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Connaître l'histoire, comprendre la société : un rapport en voie de mutation? : histoire de cas : une prise de conscience des vecteurs socio-historiques du casse-tête Canada-Québec

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Academic year: 2021

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(1)

UL

m*

STANLEY BREHAUT RYERSON

CONNAITRE L'HISTOIRE. ŒMPRENDRE IA SOCLETE: UN RAPPORT EN VOIE DE MUTATION?

HISTOIRE DE CAS: UNE PRISE DE CONSCIENCE DES VECTEURS SOCŒO-HISTORIQUES

DU CASSE-TETE C3^NADA/OUEBEC

Texte présenté

à l'Ecole des gradués de l'Université Laval

pour l'obtention

du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D.)

FACULTE DES LETTRES UNIVERSITE LAVAL

QUEBEC AVRIL 1987

f * (LIVI

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Page

IJMINAIRE 1 1. Les sources: famille, formation 4

2. Le mondial et le national 6 3. Les classes sociales 8 4. Cheminement d'une approche 10

5. Démocratisation et œntraintes 15 6. Le social et le national 20 7. Le dialogue marxiste-chrétien 25 8. Economie politique 27 9. Marxisme 30 10. Marthe... et Marie 32 11. "Quel avenir...?" 33 12. Mutation de rapports parmi les sciences? 34

13. Un monde gui bouge 36 INTEIRROGATIONS, CONJECTURES 40

BIOBIBLIOGRAPHIE 43 APPENDICE. Interventions à quelques œngrès

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"Histoire de cas": Face à la gageure que représentait une tentative d'expliciter le "sens de sa vie", se peut-il qu'on ait recours à l'invocation de la spécificité? Quoi qu'il en soit, c'est là l'option du présent texte. Le pari se fonderait sur la chance que certaines particularités de la trajectoire vécue fassent le jour sur le sens et la pertinence possibles de mes écrits. Le critère d'événements et de (conjonctures témoignerait donc, de façon négative ou positive ou incertaine, quant aux correspondances des choses et des mots. Tout partiel, et donc inadéquat que soit un tel pari, il permet toutefois de démarrer...

"Société" - "La société humaine peut être considérée en deux manières. Ou en tant qu'elle embrasse tout le genre humain, comme une grande famille. Ou en tant qu'elle se réunit en nations..." (Bossuet)

"Histoire" - Mot à double sens: "histoire désigne à la fois la connaissance d'une matière et la matière de cette connaissance." (P. Vilar) -1

Ce texte traitera de quatre notions dont 1 • interrelation laisse entrevoir une cohérence possible (ou souhaitée!) dans mon cheminement. Ce sont celles de classe, nation, democratisms, et métabolisme

(société/nature). Dans chacune se focalisent en quelque sorte des dimensions, telles que je les perçois, à la fois d'une conjoncture historique objectivement existante et de la spécificité du vécu subjectif.

1. Bossuet, La politique de l'Ecriture sainte. 1.

Sur Bossuet, voir J. Madaule, in Manuel de la littérature française, t. 2, Paris 1965.

P. Vilar, Iniciacion al Vocabulario del Analisis historico. Barcelone 1981, p. 17. (Version française en préparation).

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question; en particulier, mon directeur de conscience, le Professeur Jean Hamelin, à qui comme à chacune, chacun de vous, ma dette est d'envergure. Je remercie de tout coeur, également, la Faculté des Lettres et le Département d'Histoire de l'Université Laval, de m'avoir permis de vous soumettre ce plaidoyer pro vita sua.

Les ouvrages soumis à votre considération traitent de plusieurs volets d'un questionnement qui constitue, me semble-t-il, un déraominateur commun de ma vie (1911- ). Connaître l'histoire... comprendre la société: quel rapport peut-il y avoir entre les deux? Récemment, des charigements intervenus sur le plan du "métabolisme", société humaine/nature physique environnante, m'ont amené à repenser la question du rapport "histoire et société", comme lieu d'une mutation possible. Le présent essai tente d'expliciter les sources, le sens, d'un chendnement inachevé. Des écrits datant depuis 1937 jusqu'aux années 1980, leur toile de fond dans un vécu individuel ainsi que cxmnunautaire, leurs lignes de force possibles ainsi que leurs faiblesses certaines: voilà l'écheveau que j'ai la prétention de vouloir démêler, ne fût-ce que de façon nécessairement approximative.

Plus précisément, ces écrits sont centrés, pour la plupart, sur la nature des processus formateurs qui sont à l'origine du phérxxnène "Canada/Québec" contemporain. Les interrogations peuvent se résumer comme suit:

Quel fut le rôle, en tant que déterminants de contiiTuites/di^contonuités historiques, de l'évolution des structures de propriété et de pouvoir (classes sociales,

formes étatiques) et des individus?

Où situer la dimension "nationalitaire" (nationalité, nation, nationalismes) dans l'ensemble des processus étudiés?

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au Canada et au Québec?

Il s'agit, certes, de questions d'interrelations où se renouent des enjeux du présent et des problèmes du passé. Aussi controversés les uns que les autres: les débats n'en seront guère absents.

Mais d'où viennent ces points d'interrogation? D'un vécu et d'un contexte. Pour ce qui est de celui-ci, des dates peuvent servir de repères: 1914-1918; 1929; 1936; 1939-1945; 1956; 1968; 1970... Pour le vécu personnel, j'ai pensé, lors d'ébauches antérieures du texte, le reléguer à l'Appendice: mal m'en prit, il m'interpella, m'accusa de narcissi same déguisé. Il revint donc, quitte à accepter que le trop-plein de réminiscences se réfugie de temps à autre dans les Notes de référence.

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Bien avant d'en venir à rédiger 1837: the birth of Canadian democracy, qui traita des rébellions dans le Haut et le Bas- Canada comme faisant partie d'un seul processus historique d'ensemble (de l'époque des révolutions rourgeoises-démocratiques), j'avais bricolé, dès 1920, une pièce sur Léonidas aux Thermopyles, une brochure

(illustrée) sur les Guerres de religion en France, une pièce sur Cromwell (1927), une autre sur Abélard (1930). Non sans rapport avec plusieurs des thèmes choisis sont les dimensions d'une famille imbibée en quelque sorte d'histoire, où le militaire et le religieux occupent une place de choix, ainsi que le clivage Anglais/Français de la souche ancestrale. Un séjour de dix ans (1919-1929) au Upper Canada College va en accentuer l'empreinte, tout en suscitant un esprit de contestation radicale.

Famille et histoire: Tout d'abord, c'est l'arrière-grand-père Adolphus Egerton, dont le portrait à l'air sévère est un des premiers souvenirs: "le pape du Méthodisme au Haut-Canada", fondateur du système des écoles publiques, est dans la lignée des prophètes dénonciateurs du Mal. Son ouvrage, Storv of my life, m'inspirera une religiosité intense. Cofondateur avec lui de Victoria College

(méthodiste), John Beatty, père de ma grand-mère du côté paternel, avait accompagné comme aumônier à l'échafaud Peter Matthews, avec Samuel Lount, leaders du soulèvement de 1837. Une autre fille de Beatty devait épouser William McDougall, l'un des trois "Grits" qui adhéra à la Coalition de 1864, devenant par là l'un des "pères de la Confédération", celui à qui Riel devait refuser l'entrée au Nord-Ouest en 1869. ("Aunt Minnie" McDougall, dont je me rappelle bien, nous légua un lit en chêne de son mari, qui fut longtemps le mien: de telles vétilles laissent quand même leur trace! )

Le père d'Egerton Ryerson, le colonel Joseph, Loyaliste, avait servi dans les forces britanniques contre les insurgés américains; la tradition militaire ne sera reprise que lors de la Guerre de 1914. Mon

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cousin de ma mère, Thomas Brehaut Saunders: le souvenir des nouvelles de leur mort est encore vif. Mon père, chirurgien, officier au Canadian Army Medical Corps, se trouvait à Salonique, sur le front turc. Mes cauchemars enfantins, récurrents, virent grimper par la fenêtre de ma chambre des Allemands en casque de fer...

De retour d'outre-mer, le doc±eur-colonel m'amenait avec lui lors de sa tournée du dimanche matin à l'Hôpital Général de Toronto. Le mot

"histoire" évoqua tout d'abord, à mes sept ans, "case history".

C'est à la famille de ma mère, née à "Claire-Vue", la maison de son grand-père William Henry Bréhaut, sur le flanc de la montagne

(quartier Saint-Antoine), que je dois le lien avec une souche bretonne d'abord, ensuite guernseyaise. Le Bréhaut de l'Isle qui accompagna Montmagny à Québec au lendemain de la mort de Champlain, et qui fut commandant à Trois-Rivières vers 1638, est de cette famille; "l'Ile" est celle de Bréhat, sur la côte bretonne. Pierre Bréhaut, tonnelier, marchand et député de Québec-Comté à l'Assemblée du Bas-Canada

(1814-1817), est donc mon trisaïeul. Son fils épousa la fille de George Mortimer Taylor, de Chambly: ce vétéran de Waterloo, où il fut le plus

jeune porte-étendard ("ensign") britannique, était lui le fils de Eliza Mortimer, proche amie de Lady Emma Hamilton, la maîtresse de Lord Nelson; enfin un ancêtre, John Mortimer, avait publié à Londres en

1710, un ouvrage en deux volumes, The whole art of husbandry.

Trêve de telles minuties! Si je m'y suis laissé aller, ce fut d'abord pour insister sur un fait de conditionnement plutôt décisif, pour ce qui est de ma préoccupation avec le passé historique, ou historisant. Mais au cours de l'écriture même, ce qui vient de me frapper, est l'idée que par ces lignes je rends hommage à deux parents dont les précurseurs touchèrent à plusieurs facettes de l'histoire, et dont les champs d'intérêt, la Science et l'éducation pour l'un, l'Art et les langues pour l'autre, inflérhirent les paramètres de ma jeune existence.

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2. Le mondial et le na-Honal

A l'ombre de la Grande Guerre terminée, l'histoire se présentait surtout à l'échelle mondiale. A la cosmogonie biblique avec ses tonalités prophétiques (la toute première influence idéelle), était venu s'ajouter un conflit d'empires vécu en termes du Mal, menaçant, et des nôtres, le Bien. Mes premiers livres d'histoire, "Our Island Story" (Angleterre) et "France's Story", se situèrent dans la foulée des hauts faits des Alliés, victorieux. Mais dès 1921, l'ouvrage de H.G. Wells, Outline of History... of Life and Mankind, traita du phénomène de la guerre comme "a universal disaster, blind and monstrously destructive"; en tenant compte des "tragic happenings of the last few years", insista sur "the need for a common knowledge of the general facts of human history throughout the world..." A l'histoire enseignée de façon traditionnelle dans les limites ("too partial and narrow") de chaque Etat-nation, Wells juxtaposa non pas un agrégat impossible de ces histoires nationales, mais une histoire universelle abordée dans un esprit différent, et traitée d'une manière différente.2

Cette "nouvelle histoire" vaguement proto-socialiste alimenta en moi les débuts d'un double questionnement: de la religion d'abord, de l'ordre social ensuite. L'atmosphère d'un Upper Canada College orthodoxe et élitiste incitait plutôt à la contestation. L'histoire officielle de l'institution, fondée en 1829, porte en sous-titre "Colborne's Heritage". Le portrait du fondateur, de ce vétéran de Waterloo - et de Saint-Eustache! - dominait le Prayer Hall où se rassemblaient chaque matin les élèves. Ceux-ci, comptant des rejetons des Eaton, Birks, Seagram, Wood, Gundy, et encore, représentaient passablement bien le Family Compact contenporain, successeur de l'ancien.

2. H.G. Wells, The outline of history: being a plain history of life and mankind, Macmillan, N.Y., 3rd edition, 1921.

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plusieurs influences. A partir des premiers chapitres de l'ouvrage de Wells, sur la formation de la Terre, je m'enthousiasmai pour la géologie: vision d'un monde en évolution, cueillette de fossiles à la carrière de la rivière Don, entretiens au Musée ontarien avec des professeurs de paléontologie et minéralogie, amis de mon père; inscription en géologie à l'Université avant de passer aux langues modernes: voilà une source d'affrontement "science/religion". Simultanément, une réaction fort négative face à l'identification (que je trouvai pharisaïque) du ministre anglican local avec tout ce qu'il y avait dans notre petite société de plus snob et d'ultra-conformiste

(cours de préparation à la Confirmation, 1924).

Aux tiraillements entre religion et science, entre éthique proclamée et mise en pratique, s'en ajoutaient d'autres: d'ordre nationalita i re, si on peut dire. La bifurcation généalogique, le clivage ancestral Anglais/Français, semblait induire un dédoublement d'identité nationale. Normal, sans doute, pour un Canadien ayant des racines dans chacune de nos ''solitudes", cet état d'esprit légèrement schizoïde n'en fut pas moins aggravé, dans la mesure où des tensions familiales affectives ont pu agir en catalyseurs. Quoi qu'il en soit, l'image à la fois de soi et du pays en portait l'empreinte. Pour que rien ne soit simple, le Dominion canadien vivait alors, comme d'habitude, une de ses crises d'identité: ce fut le moment (vers 1922) où le Mail & Fi-r-pire torontois morigéna le premier ministre, Mackenzie King, pour avoir trop mis d'emphase sur l'autonomie et l'identité canadiennes, et trop peu sur la chose prioritaire, notre caractère de pays essentiellement britannique... Bien sûr, un demi-siècle après, il y aurait toujours un eminent historien pour écrire The Kirtadom of Canada et, dans un ouvrage connexe, pour identifier comme élément clé du sentiment d'identité canadienne, l'allégeance au monarque.3 Trône

3. W.L. Morton, The Canadian identity. Toronto, University of Toronto Press, 1964, p. 85.

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et Empire "on which the sun never sets", Eglise établie dont le monarque est le chef: tout se tient, ou presque. Douter de tels

fondements de l'ordre en place invitait une éventuelle subversion. En attendant d'y parvenir, je m'en tins à composer des vers sur un Canada qui pût devenir autre.

3. Les classes sociales

A l'origine d'un début d'aperception du phénomène des classes sociales, je situerais l'expérience d'un contraste aigu: entre le monde social de 1'Upper Canada College dans les années 1920, et celui de Paris, 1931... 1934. Le premier, en tant que microcosme de la

"bonne société" privilégiée, évoquait déjà un vague questionnement, aiguillonné par l'influence du socialiste fabien, Owen Classey.4 Mais

c'est l'ouverture aux chocs qui ébranlaient le monde social en crise de la "ville lumière" et mes premiers contacts avec le marxisme qui bouleversèrent mon jeune univers. Trois souvenirs me restent en tête: en 1932, une réunion de protestation contre la répression en Indo-Chine, colonie française; au récit horrifiant de supplices infligés, dont témoignèrent des victimes, vint s'ajouter à la sortie, place de l'Observatoire, l'expérience d'une attaque brutale par la Garde mobile contre plusieurs milliers de paisibles assistants. L'Etat impérial français ne démentait guère ce mot de Frédéric Engels, sur l'institution étatique en tant qu'appareil composé "d'hommes armés et de prisons". Et la question coloniale clamait sa parenté avec celle des classes dominantes et dominées. Cette même année, décès du vieux Camélinat, dernier membre survivant de la Commune de Paris: quelque deux cent mille travailleurs suivent le cortège funèbre au Mur des Fédérés du cimetière Père Lachaise. Palpable, la qualité d'historicité qu'affirmait ce mouvement ouvrier, en même temps que celle d'une urgente actualité. Hitler, au pouvoir dès janvier 1933, c'est l'incendie du Reichstag, le procès de Dimitrov: aux assemblées de

4. Owen Classey, ancien précepteur des enfants de H.G. Wells, professeur de français à Upper Canada College dans les années 1920.

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les émeutes de février 1934 où les groupements de l'extrême-droite française tentent l'assaut à la Chambre des Députés: les journées de manifestations qui s'ensuivent les 9 et (la grève générale) 12 février sont précurseurs du front unique d'une Gauche jusque-là profondément divisée, et de la formation du Front populaire, au pouvoir de 1936 à 1939...

De retour au Canada, la perception radicalement modifiée d'une société jusque-là méconnue se traduira par un engagement socio-politique déterminant. Chômage, grèves, répression, et guerre en Mandchourie se présentent comme symptômes d'un système social à caractère pathologique. Depuis la lecture à Paris du Manifeste cxanmuniste (1848) et de La révolution culturelle (A. Kurella, 1932), ainsi que la rencontre avec la gauche française, seule l'adhésion à un mouvement voué à l'abolition du système pouvait suffire. D'apolitique, donc, conversion au politique sous sa forme "chirurgicale". Le récit de cette immersion marxienne, une "demi-vie" en quelque sorte, commencée à Paris (1931) pour s'achever à Prague même (en septembre 1968), reste à faire. Il ne saurait en être question ici que sous l'angle des écrits qu'elle provoqua: tant sur le plan de prises de position qui me paraissent toujours valables, que de reconsidérations en cours depuis plusieurs décennies déjà.

Issue de la rencontre et interaction d'un certain vécu individuel et social avec le marxisme des années 1930, cette conversion suivra un cours bien particulier. La spécificité de ses paramètres s'exprimera dès les ouvrages sur "1837", "le Canada français"; elle se traduit par une préoccupation à l'égard des facteurs de classe sociale et de ration-communauté, leur rôle changeant et contradictoire lors de moments critiques divers de l'émergence du Canada/Québec contemporain.

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4. T<> É^v^inpmpjnh d'une approche

1. Au départ, c'est la prise de conscience élémentaire de ce qu'on a appelé la "dualité canadienne".

2. Constat de rapports d'"inégalité nationale":

- d'abord sur le plan socio-éconcmique: situation du Québec comparée avec celle de l'Ontario, ou du Canada anglais: puis, celle des Québécois francophones comparée à celle des anglophones.

(Données publiées dans Le réveil du Canada français (1837) et French Canada (1943), que confirmera massivement le Rapport d'Enquête "Bi-Bi" des années 1960).

3. Constat de l'inégalité nationale politique et étatique. Corrigeant l'illusion selon laquelle la concession du "gouvernement responsable" (1848) et la négociation de la Confédération (1867) auraient créé des rapports d'égalité politique, on en vient à reconnaître que la question nationale est toujours à résoudre sur tous les plans. L'enjeu est celui du droit à 1 'autodétermination nationale.

Un Anglo-Canadien (ou "Canadian") qui prend au sérieux le principe démocratique ne peut rester indifférent face à la situation faite au Canada français par les "ruses de l'histoire": situation d ' inégalité nationale. qu'ont révélée les deux seules enquêtes entreprises en haut lieu depuis '37: celles de Durham et de Laurendeau-Dunton. Dans ma propre "histoire de cas", cette question occupe une place majeure: la défense, en milieu anglophone, des droits et intérêts nationaux des francophones, son illustration en termes historiographiques (1837. French Canada. Unequal Union, et plusieurs centaines d'articles, allocutions, interventions - dont quelques-unes à des congrès internationaux d'historiens et de sociologues) ; à quoi s'ajoute, en milieu francophone, un appui aux courants nationaux-démocrates qui combattent toute tendance chauvine ou xénophobe, ir*compatible avec les solidarités progressistes, internationalistes.

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Depuis Le réveil du Canada français (1937) jusqu'au Mémoire présenté à la Commission de l'Assemblée nationale du Québec sur La Charte de la langue française (1977) et l'appui du OUI en mai 1980, ainsi que dans l'ouvrage actuellement en préparation sur "La nationalité et le changement societal", la position essentielle s'est maintenue.

Les deux ouvrages de débutant posent le problème du pays Canada: 1837. et French Canada, a study in Canadian democracy. Le premier, en guise de protestation contre l'oubli officiel du centenaire de luttes fondatrices des institutions démocratiques canadiennes: que le cent-cinquantenaire rencontre des réticences semblables, le drame outre-mer du bicentenaire de 1789 ("La France divisée, la fête menacée": Lire, février 1987) peut nous aider à le comprendre.

L'enjeu démocratique était palpable, au Canada et au Québec, pendant ces années de crise économique. L'Article 98 du Code criminel

(Fédéral) interdisant les idées dangereuses venait d'être abrogé grâce à une campagne de pétitions (un demi-million de signatures). La Loi du Cadenas de Duplessis vint le remplacer (mars 1937); l'année suivante, ce sera la mise à sac de ma bibliothèque, comme bien d'autres, se soldant par la perte d'une centaine de volumes "suspects": on les brûlait, à côté de la Place d'Armes, aux quartiers-généraux de la police provinciale. (Vingt ans plus tard, la loi sera abrogée).

Le second, French Canada (1943) fut rédigé dans les conditions de clandestinité découlant de la Loi des Mesures de Guerre (1940-1942). Là où le premier avait vu le jour dans le contexte de la période des guerres de Mandchourie, d'Ethiopie et d'Espagne, prodrome de la nouvelle Guerre mondiale, celui-ci prit sa place pour ainsi dire dans

"l'effort de Guerre" antifasciste.

La traduction française par André D'Allemagne d'un quatrième ouvrage, Unequal Union, s'acheva à l'ombre de la Loi des Mesures de Guerre (fin 1970) : cette même loi qui avait été en vigueur alors que

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j'écrivais French Canada (1940-42), et qui m'a valu un bref stage d'internement à cause d'un article intitulé "French Canada, thorn in the side of imperialism". Deux ans plus tard le Premier Ministre, M. King, devait me féliciter à l'occasion de la parution de French Canada. De la rencontre d'un marxisme plutôt élémentaire avec une historiographie constituée, traditionnelle, se dégagèrent quelques échanges plutôt inédits pour cette époque-là. La lecture proposée des soulèvements de 1837-38 comportait une mise en relief du rôle dynamique des forces populaires dans le mouvement séculaire pour la démocratisation décolonisatrice. L'approche en termes de rapports conflictuels de classes sociales heurta de front le mythe d'un passé canadien résolument conformiste, irmocent de tout ferment radical. Tout aussi subversif fut l'énoncé intempestif d'une pertinence possible pour la société contemporaine en crise, de l'enjeu du combat opposant "Family Compact" et "yeomen and mechanics" d'il y a un siècle et plus.

Que la structure sociétale des colonies de l'Amérique du Nord britannique se prolonge, sous bien des rapports, sans solution de continuité majeure, jusqu'au siècle présent, voilà ce qui témoigne à la fois de la pérennité d'une société de marché, de sa "question nationale", et de l'inachèvement de sa démocratie. Les modifications constitutionnelles de 1791, 1841, 1867 et 1982 signalent certes des variantes significatives, sans que se produise de mutation en profondeur du caractère essentiel des dominantes, de la propriété et de son pouvoir.

Une erreur de taille que j'ai commise dans mon 1837 concerne la place accordée à la dimension nationalitaire du Bas-Canada. Non pas que ce fût un tort que de reconnaître le rôle significatif joué par la solidarité des mouvements coloniaux face à Lowning Street. L'erreur consista en la sous-estimation du national sur le plan théorique et analytique.

Ce jugement erroné ne pouvait qu'avoir pour effet de masquer l'une des deux composantes de l'Etat bourgeois en formation: celle

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d'appareil non seulement de pouvoir de classe, mais de pouvoir de nation dctninante, anglo-canadienne. (Corrélatif de cette édulcoration, se manifestait un manque de prévision quant à une éventuelle émergence à nouveau de nouvements nationaux-démocratiques: d'où la surprise face aux événements des années 1960 à 1980).

Il y aurait plusieurs façons d'évaluer cette faille concernant les rapports entre classe et nation. J'y assume pleinement ma propre responsabilité, en tout premier lieu; ce n'est donc pas en vue de l'éluder ni de l'amoindrir si je constate ce qui me semble être un lien avec une tertdance analogue qui se fait jour dans le marxisme

"orthodoxe". A partir d'une forte tentation "économiste", on y affirme une primauté omniprésente du facteur des classes en conflit, ce qui se traduit de façon mécaniste par une méconnaissance de la dimension nationalitaire, réduite au statut de simple épiphénomène qu'on peut négliger iirpunément.

"Affaire de sentiment, rien de plus!" C'est en ces termes hautains qu'on a cru régler l'épineux problème du nationalisme au Canada et au Québec. Expédié aux limbes des "instances" de surface que serait l'idéologie, voire la conscience même, le problème se verrait résoudre comme retombée automatique de la Révolution économique. Le mot célèbre du Manifeste se prêtait d'ailleurs à cette solution de facilité: "Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation. Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles".5

On reviendra là-dessus.

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Prises de position:

Sur la société dite capitaliste, et son remplacement par une société alternative, communautaire, fondée sur la prise de possession collective des grands moyens productifs.

Sur l'indépendance canadienne, face à l'Empire britannique d'abord, puis face à l'Empire américain.

Pour l'autodétermination du peuple-nation francophone au Canada, soit au moyen de la restructuration de l'Etat canadien en états associés sur un pied d'égalité, soit par la sécession du Québec. Pour 1 ' autodétermination des peuples autochtones (égalité, "self-government") .

Pour l'égalité des sexes, enjeu majeur d'une démocratisation sociétale, culturelle, politico-économique du Canada/Québec.

Les positions prises au sujet de la "question nationale" peuvent se dégager ainsi: conditionnés par les processus historiques sur les plans démographique, économique, militaire, socio-politique, religieux et culturel, les rapports entre les deux cxinmunautés nationalitaires (francophones et anglophones) se caractérisent par une profonde ambivalence. A une identité partagée, dont la désignation

"Canaâiens"/"Canadians" témoigne d'une association historique de longue durée, se joint une condition d'inégalité tout aussi ancienne.

Le Canada s'est constitué à même de processus de colonisa-tion/décolonisation, d'iridustrialisaticn tronquée et dépendante, durant les époques de dominance britannique, puis américaine. Son autonomie, plutôt relative, s'est affirmée face à Londres, ("the City"), puis face à Washijigton (et "Wall Street"). L'expression réaarrente d'une volonté d'union des gens du Canada, et leur désunion interne, se jalonne: 1837-1838, 1848 (le self-government colonial amorcé), 1867; le partage, moitié-moitié à l'intérieur du groupe fraracophone lors du vote sur la

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Confédération (Débat de 1865), se retrouve à nouveau en 1980 (Référendum au Québec). Et pourtant, ce qui est nouveau à cette dernière date est la présence à Québec d'un gouvernement souverainiste

(une première), et l'articulation en termes d'Egal à Egal de l'aspiration à une refonte des structures étatiques du Canada. Cette volonté (ou velléité) historique a échoué. Le problème, toutefois, demeure.

A travers moult débats et polémiques, c'est la notion d'égalité nationale qui a focalisé mon approche.

5. La démocratisation - et ses contraintes

Les Canadas d'il y a cent-ciriquante ans firent figure de colonies oligarchiques, dont les structures oppressives engendraient d'importants mouvements oppositionnels. A caractère à la fois national et social, les diverses revendications des Patriotes et des Réformateurs dans le Bas et le Haut-Canada traduisaient une volonté certaine de changement, où se mêlaient ce que nous appellerions aujourd'hui décolonisation et projet de société. Ces éléments de programme commun émergent comme le fruit d'une longue évolution: ce n'est qu'à la toute fin de la période, lors d'insurrections dans les deux Canadas, que le mot d'ordre d'"Indépendance!" est lancé, mcmentaraément. Pour ce qui est d'une ébauche de projet de société en quelque sorte alternative, on le devine, après le fait, et de façon plutôt conjecturale, à partir de revendications partielles exprimées dans des résolutions d'assemblées populaires, ainsi que dans les

"Quatre-^ingt-douze" (à Québec) et le "Statement of grievances" (à Toronto). On constate, enfin, la présence confuse mais indéniable d'une dimension unitaire, plus qu'une simple velléité, d'action commune et solidaire.

Il s'agira dans l'ensemble de mouvements en faveur d'une profonde démocratisation. Leur échec sera lourd de conséquences, mais leurs suites connaîtront quelques retombées positives.

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Attardore-nous un instant aux volets "national" et "social". A l'échelle de ces colonies dont l'ensemble porte la désignation de "British North America", c'est un rapport commun de dépendance coloniale qui engendre un éventail de griefs, de tensions et d'éventuels affrontements. A la dominance impériale, métropolitaine, se greffent, dans des provinces assez nettement différenciées, des réseaux de structures politiques, religieuses, socio-éœncmiques et culturelles. Depuis 1791 pour ce qui est des Canadas, et antérieurement dans le cas de Terre-Neuve et des provinces "maritimes", un double palier de polarisation s'est fait jour: d'abord, entre d'une part Downing Street et ses gouverneurs, représentants de la Couronne, et d'autre part, la masse des colons; ensuite, à l'intérieur de ces sociétés provinciales, des aires de conflit interne, traduisant des patterns différents selon les régions, de propriété et de pouvoir socio-économique et politique.

La différence, parmi les régions, se situe au long d'un clivage fort particulier: il est de caractère nationalitaire. Si dans les cas du Haut-Canada et des provinces coloniales atlantiques, le rapport avec Iondres se vit "en anglais" (ccmme cela avait été le cas pour les "Treize colonies" d'avant 1775), au Bas-Canada c'est une société francophone, prolongeant celle de la Nouvelle-France, qui vit sur un tout autre registre sa situation de colonisée. A cette distinction cruciale correspond également une spécificité particulière du clivage interne: ici, les rapports de propriété et de pouvoir portent l'empreinte d'une inégalité nationalitaire aussi bien que celle du seul statut colonial. (On n'a qu'à se rappeler le rapport d'ancien régime français, idéalisé par certains historiens en termes de "mère nourricière11 métropolitaine, pour en saisir le parallèle désormais

modifié.)

Parmi les objections qu'a soulevées mon "analyse difficile" en termes de classe et de nation, la plus sérieuse me paraît celle-ci: Comment peut-on poser en principe une existence de rapport historique, d'abord entre industrialisation capitaliste et démocratisation, ensuite

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entre les forces motrices ainsi identifiées et la question nationale, l'enjeu d'autodétermination étant d'ailleurs qualifié de national-démocratique?6

Pour moi, on ne saurait faire autrement du moment qu'on rejette les interprétations "établies": soit celles qui voudraient tout expliquer en termes de nation (et nationalisme) exclusivement, soit celles qui optent pour la lutte des classes dans le même esprit d'exclusivisme unidimensionnel et réductionniste. Dès qu'on écarte comme illusoire l'idée fixe, "pu classe, ou nation", on est amené, veux, veux pas, à être confronté au difficile enchevêtrement des deux.

L'inauguration depuis le 16e siècle environ, dans les principaux pays "occidentaux", de sociétés de libre entreprise entraîna un dépassement et une refonte des sociétés d'Ancien Régime. Le lien rattachant à la libre circulation des marchandises l'instauration de structures politiques parlementaires et les libertés de parole et d'association devenait signe palpable de démocratisation. D'autre part, dans bien des cas lors de la transition depuis le moyen-âge jusqu'à la modernité, les dimensions nationalitaires s'entrecroisent avec celles de la démocratisation. La révolution néerlandaise incorporait une guerre de libération nationale contre l'Espagne et le Saint-Empire. L'unification italienne s'est faite contre les armées autrichiennes. La ''décolonisation" des Treize Colonies, comme celle des pays d'Amérique latine, s'est faite au moyen de guerre d'iradépendance nationale. Processus qui fut donc simultanément "national" et "démocratique".

Le cas canadien ne se distingue de ce pattern d'ensemble que par sa complexité. A partir d'opérations colonialistes mercantiles qui subjuguèrent les peuples aborigènes, deux colonies de peuplement, française et anglaise, s'affrontaient en concurrents. La conquête

6. J.-P. Bernard, Les rébellions de 1837-1838. Montréal, Boréal Express, 1983, pp. 260-263; voir aussi pp. 45-46, 55, 61.

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impériale anglaise du Canada, suivie de la révolte des Treize Colonies anglo-américaines, nous légua les provinces coloniales de l'Amérique du Nord britannique. D'où la présence ici de deux questions nationales: celle de colonies versus métropole, et celle de la situation d'inégalité nationale interne.

On a affaire à deux paliers d'inégalité nationale: celui du rapport métropole-colonie, et celui des rapports entre communautés à 1 ' intérieur de la colonie (ou ex-colonie).

Au premier palier, il a pu y avoir dénominateur commun d'opposition à "Downing Street" de la part de colons francophones et anglophones. Une telle solidarité anti-impériale pouvait constituer le noyau d'un éventuel sentiment d'identité partagé par des membres de ces deux communautés. (Elle sera étayée, aussi, par des éléments solidaires chez des démocrates radicaux tant de la métropole que des Etats américains voisins).

Au second palier, à l'intérieur des provinces coloniales de l'A.N.B., l'éventail des rapports entre francophones et anglophones se complexifie. "Two nations warring in the bosom of a single state": le dicton de Durham traduit une partie du réel. Le rapport d'inégalité coloniale face à la métropole se différencie en autant qu'il soit vécu par des Britanniques ou par des "Français du Canada"; mais aussi selon la profondeur des attaches socio-économiques et politiques avec les couches dominantes en Angleterre: lien de clivage où les distinctions de classe et d'ethnie s'entrecroisent. D'où l'importance qu'il y aurait à ne pas "absolutiser" les caractérisations proposées. La communauté d'intérêts anti-colonialistes dans les deux Canadas oblige à nuancer la formule des "nations warring", sans pourtant l'effacer. Les structures d'inégalité internes aux Canadas, qui coïncident largement avec les démarcations ethniques, sont fondamentales, sur les plans éœriamique, politique et culturel. Il en résulte un enchevêtrement d'enjeux ratiaralitaires et sociétals.

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chaque côté une variante de nationalisme: chauvin et réactionnaire de la part de l'oppresseur, démocrate et progressiste chez l'opprimé. La distinction n'exclut, de part et d'autre, ni ethriocentxisme ni fanatisme. Elle est axée, pourtant, sur la contradiction réelle que recèle toute injustice, et qui incite à son dépassement. Le mot de La Minerve du 16 février 1832 vaut pleinement: "Or, nulle nation ne veut obéir à une autre par la raison toute simple qu'aucune nation ne saurait commander à une autre."

Aurais-je sous-estimé le poids du sentiment national des dominés? Et par ce fait même, escamoté l'acuité de la tension interne, génératrice de nationalisme "tout court", de part et d'autre? Il me

semble probable, quoique j'aie des réserves à ce sujet: le seul fait d'insister sur la dimension des rapports de propriété et de dépossession, en fusion avec le nationalitaire, peut sembler être une déconsidération de celui-ci au profit d'un "eooriomisme" étroit.

Ce dont je suis plus certain, c'est l'urgence d'un approfondissement, à la fois concret et (xnceptuel, de la notion d'égalité. Dans son Introduction à La thématique contemporaine de l'égalité: répertoire, résumés, typologie. Louise Marcil-Lacoste insiste sur la façon dont "cette triple démarche exploratoire a non seulement permis de décrire en détail la polysémie phénoménale de la notion contemporaine d'égalité... caractéristique percutante mais largement ignorée de la thématique contemporaine — mais en outre de présenter en même temps cette polysémie elle-même comme le résultat direct du caractère problématique de la notion contemporaine d'égalité..."

"Car qu'il s'agisse de reformuler aujourd'hui dans sa précision même la mise en garde que Locke avait attachée à sa défense de l'égalité - cette dernière, insistait-il, ne saurait être interprétée comme l'apologie de "toutes les sortes d'égalité" -; qu'il s'agisse de reprendre à neuf le programme rousseauiste de détermination des causes de l'inégalité, dans un univers désormais marqué de l'extraordinaire contribution de Marx; qu'il s'agisse encore de prendre la mesure, après de Tocqueville, du

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degré de compatibilité possible entre les idéaux égalitaires et les idéaux démocratiques de liberté; qu'il s'agisse enfin de savoir si, comme Babeuf, on entend viser à un concept d'égalité parfaite dont l'abbé Mably avait introduit le rêve, le penseur contemporain ne saurait faire l'économie de l'extraordinaire complexité de la thématique contemporaine de l'égalité".7

6. Le social et le national — et la démocratisation

"For Ryerson, Marxism was merely a semantic updating of the neo-nationalist interpretation." La boutade de Monsieur Fernand Ouellet fait d'une pierre deux coups: le nationalisme étant nocif, et le marxisme suspect, le tour est vite joué. Ou presque. Mais avant d'en venir (fort brièvement) à la dimension ad hominem. notons un aspect de la saillie qui n'est peut-être pas sans signification. Le passage, qui porte comme sous-titre "The Marxist-nationalist school", débute ainsi:

"Since 1960 nationalism with a separatist flavour has spread within Quebec intellectual circles... This wide acceptance of the neo-nationalist interpretation caused fear among a number of historians that its inordinate preoccupation with rationaliste history would hinder the development of social history, indeed, the nationalists had accepted Marxist and socialist thought, which aimed at

forging an unbreakable link between nationalist aspirations and social demands. English-Canadian historiography had already established a tradition in this

field since the pioneering work of Stanley Ryerson, whose first book appeared in 1937".8

Le point névralgique, apparemment, se situerait à l'entrelacs d'aspirations nationalistes et de revendications sociales. Pour des raisons qui demeurent obscures, une telle jonction menacerait jusqu'au développement même de l'histoire sociale. Drôle d'histoire "sociale", que celle qui prend panique à la seule idée d'une "préoccupation démesurée" avec l'histoire "nationaliste". On aurait pu supposer 7. Louise Marcil-Lacoste, La thématique contemporaine de l'égalité. Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1984, pp. xv, xviii. 8. Fernand Ouellet, in D.A. Muise, ed. A reader's guide to Canadian

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qu'une ccmpréhension tant soit peu adéquate des processus réels permette d'intégrer le national et le social, plutôt que d'ériger les clôtures infranchi astables. Mais voilà: on l'avait bien dit: "Fernand Ouellet, malgré sa contribution remarquable à l'histoire économique et conjoncturelle, se situe parmi les adeptes d'une certaine psychiatrie dès qu'il est question du nationalisme". Ou encore:

"ï.'fTisd-r>ire économique et sociale du Québec: 1760-1850 constitue à la fois l'étude d'envergure la plus considérable de l'économie de cette période qui ait été entreprise jusqu'à présent, et l'énoncé d'une thèse politique. L'analyse des données d'une vaste opération quantitative nous éclaire sur les grandes conjonctures et le mouvement d'ensemble de l'économie. Mais dès qu'il s'agit de l'analyse des rapports de classes sociales et de mouvements politiques, l'auteur nous ramène à la thèse de Donald Creighton. A la suite de l'historien conservateur anglo^canadien, il voit dans les Patriotes de 37 un facteur rétrograde, voire réactionnaire."9

La thèse de Creighton: "Decked out in the repellent garb of political reaction, the merchants fought to prosper and extend their commercial power. The French Canadians, masquerading in the

fashionable hues of liberal democracy, were heart and soul in the defence of the ancien régime. " (Commercial Empire of the St. Lawrence).10

A force d'idéaliser l'empire mercantile et ses tenants, on est amené à anathémiser leurs adversaires. Le nationalisme de ces derniers serait coupable, mais celui de ceux-là, admirable. Le plus curieux, c'est que de véritables cordillères de données quantitatives, laborieusement amoncelées, sont parfaitement irinccentes dans la fabrication d'interprétations ubuesques appliquées, tête dessous, tête dessus, à tout autre champ du réel social.

Comme l'a remarqué Pierre Vilar, il y a dogmatisme de 9. Stanley B. Ryerson, Le capitalisme et la Confédération. Montréal,

Editions Parti pris, 1978, pp. 16 n., 329.

10. D.G. Creighton, cit. in Stanley B. Ryerson, French Canada. Toronto, Progress Books, 1944, p. 50.

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l'abstraction, et dogmatisme de l'empirique.11 Dans le premier, les

marxistes ont souvent sombré - j'en sais quelque chose, culpa mea; du second, souffrent les affligés d'une espèce de "vision de tunnel". Plus sérieux encore que l'excommunication prononcée contre ceux qui depuis 1960 auraient diffusé "nationalism with a separatist flavour... within Quebec intellectual circles" est la suggestion d'une sorte dé culpabilité par association qui lierait le souci d'intégrer le social et le national dans une interprétation historienne, d'une part, et une irresponsabilité par rapport à la recherche, d'autre part. S'agissant d'"authors who try to write general, interpretive works without bothering to carry out detailed research - an exercise which might allow them more fully to grasp the significance of the historian's task."12

Pour moi-même, ayant maintes fois signalé mes propres insuffisances sous ce rapport, je n'insiste plus là-dessus; mais comme on évoque dans le même souffle des noms comme ceux de Gilles Bourque, Nicole Laurira-Frenette, Alfred Dubuc, Marcel Rioux, et encore — je me demande s'il n'y va pas de marxisme bien plus que de '•méthodologie", et que ce soit là la cible réelle de l'engueulade précitée...

Peu après cette sortie (parue dans un manuel scolaire, n'en vous déplaise! - pour être suivie d'une amplification par personne iraterposée dans la revue Histoire sociale), Fernand Ouellet a fait rapport à un colloque sur "la Situation de la recherche, 1962-1982". Après avoir traité de la version hi^toriographique traditionnelle, qui présentait la Nouvelle-France sous les couleurs idylliques, ne connaissant ni classes ni tensions ni conflits, le rapporteur constate qu'on l'a contestée:

"La réaction contre ce courant historiographigue avait

11. P. Vilar, "Crise de la pensée historique", in T P S rrHses de la pensée scientifique contemporaine. Louvain, Desclée de Brouwer (c.

1970), p. 62.

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débuté en 1937 avec Stanley Ryerson, qui avait alors posé le problème de l'émergence à long terme d'une bourgeoisie nationale canadienne industrielle en utilisant la théorie de la transition du féodalisme au capitalisme. C'était un geste qui visait à redonner à la seigneurie tout son sens traditionnel, restituait aux seigneurs une place de choix dans la structure sociale et à la paysannerie un rôle spécifique. Ce ne fut que beaucoup plus tard, après 1965, que ces façons de voir furent prises en charge d'une façon différente par moi-même et, en 1971, par Louise Dechêne."13

Obtus, pour ne pas dire "épais", je saisis mal comment ma "remise à jour sémantique de l'interprétation néonationaliste", faussement affublée de l'étiquette "marxiste", eût pu être prise au sérieux au point d'influencer (pour ne pas dire infléchir), même avec un retard de trente ans, l'histoire sociale québécoise... Quoi qu'il en soit, qu'on n'aille pas croire que je ne sois pas reconnaissant de cette mention aussi bienveillante qu'inattendue!

Que "la nation" incorpore toute la variété (et variabilité) des structures faites de rapports de propriété, de travail, de sexes, de culture et de pouvoir, cela oblige à discerner et à différencier leur apport respectif. Dans l'optique marxienne, j'ai privilégié comme déterminant le rapport C^ital/Travail. Là-dessus, je m'obstine, surtout face à ce qui me semble être des envolées mystificatrices au sujet soit de notre société soi-disant ••post-industrielle" présente, soit de l'avènement de son succédané, celle de "l'information" qui bannirait la matière d'abord, la conscience ensuite.

Cela dit, je n'accepte point l'occultation de la variété des rapports sociaux, au nom du dicton "il n'est d'histoire que de modes de production" ou encore "toute l'histoire passée n'est que celle de luttes de classe". (J'y ai consacré une allocution intitulée ''Nothing else but...", à l'Université Dalhousie en 1981.) La "dernière

13. F. Ouellet, "Situation de la recherche, 1962-1984, in" Recherches Sociocn-aphiques. XXVT, 1-2, 1985, p. 28. Voir aussi G. Frégault, Civilisation de la Nouvelle-France. Montréal, Fides, (1944), pp. 184-185.

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instance" n'est plus, pour moi, l'éconcmdque; c'est plutôt le métabolisme scxnété-humaine/envirorinement matériel, équation dont la

stabilité, pour ne pas dire la pérennité, semble être mise en cause de nos jours d'une façon qui est sans précédent.

Le mouvement d'affirmation nationalitaire des Québécois frariccphones (1960-1985), a modifié sensiblement le rapport, à l'intérieur de l'Etat fédératif, entre les communautés "anglaise" et "française". Sans toutefois changer l'essentiel. Certes, s'est vu amender dans certains de ses aspects le cadre constitutionnel "rapatrié" de Westminster. Mais nullement dans le sens d'une restructuration qui établirait un rapport d"'égal à égal" des deux sociétés.

Il y a jusqu'à une dimension du paradoxal, qui elle même souligne avec FmjThasp le "non-lieu" de telle restructuration. Alors que le fait français canadien demeure au plan du non-dit: refus de sa reconnaissance même verbale, au point d'assurer l'absence du Québec lors de l'adoption du texte, et son refus subséquent d'entériner la "nouvelle Constitution" (sic)... Evénement pourtant assorti de deux éléments de nouveauté proprement historique, dont le pays est indirectement redevable au séisme québécois: à savoir l'inclusion dans le texte constitutionnel de la reconnaissance, fort modeste mais nouvelle, des droits des peuples autochtones et des femmes.

Le remous national, qui a paru échouer sur le plan d'une restructuration politique du pays, va peut-être s'avérer quand même fécond au niveau des consciences. Le traitement de choc servi au Canada anglais par l'élection au Québec en 1976 d'un gouvernement souverainiste a miné les bases d'une indifférence complaisante jusque-là inébranlée.

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7. Le dialogue marxiste-chrétien

En accompagnant Roger Garaudy lors de sa visite de 1970 chez les Dominicains à Montréal, j'eus le sentiment de reprendre le fil de discussions antérieures dont certaines avaient trouvé leur place dans notre revue trimestrielle, Marxist Quarterly. L'aqgiornamento auquel oeuvrait le Concile de Vatican II, sous l'impulsion de Jean XXIII et de bien d'autres, non seulement rencontrait à mi-chemin des souhaits plus ou moins articulés dans la Gauche; bien plus, il stimula des velléités de changement ultérieur dans cette Gauche elle-même.

L'opposition irréductible entre ontologies matérialiste et spiritualiste ne se laissait point estomper. Mais sur le plan de la dénonciation des injustices sociales, un terrain commun incitait aux échanges. L'évocation de certaines paroles des Prophètes (Isaïe, Amos, Menée) me rappela de très lointains souvenirs, plutôt formateurs; or, à réfléchir ces temps-ci aux paroles des rédacteurs de la revue Maintenant, dans leur discussion avec Garaudy, on ne peut que constater

la continuité tant avec les échanges actuels autour de la "théologie de la libération", qu'avec certains propos de Jean-Paul II lors de sa visite au Canada. Celui-ci évoquait les déclarations des évêques catholiques canadiens - plus spécialement leur déclaration sur la crise de l'économie, en date de décembre 1983, qui parlait en ces termes du défi essentiel qui confronte les Canadiens et leurs gouvernements: "La contradiction fondamentale de notre époque est celle de la dénomination structurale du capital et de la technologie dans leurs rapports avec les personnes, le travail, la communauté. Rien n'y suffira qui soit en deçà d'une transformation structurale totale de ces rapports".14

Dans le contexte du colloque de votre Faculté des Sciences sociales sur le thème, "Nouvelles sciences et sociétés", il m'a été donné de signaler les paroles de ce visiteur pontifical lors de sa 14. Cit. S.B. Ryerson et J.-Cl. Guédon, "Rapport Canada: Innovation technologique et ses impacts". Congrès de Stuttgart du CI.S.H., 1985 (sous presse).

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bénédiction de la flottille de pêche à Fiat Rock, Terre-Neuve: "Bien avant de venir sur ces côtes, les Européens péchaient déjà dans ces eaux. En tous ces villages de pêcheurs qui parsèment le littoral, vos ancêtres et vous avez levé l'ancre par tous les temps pour tirer votre subsistance de la mer, souvent même au péril de v o s vies.

Aujourd'hui, votre vie est marquée par une insécurité toute différente, qui vient non plus de la mer, mais des conditions nouvelles de l'industrie de la pêche et de l'économie mondiale.

Ici, à Terre-Neuve, plus encore qu'ailleurs le Canada, vous avez ôlirement ressenti le fardeau du chômage qui s'est abattu tel un fléau sur les espoirs d'un si grand nombre d'entre vous, les jeunes surtout, qui savent d'expérience comment le défaut d'un travail satisfaisant peut les atteindre dans tant d'aspects de leur vie, comme

il touche la société elle-même.

Quel cruel paradoxe que de vous voir si nombreux ici même en détresse financière, vous qui pourriez travailler pour nourrir vos semblables, alors qu'au même moment, la faim, la malnutrition chronique et le spectre de la famine touchent des millions de gens.

Moyennant une judicieuse intendance, la mer continuera à nous offrir ses moissons. En revanche, depuis quelques années, les entreprises de conservation et de distribution des produits alimentaires se sont retrouvées concentrées dans des mains de moins en moins nombreuses.

En fin de compte, c'est la sécurité de l'approvisionriement alimentaire mondial qui s'en trouve d'autant plus compromise, dans la mesure où il se trouve régi plutôt par le souci du profit de quelques-uns que par les besoins de la majorité.

Les évêques du Canada ont souvent déploré le coût humain d'un tel câjânage, et surtout les ravages qu'il exerce dans la vie familiale.

J'ajoute ma voix aux leurs en faisant appel à tous les chargés de pouvoir afin qu'ensemble ils s'efforcent de trouver une solution aux problèmes de l'heure, ce qui suppose une restructuration de l'économie de manière que les besoins humains l'emportent toujours sur le gain

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financier".15

Se peut-il que le fil œnducteur de notre problème avec le défi technologique dans nos sociétés capitalistes (autre est le problème des pays du "socialisme réel"), se retrouve à partir des rapports sociaux qui forment l'axe central de leur évolution? La concentration incessante des entreprises "dans des mains de moins en moins raombreuses", dans une société régie "plutôt par le souci du profit de quelques-uns que par les besoins de la majorité", est-elle autre chose que cette structure de société fondée sur la propriété et le pouvoir minoritaire, dont le cheminement historique a abouti jusqu'ici à deux guerres mondiales et à deux crises écoroniques mondiales?

Nôtre monde a connu quelques mutations majeures: révolution du néolithique, révolution industrielle... Si certains nous assurent que voilà, la nôtre est devenue société •'post-industrielle", ils sont peu nombreux parmi eux et leurs adeptes qui suggèrent une "restructuration de l'économie de manière que les besoins humains l'emportent toujours sur le gain financier". Car cette restructuration-là supposera une action collective de nature, non plus verbale, mais socio-politique, éthique et culturelle: un véritable "virage de société".

Dans leur ouvrage Ethics and économies qui traite des positions de la Conférence des évêques canadiens, Gregory Baum et Duncan Cameron constatent que "30 pour cent environ du Profit net national prit la forme de dividendes, d'intérêt et d'autres revenus d'irivestissement".16

8. Une économie politique qui évolue...

Printemps 1986: D'après les données publiées par le Federal Reserve Board, 0,5 pourcent des familles américaines sont détentrices 15. In Marc-Adélard Tremblay, éd., Nouvelles Technologies et Société.

Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1985, pp. 40-41. 16. Op. cit., p. 193.

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de 35,1 pourcent de la richesse privée aux Etats-Unis (vingt ans plus tôt, le chiffre était de 25,4 pourcent). Les 9,7 pourcent suivant en détiennent un autre 37 pourcent. Les 90 pourcent qui restent en partagent 28 pourcent. La moitié de un pourcent. les "super-riches", comprenant 420 000 ménages possédant chacun un minimum de $2,5 millions, sont propriétaires de 58 pourcent des entreprises non incorporées, 46,5 pourcent des actions des corporations détenues en privé, 77 pourcent des valeurs en fiducie, et 62 pourcent des obligations d'états et de municipalités. Alors que leur part de la richesse nationale accusait, depuis 20 ans, une augmentation de 38 pourcent (passant en propriété moyenne de $3,59 à $8,5 millions - en d'autres termes, environ 400 fois l'augmentation signalée chez les autres, les 90 pcxircent), la quote-part de ces derniers baissait de 20 pourcent.

A noter qu'il s'agit d'un rapport rendu public par le "Joint Economic Committee" du Congrès des U.S.A.17

Ajout: Selon une étude récente provenant du "Census Bureau", la famille blanche moyenne aux Etats-Unis posséderait dix fois plus de biens ("wealth") que la famille noire moyenne.

L'iritrobliction, rédigée par le soussigné, de la réédition de l'ouvrage de Gustavus Myers, A History of Canadian Wealth (Chicago, 1914; première édition canadienne, Toronto, 1975), joint à une appréciation à la fois positive et critique, une polémique avec plusieurs historiens canadiens. Il est question en particulier de

l'article de S.R. Mealing, "The concept of social class and the interpretation of Canadian history". Son énoncé, "For history is the oldest, the most solidly established of all Canadian studies. It is the most articulate, the most productive of the social sciences", s'acoompagne d'un jugement plutôt péremptoire: "Canadian historians

17. In these times. Chicago: Aug. 6-19, 1986: "Wealth triumphs...", p. 14.

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have written very little lower-class history... They have undertaken no systematic analysis of the structure of Canadian society... No important attempt has been made to base an analysis of our history on class, nor is there any weight of research to suggest that such an analysis is possible".18

Parti d'une mise au jour des liens entre le Tammany Hall des politiciens et le monde des grandes corporations commerciales, Myers aborda un vaste travail de recherche sur "la genèse et le développement réels "des grandes fortunes américaines" (c'est le titre de son principal ouvrage). De la corruption endémique, richement documentée,

il en vint à "comprendre les forces propulsives de la société... un système fondé sur des facteurs qui engendrent la spoliation du grand nombre au bénéfice de quelques-uns..." Il n'y a pourtant pas que la corruption; quel que soit l'éclat du crime cxitmercial-politique, son fondement est le rapport social (societal) qui détermine que "ceux qui contrôlent les moyens d'existence d'une classe indépendante, contrôlent le gagne-pain et les conditions de vie de cette classe". D'où découle le profit du capital, l'extorsion à même la production "normale", qui sous-tend les symptômes de surface "scandaleux": les prouesses d'hommes rusés et de corporations privées se dotant, par l'emploi habile de pratiques de corruption, de vastes privilèges et pouvoirs et d'énormes richesses.

Il est à noter que le côté sensationnel des hauts faits (ou bas-fonds) de la corruption a pour effet de rejeter dans l'ombre toute 1 • infrastructure d'exploitation quotidienne de la main-d'oeuvre. Le flux ininterrompu du profit, raison d'être du système, demeure le non-dit tonitruant de notre époque.

18. S.R. Mealing, Canadian Historical Review. XLVT, no 3, sept, 1965, p. 212.

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9. Le marxisme: attirance, immersi"", rii^anciation

L'adhésion à la Gauche marxiste, qui infléchira une partie majeure du cours subséquent de ma vie, a son point de démarrage à Paris, en 1931. L'immersion, vécue à Toronto et à Montréal surtout, s'achève à Prague en septembre 1968. La distanciation, dont des éléments sont déjà à signaler à Bucarest et à Moscou dans les années 1950 et 1960, marquera mon approche d'une empreinte à la fois de rejet et de dépassement, tout en conservant certains acquis. Une indication fort sommaire quant aux composantes de ces trois phases pourra aider à saisir le sens du ciiemirtement suivi.

Attirance: Une vision du monde cohérente, unie.

Une fusion de scientificité et de combativité, perçue comme l'essence de la dialectique marxienne;

Une résonance du prophétique, dans la condamnation et contestation d'un système antisocial;

Et dans le projet de société communautaire à réaliser à travers l'union de la famille des travailleurs: d'où le sentiment valorisant de servir... et de diriger?

La promesse d'un dépassement de la crise culturelle aussi bien qu'économique, avec l'accès des travailleurs aux arts, lettres, sciences, tel que pressenti lors du premier Plan cjuinquennal en Russie soviétique.

- La puissance explicative des conceptions nouvelles face aux problèmes de compréhension de l'histoire académique, traditionnelle, apologétique des pouvoirs en place.

Ce qui me frappe en ce moment, sur le plan rétrospectif, est un erichevêtrement certain d'impacts conjoncturels/évériementiels avec des influences idéelles déjà présentes et à l'oeuvre. "Science" et

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"culture", ce furent entre autres des lectures des années d'adolescence (Claude Bernard sur la médecine expérimentale, Bernard Berenson sur la peinture florentine de la Renaissance: domaines de réflexion paternel, maternel): "combativité", ce fut la toile de fond de 1914-1918, les contradictions inhérentes à une existence scolaire et familiale des années 1920: la pensée de Freud et de Vico ("la société civile est certainement l'ouvrage des hommes")19 anticipant, chez moi, la

rencontre avec le "matérialisme historique". A y ajouter les langues modernes, ouverture à d'autres pays, d'autres peuples (le français, l'italien, l'allemand, suivis du russe et de l'espagnol dans les années 1930), contrepartie de l'histoire comparée des religions (coup de pouce vers l'irKsroyance: Lewis 13rocone, This Believing World)...

Immersion: Deux aires d'expérience valent peut-être la peine que je les signale. Au travers de trois décennies de participation à la vie d'organisations ouvrières, il m'a été donné de connaître une dimension du pays réel, que j'aurais ignorée complètement, autrement: dans les années Trente, aux réunions à l'Université Ouvrière, aux rencontres avec les grévistes de la confection (Montréal 1934), de la chaussure (Tétreaultville), du meuble (Saint-Jean d ' Iberville) ; les discussions en groupes d'étude dans plus de soixante localités, depuis le Cap-Breton (mineurs de charbon, métallos) jusqu'à l'Ile de Vancouver (bûciierons), en Colombie anglaise et Alberta, inineurs (Crow's Nest Pass, Trail-Rossland), bûcherons, cultivateurs. Une demi-dcuzaine de traversées du pays, jusqu'en 1968.

En second lieu, rencontres et entretiens lors de colloques et 19. "Mais dans cette nuit sombre dont est couverte à nos yeux

l'antiquité la plus reculée, apparait une lumière qui ne peut nous égarer; je parle de cette vérité incontestable: le monde social est certainement l'ouvrage des hommes; d'où il résulte que l'on en peut, que l'on en doit trouver les principes dans les modifications mêmes de l'intelligence humaine."

Giambattista VTCO, Scienza Nuova. 1744. Trad. Jules Michelet, Oeuvres complètes, t.i. p. 453, 1971.

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conférences dans une dizaine de pays, depuis Stockholm jusqu'à Santiago de Chile. Dimension de familiarisation avec des aspects de la

"mondialité", qui m'a aidé, à ce qu'il me semble, à mieux comprendre quelque chose à ses processus cxantradictoires, à sa mouvance. (Voir, en Appendice, l'indication sommaire de quelques--unes de ces rencontres pluri-disciplinaires des années 1960 à 1985.)

Distanciation: Plusieurs éléments de désaccords, concernant diverses facettes de la question nationale, de dogmatisme sectaire, de democratisms "formel" et "réel", la plupart du temps me traversant de part en part (je n'avais sûrement pas "toujours raison", malgré un pli caractériel de ce côté) - ces choses vécues recoupèrent la "crise des marxismes" à l'échelle planétaire. Témoin, par moments, et à la czuTtonade pour ainsi dire, mais certes privilégié (le "20e Congrès," Moscou 1956; Prague, en septembre 1968), la "vision cohérente, unie"

fut ébranlée.

"Le marxisme lui-même est en crise... Mais il l'est en tant qu'interprétation du présent, et comme théorie de la révolution. Non pas comme théorie de l'histoire". (P. Vilar, in Les crises de la pensée scientifique contemporaine. De Brouwer, c. 1970).

10. Marthe... <•*• MaT*ig

Aux enjeux anciens de domination nationale et de classe sociale, cruxiaux comme par le passé, il est venu s'en ajouter d'autres. Celui de l'inégalité des sexes: ce phénomène existentiel fort ancien a fait irruption depuis un quart de siècle dans les consciences et dans les rapports sociaux. Le mouvement égalitaire des femmes a démarré dans les pays occidentaux les plus "avancés", tout d'abord. Il en résulte une impulsion à repenser les champs du savoir, comme prémisee à une refonte de la vie en société.

Egalité. Femmes/hommes? Un premier souvenir de plusieurs discussions animées remonte au début des années universitaires (c.

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1930), alors que des amies étudiantes défendaient les thèses du féminisme. Peu après, la lecture de Wilhelm Reich, sur la révolution sexuelle, acheva de me convaincre quant à la justesse de l'argument égalitaire. Tout récemment, pourtant, un souvenir bien antérieur m'est revenu: celui de l'accès d'indignation de ma mère, pourtant si pieuse, face à la parole de Jésus (lue, X, 38-42) lors de sa visite chez les deux soeurs, Marthe et Marie. Qu'il ait donné raison non pas à celle-là, qui se plaint d'avoir à faire à elle seule tout le service ménager, mais à Marie, assise à ses pieds à écouter sa parole — voilà ce qui mit en rage ma mère; et que je prenne le contrepied de l'argument n'aide guère à l'apaiser. La lecéon, pour moi, a mis du temps à se

faire accepter: le sexisme patriarcal a la vie dure.

Cette question de l'égalité des sexes a surgi avec une rigueur nouvelle depuis un quart de siècle, pour s'imposer de plus en plus riettement comme composante à part entière de toute restructuration sociétale d'ensemble. La position de la Gauche traditionnelle, malgré le travail de pionnier de Engels (Origine de la famille...). n'avait guère évolué au delà de ses débuts: avec l'inclusion grandissante du nombre des femmes dans la production sociale, croyait-on, il suffirait d'un changement de mode de production, de capitaliste en socialiste, pour que se résolve automatiquement la totalité des aspects de 1 ' inégalité/oppression feminine. Vision myope, pour dire le moins, cette dépendance de retombées éventuelles escomptées (comme ce fut aussi le cas pour ce qui est de la démocratie et l'égalité nationale) : en pratique, elle se traduisit par un immobilisme dogmatique et sectaire. Au besoin pressant d'une refonte en profondeur des anciennes conceptions théoriques, commence à répondre la réflexion sur le rapport entre l'inégalité des sexes et le travail salarié.

11. "Quel avenir- a-Hvand l'homme?"

C'est le thème du colloque interdisciplinaire et iriternational qui se tient à Royaumont, au nord de Paris, en 1961. L'ancienne abbaye cistercienne fondée par saint Louis en 1228 est un centre culturel,

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haut lieu de rencontres; celle-ci rassemble catholiques, existentialistes, marxistes, venus d'une dizaine de pays. La thématique embrasse le nucléaire, la décolonisation, le débat chrétien/marxiste20. En ce qui concerne le nucléaire, N. Semionov,

prix Nobel, chimiste, évoque les paramètres d'une prochaine mutation technique qui rendra possible la fusion thermonucléaire contrôlée, entraînant la multiplication astronomique d'énergie électrique à très bas coût, à la portée des peuples du Tiers Monde en premier lieu... C'est l'autre versant de ce potentiel apocalyptique que symbolisent Hiroshima et Nagasaki.

J.D. Bernai, crystallographe, auteur de The Social Function of Science (1939), Science in History (4 v.) et World Without War, discutera de l'enjeu planétaire avec Ernest Kolman, physicien-mathématicien tchèque, lors d'une longue promenade... Ce dernier,

ancien collaborateur de N. Kroupskaïa (compagne de Lénine) au Ccmmissariart de l'Instruction publique, se débattait alors, quarante ans plus tard, avec les résistances de dogmatiques au sujet de la cybernétique et de la relativité, et de l'assujettissement de la philosophie aux caprices du Politique intronisé... Quant à Bernai, "le Sage", avec son énorme érudition de scientifique et savant humaniste, il devait sous peu affronter une critique de gauche remettant en cause sa prétendue idéalisation de la Science en tant que force motrice au-delà et au-dessus des sociétés...

12. Mutation de rapports parmi les sciences?

Connaissance des dates, des documents, des personnages et des événements qui est le propre de l'histoire traditionnelle est une chose. Compréhension de la dynamique sociétale en est une autre. Il est parfois arrivé que la distinction entre les deux s'exprime en termes d'une opposition entre connaissance historienne et philosophie: 20. Ma cxant-unication, "La conscience nationale et la structure

sociale", in Quel avenir attend l'homme?. Paris, Les Presses universitaires de France, 1962.

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la première s'occupant du "quoi, qui, quand, comment?" et la deuxième, du "pcxirquoi?". L'avènement de la "nouvelle histoire" se signale justement (tant aux Etats-KJhis qu'en France), par un élargissement du champ par inclusion du "pourquoi": le rapport de l'histoire et des "sciences sociales" se trouve en voie de mutation. Déplacement des frontières, donc et de façon double: vers une "historisation" des sciences dites sociales, et vers une "socialisation" de la science dite historique.

Ici s'impose une parenthèse: intitulons-la, "les choses et les mots". Le terme "histoire", on le sait, possède un double sens: il désigne à la fois la connaissance d'une matière et la matière de cette connaissance. Certains voudraient en éluder l'inconvénient en proposant que: "Ce n'est pas le passé humain qui est histoire, mais uniquement le discours qu'on fait là-dessus". Ce qui a le désavantage non seulement d'enlever au terme l'un de ses deux sens habituels, mais d'attribuer à celui qui reste une existence survoltée pour ne pas dire transcendante. Je m'explique: le Discours, de nos jours, au lieu de se limiter à la signification de "œmiminication verbale" a pris une enflure telle qu'il se substitue aux objets traités, aux choses dont on discourt. La discursivité, dans tel cas, aurait tendance tout simplement à évacuer le réel. "Au (xmmencement était le Verbe": énoncé biblique mystique auquel rétorque le Faust de Goethe: "Lm Anfang war die Tat" (Au début était l'acte).

Il y va en quelque sorte du statut d'un réel dont la complexité englobe à la fois les paramètres du passé/présent/futur et ceux de conscience/matérialité. "Wie es eigentlich gewesen ist" (ce fut, et réellement). Un passé qui, objectivement, a existé: illusion pure? Mes parents cessèrent, il y a un quart de siècle environ, d'exister. Tout ce qu'il peut y avoir d'approximatif, d'incertain, dans ma mémoire en ce qui les concerne, n'invalide pas le réel passé objectif du fait de leur existence. Pas plus que, sur un autre registre, notre état futur d'inexistants ne réfutera notre existence objective actuelle (à conditions égales, en quelque sorte... ).

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L'engouement très parisien d'il y a quelque temps pour une épistémologie dont l'occupation superbe de tout le terrain du savoir semblait avoir pour corollaire de taire toute pertinence à l'ontologique. Est-ce naïveté de ma part d'attribuer à ce "nouvel idéalisme épistémologique" la grande vogue du Discours érigé en moteur de l'histoire, le Mot qui engendre la Chose? Quoi qu'il en soit, cette parenthèse (que je ferme ici) sera justifiée si la "mutation des savoirs" qui scus-tend mon propos d'ensemble trouve sur le plan de l'ontologie un élément de confirmation.21

La nature même des nouvelles questions que posent les transformations technologiques et sociales incite à une réflexion sur l'état des savoirs. Qu'il s'y trouve iiorcellement, spécialisation à outrance, la chose se comprend, vu la diversite/multiplicité des aires de connaissances et de pratiques. Moins bien se résigne-t-on à l'étanchéité institutionnelle des cloisonnements, érigée en obstacle à des échanges et à des collaborations de plus en plus nécessaires. Le seul fait qu'aucun enjeu urgent parmi ceux qui nous assaillent, que ce soit la pollution à l'échelle planétaire, le danger d'une guerre thermonucléaire, l'enchevêtrement des oppressions nées d'inégalités socio-politique, économique, sexuelle, ne soit l'apanage d'une seule discipline particulière: voilà déjà de quoi motiver une remise en cause de nos démarcations frontalières exclusives et Mérarchisées. 13. Un monde qui bouge

A l'intérieur d'immensités spatio-temporelles du cosmos, les spéculations à partir de connaissances nouvelles formulées en termes d'aranées-lumière et de mutations astrales vont leur train, nous les saisissons tant bien que mal. Qu'avons-nous "fait" il y a un milliard 21. Voir Michel Vadée, Bachelard ou le nouvel idéalisme

épistémologique. Paris, ES, 1975; Régine Robin et Michel Grenon, sur une discursivité qui évacue le réel, Dialectiques, nos. 10-11, p. 28.

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