le diagnostic de schizophrénie. Ensuite, je me suis orientée vers des professionnels de la santé qui travaillent auprès d'une clientèle d'origine haïtienne. Pour les répondants, aux prises avec la schizophrénie, ainsi que les proches, les questions du schéma d'entrevue portaient essentiellement sur leur conception de la maladie mentale, de la schizophrénie, l'itinéraire thérapeutique emprunté, les choix qui s'offrent à eux en matière de soins de santé mentale et leur expérience de la maladie. Quant aux entretiens avec les professionnels de la santé, ceux-ci se concentraient plutôt sur leur façon d'aborder le diagnostic auprès de leurs patients d'origine étrangère, les difficultés rencontrées lors de la consultation clinique, les

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observations et les remarques qu'ils ont à formuler en lien avec la diversité culturelle qui compose, dans certains cas, une bonne partie de leur clientèle.

3.6 Stratégie de recherche

Dans un premier temps, rappelons-nous qu'il s'agit d'une recherche de type qualitative usant d'une approche interprétative ce qui implique nécessairement le postulat selon lequel il n'y a pas qu'une seule réalité, une seule façon de voir le monde selon les acteurs. En effet, il existe différentes constructions et interprétations de la réalité. Tenter de comprendre comment un individu interagit avec le monde social qui l'entoure et le sens qu'il attribue à tout cela, est ce qui constitue l'apport interprétatif au sein de la recherche qualitative (Merriam, 1998 : 3-4). En conséquence, en favorisant ce type d'approche, je ne désire pas apporter une réponse qui confirmerait ou infirmerait une hypothèse initiale, mais plutôt souligner différentes avenues possibles en portant une attention particulière aux récits et à l'expérience des acteurs interrogés. Dans les faits, ma démarche de recherche est empirico-inductive puisque les catégories d'analyses soulevées émergent des participants et non pas du chercheur (Creswell, 1994 : 7). La collecte de données ayant eu lieu lors d'une enquête de terrain, qui s'est déroulée entre les mois de février et mai 2011, a permis de répondre aux différents objectifs de la recherche. Les techniques de collectes de données retenues ont été les entrevues semi-dirigées ainsi que l'analyse documentaire.

3.6.1 Les entrevues semi-dirigées

Le recours aux entrevues semi-dirigées s'avère un choix par excellence dans l'optique de recueillir des témoignages faisant mention de l'expérience vécue de la maladie. Ce type d'entrevue est d'une richesse infinie pour le terrain anthropologique. L'entrevue semi-dirigée est une méthode qui permet justement de saisir le vécu des répondants puisqu'elle donne la possibilité d'aller plus en profondeur, d'aller chercher l'intimité des personnes ciblées. De plus, par sa flexibilité, elle donne l'opportunité aux participants de laisser libre court aux thèmes qu'ils désirent aborder durant l'entretien, selon le contexte. Se servir de

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l'entrevue semi-dirigée aide le chercheur à saisir la complexité des pensées qui traversent l'esprit de chaque individu en ayant le privilège d'accéder à l'expérience des acteurs (Poupart, 1997: 174).

Pour les fins de cette recherche, je me suis dirigée vers la réalisation d'entrevues semi-dirigées, à l'aide d'un schéma d'entrevue (voir annexe 1). Il s'agit donc de mon principal outil de collectes de données. Les questions qui s'y retrouvent sont uniquement des questions ouvertes, ce qui convenait le mieux pour le type de recherche entrepris. Le choix du lieu ainsi que du moment des entrevues revenaient aux participants. La durée des entretiens varie entre 30 minutes et une heure trente. Cette variabilité s'explique par le fait que quelques participants, principalement des professionnels de la santé, avaient un emploi du temps très chargé. J'ai donc essayé de tirer profit le plus possible de ces rencontres, aussi brèves furent-elles pour certaines. Cela dit, tous et chacun ont tenté de répondre à la totalité de mes questions dans la mesure du possible. Les récits obtenus, suite aux rencontres avec des proches d'une personne atteinte de schizophrénie, m'ont permis de mieux comprendre comment le système de santé biomédical répond ou non à leurs besoins et surtout, le sens qu'ils accordent à la maladie et"les événements qui l'entourent. En acceptant de me rencontrer, ces personnes ont également consenti à me partager une parcelle de leur vie (et celle de leur proche par le fait même) exposant un épisode de celle-ci dont certains préféreraient n'avoir jamais vécu. Pour leur part, les données obtenues auprès des intervenants communautaires et des professionnels de la santé, ont révélé des informations complètement différentes dans certains cas. En procédant à des entretiens avec trois séries d'acteur différents, j'ai pu saisir des points de vue complémentaires me permettant d'obtenir une vue d'ensemble de la problématique étudiée.

3.6.2 Le recrutement des participants

Les participants qui ont pris part aux entrevues semi-dirigées, ont été sélectionnés suite à l'intérêt manifesté à l'égard du projet de recherche ainsi qu'à leur volonté de partager leur expérience personnelle. Cependant, le recrutement ne s'est pas fait sur une base aléatoire.

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Ceux qui ont été choisis, possédaient les caractéristiques recherchées. Il devait s'agir soit; d'un professionnel de la santé ou d'un intervenant communautaire travaillant auprès d'une clientèle haïtienne; d'un individu ayant un proche diagnostiqué schizophrène et étant d'origine haïtienne. Au total, six professionnels de la santé ont pu être rencontrés, six personnes ayant un proche atteint de schizophrénie, et en prime, se sont ajoutés trois individus étant eux-mêmes psychotiques. Chacun d'entre eux correspondait au profil décrit précédemment.

Tableau 1 : Profil des répondants

Catégorie Pseudonyme Age Sexe

Psychotique SI 26 ans H Psychotique S2 38 ans F Psychotique S3 32 ans H Proche F4 45 ans F Proche F5 52 ans F Proche F6 23 ans F Proche F7 43 ans F Proche F8 48 ans F Proche F9 56 ans H Professionnel P10 51 ans F

Professionnel Pli 46 ans F

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Professionnel P13 49 ans F

Professionnel P14 65 ans H

Professionnel P15 35 ans H

La majorité des répondants a été recrutée avec l'aide de contacts personnels. Le bouche-à-oreille s'est avéré la technique de recrutement la plus profitable considérant la faible collaboration de la part des organismes communautaires visés au départ. Certains participants ont toutefois été sélectionnés avec l'aide de professionnels de la santé intéressés par mon projet de recherche. D'autres, ont été préalablement contactées par ceux qui me les référaient, afin de vérifier leur intérêt face à une éventuelle participation à l'étude. Par la suite, leurs numéros de téléphone m'ont été transmis afin que je prenne contact avec eux. Ainsi, je m'assurais de leur réelle volonté de participation, et du même coup, j'en profitais pour leur préciser les détails de la recherche. De plus, je les informais des droits relatifs à leur implication. Suite à cela, nous avons convenu d'un moment et d'un endroit pour se rencontrer. Toutefois, dans certains cas, les participants ont préféré un entretien téléphonique par défaut de se déplacer. Toutes les entrevues, à l'exception de deux, ont été enregistrées. Bien que les entretiens individuels soient enregistrés, je prenais tout de même certaines notes durant la rencontre. Préférant maintenir un contact visuel avec le répondant, je m'arrangeais pour poursuivre la prise de notes une fois l'entrevue terminée. Cela me permettait de favoriser une relation de confiance et de respect envers le répondant. Le fait d'être référée par des professionnels de la santé ou d'autres chercheurs, a facilité la prise de contact avec certains participants.

3.7 L'analyse des données

Le recours à l'analyse de contenu, dans le cadre de la présente étude, a pour but d'aller au-delà du sens premier de ce qui est dit, en traitant l'information dans les messages. Elle implique donc une interprétation des données explicites, dans ce cas-ci, recueillies lors des entrevues individuelles avec les participants. Afin d'être soumises à l'analyse, les entrevues

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réalisées ont été transcrites sous formes de verbatim alors que les observations qui en découlent ont, quant à elles, été retranscrites. Une fois cette tâche de retranscription effectuée, j'ai entrepris la mise sur pied d'une arborescence regroupant ensemble les thèmes pertinents et révélateurs en lien avec la problématique soulevée. Pour se faire, j'ai eu recours au logiciel d'analyse de données qualitatives N'Vivo. Les observations qui dérivent des entrevues semi-dirigées viennent quant à elles enrichir l'analyse puisqu'elles apportent parfois des éléments qui ne ressortent pas nécessairement de façon explicite des verbatim. De façon plus générale, procéder à l'analyse qualitative permet de « découvrir les liens entre les faits accumulés » (Deslauriers, 1991 : 79 dans Comeau, 1994 : 6).

3.8 Considérations éthiques

Un formulaire de consentement a préalablement été élaboré pour ensuite être expliqué puis signé par les participants. En donnant leur accord, ces derniers avaient pris connaissance des modalités de la recherche, c'est-à-dire, des objectifs de celle-ci, de même que ce qu'impliquait leur contribution. Ils étaient également conscients qu'ils pouvaient décider à n'importe quel moment de mettre fin à-leur participation, et ce, sans avoir à fournir d'explications ni à subir de préjudices quelconques. Toutes les informations obtenues par les participants, dans le cadre de l'étude, demeurent confidentielles et anonymes. Lors de la transcription des entrevues, les noms des participants ont été remplacés par un code afin d'empêcher que leurs identités ne soient révélées. Seule la chercheure a accès à la liste de codes auxquels sont associés chacun des noms. Dans le cas où des analyses ultérieures seraient menées, seuls les codes apparaîtront sur les documents. Aussi, pour ceux qui le désiraient, je me suis engagée à leur faire parvenir un bilan des résultats de l'étude, une fois celle-ci terminée. Il est par ailleurs important de préciser que cette recherche a d'abord et avant tout fait l'objet d'une approbation de la part du Comité d'éthique de la recherche de l'Université Laval (CÉRUL) (numéro d'approbation : 2011-015).

Figure

Tableau 1 : Profil des répondants

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