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Être patrimoine, la vie de quatre monuments historiques : quatre siedlungen berlinoises des années 1920, Britz, Onkel Toms hütte, Siemensstadt, Weibe Stadt

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Être patrimoine, la vie de quatre monuments

historiques : quatre siedlungen berlinoises des années

1920, Britz, Onkel Toms hütte, Siemensstadt, Weibe

Stadt

Anna-Sophie Pradel

To cite this version:

Anna-Sophie Pradel. Être patrimoine, la vie de quatre monuments historiques : quatre siedlungen berlinoises des années 1920, Britz, Onkel Toms hütte, Siemensstadt, Weibe Stadt. Architecture, aménagement de l’espace. 2011. �dumas-01808240�

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Quatre Siedlungen berlinoises des années 1920

Britz - Onkel Toms Hütte - Siemensstadt - Weiße Stadt

ÊTRE PATRIMOINE

La vie de quatre monuments historiques

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Quatre Siedlungen berlinoises des années 1920

Britz - Onkel Toms Hütte - Siemensstadt - Weiße Stadt

ÊTRE PATRIMOINE

La vie de quatre monuments historiques

Anna-Sophie Pradel 1900 1920

2011

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Au cours des études en architecture, nous sommes amenés, selon cette logique établie que notre passé nous renseigne sur notre présent et nous emporte vers un futur, à apprendre l’histoire de l’architecture. En quelques années, nous retraçons de la préhis-toire jusqu’au 21ième siècle, les théories et réalisations de nombreux hommes, architectes, artistes, urbanistes, artisans, etc. Lorsque l’on nous renseigne sur les agglomérations néolithiques, l’architecture classique ou que l’on nous parle de sublimes cathédrales gothiques – pour nommer quelques stéréotypes – nous visualisons non seulement une image claire de ce dont il s’agit – ou « de quel style d’architecture » il s’agit – mais le savoir que nous accumulons est précis, dépourvu de trop de complexité. De nombreuses personnes ont filtré ce savoir avant nous, ont analysé, ont rédigé des éloges, ont critiqué ces constructions. Ces images certaines, ces valeurs sures de l’architecture, sont établies et facilement comprises par celui qui les ignore et par tout initié. Lorsque que l’on se rapproche dans le passé bien moins lointain, progressivement, ce fil conducteur qu’est l’Histoire se densifie, s’emmêle et se tisse en une matière complexe : une image bien plus difficile à discerner. Il est peut-être osé de l’écrire, peut-être s’agit-il plutôt d’un sentiment personnel ; quoiqu’il en soit, l’architecture moderne représente ce genre d’image floue où d’innombrables choses se resserrent en un même cadre, et ceci malgré les précieux apports de grands historiens comme William J. Curtis. Afin de démêler ce qui s’est as-semblé dans le terme « architecture moderne » et de partir à la compréhension de cette quasi-doxa, nous faisons un premier pas, dont le fruit sera ce travail.

Ce n’est pas un hasard que nous parlons ici d’architecture moderne. Face au monde de l’architecture actuelle, qui respire l’hétérogénéité et la diversité, il est difficile de suivre toutes les tendances, toutes les démarches architecturales des architectes contem-porains qui aspirent tous à un « style », une théorie, un ailleurs différent. Comment se placer et où se placer dans ce monde ? Si cette question se perpétue sans cesse au cours de l’Histoire, nous prenons ici comme base de travail un moment fort, où elle engendra de nouvelles ambitions de la part des architectes. Il y a un siècle qui nous sépare de Taut, Gropius, Häring ou Mendelsohn et pourtant, la polarité de l’architecture à laquelle ils se sont confrontés, n’a théoriquement guère changée. Häring exprime le plus clairement la dualité architecturale invariable dont il est question, en opposant le « Organwerk » au « Gestaltswerk ». Le premier est l’œuvre organique qui se compose, tel l’indique son appellation, de l’intérieur. Le second est l’œuvre formelle qui se génère de l’extérieur. L’édifice se combine-t-il alors strictement de l’intérieur, de l’extérieur, ou, comme il est ad-mis aujourd’hui, de l’interaction des deux ? Autrement dit, est-ce la fonction qui domine la forme, comme l’exprime la Neue Sachlichkeit, ou bien la forme vient-elle avant la fonction ? Le compromis fut également la réponse de Mendelsohn, en particulier après son voyage en Hollande et la visite des Siedlungen Eigen Haard ( Michel de Klerk), De Dageraad ( Piet Kramer ) à Amsterdam ou des édifices de Oud à Rotterdam. Il écrivit alors que « (les analystes – Rotterdam – rejettent la vision. L’Amsterdamais visionnaire ne comprend pas la froide Sachlichkeit. Certes, l’élément primaire est la fonction, mais la fonction sans sensible reste construction. Plus que jamais, je soutiens le compromis... sinon Rotterdam se construit envers sa froide mort et Amsterdam se dynamise en un feu artistique... le pos-tulat est : le dynamisme fonctionnel.) » Ce dynamisme fonctionnel prôné par Mendelsohn le siècle dernier, est ce qui résume théoriquement une grande partie des constructions d’aujourd’hui. L’architecture contemporaine est un renouvellement, une réinterprétation constante de ce que l’architecture moderne a édifié, et si aujourd’hui certains architectes

Avant - propos

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Avant - propos

pensent révolutionner le monde de l’architecture à travers quelques immeubles en verre,

la Gläsernestadt de Taut et l’Immeuble de verre à la Friedrichstraße imaginé par Mies van

der Rohe existaient déjà il y a 100 ans.

La conviction radicale sur laquelle se base ce travail, est de considérer l’archi-tecture moderne, et plus précisément la Neue Sachlichkeit, le rationalisme, comme impor-tante valeur de l’architecture. Autrement dit, nous admettons que l’architecture moderne est une source indéniable de laquelle on peut apprendre aujourd’hui des principes exis-tentiels qui sont, dans leur traduction architecturales, encore d’actualité, malgré le siècle qui nous sépare d’eux. Il ne s’agit pas de proclamer un intérêt particulier de l’architecture moderne par rapport à une autre époque ou d’appliquer ces théories aujourd’hui. Non, c’est simplement prendre comme point de départ das Neue Bauen, l’entre-deux guerres, le moment où les architectes ont pris leur distance vis-à-vis des styles atemporels et ont montré de nouvelles motivations.

Cet éloignement est caractérisé par l’adhésion à des formes d’architecture et de construction industrielles, et ceci jusqu’à adopter leur rationalité dans la fonctionnalité et dans l’esthétique. La maison rationnelle est un concept résultant de longues recherches dans les domaines du Existenzminimum, de parcours, de techniques constructives, de formes de relations sociales, d’espaces publics et paysagers. Ces notions ne sont pas dépassées, mais étaient bien avant et sont toujours les réflexions primordiales dans le travail de l’architecte. Seulement, à partir des années 1920, les réponses des architec-tes de la Moderne manifestaient la stricte réduction à la nature de ces notions, leur concrétude ou Sachlichkeit. Analyser donc les expériences de la Neue Sachlichkeit et des architectes de l’Avant-garde se veut être un geste précis dont le but est de voir une archi-tecture dénuée de superflu, ou du moins, qui tentait être rien d’autre que l’existentiel. Les édifices-manifeste de cette architecture moderne se concrétisaient naturellement dans le défi du logement social. Dans toute l’Europe ce thème dominait l’architecture au début du 20ième siècle, mais c’est en particulier en Allemagne que l’on donna les réponses les plus systématiques.

Le logement social est né en réaction aux difficultés sociales et économiques, et, surtout à l’évolution des mentalités et des sociétés au 20ième siècle. Si nous résumons l’histoire du logement social à ces quelques mots, c’est pour exprimer et souligner le lien direct qu’il y a entre une société, ou une époque, et cette architecture symptomatique qu’est le logement social. Il regroupe de la manière la plus emblématique, et ceci de-puis sa naissance, les intérêts et les problèmes d’une société à une époque donnée : il s’agit de l’habiter, l’économie, la politique, le social, en quelque sorte la société même. Oui, le logement social doit être considéré comme traduction architecturale d’une société, son reflet le plus authentique. Les raisons ici énoncées expliquent le choix thématique

des Siedlungen berlinoises des années 1920. Onkel Toms Hütte, Siemensstadt, Weiße

Stadt et Britz ont toutes survécus sans trop de dégâts la Seconde Guerre Mondiale, sont aujourd’hui encore admirables et attirent de nombreux intéressés. Il n’en est donc pas question d’en parler comme matière morte, car l’esprit moderne réside toujours en elle, malgré les transformations subies, et, malgré le temps écoulé, ces Siedlungen nous ap-prennent encore aujourd’hui des leçons d’architecture. C’est pourquoi ce travail ne les montrera pas comme une bribe d’histoire, mais tâchera à dévoiler leur raison d’être avant, leur raison d’être aujourd’hui et à raconter leurs métamorphoses matérielles et immatériel-les. Elles constituent un patrimoine décisif de l’architecture et, au sein de ce travail, nous les affirmons également patrimoine pédagogique.

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Contenu

Introduction

1. Naissance des Siedlungen

- Conditions de vie dans le „steinerne Berlin“ - Le logement comme priorité nationale - Le rationalisme

2. Architecture des Siedlungen

- La thématique des Siedlungen - La Hufeisensiedlung à Neukölln - Onkel Toms Hütte à Zehlendorf

- La Siemensstadt à Charlottenburg/Wilmersdorf - La Weißestadt à Reinickendorf

3. Vers le statut de „patrimoine“ - La guerre des toits

- Un patrimoine incommode

- La patrimonialisation des Siedlungen

4. Les logiques patrimoniales d’aujourd’hui - La théorie du Denkmalschutz

- Les supports juridiques - Les institutions du patrimoine - Le Denkmalpflegeplan - L’objectif de l’architecte

5. Les objectifs d’entretien des Siedlungen

- La conservation des Siedlungen - Subtilité d’architecture moderne - État actuel des Siedlungen - Substance originale, image originale 6. La praxis de la Denkmapflege

- Diversité architecturale et méthodologie - Urbanisme et entretien

- Couleur et entretien - Paysage et entretien

7. Les Siedlungen d’hier et la vie d’aujourd’hui - Situations géographiques et valeurs immobilières - Confort et modes de vie

- Adaptation technique et performances énergétiques - Temporalité et monument historique

Conclusion : être patrimoine Epilogue : Le Denkmalschutz conflituel Annexes

- Fiches techniques - Sources et Bibliographie - Notices biographiques

- Illustrations et crédits photographiques

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Introduction

Entre 1918, fin de la Première Guerre mondiale et janvier 1933, prise de pouvoir des national-socialistes, la ville de Berlin s’est développée comme métropole de l’art mo-derne. « Groß Berlin », le grand Berlin de 1920, avec une surface de 876 km², comptait mondialement comme une des plus grandes villes, et, avec une population de 3,86 mil-lions d’habitants, se situait au sein des villes les plus peuplées juste après New York et Londres. Berlin comme considérable ville industrielle, Berlin comme ville nodale au milieu de l’Europe, Berlin comme centre d’art et d’architecture, Berlin comme « Weltstadt ». La ville-mondiale de la République de Weimar, nommée ainsi par Martin Wagner, comptait comme centre culturel de l’Avant-garde Moderne et espace conflictuel entre traditiona-lisme et modernisme.

Au sein de cette richesse culturelle et du mouvement réformateur social, un rôle – ou un média – prépondérant était l’architecture : le Nouveau Berlin était un lieu de la culture constructive, la « Baukultur ». Les domaines de l’architecture et de l’urbanisme trouvaient à Berlin de nouvelles formes à travers les avant-gardistes et se développaient rapidement même à travers les années de guerre et donc de paralysie constructive : les visions utopiques sur papiers de l’Avant-garde Moderne, comme la célèbre Alpine

Architektur de Taut, les tentatives expressionnistes ou les projets non réalisés comme

l’immeuble en verre imaginé par Mies van der Rohe, illustraient une nouvelle pensée architecturale.

Ce qui renforce cependant l’image de Berlin comme ville culturelle des années 1920, sont les constructions réalisées qui ont non seulement concrétisé cette nouvelle pensée, mais qui ont enrichit la ville en tant que plateforme témoignant de l’architecture moderne. La AEG-Turbinenhalle ( 1909 ) de Peter Behrens peut être vue comme un des premiers pas envers cette architecture qui s’est développée tout au long de la première partie du 20ième siècle notamment grâce aux travaux des frères Taut, Mendelsohn, Gro-pius, May ou Häring, pour citer quelques uns des architectes. Il s’agit d’une architecture qui tourna le dos aux principes architecturaux du Reich en se confrontant, par le biais de leurs constructions, à leur époque.

La concrétisation architecturale et sociale du Mouvement Moderne s’exalte dans la construction de logements : la Siedlung est la manifestation matérielle du mouvement novateur socialiste de l’entre-deux guerres. Aucune autre matière constructive ne repré-sente plus nettement les intentions politiques, économiques et sociales de l’époque et des architectes de l’Avant-Garde moderne. Sous l’influence de Martin Wagner, chef urbaniste du Grand Berlin, le domaine de la construction de logements à bon marché se développa rapidement dès 1926 et ceci grâce à la mise en place de systèmes de financement pu-blics. L’État soutenait et força même la mise en œuvre de programmes de logement à bon marché : 9 000 logements avaient été réalisés de 1919 à 1923 ( période de crise d’après-guerre ) et environ 135 000, entre 1924 et 1930. Un réel exploit de la construction dont font parti Britz, Onkel Toms Hütte, Siemensstadt et Weiße Stadt, quatre Siedlungen

réparties et construites dans la périphérie berlinoise.

De ce point de vue, on peut considérer aujourd’hui que les Siedlungen connu-rent un impact considérable dans le monde de l’architecture et, par conséquent, un suc-cès important dès les années de leurs constructions. Rien qu’après la Seconde Guerre Mondiale, elles furent considérées comme éléments de l’inventaire d’après-guerre. En 1961, par exemple, Siemensstadt fut présentée comme monument historique du quartier

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Introduction

de Charlottenburg, puis en 1971 pour Spandau. A partir de 1975, année du European

Cultural Heritage Year, une partie des quatre Siedlungen fut inscrite dans la liste du

patri-moine protégé, comme par exemple l’ensemble des logements conçu par Hans Scharoun pour Siemensstadt ou le Hufeisen du Britz. Par la suite, l’extension des réglementations concernant la protection du patrimoine ( en 1975 pour la RDA et en 1977 pour la RFA ), définit la globalité des Siedlungen comme zones protégées. L’histoire des Siedlungen

comme monuments historiques s’est poursuivie peu à peu, jusqu’à leur reconnaissance internationale, finalisée en 2008 par l’inscription de Britz, Siemensstadt et Weiße Stadt dans la liste du patrimoine de l’UNESCO. Au même titre que le château de Sans Soucis,

les Mietskasernen du 19ième siècle ou les constructions industrielles du début du 20ième

siè-cle, Britz, Onkel Toms Hütte, Siemensstadt et Weiße Stadt figurent comme emblèmes de la ville de Berlin et détiennent le statut privilégié de monument historique, le « Denkmal ». Malgré leur succès apparent qui s’est, à première vue, progressivement constitué, les

Siedlungen n’ont guère connu une appréciation ni immédiate ni partagée – que ce soit du

grand public, des initiés ou des politiques : il serait faux de croire que tout le monde leur trouva aussitôt une valeur architecturale et esthétique quelconque. Au contraire, l’histoire du patrimoine révèle que l’entretien des biens culturels construits entre 1918 et 1933 ne résulte pas d’une évolution paisible et continuelle des points de vue patrimoniaux – ou de ce qui tombe sous la notion de patrimoine protégé. Il s’agit de l’histoire de conflits incessants entre courants traditionnels et modernes dans le domaine de l’architecture, et, courants progressistes et conservateurs dans la protection du patrimoine culturel, le « Denkmalschutz » en allemand. L’histoire des Siedlungen ne peut être racontée sans leur opposition à l’architecture traditionnelle, sans la menace de défiguration pendant l’époque nazie, sans l’incompréhension à laquelle elles faisaient face pendant les années 1980 encore, lors des critiques contre le fonctionnalisme, et surtout, sans l’histoire mou-vementée de leur patrimonialisation.

L’histoire d’un monument historique se raconte en plusieurs étapes rythmées par deux évènements forts : sa naissance, c’est-à-dire son édification, et sa renaissance, sa patrimonialisation. Entre ces deux péripéties primordiales qui ont ponctué leur vie en tant que patrimoine culturel protégé, les Siedlungen ont connu un nombre conséquent de métamorphoses, de plus ou moins importantes transformations de leur substances bâties. Afin de retrouver ou de conserver leur aspect authentique, les institutions de la pro-tection du patrimoine engagent depuis les années 1980, tous les moyens possibles pour préserver l’image originale de chacune. Une tâche difficile qui confronte le bâti d’avant à la vie d’aujourd’hui et donne lieu à un clivage. Être un patrimoine protégé engendre toute sorte de nouvelles problématiques et considérations qui insufflent aux Siedlungen une seconde vie. Les Siedlungen Britz, Onkel Toms Hütte, Siemensstadt et Weiße Stadt per-mettent ainsi de lire l’Histoire en deux thématiques indissociables en elles : l’architecture et le patrimoine. Elles racontent une bribe de l’histoire de l’architecture moderne, ainsi que l’histoire de la ville de Berlin, et, parallèlement, l’évolution d’un bien avec le statut de « patrimoine protégé ». En ce sens, nous racontons la vie des Siedlungen non seulement dans le passé, mais bel et bien les 80 ans de leur existence, à partir de leur construction jusqu’aujourd’hui.

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Naissance des

Siedlungen

Une source particulière permet de dresser un panorama des conditions d’habi-tation à Berlin au début du 20ième siècle. Entre 1901 et 1920 le travail documentaire de la « Berliner Ortskrankenkasse für den Gewerbebetrieb der Kaufleute, Handelsleute und Apotheker » 1 manifeste non seulement les misérables conditions de vie des classes ouvrières et des employés, mais dévoile le fonctionnement d’un marché du logement régi par le régime de la propriété foncière et quatre phénomènes inacceptables : le sur-peuplement, la pénurie, le prix élevé des loyers, la mauvaise qualité du bâti. Depuis la fin du 19ième siècle, se loger était synonyme de vivre coincé à plusieurs dans des espaces minimes. Vivre entassé signifiait vivre à 6 voire 10 personnes dans une pièce d’environ 20 m². Exprimé de manière statistique, il s’agissait de 20 000 appartements surpeuplés. Autrement dit, presque 150 000 habitants, soit 7 % de la population berlinoise, vivaient avec au moins 5 autres personnes dans une même pièce, sans compter le sous-locataire, le fameux Schlafbursche. Pour un de ces logements rudimentaires, l’habitant devait en 1904 débourser de 175 à 220 marks par an. Un employé de commerce ou un technicien, qui gagnait entre 1200 à 1500 marks par an, détenait les moyens de payer un tel loyer, mais pas celui d’un deux pièces-cuisine, à 420 marks par an. Pour un simple ouvrier, le marché locatif se limitait strictement à une chambre de 20 m², où il pouvait prétendre loger sa famille, alors que 70 700 autres étaient contraints de se réfugier dans des caves.

Après la guerre, cette situation s’empira. Ce fut le moment de subir la para-lysie constructive des années de guerre. La crise du logement s’avéra catastrophique, d’autant plus que le retour des soldats et les nombreux mariages soulignèrent le boom de la population. « Se marier est bien. Ne pas se marier est mieux. » 2 affirmait la revue

Wohnungswirtschaft de 1926 en racontant l’anecdote d’un employé fiancé, qui, en vue de

sa prochaine union, demanda un logement et reçut la réponse suivante de la part d’un bureau municipal du logement : « l’attribution d’un logement n’est guère envisageable avant un délai de huit à dix ans. (…) Nous vous aurons averti à temps des difficultés en matière de logement au-devant desquelles vous allez du fait de votre mariage. » Dans l’ensemble de l’Allemagne et de manière intense à Berlin, la population s’entassait dans les appartements des Mietskasernen, ces immeubles d’habitation – ou casernes d’habita-tion - à 4 ou 5 étages organisés autour d’une cour, où ni l’air, ni la lumière ne pénétraient. Dans le célèbre ouvrage de Werner Hegemann, Das steinerne Berlin ( 1930 ), est mis en exergue la vie dans la « größte Mietskasernenstadt der Welt ». La conception des

Miets-kasernen est connue à travers les lois de 1853 : Hinterhaus et Seitenhaus ( immeubles à

l’arrière de la cour ) pouvaient détenir la même hauteur ( de 22 mètres au maximum ) que

le Vorderhaus ( immeuble côté rue ) et se regroupaient autour d’une ou plusieurs cours

d’au minimum 5,30 x 5,30 m.

Cette crise du logement se laisse appréhender par la définition même d’un loge-ment surpeuplé du point de vue des autorités de l’époque : un logeloge-ment détenait « trop » d’habitants si dans un appartement d’une pièce ( avec cuisine ) plus de cinq personnes s’y abritaient, et, dans le cas d’un 2 pièces, s’il s’agissait de plus de 10 personnes. Les conséquences sociales et humaines de la crise du logement furent dramatiques : à Berlin, le taux de mortalité dans les appartements 1-pièce était de 164 0/00, dans les 2 pièces de 23 0/00 et dans ceux pourvus de multiples pièces de 5 0/00 ( Jenkins, 1973, p. 34). Cette importante mortalité est directement liée à la surpopulation des logements, mais aussi aux rudes conditions de vie, qui elles, découlaient des logements et de leurs équipements mêmes. Vers 1900, 710 000 personnes habitaient des logements dotés d’une seule pièce chauffée, et, de manière générale, les quartiers et leurs immeubles manquaient

Conditions de vie dans le « steinerne Berlin »

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Naissance des

Siedlungen

Hufeisensiedlung Britz

Ill.1 Photographie appartement Thaertstraße, enquête de la Berliner Ortskrankenkasse : difficiles conditions de vie et entassement Ill.2 Vue aérienne Mietskaserne Meyershof, Wedding, vers 1905 : succession d’immeubles avec étroites cours, forte densité

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Naissance des

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d’air et de lumière – la conséquence directe étant une menaçante humidité. Sur 519 000 logements enquêtés, 91,6 % ne détenaient de salle de bain, dans 48,2 % les toilettes ou quelconques équipements sanitaires se situaient dans la cour ou étaient intégrés dans les espaces de circulation, notamment les cages d’escaliers. Seulement 12,3 % disposaient d’une gazinière et 0,7% d’une installation électrique : la majorité s’éclairant toujours avec des lampes à gaz. Werner Sombart, un sociologue et économiste allemand, décrit en 1906 la vie dans les Mietskasernen :

« ...( ici prend fin le lieu et le sentiment du chez soi ; ici, où à travers les fenêtres ouvertes en quelques jours d’été – comme en ces lieux où l’on cuisine, lave et repasse, l’atmosphère n’est supportable les fenêtres fer-mées – pénètre tout le brouhaha des machines, des cris d’enfants, des grondements provenant de la cour, les vapeurs et les odeurs des 40 ou 50 cuisines rances respirant le suif. Ici, où aucune porte ne peut être ouverte sans qu’un regard curieux, jaloux ou apitoyé n’entre ; ici, où la maison semble être enfer, le bar et la maison close le ciel. Ici, où la prison et l’asile prennent peur. ) » 3

L’ultime exemple et manifestation bâtie de cette misère est le célèbre Meyershof à Wedding, quartier côté Nord du centre de Berlin. Sur cette même parcelle, un immeuble donnant sur la rue – Vorderhaus – fut suivi de cinq autres immeubles alignés et reliés par plusieurs longues et étroites cours. Comme dans la plupart des Mietskasernen, il y avait majoritairement des appartements d’une à deux pièces. Les 257 appartements s’organisaient de part et d’autre d’un long couloir commun : si l’on souhaitait aller dans la cuisine, il fallait emprunter ce couloir sans fenêtre. Les toilettes se situaient dans chaque deuxième cour, et, les autres cours étaient emplies de petits commerces alimentaires ( stands ) entre lesquels les enfants jouaient. Meyershof fut une image frappante de la mi-sère du prolétariat où, entassés, les 2000 habitants vivaient malades et désespérés dans d’abominables conditions de vie.

Les organisations professionnelles d’employés s’étaient dès la fin du 19ième siècle émues des conditions de logement réservées à leur corporation, comme nous avons pu le voir à travers l’enquête de la Berliner Ortskrankenkasse. A la différence de la situation française, où le logement populaire relève historiquement d’une initiative philanthropi-que ou patronale reprise par les pouvoirs publics, ce sont, en Allemagne, les syndicats d’employés qui font de l’élaboration de l’habitat de masse et du logement en général, une priorité nouvelle. Accompagné de l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale pendant le dernier tiers du 19ième siècle ( en liaison avec les transformations du commerce et de l’in-dustrie ), les Angestellte – les employés en français 4, l’habitation s’affirme comme signe distinctif du niveau de vie : le logement devient un moyen par lequel l’employé souhaite marquer son appartenance à la classe moyenne. Dès lors l’amélioration des conditions d’habitation devient une revendication importante.

En réalité, les premières tentatives lancées contre la crise du logement et les déplorables conditions de vie, furent menées relativement tôt – vers 1860, alors que l’épo-que wilhelminienne même ( jusqu’en 1918 ) est associée à une néfaste évolution urbaine de la ville de Berlin, que ce soit dans le sens architectural ou social. De la crise nait le concept des Genossenschaften, qui existent aujourd’hui encore. En français le terme de

Genossenschaft se traduit par « coopérative », alors que le terme « Genosse » même

s’apparente à la notion de « compagnon ». La terminologie révèle l’idée d’un ordre partici-patif. Ce dernier fonctionne par autogestion ainsi que par soutiens professionnel et

finan-Le logement comme priorité nationale

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Naissance des

Siedlungen

cier mutuels. Ces initiatives privées furent entièrement instaurées à partir de 1889, grâce à la loi Reichsgenossenschafts-Gesetz, qui incita un nombre conséquent d’investisseurs privés à la réalisation de logements à bon marché. Les réalisations de ces

Genossens-chaften parsèment jusqu’aujourd’hui Berlin et prennent diverses formes architecturales

: il s’agit de Wohnblöcke comme le Beamten-Wonungs-Verein conçu par Paul Mebes à Charlottenburg, ou de Gartenstädte comme la célèbre Gartenstadt Staaken par Paul Sch-mitthenner. Les Genossenschaften qui fonctionnaient sans aide ni soutien public, étaient parvenues à réaliser environ 125 000 logements dans l’ensemble du Reich. Un résultat considérable, mais face à l’envergure de la crise, un résultat insuffisant. Elles constituè-rent néanmoins le premier pas envers une nouvelle perception sociale de l’habitat.

A la différence de ce qui se passa sous l’Empire wilhelminien, les pouvoirs pu-blics se voient, au lendemain de la guerre, contraints d’intervenir pour enrayer le manque en logement et la pénurie de matériaux de construction. Les mesures déjà prises au début des années 1920 sont reconduites, telles que le blocages des loyers et la répartition des matériaux, mais se révèlent nettement insuffisantes face à la crise du logement. La répu-blique de Weimar adopte alors une solution radicale et décide de prélever un impôt sur les loyers perçus dans les logements construits avant guerre, afin de consacrer la moitié à l’édification de logements neufs. Au sein de cette grande politique du logement, les efforts sont particulièrement dirigés vers la Heimstätte5. Le terme venant directement de l’an-glais « homestead » ( ferme ou propriété ), il symbolise le foyer authentique de la famille allemande, et, plus précisément, une maison avec jardin dans la périphérie urbaine. Cet idéal de l’habitat est promulgué dans la Constitution de Weimar en 1919 qui manifeste l’effort de la nation à « donner à chaque citoyen allemand ainsi qu’à chaque famille alle-mande et en particulier à chaque famille nombreuse une demeure saine et confortable et un lieu de travail correspondant à ses besoins ». Les Siedlungen qui furent le fruit de ces efforts représentent pleinement cet idéal d’une maison familiale avec jardin.

Si le but poursuivi par les pouvoirs publics est l’intensification de la construc-tion de petits logements pour la populaconstruc-tion défavorisée et l’amélioraconstruc-tion des condiconstruc-tions d’habitation de la population berlinoise la plus modeste, l’État même ne s’engage direc-tement que par le moyen des Wohnungsführsorgegesellschaften ( WFG )6. Il s’agit de Sociétés d’encouragement à la construction de logements qui encadrent la distribution de l’aide provenant de l’impôt sur le loyer et qui garantissent la qualité des logements ainsi construits. Les standards élaborés par ces 13 WFG du Reich donnent les prescriptions réglementaires sur la qualité des logements, que ce soit pour les sociétés de construction d’utilité publique ou les maîtres d’ouvrage privés, tels que les Genossenschaften. Quant aux sociétés de construction d’utilité publique mêmes, elles sont créées par les confédé-rations syndicales d’employés qui ne limitèrent pas leur travail à l’élaboration d’enquêtes sur les conditions d’habitation. Sous la république de Weimar, les syndicats d’employés fondent trois sociétés de construction. La moins connue est la Heimat, générée par les ad-hérents du syndicat national-libéral. Quant à la Gagfah, créée en 1918, elle est soutenue par tous les courants syndicaux. Celle qui nous intéressera cependant particulièrement en ce travail est la Gehag, proche aux idéologies socialistes, qui réalisa les Siedlungen de l’avant-garde moderne.

La société de construction Gehag ( Gemeinnützige Heimstätten Spar- und Bau- Aktiengesellschaft ) appartient à une organisation centralisée, la Dewog, conçue par Martin Wagner 7 en 1926. La Dewog encadre une maîtrise d’ouvrage coopérative, c’est-à-dire différentes filiales locales, mais ne construit pas elle même. La construction reste le

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domaine des sociétés de construction telles que la Gehag. Il est important de noter ceci puisque cette économie communautaire inventée par Wagner constitue l’aspect premier du rationalisme de l’avant-garde que nous étudierons par la suite. La solution de la ques-tion du logement ne pouvait que se trouver dans la réducques-tion des prix de la construcques-tion du logement. Wagner nota dès 1918 que cette réduction du prix ne devait être une réduction de la qualité du logement, mais être synonyme d’une nouvelle répartition des fonds. Il n’y avait pour lui qu’un seul moyen envers ceci : la rationalisation du domaine de la construc-tion. Autrement dit, une organisation centralisée qui puisse garantir des commandes ré-gulières afin de rationaliser les chantiers et d’investir dans des engins mécaniques. A une autre échelle, cela signifie une production moderne et rationnelle, avec des résultats quantitatifs et un abaissement des coûts.

Le système économique pensé par Wagner s’inspirait entièrement des accom-plissements américains, en particulier ceux de Charles Taylor et de Henry Ford 8. Ce que Ford était parvenu à faire dans la production d’automobiles, devait être transféré à la production de logements : réduction des dépenses par une efficacité fonctionnelle dans la conception du logement jusque dans sa construction. Cette rationalisation ne devait pas être dissimulée telle une face cachée de l’architecture, mais s’exhiber pleinement jusque dans son esthétique et son expression architecturale, dont l’ultime forme fut la Siedlung.

Pour Martin Wagner, la solution à la crise du logement était de construire à gran-de échelle et en réduisant les coûts. Pour ceci, il était nécessaire gran-de repenser l’ensemble du fonctionnement du logement en se détachant entièrement des acceptations et normes données. Il fallait repenser l’organisation institutionnelle et économique, la conception du logement, la conception des rues, la configuration des bâtis, les méthodes constructives, la mécanisation, le travail sur le chantier... il était indispensable de restructurer l’espace de vie dans l’ensemble de ses facettes. Le premier pas envers l’idéal du nouvel habitat, loin de la métropole et de ses immeubles de rapport, soucieux de salubrité et d’hygiène, proche de l’idéal cité-jardin, fut institutionnel. Nous avons vu que Wagner était parvenu à constituer la Dewog et la Gehag, afin de centraliser le domaine de la construction et de rendre ce dernier plus effectif. A la tête de ces sociétés, s’était également créée une assemblée d’architectes qui exerçait des recherches théoriques en matière de conception de logement. Ersnt May, Walter Gropius et Martin Wagner s’étaient unis en cette

Kopfge-meinschaft 9, un laboratoire de l’habitat. En comparant ses résultats avec les autres,

cha-que architecte avait pour mission de concevoir des logements selon des règles précises et une idée très concrète. Wagner exprime cette dernière dans sa Arbeitsprogrammskizze

en 1925, en préconisant la conception de maisons qui répondent non seulement à des at-tentes artistiques, techniques et économiques face à la crise du logement, mais qui trouve également une réponse culturelle. De ces recherches s’est développée l’idée de plans types et de standards. La typisation du logement permettait de réduire considérablement les coûts des opérations et constituait ainsi l’activité centrale des architectes. La maison rationnelle s’établissait notamment à travers les principes suivants :

- Les maisons se basent sur les moyens financiers d’un ouvrier ou d’un employé. Le loge-ment ne doit consister que 20% de leurs revenus, c’est-à-dire environ 300 marks - Le logement doit détenir une surface habitable d’au moins 60 m².

- Le rapport entre espaces servants et espaces servis ne doit pas dépasser le rapport 1:2. Le rationalisme : standards, typisation et esthétisme

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- Chaque logement doit être conçu de manière à être mis en forme comme Reihenhaus, maison mitoyenne en bande.

- A chaque logement doit être attribué un jardin d’environ 200 m². - La possibilité d’agrandir le logement doit être donnée.

- Les circulations et le mobilier doivent être conçus de manière à limiter les déplace-ments.

- Les éléments constitutifs de la maison doivent permettre une production en série. - Le temps de construction d’une maison ne doit dépasser 14 jours.

- Utiliser des matériaux économiques et disponibles sur place.

Les travaux de la Kopfgemeinschaft ne résultèrent pas à des produits directs, puisque ces travaux théoriques ne furent guère immédiatement appliqués sur un chantier. Au contraire, le Versuchshausprojekt, le projet de maisons expérimentales, cessa en 1925 pour cause du manque de moyens financiers. Cependant, comme l’écrit Wagner à son collègue Gropius en mai 1925 9, cette initiative collective se poursuivra dans le travail de chacun de ces architectes. Ernst May réalisa par la suite les Siedlungen du « Neue Fran-kfurt », Wagner et Gropius – nous le verrons par la suite – compteront parmi les auteurs de celles de Berlin. Sur papier, le résultat de ces stratégies conceptuelles se laisse no-tamment retracer dans une publication de 1931, où la Gehag annonce qu’elle a pour but l’édification rationnelle de types de logements standards, les Standardwohnungstypen10. On assiste à la mise au point d’une distribution nouvelle du logement, distincte de celles des logements des couches aisées de la société, distincte des habitats traditionnels des ouvriers, distincte des réalisation patronales du début du siècle.

Parallèlement à l’élaboration d’un nombre limité de plans types, la Gehag et ses architectes intensifient les efforts dans l’établissement de normes pour certains éléments de construction. Les fenêtres, les portes et les escaliers sont normés et produits en série puisque les logements mêmes sont soit identiques, soit conçus de manière à accueillir ces éléments types. Cette production en série ne se limite pas à une seule opération, mais les éléments typisés sont utilisés par différents architectes sur différents logements. Les standards sont ainsi perpétués et optimisent l’économie de l’ensemble des projets. Afin d’augmenter la productivité, un autre moyen d’économiser en temps cherchait à se mettre en place : l’économie en coût de main d’œuvre. Wagner tente de rationaliser l’organisation d’un chantier confié à plusieurs entreprises en créant un nouvel organisme, la Deutsche Bauhütte. Cette dernière supervisait le chantier et s’occupait de l’acquisition de machines modernes : une excavatrice à roue-pelle pour déblayer et aplanir le terrain, des transpor-teurs à courroie pour acheminer la terre, une grue pour transporter les briques et la chaux, etc. La construction du logement se tourne alors vers la mécanisation des chantiers, vers la rationalisation de leur organisation.

Les plans types, l’homogénéité des matériaux, la typisation d’éléments construc-tifs, la mécanisation des chantiers et l’organisation du domaine de la construction rendent possible la construction à grande échelle recherchée par Wagner. A l’image des cités-jardin, il s’agit de construire sur un même terrain un nombre conséquent de maisons indi-viduelles et de logements collectifs, tout en consacrant un effort particulier à l’urbanisme de l’ensemble. Le logement rationnel se métamorphose ainsi en un ensemble rationnel, un idéal social et communautaire : la Siedlung. Pour les architectes de l’avant-garde, le modèle de la Siedlung doit permettre de résoudre le manque en logement et en moyens dus à la crise11. Autrement dit, la rationalisation de l’espace de vie permet de construire ce dernier en masse et, par conséquent, de loger en masse.

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Les concepts de standardisation et typisation du logement en masse sont les deux premiers reflets de l’architecture dite rationaliste. Le troisième est de l’ordre es-thétique et donne à l’idéologie rationaliste sa valeur architecturale. Effectivement, si l’on admet que le rationalisme n’aboutit en architecture qu’à la stricte fonctionnalité et la sys-tématisation de la conception et de la construction, on lui retire son aspect inéluctable, puisque même les nazis savaient construire de manière très rationnelle. Les architectes de l’avant-garde soulignaient que seul ce qui a du sens doit avoir de la forme, c’est-à-dire qu’en premier lieu la fonction donne la forme et qu’en second lieu, l’apparence nait exclu-sivement de la fonction. Taut formula ceci en 1929 de la manière suivante :

« ( Maintenant, il n’y a pas d’autre préoccupation que la réduction des coûts, que ce soit la voirie, l’aménagement du site, qu’il s’agisse de la pénétration de la lumière et l’air dans les blocs bâtis, que l’on évite des vis-à-vis trop importants entre les fronts bâtis, que ce soit l’aménagement des escaliers, des espaces servants, (...) que l’on définisse les mesures des fenêtres, la forme de toiture la plus juste etc etc. Chaque élément, que ce soit la fenêtre, le balcon ou la porte, (…), tout ceci, l’élément comme le tout, obtient sa forme du sens qu’il détient. Insensé est tout ce qui n’est pas utilisable et tout ce dont l’effet est moins important que le coût. Cependant, si la chose est pourvue de sens, alors son sens est littéralement inscrit dans son appa-rence.) » 12

Les œuvres architecturales assimilées au courant rationaliste sont globalement des édifices dont l’allure est réduite à l’orthogonalité de la façade et le rythme des fenê-tres. Rien d’autre ne « perturbe » l’authenticité de l’extérieur. En réalité, l’esthétisme du rationalisme n’est pas une simple réduction ou un refus d’ornementation. Il s’agit plutôt d’une logique qui admet que ne doit exister que ce qui est inexorable. Ainsi, un usage ne se dissimule pas à l’arrière d’une façade, mais la façade et l’usage s’assument en niant ce qui est superflu. L’expression esthétique est par conséquent dirigée vers l’objectivité, vers la nature objectale des choses, la « Sachlichkeit ». C’est cette composante esthétique qui offre le caractère novateur aux édifices de l’avant-garde. La typisation et les autres moyens de standardisation s’étaient tout aussi développés chez les sociétés de construc-tion tradiconstruc-tionalistes, telles que la Gagfah, mais seuls la Gehag et les architectes de Onkel Toms Hütte, Britz, Siemensstadt et Weiße Stadt, affirmaient le rationalisme jusque dans la physionomie architecturale.

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1 La Caisse locale berlinoise d’assurance maladie pour les personnels du commerce et de la pharmacie,

fondée en 1884, devient en 1914 la Caisse d’assurance maladie locale générale ( Allgemeine Ortskrankenkasse, AOK ). Elle compte 100 000 assurés en 1906. Les enquêtes annuelles menées entre 1901 et 1920 manifestent le lien direct entre maladie et insalubrité du logement. Elles concernent le logement de l’ouvrier et de l’employé.

2 « Heiraten ist gut – nicht heiraten ist besser! », Wohnungswirtschaft, vol. 3, n°18/19, 1 octobre 1926, p. 159.

Le nom du fonctionnaire municipal qui a signé est Schade - « dommage » en allemand.

3 Das Proleteriat, Metropolis, Werner Sombart,1906, cité dans Einblicke in Berliner Wohnungselend

1901-1902, Gesine Asmus, Rowohlt Verlag, 1982, Hamburg, p. 264

4 L’émergence et la situation de la classe des employés est décrite dans l’ouvrage de Christine Mengin, Guerre

du toit et modernité architecturale : loger l’employé sous la république de Weimar, Publications de la Sorbonne, 2007, 504 p.

5 Une étude intéressante sur l’habitat d’après-guerre est celle de Koinzer, Wohnen nach dem Krieg :

Woh-nungsfrage, Wohnungspolitik und der erste Weltkrieg in Deutschland und Großbritannien ( 1914-1932), Berlin, 2002, p. 69-145.

6 La Wohnungsfürsorgegesellschaft de Berlin est conjointement fondée en 1924 par la Ville de Berlin et le Land

de Prusse. Les 13 WFG du Reich sont regroupées en Union nationale des société d’encouragement à la construction de logements ( Reichsverband der Wohnungsfürsorgegesellschaften ) qui est rebaptisée en 1931 Union nationale des foyers allemands ( Reichsverband deutscher Heimstätten ). D’où les WFG sont par la suite appelées Heimstätten.

7 La carrière de Martin Wagner s’observe en deux temps : jusqu’en 1926, fondateur et collaborateur de la

DEWOG, puis Stadtbaurat ( chef urbaniste ) de Berlin.

8 « Le bâtiment est avant tout une activité d’assemblage. Ce que Ford a réussi avec l’industrie américaine est

possible dans les mêmes proportions pour la construction de logements – en particulier de petits logements – si le travail est logique. En Amérique, on a d’ores et déjà abordé le problème des coûts de construction de façon radicalement différente. Là-bas, on a su reconnaître l’importance du montage dans la production artisanale du bâtiment. »

M.Wagner, Amerikanische Bauwirtschaft, Berlin, 1925, p.14-19, cité par Christine Mengin dans Guerre du Toit et modernité architecturale, voir note 1.

9 « Ich werde nun versuchen, aus eigener Kraft heraus mir die Mittel für die Förderung des Gedankens zu

erarbeiten, und zwar dadurch dass ich hier in Berlin im Begriff stehe, etwa 1000 Wohnungen zur Ausführung zu bringen und mir bei dieser Gelegenheit auch die Mittel für die Versuche beschaffen will. Ob mir das glücken will, steht noch dahin. » Correspondance entre Wagner et Gropius, Berlin, 2 mai 1925.

10 Standardwohnungstypen, « Die Gehag-Wohnungen », brochure publiée par l’Einfa et la Gehag à l’occasion

de l’exposition « Logements conformes aux nationales sur la construction de logements minimaux », Berlin, 1931.

11 Arbeitsprogrammskizze für einige Vesuchswohnhäuser, Martin Wagner, 1925, §1 Programmgrundlagen : «

Die Versuchswohnhäuser sollen im wahrsten Sinne des Wortes das Problem der Volkswohnung lösen helfen und hierbei nicht nur den künstlerischen, technischen und wirtschaftlichen, sondern auch die kulturellen Grundlagen einer Klärung näherführen »

12 « Es gibt jetzt, um mit der Gesamtdisposition der Straßen und Baublöcke im städtebaulichen Sinne zu

begin-nen, keine anderen Rücksichten als diejenigen auf die geringsten Kosten, soweit es sich um die Straßenführung und Anlage handelt, auf die Sonnenlage, die gute Duschlüftung der Blöcke, das möglichst geringe Vis-à-vis zwischen den Fronten, die entsprechende Anordnung der Treppen, der Wohn- und Nebenräume, die Ermittlung der hygienisch, wärmetechnisch und für die Benutzung, die Öffnung und Schließung besten Fenstermaße und -konstruktion, die einfachste und vernünftigste Dachform usw. Usw. Jedes der einzelne Elemente, ob es nun das einzelne Fenster, der einzelne Balkon oder die einzelne Tür ist, oder ob die in Reihe und Rhythmus auftretenden Einzelteile oder auch die großen Frontwände sind – alles dies, das einzelne wie das Ganze, erhält seine Form aus dem Sinn, den es hat. Sinnlos ist alles dies, wenn es nicht zu gebrauchen ist oder wenn seine Wirkung nicht im Verhältnis zu seinen Kosten steht. Ist es aber in dieser Weise sinnvoll, so steht ihm der Sinn sozusagen ins Gesicht geschrieben. » Die neue Baukunst in Europa und Amerika, Bruno Taut, Stuttgart, 1929, p.

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Le thème de la Siedlung

Les difficiles conditions de vie, la crise du logement, l’industrialisation et le ra-tionalisme comme nouveau concept architectural sont les facteurs à la création des cités à la fin du 19 et début du 20ième siècle en Europe et particulièrement en Allemagne, où l’expérience moderne pris une ampleur considérable en cette forme architecturale de la cité. Si dans la langue française le terme de « cité » a aujourd’hui obtenu une connota-tion péjorative due à la stigmatisaconnota-tion de certains quartiers, le mot « Siedlung » est resté vierge de tout sens négatif ( pour exprimer le terme « cité » en son sens de stigmatisation sociale, on parlera plutôt de « Block », voire de « Kiez » ). Tout comme le terme français, « Siedlung » désigne en premier lieu un lieu où les Hommes vivent ensemble, en une communauté. Il peut s’agir d’un village ou d’une ville, seul le critère de réunion humaine compte. En second lieu, il s’agit bel et bien d’une forme urbaine et architecturale d’un ensemble de logements, à l’extérieur ou intégrée dans un tissu urbain existant. Cette seconde définition détermine la Siedlung comme motif et thème architectural qui s’est développé depuis le 19ième siècle comme idéal d’habitation et ceci jusque dans la fin du 20ième siècle jusqu’à l’essoufflement du mouvement Moderne.

Depuis le 19ième siècle, la question du logement et la crise s’étaient développées en tant que problématique primordiale et épreuve sociale dans la plupart des pays euro-péens, particulièrement dans les grandes villes où la population s’accrut rapidement. En Angleterre, une initiative philanthropique s’était développée depuis 1800, où l’on constate en premier Robert Owen et la manufacture à New Lanark. Tout comme Saltaire à Yorkshire imaginé plus tard par Titus Salt, il s’agissait d’un principe communautaire où les ouvriers et leurs familles détenaient non seulement un logement propre et qualitatif, mais vivaient dans un cadre animé d’équipements publics, tels qu’un magasin, un théâtre ou une église. Pour les entrepreneurs comme Owen, il s’agissait de lutter contre la misère en offrant des conditions de vie correctes aux ouvriers. Ces prémices du logement social sont les

Siedlungen au seuil de leur naissance. Au thème de la Siedlung industrielle d’Owen, il

faut ajouter les contributions théoriques et pratiques d’Ebenezer Howard dans le domaine urbanistique afin de comprendre le modèle de la Siedlung. Dans son ouvrage Garden

Cities of Tomorrow, Howard exprime une nouvelle constellation urbaine de la ville, du

lo-gement : la cité-jardin, l’union de l’urbain et de l’espace vert. Cette idée de la Gartenstadt

se répandit avec succès aussi en Allemagne, notamment à Berlin, où en 1902 socialistes et humanistes s’empressèrent à la création de la Deutsche Gartenstadtgesellschaft. Ce-pendant, à l’encontre des théories de Howard, cette Gesellschaft comprenait la Gartens-tadt comme élément périphérique lié à la ville, ce qui l’éloigna de l’utopisme howardien. Plusieurs Siedlungen qui portèrent le nom de Gartenstadt furent construites en Allema-gne, notamment Hellerau à Dresden ou Margarthenhöhe à Essen, mais se rapprochèrent plutôt de l’idée de la Cité Industrielle de Tony Garnier de 1904. D’autres expressions du logement à bon marché se constituèrent, notamment après la Première Guerre Mondiale, dans différents pays européens. Vienne, Amsterdam et Rotterdam sont les exemples les plus signifiants dans la création de logements sociaux à travers de systèmes financiers et économiques publics. Les formes adoptées étaient cependant plus conservatives que les

Siedlungen berlinoises : à Vienne, le logement s’organisait en grand blocks bâtis, les Höfe

– forme monumentale - ; à Amsterdam, il s’agissait plutôt d’alignement de maisons en briques, et à Rotterdam, plus proches des Siedlungen berlinoises, les cités de l’architecte Oud se détachèrent des centres historiques. La forme architecturale la plus semblable

aux Siedlungen berlinoises se retrouve néanmoins en Allemagne même, à Francfort : le

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Nouveau Francfort de Ernst May, qui, tout comme Martin Wagner, comprenait la moderni-sation de la ville à travers du concept des Großsiedlungen.

En observant désormais l’histoire du logement social strictement en Allemagne, les ancêtres des Siedlungen de l’Avant-Garde se retrouvent au milieu du 19ième siècle, sous forme de Kleinhaussiedlungen. La question de l’habitation en masse n’était à cette époque guère un intérêt politique, mais, en réaction au paupérisme et aux déplorables conditions de vie, le résultat de quelques initiatives philanthropiques. Les

Kleinhaussie-dlungen se constituaient de maisons individuelles pour une ou deux familles ( un

loge-ment détenait environ 35 m² ) situées à proximité d’un espace vert (un jardin privé n’étant pas forcément attribué). Le concept se basait sur l’économie, que ce soit au niveau des matériaux utilisés, l’agencement des plans ou la taille des parcelles. Il en résulta, comme à Bremer Höhe ou à Oberhausen-Osterfeld, des Siedlungen entre 20 et 100 hectares do-tées de maisons R+2 mitoyennes deux à deux ou organisées selon la constellation du car-ré Mulhousien. La seconde manifestation du thème de la Siedlung prend forme en 1889 avec le Genossenschaftsgesetz ( GenG ), la « loi concernant l’économie et la création des entreprises privées ». Cette loi vint assurer la création de Baugenossenschaften, des en-treprises privées qui avaient comme objectif de construire des habitations pour la classe ouvrière et, cette fois-ci, ces initiatives étaient soutenues par l’État ( époque de Wilhelm II, 1890 – 1918 ). L’unique exemple conservé de Genossenschaftssiedlung à Berlin est le Adlershof à Treptow-Köpenick, conçu par l’architecte Gabriel Wohlgemuth. La création de ces Siedlungen se basait sur un système économique participatif : l’ouvrier qui désirait obtenir une maison, participait à cette Genossenschaft en payant 20 Marks d’inscription, puis continuellement une somme de 200 Marks, afin de devenir membre entier. Lorsqu’un logement fut réalisé, c’est avec un système de tirage au sort que le propriétaire fut déter-miné. Bien évidemment, si l’heureux gagnant ne voulait avoir le logement en question, fait qui n’arrivait que rarement en vue des conditions de vie dans les Mietskasernen, il arrivait que le propriétaire revendait l’habitation acquise et attendait à nouveau son tour. Les

Ge-nossenschaftssiedlungen se constituaient en général de maisons R+2 mitoyennes deux

à deux, chacune dotées d’un jardin privé. Dans le cas de la Adlershofsiedlung construite à partir de 1886, la typologie des maisons s’inspire d’architectures traditionnelles, telles que les « cottages » anglais ou les maisons de gare. Les Kleinhaussiedlungen et les

Ge-nossenschaftssiedlungen du 19ième siècle sont les premières manifestations du thème de

la Siedlung comme concept d’habitation social sous forme d’ensemble bâti. Trop petites

pour accueillir les nombreuses familles d’ouvriers en détresse et dépassées par l’évolu-tion des modes de vie au tournant du 20ième siècle, leur mérite n’est guère d’avoir résolu la crise du logement, mais d’avoir tracé le chemin envers un autre modèle de Siedlung, la

Großsiedlung.

La notion de Großsiedlung comme concept social, urbain, économique et ar-chitectural, qui s’est constituée à travers les différentes expérimentations européennes du 19ième et début du 20ième, trouve à Berlin sa forme ultime. Cette forme, ici illustrée par Siemensstadt, Britz, Weiße Stadt et Onkel Toms Hütte, n’est guère le résultat direct de théories rationalistes appliquées sur le chantier. En réalité, les chantiers gigantesques des

Siedlungen, furent des lieux d’expérimentations, puisque personne ne savait réellement

ce qu’elle signifiait, que ce soit en matière sociale, politique, ou en matière architecturale et urbanistique. Les architectes qui se mirent à cette complexe tâche, n’avaient pas d’ex-périences préalables : Scharoun n’avait jusque là que traité le logement sous forme de villa, Häring travaillait principalement sur la question de l’architecture organique, Henning

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était sculpteur, Ahrends et Büning n’avaient que réalisé des projets de logements indi-viduels. Pour Taut et Wagner, la Siedlung était un concept et une vision utopique d’une architecture sociale et rationnelle, et Gropius visait principalement les question de la ra-tionalisation des éléments architecturaux et de la production en série. Sous le concept général de la Siedlung, sont finalement nées différentes expériences d’un urbanisme et d’une architecture rationalisés, et ceci à travers les approches individuelles de différents architectes. Britz, Onkel Toms Hütte, Siemensstadt et Weiße Stadt illustrent les différentes formes que le thème de la Siedlung adopta selon les architectes et selon les sites. Ici sont présentées leurs caractéristiques architecturales principales.

Le « Hufeisen », centre urbain de la Großsiedlung Britz, est aujourd’hui un em-blème des Siedlungen berlinoises des années 1920. Britz, construit entre 1925 et 1930 par les architectes Bruno Taut et Martin Wagner, fut la première cité avec plus de 1 000 logements. Par sa forme et son expression architecturale, le fer à cheval, dont est née l’appellation « Hufeisen Siedlung », manifeste le rationalisme de l’architecture du « Neuen Bauen », mais surtout l’expression de la collectivité, la solidarité et la communauté. Il est devenu l’allégorie d’une architecture sociale inventée pour un logement sain et humain. Britz est la première Siedlung de la Gehag, bailleur social du réseau social initié par Martin Wagner. Elle représente donc tout aussi l’opposition au domaine de la construction priva-tisée et célèbre une politique sociale et communautaire.

Les logiques architecturales principales peuvent s’exprimer en la phrase sui-vante : il s’agit d’un jeu de décalage symétrique et asymétrique de composantes bâties colorées disposées autour d’un élément central fort, qu’est le Hufeisen.

Britz doit être perçu comme mélange des cités-jardin avec le concept de la Großsiedlung. Les espaces verts conçus par Leberecht Migge étaient, tout comme les éléments bâtis de Taut, pensés selon rationalisme et production en série : les jardins privés furent classifiés en type, conçus en types, construits avec des éléments-types. De plus, on peut noter que si le Hufeisen est le symbole de la Siedlung, la place contiguë à l’Ouest, appelée la « Hüsung » (en bas allemand « Hus » signifie « maison »), constitue, avec ses maisons répétitives à toitures double pente, l’image de la maison cité-jardin. La conception type Gartenstadt, qui se ressent par la voirie et la typologie des logements, c’est-à-dire les maisons mitoyennes, se métamorphose ici en une idée plus complexe :

la Gartenstadt, en opposition à l’habitat en ville, recherche une idylle et harmonie du bien

être offert par le paysage rural. Taut se distancie de l’effet pittoresque des jardins, mais se concentre plutôt sur l’agencement des bâtis. Cela ne signifie cependant pas que les espaces entre les bâtis ne sont pas traités, mais ils soulignent plutôt la conception fonc-tionnelle de la Siedlung en servant au jeu de décalage des bâtis. Chaque maison et loge-ment au rez-de-chaussé détient un jardin privée. L’ensemble de ces jardins est connecté et agencé dans le plan masse par un système de venelles.

Les logements conçus en quelques plans types, assument intérieurement com-me extérieurecom-ment leur répétitivité jusqu’à ce que cette dernière devienne le thècom-me mêcom-me de l’organisation urbaine. Nous l’avons déjà dit, il s’agit d’un jeu : la répétition n’est ici synonyme de monotonie. Les décalages de la linéarité des logements varient dans

l’en-Hufeisensiedlung Britz

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Hufeisensiedlung Britz

Ill.3 Vue aérienne Britz : Hufeisen, Hüsung et jeu de décalage des rues Ill.4 Photographie espace central de la Hüsung : identité et unité marquées par l’homogénéité de la couleur

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semble de la Siedlung, afin de donner l’effet paradoxal d’une linéarité non-linéaire. Ce jeu de Taut souligne la limitation précise des espaces publics, des espaces semi-publics et des espaces privés. Cette nette séparation des espaces manifeste une nouvelle constel-lation de la ville, du bâti espacé où les notions de l’urbanité et du paysage s’unissent en une forme de logement qualitatif doté d’air et de lumière. La Siedlung en tant que telle ne pouvait qu’être possible dans ce genre de site, loin des Mietskasernen, au milieu d’un large paysage naturel.

La façade extérieure du Hufeisen est structurée par les cages d’escaliers et l’étage attique mis en retrait et couvert d’un enduit bleu, qui souligne la profondeur de ce plan par rapport au reste de la façade doté d’un enduit blanc et encadré par des briques rouges. Ce motif de façade n’est interrompu que trois fois par des passages qui mènent à l’intérieur du Hufeisen. Au niveau de ces passages sont verticalement superposés des loggias. La face intérieure du Hufeisen est lisse, blanche et est rythmée par les loggias encadrées de briques. Encore une fois, le bleu est utilisé pour marquer la profondeur des loggias. Ces dernières sont toujours regroupées en deux travées qui indiquent une unité bâtie. Chaque logement est verticalement séparé des logements mitoyens par l’EP.

A partir du Hufeisen se dégagent au Nord et au Sud des alignements de loge-ments mitoyens en R+1, dotés chacun d’un jardin privé. Le décalage de ces aligneloge-ments génère porosité et rythme qui offrent, malgré la stricte utilisation de deux plans types pour 472 logements, une individualité et une authenticité à chaque rue. Les rues se resserrent et s’élargissent selon l’emplacement du front bâti. Ces maisons mitoyennes organisées autour du Hufeisen détiennent des toitures à double-pente et des façades enduites lisses. Aux endroits où un décalage du front bâti a été opéré, les façades sont encadrées de briques. De plus, chaque entrée est mise en valeur par la même utilisation de la brique.

La composition architecturale de l’ensemble des édifices est soulignée par l’utili-sation de couleurs. Par exemple, le Hufeisen représentant un élément précis du tout, les façades s’unissent avec seulement deux couleurs ( bleu et blanc ). Quant aux logements individuels autour de cet élément central, leurs façades sont rythmées par des couleurs rouges, jaunes, blanches et bleues, dotant ainsi chaque groupement de maisons d’une seule tonalité, et, par conséquent, chaque rue d’une identité particulière.

Le terrain mis à disposition par la ville de Berlin en 1924 fut en réalité séparé entre la Gehag et la Dewego. La Fritz-Reuter-Allee, qui s’étend du Nord au Sud de la

Sie-dlung, fait littéralement la séparation entre la possession de la Gehag – donc les projets

de Taut et Wagner – et celle de la Degewo – conçue par Engelmann et Fangmeyer. Tout au long de cet axe, Taut plaça démonstrativement un front bâti plus haut que dans le reste de la Siedlung, qui fut également complété de tours d’escaliers jaillissant de la façade. Peints en rouge, cette « Rote Front » rappelle l’opposition entre les architectes de la Mo-derne et les traditionnels. Elle détient un caractère défensif de par les cages d’escaliers qui prédominent la façade et qui ne sont percées que de petites fenêtres rectangulaires. Entre ces tours d’escaliers, la façade lisse est divisée horizontalement en son milieu par l’EP. Les deux moitiés symétriques résultantes sont organisées par trois fenêtres à croi-sillons blanches (chambre), ainsi que six fenêtres (3 salle de bains et 3 grenier) identiques à celles des tours d’escaliers. La toiture déborde entre ces dernières, ce qui n’est pas le cas chez les tours d’escaliers même et les bâtiments d’angle, qui sont avancés vers la rue. Ainsi l’apparence du front rouge a deux lectures : les corps plus haut mis en avant et la façade secondaire qui agit comme un arrière-plan. La façade arrière de la Rote Front

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est également rouge et est agencée par des groupements de balcons blancs. Ce front fermé marque non seulement ce clivage, mais incite également en son centre de pénétrer par un escalier au cœur du Hufeisen et donc de la Siedlung.

Les derniers édifices construits, d’une part en 1927-29, d’autre part en 1929-30, sont un mélange de maisons individuelles et de logements collectifs situés du côté du terrain de la Degewo. Ces dernières phases de la Siedlung reflètent les problèmes écono-miques à la fin des années 1920. Si la surface au sol fut attribuée de manière très large au début, dès 1926 elle devint de plus en plus moindre. Par conséquent, les édifices datant de 1930 sont plus resserrés et hauts. Ainsi, Britz ne manifeste pas une image homogène, mais trois phases constructives qui s’expriment temporellement par l’architecture et l’em-placement de ses composantes.

Les logements se catégorisent en quelques plans types. Dans la « Rote Front », il s’agit de logement 2-pièces : un couloir permet d’accéder à la cuisine, le salon et la salle de bains. Quant à la chambre (Schlafstube), elle est directement liée au salon. La cuisine s’ouvre à l’extérieur par le balcon, ce qui constitue un agencement type de Taut que l’on retrouve également dans le Hufeisen. Dans ce dernier, le plan type utilisé est celui 2 1/2-pièces, ici toutes les pièces sont accessibles par le couloir d’entrée. En ce qui concerne les maisons individuelles en bande, sont utilisés quatre plans d’appartement : une pièce et demie ( 49 m² de surface habitable ), deux pièces ( 53m²), deux pièces et demie (64m²) et trois pièces et demie (78m²). L’entrée qui distribue toutes les pièces reste également le motif principal de l’agencement des plans.

Construit dès 1926 à Zehlendorf, Onkel Toms Hütte fut le second projet initié par Martin Wagner, alors que le chantier du Britz était loin d’être fini. Situé au Grunewald, la

Siedlung devait intégrer un paysage naturel peuplé de villa. Le plan masse fut dessiné par

Bruno Taut ainsi que Martin Wagner, qui, pour la conception architecturale, furent accom-pagnés de Otto Rudolf Savilsberg et Bruno Häring. Il en résulta 1106 logements collectifs à deux ou trois étages, ainsi que 809 maisons individuelles, qui assimilèrent ensemble le concept d’une cité-jardin. Aussi appelée « Papageien-Siedlung » ( la cité-perroquet ), Onkel Toms Hütte devint célèbre par les différentes couleurs qui recouvrent les façades de la Siedlung. Avec sept parties constitutives construites entre 1926 et 1932, il s’agit d’un ensemble particulièrement complexe qui se définit premièrement par la richesse des mises en scène de quelques typologies de logements. Cette richesse se résumera ici par l’énonciation des caractéristiques principales des logements et de l’environnement dans lesquels ils ont été généré et qu’ils ont généré en retour. Il s’agit bien d’une relation subtile entre le bâti et ses alentours, qui prend de multiples formes et semblent pouvoir se réinventer interminablement.

Les premières parties construites de la Siedlung se limitent au terrain au Sud de la ligne de métro qui partage le site en deux. Ici les logements furent conçus par Taut, Häring et Salvisberg et construits entre 1926 et 1930. Les parties restantes furent imagi-nées par Taut seul entre 1930 et 1932, et se situent au Nord de la ligne de métro. Parallè-lement au projet d’Onkel Toms Hütte par la Gehag, se construisit d’abord au Sud puis au

Onkel Toms Hütte

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Hufeisensiedlung Britz

Ill.5 Photographie rue Am Wieselbau : maisons unifamiliales, Bruno Taut Ill.6 Photographie rue Waldhüterpfad : maisons unifamiliales, Otto Rudloph Salvisberg

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