• Aucun résultat trouvé

Évolution du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent sous l'influence britannique, 1760-1850

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Évolution du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent sous l'influence britannique, 1760-1850"

Copied!
154
0
0

Texte intégral

(1)

EVOLUTION DU CHEPTEL EQUIN ET DE LA CULTURE EQUESTRE DANS LAVALLÉE DU SAINT-LAURENT

SOUS L'INFLUENCE BRITANNIQUE, 1760-1850

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire

pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES

Université Laval Québec

2010

(2)
(3)

Remerciements

Plusieurs personnes ont contribué au long effort qui a permis l'achèvement de ce mémoire. Je dois d'abord remercier mon directeur de recherche, monsieur Alain Laberge, qui m'a patiemment soutenue tout au long de cette réalisation. Je veux aussi exprimer ma reconnaissance la plus sincère aux proches qui m'ont encouragée dans les moments difficiles, particulièrement mon père Gratien, éleveur de chevaux, ma mère Danielle, cavalière chevronnée, ma sœur Annie-Claude, Sylvie, Hubert, Liette et Gervais, de même qu'à ceux qui m'ont parfois aidée sans même le savoir, dont Lili, Kathleen, Sam et Drew. Je tiens à souligner la part de motivation que m'a apportée mon entraîneur en equitation western, monsieur Serge St-Louis, notamment en stimulant mon goût pour la découverte et la rigueur. Enfin, je souhaite notifier à ceux qui m'ont procuré une aide plus ponctuelle à quel point celle-ci a été appréciée, notamment André Auclair, éleveur de chevaux Canadiens et biologiste, de même que mes amis Dominique et Robert.

(4)

Résumé

Lorsque la Nouvelle-France passe aux mains de la Grande-Bretagne en 1760, l'espèce équine y abonde, au point où les Canadiens ont développé un rapport au cheval particulier. Ce cheptel florissant et cette culture naissante se voient rapidement confrontés au reste de l'Occident, pour lequel les Britanniques se posent alors en leaders. Ces derniers exposent ainsi les locaux à un monde chevalin d'une richesse et d'une complexité exceptionnelles. Les nouveaux types d'équidés, les méthodes d'élevage révolutionnaires et la structuration des clivages sociaux à travers les codes liés aux chevaux sèment la voie à des changements durables dans le cheptel équin et la culture équestre de la vallée du Saint-Laurent.

(5)

Remerciements iii

Résumé iv Table des matières v

Liste des graphiques vii Liste des tableaux viii

Introduction 1 Mise en contexte 2 Historiographie 7 Intérêt de recherche et problématique 11

Sources 13 Méthodologie 18 Organisation générale de la démonstration 20

Chapitre 1 : Le cheptel équin 23 1.1 Le cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent : aspects quantitatifs 25

1.2 Une définition des chevaux du pays ou la question de la race 32 1.2.1 Le cheval Canadien à travers le regard des témoins (1749-1846) 33

1.2.2 Les chevaux de la vallée du Saint-Laurent : type colonial ou

continental? 37 1.3 L'ouverture des frontières et le début d'un commerce significatif 39

1.3.1 Les chevaux d'importation britannique : des produits de luxe 40 1.3.2 Le cheptel équin d'Amérique du Nord : un véritable « melting pot » 42 Les fameux routiers d'Amérique : l'exemple du Narragansett Pacer 44

La versatilité des chevaux de trait lourds américains 46 1.3.3 L'importance du marché continental : un aperçu 48

Le problème du trafic chevalin 53 L'indice du maquignonnage 54 1.4 Les transformations du cheptel : une altération qui incite à réfléchir 56

1.4.1 Le cheval local : une popularité qui ne connaît pas de frontières 57 1.4.2 L'apport de sang étranger et le défi des croisements non contrôlés 59 1.4.3 Nouvelles stratégies d'élevage : une réflexion inspirée de la pensée

britannique 64 1.4.4 Élever le cheval du pays : la modernité au service d'un retour

(6)

Chapitre 2 : La culture équestre 71 La culture équestre occidentale ou le cheval-prestige 72

2.1 La culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent 75 2.1.1 Les déplacements ou le cheval-liberté des Canadiens 75

Les particularités du voyage en hiver : joies et risques 78 L'indiscipline routière, préoccupation constante des autorités 81

2.1.2 La valeur du cheval dans la vallée du Saint-Laurent : orgueil et statut 84 Le cheval comme reflet du statut social dans la hiérarchie paysanne 89

Le cheval-prestige selon les Canadiens 91 2.1.3 L'accessibilité du cheval dans la colonie : un contexte exceptionnel

pour un débat inusité .' 97

2.2 Culture équestre et classes sociales 102 La poste, ou illustration d'un fossé culturel 103

L'isolement des masses et le rapprochement des élites 104 2.2.1 Classes sociales et mœurs équestres : les limites de l'échange 107

Les femmes et I'equitation : une question de statut 107 La chasse à courre, chasse gardée des classes supérieures 109

Élite britannique et adaptation des coutumes canadiennes : l'exemple

des balades en traîneau 110 2.2.2 Les courses organisées dans la vallée du Saint-Laurent : une

ségrégation particulière 112 2.2.3 La connaissance et le traitement réservé aux chevaux : une affaire

déclasses 117 L'exemple des expositions agricoles 121

Conclusion 125 Bibliographie 129

(7)

Liste des graphiques

Graphique 1 Évolution du cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent,

1765-1851 26 Graphique 2 Évolution du rapport chevaux/habitant dans la vallée du

Saint-Laurent, 1765-1851 27 Graphique 3 Cheptel équin dans six localités du district de Montréal,

(8)

Liste des tableaux

Tableau 1 Le cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent,

1765-1851 26 Tableau 2 Rapport chevaux/habitant pour les trois districts comparés

en 1765 et 1851 27 Tableau 3 Population et cheptel équin dans six localités du district de

Montréal en 1765 29 Tableau 4 Population et cheptel équin dans six localités du district de

Montréal en 1851 29 Tableau 5 Population canadienne et cheptel équin entre Montréal et la

frontière sud (1844) 31 Tableau 6 Population canadienne et cheptel équin entre Montréal et la

frontière sud (1851) 31 Tableau 7 Importations de chevaux à provenance connue

(États-Unis) 49 Tableau 8 Importations de chevaux aux ports situés à proximité de la

frontière sud 50 Tableau 9 Importations et exportations de chevaux au port de

Saint-Jean 51 Tableau 10 Exportations de chevaux du port de Québec entre

1807 et 1842 51 Tableau 11 Exportations de chevaux du port de Québec vers une

destination connue 52 Tableau 12 Les quatre crimes les plus récurrents chez les détenus

du pénitencier provincial de Kingston 86 Tableau 13 Chevaux, chevaux de loisir et voitures dans la ville de

(9)
(10)

C'est alors que vous les rencontrez couchés dans leur voiture et laissant aller leurs chevaux qui les conduisent à demi-mort de boisson et toujours sans accident à la porte de leur maison1.

- Nicolas-Gaspard Boisseau, Mémoires, vers 17892

Même à l'aube du XXIe siècle, la technologie ne sait pas encore compenser pour ce genre

de services. L'exemple paraît sans doute peu glorieux pour les conducteurs inaptes, mais il donne un aperçu de l'ampleur de l'usage qui est alors fait des équidés. Aujourd'hui, l'utilité du cheval pour nos ancêtres se voit souvent comparée à celle de l'automobile au cours des dernières décennies : « L'homme devint infiniment plus mobile. La civilisation pouvait gagner du terrain, des voies commerciales pouvaient se multiplier et le mélange des idées donna un regain de puissance créatrice. Pendant des millénaires, jusqu'à l'arrivée du moteur à combustion interne, le cheval fut le véhicule de la conquête de la terre par l'homme » . En effet, le cheval devient rapidement l'un des principaux moyens de vaincre la distance. Or, pendant de longs siècles, l'animal représente pour l'homme beaucoup plus qu'un simple moyen de transport ou qu'un outil agricole.

Depuis sa domestication, il fait partie de la vie quotidienne des peuples nomades ; pour plusieurs d'entre eux, il paraît aussi naturel de monter que de marcher. Chez ces « peuples cavaliers », comme les Mongols par exemple, « le cheval envahit tout le champ social et culturel : il est présent dans l'alimentation (hippophagie, consommation du lait de jument) aussi bien que dans la langue (fréquence des métaphores hippiques) et la religion (thème du cheval comme monture sacrée) ; culture équestre et culture générale sont intégrées »4. La

situation se présente différemment en Europe, où le cheval apparaît moins répandu en proportion de la population humaine. Ainsi, dans la plupart des sociétés occidentales, où « la pratique de l'équitation n'est pas généralisée et où les cavaliers forment une élite, la

1 Nicolas-Gaspard Boisseau, Mémoires, Lévis, (?), 1907, p.61.

2 Fils de greffier canadien ayant vécu entre 1765 et 1842, Nicolas-Gaspard Boisseau devint notaire en 1791, peu après avoir terminé la rédaction de ses Mémoires, [source : Assemblée nationale du Québec]

3 Desmond Morris, Le cheval révélé, Paris, Calmann-Lévy, 1989, p. 11.

(11)

sert à marquer des distances et à manifester une supériorité ; le cheval, précisément parce qu'il n'est pas présent partout, revêt une valeur d'emblème, que protègent de nombreuses prohibitions »5.

C'est ce second modèle qui se voit importé en Amérique, et ce, quelques années seulement après la découverte du continent par les Espagnols à la fin du XVe siècle. En effet, lors de

l'arrivée des Européens, le Nouveau Monde n'abrite aucun équidé, le dernier représentant de l'espèce ayant disparu plus de dix millénaires auparavant6. Cette absence stupéfie

Christophe Colomb, qui s'empresse d'en importer dès son second voyage aux Antilles en 1493. Plusieurs autres se joignent à ce petit troupeau de départ dans les décennies suivantes, dans différentes colonies d'Amérique Centrale et du Sud. Ces bêtes se reproduisent rapidement et colonisent le continent, atteignant notamment une grande partie de l'Amérique du Nord avant l'homme européen lui-même7.

Plus d'un siècle ne suffit toutefois pas pour que ces populations de chevaux redevenus sauvages atteignent les régions les plus nordiques de l'Amérique. Aussi la vallée du Saint-Laurent demeure-t-elle dépourvue de solipèdes au moment de la fondation de la Nouvelle-France8. Le tout premier cheval à fouler le sol de la colonie française y est emmené en 1647

par la Communauté des Habitants. Celle-ci en fait cadeau au gouverneur de l'époque, le Chevalier de Montmagny, sous prétexte qu'il eût été malséant qu'un chevalier se voit trop longtemps privé de monture9. Il faut cependant attendre encore près de vingt ans pour voir

introduits les équidés de manière régulière et organisée : en juillet 1665 débarque à Québec le premier groupe de chevaux envoyé dans la vallée du Saint-Laurent. Ces douze bêtes sont importées par Colbert sur ordre de Louis XIV, dans le cadre plus global de la stratégie de développement de la colonie10. Il en fait ensuite encore acheminer par deux fois, et

5 lbid., p.203-204.

6 Jean-Pierre Digard, Le cheval, force de l'homme, Paris, Gallimard, 1994, p.17. 7 lbid., p. 17-18.

8 Paul Bernier, Le cheval Canadien, Québec, Septentrion, 1992, p.23.

9 Gladys Mackey Beattie, The Canadian Horse, Lennoxville, Sun Books, s.d., p.l. 10 Bernier, op.cit., p.26-29.

(12)

En l'absence de régie d'élevage, ces bêtes se reproduisent rapidement et assez librement, avec un apport extérieur quasi inexistant, formant bientôt un type nouveau aujourd'hui connu sous le nom de cheval Canadien11. « L'animal commence à apparaître chez les plus

gros paysans vers 1695 et se répand graduellement dans la plupart des habitations en valeur. En même temps, le prix naguère prohibitif baisse rapidement et met le cheval à la portée de tous. Vers 1710-1715, il y a en moyenne un cheval par exploitation »12. À la fin du régime

français (à peine un siècle après l'envoi d'équidés par Louis XIV), le cheptel se chiffre à 13 488 têtes, s,ans tenir compte des villes de Québec et Montréal. La population rurale s'élevant alors à 55 110 personnes, la colonie compte environ un cheval pour quatre habitants13. À la même époque, alors que des centaines de citoyens anglais ou français

restent dépourvus de chevaux14, cette proportion apparaît exceptionnelle pour une société

occidentale du XVIIIe siècle.

C'est là la plus grande conquête de l'habitant car nul animal n'était moins approprié aux conditions locales que le bœuf qui, dans les chemins boueux et la neige, n'avançait qu'avec peine ou pas du tout. Désormais ces familles isolées dans les côtes peuvent se déplacer, les paysans peuvent faire des charrois, traîner le bois et les grains en moins de temps et sans efforts surhumains. Le cheval ne remplace pas le bœuf, qui reste l'animal de labour et dont l'augmentation accordée à celle de la population rurale ne fléchit pas. C'est un nouvel élément qui s'ajoute, destiné à d'autres emplois.15

En effet, bien qu'ils servent sur les nouvelles exploitations, défricher les terres et tirer les instruments agricoles ne représentent qu'une partie des tâches alors accomplies par les équidés. Animaux domestiques les plus côtoyés par les divers membres de la famille, ils sont aussi employés à une foule de travaux d'ampleur variable, tant à la ville qu'à la campagne. Des commerçants comme le boucher, le laitier et le boulanger l'utilisent pour

n lbid, p.3\.

12 Louise Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVlf siècle : essai, Montréal, Pion, 1974, p.318. 13 Recensement du Canada, 1870-1871, volume IV, Ottawa, LB. Taylor, Maclean, Roger & Co., 1873-1878. 14 « Agricultural Statistics of France and England », The British American Cultivator, vol. 1, no 7 (juillet 1845), p.221.

(13)

construction des fortifications urbaines16 ; ils servent au déplacement de tous, ruraux et

citadins, mais aussi à celui des familles d'officiers qui doivent suivre l'armée17. Plus

encore, ils servent à marquer l'écart entre l'officier18, qui se tient en selle, et les non gradés

qui marchent à ses côtés19. Enfin, en plus de remplir une foule de petits services quotidiens

comme le transport du bois de chauffage et autres provisions, le cheval représente un moyen de communication formidable dans un contexte où la seule alternative réside dans le courrier manuscrit. Ainsi, dans les nouvelles colonies d'Amérique du Nord, et plus particulièrement dans la vallée du Saint-Laurent, cet animal unique a « brisé l'isolement et adouci quelque peu l'existence »20. Il est désormais omniprésent en Nouvelle-France, et

presque tous s'en réjouissent.

« Presque », car les autorités françaises se montrent sceptiques quant à la nécessité d'un cheptel équin si important dans la colonie. Habitués aux modèles européens, où seuls les mieux nantis ont le privilège de disposer du précieux animal, les dirigeants coloniaux voient dans l'abondance chevaline une menace au bon ordre des choses. D'ailleurs, au moment de prendre possession du pays après la Conquête, les autorités britanniques s'étonnent elles aussi de cette situation incompatible avec les usages européens, et s'en inquiètent d'abord tout autant que leurs précurseurs. Le général Murray, par exemple, propose dans son rapport du 5 juin 1762 de compenser l'absence de droits sur les merceries par une taxe sur les chevaux, laquelle « mettrait un frein à l'acquisition d'un objet de luxe pour lequel le peuple de ce pays a un penchant trop prononcé » . Les administrateurs présents dans la colonie doivent s'apercevoir comme leurs prédécesseurs que les nombreux équidés ne représentent pas un problème, car si certains témoins émettent des critiques sur

16 Louise Dechêne, Le Peuple, l'État et la Guerre au Canada sous le Régime français, Montréal, Boréal, 2008, p.251.

17 Marvin L. Brown, Baroness von Riedesel and the American Revolution : Journal and correspondence of a tour of duty, 1776-1783, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1965, p.54.

18 Sans doute l'officier à cheval s'avérait-il aussi plus facile à repérer pour ses soldats et miliciens.

19 Captain John Knox, The Siege of Quebec: and the Campaigns in North America, 1757-1760, Pendragon House of Mississauga, 1980, p. 191.

20 Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVlf siècle : essai, p.320.

21 Adam Shortt et Arthur G Doughty, Documents relatifs à l'histoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, Ottawa, Adam Shortt et Arthur G Doughty (seconde édition, révisée par le Bureau de publication des documents historiques), 1921, p.50.

(14)

En effet, c'est plutôt de manière indirecte que les Britanniques (membres du gouvernement ou simples citoyens) participent à la transformation du cheptel équin et de la culture équestre de la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1850. Les frontières s'ouvrent officiellement, permettant l'importation de quelques chevaux de race venus de la nouvelle mère-patrie, mais surtout un commerce qui s'enclenche avec les treize colonies anglaises situées au sud. Des institutions britanniques sont implantées, dont le parlement et, plus tard, les sociétés d'agriculture, alors que les Canadiens se voient exposés à des pratiques équestres inédites, notamment dans le domaine des loisirs. De plus, les grands changements qui s'opèrent au niveau international atteignent au même moment la vallée du Saint-Laurent : des techniques modernes se répandent, entre autres sur le plan de l'élevage.

Le principal objectif de cette recherche consiste à situer l'apparition des changements qui se produisent dans la composition du cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent et son usage sous le régime britannique, puis d'en comprendre les contextes et les implications. L'analyse inclut le cheval Canadien mais aussi les autres types chevalins ayant fait partie du paysage durant cette période. Elle tient aussi compte des principaux emplois qui en sont faits par la population d'alors, tant britannique que canadienne. Ce mémoire doit permettre d'étudier l'évolution du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent sous l'influence britannique entre 1760 et 1850, afin de déterminer jusqu'à quel point la présence des nouveaux arrivants a pu agir sur cette évolution.

22 L'expression « Canadien français » n'apparaît vraiment qu'après 1840, aussi le terme « Canadien » a-t-il été

retenu dans le cadre de ce mémoire pour désigner les individus d'ascendance française originaires de la vallée du Saint-Laurent.

23 Bien que le terme « équestre » ne réfère habituellement qu'à l'équitation, l'expression « culture équestre »

utilisée ici réfère à l'ensemble des usages, des coutumes, des manifestations de toute nature, des convictions partagées, des manières de voir et des connaissances acquises qui définissent et distinguent un groupe, une société, dans la relation globale qu'elle entretient avec le cheval -i.e. dans tous les domaines, dont les différents sports, le travail aux champs, en forêt ou en ville, de même que le transport, et non exclusivement la monte.

(15)

début des premiers changements majeurs du cheptel équin, lequel se voit transformé sous l'influence britannique, et que 1850 représente la dernière date avant les grands bouleversements de la modernité -commutation du régime seigneurial, accélération de la mécanisation de l'agriculture et des transports, instauration de mesures de régie du cheptel et des races, essor, multiplication et organisation des différentes disciplines équestres, etc. Ce mémoire s'inscrit aussi bien dans les champs historiques économique, culturel et social, et dans des domaines aussi nombreux que les animaux domestiques, l'agriculture et l'élevage, le commerce, les transports, les sports et les loisirs. Le sujet de recherche se trouve ainsi influencé par une multitude de courants historiographiques.

Historiographie

La production historique sur les animaux domestiques en général n'a connu de véritable expansion qu'à partir des années 1970, et n'a cessé de croître depuis ; elle demeure tout de même marginale par rapport à nombre d'autres champs d'intérêt24. Le sujet a d'ailleurs été

beaucoup plus exploré par des amateurs que par des professionnels de l'histoire, les historiens l'abordant habituellement par le biais d'autres domaines. Aujourd'hui encore, la recherche apparaît inégale selon les périodes25 et incomplète dans les thèmes. Les sujets les

plus souvent explorés depuis les années 1970 sont l'élevage et l'utilisation des animaux domestiques, puis les sports et l'imaginaire26. Tout au long du XXe siècle le cheval demeure

l'animal sur lequel les historiens écrivent le plus. Il se voit étudié dans divers contextes, dont l'élevage, le transport, l'armée, les courses, la médecine et la boucherie.

Cette historiographie du cheval, particulièrement variée, fait rarement consensus. En effet, contrairement aux autres animaux domestiques, le caractère polyvalent de l'équidé le place souvent en marge de l'histoire animale. Il investit plusieurs domaines qui ne s'intéressent pas aux autres bêtes mais, surtout, lui-même touche la plupart des thèmes concernant les

24 Éric Baratay et Jean-Luc Mayaud, « Un champ pour l'histoire : L'animal », dans Éric Baratay et Jean-Luc

Mayaud, dir. « L'animal domestique : XVT-XXe siècle », Cahiers d'histoire, tome XLII no 3-4 (1997), p.411. 25 Les époques moderne et contemporaine paraissent les plus négligées.

(16)

animaux domestiques. La nature de l'intérêt qui y est porté varie beaucoup d'une culture à l'autre ou d'un peuple à l'autre. Par exemple, lorsque les Américains traitent de chevaux, ils parlent d'abord de courses, puis d'aspects folkloriques de leur histoire, notamment la Conquête de l'Ouest. Les Britanniques et les Français utilisent eux aussi le cheval pour aborder leur histoire culturelle, les premiers en traitant des courses et les seconds en produisant surtout des études régionales. Au Québec et au Canada, amateurs et professionnels parlent très peu d'histoire du cheval comparativement aux Américains ou aux Européens, mais lorsqu'ils le font, c'est habituellement pour souligner eux aussi une question de fierté nationale, comme le cheval Canadien.

L'historiographie du cheval au Québec s'avère particulièrement restreinte malgré la diversité des sujets abordés. Moins de dix études spécifiques sont pâmes pour l'ensemble du siècle dernier. Mentionnons à titre d'exemple les deux dernières études réalisées, soit

■yj

celles de Paul Bernier en 1992 et de Martin Baron en 1997 . L'étude de Bemier, bien qu'elle couvre quelques aspects plus généraux, demeure d'abord vouée à l'analyse de l'évolution sur près de trois siècles d'un animal en particulier, le cheval Canadien. Baron étudie pour sa part l'importance du cheval, toutes races confondues, dans la culture populaire québécoise entre 1850 et 1960, notamment par l'analyse des représentations collectives de l'animal. Dans un tel contexte de rareté, il paraît compréhensible que le cheval n'ait pas encore fait l'objet de débats particuliers chez les historiens québécois. Les thèmes les plus étudiés jusqu'à maintenant ont été l'introduction du cheval en Amérique française et la race chevaline canadienne, cette dernière souvent dans un but de promotion. Les travaux de Baron sur le cheval dans la culture québécoise ont apporté une lumière nouvelle sur le sujet, mais une multitude d'aspects restent à traiter.

Devant ces importantes lacunes, il s'est avéré nécessaire d'étendre l'investigation à d'autres domaines historiographiques et à d'autres aires géographiques. De façon générale, le cheval, tout comme le bétail et les animaux domestiques, a longuement été étudié par des chercheurs de différentes disciplines, notamment des zoologues, archéologues,

27 Martin Baron, « L'éloge de La Grise : le cheval et la culture populaire au Québec (1850-1960) », thèse de

(17)

méthodes. Ainsi, les études françaises28, britanniques et américaines29 de toutes disciplines

ne manquent pas de contribuer indirectement à l'histoire du cheval au Québec.

Il en va de même pour d'autres domaines où le cheval n'est étudié que très indirectement et occasionnellement, dont l'agriculture et le monde rural, de même que le commerce. Les études effectuées dans ces cadres s'avèrent indispensables à la réalisation d'une mise en contexte rigoureuse du sujet. Enfin, nombre d'études spécialisées sur des thèmes aussi divers que les sports et loisirs (dont Donald Guay pour le Québec et Nancy Howell au Canada anglais), les transports (notamment Thomas A. Kinney aux États-Unis et Patrick Marchand en France) ou l'agriculture (en particulier Christian Dessureault au Québec et Elsbeth Heaman au Canada anglais) touchent indirectement mais aussi plus concrètement l'histoire du cheval au Québec.

De manière générale, étant donné l'importance de la période post-Conquête (et plus particulièrement la première moitié du XIXe siècle) dans l'histoire de la vallée du

Saint-Laurent, celle-ci a inspiré des travaux de la part de professionnels de divers domaines. Cet intérêt bigarré a eu pour conséquence une historiographie morcelée, et encore à la recherche d'un certain consensus ou, comme l'exprime John Willis dans sa thèse de doctorat sur l'industrialisation rurale, d'une « perspective générale revitalisée » : « Scholars base their viewpoints and their criticisms of their fellow colleagues work on their own particular empirical turf. The result is a body of scholarship that is fractious, fragmented and sorely lacking in intra- and interdisciplinary dialogue »30. Courville et Séguin admettent eux aussi

qu'une « synthèse » de la situation du monde rural bas-canadien au XIXe siècle se fait

longtemps attendre :

28 Dont celle de Nicole de Blomac, « L'introduction en France du concept de cheval de sang = cheval d'élite, XVIIIe-XIXe siècle », dans Jean-Pierre Digard (dir.), Des chevaux et des hommes : equitation et société, Lausanne, Caracole, 1988,214 pages, p.49-53.

29 L'ouvrage de la biologiste Bonnie L. Hendricks sur les races de chevaux s'est avéré extrêmement utile, voir International Encyclopedia of Horse Breeds, Norman, University of Oklahoma Press, 1995.

30 John Willis, « Rural Industrialization and the Great Lower Canadian Tourtière : The Montréal Region and the Seigneury of j\rgenteuil, circa 1800 to 1851 », Thèse de doctorat, Université Laval, 1999, p.l.

(18)

C'est qu'il faut composer ici avec des corpus documentaires nombreux mais disparates, qui demandent à être complétés et enrichis par de nouvelles enquêtes portant sur des thèmes et des lieux non encore abordés ou sur différentes périodes du siècle plus délaissées que d'autres. Par ailleurs, la recherche s'étant orientée sur des questionnements accordés à des contextes changeants, il est difficile de saisir l'entière trajectoire d'un monde qui apparaît aujourd'hui de plus en plus complexe et diversifié, parce que marqué par la tradition mais aussi par des courants de modernité venus d'Europe et des États-Unis.31

En effet, la communauté historienne paraît particulièrement divisée. Alors qu'à la fin des années 1960 et au cours de la décennie suivante (à l'époque de Ouellet, Wallot, Dechêne et Séguin) les historiens s'opposent franchement sur le sujet, la génération subséquente tente d'éviter ou de régler le conflit en se vouant à des études spécifiques. Cette stratégie amène une importante « polarisation » des thèmes et sous-thèmes en lien avec la vallée du Saint-Laurent du début du XIXe siècle, sans aboutir à une solution générale. Depuis la fin des

années 1990, de plus en plus d'efforts sont faits dans le but d'établir des nuances révélatrices : « Our objective in introducing this new methodology is to try and weave the respective achievements of two perspectives (macro and micro), two scales of analysis, closer together. The better to view the Lower Canadian socio-economy as a single whole. A whole with discrete parts, yes but nonetheless a single whole of interacting units » .

Il va sans dire que la complexité même de la situation rurale de la colonie de la vallée du Saint-Laurent au tournant du XIXe siècle compte pour beaucoup dans la difficulté des

professionnels de l'histoire à en dresser un portrait cohérent. Cette période en est définitivement une de transition. Il ne s'agit pas cependant du passage entre stagnation et progrès, mais plutôt d'une évolution vers un type de développement nouveau, et différencié selon les régions33. « À l'expansion notable du territoire agricole, correspond alors une

montée marquée de l'exploitation forestière que double une croissance accrue d'industries rurales, qui apparaissent là où n'existaient souvent que des petits centres de services destinés à satisfaire les besoins du peuplement »34. John Willis a qualifié de «

proto-31 Serge Courville et Normand Séguin, Le monde rural québécois au XIXe siècle, Ottawa, La Société historique du Canada, brochure historique no 47, 1989, p.3.

32 Willis, op.cit., p.6.

33 Courville et Séguin, op.cit., p.3. 34 lbid, p.4-5.

(19)

industrialisation » ce phénomène de diversification des moyens de subsistance, caractéristique de la période.35

La première moitié du XIXe siècle nous apparaît comme une phase d'incubation de ce qui

se produit dans la moitié suivante. Certains changements importants s'opèrent alors, mais rien de comparable à ce qui se passe ensuite.

Intérêt de recherche et problématique

L'intérêt majeur de cette recherche réside dans les faits combinés de l'importance capitale du rôle joué par le cheval dans l'évolution de toute société antérieure au XXe siècle, et du

vide laissé dans certains domaines de l'historiographie le concernant.

[...] aucun animal n'a autant donné à l'homme. En ville comme aux champs, à la ferme, à l'usine, au fond des mines, sur les routes et les chemins de halage, le cheval était partout présent, il n'y a pas si longtemps encore [...]. De même, le cheval est inséparable des épisodes les plus spectaculaires de l'histoire humaine - invasions mongoles, conquête du Nouveau Monde, guerres napoléoniennes, colonisation de l'Ouest américain, etc.36

Malgré son importance unique et sans conteste dans l'histoire de l'humanité, le cheval a surtout fait l'objet de recherches dans les domaines qui concernent son exploitation par l'homme, comme l'anatomie, la reproduction, l'alimentation, le dressage et la médecine vétérinaire.

Alors que l'on sait tout ou presque du cheval, on ne connaît à peu près rien de ses éleveurs et de ses utilisateurs. Cette situation est d'autant plus absurde que le cheval, en tant qu'animal domestique, n'a d'existence que par les hommes qui le produisent et l'utilisent, et que l'histoire du premier est inséparable de celle des seconds, du moins depuis que ceux-ci ont fait leur apparition il y a une centaine de millénaires.37

35 Willis, op.cit., p.viii.

36 Digard, Histoire du cheval : art, techniques, société, p.9. 37/£/<-/, p.9-10.

(20)

C'est à ce manque que l'historien français Jean-Pierre Digard tente de remédier en publiant en 2004 un vaste ouvrage d'analyse de l'histoire du cheval de la préhistoire à nos jours, lequel couvre plusieurs aires géographiques, des steppes d'Asie aux prairies de l'Ouest américain en passant par l'Europe. Il n'accorde cependant pas une ligne à l'histoire du cheval dans la vallée du Saint-Laurent, laquelle commence pourtant avec la première importation de chevaux français sur le continent américain.

Ce mémoire s'inscrit dans les champs historiques social, économique et culturel, encore peu couverts par l'historiographie québécoise du cheval, surtout en complémentarité. De même la période à l'étude, soit celle du régime britannique, a été plus ou moins délaissée jusqu'à maintenant38. Cette recherche devrait donc contribuer à déterminer les spécificités

de l'histoire du cheval à l'intérieur de l'aire géographique ciblée, tout en y apportant des éléments neufs par l'adoption de cet angle particulier.

Les résultats de cette recherche devraient permettre de comprendre les traces laissées par la place considérable prise par le cheval dans la société préindustrielle de la vallée du Saint-Laurent, alors que cet animal fait partie intégrante tant de la vie quotidienne que des événements spéciaux et des codes sociaux. Le but premier de cette étude est de parvenir à évaluer l'impact de la présence britannique sur l'ensemble de la société coloniale pour la période, cela à travers les bouleversements entraînés par ce contact dans les divers domaines associés au cheval. Poser le cheptel équin comme vecteur et reflet de cette influence apparaît d'autant plus pertinent pour cette période que les Britanniques s'imposent alors comme propagateurs de phénomènes nouveaux qui modifient profondément l'usage du cheval, dont la révolution agricole et le sport.

Le cheval étant omniprésent dans la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1850, il représente un outil efficace pour étudier les hommes qui l'entourent. Il peut ainsi permettre de concevoir sous un jour nouveau l'impact du nouveau régime sur la société canadienne.

38 Le régime britannique a pourtant fait l'objet de débats véhéments par les historiens québécois de

(21)

La présence britannique a-t-elle influencé l'évolution du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1850 ? Dans quelle mesure ? Ce qui constitue aujourd'hui le « monde du cheval » québécois atteste de la légitimité de s'interroger sur l'importance de cette influence, laquelle se manifeste d'abord au cours de la période à l'étude.

Certaines hypothèses peuvent être émises dès le départ. On peut effectivement déjà s'attendre à constater des différences entre l'usage que font Britanniques et Canadiens du cheval. De même, lorsque les deux groupes pratiquent des activités équestres similaires, les techniques ou habitudes de chacun devraient varier39. Il paraît aussi déjà possible de

supposer la découverte de certains points communs, comme la valorisation et la différenciation sociale par rapport au niveau de qualité de sa monture. Enfin, l'hypothèse principale consiste à prévoir que la présence britannique a eu une influence indéniable sur le cheptel équin et la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent pour la période.

Sources

À l'image des questions soulevées par la problématique, les sources destinées à y répondre s'avèrent elles aussi variées. Elles peuvent être classées en deux groupes devant chacun répondre plus particulièrement aux questions soulevées par l'un ou l'autre des chapitres du mémoire. Les sources quantitatives comme les recensements, certaines publications gouvernementales et les traités et rapports d'agriculture s'appliquent bien à la nature en grande partie numérale de la question du cheptel équin. Les sources qualitatives telles que les articles de journaux agricoles, les récits de voyage, les journaux intimes et les romans conviennent davantage à la souplesse nécessaire à saisir un sujet aussi vaste que la culture équestre. Bien entendu, plusieurs sources ont servi tant pour l'un que l'autre des chapitres. Enfin, des sources potentiellement utiles et précises ont été mises de côté en raison de la spécificité et de l'exclusion qu'elles impliquent. Les inventaires après décès et les contrats de mariage, notamment, n'ont pas été retenus afin de conserver intact le caractère global de

(22)

cette recherche. De même, malgré les incertitudes inhérentes aux tableaux généraux publiés dans la version agrégée du Recensement du Canada, 1870-1871 (lequel comprend les données condensées de tous les autres recensements antérieurs réalisés sur le territoire canadien), ceux-ci ont été préférés aux dénombrements originaux qui auraient difficilement permis d'obtenir une vue d'ensemble de la situation.

Malgré leur potentiel de prime abord énorme, les recensements effectués aux XVIIIe et

XIXe siècles posent, de façon générale, de nombreux obstacles au chercheur consciencieux.

Louise Dechêne en fait d'ailleurs, avec raison, une critique acerbe :

Ce sont des chiffres grossiers, recueillis on ne sait trop comment, inutilisables pour une analyse rigoureuse. Un hiatus de près d'un demi-siècle sépare cette série du premier recensement décennal de 1831. Les statistiques agricoles de celui-ci, tout comme celles recueillies en 1844, sont sensiblement les mêmes et guère plus rassurantes. En utilisant les chiffres bruts, par exploitation, nous pouvons toutefois ventiler les résultats et corriger les pires distorsions des tableaux publiés. Mais toute tentative d'évaluation de la productivité à partir de ces recensements est vouée à l'échec car ils ne donnent pas les superficies consacrées à chaque culture.40

Ces difficultés se comparent à celles rencontrées par d'autres chercheurs, particulièrement dans un but d'analyse de la production agricole. Afin d'éviter toute confusion inutile, cet aspect a été laissé de côté dans cette recherche pour les recensements, et seules les populations humaine et équine ont été prises en compte.

Ayant pour leur part étudié les recensements dans le cadre d'une recherche sur le commerce au XIXe siècle, Serge Courville, Jean-Claude Robert et Normand Séguin arrivent à des

conclusions similaires à celles de Dechêne. Ils apportent cependant une considération importante quant au choix des documents. En effet, après analyse, ils ne croient pas qu'aucune source ne puisse par exemple permettre de connaître un jour le volume du commerce dans la colonie au XIXe siècle, car ce « n'est que par fragments que celui-ci se

40 Louise Dechêne, « Observations sur l'agriculture du Bas-Canada au début du XIXe siècle », dans Joseph Goy et Jean-Pierre Wallot (dir.), Évolution et éclatement du monde rural : structures, fonctionnement et évolution différentielle des sociétés rurales françaises et québécoises, XVlf-XXe siècles, Paris, Éditions de l'École des hautes études en Sciences sociales, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1986, p. 190.

(23)

découvre dans des documentations éparses et d'exploration malaisée »41. C'est exactement

là le défi qui se présente au moment de brosser un tableau de l'évolution du cheptel équin colonial entre 1760 et 1850. Aucun type de document ne le permet à lui seul, aussi est-il nécessaire d'en utiliser plusieurs, de provenances variées. Malgré leurs faiblesses, les recensements représentent un point de départ valable en raison de la vue d'ensemble qu'ils permettent d'obtenir, aussi floue soit-elle. En effet, les données tirées des recensements ne prétendent pas à l'exactitude ; elles servent ici à donner une idée générale de la situation de la population équine dans la colonie.

Malgré l'ampleur de l'information pouvant être tirée des sources quantitatives, il semble nécessaire d'en analyser plusieurs puisqu'aucune n'est complète. Ainsi, publications gouvernementales et rapports d'agriculture42 fournissent des chiffres introuvables ailleurs,

qui précisent le sens de ceux trouvés dans les recensements. De plus, des sources qualitatives43 ont dû être consultées afin de faciliter l'interprétation des données apportées

par les documents de la première catégorie.

Les articles de journaux agricoles, les récits de voyage, les journaux intimes et les romans ont été davantage sollicités lors de la recherche sur la culture équestre. Ces sources permettent d'accéder à une foule d'informations quant aux mœurs équestres44 et aux

principales races utilisées et valorisées dans les différentes régions de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Comme le souligne Baron, on retrouve dans la littérature quantité d'interprétations et de descriptions des comportements et des attitudes pratiquement introuvables ailleurs, particulièrement en ce qui concerne la relation homme-cheval. Ce type de sources exige toutefois certaines précautions d'interprétation, puisque le but ultime

41 Serge Courville, Jean-Claude Robert et Normand Séguin, Le pays laurentien au XIXe siècle : Les morphologies de base, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1995, p. 101.

42 Par exemple, le Rapport du Comité spécial sur l'état de l'agriculture du Bas-Canada, publié en 1850 par la Chambre d'Assemblée du Canada, constitue une source particulièrement intéressante, tant pour ses informations quantitatives que qualitatives.

43 De nombreuses publications de tous types peuvent être utilisées en tant que sources. Les recueils de lettres, manuscrits et mémoires sont particulièrement riches en information. Des traités comme celui de William Evans sur l'agriculture, publié en 1836-37, constituent des incontournables, de même que des sources d'auteurs comme les Mémoires d'Aubert de Gaspé.

(24)

de leurs auteurs n'est pas strictement d'informer. De plus, bien que certains romans fournissent des détails intéressants sur les us et coutumes de la société laurentienne, ils véhiculent souvent une vision particulière, pas nécessairement partagée par tous. Aussi est-il primordial de rester à l'affût des décalages possibles entre l'intention de l'auteur et les conventions sociales réellement admises par la majorité. De même, il convient pour les récits de voyage de savoir tenir compte de l'origine ethnique et surtout sociale du visiteur, laquelle a une influence directe sur la teneur des commentaires qu'il émet. « Le lecteur qui plonge dans les sources littéraires de l'histoire des colonies britanniques ne peut qu'être frappé par l'abondance et surtout la diversité des auteurs et des opinions. [...] Le statut et la profession des auteurs, leur formation intellectuelle et les objectifs des publications sont autant d'éléments qui concourent à la variété des discours »45.

En plus de la diversité des témoignages existants, il convient de ne pas négliger les opinions qui n'ont pas été conservées par écrit. Prenant pour exemple les commentaires émis par un paysan de la vallée du Saint-Laurent en 1749 (et récoltés par Pehr Kalm)46,

Dechêne souligne le contraste entre la perception très positive que cet homme a de son pays et celle complètement affligée d'un « savant jésuite » (et bien d'autres étrangers) qui considère pour sa part la colonie comme un échec47. Il va sans dire que les propos de ceux

qui n'écrivent pas ne nous parviennent que par bribes, et déjà filtrés par un ou plusieurs intermédiaires. Étant donné le caractère universel du sujet de cette recherche (les chevaux se retrouvant dans tous les milieux et toutes les couches sociales de la vallée du Saint-Laurent), il a semblé particulièrement important de se pencher sur une variété de sources. Pour cela, la bibliothèque numérique Notre mémoire en ligne s'est avérée précieuse.

45 Louise Dechêne, Le Peuple, l'État et la Guerre au Canada sous le Régime français, p.89.

46 « Lorsque ce vieillard n'était qu'un enfant, Montréal n'avait encore que peu de maisons et elles étaient toutes en bois et couvertes de chaume. Il en allait presque de même pour Québec. Trois-Rivières était alors la plus belle et la plus grande des trois villes. Il y avait en ce temps-là assez peu de population à la campagne et, là où maintenant se dressent des maisons et des fermes splendides, où s'étendent de vastes champs, il n'y avait presque partout que de la forêt. », voir Jacques Rousseau et Guy Béthune, Voyage de Pehr Kalm au Canada en 1749, Montréal, Pierre Tisseyre, 1977, p.422.

(25)

Comme le souligne Donald Fyson dans son article consacré à cet outil de recherche, Notre mémoire en ligne « offre une collection très accessible et étendue, mais en fin de compte très sélective, qui fournit un aperçu tronqué de l'histoire canadienne »48. Pour des raisons

pratiques évidentes, des choix ont dû être faits au moment de monter la collection, aussi cette dernière ne peut être considérée comme parfaitement représentative. De plus, la facilité d'accès à cette ressource peut représenter un incitatif à en délaisser d'autres, moins visibles49. Dans ce cas-ci, cette difficulté a été évitée puisque la recherche sur Notre

mémoire en ligne a été effectuée à la toute fin, après que les autres types de sources aient été fouillés.

La recherche plein texte peut soulever un défi supplémentaire lorsque les termes utilisés rapportent de très nombreuses occurrences50. Dans ce cas-ci, les résultats ont pu être gérés

malgré leur nombre considérable51. Par ailleurs, Notre mémoire en ligne constitue un outil

particulièrement adapté à un sujet tel que l'évolution du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent, en raison de la diversité des sous-thèmes impliqués. La qualité inclusive de ce type de recherche correspond tout à fait à la direction qu'il a été choisi de donner à ce travail.

Et comme l'ont souligné plusieurs comptes rendus de bibliothèques numériques permettant la recherche plein texte, cela favorise aussi la consultation plus holistique d'une variété de documents qui défie les méthodes préétablies de catégorisation et d'examen des sources. Ainsi que l'a fait remarquer Jay Fliegelman à propos de Early American Imprints, 1639-1800, de telles recherches sont, de par leur nature, interdisciplinaires. Les recherches par mots clés, phrases ou termes rapprochés permettent de se rendre compte des contextes innombrables dans lesquels apparaît un terme clé [...].

Enfin, Fyson met en garde les utilisateurs vis-à-vis de la « diminution du champ de vision contextuel » qu'implique la recherche plein texte, et qui limite les découvertes permises par

Donald Fyson, « À la recherche de l'histoire dans les bibliothèques numériques : les leçons de notre mémoire en ligne », Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 59, no 1-2, 2005, p.97.

49/£/tf,p.lOO-101. 50 lbid., p. 106.

51 Les recherches suivantes ont été effectuées sur Notre mémoire en ligne : « horfe » (600 occurrences dans 196 documents), « horfes » (739 occurrences dans 220 documents), « horse » (7885 occurrences dans 2236 documents), « horses » (7937 occurrences dans 2000 documents), « cheval » (2463 occurrences dans 1018 documents), « chevaux » (2867 occurrences dans 985 documents).

(26)

les méthodes de recherche traditionnelles53. En effet, cette stratégie ne se compare en rien à

la fouille méthodique d'une source. Malgré tout, en s'attardant par curiosité aux pages entourant le mot cherché puis trouvé, on retrouve cet aspect, du moins en partie. De plus, étant donné qu'une importante portion de cette recherche a été effectuée avant la consultation à travers Notre mémoire en ligne, la méthode systématique a aussi été pratiquée, et des découvertes intéressantes ont été faites. Des nouvelles pistes de réponse ont été trouvées là où elles n'étaient pas soupçonnées.

Méthodologie

Les chercheurs français ont beaucoup insisté sur la diversité des disciplines impliquées dans le traitement de l'histoire des animaux domestiques, et se sont souciés assez tôt de nouer des liens plus étroits entre les sciences sociales autour de cette question. Ils organisent d'ailleurs plusieurs grandes rencontres sur le sujet à partir des années 1980, mettant en relief leur conception interdisciplinaire de ce domaine. Ces colloques contribuent de manière considérable au développement du domaine en inventoriant les thèmes possibles et en confrontant idées et méthodes. En effet, historiens, vétérinaires, anthropologues, sociologues, géographes et philologues y échangent idées et méthodes -aussi variées que, par exemple, les textes, les restes d'animaux prélevés sur les sites archéologiques et l'iconographie5 . De même, les études de géographes, anthropologues,

sociologues et zoologues ont été nécessaires à la compréhension du sujet dans son ensemble. Les méthodes de recherche et d'analyse des sources ont toutefois été principalement empruntées à l'histoire.

Quelques interrogations ont été lancées avant l'entreprise de la recherche, et l'on pouvait déjà s'attendre à voir certaines sources répondre à des questions en particulier. Cependant, étant donné la quantité et la variété des documents à analyser, il était aussi fort possible que des réponses apparaissent là où cela paraissait improbable, et que de nouvelles interrogations surgissent en cours de processus. Ainsi, bien que les sources aient été

53 lbid, p.U\.

(27)

abordées à partir de questions préétablies, la démarche ne devait exclure d'emblée aucune source valable, aussi originale fût-elle. Il s'agissait au contraire d'établir et de préciser les questions étudiées par voie de conséquence, et de faire preuve de beaucoup de souplesse afin de n'omettre aucune information nouvelle. Pour cela, il a fallu ne pas se limiter aux seules questions établies pour lancer la recherche, et ne pas formuler de questions trop restreintes au départ.

La méthode inductive a déjà fait ses preuves en histoire rurale, Ouellet ayant par exemple choisi d'exploiter dès les années 1960 le potentiel de complémentarité des sources en confrontant les plus diverses. Plus récemment, en 1997, Baron a lui aussi été confronté à la nécessité d'une diversité importante de sources pour la réalisation de son mémoire. « La recherche de documents hétérogènes s'avérait nécessaire pour analyser toutes les facettes de la relation établie entre l'humain et le cheval. En cumulant et en confrontant divers témoignages, on arrive à pénétrer l'univers du cheval »55, ce qui paraît autrement

impossible étant donné la complexité de la relation homme-cheval. D'ailleurs, Bemier adopte lui aussi cette démarche ; son corpus, plus traditionnel que celui de Baron, va des recensements aux récits de voyageurs, en passant par des études sur l'agriculture rédigées par des auteurs de la période. Il a de plus eu accès à la documentation de la Société des éleveurs de chevaux Canadiens, de même qu'aux archives personnelles de certains de ces producteurs.

En raison de cette diversité des sources, laquelle constitue l'essence même de la démarche, il était impossible de préciser davantage cette approche, car elle n'aurait alors pu s'appliquer à l'ensemble de la documentation à traiter. Il est toutefois possible de différencier deux méthodes, l'une pour les sources quantitatives et l'autre pour celles plus qualitatives. Les recensements, par exemple, font l'objet d'une compilation de données qui s'organisent ensuite dans des tableaux et des graphiques afin d'en faire ressortir les éléments de réponse aux questions posées. Les sources qualitatives ont quant à elles été soumises à une analyse moins systématique. Bien sûr, les articles de journaux n'ont pas été

(28)

appréhendés de la même manière que les récits de voyageurs ou la littérature du terroir. De façon générale, ce sont surtout les caractéristiques de l'auteur (origine, classe sociale, statut -visiteur ou citoyen), les faits et la façon de les rapporter qui ont été retenus pour l'analyse.

Lors de l'analyse des différents types de sources, toute bribe d'information a été consignée sous des rubriques thématiques classées parmi les principales parties du mémoire ; quelques-unes de ces rubriques ont été établies avant même le début du processus de dépouillement des sources, mais beaucoup se sont aussi imposées en fonction de la nature de l'information trouvée. Cette diversité dans la nature tant des sources analysées que des moyens déployés pour en tirer des informations pertinentes comporte l'avantage certain de permettre d'accéder à une vision plus globale et complète du sujet et de ses implications.

Organisation générale de la démonstration

Par souci de cohérence, le mémoire est organisé de façon à traiter d'abord des caractéristiques du cheptel équin, puis de la culture équestre. Ces deux aspects demeurent bien sûr intimement liés, mais l'analyse du cheptel permet d'établir une base concrète au portrait plus complet ensuite dressé grâce à l'étude d'aspects socioculturels.

Pour comprendre l'influence de la présence britannique sur le cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent dans les décennies qui suivent la Conquête, il convient d'abord d'en dresser un portrait général quantitatif pour 1760, puis à divers moments au cours de la période. Plus intéressant encore, il faut déterminer la composition de cette population chevaline : à quel type appartiennent les bêtes déjà présentes vers la fin du XVIIIe siècle? Peut-on réellement

parler d'une race à ce moment? Il apparaît ensuite plus pertinent de poser la question des éventuels changements apportés par les Britanniques, car évolution il y a. Comment ces transformations se sont-elles effectuées? Dans quel sens? À quels niveaux? Les importations de chevaux anglais par exemple (lesquels sont alors extrêmement bien cotés au niveau international), s'avèrent étonnamment limitées. Les échanges commerciaux s'effectuent principalement entre les colonies elles-mêmes, du moins en matière d'équidés.

(29)

D'ailleurs, cette facilité nouvelle sur le plan du commerce a un effet assez surprenant : le type chevalin de la vallée du Saint-Laurent jouit soudainement d'une grande popularité, au point de connaître une importante demande sur le marché nord-américain, et ce très tôt au cours de la période. Cet engouement pour le cheval Canadien représente-t-il la seule cause de son déclin dans la colonie? Apparemment non. Il s'agit plutôt d'une conséquence de l'effet combiné de la nouvelle influence britannique et du contexte particulier de la colonie de la vallée du Saint-Laurent. D'ailleurs, cette situation inusitée stimule la réflexion et provoque des débats chez les penseurs de toutes origines dans le domaine de l'agriculture et de l'élevage au pays.

Si l'impact de la présence britannique sur le cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1850 apparaît considérable, le legs de cette influence sur la culture équestre s'avère plus important encore, bien que nettement plus subtil. Pour en déterminer l'ampleur, il faut d'abord comprendre le contexte dans lequel elle opère. À quelle culture équestre appartiennent Canadiens et Britanniques? Les deux s'insèrent dans le même modèle occidental, comme le reste de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Celui-ci se caractérise notamment par un système de valeurs s'organisant autour du prestige associé au fait de posséder ou non des équidés. Cependant, la nation britannique dispose à l'époque d'une place privilégiée au sein de cette culture équestre occidentale, détenue surtout grâce à sa connaissance inégalée du cheval dans divers domaines.

En Amérique du Nord, la culture équestre s'exprime dans un contexte colonial et donc légèrement différent de la situation européenne. Les grands espaces accentuent l'importance de la bête comme moyen de transport, tandis que le climat encourage l'apparition de coutumes uniques. Cependant, l'élément qui différencie ultimement les colonies (et particulièrement celle de la vallée du Saint-Laurent) de leurs mères-patries européennes demeure l'abondance des chevaux. En quoi l'existence d'un cheptel équin nombreux représente-t-il un enjeu si important? En Europe, la valeur du cheval est intimement liée à sa rareté. Seuls quelques privilégiés ont accès à cet animal extrêmement

(30)

utile et polyvalent, ce qui leur permet d'en tirer un prestige unique. Dans la vallée du Saint-Laurent, presque chaque famille possède un équidé. La valeur de la bête n'en semble pas diminuée pour autant, mais le privilège n'en est plus réservé aux classes sociales supérieures.

Ces conditions coloniales uniques, combinées à la valeur tout aussi originale de la culture équestre britannique de la fin du XVIIIe siècle, constituent un contexte propice à

l'apparition d'une situation sans précédent. Toutefois, les deux cultures se sont-elles réellement rencontrées ou ont-elles plutôt évolué de manière parallèle? Quelles sont donc les manifestations de ce contact? Elles apparaissent encore subtiles pour la période et, contrairement aux attentes, il semble que les cultures équestres qui se rencontrent alors appartiennent beaucoup plus à des classes sociales différentes qu'à des ethnies étrangères. Par ailleurs, il ne s'agit pas encore d'acculturation à proprement parler, laquelle se définit comme « l'ensemble des phénomènes qui résultent d'un contact continu et direct entre des groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux de l'un ou des deux groupes »56, et qui n'apparaît qu'à

partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Il s'agit encore moins d'assimilation, laquelle

« implique pour un groupe la disparition totale de sa culture d'origine et l'intériorisation complète de la culture du groupe dominant »57. Dans la colonie post-Conquête de la vallée

du Saint-Laurent, Britanniques et Canadiens se trouvent en contact beaucoup trop limité pour qu'un processus d'ampleur aussi importante que l'acculturation se mette en marche. Malgré cela, des germes sont semés qui mènent éventuellement à l'apparition d'échanges importants, surtout au-delà de la période à l'étude58.

56 Denys Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, Éditions La Découverte, 2001 (1996), p.54. L'auteur explique que cette définition (qui fait désormais autorité) a été établie en 1936 par le Conseil de la recherche en sciences sociales des États-Unis, à la suite des conclusions tirées par un comité expressément formé dans le but d'organiser la recherche sur les faits d'acculturation.

57 lbid.

58 En ce sens, l'histoire du cheptel équin et de la culture équestre dans la vallée du Saint-Laurent s'insère parfaitement dans le contexte d'ensemble de la colonie, que Serge Courville et Normand Séguin résument ainsi en page 14 de leur ouvrage Le monde rural québécois au XIX siècle : « C'est en accéléré que se lit l'évolution du monde rural québécois durant la seconde moitié du XIXe siècle, au plan de la croissance démographique comme à celui de l'intégration des productions au marché. Qu'il s'agisse de l'agriculture, des industries rurales ou encore de la société villageoise, quel que soit l'angle par lequel on l'aborde, la socio-économie rurale se transforme et se complexifie davantage sous la pression de multiples facteurs ».

(31)
(32)

Dans le cadre de son programme de développement des colonies, Louis XIV fait envoyer 82 chevaux en Nouvelle-France entre 1665 et 167159. S'il a par la suite existé un commerce

avec les colonies anglaises sous le régime français, celui-ci demeure limité60 ; aussi la

grande majorité des 14 000 équidés61 présents dans la vallée du Saint-Laurent au moment

de la Conquête provient-elle des bêtes importées avant 1700. Il se forme ainsi un nouveau type chevalin entre les premiers arrivages de 1665 et la passation de la colonie aux mains des Britanniques un siècle plus tard. L'arrivée de ces nouveaux maîtres déclenche alors une série de changements au sein du cheptel équin local.

Comment la présence britannique a-t-elle influencé l'évolution du cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent entre 1760 et 1850? La transformation s'est effectuée en deux temps et deux mouvements intimement reliés.

D'abord, le cheptel a subi des modifications par l'altération de sa composition d'origine, ainsi que par l'apport de nouveaux éléments ; ces deux phénomènes ont été principalement provoqués par l'ouverture officielle des frontières avec les colonies du Sud, et le début d'un commerce significatif avec ces dernières62. Des quantités importantes de chevaux sortent de

59 Bernier, op.cit., p.30.

60 Louise Dechêne soutient que des Anglais auraient profité des quelques années de paix que connut la Nouvelle-France au tournant du XVIIIe siècle pour y introduire des chevaux venus d'autres colonies. Cela demeure toutefois difficile à vérifier, aucune source ne venant recouper cette information. L'historienne élabore pour sa part son raisonnement à partir d'une lettre de Champigny au ministre datée du 26 mai 1699, dans laquelle l'intendant prétend que ce commerce aurait reçu l'assentiment de de Callière, alors gouverneur de Montréal, voir Le Peuple, l'Etat et la Guerre au Canada sous le Régime français, p.214. D'après les données que Bernier tire des recensements de Nouvelle-France (Le cheval Canadien, p.33), le nombre de chevaux dans la colonie s'élève à seulement 145 en 1691, alors qu'il atteint 2000 trois décennies plus tard, en

1721, montrant effectivement un accroissement plus rapide en temps de paix. Cette hausse peut cependant être due aussi bien à la tenue d'un certain commerce durant la période pacifique qu'à une sur-utilisation des chevaux en temps de guerre (ralentissant ainsi la reproduction). De toute façon, la composition exacte du cheptel équin colonial avant 1760 prend ici peu d'importance puisqu'il demeure possible de dégager un portrait cohérent du cheval local (lequel se retrouve au point 1.2 de ce mémoire) d'après les descriptions faites par les témoins de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, lesquelles s'avèrent suffisamment unanimes pour être attribuées à un type chevalin défini et reconnaissable.

61 Les ânes et les mulets ne se rencontrent que très rarement dans la vallée du Saint-Laurent, tant sous le régime français que sous le régime britannique. Aussi, le terme « équidé » désigne ici uniquement les chevaux.

62 Les arrivants britanniques les mieux nantis apportent quelques bêtes d'outremer, mais les importations en provenance du Sud, et les exportations de la colonie en général, demeurent les principaux facteurs de changement.

(33)

la vallée du Saint-Laurent alors que plusieurs bêtes y sont introduites63, de telle sorte que le

type d'origine s'en voit modifié.

Cette transformation non organisée du cheptel équin colonial provoque puis stimule une réflexion quant aux besoins de la colonie et à la direction à prendre en termes d'agriculture et d'élevage, de même qu'un nouveau désir de structuration. Sur le terrain, la détérioration du type d'origine peut passer inaperçue pour les observateurs non avertis. Cependant, les spécialistes coloniaux de l'agriculture et de l'élevage constatent le déclin du cheval local dès les années 1830, et s'en inquiètent suffisamment pour commencer à chercher des solutions pour le contrer. Tout au long de ce processus de prise de contrôle sur les modifications du cheptel équin, ces spécialistes s'inspirent largement des lignes de pensée et des connaissances de la nation britannique, particulièrement en avance dans ces domaines pour la période64.

1.1 Le cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent : aspects quantitatifs

Avant de déterminer les implications de l'ouverture des frontières et de la réflexion sur l'élevage, il convient de dresser un portrait global et général du cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent pour la période. Les tableaux inclus dans la version imprimée des recensements agrégés du Canada de 1870-1871 permet d'obtenir une vue d'ensemble de la situation certes incomplète, mais néanmoins pertinente.

La liste des lacunes des recensements en tant que source pour l'étude du XVIIIe et du XIXe

siècle apparaît particulièrement longue. D'abord, les recensements agrégés de 1762 et 176565, de même que celui de 1851 ne permettent pas de déterminer le nombre exact de

chevaux pour l'ensemble de la colonie, car les bêtes ne sont pas recensées pour les villes de

63 Les Journaux de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada laissent notamment entrevoir l'ampleur de ce commerce.

64 Ces préoccupations ainsi que la crédibilité des autorités britanniques dans le domaine sont très nettement perceptibles dans les différents traités d'agriculture qui paraissent dès les années 1830 (Evans, Girod, Perrault) de même que dans le Rapport du comité spécial sur le rapport de la société d'agriculture du Bas-Canada, publié en 1850.

(34)

Québec et Montréal -ils incluent cependant Trois-Rivières. Il demeure possible d'établir un rapport chevauxmabitant puisque la population humaine totale sans les deux principales agglomérations a aussi été isolée. L'obstacle principal que présente cette situation réside dans le fait que pour les autres années considérées (1784, 1831, 1844), les données concernant les centres urbains ont été fondues avec les autres. Malgré tout, une courbe de l'évolution générale du cheptel équin dans la colonie peut être tracée à partir de ces informations, laquelle s'avère particulièrement intéressante une fois mise en rapport avec celle de la population.

Graphique 1. Évolution du cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent, 1765-1851 1000000 900000 800000 700000 600000 500000 400000 300000 200000 100000 0 1760 1780 1800 1820 1840 1860 ■ Population • Population extérieure

aux villes de Québec et Montréal

1 Chevaux

' Chevaux à l'extérieur des villes de Québec et Montréal

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

Tableau 1. Le cheptel équin de la vallée du Saint-Laurent, 1765-1851 66

1765 1784 1831 1844 1851 Population 69 810 (55 110) 113 012 553 134 697 084 890 261 (790 494) Chevaux (13 488) 30 146 116 686 146 726 (148 620) Chevaux / habitant (0,24) 0,27 0,21 0,21 (0,17)

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

66

(35)

Graphique 2. Évolution du rapport chevaux/habitant dans la vallée du Saint-Laurent, 1765-1851 o.i 0.05 0 •Chevaux/ habitant ' Chevaux / habitant à l'extérieur des villes de Québec et Montréal 1760 1780 1800 1820 1840 1860

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

En 1765, la vallée du Saint-Laurent compte 55 110 habitants et 13 488 chevaux à l'extérieur des villes de Québec et Montréal, alors qu'en 1851 les 790 494 habitants de la colonie disposent de 148 620 chevaux, toujours en excluant les deux cités. Le rapport passe de 0,24 à 0,17 cheval par habitant ; le cheptel équin continue donc d'augmenter tout au long de la période, mais moins rapidement que la population.

Tableau 2. Rapport chevaux/habitant pour les trois districts comparés en 1765 et 185167 1765 1851 Québec (0,19) (0,17) Trois-Rivières 0,25 0,2 Montréal (0,32) (0,2) Ensemble de la colonie (0,24) (0,17)

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

(36)

Le district de Québec présente en 1765 un rapport chevauxmabitant nettement inférieur à celui de Trois-Rivières, et plus encore à celui de Montréal. Cet écart entre districts peut s'expliquer par les saisies effectuées durant la guerre de Conquête. Dans son dernier ouvrage, Louise Dechêne affirme que l'armée commence à réquisitionner des bœufs et des chevaux auprès des paysans dès 1757, afin de nourrir ses hommes. Deux à trois ans plus tard, les saisies augmentent considérablement. « À la nourriture des troupes s'ajoute alors la demande de bêtes de trait pour l'artillerie et les autres besoins de l'armée et celle de montures pour les unités de cavalerie. Le prélèvement sur le cheptel paysan est si important que plusieurs craignent pour la survie des espèces »68. Ces confiscations débutent à Québec

mais s'étendent rapidement jusqu'à Trois-Rivières. Le capitaine de La Naudière a pour ordre de prendre tout le bétail qu'il trouve dans l'ensemble de cette région, à l'exception d'un animal de trait et d'une vache par deux habitations. Dechêne affirme cependant que des « levées considérables ont aussi lieu dans le gouvernement de Montréal à partir de l'automne 1759 »69. Enfin, les troupes de Wolfe se seraient livrées à du pillage au moment

de leur arrivée, laissant très peu de bétail aux habitants .

Même si l'ensemble du cheptel équin a diminué durant la guerre de Conquête, il apparaît que les trois districts n'ont pas été touchés de la même façon. Davantage éprouvée par la guerre, Québec présente en 1765 un rapport chevaux/habitant nettement en dessous de la moyenne coloniale. Apparemment moins affecté, le cheptel de Trois-Rivières marque tout de même un léger manque à gagner sur celui de Montréal. De façon générale, le nombre de chevaux présents dans la vallée du Saint-Laurent augmente tranquillement jusqu'à la fin de la période, alors que le rapport chevaux/habitant diminue.

L'étude de localités spécifiques révèle un rapport chevaux/habitant plus élevé, mais dont l'évolution correspond à la tendance générale de l'ensemble de la colonie. Les tableaux suivants montrent qu'entre 1765 et 1851, six localités du district de Montréal ont vu leur

68 Dechêne, op.cit., p.352. 69 lbid., p.353.

(37)

population et leur cheptel équin augmenter, mais à un rythme différent, qui fait diminuer le

71

rapport chevaux/habitant .

Graphique 3. Cheptel équin dans six localités du district de Montréal, 1765-1851

1765 Chevaux / habitant 1851 Chevaux / habitant

i f

f

&

Ù

J?

& & & s &

o

c

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

Tableau 3. Population et cheptel équin dans six localités du district de Montréal en 1765

Boucherville

(Chambly) (Verchères) Varennes Contrecœur (Verchères) (Verchères) St-Antoine (Richelieu) St-Denis (Richelieu) St-Charles

Population 749 1063 360 294 312 465

Chevaux 256 411 124 107 116 164

Chevaux /

habitant 0,34 0,39 0,34 0,36 0,37 0,35

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

Tableau 4. Population et cheptel équin dans six localités du district de Montréal en 1851 Boucherville (Chambly) Varennes (Verchères) Contrecœur (Verchères) St-Antoine

(Verchères) (Richelieu) St-Denis (Richelieu) St-Charles

Population 2764 3300 1555 1784 3260 1624

Chevaux 900 1223 432 765 969 476

Chevaux/

habitant 0,33 0,37 0,28 0,43 0,30 0,29

Source : Recensement du Canada, 1870-1871

(38)

Pourquoi les habitants d'une colonie en plein essor possèdent-ils de moins en moins de chevaux, animaux si utiles dans de nombreux aspects du développement? Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, et la réponse réside sans doute dans la combinaison de nombreux éléments. Le lent mais certain mouvement vers les centre urbains et les agglomérations en milieu rural72 est probablement l'un d'eux. Indispensable aux

déplacements dans la vaste campagne, le cheval n'est plus absolument nécessaire en ville ou même dans un gros village. Malgré cela, la moyenne d'équidés par habitant dans la vallée du Saint-Laurent demeure plus élevée que dans les pays européens pour la période73.

Tous et chacun ne disposent pas d'une bête pour leur usage personnel, mais à la campagne, par exemple, la plupart des familles en possède une.

L'immigration en proven,ance des îles britanniques74 peut aussi jouer un rôle dans la

diminution du rapport chevaux/habitant pour les dernières années de la période. Si le cheptel équin des districts de Québec et de Trois-Rivières se stabilise entre 1831 et 1851, celui du district de Montréal enregistre une baisse certaine. Or, les comtés nouvellement créés entre Montréal et la frontière avec les États-Unis présentent eux aussi un rapport chevaux/habitant réduit. En effet, si dans les vieux comtés canadiens de Verchères, Richelieu, Chambly et Saint-Hyacinthe, le rapport chevaux/habitant apparaît élevé et plutôt stable, sur les fronts pionniers de Stanstead, Sheffbrd et Sherbrooke, il s'avère généralement moindre en 1844 (mais en hausse jusqu'en 1851).

72 Brian Young et John A. Dickinson, Brève histoire socio-économique du Québec, Sillery, Les éditions du Septentrion, 2003 (1995, 1988), p.181.

73 « Agricultural Statistics of France and England », p.221. 74 Young et Dickinson, op.cit., p. 183.

Figure

Graphique 1. Évolution du cheptel équin dans la vallée du Saint-Laurent,  1765-1851  1000000  900000  800000  700000  600000  500000  400000  300000  200000  100000  0  1760 1780 1800 1820 1840 1860  ■ Population  • Population extérieure  aux villes de Qué
Tableau 2. Rapport chevaux/habitant pour les trois  districts comparés en 1765 et 1851 67  1765  1851  Québec  (0,19)  (0,17)  Trois-Rivières  0,25  0,2  Montréal  (0,32)  (0,2)  Ensemble de la colonie  (0,24)  (0,17)
Graphique 3. Cheptel équin dans six localités du district de Montréal, 1765-1851
Tableau 5. Population canadienne et cheptel équin entre Montréal et la  frontière sud (1844)
+7

Références

Documents relatifs

Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes Lundi, 6 décembre. Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faites

Là où le bât blesse cependant, c’est le manque de connaissances des aînés en ce qui concerne les différents programmes et services disponibles. « Les gens sont peu ou mal

Néanmoins, la prédominance de liens de parenté patrilinéaires dans le milieu paysan, par opposition à la variété plus grande des liens de parenté constatés dans les

- Obtention d’une autorisation, au titre des articles L 214-1 et suivants du code de l’environnement, de réaliser un bassin de rétention pour les eaux pluviales de la

Rapport sur l’état des océans pour la zone de gestion intégrée du golfe du Saint-Laurent (GIGSL). Pêches et Océans Canada, Rapport manuscrit canadien des sciences halieutiques

[r]

Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs Ministère de l'Environnement et de la lutte contre les changements climatiques Ressources naturelles Canada.

Dans les dix pôles Saint-Laurent, des produits ont été privilégiés pour assurer le déploiement du plan d’action 2014-2017 : les croisières internationales, les