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Les pestilences du naturalisme : Zola descripteur des odeurs

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(1)

LES PESTILENCES DU NATURALISME: ZOLA DESCRIPTEUR DES ODEURS

by

Geneviève SICOTTE

A thesis submitted to the

Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements

for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Uterature McGiII University, Montréal

March 1992

(2)

SOMMAIRE

Les descriptions d'odeur, fréquentes chez

ZOla,

ont pourtant été peu étudiées,

! .

.,s chercheurs s'étant essentiellernent concentrés sur les descriptions visuelles du romancier. Ce mémoire, prenant pour corpus la série des Rougon-MacQuart, tente d'explorer cette problématique. L'hypothèse de départ est que les descriptions d'odeur sont chez Zola des lieux textuels où s'expriment les tendances impressionnistes du romancier. Le premier chapitre brosse une brève histoire du statut de l'odorat et des descriptions d'odeur, autant sur les plans philosophique, social que littéraire, en y situant le romancier. Le chapitre suivant, après avoir défini quelques concepts (notions de HamCJn et de Adam), rend compte du statut des descriptions d'odeur

à

l'intérieur de l'oeuvre zolienne. Quatre figures récurrentes sont dégagées: la redondance, la description multi-sensorielle, la clausule et la charnière. Ces figures visent toutes

à

valoriser la description d'odeur et

à

l'insérer dans une représentation fragmentée typique de l'impressionnisme. Le troisième chapitre entame l'étude du fonctionnement interne des descriptions par un survol du lexique des odeurs. Chacune des catégories lexicales dégagées est analysée

à

la lumière des fonction~ linguistiques de Jakobson. Malgré la présence de termes propres et de termes référentiels, le lexique des odeurs tel qu'employé par Zola fait surtout appel aux fonctions émotive et poétique du langage. Un premier mode de structuration des descriptions, basé sur l'accumulation paratactique de locutions privilégiant différentes fonctions

(3)

2 linguistiques, est alors abordé. Le chapitre final poursuit l'examen des modes de structuration

à

l'aide de la notion de plgn de texte (Adam) Les plans de texte les plus simples, basés sur les rélpports de conjonction et de disJonction, sont étudiés en premier lieu, permettant de vOir que Zola privilégie la description basée sur des rapports de disjonction sémantique entre les locutions Un plan de texte faisant intervenir les vallCioles temporelles et spatiales est ensuite examiné, ce modèle est rapproché de !a description ambulatoire pratiquée par les éCrivains ImpreSSion-nistes. Enflll, le mode de structuration le plus élaboré, ba~é sur l'emploI de la métaphore filée, est analysé

À

ce stade d'organisation, la descnptlon zoltenne, si elle continue

à

employer des procédés typiques de l'Impressionnisme, tend

à

recourir aussi alJX procédés descnptlfs plus conventionnels ,-lu réalisme-naturalis-me. La thèse de l'impressionnisme de Zola trouve alors ses IIrnttes Le texte conclut en soutenant que c'est Justement l'aillarice de l'Impressionnisme et du

(4)

ABSTRACT

The description of odour, trequent h1 Zola's work, has been little studied, most researchers having focused only on the visual description of this novelist. This dissertation, taking as its corpus Les Rougon-MacQuart, explores this issue. The working hypothesis is that Zola reveals his impressionist tendencies irj this type of description. The first chapter presents a brief history of the status of olfaction and description of odour in its philosophical, social as weil as in literary context. The following chapter, after having defined a few concepts (notions trom Hamon and Adam), presents the status of the description of odour in Zola's work. Four recurrent devices emerge: redundancy, multi-sensorial description, clausulae and turning poil"ts. These devices aim at enhan~ing the description of odour and situate it within a fragmented representation typical of impressionism. The third chapter begins the study of the Internai working of the description by examinlng the lexicon of odour. Each of the lexical categories is analysed using Jakobson's IingUlstlc functions. Despite the presence of proper and referential terms, the lexicon of odour as used by Zola resorts mostly to the emotional and poetical functions of language. A first mode of structuration of the description is addressed, based on the paratactic accumulation of locutions favouring ditferent linguistic functions. The final chapter continues the examination of modes of structuration, using Adam's notion of plan of text. The simplest plan of text, based on relations of conjunction and disjunction, is studied first, demonstrating the

(5)

-,

4 prevalence of semantic disjunction in Zola's description. Another plan of text, incorporating the time and space dimensions, is then analysed. The resulting model is linked with the ambulatory description typical of Impressionist writers. Finally, the most elaborate mode of structuration, based on the use of long-drawn-out metaphf)rs. is studied. At this ~tage of organization, Zola's description, If It still employs modes of structuration typical of impresslonism. makes recourso to the more conventional mode of description of realism-naturalism. Therein lies the limitation of Zola's impressionism. The teX! concludes by maintalning that Zola's uniqueness is based on his marri age of impressionlsm and reahsm-naturalism.

(6)

REMERCIEMENTS ... .. I l . . . • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • I l Iii

NOTICE • 'o. , . . . 0 • • • • • • • • • • • • • • I l I l • • • • • • • • • • • • • • • • lv

INTRCDUCTION .. .... . ... , ... 1

CHAPITRE 1 UNE PETITE HISTOIRE DES ODEURS ET DE LEUR DESCRIPTION ... 7

LE REGARD ET LE FLAIR ... " ... . 8

LE. CORPS-ANIMAL .. 13

...

CHASSEZ LE NATUREL 19 LE «ROMANCIER OLFACTIF» ... , ... , ... " 24 CHAPITRE 2 LE DESCRIPTIF D'ODEUR: LIEUX ET LIENS

32

QUELQUES PRÉCISIONS SUR LE DESCRIPTIF ... ... 33

Descnptlf et narratif ... . ... .. .. ".... . . ... " .... .. 33

Un schéma du descriptif ... .. . ... , .. .. ... 37

QUELQUES FIGURE.S .... ... ... ... 40

Redondances ... ... .. .. ... ... 40

Le choc des sens.. ... ... 45

Clausules .. ... ... ... ... 51

Charnières ... "... . ... 53

(7)

l

j CHAPITRE 3 LE LEXIQUE Il

57

L F. LEXIQUE ABSTRAIT 62

Affects et effets (le lexique affectif) 62 Des concepts fixes? (le lexique abstrait propre) 65 Un lieu de connotations (le lexique figuré et métaphonque) 66

LE LEXIQUE CONCRET LA REFERENTIALITE 68

La référentlallté simple 69

La pseudo-référentlallté 71

LE JEU DES SENS 73

CONCLUSIONS 75

CH:~PITRE 4

LE~; PLANS DE TEXTE 77

QU'EST-CE QU'UN PLAN DE TEXTE? 78

RAPPORTS DE CONJONCTION ET DE DISJONCTION 81

La liste homogène 82

Le mixte discordant 0 84

LES PLANS DE TEXTE COMPLEXES 0 0 87

Temporalité et spatialité 88

MÉTAPHORES FILÉES 93

Métaphore filée et ciescnptlf 93

Souffle, VOIX, musique 97

CONCLUSION 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 . . . 0 . 0 0 0 0 . . . . . . 112 BIBLIOGRAPHIE ... 0 . . 0 . . . • . . . . . .

(8)

(

REMERCIEMENTS

Mes remerciements vont en premier heu

3

ma famille et

à

mes proches, qUI m'ont encouragée tout au long de la rédaction de ce momolre Je dois beaucoup en particulier

à

Pascale Sicotte et

à

Michel Seymour sans leur soutien dans les moments difficiles, sans les longues et fructueuses diScussions auxquelles ils ont bien voulu se prêter, ce texte n'aurait Jamais pu voir le Jour

Je dOIs aussI beaucoup aux professeurs Laurent Lapierre et Francine Séguln, de l'Écoie des Hautes Études Commerciales de Montréal, dont l'intérêt réel témoigné pour mes études, la flexibilité et la confiance m'ont permis de mener ce mémoire

à

terme tout en travaillant.

Toujours du côté professionnel, Je tiens

à

expnmer ma gratitude

à

France Barabé, Nicole Bossard et Manette Duvemols, pour leur appuI moral autant que technique

Je désire enfin remercier mon directeur, le professeur Jean-Claude Morisot, pour sa lecture attentive et pour ses commentaires Judicieux.

(9)

IV

NOTICE

Le lecteur trouvera en annexe un corpus restreint des descriptions contenant l'ensemble des passages auxquels renVOient les notes Afin d'alléger le système de renvoI

à

ce corpus, les titres des différents romans ont été abréges de la façon SUivante.

La Fortune des RougQD FR

La Curée . C

Le Ventre de Pans VP

La Conquête de Plassans CP La Faute

oe

l'abbé Mouret FM Son Exc6i1ence EugènE; Ro~on SE

L'Assommoir ASS

Une page d'amour PA

Nana N

Pot-BoJI"e PB

A.u Bonheur des Dames BD

La JOie de vivre JV Germinal G L'Oeuvre 0 La Terre T Le Rêve R La Bête hUr1'lpln8 BH L'Argent AR La Débâcle 0 Le Docteur Pascal OP

(10)
(11)

2

Zola descripteur a suscité beaucoup d'Intérêt chez les chercheurs Cet Intérêt s'est toutefoIs cristallisé essentiellement autour de la description visuelle, qUI il est vrai occupe ur'e place prépondérante chez lA romanCier Cette situation n'est que normale: dans la qrande tradition descriptive réaliste, «toute description est une vue", écrit Barthes 1 La deSCription chez Zola met ainsI souvent en oeuvre

des modèles visuels canoniques,

à

un pOint tel que plusieurs théonclens (et en particulier Hamon) s'en sont servI comme modèle d'élaboration de la théone

Mais une oeuvre aussI touffue que celle du romancier de Médan ne se laisse pas rédUire aux modèles canoniques auxqu'3ls ell8 a recours, et parallèle-ment

à

ces recherches, d'autres cntlques ont étudié Zola sous un angle OLJ Il

échappe aux catégories de la deSCription réaliste canonique, celUI de l'impresslon-nlsme Iittéralre2 Encore une fo!s cependant, l'Impressionnisme de Zola a été étudié essentiellement dans une perspective visuelle les procédés descnptlfs relevés concernent la lumière, la tache, le tableau, etc Cela est sans doute InéVitable, l'esthétique impreSSionniste s'élaborant histOriquement dans la peinture, et ne semblant toucher les autres formes artistiques que d'une façon secondaire, par dénvatlon Les catégones de l'Impressionnisme peuvent pourtant être généralisées

à

un ensemble de formes artlstlques3. Or, c'est une caractéristique

2

3

Dans.§il p 61 a ce sUlet vOir aussI Hamon !!'troducllOn à 1 dnalyse du dest:;~, 0 ,2

VOir en particulier Matthew$, J H , "L'lm presslonrlsme chez Zola", Le 1!.?nçals..m..oderne, vol 29, JUillet 1 % 1, P

199-205, et Newton, Joy, "Emile Zola ImpreSSionniste», Le; Cahiers naturalistes, no 33 34, 1967, P 39·52 et 124· 138

(12)

de l'impressionnisme littéraire que de faire appel aux perceptions sensorielles autres que la vision. Que l'on songe en particulier aux descriptions d'odeur de Huysmans,

à

celles, plus tardives, de Proust, qui parlera de «sensations transposées»4. En fait, pour faire éclater les catégories cartésiennes propres

à

la description réaliste traditionnelle, ne faut-il pas justement sortir du «cadre» optique, et pénétrer dans la sphère des sens mineurs, où le langage laisse encore place

à

l'invention? Les descriptions d'odeur zoliennes, qui ont été plus d'une fois abordées par la critique, mais d'un point de vue essentiellement thématique, me semblent des manifestations de cette esthétique. Je ne prétends pas que Zola soit,

à

part entière un romancier impressionniste5• En effet, dans l'architecture romanesque et le projet totalisant, il est balzacien - et il reconnaîtra lui-même cette filiation dans son «Balzac" des Romanciers naturalistes. Dans cet ordre d'idées, la description est bien souvent décor classique destiné

à

accroître l'effet de réel, «pause» du récit, fragment informatif contribuant

à

la mise en place de la diégèse et des personnages. Mais certains romans des Rougon-MacQuart sont fondés sur un authentique projet artiste; que l'on songe au Ventre de Paris,

à

Une page d'amour,

à

La

Faute de l'Abbé Moyret,

à

L'Oeuvre et au Bonheur des dames. Dans ces romans, la description se déploie en pur jeu textuel, en pure perte pourrait-on dire; elle donne lieu

à

des «morceaux de bravoure" typiques de la

4

5

Cit' par Moser, p. 40.

Voir en particulier la mi .. au point de P. Hamon, <lÀ propos de l'impressionnisme de Zola", Les Cahiers naturahstes, no 34, 1967, p. 139-147.

(13)

4 tendance artiste et impressionniste. Je tenterai de montrer par mon analyse que les descriptions d'odeur sont des lieux textuels privilégiés pour l'expression de cette tendance.

J'adopterai successivement dans mon texte plusieurs perspectives, dans une trajectoire qui passera du général au particulier. Dans le premier chapitre, Je tenterai de brosser une petite histoire des odeurs et de leur description Je montrerai qu'à partir des temps modernes, les odeurs et le discours sur celleS-CI subissent une dévalorisation à la fois philosophique, esthétique et sociale. Je décrirai les divers aspects de cette dévalorisation, les pratiques SOCiales au sein desquelles la pratique du romancier,

à

la fois écho et protestation, prend place On verra que la dévalorisation de l'odorat provoque ce que j'appelle un cloison-nement des discours: il est approprié de parler des odeurs dans certains domaines de la connaissance, par exemple la SCience, mais pas dans d'autres, comme la littérature Une certaine censure se met donc en place dans ce dernier domaine. Le discours sur les odeurs, lorsqu'il survient, est cantonné dans des domaines très spécifiques de la littérature, jouant par exemple un rôle canonique dans la description érotique ou dans la parodie, et est fréquemment associé

à

d'autres thèmes eux-mêmes censurés. Je tenterai enfin d'examiner les flhatlons du discours du romancier sur les odeurs, et de comprr:ndre corrïlent le projet esthétique naturaliste tente de justifier le recours

à

ces descriptions.

(14)

l

l

Après avoir posé ces fondements historiques qui constituent en somme l'intertexte du discours zolien sur les odeurs, j'aborderai l'analyse proprement dite des passages descnptifs, ce que j'appellerai par analogie son intratexte. Dans le chapitre 2, après avoir établi quelques-uns de mes postulats méthodologiques, je considérerai quelle est la place du descriptif d'odeur re'atlvement

à

l'ensemble du texte: où est-il,

à

quel autre type de discours est-il associé? Les réponses

à

ces questions me permettront de dégager quatre figures, la répétition, la description multi-sensonelle, la clausule et la charnière, qui éclairent sur le statut des descriptions d'odeur dans l'ensemble du texte zolien. Dès ce moment, :e tenterai de montrer qu'est

à

l'oeuvre dans ces descriptions une esthétique qUI, s'éloignant du réalisme cartésien de la description visuelle, tend vers l'Impressionnisme littéraire. Je restreindrai encore davantage l'amplitude de mon analyse pour aborder, dans les chapitres 3 et 4, le fonctionnement interne des descriptions. Le chapitre 3 concernera spécifiquement le lexique. Je dégagerai quelques grandes catégories lexicales: termes abstraits (que l'on peut diviser en termes d'effet, en termes propres et en termes figurés) et termes concrets. Je montrerai que le vocabulaire des odeurs peut être mis en rapport avec trois des fonctions du langage dégagées par Jakobson, la fonction émotive, la fonction poétique et la fonction référentielle, chacune de ces fonctions pouvant donner lieu

à

des expansions descriptives. Cet examen du lexique me permettra de passer

à

l'analyse des rapports entre locutions. Je pourrai alors mieux illustrer comment s'effectue la mise en série des énoncés descriptifs, en dégageant entre autres

(15)

r

,

6 certaines structures syntaxiques récurrentes. J'examinerai enfin au chapitre 4 l'organisation de l'économie textuelle des descriptions, en allant des cas les plus simples aux plus complexes. J'examinerai les mortèles binaires, les plan de texte spatio-temporels et enfin les emploIs de métaphores filées Encore Ici, cette analyse me permettra de montrer

à

l'oeuvre des procédés récurrents plaçant la description d'odeur zolienne du côté de l'impressionnisme littéraire.

Chaque palier de l'analyse doit être cünsldéré comme cumulatif Les remarques sur le lexique posent le fondement, suivies de l'analyse de plans de textes de plus en plus complexes. Mo" but est de bâtir un édifice théorique où les pierres posées de chapitre en chapitre s'accumulent, de sorte que, d'un stade

à

l'autre de l'analyse, les données analysées anténeurement demeurent actives En conclusion, je considérerai dans leur ensemble les divers procédés que J'aurai montré

à

l'oeuvre dans les descriptions d'odeur, en tentant de voir S'Ils sont, comme je le postule, marqués au sceau de l'impressionnisme

(16)

..

CHAPITRE 1

UNE PEnTE HISTOIRE DES ODEURS ET DE LEUR DESCRIPTION

~

(17)

8

Les descriptions d'odeur, malgré leur relative rareté, s'Inscrivent dans une tradition littéraire que l'on peut faire remonter aussI loin que le Cantique des Cantigues. La des ;ription érotique, pour les bonne3 odeurs, et la cancature, pour les mauvaises, sont des genres où la descnption d'odeur a occupé hlstonquement une place canonique. "ne saurait être question ICI de retracer dans le détail l'évolution de cette tradition. J'en poserai simplement quelques Jalons, pour ensuite voir comment ce type descnptif en vient,

à

l'ère moderne, à être totalement disqualifié, Ce cheminement pourra se révéler utile pour mieux comprendre

à

la fois l'emploi spécifique des descriptions d'odeur dans le texte zohen et les réactions que ce discours SUSCite, Par cet exposé, Je tenterai aussI de dégager les fondements philosophiques que supposent des pratiques descnptlves faisant appel respectivement

à

la vision ou

à

l'odorat.

LE REGARD ET LE FLAIR

L'odorat n'a pas toujours été le sens néglige et même répnmé qU'II est aujourd'hui. Jusqu'au XVIIIe Siècle, la tradition philosophique, littéraire et surtout populaire donne plutôt

à

entendre une pluralité de VOIX 1 • Le courant des

promoteurs de l'odorat va de Lucrèce

à

Nietzsche en passant par Montaigne et les philosophes des Lumières, Chez presque tous les penseurs, l'argument retenu pour donner un statut positif

à

l'odorat est qu'au même titre que les autres sens

-Le passage qUi SUIt dOit beaucoup à l'Intéressante synthèse d'Annick Le Guèrer, "Le nez des philosophes .. , <1ans

(18)

..

,

et, la chose est Importante, de façon tout aussi efficace - l'olfaction permet

à

l'homme de connaître le monde. Il s'agit donc d'un argument sensualiste: l'odorat est essentiel

à

la surVie, Il est, selon le mot de Brillat-Savarin, la «sentinelle avan-cée» qUI guide les plaisirs autant qu'elle prévient les dangers.

Cette relative valOrisation se réflète dans les pratiques littéraires. Le portrait canonique de la belle dame pratiqué dans la littérature latine, et ensuite au Moyen-Âge, Inclut fréquemment des notations relatives

à

l'haleine2. Lucien Febvre écrit

à

propos des hommes du XVIe siècle.

Comme l'ouïe fine et le flair aiguisé, les hommes de ce temps avaient, sans nul doute, la vue perçante. Mais précisément, ils ne l'avaient pas encore mise

à

part des autres sens. Ils n'en avaient pas lié spécialement les données, par un lien nécessaire,

à

leur beSOin de connaître3.

Il cite

à

l'appUI de son propos une multitude de poètes de la Renaissance pour qui la description passe, avant les traits visuels, par des caractéristiques sonores, olfactives, tactiles.

La position philosophique rationaliste et idéaliste, qui en viendra

à

supplanter toutes les autres, accorril)~ cependant peu de crédit

à

l'odorat en tant

2

Selon Allee Colby. The Portrait ln Twelfth Century French Llterature, p 96

3

(19)

10 qu'outil de connaissance. Pour les philosophes de l'antiquité grecque, l'olfaction humaine apparaît avant tout comme un sens imparfait en comparaison du flair animal, que l'observation révèle être infiniment plus sensible C'est aussI un sens à "identité mal définie'

Situé

à

la charnière des ser.s de la «distance», la vue et l'ouïe qUI supposent une médiation externe, et de ceux du «contact», le goût et le toucher qui s'exercent à travers la chair, milieu Interne au sUJet, l'odorat est amblvalent4•

À

cause de cette ambivalence, Anstote place l'odorat en position médiane dans son échelle des sens. Une autre amblgu'lté vient encore camcténser l'odorat c'est un sens qui contrrbue

à

la fois

à

ce qU'il y a d'élevé et

à

ce qU'II y a de bas en l'homme. En effet, s'il ;Je ut donner des plaisirs supérieurs - faire appréCier le bouquet d'une rose - il est aussI lié de près aux faiblesses de la chair, pouvant entraîner la gourmandise et la luxure La position de Platon est aussI marquée par cette ambiguïté' le philosophe classe les plaisirs de l'odorat dans les «contente-ment purs, c'est-à-dire détachés de toute souffrance»5, mais Il condamnera dans la République les parfums, qui «encouragent la mollesse et les plalslrs»6

4

Le Guérer, Les pouvoirs de l'odeur, p 231

5 Le Guérer, Les pouvoirs de l'odeur, p 232

6

Cité par Corbin, Le 1T,IaSme et la longuille, p 290

(20)

Saint Thomas d'Aquin, reprenant et développant plusieurs principes aristo-téhciens, placera tout comme le «prince des philosophes» l'olfaction en position médiane dans son échelle des sens. La polarisation accrue entre le charnel et le spirituel qUi caractérise la pensée c~rétienne favorise cependant l'émergAnce d'une certaine méfiance envers l'odorat - les plaiSirs purs qU'II P€~t prol:urer étant toujours susceptibles de mener

à

la luxure. Quelques siècles plus tard, Kant va au bout de ce mouvement, en supprimant le terme positif de ~a double identité de l'odorat Selon Kant en effet, l'odorat ne peut procurer une Jouissance esthétique qUI SOit déSintéressée, donc pure: le domaine du beau Idéal lui est ainSI étranger La pensée de Kant connaîtra une grande pos~énté dans ce domaine, puisque même aUjourd'hUi, le parfum n'est pas reconnu comme oeuvre d'art par la législation, ne rapportant pas de droits d'auteur

à

son créateur?

Cette position contribue de façon décisive

à

l'élaboration d'un paradigme où l'odorat est relégué au rang de sens animai et Instinctif, qU'II convient de répnmer. La situation sera encore aggravée par la nouvelle hiérarchie des sens établie par le cartéSianisme.

À

partir de Descartes, le monde et l'homme sont dorénavant perçus comme distincts, et d'une essence radicalement différente: l'homme est sUjet, le monde est objet Dans ce nouveau rapport, la capacité des sens de l'homme

à

comprendre le réel est niée. Les mathématiques et la géométne deViennent les seules vOies de la connaissance vraie et vénflable. Seul

A ce sUJet, vOIr l'ouvrage d'Edmond Roudnltska, L'EsthétIque en questton, IntroductIon à une esthétIque de

(21)

le regard échappe en partie

à

cette disqualification' sens Intellectuel, sens volon-taire par excellence, le regard, plus qu'ill'1e tire l'homme malgré lUi dans le monde, permet

à

l'homme de se distanCier des choses et de les objectiver AinSI, parce que la vision est promue au rang de sens de la connaissance, et qu'émerge un mode cognitif privilégiant la rationailté, les autres sens (et surtout ceux que l'on dit «concrets», le goût, l'odorat, le toucher) basculent dans le domaine de l'antl-sclen-tifique, de l'animalité

Quelques penseurs plaideront par la sUite pour une revalOrisation de l'odorat, mais ce plaidoyer lUI-même constituera alors une forme de contestation, marquant la prédominance Institutionnalisée de la vISion et de ::.es catégorle~

Ainsi, Nietzsche, pour qUI cela s'Inscnra dans un nécessaire rejet des contraintes sociales et dans un retour à l'instinct et à l'intuition. «Tout mon génie est dans mes narines», écnra-Hl8 Freud, dont la pensée est sous bien des aspects proche de celle de Nietzsche, associera de façon directe le refoulement sexuel et le refoule-ment olfar.tif. Il se demandera SI le refoulerefoule-ment du plaiSir olfactif qUi résulte de la position debout ne jouerait pas «un grand rôle dans la faculté de l'homme d'acqué-rir des névroses»9.

8 Ecce Homo, cité par Le Guéler, p 273

(22)

'{

La hiérarchie nouvelle qUI gouverne les sens fait que la descrrptlon devient

essentiellement visuelle, assujettie de plus en plus

à

un projet de représentation réaliste pour qUI le ~eul réel objectivable, eXIstant non pas par des effets subjectifs, mais par une présence des objets qUI se vérrfle

à

la fOIS par l'expérrence et par la sanctIon sociale, est le réel accessible par la vue. Toute notre façon d'appréhen-der la réalité, et partant toute la mlmésls mod'appréhen-derne, est fondée sur la vue. G'est ici que s'enracine la tradition descrrptive pétrie de références picturales qui trouvera sa réalisation sans doute la plus éclatante avec Balzac. Cette tradition rend dlffici-lement concevable, et même diffiCidlffici-lement légitimable, le faIt de décrire non pas en rendant visible, mais en faisant sentir Rhétorrquement, la description est avant tout "peinture», morceau destiné

à

«faire voir» au lecteur Les modèles stylistiques canoniques - portrait, paysage - témoignent de cette pnmauté de la vision, de même que les thématiques et les métaphores employées: cadre, tableau, fond, plan, perspective, etc.

LE CORPS-ANIMAL

SI elle a des racines dans la pensée philosophique et esthétique, la modification de la hiérarchie des sens ne tarde pas

à

entraîner une révision des pratiques et des rituels reliés au corps. On sait que le XIXe siècle européen est le théâtre de l'émergence généralisée d'un nouveau puritanisme bourgeois. Les usages qu'Impose ce puntanlsme visent

à

maîtriser toutes les manifestations -,

(23)

14 corporelles, et tout particulièrement celles de la sexualité et des fonctions d'éliml-nation La dévalorrsation de l'odorat et des odeurs forme système avec cette répression Tout se passe comme SI l'on ne "oulalt plus avoir à se servir de son flair, fonction qUI rappelle par trop la part de l'animai en l'homme Une modlfl cation de l'échelle des valeurs olfactives se produit Alain Corbin décrrt l'appan-tlon,

à

partir de la seconde mOitié du XVIIIe siècle, d'une senSibilité quasI morbide aux puanteurs

TOUl se passe comme si un brutal abaissement du seuil de tolérance s'était opéré; et cela, bien avant que les nuisances Industrrelles ne se soient accumulées dans l'espace urbain 10

Corbin attribue au développement et à la diffUSion des théones sCientifiques sur la contagion la responsabilité première dans l'Imposition de cette nouvelle norme Mais de plus, le fait que la culture bourgeoise ait endossé le paradigme selon lequel la viSion est le sens de la rationalité et l'odorat celUI de l'animalité a sûrement eu un pOids certain La sCience elle-même se développe au sein de ce paradigme, et tend à le renforcer

La nouvelle sensibilité aux odeurs s'exprime autant dans la sphère privée que dans le domaine public Dans le privé, l'Introduction de la salle de bain contribue

à

une gestion des odeurs en circuit fermé Les prescriptions de

l'hy-10 Corbin,

(24)

glène se modifient À la «toilette sèche» se substituent le lavage fragmentaire et même le bain complet" Le seuil d'acceptabilité des odeurs corporelles se déplace l'odeur de la sueur s'associe au travail manuel, au peuple.

L'Influence reconnue du physique sur le moral valorise le propre et l'ordonné De nouvelles eXigences sensibles renouvellent la civilité; la délicatesse accentuée des élites, la volonté de s'écarter du déchet organique, qUi rappelle l'animalité, le péché, la mort, en bref, le souci de punflcatlon hâtent le progrès'2

La répreSSion ne touche pas que les puanteurs, et le contrôle des odeurs agréables, bien que beaucoup plus subtil, n'en est pas moins présent. Pour de multiples raisons, les parfums suscitent la méfiance D'une part, ils peuvent avoir le statut trouble du masque venant dissimuler un manque d'hygiène. Ils provoquent alors la crainte du miasme sournois, bonnes odeurs évoquant par ncochet la thématique morbide ou scatologique Les parfums sont aussi liés de façon privilégiée

à

la sexualité. Flattant les sens, susceptibles d'Inciter

à

la luxure, Ils font l'objet de précautions visant

à

désamorcer leur caractère érotique. Aux femmes de la bourgeOISie, seules sont permises les odeurs

«à

l'eau de rose»: sen-teurs simples de violette, de verveine, de chèvrefeuille, dénvées non pas de prodUits animaux comme le musc, mais d'essences végétales - symbolique

11

12

Hlstolle de la vie prtveJ!. P 442. vOir aussI Georges Vigarello, Le propre et le sale, l'hygiène du corps depuIs le Moyen Âge

(25)

J.

16 transparente s'il en est13. Mais de la même façon que le pied, seule partie visible

du corps de la femme, se trouve au XIXe siècle investi d'une pUissante charge érotique, le soliflore peut devenir le parfum même du déSir - témOin la verveine de Hélène Grandjean dans Une page d'amou[, et plus encore celle de la «dame du troisième>, de Pot-Bouiile. Autre motif de méfiance contre les bonnes od81lfs: comme le montre Alain Corbin, le parfum, symbole même de l'évaporation et de la dilapidation, VB

3

l'encontre de la mentalité bourgeoise. «II y a quelque chose

d'intolérable, pour le bourgeois,

à

voir s'évanoUir ainSI les produits thésaurisés de son labeur» 14.

Tout le domaine social semble aussi travaillé par l'idée de contention qUi marque l'hygiène personnelle - maîtrise de l'odeur des corps, dor.e, mais aussI de celles des lieux publics C'est

à

cette époque que l'organisation des systèmes d'hygiène passe du stade artisanal

à

l'ère Industrielle enlèvement des ordures, creusement d'égoûts collecteurs, réglementations diverses touchant les ordures et les émanations industrielles, autant de mesures qUI visent

à

réduire la

pesti-lence. On parvient

à

produire en grande quantité le chlore, l'ammOniaque, la soude, instruments essentiels du contrôle des puanteurs La sCience travaillera désormais

à

contrôler les miasmes -

à

les annihiler autant que possible, ou a tout le moins à les circonscrire, les Images du conduit et du clapet, ICI, faisant office de

13

14

VOir Corbin, p 229 et SUivantes

(26)

métaphores structurantes 15. La réorganisation urbaine qui s'effectue au XIXe

siè-cie apparaît déterminée par les mêmes structures symboliques. Tout le travail de l'urbanisme, dès la Restauration, mais surtout avec Haussmann, consistera en effet dans un mouvement de ségrégation des différentes classes sociales qui vise à éviter la cohabitation de la bourgeoisie avec le peuple, du «haut» avec le «bas»16.

La langue parlée par la société du XIXe siècle est à son image: à la répres-sion et

à

la dissimulation des fonctions du corps, au cloisonnement des lieux d'émission des puanteurs répondent, par une sorte de mimétisme, des ph éno-mènes similaires dans le langage. Comme il y a des actes que l'on ne pose pas en public, mais dans l'intimité du cabinet, il y a un discours qui ne se tient que dans l'espace forclos de la science, là où, encadré, il apparaît relativement inoffen-sif.

On sait quel développement spectaculaire connaissent au XIXe siècle l'hy-giène et l'industne chimique, qui donnera naissance à la parfumerie moderne. L'essor de ces sciences est sensible par la prolifération même de travaux des chercheurs: Hailé, Claquet, Parent-Duchâtelet, Ronesse et d'autres s'intéressent qui à l'hygiène, qUI

à

l'osphrésiologie, qui à Ip. :,ontagion et aux façons de s'en protéger. La science rêve de découvrir les odeurs primaires ou fondamentales,

15

Corbin, p 262

(27)

..

- - -

-18

d'où seraient issus tous les composés, de nommer et de classer les puanteurs -tentatives de maîtrise symbolique, sinon réelle. Le vocabulaire des odeurs prend sous la poussée de ce développement des proportions qU'II n'avait sans doute jamais eues auparavant. Ainsi, par un intéressant paradoxe, la volonté de standardiser les parfums et de circonscnre et d'éliminer les puanteurs mène à l'élargissement du discours sur les odeurs - dans le domaine sCientifique

à

tout le moins. En effet, le mouvement inverse se produit en littérature. C'est ICI qu'a lieu «l'épuration du langage olfactif,> notée par Corbin, qui constitue selon lUi «un des aspects majeurs de la désodorisation» 17. De par les sUjets qU'Ils traitent, qUi

occultent ou évacuent les fonctions physiologiques et les réalités SOCiales «sordi-des», le romantisme et l'idéalisme n'ont pas besoin de parler des puanteurs Celles-ci n'entrent simplement pas dans le domaine de ce que le littéraire se donne pour mission de représenter. Sous la plume des poètes romantiques, les mêmes poncifs reviennent avec une régulanté lassante. Quelques extraits choisIs au hasard: «l'air est si parfumé», «les parfums légers de ton air embaumé", «l'air embaumé du soir» 18, «l'odorant souvenir» 19. Un peu plus de détails chez

Hugo: «un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle'; Les souffles de la nUit flottaient sur Galgala»2o. Enfin chez Musset, «les parfums du pnntemps» côtoient

17

18 19

20

Corbin, p 272.

lamartine, .. L'automne .. , .. Le lac .. , .. Le vallon .. Marcehne Desbordes-Valmore, "Les roses de Saadi" .. Booz en-.iorml ..

(28)

(cie zéphyr dans son voile odorant»21. L'odeur se voit désignée par un mot, ccpar-fum», par une évocation minimale qui est bien loin de la description. Le caractère sytématiquement agréable des odeurs évoquées est

à

souligner, d'autant plus qu'il trouvera une contrepartie cinglante dans les descriptions zoliennes.

CHASSEZ LE NATUREL. ..

Peu

à

peu,

à

partir de la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste pourtant

à

une résurgence de la tradition des descriptions d'odeur. Le courant réaliste, tentant d'intégrer au domaine de la représentation littéraire l'ensemble des réalités humaines, ne contribue pas peu

à

ce retour. Et,

à

tout seigneur tout honneur, c'est

à

Balzac qu'il revient de traiter le premier du sujet de façon élaborée. Chez le romancier, le statut des descriptions d'odeur en est cependant un de subordi-nation, sans pcsslbihté d'autonomie. C'est l'appartenance du fragment descriptif d'odeur

à

une description plus vaste qui le rend légitime. L'odeur intervient alors comme aspect22 dans un topos qui, le plus souvent, est celui du cclieu idyllique». Dans la logique de ce modèle, l'odeur évoquée est toujours agréable. Ainsi, la ville de Guérande «déploie sa robe semée de belles fleurs, secoue le manteau d'or de ses dunes, exhale les SE:"teurs enivrantes de ses jolis chemins épineux et pleins

21

"Lucie et .. La nUit de mal"

(29)

- . _

-20 de bouquets noués au hasard»23; ailleurs, «les vives senteurs de ces arbustes [se mêlent] aux sauvages parfums de la nature montagnarde, aux pénétrantes odeurs des jeunes pousses de mélèzes, des peupliers et des pins gommeux»24. Senteurs enivrantes, vives, sauvages parfums, pénétrantes odeurs' la description d'odeur est ici avant tout un opérateur de tonalité, destiné à valOriser méhoratlve-ment le texte. De semblables passages euphOriques peuvent être retrouvés dans de nombreux romans de Balzac.

Il arrive aussi que l'odeur décrite dans le iOman balzacien SOit une odeur désagréable, et donc un opérateur de tonalité dysphorique. Dans ce cas, le texte frôle bien souvent la parodie. Une description d'odeur assez complexe est présentée dans le Père Goriot; il s'agit de la description de la pension Vauquer

23

24

25

Cette première pièce exhale une odeur sans nom dans la langue, et qu'il faudrait appeler l'odeur de pension. Elle sent le renfermé, le moisi, le rance; elle donne froid, elle est humide au nez, elle pénètre les vêtements; elle a le goût d'une salle où l'on a dîné; elle pue le service, l'office, l'hospice. Peut-être pourrait-elle se décnre si l'on inventait un procédé pour évaluer les quantités élémentaires et nauséabondes qu 'y jettent les atmosphères catarrhales et SUI generis de chaque pensionnaire, jeune o~ vieux Eh! bien, malgré ces plates horreurs, si vous la compariez

à

la salle

à

manger, qui lui est contiguë, vous trouveriez ce salon élégant et parfumé comme dOit l'être un boudolr25.

Béatrl)(, Ëditlons Rencontre. vol 19, P 213. Le médecin de campagne, vol 6, P 28 Le père Gonot, vol 8, P 33.

(30)

Par sa construction et sa thématique - déclinaison systématique de différents

registres sensoriels, thèmes de l'indicible, des ccodeurs primaires", de la confusion

des lieux

et

des corps, etc:. • ce passage préfigure certaines descriptions

zolien-nes dont j'aurai l'occasion de reparler.

Par contre, les périphrases

et

les

euphémismes

à

visée comique, les jeux sur les structures phrastiques, les

allitérations et globalement l'ironie du narrateur tirent l'extrait du cOté de la farce

et

de la satire, domaine où, on le sait, sont tolérées les descriptions des

manifestations du «bas'). Il est de toute façon un cas-limite de l'écriture

balzacien-ne, qui dans le registre olfactif privilégie généralement la déclinaison de choses

à

l'odeur agréable aux dépens de toute tentative réelle de description.

Les épigones de Balzac, dans un désir de pousser plus loin le ((rendu» du

réel, auront de plus en plus recours

à

la description d'odeur. Dans la dEJscription

de lieu en

pa~tlculier,

l'odeur deviendra un des aspeds systématiquement traités.

C'est le cas chez des aînés de Zola comme les Goncourt ou Gautier, ou chez

certains de ses contemporains tels Vallès, Huysmans et Maupassant.

Plus

important encore, ces

~')manciers

pratiqueront une esthétique de la description

d'odeur dysphorique, ou

à

tout le moins mixte, s'inscrivant ainsi en faux contre

,'idéalisme.

Parallèlement au réalisme se développe dans le sillage du romantisme une

conception de la littérature comme expérience transformatrice et mystique, qui fera

(31)

22 rechercher l'excès le rimbaldien «dérèglement raisonné de tous les sens» -comme voie d'inspiration. Dans cette littérature «fin de siècle» s'exprime une sens.bilité affinée, que certains diront même décpr4ente, marquée par le spleen et

le nervosisme. La sexualité, et en général toutes les expériences de la limite -usage de l'opium, du hasch:ach ou de l'alcool - deviennent des thèmes consacrés. Les marges du corps social sont aussi explorées: les panas de toutes sortes, prostituées, bohémiens et homosexuels, acquièrent le statut de sujets littéraires. La perception olfactive, par ses liens avec la sexualité, par son aspect Involontaire, où le sujet semble se dissoudre, et enfin par son caractère de déclencheur de l'imagination déjà noté par Rousseau, acquiert un nouveau statut.

Chez un Rimbaud ou un Baudelaire, les thèmes de la Itmite constituent des vecteurs privilégiés pour les évocations et les descnptions d'odeur CelleS-CI surviennent de façon quasi systématique dans le cadre d'une descnption

à

thème érotique, morbide ou même scatologique - que l'on songe aux latnnes du «Poète de sept ans»,

à

la «Chevelure» ou

à

la «Charogne» baudelainenne. On retrouve dans leurs vers plus de «puanteurs cruelles» que de parfums suaves, conséquence d'une réaction face

à

l'idéalisme éthéré. "faut de plus noter que même les odeurs données comme agréables sont, chez Baudelaire en particulier, modaltsées d'une façon qui laisse planer i'ambigu'lté. La description du parfum de la chevelure (<<des senteurs confonduesj De l'huile de coco, du musc et du goudron») propose une

(32)

polyphonie olfactive qui s'écarte du modèle univoque et euphorique des poètes romantiques.

Deux courants semblent ainsi

à

l'origine de l'apparition des descr:ptions d'odeur dans la littérature du XI Xe siècle: d'une part, le réalisme-naturalisme qui, de plus en plus ambitieux, revendique le droit de parler de tous les sujets, si «bas» soient-ils; d'autre part, un avatar du romantisme, une sensibilité décadente qui tente de donner accès

à

la subjectivité de l'être faisant l'expérience de la limite. En conséquence, chez les représentants de ces deux écoles, romanCiers comme poètes, les thèmes qUI côtoient ou qui sont miS en place par des évocations d'odeurs quelque peu élaborées seront des thèmes de l'interdit - érotisme, mort, ordure, milieu de vie du peuple. Si ces deux courants peuvent être dissociés pour les fins de l'analyse, la pratique n'est pas aussi simple. Chez un grand nombre de romanciers, les influences se mêlent. Les Goncourt sont sans doute la meilleure illustration de cela26. L'introduction de descriptions d'odeur dans leurs

romans est justifiée par une volonté de réalisme de plus en plus grand, mais ils sont aussi influencés par le courant dérivé du romantisme. En particulier, la recherche du laid qu'ils préconisent résonne de consonnances éminemment hugoliennes. Dans ce contexte, la description d'odeur dysphorique n'est pas qu'effet de réel: elle est effet de style, permettant d'introdUire un vocabulaire et des

26

(33)

~

1

24

modèles descriptifs neufs, manifestation de ce que la critique a appelé l'écriture artiste ou impressionniste.

lE ccROMANCIER

OLFACTIF))

Zola aussi peut être considéré comme un rejeton

à

l'hérédité mixte Se situant

à

la pointe extrême du réalisme, le naturalisme, il se donne pour ambition de représenter les êtres et les choses dans leurs aspects même les plus triviaux. Dans L'Oeuvre, le romancier fait s'écrier

à

Sand OZ, son alter ego.

Ahl que ce serait beau, si l'on donnait son eXistence entière à une oeuvre, où l'on tâcherait de mettre les choses, les bêtes, les hommes, l'arche Immensel Et pas dans l'ordre des manuels de philosophie, selon la hiérarchie Imbécile dont notre orgueil se berce, mais en pleine coulée de la vie universelle, un monde où nous ne serions qu'un accident, où le chien qui passe, et jusqu'à la pierre des chemins, nous compléteraient, nous expliqueraient; enfin, le grand tout, sans haut ni bas, ni sale ni propre, tel qu'il fonctionne .. Bien sûr, c'est

à

la science que dOivent s'adresser les romanciers et les poètes, elle est aujourd'hUI l'unique source pOSSible (0, 46)

Et plus loin, ce passage, qui redouble et prolonge l'autre .

Hein? étudier l'homme tel qu'il est, non plus leur pantin métaphysi-que, mais l'homme physiologimétaphysi-que, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes ... N'est-ce pas une farce que cette étude continue et exclusive de la fonction du cerveau, sous le prétexte que le cerveau est l'organe noble?... La pensée, eh! tonnerre de Dieu! la pensée est le prodUit du corps entier (0, 161).

(34)

Dorénavant, les fonctions physiologiques, à l'échelle de l'individu, ou encore la description des milieux populaires,

à

l'échelle de la société entière, ne sont plus les sUjets tabous que la littérature Idéaliste avait tenté d'évacuer jusqu'alors. Mais SI l'mtroduction des descriptions d'odeur dans l'oeuvre de Zola résulte de postulats naturalistes, elle peut aussi être rattachée aux critères esthétiques de l'impression-nlsme littéraire Certains romans des Rougon-Macquart sont fondés sur un authentique projet artiste; que l'on songe au Ventre de Paris,

à

Une page d'amour,

à

La Faute de l'Abbé Mouret,

à

L'Oeuvre et au Bonheur des dames. Dans ces romans, la description se déploie en pur Jeu textuel, en pure perte pourrait-on dire, donnant lieu

à

des «morceaux de bravoure» typiques de la tendance artiste et impressionniste.

Les descriptions d'odeur, se trouvant ainsi justifiées sous plusieurs aspects, accèdent dans le texte zolien au statut de procédé descriptif usuel. L'odeur des personnages et ~":~ lieux est un motif textuel fréquent. Dans Le Ventre de Paris, les effluves manns s'associent aux senteurs de boucherie et aux pestilences des fromages pour créer l'impression d'une orgie de nourriture qui submerge Florent, et dont seule «la bonne senteur de plein-îir» (p. 798), l'odeur balsamique du «thym que le soleil chauff[e]» (p. 803) peut le purifier; dans La Faute de l'abbé Mouret, tout le drame de Serge et d'Albine se joue entre le «ferment d'éclosion» (p. 1225) de la basse-cour, l'odeur pure de la chambre de Serge et de l'église, et les

f

parfums grisants du Paradou; l'odeur d'oignon frit de Germinal, «violent fumet de

(35)

26 cuisine pauvre» (p. 1234), trouve un contrepoint dans le fumet du lapin que l'on fait mijoter lors des fêtes (p. 1260), mais aussI dans l'odeur de la bnoche des Grégoire (p 1203) et de l'ananas des Hennebeau (p 1310) Chez Zola. une odeur ne vient Jamais seule: un parfum complémentaire ou opposé l'accompagne toujours. L'univers olfactif zollen est ainsi tout entier organisé en constellations d'odeurs qUI se répondent, se complètent, s'opposent, tissent des réseaux de sens. Ce qui pourrait n'être qu'une technique descriptive réaliste contnbue

à

la profondeur thématique du texte, et touche même au symbole

L'odeur est aussi souvent le signe par lequel se manifeRte la «métonymie généralisée du corps et du lieu» qu'a relevée Mltterand27• Les personnages

prennent l'odeur de leur milieu, et pius spécifiquement de leur profession La description d'odeur devient alors (comme toute descnptlon sans doute, bien qu'à des degrés divers) le lieu de cette «surdétermination du personnage» dont parle Hamon2B• Dans Le Ventre de Pans, la belle Normande empeste la vase et le

poisson, Cadine fleure le muguet et la rose; dans L'Oeuvre, Mathilde «empoisonne la pharmacie» (p. 72); et même FauJas, dans La Conquête de Plassans, sent successivement l'ange «<une vague odeur d'encens et de Cire», p 990) et le démon (<<cette odeur âcre de combattant», p. 1165). Les corps de ces personna-ges ne sont pas uniquement pénétrés par les effluves de leur milieu, victimes d'une

27 Le regard et le Signe, p 121

28 Le personnel du roman, p 123

(36)

..

'il tfl -1 ',' ...

sorte de contamination: leur odeur est un réel dévoilement ontologique - témoin les Inutiles "huiles aromatiques» et lavages

«à

grande eau» de Loui"e (p. 738-739), les tentatives de Mathilde «d'arracher de sa peau les senteurs d'aromates dont l'herboristerie l'[a] imprégnée» (p. 325), procédés qui sont tous impuissants

à

faire disparaître les relents de la profession, amenés par le sang lUI-même. Quand un personnage réussit

à

camoufler son odeur (comme dans le cas de Faujas, première époque) et

à

dissimuler sa véritable identité, celle-cI ne tarde pas

à

resurgir - sous forme de puanteur - dès que cela est possible. L'odeur devient ainsi la symbole, le condensé, et même le pnncipe actif du support dont elle émane. La description d'odeur peut être vue comme l'actualisation parfaite d'une des définitions de la description qu'a donnée Zola: «un état du milieu qui détermine et complète l'homme»29 .

Cette pratique descriptive ne laissera pas la critique indifférente. Les admirateurs seront nombreux parmi les écrivains. Sur un ton enthousiaste, Huysmans écrit

à

Zola, en parlant de Pot-Bouille: «ce que ça sent l'évier et le grail-Ion des cUlsines!,,30 Maupassant écrit au romancier,

à

propos de La Faute de l'abbé Mouret:

29 JO

[ ... ] j'ai éprouvé d'un bout

à

l'autre de ce livre une singulière sensation; en même temps que je voyais ce que vous décriviez, je

"De la descnptlOn .. , Oeuvres complètes tome X. p 1300

(37)

r

, < ,

le respirais; il se dégage de chaque page comme une odeur forte et continue; vous nous faites tellement sentir la terre, les arbres, les fermentations et les germes, vous nous plongez dans un tel débordement de reproduction que cela finit par monter à la tête. 31

28

Du Ventre de Pans, il dit: «Ce livre sent la marée comme les bateaux pêcheurs qUI rentrent au port, et les plantes potagères avec leur saveur de terre, leurs parfums fades et champêtres» 32.

La critique de Ferdinand Brunetière est nettement mOins dithyrambique Prenant le ton

à

la fOIS Ironique et excédé du professeur devant le cancre réCldl-viste, il reproche

à

Zola le choIX de son volabulalre descnptif Il écnt, sur La..faute de l'abbé Mouret:

N'insistons pas sur l'étrange symphonie où ,'on entend les violettes «égrener des notes musquées», et les belles-de-nuit «piquer des trilles indiscrets»: aussI bien les souvenirs du Ventre de Pans nous

défendent-Ils de toute surpnse33.

-Des articles et même une thèse de doctorat portant sur le sUJet34 sont publiés. La science elle-même s'intéresse

à

l'odorat du romanCier, tentant

31

Cité dans l'appareil CfltlqUf' des Oel!VreS complètes, vol l, p 1683·1684

32

Cité dans l'appareil cntlque des Qeuvres complètes, vol III, p 16:>1

33

Le Roman naturaliste, «Le Roman réaliste en 1875 .. , p 17

34

(38)

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....

29

d'expliquer la littérature par la physiologie, De plusieurs études, la plus célèbre est sans contredit celle du Dr Toulouse, dont le titre-programme évoque à lui seul toutes les ambitions de la sCience du XIXe siècle: Enquête médico-psychologique sur les rapRorts de la supériorité intellectuelle avec la névropathie, Emile Zola, Dans cette étude, le Dr Toulouse soumet Zola

à

une série de tests psychologiques et physiologiques élaborés. L'examen de l'olfaction consiste

à

faire sentir au sujet, qUI doit tâcher de les mettre en ordre, des solutions de produits odorants titrées

à

divers degrés Le Dr Toulouse arrive

à

la conclUSion que bien que le romancier ne présente pas un odorat très sensible quantitativement, il est par contre doté sur le plan qualitatif d'une «finesse de l'olfaction que l'on peut comparer à celle des parfumeurs»35 ZOl8 «est réellement un olfactif», statue-t-il36

• Le verdict est

posé, qUi s'attachera avec persistance

à

la personne de l'écrivain.

Il est Intéressant de noter qu'une grande partie des critiques soulevées par les sujets qu'aborde le romancier - les «basses classes» et «l'homme physiologi-que·, - empruntent la métaphore olfactive. «Littérature putride»37, accusent les Journaux bien-pensants Le romancier fustigera en retour ces «petites feuilles littéraires» qUI «se sont bouché le nez en parlant d'ordure et de puanteur»38.

P 173

.16

P 163

Titre d'un compte-rendu de Thérèse RaQUiO par LOUIS Ulbach

Jtl

(39)

30

Brunetière va :nême jusqu'à la caricature, ramenant l'essence du naturalisme à la description de puanteurs diverses:

[ ... ] des images de débauche, des odeurs de sang et de musc mêlées à ce "es du vin ou du fumier, vOilà la Terre; et vOilà, va-t-on dire, le dernier mot du naturalisme! [Sur le~ autres romans

à

venir des Rougon-Macquart] Cela sentira seulement la caserne au heu de la ferme, le fumier de cheval au lieu du fumier de vache, ou l'odeur de fumée d'huile et de graisse à graisser au lieu de l'odeur des blés mûrs et des foins nouveaux; mais il s'y passera les mêmes choses [ ... ]39.

B. de Foureault écrit à propos du style de L'Assommoir' «je le caracténseral d'un mot de M. Zola, qui ne pourra se fâcher de la citation' "II pue ferme"»40 Zola avait en quelque sorte répondu par avance à cette accusation dans sa préface, qualifiant L'Assommol( d'«oeuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qUI ne mente pas et qUI ait l'odeur du peuple»41. Métaphores, dira-t-on, que toutes ces critiques, mais les métaphores sont-elles jamais gratuites? La «vénté» ou le scandale, selon le pOint de vue, passent par la description de l'odeur

L'existence même de ces textes, qU'Ils traitent des odeurs au sens propre ou au figuré, ou qu'ils abordent la question par le biais de la SCience, témoigne que le discours sur les odeurs est ce que Barthes appelle un discours

('para-39 Brunetière, p 325 et 333

40 Oeuvres complètes, Vol Il, p 1558,

(40)

doxal»42, en marge de la doxa, c'est-à-dire de l'opinion commune, reconnue et acceptée. La question qui m'intéressera est alors de découvrir comment s'effectue, selon l'expression de Adam, la «mise en texte» d'un type descriptif qui n'entre pas dans le discours romanesque habituel. C'est maintenant à cette étape de mon analyse que je convie le lecteur.

47

(41)

r

1

,

CHAPITRE 2

(42)

Ce chapitre a pour but d'évaluer le statut des descriptions d'odeur, non plus, comme je l'ai fait au chapitre précédent, dans le rapport d'intertextualité qu'elles entretiennent avec divers discours extérieur, mais dans les liens qui les relient aux autres parties du texte zolien lui-même - d'évaluer ainsi ce que l'on pourrait appeler leur statut intratextuel.

Toutefois, pour mieux parler de ces descriptions, j'aborderai auparavant la question du descriptif dans sa généralité, Je poserai quelques définitions et concepts qui me permettront

à

la fois de comprendre ce type discursif et de me situer par rapport aux recherches actuelles. Cela m'amènera ensuite

à

une première caractérisation de mon corpus, où je dégagerai quelques figures révélant la place et le statut du descriptif d'odeur au sein de l'oeuvre de Zola.

QUELQUES PRÉCISIONS SUR LE DESCRIPTIF

Descriptif et narratif

À

la suite de la plupart des rhétoriciens, mais aussi des théoriciens modernes et en particulier de Hamon 1, je définis la description comme

amplifica-tio, expansion lexicographique ayant,

à

l'échelle du texte, la fonction de qualifiant. Cela ne signifie pas que le descriptif soit un segment amorphe du texte, comme

(43)

- - -

-34 l'a considéré la rhétorique classique. Celle-ci, on le sait, oppose discours narratif et discours descriptif, reléguant ce dernier

à

un statut accessOire. La description fait alors figure d'ornement superflu, ayant peu d'utilité narr,ltlve. Mais l'opposition entre narration et description n'est pas un donné Immuable. La description est un modalisateur du discours, qui par sa présence peut organiser et Influencer le déroulement narratif. Elle a fréquemment une fonction de connotateur tonal qui en fait un élément indispensable

à

la compréhension du récit par le lecteur. Elle peut aussI être le lieu textuel où sont semés des indices qUi préparent et vraisemblabilisent la suite de la narration. Elle peut dœlC être «utile», On peut ainsi remettre en question la distinction entre narration et description et la dévalorisation du descriptif qui en résulte. "faut cependant reconnartre que les textes, et en particulier les textes que Barthes qualifie de «lislbles-classiques-réalistes» - et 1 oeuvre de Zola peut être rangée dans cette catégOrie - se fondent sur cette distinction, la validant et la perpétuant. La théorie oriente la pratique, qui forge

à

son tour la théorie ...

Le descriptif peut se présenter de diverses façons dans un texte, la plus facilement repérable étant ce que l'on appelle classiquement «descnptlon»' un fragment de texte plus ou moins amorphe, susceptible d'être «sauté» par le lecteur s'il n'a pas d'utilité narrative. Ce type descriptif obéit

à

des lOIS de structuration dont la plus constante est sans doute la présence de "marqueurs", qui Indiquent où commence et où finit la description. Ces marqueurs sont connus Ils peuvent

(44)

" ,

(

l'

J

être graphiques - la description est souvent isolée dans un paragraphe, la disposition textuelle est alors l'indice de son statut. Il peut aussi s'agir de procédés qui ont pour effet de suspendre temporairement le cours du récit, conventions que tout lecteur apprend rapidement

à

reconnaître: changement du temps de la narration, qui passe du passé simple

à

l'imparfait ou du passé au présent, utilisation du «je» de narration, appel au lecteur de la part du narrateur, etc Les introductions et les clausules tendent

à

adopter des formes canoniques et

à

employer des formules stéréotypées qui facilitent encore le repérage de ces passages. Le plus souvent cependant - est-ce une stratégie destinée

à

maintenir l'intérêt du lecteur? - le discours descriptif n'est pas «pur», mais entremêlé de segments narratifs. C'est ce qui motive le fait que la théorie ait disqualifié le terme de «description», évoquant trop le fragment de texte autonome, et préféré celui de «descriptif», qUI déSigne une modalisation particulière du discours. Un extrait de texte peut ainsi mieux être caractérisé par son mode prédominant que par son appartenancp exclusive

à

un type de discours. Le concept de prédominance est particulièrement adapté

à

l'écritUi e zolienne, où l'expansion descriptive tend

à

se glisser même dans les passages les plus fortement narrativisés, tandis qu'inverse-ment, les segments descriptifs sont semés d'indices et de connotations essentiels

à

la compréhension du récit.

Le corpus des descriptions d'odeur dans les Rougon-Macguart illustre cette diversité du descnptif.

À

un extrême, il y a ce que j'appelle les notations,

(45)

36 segments brefs, bien souvent intégrés dans des passages du texte à dominance narrative, où un objet est décrit sommairement selon ses caractéristiques olfactives: «L'odeur forte de l'éCUrie le grisait [ ... ]» (SE, 118); «Le comte supportait la stupidité de madame Maloir, jouant au bésigue avec elle, malgré son odeur de rance [ ... ]» (N, 1452); «une odeur insupportable s'exhalait du carreau» (G, 1359); «Jacques, qui avait sa bouche dans l'épaisse toison odorante de sa chevelure [ ... ]» (SH, 1198). Ces passages constituent ce que ,'on pourrait appeler le degré zéro de la description d'odeur. Le texte, plutôt qU'II ne déCrit, se contente d'une caractérisation purement affective (odeur «forte», ou «Insur~ortable»), au mieux, il nOr:1me une odeur connue (<<de rance») ou l'odeur d'une chose (<<chevelure»). J'ai montré dans le chapitre précédent que la tradition littéraire avait limité la présence des descnptlons d'odeur à de telles notations, en privilégiant de surcroît les odeurs agréables. Le texte zohen, au contraire, ne fait plus de ces notations une rareté, mais les emplOie systématiquement, de plus, les odeurs troublantes et sensuelles -reliées à la nourriture et à la sexualité - ou même franchement désagréables sont préférées aux odeurs euphoriques de la tradition romantique et idéaliste.

À

l'opposé de ces notations brèves, le corpus comprend aussI des descriptions d'odeur élaborées, souvent structurées comme des deSCriptions «classiques», c'est-à-dire comme des passages autonomes où la part de narratif, quoique toujours présente, n'est pas reliée de façon Immédiate au réCit principal.

(46)

t

La description peut alors être vue comme un micro-récit. Il serait fastidieux de

citer au long de tels passages, sur lesquels je serai de toute façon appelée

à

revenir. Je mentionne simplement

à

titre d'exemples les descriptions de la serre dans La Curée (p. 357 et surtout p. 488), la fameuse «symphonie des fromages» du Ventre de Paris (p. 825

à

830), ou encore le paragraphe relatant la mort d'Albine dans La Faute de l'abbé Mouret (p. 1515-1516). Entre ces formes extrêmes que j'appelle notations et descriptions, il existe évidemment tout un éventail de formes plus ou moins expansées, se structlJrant selon des modes variables que j'analyserai.

Un schéma du

descriptif

Si les concepts de descriptif et de narratif permettent de con~ç,rendre comment survient l'expansion descriptive au sein du récit, ils contribuent peu

à

éclairer la structure interne des passages descriptifs. Le schéma du descriptif proposé par Hamon, quoiqu'extrêmement simple, dégage de façon limpide les articulations possibles de ce type de discours2. Au centre de ce schéma se trouve

le pantonyme, qui est «l'objet décrit», qu'il ait dans le texte une présence explicite ou Implicite. Un second terme, la liste ou nomenclature des parties de ce pantonyme, peut venir participer

à

l'expansion descriptive. Enfin, des prédicats peuvent se greffer soit aux divers termes de la nomenclature, soit au pantonyme

2 VOir Hamon, Introduction,

(47)

38 lui-même, en l'absence de nomenclature. Ce modèle est évidemment un modèle théorique, et chacun de ses éléments peut se trouver ou non actualisé dans le texte.

les divers prédicats d'une description peuvent s'attacher

à

différents aspects3 du pantonyme. la description d'une pomme peut ainsi être constituée d'une série de traits descriptifs relatifs

à

sa couleur, sa forme, sa brillance, etc. Si l'on sort du cadre restreint de la descnptlon visuelle, des caracténstiques perceptibles a ctlacun des sens peuvent être énumérées à tour de rôle' la pomme seré' verte, fraîche, aCide, croquante, etc les notations descnptlves relatives à chaque sens sont alors considérées comme venant développer autant d'aspects de la description.

l'application de ce schéma au corpus zolien permet de mieux comprendre la nature du descriptif d'odeur et les rapports qU'II entretient avec le reste du texte descriptif. Une description peut se présenter comme une série de prédicats traitant des divers aspects d'un pantonyme. Ainsi que Je l'al exposé dans le chapitre précédent, l'aspect visuel est l'aspect prédominant, et le texte zolÎen n'échappe pas à cette règle Même lorsque les autres aspects sont traités, Ils sont en général accompagnés par des notations Visuelles, qUI servent de talle de fond-c'est sans doute toute la question de la vraisemblance dans le «rendu» du réel,

3 VOir

(48)

notre incapacité

à

imaginer, en tant que lecteur, ce qui n'est pas exprimé visuellement, qui est ici en jeu. Les traits descriptifs d'odeur viennent s'insérer dans ces descriptions plus vastes, où un objet est décrit tour

à

tour selon différents aspects - Visuel, olfactif, sonore, tactile, etc. Il faut donc encore une fois parler de prédominance, cette fois non pas du mode narratif sur le mode descriptif, mais d'un aspect - en l'occurrence, sensoriel - sur un autre.

Outre ces notions relatives pour l'essentiel au mode de constltution de la liste descriptive, les théoriciens ont dégagé trois modes de survenue du descriptif dans le texte. La description peut être présentée

à

travers le récit de la vision d'un personnage, par la description de son action, ou par l'entremise de son discours. Ces trois types deSCriptifs ont été présentés par Hamon comme les descriptions de type voir, de type faire et de type dire4. Chacun de ces types appelle un

descnpteur spécifique Le descripteur est l'Instance fictive, dans le roman, narrateur ou personnage, ou dans la description technique, entité institutionnelle, par laquelle s'énonce la description. Chacun des types descriptifs énumérés suppose un descripteur différent. La description de type voir demande la présence de ce que Hamon a nommé un regard descripteur, délégué

à

un ou plUSieurs personnages ou au narrateur; la description de type faire se réalise par 13 récit de l'action Itérative d'un «travailleur descripteur»; enfin, la description de type dire survient par l'échange entre un «bavard deSCripteur» et son interlocuteur

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