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Agriculture durable et nouvelles technologies : la fin et
les moyens ?
D. Vermersch, . Association Belge d’Economie Rurale
To cite this version:
D. Vermersch, . Association Belge d’Economie Rurale. Agriculture durable et nouvelles technologies : la fin et les moyens ?. 1. Symposium de l’ABER, Oct 2001, Bruxelles, Belgique. 15 p. �hal-02282273�
cs
6110335011 RENNES CUDEX Té1. os.Ês.48.54.08
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ABEROI l0.doc
Agriculture
durable
et nouvelles technologies :
la
fin
et
les
moyens
?1
1,"'Symposium de loAssociation Belge d'Economie
Rurale, Bruxelles,24
octobre 2001Dominique
Vermersch21.
IlrrnonucrroN
La littérature
économique témoigne d'une attention marquéeà
l'égarddu
progrèstechnique,
plus
particulièrement dansle
domaine agricole. Référence incontournable, les travaux de Hayamiet
Ruttan (1985,Trad.
1998)qui
considèrent les pi"ogrès techniques etinstitutionnels
comme étant
:
i)
endogènesau
système économique;
ii)
en
mutuelleinteraction ;
iii)
dépendants des spécificités culturelles propres à chaque nation. La PolitiqueAgricole
Commune
(PAC)
constitueune illustration
emblématiquede cette théorie
de I'innovationinduite
(induced innovation) selon laquellele
progrès technique est largementinduit par
la
hiérarchie
des rapportsde
prix.
Les
progrès dansla
sélectionde
variétéscéréalières
ou de
raceslaitières
productivesont été
indirectement subventionnéspar
le soutien des prix administrés.Au-delà cependant des particularités économiques, institutionnelles ou culturelles qui
orientent I'innovation
technologiqus, c'estla
maîtrise
des risquesqui
apparaît, peut-êtreaujourd'hui
plus
que jamais, comme
un
dénominateur commun inducteur
de
cetteI
C"tt" communication leprend pour partie un article de lhuteur : L'agriculture entre artificialisation des milieux et altificialisation des échanges. OCL, vol. 7 n'6,480-484.2 Dir""t"ur de Recherche INRA, mis à disposition à I'ENSAR, DERG, CS 84215 65, rue de St Brieuc
F 35042 Rennes cedex. e-mail : dominique.vermersch@agrorennes.educagri.fr
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3
iÉ007595,t(
2
innovation.
Ainsi,
I'utilisation
du
génie chimique (engrais minéraux
et
pesticides),
ledéveloppement
du
machinisme agricole
ou
encore
le
progrès
des
biotechnologiescaractérisent
l'économie agricole
du
vingtième siècle
et
ont contribué
à
une
réductionsubstantielle
des risques climatiques,
sanitaireset
productifs.
Par
la
suite,
les
dérives budgétaires en matière agricole, l'acuité des préoccupations environnementales, les crises deconfiance en terme
de
sécurité
sanitairedes aliments ont
précipité
le
changement de paradigme de l'économie agricole, d'une phase d'industrialisation de I'agriculture ayant eu son apogée àla
fin
du
siècle passé, à une économie agricole post-industrielleprivilégiant
désormais
I'information
etla
qualité sur les process et les produits(Antle,
1999). Une telleévolution
nefait
que traduirele
souci d'une maîtrise encoreplus fine
des risques, de leurperception subjective
et
des
controverses socialesqu'ils
peuvent
engendrer;
d'où
lanécessaire
crédibilité
deI'information
attachée aux innovationset
aux produits (Mormont,l99s).
Cela
dit,
l'émergence et le partage des nouveaux risques renvoient à une autre réalité.Les
impératifs économiques
influant
sur
le
progrès des
connaissances scientifiquescontribuent
tout
autantà
l'extensiondu
savoir qu'à sa fragmentation.S'il
en
ressort unerelative fragilité voire
dangerosité dupouvoir
technique, les intersticesvoire
lesfailles
dusavoir humain constituent
le
terreau d'un questionnement éthique(c'est
à dire en premièreapproximation
un
questionnementqui
concernel'agir
humain),lui
aussi presséd'unifier
ànouveau savoir et agir humains. Economie, Ecologie, Ethique : telles sont en
définitive
lestrois
disciplines
qui
prétendent,non
sansconflit
aujourd'hui,
à la
configuration
d'un développement durable authentique.2.
Statusquestionis...
2.1. De
l'innovation
àl'artifice
Plus que toute autre activité humaine, l'agriculture a contribué tant à I'appropriation
qu'à
I'artificialisation
desmilieux
naturels. Les technologies agricoles ne cessent de déployer toute la gamme actuellement disponible des artefacts ; depuis les objets techniques fabriqués(tels les outils
agricoles)jusqu'aux
objets naturelsmodifiés
(tellesla
domesticationet
lasélection d'espèces animales et végétales). La Politique Agricole Commune (PAC)
initiée au
début
des
années soixante constituera
une
formidable
force
d'expression
et
dedéveloppement de ces innovations technologiques. Mais comme
le
noteD.
Bourg (1996, p.2l),
les
deux
catégories
précédentesd'objets
s'indifférencient progressivement
:
lasophistication des objets techniques tend à les confondre avec les objets naturels tandis que
la modification de
ces derniers les rend toujoursplus
proches de I'univers des machines.Ainsi,
le génie génétique ne s'emploie-t-il pas àimiter des
phénomènes proprement naturels?
Les
biotechnologiesne
peuvent-ellesêtre
assimiléesà
des unités
de fabrication
demolécules d'intérêt, à des transformateurs d'énergie ?
La
notion d'objet hybride assure alorsle
continuum entre les deux catégories alors que, dansle
même temps, s'estompe quelque peu la distinction entre nature et artifice.Il
convient de
noteren
outre l'échelleau
sein de laquelle s'opère I'artificialisation menéepar les
techniques agricoles, échellequi
s'étendjusqu'à I'entité
mômedu milieu
naturel. D'une certaine manière, c'est la nature elle-même qui est artificialisée, devenant alors selon les termes de Roqueplo (1997) une Technonature dont
il
nous faut assurer désormais la maintenance.Cette situation inédite s'illustre
de
manière emblématique dansla
sphère agricole parla biovigilance,
dispositif de surveillance biologique des cultures de végétaux issus d'Organismes GénétiquementModifiés (OGM) qui
seraientmis
surle
marché.La loi
d'orientation
agricole
française
du
9
juillet
1999
fixe
le
cadre réglementaire
de
labiovigilance
avecpour objectifs : la
traçabilité des semences de variétésOGM,
la
collected'informations
sur
le
comportement
de
ces
variétés
et
sur
d'éventuels
effets
nonintentionnels,
le suivi
des possibilités théoriques d'apparition d'événements défavorables surI'environnement
lors de I'utilisation
à
grande échelle des variétésOGM
(Chat-Locussol,t999).
2.2.
Milieux
naturels,milieux
disputés...Marqué
par
I'empreinte agricole, approprié, transformé, transmisde
génération engénération, le
milieu
naturel s'apparente désormais à un patrimoine naturel. Jusqu'aumilieu
du
vingtième siècle,l'économie
agricoleétait plutôt
honorée par cetteévolution
: loin de
s'enivrer
dansles bienfaits
mythiques d'une nature vierge,le
paysan au cours des sièclescontribua
par
son
labeur
à
façonner des
dynamiques écologiquesmoins hostiles
et bénéfiques au plus grand nombre. Celadit,
même si l'agriculture apparaît encore garante de4
la
préservationdu rnilieu
naturel3,elle fait plutôt
aujourd'huifigure
d'accusée,l'histoire
récente des faits agricoles se démarquant nettement d'une vision bucolique.
Il
n'est plus besoin de s'attarder sur les chefs d'accusation largement médiatisés. Lerecours
à
des intrants industriels
(engraisminéraux
de
synthèse,pesticides)
contribuefortement à
la
dégradation dela
qualité des eaux et des sols ; ces derniers sont doublementsollicités comme suppolt de
productionet d'assimilation de
résidus extra-agricoles non désirables tels que les boues d'épuration. Certains résidus (métaux lourds) transitant dans la chaîne alimentairene
sont pas
sanseffet sur
la
santé humaine.Les pratiques
agricolesintensives fragilisent
la
biodiversité animale
et
végétaleet
ont porté
atteinte,
via
lesimpératifs de la
mécanisation,à
I'esthétique paysagèrede
quelques-unesde nos
régions européennes.Alors
queleur
transcription imprudente dans les pays en développementfut
parfois à I'origine de la destruction irréversible de certains sols cultivés.Pollution,
érosionou
raréfaction des ressources naturelles, paysages entretenus oudégradés, atteintes
ou
contributions
à
la
biodiversité...
un point commun
essentiel lesrassemble : à savoir
qu'il
s'agit d'interactions entre producteurs etlou consommateursqui
sedéroulent,
du moins initialement,
à
I'extérieurdu
marché,hors
d'un
échange marchandexplicite.
Raison pour laquelle l'économiste rassemblera ces diverses réalités sousle
termed'externalités positives ou négatives selon les cas.
En effet,
qui dit
échange marchand,dit
au préalable appropriation de ces externalitésenvironnementales.
Or, cette
appropriation s'avèretrès difficile
voire impossible
:
à
qui appartientle
paysage ? Les nitrates et résidus d'atrazine dans I'eau du robinet ?La
plupartdes externalités sont en effet des biens publics, c'est à dire
qui
autorisent une consommationcollective,
ce
qui
rend
leur
"commercialisation" évidemment
délicate.
L'agricultureconsomme
et produit
des ressourceset
actifs naturels (eau,sol, air,
paysage...)qui
sont àpartager avec
d'autres
utilisateursen
dehors souventd'un
échange marchand,de
par
lanature même de ces biens. Si le
prix
du marché n'est pas systématiquement un justeprix,
il
aau
moins le mérite de visibiliser et d'expliciter
la
transaction,quitte
ensuiteà
I'encadrerjuridiquement. En I'absence de marché voire surtout
d'un
cadrejuridique
d'appropriation, la3 Lors d'un sondage IPSOS réalisé fin juin 2000 auprès d'un échantillon représentatif de la population métropolitaine, 63Vo des sondés considèrent que les agriculteurs remplissent "assez bien" voire "très bien" leur rôle quant à la préservation de I'environnement (BIMA n"1484,juillet-août 2000).
< justice > de l'échange
et du
partage est plusdifficile
àfaire
respecter et devient souventconflictuelle.
Il
n'est que devoir
la fastidieuse réorientation du soutienpublic
à I'agriculture en faveur de I'environnement. Pour dépasserle
dialogue de sourdsou la foire
d'empoigne actuelle,la
science économique est régulièrement sollicitéepour :
d'une part proposer unecompréhension "économique" d'une agriculture désormais largement
artificialisée
;
d'autre part, concevoir de nouvelles formes d'échange et de régulation... elles aussi artificialisées.3.
Del'artificialisation
desmilieux
àI'artificialisation
des échangesL'inscription des
préoccupations environnementales dansles politiques
agricolesconstituera
une évolution majeure
de
celles-ci
au
cours des
années80.
La
scienceéconomique appliquée
à
I'agriculture
y
trouvera une
mesurede
son
"utilité
sociale",renforçant
ainsi sa position
dansle
vastechamp des
sciences humaines dévouées, par moments, à ce secteur (Larrère et Vermersch, 2000). Vers lafin
des années soixante-dix eneffet,
la logique sociale et dirigiste de la PAC cède peu à peu le pas à une orientationqui
sevoulait plus
largement inspiréepar
les" lois du
marché",
eu égard notamment audéficit
budgétaire agricole européen et à la montée des tensions commerciales internationales.
3.I . Les conséquences de I'innovation
:
l'échelle au détriment de la gammeDans
une
lecture
proprement économique,
I'origine
des
nuisances
agri-environnementales sesitue
principalement dansI'intensification
des technologies,c'est-à-dire
cet accroissement du rapport entre d'une part, les facteurs d'origine industrielle utiliséspar I'agriculture et d'autre part, la surface agricole.
Il
s'agit en quelque sorte d'un mouvementd'affranchissement
de
la
technologieagricole
à
l'égard
de son support naturel,
la
terrenourricière{. La réciprocité qui
lesliait
a laissé place peu à peu à unedualité
entre cette même technologie et I'environnement des prix, avec un aléa économiquequi
s'est largement substitué à l'aléa climatique. Ce processus d'intensification s'avèrelié
àla
spécialisation deplus en plus poussée des systèmes de production, tant au niveau de
I'exploitation
qu'au seinde divers
bassins régionauxde production; ce qui aboutit aujourd'hui à une
géographie6
agricole française relativement simplifiée.
Présidant
à
I'artificialisation
des
milieux
naturels,
ce
double
mouvementd'intensification
et
de
spécialisationexprime
encoroI'exploitation
d'économies d'échelle propres à certaines monoproductions au détriment d'économies dites de "gamme", relativeselles à
I'association des productions.Celle-ci préexistait à la
généralisation des atteintes portées à I'environnement, telle I'association agriculture - élevage, archétype schématique de coordinationsqui,
d'une certaine manièr'e, transposent dansla
sphère techniquela
visionorganique propre au vivant. Les productions animales étaient "naturellement" liées au sol via
la disponibilité
de produits et sous-produits végétaux pour I'affourragement;
les déjections animales étaient utilisées comme fertilisants et pour maintenir les taux de matière organique.En outre, I'utilisation de
ces diverses synergies technologiques est fréquemment créatriced'externalités
positives
dont est bénéficiaire
la
collectivité en
général:
l'esthétique decertains bocages liée à des systèmes de production agricoles alliant l'élevage à une
utilisation
spécifiquede
I'espace;
notons également desfonctions
écologiqueset de maîtrise
desrisques naturels telles
la
biodiversité, les niches écologiques,la
protection des sols contre l'érosion, la régulation de la dynamique des eaux, lacapacité d'épuration...Le
progrès technique etla
hiérarchie desprix
agricoles administrés,qui ont
présidé aux premières décennies de la PAC, ont contribué à I'abandon des diverses complémentaritésde
production
évoquées précédemment.Ainsi,
le
soutien des
prix
céréaliers
favorisa I'adoption d'innovations technologiques intervenant comme substituts des complémentarités existantes: tel
estle
cas deI'utilisation
accrue des pesticides, assurant uneprotection
descultures plus
efficace
que les
simplesrotations
culturales.Dans
un
autre domaine,
la rentabilité économique du coûteux processus d'amélioration génétique nécessite une grandeprécision
dansI'alimentation
des différentes espèces animaleset
végétales,ce
qui
écafteparfois certains co-produits réintroduits jusqu'alors comme inputs
:
sous-produits végétaux, déjections animales utilisées comme fertilisants,... En outre,la
désutilité,voire la
pénibilitédu travail, associée fréquemment à I'utilisation des complémentarités de production n'ont
fait
qu'accélérer I'adoption de ces innovations.
La
spécialisation
productive s'explique
ainsi
partiellement
pff
une
érosion progressive des économies de gamme. Conséquence logique : la perte des aménités liées auxsynergies
de
production
précédentes,une perte
qui
s'interprète parfois comme
des externalités négatives, selonbien
sûr les divers modes d'attribution desdroits
de propriétémécanisation agricole, caractère indésirable de certains co-produits tels que le
lisier
de porc dû aux ruptures technologiques entre agriculture et élevage...Le
système desprix
garantiset la forte innovation
technologiqueont
soustrait àI'entreprise agricole une large part de I'emboîtement d'activités de production qu'elle assurait
traditionnellement. Cette
part
setrouve
désormais assuréepar le
marchéou par
d'autresfirmes
non-agricoles, au moyen notamment d'une industrialisation en amontet
en aval deI'agriculture
; la
contribution
dela
fermefamiliale
au process agricoleet
agro-alimentaires'est
trouvée alors fortement amoindrie. Ainsi
et
d'unemanière
quelquepeu
analogue,I'artificialisation
desmilieux
s'est doublée d'une autreartificialisation, celle
des échanges entre spéculations animales et spéculations végétales, entre producteurs et fournisseurs, entreproducteurs
et
consommateurs. Celadit,
l'économie commediscipline
n'est-elle pas autre chose que"l'art
de l'échange" ? IJn art qu'elle s'emploiera à déployer plus largement encore en vue de résoudre la problématique environnementale attachée à I'agriculture.3.2. L'internalis ation c onxnxe artificialis ation des é chang e s
Eu
égardà
cette problématique environnementale,I'artificialisation
des échangessuggérée
par
la
science économieprend
ici le
nom
d'internalisation, c'est
à
dire
despolitiques
publiquesvisant
à intégrer les
externalités précédemment évoquéesà une
ou plusieurs interactions marchandes.En reprenant une typologie proposée initialement par Coase (1960), nous distinguons
quatre modes différents d'internalisation (ou
d'artificialisation
des échanges économiques).En
bref5,la
première solution consiste en un réaménagement, parle
marché, des droits depropriété associés aux externalités : acheter ou vendre par exemple des droits à polluer. Ceci
suppose
une définition
et
une
attribution
précisesdes droits
et
responsabilitésqui
en découlent, par exemple undroit
à la santé du consommateur impliquant une eau potable nonpolluée : ce dernier serait alors prôt à marchandiser ses droits par le biais d'une baisse du
prix
du produit. Soit
encoreun droit du
producteur à produirelibrement
sonproduit, quitte
àmarchandiser
ce droit au
travers cettefois-ci
d'une haussede
prix
du produit. Dans
lapratique, la répartition initiale
desdroits a plutôt un
caractèreimplicite,
contestépar
les5 Pour. une description approfondie des différentes solutions coasiennes, le lecteur peut se reporter à
I
consommateursqui
en viennent aujourd'hui à boycotterleur
facture d'eau en Bretagne. Lemarchandage des droits peut s'avérer également
implicite
maiseffectif,
tel celuiinduit
par ladirective
"nitrates" qui impose un seuil maximal d'épandage de 170 kg d'azote par hectare etpar an : ce
"droit à polluer"
peut en effet se trouver rapidement valorisé et échangé lors destransactions foncières
(Rainelli et
Vermersch, 2000), d'une manière analogueaux droits
àproduire que constituent les quotas laitiers ou les aides directes céréalières.
La
deuxième solution
consisteen une coordination
intra
ou
inter
entreprises,contribuant à un meilleur bilan environnemental. Elle
fait
suite logiquement à l'évolution dessystèmes
de production
agricoles décrite précédemment. Peut-on concevoiren effet
unenouvelle modalité de coordination d'activités au sein des firmes agricoles atténuant les effets
externes
négatifs
et
incitant
de
nouveau
à
I'utilisation
de
synergies
technologiquespourvoyeuses d'aménités
positives
?
Comme
incitations, nous
pouvons
imaginer
unemodification
desprix relatifs
agricoles, associée à de nouvelles innovations technologiquesfavorisant
le
modèle canonique
de
I'association
agriculture-élevage,la
fertilisation organique... Sans chercher de prime abordàproduire
ou réduire certaines externalités, cette procédure était d'ores et déjà effective dans le cadre de la réforme demai
1992 : la baisse duprix
des céréales avait pourobjectif
de favoriser leur utilisation pour I'alimentation animale.Mais là
également,"l'artifice"
de
l'échange économiquea pris le
passur
des modes de coordination dictées originellement par des contraintes naturelles.Si
eneffet
de nouvellescoordinations
entre productions animales
et
végétales
se
sont opéré
à
une
échelleindustrielle,
d'autresniveaux
de
coordination seraientà promouvoir
(bassinrégional
de production, bassin versant, entité écologique pertinente), à même de favoriser à nouveau desaménités environnementales.
L'intensification
et la spécialisation agricoles étant peu réversibles à court terme, unetroisième solution consiste en I'intervention directe des pouvoirs publics
qui
imposent uneréglementation
des activités
polluantes
voire
un
système
de
redevances susceptibled'infléchir
les technologies de production mises en æuvre.L'artifice
consisteici
à considérerl'économie agricole nationale ou européenne comme une seule et même entreprise
et
àlui
imposer de
nouveaux termes des échanges:
autrementdit
desprix
des facteurset des
produits
taxésou
subventionnés selon les cas. On ne peut que constater I'extrêmetimidité
des pouvoirs
publics
dansla
mise en æuvre de cetype
d'incitationsqui
risquenten
effetd'affecter
la
compétitivité-coût des
entreprises agricoles, confrontéesaujourd'hui
à
unepressions diverses (organisations professionnelles, collectifs de consommateurs, associations
écologistes,...)
qui
chercherontà
influer sur I'attribution finale
des droits de
propriétéassociés aux externalités environnementales, quitte ensuite à les marchandiser comme nous l'avons remarqué Précédemment.
Il
estenfin
des situationsoù la
comparaison des coûts d'internalisation associés àl,une ou l'autre des
trois
solutions précédentes, avec le bénéfice qui en résulte,conduit
à nerien
faire
du
tout.
Plusieurs
argumentsexpliquent
ce
choix
:
difficultés
à
évaluerphysiquement les dommages présents et futurs, absence d'information sur
le
comportementdes
producteurs...ce
qui
rend I'estimation
des coûts
d'autant
plus
hasardeuse' Cette quatrièmesolution
s'apparente àun
"laissez faite" qui se justifie
d'autantmieux
dans uneoptique
coasiennequ'en
I'absencede toute
réglementation,tout se
passecomme
si
ladynamique
marchande
pfopose,
à
moyen terme,
une
internalisation
"natufelle"
del,externalité
mais faisant
fi
souvent d'une
règle
de
responsabilitélégitime.
Exemplecaricatural
:
un taux élevé de
nitrates dans I'eaupotable
aurapouf effet de diminuer
la consommation cle celle-ci à desfins
alimentaires (voire une baisse duprix
si nous étions ensituation
concurrentielle)et
à
accroîtrela
consommation d'eauxen bouteilles, d'où
une spécialisation régionale accrue: la
Bretagne en production porcine intensive etl'Auvergne
en eaux minérales! Au-delà
cependant dela
caricature,l'évolution
précédente est toujoursen cours
dansla
réalité,voire
encouragéepar
certainesoptions politiques
qui
visent
àencourager
innovations
technologiqueset
investissementsfavorables
au
maintien
desavantages comparatifs entre régions : d'un côté le traitement à grande échelle des déjections animales ; de l'autre, le soutien à une agriculture écologique. Encore
faut-il
s'entendre sur le caractère "naturel" de I'internalisation : de I'ordre de la nature et de ses lois biologiques' nousvoici
désormais face à la nature du marché et à ses lois économiques.Ainsi donc,
la
problématique environnementale apparaîtsollicitée voire
écarteléeentre deux ordres, l'écologie et l'économie, désormais
rivaux
à court terme' pourfaire
de lanature une demeure viable et vivable. Impératifs économiques et contraintes écologiques ne s'harmonisent pas à coups d'incantations.
Afin
d'éviter que la régulationpolitique
du secteuragricole ne soit réduite en
définitive
à subir une dynamique marchande laissée à son proprejeu,
il
convient d'approfondirla
signification proprement éthique des situationsqui
viennent10
4.
Economie, écologie,éthique
: référentielsdu
développementdurable
4.1. Détours étymologiques
Tout d'abord l'économie et l'écologie : les disciplines afférentes se préoccupent toutes
deux à faire de
la
natureune
demeureviable
et
vivable. L'étymologie
de leur
préfixe commun en témoigne '. ecoqui
vient du grec oikos, oikouménè (habitée)qui
recouvre deux éléments associés:
I)
un espace terrestre avec seslimites
;2)
une occupation par I'homme.Nous sommes donc bien dans une logique
territoriale
: la nature est eneffet
notre demeurequ'il
nousfaut
gérer au mieux, pour enfaire
une demeure à notre convenance.A
cettefin
cependant, les voies empruntées par chacune des disciplines diffèrent, pour tourner parfois à
I'affrontement.
D'un côté,
le
radical
gtec nomos(distribuer,
administrer) préciseque
lascience économique comme discipline s'affaire à
tirer
de I'observation des comportementshumains
et de leurs
interactions des"lois"
d'organisationde la vie sociale
;
celles-ci
neseraient que I'expression collective de rationalités humaines mises au service prioritairement
des intérôts
individuels. D'un
autre côté, nous avonsle
logosqui signifie
àla fois
parole et raison, pour faire bref.Mais
dans le cas de l'écologie, le logos en question n'est pas d'abordcelui de nos rationalités humaines mais un logos, une rationalité inscrite dans
la
natureelle-même, ouverte
à
notre propreintelligibilité
humaine, cette dernièretrouvant ainsi un
lieu pour s'y déployer.A
court terme cependant, larivalité
demeure prégnante, au grand dam dela nature et de ses habitants. Par analogie avec I'analyse de Gesché
(1994,p. 167),la
scienceéconomique a
plutôt
contribuéà
asservirle
cosmos(la
nature),lui
imposant souvent sonpropre
nonrosplus
qu'en délivrant
sonlogos
à
lui :
en
guised'illustration,
il
suffit de
reprendre les propos précédents sur les évolutions récentes de la PAC.
Cela
dit,
certains caractères de ce logos sont largement reconnus parla
communautéscientifique,
tels
I'expression d'une rationalité
mathématiqueinscrite dans
la
nature.Evoquer, dans
la
foulée,l'inscription
d'une rationalité éthique est taxé definalisme,
voired'une position
archaïque,irrationnelle
et
dangereuse. Peut-êtrefaudrait-il
démontrer aupréalable que science
et
éthique procèdenten réalité
d'une raison,d'un logos
commun ?Nous en venons
ainsi
au troisième terme, l'éthique, dont l'étymologie reste dansla filiation
des deux
précédents.Le mot
grecethos
a
comme
senspremier "séjour habituel",
paropposition au
repèrefurtif
et
pressé deI'animal, et de là
comme sens secondet dérivé
:"habitude", "coutume", "mæurs" : I'homme est un ôtre éthique parce
qu'il
est un être de foyeret de séjour (Gesché 1994,
p.
179). Nous retrouvons donc la nécessité d'unterritoire
qui nousDe
manière
générale,ce rappel
étymologique témoigneen quelque sorte
de
la vocation clusouci
éthiqueà concilier
l'économieet
l'écologie.En effet, ce
souci émerge souvent en contrepoids àun
économismefiévreux et
furtiff
et
s'exprimeinitialement,
dumoins au
sein des réalités agricoles,par
des nostalgies champêtres:
nostalgie des goûtsalimentaires d'antan,
du
marchédu village
et
des relations
économiquesde
proximité. Nostalgie plus générale encore du.iardin
d'Eden que chacun d'entre nous véhiculeplus
oumoins consciemment, non sans ambivalences, et
qui se
traduit par nos attentes modernes et pressantesà l'égard
deI'agriculture :
une sécurité sanitaire optimale,la
sauvegarde d'une<< agriculture paysagère
>
exempte de dumping écologique,la
préservationimpérative des
ressources vitales que sont l'eau et le sol. Nostalgie éthique en
définitive
: I'homme en effet continue à pressentir que la nature dans son intégritélui
est donnée comme instance morale,c'est à dire à même de pouvoir éclairer sans l'entraver son agir personnel et social ; alors que
dans
le
même temps, c'est
de
moins
en
moins
la
nature
qui
I'environne mais
une technonaturedont
nous avons délimité précédemment les contours. Cette technonature nereflète
alorsque le propre agir
de I'homme,voire
sa propre erranceculturelle. L'intuition
morale, si tant est que I'on s'y réfère, n'est plus que partiellement basée alors sur
un
rapportindirect avec les choses de la nature.
Gardons cependant
la
réalité du
jardin
qui
nécessitetoujours
une
maintenance généralementmoins
angoissante que nos diverses technonatures. Cette réahté évoque pour chacun d'entrenous
un
lieu, une
demeureoù
l'on
aime
séjourner.Nous retrouvons de
nouveau
I'origine étymologique
du mot
éthique
qui
renvoie
à
l'idée selon
laquelle "demeurer","habiter"
dansun agir
moraljuste
supposeune
"demeufe","un habitat",
une communauté de convictions partagées. Celle-ci s'incarne dans un ethos social, ensemble deshabitudes morales et des normes qui structurent nos sociétés. La nature, appréhendée comme
jardin, fournirait
en quelque sorteune "préfiguration"
de cet ethos, préfiguration àla
fois investie et transmise par I'activité agricole, préfigurationqui
comporterait en outre une part d'indéterminationet
de nécessaire maintenance, support endéfinitive
dela liberté et
de lacréativité humaines.
6 économisme : qui consiste à considérer le travail humain exclusivement sous le rapport de sa finalité
12
4.2. Une
nature
enusufruit
L'ethos agricole est aujourd'hui malmené par cette double artificialisation dont
il
a été question dans cet exposé : celle desmilieux
naturels comme celle, corollaire, des échanges économiques.La
synergie précédente entre "habitudos"et "habitat"
est miseà mal, voire
laminée par
un
relativisme éthique facilement véhiculé
par I'extension
marchande desrelations
sociales,contribuant
ainsi au
passagefustigé
vers une
sociétéde marché
et réduisantin.fine
au silencela
conscience collective. En corollaire,l'agir politique se
trouve marginalisé, de même quela
question deslimites
et des normes dela
manipulationde
lanature, problème pourtant central de notre responsabilité éthique.
Tout se passe
comme si la mise àmal
dela
nature révèle ou entraînela
mise àmal
dela cité politique
dans laquellenous
vivons et
que nous nous sommes construits par I'entremise d'un nomos délibérémentdétaché de tout logos qui serait inscrit dans la nature même des choses et des personnes.
Si
I'on
admet cependantcette vocation de I'agriculture à faire
mémoirede
cettepréfiguration morale de
la
nature,I'on
saisit mieux désormaispourquoi
cet ethos agricole, bien que malmené, se retrouve en première ligne des manifestations récentes de Seattle, de la contestationd'une
société marchandeuniformisée et
mondialisée. Parallèlement,à
uneagriculture largement
artificialisée
s'opposentet
se réaffermissent des pratiques agricolesplus
traditionnelles,
mais toujours
capablesd'innovations,
et
qui
ont
été
façonnées progressivement en découvrant, puis en tenant compte dela
nature de chaque être et de sesIiens mutuels. On pense bien sûr de nouveau aux synergies liées à I'association
agriculture-élevage
et
aux
aménitésjointes
(paysages,répartition spatiale
des
productions...),
àl'émergence
des
préoccupationsde bien-être animal, au
développementde l'agriculture
biologique.
Particulièrement révélatriceà cet
égard estla
définition
"en creux" de
cetteagriculture retenue
par le
législateur français '."agriculture n'utilisant pas
deproduits
de synthèse"(Rainelli
et Vermersch, 1999).Alors
que les anglo-saxonsutilisent le
terme plus adéquat d'organicfarming,
afin de signifier justement la prise en compte judicieuse des liens de dépendance réciproque entre les plantes, les animaux et leursmilieux. Tel
estle
sens deI'appropriation d'une
natureen usufruit,
c'està dire du
fait
d'en user en
respectant sesexigences propres.
Celles-ci sont dès lors appelées à s'exprimer dans de nouveaux modes d'appropriation de la nature et du vivant à même de
pouvoir
soutenir des échanges marchands contributeursde croissance économique
et
de développement.Loin
detout
panthéismeou
denew
agerendre compte de I'exigence suivant laquelle
"la
nature est à toutle
monde", qu'elle est une nature de don, appelée à se donner. Ceci implique un partage équitable des ressources et deleur utilisation.
Autrementdit,
une exigence morale portéepar la
nature elle-mêmequ'il
convient certes de discuter, de reconnaître, voire de mettre en ceuvre par diverses médiationséconomiques et politiques, tant locales que globales.
5.
PnnsppcuvEs
: LEvER L'AMBIcuÏTE DU PRocRES TECHNIQUENous avons évoqué précédernment les nostalgies et les attentes parfois ambiguës du consommateur et du citoyen à l'égard de
I'agriculture
et du monde rural. Celles-ci relèventpour une part de l'arnbiguiTé même du progrès technique
tel qu'il
se déploieaujourd'hui
autravers
de la relation
homme nature.En effet, I'innovation
agricoleet
agro-alimentaire alargement affranchi I'homme des contraintes naturelles
;
cequi
laisse apparaître au premierdegré une certaine
connivenceentre progrès
techniqueet
liberté humaine, chacun
sereconnaissant comme
le fruit
de I'autre. Néanmoins, cequi
est épargné en peinedu
travail par I'entremise de ce progrès semble se dissiper dans de nouvelles contraintes économiques et sociales.A
force d'être < épargné >I'emploi
se raréfie ; si autrefois, la propriété du capitalassurait
une stabilité,
certesrelative, de
la
puissance économique acquise,le
progrèstechnique
fait et
défait
tout
aussi rapidementles
leadershipset
les parts de
marché.L'innovation technologique accélérée est aujourd'hui un facteur déterminant de compétitivité
et de
confrontation commerciale,
anéantissant
parfois
des
économies
agricolestraditionnelles patiemment tissées. Ou encore,
la
modernisation agricole de nos campagnes conçue à I'origine comme vecteur de solidarité entre agriculteurs, maisqui a
catalysé parfois un individualisme destructeur de la personne et du tissu rural.L'innovation
technologique accroît donc
la
responsabilitéde
I'homme
pour
lemeilleur
commepour le pire.
"Responsable mais pas coupable" sera-t-il tenté de répondredans
la
mesureoù, malgré
sonbon vouloir,
il
expérimenteparfois
la
non-maîtrise d'unprogrès trahissant
jour
aprèsjour
cet optimisme mécanistenaif
issu dela
philosophie desLumières. Pour reprendre les termes de Dominique
Bourg,
<<l'ambitiondu
développementdurable
n'est rien
moins que
la
reconstructionde I'idée
de progrès >>.lJn
progrès quitémoignerait
d'une
triple
capacité humaine:
capacité de connaissancequi
apparaît dans lesavoir scientifique
;
capacité d'organisation solidaire;
capacité de saisiret
de satisfaire lest4
verra réhabilitée et sera dépositaire d'une nouvelle fécondité pour
le
devenir de l'économie toute entière.REFERENCBS
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