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Paul Valéry à la recherche du pouvoir : les Cahiers : essai suivi d'une comparaison avec la sémantique générale d'Alfred Korzybski

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Texte intégral

(1)

REVIEW

PÜN~JO~tS

ONL

V.

PAUL VALeRY A LA RECHERCHE DU POUVOIR: LES ,-Al-IIEN'3

Essai suivi d'une comparaison avec la sémantique générale d'Alfred Korzybski

by

Theresa Parkinson

A thesis submitted to the

Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements

for the degree of Doctor of Philosophy

Department of French Language and Literature McGill University, Montreal

March 1990

(2)

l -- XXIX:

I~, l et II:

(1, l et II:

Paul Valéry, I_~ahl ers (Paris: Centre National de la Recherche Scientifique, 1957-1961).

Paul Valéry, '_-:ahU?T s, ~d. Judi th Robinson (Paris: Pléiade, 1973 et 1974).

Paul Valéry, ti",_".,,.-e s, ~d. Jean Hytier (Paris: Pléiade, 1957 et 1960).

Alfred Korzybski, 5r:: ZJ'3-t7ce an,j 5ani t v • An Int,~o-­

duc t i Ol! To /IIon--Ar'i:o t o t c 1 ian 5vstê-fTlS and {;erl/~­

ral '-5emant les (Lakeville, Connecticut: The

International Non-Aristotelian Library Publishing Company, 4th edition, 1980).

(3)

PAUL VAL:e:RY A LA RECHERCHE DU POUVOIR: LES I~HIPR~ Essai suivi d'une comparaison avec la sémantique

générale d'Alfred Korzybski

ABReG:e:

Certains critiques prétendent que Paul Valéry a, dans ses

Cahiers, ouvert une voie nouvelle à l'étude de l'homme en

abordant celle-ci par les méthodes propres aux sciences

natu-relles. Le présent travail se propose de vérifier ces

préten-tions en examinant de près toutes les analogies scientifiques

dont Valéry se sert pour élucider son analyse du mécanisme

psy-chique afin d'en déterminer la pertinence ainsi que

l'effica-cité. Un rapprochement est établi entre lu tentative du poète

et la sémantique générale d'Alfred Korzybski, laquelle prétend

elle aussi fonder sa connaissance de l'homme uniquement sur des bases scientifiques et non philosophiques.

La recherche des apports de la science fournit peu de

résultats convaincants; ainsi, la tentative valéryenne semble

avoir avorté. Pourtant, dans un contexte philosophique cette

tentative devient récupérable. L'échec d'une "science de

l'homme" s'amortit devant une "phénoménologie du pouvoir"!

(4)

PAUL VAL~RY A LA RECHERCHE DU POUVOIR: LES '. ANIE!?:' Essai suivi d'une comparaison avec la sémantique

générale d'Alfred Korzybski

ABSTRACT

Certain critics claim that Paul Valéry has, in his Cah1er~

(Nnt~b.-:>o" d, opened the way to a new study of man by approach-ing the subject with methods derived from the natural sciences. The present work investigates these claims by examining closely

aIl the scientific analogies which Valéry uses to clarify his

analysis of the mental mechanism, in order to de termine the

relevance of these analogies, as weIl as their effectiveness.

A comparison is drawn between the attempt of the poet and the

gener~l semantics of Alfred Korzybski, which also professes to

ground its knowledge of man only on scientific and not philoso-phical foundations.

The search for bases taken from science yields few

con-vincing results; thus, Valéry's atternpt appears to have failed.

However, in a philosophical context this attempt is regained.

The failure of a "science of man" is tempered by a

"phenomeno-logy of power"!

(5)

REMERCIEMENTS

Nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance à M.

Alain Fymat, professeur honoraire de physique ~ l'Université de

Lille, à U.C.L.A. (University of California Los Angeles) et à

U.S.C (University of Southern California), pùur avoir accepté

de relire les parties de notre travail qui traitent des

scien-ces et des mathématiques.

Nous remercions également MM. Emory Menefee, Ph. D.,

prési-dent de la Société Internationale pour la Sémantique Générale

(1986-89), et Jeremy Klein, Editor,

r

T I-ElE,?1. ,~ A"',oV]r>I,,1 ·r

Gi7J>"?r-al 5t?fflc<nt l ' - S , d'avoir attiré notre attention sur plusieurs

articles pertinents à notre recherche. Au professeur Benjamin

F. Weems (Université McGill) nous devons des remerciements

par-ticuliers pour avoir sacrifié d'innombrables heures au

télé-phone à discuter avec nous les répercussions philosophiques des découvertes récentes dans le domaines des sciences.

Enfin, nous exprimons notre vive gratitude à la J.W.

McCon-nell Memorial Foundation de l'Université McGill, dont l'aide

financière nous a permis d'entreprendre ce travail.

Thérèse Parkinson Californie, novembre 1989

(6)
(7)

INTRODUCTION . . . 1

PREMIÈRE PARTIE LA M!THODE DE PAUL VAL!RY AVANT-PROPOS . . . 36

l LES APPORTS SCIENTIFIQUES A) La quête du "Moi" . . . 43

B) Les mathématiques . . . 67

C) L'observation . . . 82

D) L'esprit et la machine . . . 93

II LE NETTOYAGE DE LA SITUATION VERBALE . . . 112

III LA RE:DUCTION AU "MOI PUR" -- L'INVARIANT FONDAMENTAL . . . 126

IV LE "POSSIBLE PUR" FONDAMENTAL . . . 135

V LE REGARD "IDE:AL" VALE:RYEN . . . 146

VI LA "POIE:TIQUE" DE VALE:RY . . . 166

VII "LA JEUNE PARQUE" -- UNE INTERPRE:TATION . . . 182

DEUXIÈME PARTIE VALE:RY ET LA SE:MANTIQUE GE:N!RALE D'ALFRED KORZYBSKI ALFRED KORZYBSKI . . . 215

, VIII LE SYSTEME NON-ARISTOT!LICIEN . . . 219

IX LE DILEMME DE "L'ÊTRE" . . . , . . . 232

X LA RtVISION LINGUISTIQUE SELON KORZYBSKI ET VALE:RY . . . 253

XI LE THÈME DU REGARD ET L'ORIENTATION EXTENSIONNELLE . . . 277

CONCLUSION Vers une phénoménologie du pouvoir . . . 301

(8)

I I I IV V

-Articles relatifs au 'Sujet . . . 322 Ouvrages sur la sémantique générale . . . • . . . 327 Ouvrages et articles scientifiques consultés . . . . 328 ttudes consultées sur Aristote et sur Husserl . . . 328

(9)

PAUL VALÉRY

..

--

-

..

,

--

-.

.

,.

--, . / ... ~ ' / r / .'

(10)

INTRODUCTION

L'oeuvre de Paul Valéry est en train de subir l'épreuve du

temps. Après avoir ébloui le monde des lettres pendant plus

d'un demi-siècle cette pensée riche et clairvoyante, qui sut

produire autant la prophétique "Conquête méthodique" que le

célèbre poème 1_ a Jr_-I!n~ Pdl~qU<?, est plus que jamais remise sur

la balance et son contenu scrupuleusement pesé.

Valéry avait un esprit de séduction, captivant ses

audi-teurs comme ses lecteurs, et quel que soit le sujet abordé il

le traitait en donnant une impression de génie. Un ami et

cri-tique, André Berne-Joffroy, remarque que Valéry "dans la

con-versation, étai t rapide, pétillant volontiers, et toujours

remarquablement dègourdi. Idées et mots lui venaient avec une

facili té scandaleu~e. "1 Certes, le calibl"e de cet espri t et

des productions qu'il a laissées est incontestable: Valéry

compte parmi les plus grands poètes, vojre penseurs de la

lan-gue française.

Pourtant, avec le recul des années, cette pensée qui, pour

emprunter le terme de Louis de Broglie, "a brillé comme un

diamant aux jnnombrable~ facettes",2 s'est recouverte d'une

imperceptible couche de poussière. Fond et forme en sont

main-tenant d'autant mieux scrutés: à leur juste valeur "les

facet-tes du diamant" n'aveuglent plus!

(11)

Scientifique (1957-61), les Cahier~ de Valéry, cette longue rédaction quotidienne, suscitèrent un grand intérêt. On ne peut s'empêcher d'évoquer le beau vers de Malh~r~e:

Et les fruits passeront la promesse des fleurs.3

Nul doute, beaucoup crurent pouvoir cueillir dans ces 1~8hie','

des frui ts que les recueils tels que f"!auv81 3~ 5 pensp.~s 1'" t

aLd-res et Tel quel semblaient annoncer. Des brins de

conversation ici et là entre Valéry et d'éminents personr.ages de l'époque divulgaient la pr~occupation a~dacieuse du poète, celle de déchiffrer le mécanisme mental de l'être humain. Valéry, dan~ ses correspondances avec Gide et Gustnve Fourment, dès 1897, fournissait des indications sur ses thp.ories:

Cette entr~vue très minutieuse m'a presque donné l'en-\ ie de finir par écrire et publier carrément L-_

"'.-rpmF. J'ai longtemps craint je ne sais quelles absur-dités cachées (et i l y en a du reste) dans mon travail, mais je n'ai pas encore rencontré, ave~ la meilleure foi du monde, un fait ou une idée qui torpillassent mon affaire, au point de l'envoyer à fond. 4

Et lorsqu'il écrit à Fourment, Valéry qualifie sa recherche, qu'il précise cette fois--ci comme étant "une méthode et pas un

système",~ d' "Arithmetica universalis".&

On retient également la célèbre phrase de Bergson: "Ce que Valéry a fait valait d'être tenté",7 phrase qui semble de prime abord impliquer une réussite (nous reviendrons sur ce point.)

Enfin deux ans après la parution des '-atu -=/-c; Judi th Robinson

publie un travail sur 1 . Anal YSé' dt:.~ l ' psr·rll '7Bns L r"-, ,-ahù"r s ,-jr

(12)

optimiste:

[ ... ] Valéry a fort bien compris mieux, peut-être,

que tout autre penseur de son époque -- que le

princi-pal obstacle à une solution du problème de l'esprit ne

réside pas dans la nature de l'esprit lui-même, mais

bien plutôt dans le fait que le problème a été mal

énoncé, et que les questions que nous avons pris

l'ha-bitude de nous poser au sujet de ]a pensée humaine sont

des questions illégitimes. C'est à la tâche de

remplacer ces questions illégitimes par des questions

nouvelles, précises, non équivoques, et capables d'être

résolues, que Valéry a consacré l'effort de toute sa

vie.B

Or, ce n'est guère l'impression que nous donne une lecture

pru-dente des CahlfTS. Bien au contrajre, il semLle que Valéry

dans ses recherches sur le mécanisme mental se heurte à des

problèmes justement insolubles à cause de la nature même de

l'esprit. Les C sni /?/'- 5 , loin de nous montrer un homme qui se

leurre, comme le fait, nous le croyons, notre critique, sont le témoignage d'un esprit lucide, constamment à l'afffit des pièges

~u'il S0 tend et fort conscient de ses limites, de son

impuis-sance.

A mesure que la lecture des Cahj-=,~s se propage parmi les

critiques et les enthousiastes de Valéry, la triste et

déce-vante notion d'échec commence à poindre. Face à l'énorme amas

de 3péculations, d'analyses, d'études profondes, d'efforts de

systématisation que sont les Cahiers de Valéry la question se

pose: "Est-ce utilisable ou non?"9 G.W. Ireland lors d'un

colloque sur Vùléry interroge l'auditoire:

On se demande si Valéry avait trouvé sa méthode.

Com-ment le saurait-on? Comment en jugerait-on? Une

méthode, c'est quelque chose qui permet de faire

(13)

opérées Valéry? Il n'a inventé ni lois théoriques comme Newton, ni machines comme Léonard; il n'a fait aucune découverte qui puisse se comparer avec celle de la relativité. Dans un seul domaine, sa méthode s'est montrée p.fficace, c'est celui de la littérature, qu'il s'agisse de prose ou de poésie.1o

Toujours dans le même sens Ned Bastet lors ~'une autre "table ronde" sur Valéry propose raisonnablement:

Nous pouvons nous demander également, face à cette aventure de l'esprit humain dont Valéry a eu une con-science si aigüe, dans quelle mesure des médecins, des mathématiciens peuvent estimer à leur tour que ces instruments forgés par lui ont valeur d'avenir, sont effectivement exploitables par la pensée actuelle. l 1

Près de quinze ans après la célèbre décade de Valéry quj eut lieu à Cerlsy-la-Salle sous la direction d'emilie Noulet-Carner et où la question d'échec chez Valéry fut abordée, J. Robinson soutient encore une fois que le débat

autour du prétendu "échec" du "Système" Jl'..! semble un

faux débat né de ce que Valéry aurait appelé un faux problème. Il ne saurait être question de parler de l'échec d'une entreprise dont le but était de trouver non pas I n r représentation définitive du fonctionnement mental mais r' Î us i F./W S représentations possibles, qui restaient ouvertes dans l'esprit de Valéry sur tout un avenir de l~ spéculation et de la recherche. Comme il l'écrit dans une phrase émouvante d'un de ses premiers cahiers: "TF t-,~avail1r r":IIIt~ ,-/II'?IClU'UII <:,'111

aÇ>,,~,>f'.". {I~,I, 201)12

Toujours nous semble-t-il que ce critique se méprend sur le but véritable que s'était assigné Valéry. Il s'agissait bien plus, pour lui, que de consacrer toute sa vie à spéculer sur les moyens possibles de déchiffrer le mécanisme mental ou unique-ment d'approfondir et de reposer les questions portant sur une

telle recherche, comme l'affirme J. Robinson "à propos de l'analyse de la pensée chez Valéry: c'est qu'il s'agissait pour

(14)

lui de poser des questions, de les poser avec la plus grande précision possible, et non pas d'y répondre."13 A cette affir-mation, nous répondons de concert avec J. Duchesne-Guillemin:

Quand VAléry écrit: "Je veux faire pour toute la pensée ce que Descartes a fait pour la géométrie", c'est-à-dire: je veux faire l'analytique àe toute la pensée comme 11 a fait l'analytique de la géométrie, i l

a I.ln r.rO.7r't l·ir-1101'/Y'1é-: [nous soulignons], et i l ne l ' a

pas exécuté. Il a échoué en cela; i l y cl un cadavre dans la vie de Valéry. Il y a un cadavre au-dessus de

l'armoire.1 "

Que Valéry dans ses recherches ait attribué à la refonte du langage un rôle primordial est indéniable. Il lui imposait de redéfinir son vocabulaire, ou de faire table rase de beau~oup

de notions attachées aux mots et empruntées à une culture lourde et encombrante afin d'y voir plus clair dans ce système qu'il travaillait à élaborer. Mais le système loin d'être un pur passe-temps de mandarin avait pour but précis et tangible de transformer l'individu, de lui permettre d'accroître ses pouvoirs dans le domaine de la création &rtistique comme dans la maîtrise de soi: sur sa sensib:lité, sur son système ner-veux, etc .. Le problème que s'~st posé le poète était d'une telle ampleur qu'assurément plus d'un penseur contemporain eOt envisagé Valéry d'un oeil ironique en l'entendant formuler ses tentatives. Tp,l serait le sens de la phrase de Bergson citée plus haut selon J. Duchesne-Guillemin:

Je suis très étonné qu'il (Valéry] n'ait pas senti que

Id

phrase de Bergson étai~ en réalité une impertinence voilée de courtoisie. Ce que Valéry a tenté est la mathématique de l'esprit, et Bergson veut dire que cela valait d'être tenté, mais qu'il n'a pas réussi; Valéry n'a pas compris les choses ainsi; i l s'est interrogé

(15)

sur la phrase de Bergson en se demandant ce qu'elle

signifiait et s ' i l s'agissait ou non de ses poèmes.l~

Il ne nous semble donc pas hors de propos d'introduire la

question d'échec ~n abordant les tentatives de Valéry. En ce

qui concerne la rnaitrise de sa sensibilité et de ses nerfs

sur-excités, sans équivoque nous pouvons affirmer que Valéry, tel

qu'il ressort des derniers Cahiprs, n'a pas abouti sur le plan

pratique. Cependant, J. Robinson, sans cesse optimiste,

sug-gère que dans toutes les disciplines scientifiques il existe

quelques rares théoriciens dont

la principale activité consiste à produire des

hypo-thèses très nombreuses et souvent très diverses qu'il

appartient à d'autres savants de vérifier, de mettre à

l'épreuve. Peu importe si certaines, et même beaucoup,

de ces hypothèses se révèlent, quand on y regarde de

près, être de fausses plstes, pourvu qu'il en reste une

ou deux qui sojent suffisamment ingénieuses et

sugges-tives pour ouvrir à la recherche des voies neuves. 1G

Il conviendrait donc de ranger Valéry dans cette catégorie

d'esprits. Pourtant, jusqu'à date, la préoccupation du poète

n'a été reprise par aucun savûnt. A ce que l'on sache, le nom

de Valéry n'a été associé à aucune recherche d'ordre

épistémo-logique. Faudrait-il alors conclure comme J.

Duchesne-Guillemin que

Valéry n'a pas été très persévérant dans son effort; au reste, il n'était ni mathématicien ni physicjen profes-sionnel: il a cherché dans ses études scientifiques des exemples de structures mentales, etc., mais il n'a été

qu'un amateur, un amateur exceptionnellement doué.17

Nonobstant les prétentions scientifiques du poète et certains

critiques qui veulent situer son oeuvre pour l'essentiel hors

(16)

littéraire, légitime dans son but d'évaluer à nouveau "le pro-blème Paul Valéry". "Mon imagination n'est pas littéraire, mais voici que mes moyens sont littéraires" (V, 152), corrobore Valéry. Comme son oeuvre ne s'expriill9 pas à travers des séries d'équations différentielles (quoiqu'un certain nombre de ces équations parsème les Cahiers), ou des formules hermétiques propres au domaine des sciences uniquement, mais à travers le langage -- nous sommes en présence de mots un esprit ouvert et attentif, nous semble-t-il, saurait par une lecture prudente assimiler le suc de la pensée de Valéry et en tenter une fois de plus une critique objective.

Sans plus tarder. il s'impose pour nous de définir le titre de notre étude et d'en justifier le choix. Valéry affirme lui-même: "l'objet d'un vrai critique devrait être de découvrir quel problème l'auteur (sans le savoir ou le sachant) s'est posé, et de chercher s ' i l l'a résolu ou non" (T-=-J Quel, 0, II, 558) . Et encore: "il faut chercher la visée, les objectifs probables des êtres. On ne sait rien de quelqu'un quand on ne sait pas ce qu'il veut" (XII, 676). Que désire Valéry? Lais-sens-le s'exprimer un moment: "Je désire pouvoir et seulement pouvoir" (l, 492) ; "L'idée de pouvoir est mon idée constante et centrale" (XI, 528); "Mais i l faut préciser ce 'pouvoir'"

(XI, 558);

Tout "grand homme" n'est pas lui-même réussi à se faire sur un modèle ou sur

donnée.

mais il a une échelle Ce qui est lui-même, son "génie" c'est précisé-ment ce pouvoir de se ref'abriquer et non pas ce qu'il

(17)

fut et non pas davantage ce qu'il est enfin devenu.

(IV, 878)

Ainsi le pouvoir valéryen se définit comme acte, acte dont

l'objet est Valéry même; c'est une opération consciente,

délibérée sur soi afin d'accroître ses possibilités, ses dons,

et de gagner une maîtrise totale de toutes ses facultés. Il

s'agit "d'un art du gouvernement et du maniement de soi-même,

un art de susciter, d'arrêter, d'utiliser, de développer ... l~

Tout Soi -m!}m,,:?" (VI II, 578) ; "Que me fait un art dont

l'exercice ne me transforme pas" (XXII, 233). Si donc chez

Valéry pouvoir est synonyme de faire: voilà

les mots essentiels, les Nots d'ordre" (XXIV, 717-718), i l est

difficile d'accepter l'interprétation de J. Robinson, laquelle

prétend que le but de Valéry se bornait à analyser le fonction-nement de l'esprit, mettant de côté la réussite à appliquer ces analyses au comportement de l'''humain Valéry".

Une telle préoccupation méliorative dénote chez le poète

une profonde insatisfaction envers lui-même. Quelle est la

source de ce malaise? Presque tous les critiques ont relevé le

sentiment d'impuissance physique dont souffrait l'enfant

Valéry,18 sa sensibilité outrée, et sa lucidité, son attitude

ascerbe envers ses moindres manques et faiblesses. La question

ayant été suffisamment traitée, mentionnons seqlement Gilberte

Aigrisse qui, dans sa Psychanal yse dl'.?' ('8u1 Val/'>r y , suggère

qu'un sentiment d'absence du père dans la vie de l'enfant

(18)

hos-tilité oedipienne envers son père, laquelle "se transfère sur la société entière et pousse l'adolescent à se replier sur lui-même. "1 9 Cette hostilité contribuera1t à développer des

senti-ments d'infériorité compensés dans l'imagination par des fan-taisies de puissance. C'est une interprétation intéressante du psychanalyste que nous notons sans toutefois y souscrire. Il est pourtant vrai que "le plus grand artiste présente, comme chacun de nous, une structure psychologique qui peut parfois se révéler pathologique et l'exploration analytique prouve sans cesse que sa vie esthétique est liée à ses complexes person-nels. "20

L'attitude de Valéry fait preuve de mérite lorsqu'il affirme: "Je vaux par ce qui me manque, car j'ai la science nette et profonde de ce qui me manque; et comme ce n'est pas peu de chose, cela me fait une grande science. J'ai essayé de faire ce qui me manquait" (VII, 105). Cependant la modération n'est pas le fort du poète; tant s'en faut, souvent un compor-tement outré, démesuré dépasse chez lui le désir de suppléer au manque:

Je suis terriblement jaloux de tout ce que j'ad-mire. J'ai la fureur de n'avoir pas vu, trouvé, de-viné -- tout ce que j'admire.

Mais voici mon apologie: Je tourne ma fureur con-tre moi-même et si je rencontre quelque chose qui me plaise beaucoup parmi celles que j'ai faites j'en-tre en souffrance, je me regrette, je hais ce que j'ai été pour l'avoir fait et celui que je suis pour ~e plus le faire. (IV, 173)

Tenir compte de l'état affectif du poète en évaluant ses théories s'impose car la recherche de Valéry se veut objective

(19)

et scientifique mais elle est née depuis des émotions. Maurice-Jean Lefèbve maintient que

ce qui distingue Valéry, c'est cet effort qu'il a fait

pour maîtriser le mécanisme de l'esprit, mais

précisé-ment l'origine de cet effort, c'est en somme une

cer-taine inadéquation dans laquelle il se trouvait

vis-à-vis du monde, vis-à-vis-à-vis-à-vis de lui-même, vis-à-vis-à-vis-à-vis de cet

esprit lui-même, et, à ce moment-là, cela devient

ex-tr@mement important de savoir comment il a résolu le

problème.21

Ces besoins trop profondément ressentis ont poussé Valéry à

dépasser les limites de la raison,22 à abandonner ce qui est

vérifiable et suivre le chemin de la foi, de la "Fiducia"

(terme valéryen), et dont le poète maintient avoir voulu se

défaire: "Mon "Système" [ ... ] qui m'a servi [ ... ] à crever la

Fiducia qui se résume en le mot POL,I\',-:>i,~" (XVI, 45.) Notons les

citations suivantes dans les Cahiers:

Ego J'ai pensé, j'ai cru avec foi -- qu'il était

possi~le de concevoir une sorte de science de tout

l'esprit -- (XV, 576);

j'ai cru qua toute pensée (discours

images tenues et combinaisons --) doit

à des conditions 9én~ralp~

constantes--Je crois

intérieurs, satisfaire et que ces (XIV, 32);

cond(itions] générales sont en n,-.mb,-e ( l i U

J'ai passé ma vie à croire à ceci, à observer dans

cette intention; -- donc à me s~nsibl1i~er selon elle,

et donc, à trouvel- nécessairement des raisons pour

ma croyance. (XXVII, 312)

Certes, Valéry prétendait s'enticher de positivisme: une

théo-rie scientifique, '3'exclame-t-il, "n'est pas \'1"[111'"', ou non,

elle est v6rifiable ou non" (XI, 220); "il n'y a de vrai que

le vérifiable" (XIII, 306). Or, nous venons de voir quel rôle

(20)

possi-bilité, sans attendre que celle-ci se révèle tangiblement. Le poète se trouve souvent peiné d'avancer dans sa recherche sans plus de lueurs que cette "sorte de croyance à je ne sais quelle édification" (XVII, 687), ou bien à "la f.oi étrange

[nous soulignons] dans l'analyse en vue de construire" (XIV, 768). Peu surprenant de le voir conclure: "Mais je n'ai pas construit" (idem).

Sans toutefois dénigrer l'interprétation psychanalytique de G. Aigrisse, nous préférons nous fier à Valéry lui-même lorsqu'il dévoile: "Mais ma sensibilité est mon infériorité, mon plus cruel et détestable don" (XXVI, 66). La sensibilité, le tempérament sont des questions de gènes transmis de généra-tion en généragénéra-tion; l'enfant ne choisit pas son caractère, il l'hérite: "Car nous sommes tirés des combinaisons tlrées au sort, avec 2 dés" (XXVII, 35-37). Le frère de Valéry, Jules, qui a partagé l'enfance et l'atmosphère familiale du poète ne semble pas avoir été cet être tourmenté, ultra-sensible.

Rien de vrai comme de dire que l'environnement détermine le caractère d'un individu. Mais l'humain est tout aussi porté à

trier de cet environnement ce qui lui semble satisfaire le mieux le~ exigences de sa propre nature. Ainsi Valéry admet-il: "En général, je suis attiré et ne retiens que ce à

quoi j'étais "sensibilisé" et il m'est presque impossible de

lire le reste et tout à fait impossiblt: de le retenir. Ma mémoire [et nous ajoutons "ou ma disposition"] n'est pas indépendante de mon attente inconsciente" (XXVIII, 450).

(21)

..

Sans trop réitérer ce qu'ont traité les critiques,

notam-ment Henri Mondor dans sa Précocité de Vell~,~Y, il incombe de

reconsidérer l'époque de la jeunesse et les influences qui ont

été selon nous prépondérantes. On n'a que trop souligné les

abus de la période symboliste et les traces qu'elle a laissées

dans la poésie et la vie du jeune Valéry: période d'extrêmes,

d'ascèses, de mysticisme, de "rares voluptés", de "liberté

totale", de soif d'absolu. Valéry qu~ parle en connaissance de

cause nous dépeint ainsi, cette période:

Jamais les puissances de l'art, la beauté, la force

de la forme, la vertu de la poésie, n'ont été si près

de devenir dans un certain nombre d'esprits la

sub-stance d'une vie intérieure qu'on peut bien appeler

"mystique", puisqu'il arrivait qu'elle se suffît à

elle-même, et qu'elle satisfît et soutînt le copur de

plus d'un, à l'égal d'une Ct~oyalÎce dt!finie. (0, l,

694)

Dans sa correspondance avec Valéry le jeune Gustave Fourment

note:

C'est bien toi qui aimes la vie de l'alchimiste, du

seigneur féodal, du castel, du moustier même. C'est

bien toi qui me parlais naguère des moines dans leur

cloîtres, de ces longues processions de moines

coif-fés de la cagoule [ . . . ];23

"tu vis d'une vie par trop factice. Ne te crois pas obligé

d'emboîter le pas à Théophile Gautier et à Baudelaire. Le

moins que tu pourrais y perdre c'est ton origina1ité."24 Ravagé

par le sentiment d'infériorité, d'impuissance, Valéry,

ternpo-rairement, trouve un refuge parmi le petit nombre des "initiés"

du symbolisme, des "quelques Jus te Sil ,2 !I loin de la foule.

(22)

.

,1

science m'a ennuyé, la forêt mystique ne m'a conduit à rien

o~ trouverai-je une magie plus neuve?"26 soupire-t-il à Gide.

Cette nouvelle magie Valéry la découvre chez Poe et chez

Mallarmé. Ireland affirme que si Valéry a délaissé le

symbo-lisme et la poésie

ce n'était ni par dépit, ni par impuissance, mais

tout simplement parce qu'il croyait avoir mieux à

faire. A la mystique symboliste qui prétendait

sub-stituer la poésie à la sagesse (on dirait

quelque-fois: au sens commun) ou qui pour le moins, y voyait

la forme par excellence et quasi unique de la culture

de l'esprit, Valéry opposait un scepticisme

clair-voyant et une robuste curiosité scientifique qui

exposaient impitoyablement l'exagération de ces

prétentions.27

Nous consentons que Valéry "opposait un scepticisme

clair-voyant et une robuste curiosité scientifique", mais il ne nous

apparaît pas que ce fut une "exagération de prétentions" qui

rebutait le jeune Valéry. Au contraire, certains symbolistes

n'étaient pas allés suffisamment loin pour le satisfaire. Qui

contestera l'influence de Poe sur V&léry, ce Poe au sujet

duquel Valéry écrit:

Ego Je ne sais plus en quel lieu, je ne sais plus

dans lequel de ses ouvrages, Poe dit que l'homme est

loin d'avoir réalisé, en aucun genre, la perfection

qu'il pourrait atteindre etc. -- (Peut-être Arnheim?)

-- Mais cette parole a eu la plus grande "influence"

sur moi. Et celle-ci de Baudelaire parlant du même

Poe: "ce merveilleux C'e,~veau tot./Jours en eveil".

Ceci agit comme un appel de cor un signal qui

excitait tout mon intellect -- comme plus tard le

motif de Siegfried. (XXII, 489)

En fait, les prétentions de Po~ étaient un peu exagérées. Il

soutient dans Eureka n'offrir rien de moins qu'une explication

(23)

...

Je me propose de parler du Physique, du NétBPhysique

ainsi que du l'1Bthématique -- de 1 ·unive,.~s NBtr!>riel et

Spirituel. - - de son Essence, son Orioine. sa Ct~r!>a­

tion, sa Condition Présente i?t 5 8 Destin"s,e. Je serai

si téméraire, en outre, que de défier les

conclu-sions, et par là, en effet, de remettre en question

la sagacité de beaucoup des plub grands et plus

ré-vérés, à bon droit, des hommes.28

Il n'est donc pas surprenant de voir Valéry, après la lecture

de Poe, partir d~ son côté à la recherche du "Phénomène Total

c'est-à-dir~ le Tout de la conscience, des relations, des

conditions, des possibilités et impossibilités analogues dans

leur usage aux principes et lois les plus générales de la

phy-sico-mécanique" (XII, 722) !29 Ned Bastet a bien vu cet aspect

de magie profonde, d'espoir démesuré en une entreprise

gran-diose que partagent Poe et Valéry:

Je pense, effectivement, que dans l'intention du

"Système" i l y a une volonté de protection et de

défense. [ ... ] Mais je crois aussi [ ... ] qu' il y a

eu, en même temps, une très grande espérance qui

n'est pas d'ordre scientifique, qui est d'ordre

quasiment magique. Le mot maçle a été un des mots

clé de l'enfance valéryenne, et le pouvoir magique,

qu'il a d'abord conféré à la parole poétique, et

dont il a désespéré très vite en ce domaine, s'est

ensuite nourri très largement de la lecture de Poe.

P'le a agi sur lui en lui faisant entrevoir à vide

[ ... ] en tant que magie pure, ce que pourrait être

une sorte de toute-puissance de l'esprit.3D

Que dire maintenant de l'influence de Mallarmé? Lorsqu'il

a dix-hui t a n s (1889) Valéry lit l'A rd:" 'ut s de Huysmans et y

découvre quelques fragments de l' "Hérodiade" de Mallarmé. Il

est ébloui et désespéré par cette poésie. Mallarmé lui

sem-blait avoir atteint la perfection du langage, la mai tri-::e

(24)

Valéry admirait hautement, ni Valéry lui-même, ayant déjà

com-posé plus de cent poèmes, n'avaient atteintes. Valéry admet

avoir, sous l'influence de Poe en ce temps là, déjà tenu la

poésie "pour ~n exercice, ou application de recherches plus

importantes. Pourquoi ne pas développer en soi [pensait-il]

cela seul qui dans la genèse du poème m'intéresse? ... Dans cet

état, j'ai connu avi.dement Mallarmé."31 Valéry traversait denc

déjà une période de crise intellectuelle avant d'être enfin

présenté à Mallarmé en octobre 1891 par son ami Pierre Louys.

A l'instdr de Poe il se préoccupait intensément du

fonctionne-ment de l'esprit lors de la création poétique. Le phénomène

Mallarmé ne fit qu'accroître l'intensité de cette crise.

Tel-les sont Tel-les impressions de Valéry au contact de l'oeuvre de

Mallarmé:

A l'âge encore tendre de vingt-ans, et au point cri-tique d'une étrange et profonde transformation

intel-lectuelle, je subis le choc de l'oeuvre de Mallarmé,

la surprise, le scandale intime instantané,

l'éblou-issement et la rupture de mes attaches avec mes

idoles de cet âge. Je me sentis devenir comme

fana-tique; j'éprouvais la progresslon foudroyante d'une

conquête spirltuelle décisive. (0, l, 637)

Revoyons brièvement l'esthétique mallarméenne laquelle

sem-blait cristalliser les recherches poétiques de Valéry. Chez

Mallarmé l'émotion, la sensation brute étaient subtilisées,

purifiées par un travail intellectuel intense. Le contenu

sub-jectif devenait un "foyer d'analogies", un symbole polyvalent,

de sorte que ce symbole d'une part, en tant qu'unité parfaite

(25)

l'indi-vidu, d'autre part, en tant qu'unité polyvalente, le même

sym-bole pouvait vaguement "communiquer" un senti universel. Ce

qui était défini et purement subjectif ne pouvait avoir, selon

Mallarmé, de valeul universelle; le caractère indéfini du

sym-bole, du langage poétique mallarméen permettait d'atteindre à

l'universalité, ou, davantage, à une vérité à l'échelle du

cos-mos. L'obscu:r.ité, par conséquent, était essentielle. C'est

bien ce caractère polyvalent du symbole mallarméen que Valéry

peut comparer à l'algèbre, car il possède comme cette branche

des mathématiques une extension combinatoire. De plus, dans la

poésie de Mallarmé la musique, par le rythme,

Id

sonorité du

langage servait de véhicule à l'émotion, à la sensation

origi-nelle, lout en permettant d'atteindre un degré d'inférence

encore plus élevé. Il s'agissait d'une parfaite synthèse, que

l'on pourrait nommer: intellect émotionnel, ou connaissance

émotionnelle, le symbole préservant des vérités cachées dans

une formule visible, tout cela accompagné d'impressions les

plus intenses -- ce dont avait rêvé Poe et ce dont rêvait

Valéry.

Pourquoi, alors, Valéry était-il désespéré par l'oeuvre de

Mallarmé? Il nous répond lui-même: "Du moment qu'un principe

a été reconnu et saisi par quelqu'un, il est bien inutile de

perdre son temps dans ses applications" (0, l, 631). En

vérité, il semblait à Valéry que sa raison d'être venait de lui

être ôtée: quoi bon ce l'loi -mémé [ . . . J 5 ' 11 en PF::'ut

(26)

d'être comme les Essences ou les Idées, dont chacune

nécessai-rement n'a point de seconde" (0, l, 647).

Nous connaissons tous la crise sentimentale qu'éprouva

Valéry à vingt ans, et qui acheva de l'exacerber et de le

dres-ser plus que jamais contre sa sensibilité. Tous les critiques

ou peu s'en faut relèvent la célèbre nuit de Gênes, du 4 au 5

octobre 1892, où Valéry prit la ferm~ décision de maîtriser ses

émotions et ses sentiments (dans ce cas son amour déchirant

pour Mme. de Rovira) en fondant son "Système", afin de

'défen-dre Moi contre Moi'" (YV, 257). Valéry avait donc une double

raison d'abandonner la poésie à cette époque: Mallarmé avait

déjà atteint le sommet de la création poétique; et, de plus, la

poésie comme toute la littérature se nourrit trop de la

sensi-bi1ité, des méprises et des malentendus. "La littérature est

l'art de se jouer de l'âme des autres."32 Désormais puisqu'il

faut s'attaquer à la sensibilité, au Désordre Intérieur, à cet

état affectif, afonctionnel de l'être humain qui ne peut être

articulé malS qui tente néanmoins de s'exprimer par l'Art, i l

faut égalenlent balayer la poésie.

Il est donc surprenant que Valéry admette continuer de

subir l'influence de Mallarmé même après 1892, alors qu'il

abandonne définitlvement la création poétique pour s'adonner à

la recherche de la maîtrise de soi. A l'âge de soixante-dix

ans le poète avoue encore:

Le phénomène Mallarmé a exercé sur ce qui devint mon

existence une action extraordinaire, des plus

(27)

mo-dification intellectuelle .•. Jusqu'au fatal été 98, j'ai entretenu l'espoir que notre intimité croissante

me permit un jour de lui parler à lui comme je lui

parlais en moi ... 33

Il semble que si le grand poète ait dans un certain sens fermé

une voie à la poésie en la menant à son paroxysme, i l en ait

ouvert une autre à Valéry.

Lor'3que Mallarmé lut à Valéry son célèore Coup de dé's pour

la première fois Valéry fut saisi de stupéfaction:

Je me sentais livré à la diversité de mes

impres-sions, saisi par la nouveauté de l'aspect, tout

divisé de doutes, tout remué de développements

pro-chains. Je cherchais une réponse au milieu de mille

questions que je m'empêchais de poser. J'étais un

complexe d'admiration, de résistance, d'intérêt

pas-sionné, d'analogies à l'état naissant, dêvant cette

invention intellectuelle. (0, l, 625)

S'agissait-il de considérations purement esthétiques dans

l'esprit de Valéry, ou avait-il décelé dans le poème un fond

philosophique frappant? Quelle a pu être la signification de

cette oeuvre pour Valéry?

Les idées principales de Mallarmé qui se dégagent du COI1'

de dés nous semblent être les suivantes.34 Le drame de l'être

humain est concentré en cette région que Valéry nomme le vague:

domaine de l'affectivité, partie de l'individu qui n'a pas de

fonction (il paraît), qui ne possède pas l'être la

perma-nence laquelle n'appartient qu'à l'univers objectif, à

l'infinitude matérielle, mais qui voudrait posséder l'être.

Dans cet univers afonctionnel, tout ce qui échappe aux

prévi-sions, à la connaissance semble le produit d'un hasard. Ce qui

(28)

tel moment particulier correspond à un coup de dés. Or, le

hasard qui engendre le coup de dés n'est selon Mallarmé que le

produit d'une détermination fort complexe. L'état existentiel,

affectif, qui cherche à s'exprimer, mais ne peut le faire,

porte l'homme à créer dans un métamécanisme (mécanisme

trans-formateur) valoriseur qui gouverne l'élaboration de l'oeuvre

d'art. Par cet acte qui a engendré l'oeuvre, l'homme éprouve

l'illusion de l'être, de la permanence, l'illusion d'avoir

atteint l'absolu. Illusion parce que, selon Mallarmé, l'absolu

n'existe pas; il n'est qu'une pulsion impérative qui cherche à

se référencier dans un "ailleurs", lequel ne serait encore une

fois qu'une antériorité causale, sorte de force génétique,

source du géllie.

Logiquement l'acte, le coup de dés -- le faire -- est

inu-tile, car cet acte qui se dit volontaire n'est lui aussi que le

produit d'une détermination; mais du point de vue de

l'affectivité il a acquis une valeur, puisque par l'oeuvre

d'art l'homme a tenté d'échapper au néant. Quoique la

tenta-tive de l'homme soit vouée à l'échec: "Jamais un coup de dés

n'aboI ira le hasard" (Mallarmé, Un coup de dês) r

justifié.

l'acte est

Le probl ème, toujours selon Mallarmé, réside dans le fa~t

que l ' hommEl vi t dans des "mondes séparés"; les déterminations

qui régissent son existence s'ignorent; l'homme les vit d'une

façon contradictoire. Lors du métamécanisme de toute création,

(29)

temporel-- 20

-les et spatiales déterminées: il y a donc détermination

référente; 2) l'esprit (l'intelligence) imagine et éprouve

(mode affectif) un état unique contemporel à l'acte: donc

détermination inférente, qui produit une pulsion impérative; 3)

les phénomènes qui se déroulent dans la matérialité, laquelle

prend forme, contP-mporellement à l'acte, relèvent d'une

déter-mination immédiatement étrangère aux précédentes

détermina-tions. Cependant, parce que l'état affectif est référencié

dans le corps, il semble y avoir

l'esprit l'univers mental et

un certain

affectif,

rapport entre

le corps, dont

l'esprit ignore le mécanisme et ne contrôle pas l'acte, et le

produit: l'oeuvre, étrangère à l'acte ainsi qu'à l'état

affec-tif qui l'a engendrée, rapports qui créent la confusion et font

croire qu'il ne s'agit dans les trois cas que d'une seule et

même causalité. C'est l'erreur que va commettre Valéry.

Mallarmé permit ainsi au jeune poète de préciser le

pro-blème de sa recherche; il lui montra qu'il n'y a pas de hasard

dans l'existence, mais qu'il y a détermination complexe; et,

persuadé que dans le cas de l'être vivant il ne s'agit que

d'une seule détermination, Valéry consacrera sa vie entière à

déchiffrer cette détermination, à découvrir le "Nombre"

(Mal-larmé, Un COt.JP dt'? dés) causal inconnu, auquel elle se rédui t,

nombre analogue au nombre causal universel qui régit le cosmos. Ce nombre connu, découvert, l'invention Qéniale abolirait les

coups de dés. Notons que l'image des dés revient fréquemment

dans l'oeuvre de Valéry, attestant l'obsession de celui-ci pour

(30)

l'aveu d'échec, aveu d'illusion, aveu d'impuissance que

représentaient les dés mal1armé~~s; trois exemples suffisent:

[ ... l je ne vois dans mes pensées que des

combinai-sons jnstantanées, aussi indépendantes les unes des

autres que le sont des coups successifs de dés, [ ... ]

toute relation entre elles n'est jamais que l'une

d'entre elles [ ..•

l

(0, II,1505);

Si je commençais de jeter les dés sur un papier [ ... ] (0, I, 1206) i

Tout ce que voient véritablement nos yeux est hasard.

Les ouvrir tout à coup est comme jeter les dés. (0,

II, 858)

Nous sommes bel et bien dans l'univers mallarméen où "toute

pensée émet un Coup de Dés" (Mallarmé, Un coup de dés) •

La ten~:ative de Valéry se définit par conséquent comme la

recherche du "Nombre" causal dont la connaissance permettrait

l'élucidation des pouvoirs de l'esprit; Valéry affirme: notre

pensée "ne peut saisir, et se servir de ce qu'elle a saisi,

que si elle lui a donné quelque figure simpl9"" (0, I, 1207),

d'où le "Nombre". Les pouvoirs de l'esprit comprendraient non

seulement la maîtrise totale de soi mais encore de la création

artistique: "car la pensée de toute ma vie fut j'essayer de me

représenter cette relation symétrique [mathématique] générale,

et d'en tirer les conséquences applicables à la culture et même

à l ' ar t " (0, l 1 48).

Si brève soit-elle, une mention des influences majeures

dans la vie de Valéry serait grandement fautive et incomplète

si elle omettait de relever l'importance du milieu

(31)

ont grandement moulé son être, selon l'aveu même de Valéry, furent surtout la mer, le soleil et le ciel pur:

[ ... ) un regard sur la mer, c'est un regard sur le

possible [ ... ] notre esprit ressent alors, découvre

alors, dans cet aspect et dans ~et accord des

condi-tions naturelles, précisément toutes les qualités,

tous les attributs de la connaissance: clarté,

pro-fondeur, vastitude, mesure! . . . Ce qu'il voit lui

représente ce qu'il est dans son essence de posséder

ou de désirer (0, l, 1093);

t()ujours dans ce même essai sur la "Nage" il ajoute:

Certainement rien ne m'a plus formé, plus imprégné,

mieux instruit ou construit -- que ces heures

dérobées à l'étude, distraites en apparence, mais

vouées dans le fond au culte inconscient de trois ou

quatre déités incontestables: la Mer, le Ciel, le

Soleil [ ... ] Mieux que toute lecture [ ... ) certains

arrêts sur les purs éléments du jour, sur les objets les plus vastes [ ... ] nous induisent à ressentir sans effort et sans réflexion la véritable proportion de

notre nature [ ... ] Nous possédons, en quelque sorte,

une mesure de toutes choses et de nous-mêmes. La

parole de Protagoras, que 1 • homme est la meC;Uf"/'3' dec

choses, est une parole méditerranéenne. (0, l, 1092)

Nous relèverons plus loin la pensée de Bachelard sur le rôle

joué par l'eau chez l'humain.

De ces vastes étendues, mer et ciel pur, de ce paysage

ensoleillé et clair qui lui étaient familiers naquirent en

Valéry deux aspirations en apparence contradictoires, qui

firent de lui l'homme parfait de son époque. En effet, il eut

une préoccupation démesurée quant à l'état de sa connaissance,

puis i l voulut relier son fonctionnement à celui de tous les

êtres en croyant devoir mener cette recherche aVèC clarté,

selon un processus scientifique. Nous lisons dans les Cahiers:

J'ai voulu introduire un peu de rigueur dans

(32)

Histoire, Lettres -- et m@me S~ciété (poli-tique) et Philosophie aussi.

Il m'a paru que l'époque l'exigeât. (XX,28)

J'ai essayé de mettre

exigences de l'esprit moderne scientifique --) les terrains sophie. (XV, 895)

en harmonie avec les

(c'est-à-dire d'origine vagues --poésie,

philo-Ainsi peut-on dire de Valéry -- en le citant à propos de Poe:

"Il est absurde par ce qu'il cherche, il est grand par ce qu'il

trouve" (0, l, 862). Voilà qui nous conduIt maintenant au but

du présent travail.

Tenant compte des remarques établies sur l'échec de notre

penseur, cette étud~ vise à synthétiser la pensée du poète dans

les Cahiers et d'établir s ' i l existe effectivement chez lui une

méthod6 ou un système d'entraînement de l'esprit. Bref, nous

nous proposons d'être cet "Allemand qui achèverait mes idées"

(V, 671), selon Valéry, puisqu' "il faut n'appeler 5cience:

que l'ensemble des recettes qui réussissent toujours. Tout le

reste est littérature __ ft (0, II, 522). Nous tenterons dans

une première partie de dégager toutes les "recettes", tous les

instruments, les étapes de la gymnastique intel:ectuelle que se

propose Valéry pour accroître les pouvoirs de son être. Nous

relèverons et définirons les démarches de "Gladiator"3~ te~les

que l'analyse quotidienne de soi par l'écriture, la refonte du

langage, la notion du Moi Pur qui sert à opérer une distance

sur soi et gagner de ce fait de l'objectivité, l'entraînement

de la "sensibilité spéciale" par opposition a la "sensibilité

(33)

en a une, mise à nu, semblera bien élémentaire, mais remarquons

ce qu'avoue le poète: "Apl~ès tout JE sui:.:; un système

simple, trouvé ou formé en 1892 -- par irritation insupportable

[ •.. ]" (XVI, 45). Valéry admet encore: liMais je n'ai jamais

réalisé mon système que par très petits fragments -- __ II (XXIV,

117) ; aussi examinerons-nous le système en marche dans la

com-position de La Jeune ParQU"3', poème auquel nous consacrerons

tout un chapitre, puisqu'il s'agit ici de la plus grande

réus-site de Valéry.

Judith Robinson déclare: "quand on prétend que Valéry n'a

rien découvert de précis, on oublie qu'il a tout de même

ima-giné une mathémathique de l'esprit à une époque o~ personne

d'autre, à ma connaissance, ne l'avait imaginée -- aucun savant

ni aucun philosophe. "36 Ce dont le critique n'était

effective-ment pas au courant c'est qu'alors que Valéry rédigeait ses

Cahi"!'rs en France, au moins un autre esprit (car d'autres comme

Cantor, de Saussure, Karl Bühler et l'école de Würzburg,

Lukasiewicz et l'école de Varsovie, et al., avaient déjà abordé

l'analyse des procédés de l'esprit ainsi que la notio~ d'une

mathémathique de la pensée) aux Stats-Unis d'Amérique élaborait

le système "non-aristotélicien". En 1933 à Chicago parut la

première édition du traité: Science and Sanitv , 04,1 Introducti':ln

TQ Non-A,~istot:é"lian Systems and {;en"."ral .;emantzç., du comte

Alfred Korzybski. Korzybski présente son système de cette

façon (nous ne tirons que des extraits):

(34)

il

l

~tre une science strictement empirique [ ...

l

La

sémantique générale n'est pRS une "philosophie"

quel-conque, ou une "psychologie", ou une "logique" dans

le sens ordinaire. C'est une nouvelle discipline

extensionnelle qui nous entraîne à utiliser nos

sys-tèmes nerveux le plus efficacement [ . . .

l

En bref,

c'est la formuiation d'un nouveau système

non-aristotélicien d'orientation lequel affecte toute

branche de la science et de la vie. Les différentes

questions impliquées ne sont pas tout à fait neuves;

leur formulation méthodologique en tant que syst~me

qui est pratiquable, enseignable et si élémentaire

qu'tl peut être appliqué aux enfants est tout à fait

neuve.37

si nous comparons cette brève introduction de Korzybski à la

citation suivante de Valéry:

J'ai eu cette idée perpétuelle -- que la culture de l'esprit, de ses machines, formations de machines,

de leur emploi, de leur multiplication était une

culture dans l'enfance.

Je vois toujours un homme s'y appliquant, à

par-tir d'une idée juste et v§rifiable, et vérifiée à

chaque instant de l'esprit, arrivant au moyen de soi

bien conduit, bien manié à gouverner ce qu'on appelle cerveau et cet indéfini, comme un être fini, comme un

cheval -- (VI, 629),

il semble être question chez les deux penseurs:

1° d'une science empirique, c'est-à-dire une

discipline dépassant le niveau verbal,

théori-que, philosophique qui

2° affecterait le comportement même de l'individu,

effectuant une "éducation totale nerveuse", 3 8

selon le terme de Valéry, et dont le but serait d'accroître l'efficacité de toutes les facultés de l'être humain.

Le présent travail ne se propose nullement de faire de Valéry

un "sémanticien général". Nous croyons cependant innover en

soutenant qu'établir un rapprochement entre Valéry et Korzybski

(35)

poète. La sémantique gé~érale, dont le contenu rappelle d'une

façon frappante certaines théories de Valéry, est une

disci-pline encore enseignée dans nombre de cOllèges et universités

américains. Le contenu des Cshi ~:rs de Valéry serait-il

égale-ment utilisable?

La deuxième partie de notre thèse comprendra une étude

com-parative des systèmes de Valéry et de Korzybski. Les points de

convergence de la pensée de ces deux auteurs sont multiples.

Remarquons que Valéry n'était que de huit ans l'aîné du penseur

polonais. Le premier était littérateur par formation, le

second ingénieur. L'un comme l'autre fut profondément frappé

par les découvertes sclentifiques qui bouleversèrent le début

du siècle. Tous ~eux étaient familiers avec les recherches

d'Einstein, de Poincaré, de Piéron, etc., et perçurent avec

acuité le décalage de plus en plus grandissant entre les

nou-velles vérités de la science du vingtième siècle, nota~ment la

relativité et la mécanique des quanta, et les conceptions

tra-ditionnelles de l'homme et de l'univers maintenues dans les

systèmes philosophiques.

tournèrent vers le langage

Ainsi, presqu'au mème moment ils se

source de grands malentendus

pour effectuer un nettoyage de la situation verbale. "Nous

vivons dans et de la scholastique d'origine grecque, de la

dia-lectique et de la forme du "savoir" fondée sur l'analyse du

langage commun [ ... ]" (XVII, 746). Mais aujourd' hui "nous en

savons plus que le langage créé dans un temps où nous en

(36)

faut donc se défaire des problèmes verbaux illégitimes, des

fausses entités telles qu' "esprit", "âme", "temps", "espace" ,

etc., divisions que l'on ne peut établir dans l'univers réel où

tout est relations. Au contraire, il impose, selon Valéry, de

se "refaire des yeux qui voient ce qui est à voir, et non ce

qui a été vu" (XX, 436). Et Korzybskj d'ajouter:

Dans mon cas, je dois construire un langage

non-élémentaliste dans lequel "sens" et "esprit",

"émo-tions" et "intellect", etc., ne sont plus séparés

verbalement, car un langage dans lequel ils sont

séparés n'est pas structurellement similajre aux

faits empiriques connus, et toutes spéculations dans un tel langage é1émenta1iste (aristotélicien) doivent

être trompeuses.39

La refonte du langage se situe par conséquent à la base de la

recherche de Valéry ainsi que du système "non-aristotélicien"

de Korzybski que nous définirons plus amplement. Tous deux

vont se créer un système verbal dont le fonctionnement tentera

de copier celui des mathématiques. Les cheminements dans

cha-que cas seront différents. Mais c'est alors que

d'intéres-santes comparaisons pourront être établies ~ntre 1e~ deux

méthodes. Pour Valéry comme pour Korzybski l'accent sera placé

non sur le "contenu", mais sur le "fonctionnement", sur

l ' "ordre" et la "structure", sur le "système" de relations".

Valéry aboutira à une gymnastique intellectuelle -- hygiène

mentale -- rendue possible grâce au "Moi Pur" ou "conscience

consciente" bien entraînée: l'invariant dans le fonctionnement

mental ou le zéro absolu des équations algébriques:

Penseur • •. Pour':ant il est possible de trouver un

(37)

pen-- 28

-seur comme on est dêmseUI~, et usant de son esprit

comme celui-ci de ses muscles et nerfs; qui,

perce-vant ses images et ses attentes, ses langages et ses

possibilités, ses écoutes, ses indépendances, ses

vagues, ses nettetés, -- distingue, prévoie, précise

ou laisse, se lâche ou refuse -- circonscrive,

des-sine, se possède ... artiste non tant de la

connais-sance que de soi, -- qu'il préfère à toute

connais-sance [ ... ] (VI, 173).

Korzybski, lui, prétendra aboutir à un même état de bien-être

mental (sanity < 3-i0nce a~j Sanity) au moyen d'une gymnastique

intellectuelle singulièrement semblable à celle de Valéry: le

procédé de différenciation généralisé menant à la "conscience

d'abstraire" (consciousness of abstracting), laquelle, déclare

Korzybski,

résulte en la sagesse que l'épistémologie et

l'expé-rience personnelle peuvent nous donner, étant

struc-turellement un résultat total de l'expérience de la

race. Puisque la structure est basée sur les

rela-tions et l' ord,~e, l'entraînement structural,

lorsqu'il est effectué consciemment, devient une

méthode physiologique, qui opère simplement et

auto-matiquement.4o

Toutes ces notions de "Moi Pur", de "conscience d'abstraire",

de "procédé de différenciation", de "structure" 1 d' "ordre",

de "réalité" étant les bases sur lesquelles nous fonderons nos

rapprochements entre Valéry et Korzybski seront revues,

déve-loppées, comparées dans cette deuxième partie de notre étude.

Après la mort d'Alfred Korzybski en 1950 la sémantique

générale tombe, il semble, peu à peu dans l'obscurité (sauf

dans le domaine de l'éducation, où les thèses sur le sujet

pro-lifèrent). Le système de Korzybski a-t-il lui aussi fait

fail-lite? C'est une question que les savants, paraît-il, ont

(38)

jours eu beaucoup de difficulté à résoudre. Un mathématicien,

Martin Gardner, consacre quelques pages à la sémantique

générale dans son livre: Fads and i=al1acies i n the Name or

Science (1957); critique acerbe, i l avoue néanmoins: "La

sémantique générale (et le psychodrame) doivent être vus comme

des exemples polémiques et marginaux, qui peuvent ou non avoir

un mérite considérable."41 Bertrand Russell, après une lecture

de Science and 5anicv , télégraphia de Londres à Korzybski:

"Votre travail est impressionnant et votre érudition

extraor~i-naire. N'ai pas eu le temps pour une lecture complète mais

pense bien des parties lues. Sans aucun doute vos théories

exigent une sérieuse considération."42 (On croirait dans ce

télégramme entendre des savants français commenter l'oeuvre de

Valéry!) Pourtant B. Russell n'a jamais fait dans ses ouvrages

d'allusions quelconques à l'oeuvre de Rorzyb3ki. Gaston

Bache-lard, par contre, bien plus enthousiaste et plus optimiste dans

sa Phi 1 osophi ~ du non, concède beaucoup de méri te à la

tenta-tive korzybskienne:

En fait, le mouvement des extensions logiques a pris

depuis quelque temps en Amérique une importance

nota-ble. On en espère un renouvellement de l'esprit

humain et sans s'embarrasser de démonstrations

tech-niques ardues, tout un groupe de penseurs suivant

l'inspiration de Rorzybski s'appuie sur la logique

non-aristotélicienne pour renouveler les méthodes dé

la pédagogie. C'est là prouver la valeur de la

logique non-aristotélicienne en marchant, en

vi-vant c 43

Il est intéressant de noter que Bachelard fut le premier à éta-blir un rapprochement, quoique superficiel ici, entre la pensée

(39)

de Valéry et celle de Korzybski:

La pensée rationnelle trop droite risque

cepen-dant l'entêtement. Elle peut conduire l'évolution à

une impasse. Suivant l'amusante Gxpression de

Kor-zybski la tête humaine est alors un durillon, "a

cos-mic corn". Opinion qui confirme la belle pensée de

Paul Valéry: "On pense comme on se heurte." Il faut

alors se reprendre et c'est cette reprise que va

réa-liser le non-aristotélisme éduqué.44

En conclusion nous reverrons le système de Valéry comme

celui de Korzybski à la lumière de la phénoménologie

husser-lienne et des derniers travaux des sciences se rapportant à

l'étude de l'esprit humain. Le grand débat sera le suivant:

peut-on atteindre à une connaissance de ' 'homme valable selon

les méthodes de Valéry ou de Korzybski; peut-on traiter la

conscience comme un objet physique, observable, et la soumettre

à des analyses scientifiques à la manière de Valéry. Husserl

prétend qu'on ne peut saisir et connaître que ce qui possède

"

l'Etre la permanence, ce qui n'est pas victime des

contin-gences de l'existence. Puisque Valéry refuse d'aborder le

pro-blème philosophique de l'Être, sa recherche n'est-elle pas dès

le début vouée à l'échec; pourra-t-il jamais, malg~é bien des

efforts, retenir et saisir ce qui est en état de mouvement et

de changement constant? Valéry tente de résoudre cet aspect du

problème en suggérant la notion de probabilité tirée des

scien-ces. Les savants continuent de travailler, d'opérer sur la

matière ou sur l'univers en mouvement perpétuel grâce à la

pro-babilité, au principe d'incertitude d'Heisenberg. La

(40)

"abso-lue", mais une connaissance descriptive et opératoire. Quelle

est alors la valeur de la connaissance "absolue" husser1ienne

qui se dit plus vraie car plus permanente? Il faudra replacer

la quête de Valéry dans un conLexte philosophique.

La présente thèse sera une étude détaillée des Cahiers de

Valérx uniquement. Les autres écri ts du poète, comme /"Ionsiçut~

Tt::ste, Intt~oduct ion èl la méthode de L éona,-d de Vine i , Note et

di9ression, etc., ont tous été des oeuvres de circonstances et

ne nous semblent pas pouvoir exprimer d'une façon véridique la

pensée profonde de Valéry. Trop souvent dans ces textes le

poète s'amuse à pousser ses spéculatjons philosophiques jusqu'à

leur extrême, tel Teste. Sur ses propres créations Valéry

avoue: "Il m'est difficile da vouloir créer des personnages,

trop certain que je suis de l'absence de rigueur et d8 sanction

dans ces créations: je me dis: quelqu'un d'habile verrait que

ce sont d'impossibles fantoches" (II, 835). l'lells avons donc

choisi, afin de définir la véritable pensée de Valéry, de nous

en tenir aux notes de "laboratoire": aux Cahiers.

AVERTISSEMENT

Dans les pages qui suivent nous laisserons Valéry et

Korzybski s'exprimer librement, "à leurs risques et périls".

Les pensées qu'ils émettent ne reflètent pas nécessairement la

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