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FACULTE DES SCIENCES DE L'EDUCATIONU L
1136
THESE PRESENTEE
A L ’ECOLE DES GRADUES DE L'UNIVERSITE LAVAL
POUR L'OBTENTION
DU GRADE DE MAITRE ES ARTS (M.A.) PAR
CHARLOTTE MORNEAU
BACHELIERE EN SCIENCES DE LA SANTE DE L'UNIVERSITE LAVAL
L'INFLUENCE DE LA RELATION PERE-FILLE SUR L'ESTIME DE SOI DE LA FEMME ADULTE
A moi-même,
cette femme qui essaie de se prendre en charge et d'aller au b o u t d'elle-même, avec ce que cela implique de défis, de luttes, d ' a p p r e n tissages, de dialogues, de bonheurs, de quêtes ...
AVANT-PROPOS
J'ai beaucoup de reconnaissance pour le docteur Armelle Spain. Son
intérêt constant et son support attentif m'ont été d'une aide très pré
cieuse. Je remercie également le docteur Bruno Richard et le docteur
Gilles Deshaies. Ils ont guidé mon apprentissage de la démarche scienti
fique et ils ont su me transmettre leur "amour de la recherche".
Au-delà des mots, il y a les sentiments; au-delà de la théorie, il y
a le vécu. C'est avec Jacques Léger que j'ai pu entreprendre ma longue
démarche d 'auto—transformation. Je lui adresse ma profonde gratitude.
C'est avec Yves Trudeau que j'ai pu me vivre plus et mieux comme femme. Je lui réitère mon amitié, mon affection et mon amour.
Enfin, je remercie mesdames Lucille Bédard, Micheline Carrier et Catherine Morneau ainsi que tous les hommes et toutes les femmes avec qui j'ai eu des échanges fructueux et qui ont su par leurs conseils judicieux ou leur aide technique, alimenter ma réflexion et faciliter la rédaction de cet essai.
TABLE DES MATIERES PLAN DE L'ETUDE... 3 CHAPITRE I: LA PROBLEMATIQUE... 4 1. Position du problème... 5 2. Justification de la recherche... 8 3. Hypothèses... 8 4. Cadre théorique... 10 5. Méthodologie... 12
CHAPITRE II: L'INFLUENCE DU PERE SUR SA FILLE... 13
1. La relation parent-enfant... 14
1.1 La paternité... 14
1.2 Le père est différent de la mère... 16
1.3 Les réactions du père au sexe de l'enfant... 19
2. La relation père-fille... 22
2.1 Freud... 22
2.2 Après Freud... 23
2.3 Critique des conceptions psychanalytiques... 24.
2.4 Nouvelles perspectives... 31
3. La relation du père avec sa fille devenue adulte.... 32
3.1 Les deux cycles de v i e ... 33
3.1.1 Conceptions de Appleton... 33
3.1.2 Conceptions de Fields... 38
3.2 Les contradictions et les messages doubles... 42
3.3 L'éternelle petite fille et l'amazone dans son armure... 43
CHAPITRE III: L'ESTIME DE SOI DE LA FEMME ADULTE... 58
1. L'estime de soi... 60
1.1 Définition... 60
1.2 Situation dans la hiérarchie des besoins... 62
1.3 Caractéristiques de l'individu qui a une haute estime de so i ... 63
1.4 La falsification de l'estime de soi... 65
1.5 L'estime de soi, un pré-requis à l'amour de l'autre... 66
1.6 L'influence parentale sur le développement de l'estime de soi de l'enfant... 67
Page I N T R O D U C T I O N ... 1
2. L'estime de soi delà femme adulte... 70
2.1 L'estime de soi chez la petite fille et l'adolescente... 71
2.2 Conséquences psychologiques de la vie dans une société sexiste... 75
2.3 Comparaison entre le niveau d'estime de soi des femmes et celui des hommes... 77
2.4 L'estime de soi des femmes autonomes, dites libérées... 80
2.4.1 Les super-femmes... 80
2.4.2 Les femmes à multiples identités... 83
2.5 L'estime de soi de la femme adulte et saine.... 84
CHAPITRE IV: SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS... 86
1. Synthèse... 88
1.1 Résumé et conclusions... 88
1.2 Vérification de nos deux hypothèses... 91
1.2.1 Limites de l'étude... 91
1.2.2 Appuis théoriques... 92
1.2.3 Appuis empiriques... 94
2. Recommandations... 105
2.1 Education et changement social... 105
2.2 Thérapie familiale... 106
2.3 Counseling auprès des femmes... 107
2.4 Recherche... 108
EPILOGUE... H O
INTRODUCTION
A l'âge de 24 ou 25 ans, j'ai pris c o n s c ie n c e que j'avais de la d i f fi cul t é à m'aimer, à m ' a p p r é c i e r telle que j'étais. Je ne me faisais pas c o n f i a n c e affectivem e nt, i n t e l l e c t u e l l e m e n t et socialement. Cette pr ise de c o n s c i e n c e a stim ulé ma r é f l e x i on et m'a f i na l e m en t incitée a am o r c e r une longue dém a rch e de c r o i ssa n ce personnelle. Je me suis rendue compte aussi que les femmes qui m' entouraient, mes soeurs, mes amies, mes co m p a g n e s de travail, s e m b l a i e n t toutes s o uffrir du mê m e "mal". Nos mères ne p o u v a i e n t nous s er v i r de modèles, étant e l l e s -m ê me s con d am n ée s à une faible esti me de soi.
M o n r e g a r d se po rt a alors sur le monde m as c u l i n et plus p a r t i c u l i è re men t sur m o n père. Il m ' a p p a r u t r a p i de m e n t que cet homme était pour moi un étranger, un i n co nn u que j'idéalisais. Mes s e n t im e n t s à son égard é t a i e n t très confus. Ils a l t e r n a i e n t entre l ' ad m ir a t i on et la f r u s t r a tion, le r e s p e c t et la colère, et l'amour et la haine. J'avais envie de conn aîtr e cet ho mm e qui m'intri gua i t. Je me d e mandais pourquoi il m ' avait tou jours p a r u si fort, si solide, si sûr de lui. L'était-il vraiment? Sur le pl a n professi on ne l, ses réu s sit e s s ' é ta i en t succédées et av aient suscit é l 'a d m i r a t i o n de tout l'entourage. Mais sur les plans af f e c t i f et émotionnel, il ne nous livrait jamais ce qu'il vivait. Il m' a v a i t r a r e m e n t expr i m é c o m p l i m e n t s ou encouragements. Je ne l'ai jamais e nt endu me dire qu'il m'aimait. "Un homme ne dit pas ces c h o s e s - l à " , c'est ce qu'on lui avait appris, semble-t-il. Pourtant, j ' a tt e n d ai s toujours ces marques
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d ' a f f e c t i o n et j' en ét ais a r r ivé e à s u p p o s e r que la d is tance a f f ective v é c u e entre m o n pè r e et moi p o u v a i t p a r t i e l l e m e n t e x p l i q u e r mon incapacité à m'aimer.
Par c u r i o s i t é et p o u r v é r i f i e r mes intuitions, j'ai cherché de la d o c u m e n t a t i o n t h é o ri qu e et e m p i r iqu e sur la r e l a t i o n père-fille. J'ai vite co nst a t é que cette r e l a t i o n "tabou" dans la vie q u o ti d i e nn e ava it été p eu étudi é e p ar les théoriciens; cette lacune m 'a donc stimulée à p o u r suivre mes recherches. Et ainsi est née cette thèse.
PLAN DE L'ETUDE
Pour répondre à la question: "Quelle est l'influence de la relation
père-fille sur l'estime de soi de la femme adulte?", cette étude se
divise selon les étapes suivantes.
Un premier chapitre sera consacré à la présentation de la problé
matique. La position du problème, la justification de la recherche, les
hypothèses, le cadre théorique et la méthodologie y seront présentés.
Le deuxième chapitre décrira l'influence du père sur sa fille: d'abord, la relation parent-enfant, puis la relation père-fille et fina lement, la relation du père avec sa fille devenue adulte.
Le troisième chapitre définira et décrira l'estime de soi, il trai tera des différences entre l'estime de soi d'une fille et celle d'un garçon pour ensuite aborder spécifiquement l'estime de soi de la femme adulte.
Le quatrième chapitre, fera la synthèse des informations recueillies
dans les deux chapitres précédents. Il aura pour but de vérifier si les
écrits théoriques recensés ainsi que deux recherches empiriques perti nentes aux propos de cette thèse donnent appui aux deux hypothèses.
Enfin, des recommandations concernant l'éducation et le changement
social, la thérapie familiale, le counseling auprès des femmes et la
C hap i tre I La p r o b l é m a t i q u e
CHAPITRE I
LA PROBLEMATIQUE
Ce premier chapitre a pour objectif de présenter la problématique de
recherche. Les éléments théoriques qui justifient, définissent et orien
tent cette thèse seront ici précisés: - d'abord, la position du problème et la justification de la recherche - la présentation des hypothèses - et finalement, la description du cadre théorique et de la méthodologie.
1. POSITION DU PROBLEME
Qui sont les femmes de trente ans, en 1984? Sont-elles satisfaites d'elles-mêmes? Est-ce qu'elles croient en leurs richesses intérieures?
Parmi ces femmes, un certain nombre travaillent, occupent des postes anciennement réservés aux hommes, elles s'impliquent socialement et elles
ont des positions de pouvoir. Cependant, parmi ces professionnelles,
plusieurs souffrent d'une pauvre image de soi parce qu'elles se disent incapables de s'impliquer dans une relation de couple durable et satisfai sante. "A un certain isolement professionnel s'ajoute une solitude affec tive. Plusieurs femmes haut placées ont évoqué la difficulté qu'elles ont eue à trouver un partenaire avec qui elles pouvaient partager leurs préoc cupations et leurs ambitions" (Symons, 1982, p. 19).
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D'autres professionnelles rêvent d'être mères mais ne savent pas
concilier travail, mariage et maternité. Elles évoluent dans un monde
d'hommes qui prône la productivité avant tout. Elles ne veulent pas aban donner un emploi valorisant et se consacrer entièrement à l'éducation des enfants: elles se retrouveraient alors, à cinquante ans, inutiles, dépri mées et pauvres comme leur mère (Friedan, 1982). Cependant, elles ne veu
lent pas non plus devenir comme leur père: des professionnelles de renom
mais incapables d'émotivité, ayant tué tout un aspect d'elles-mêmes.
Malgré leur sécurité extérieure, ces femmes se sentent donc inquiètes et
indécises. Elles doivent se résoudre à faire des compromis, ce qui
menace leur estime de soi.
They attempt to combine the best attributes of their own
mothers and fathers, to be loving and to be winners
(...) During the process a woman may feel very insecure and threatened in her self-esteem as she wonders whether
she is good enough worker and mother. (Appleton, 1981,
p. 125)
Il y a d'autres femmes qui, sur le plan professionnel, ne se font pas confiance. Elles occupent des emplois sous-payés et souvent, elles ne présentent même pas leur candidature quand leur employeur offre des promo tions .
Il y a aussi des femmes qui, psychologiquement, demeurent des
petites filles. Elles sont dépendantes, passives et quand elles se rebel lent, c'est pour se transformer en victimes. Ces femmes n'ont pas d'iden
tité propre: elles deviennent ce que les autres, père, mari, entourage,
attendent d'elles (Leonard, 1982; Olivier, 1980).
Il semble donc, qu'en 1984, les femmes de trente ans ont de la dif ficulté à savoir qui elles sont, et à s'aimer.
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Une meilleure compréhension du développement de l'estime de soi des
femmes s'avère donc nécessaire, utile. D'ailleurs, Wylie (1974), après
avoir fait une revue de la littérature concernant l'estime de soi des fem mes, nous dit:
This review has raised many questions and answered few. Perhaps future research, grounded in theory and methodo logically improved, will offer deeper insights into the self-concepts of males and females, (p. 328)
et Branden (1981), pour sa part, ajoute:
There is no value-judment more important to man, no
factor more decisive in his psychological development and motivation than the estimate he passes on himself.
(p. 109)
De plus, comme plusieurs auteurs (Bardwick, 1971; Coopersmith, 1967; Lamb, 1981; Rosenberg, 1979) s'accordent pour dire que l'enfance est la période-clé durant laquelle se forme l'estime de soi et que l'estime de soi d'un enfant se développe suite au contact avec des personnes significatives qui lui communiquent qu'il a de la valeur à leurs yeux ; il devient donc approprié de s'interroger sur l'influence de la relation parents-enfants sur l'estime de soi de la femme adulte.
Sans nier l'importance de l'interaction mère-fille, plusieurs
auteurs (Biller, 1971; Fisher, 1973; Leonard, 1982; Lynn, 1974; Oli
vier, 1980) suggèrent que l'étude de la relation père-fille peut éclairer certains aspects de l'estime de soi de la petite fille, de l'adolescente et de la femme adulte.
While fathers are not the only source of a woman's security and ability to cope with the complexities of adult life, they exert an important and major effect.
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Mon expérience personnelle, mes propres interactions avec mon père ainsi que mon expérience professionnelle qui m'a donné l'occasion d'en tendre plusieurs femmes décrire la relation qu'elles ont eue avec leur père (relation parfois tendre et affectueuse, parfois tendue ou trop dis tante, mais toujours importante et significative pour elles), m'amènent à poser la question suivante:
Quelle est l'influence de la relation père-fille sur l'estime de soi de la femme adulte?
2. JUSTIFICATION DE LA RECHERCHE
L'estime de soi d'un individu a des répercussions importantes sur
les désirs, les comportements et les valeurs de cet individu (Jourard,
1974; Rosenberg, 1979), Pour mieux comprendre les femmes d'aujourd'hui, il s'avère donc nécessaire et utile d'étudier leur estime de soi.
La relation père-fille a été peu traitée et une grosse proportion des recherches exécutées porte sur l'inceste ou sur l'absence physique du père, suite au divorce ou à la mort. Très peu d'études ont regardé l'in fluence de la relation père-fille sur l'estime de soi de celle-ci.
Pourtant, étudier une telle question peut constituer un pas de plus dans la connaissance de la dynamique psychologique des femmes et pourrait avoir des répercussions pratiques en éducation, en thérapie familiale et en counseling auprès des femmes.
3. HYPOTHESES
L'estime de soi se définit comme l'amour de soi, l'acceptation et la
valorisation de ce que l'on est comme personne humaine. Une femme
s'estime dans la mesure où elle se fait confiance par rapport aux hommes, par rapport aux autres femmes, non seulement en tant que "fille de..."
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Dans notre culture, les hommes ont appris à être des pères distants affectivement.
Vivre d'amour, le mettre au-dessus du travail, de la
production, de l'argent, du pouvoir... Ce ne serait pas
sérieux pour le monde mâle. Du moins, il ne faudrait
pas le dire, ni le montrer, pour ne pas mettre en péril la virilité mâle. Il faut garder cette protection comme on garde le même costume type surmonté de la cravate, les mêmes conventions, les mêmes "bonjour", les mêmes poignées de main avec les tapes dans le dos stéréotypées
(...)
On dirait qu'il y a dans le monde mâle une immense peur
de la personne, de l'être humain. Peur des êtres les
plus réels, ceux que l'on côtoie chaque jour. Peur des
enfants que les hommes confient aux femmes. Peur de se
laisser initier par les enfants au vouloir-vivre. Peur
de se laisser aller avec les enfants. De se laisser
prendre, de s'abandonner. Peur de s'engager affecti
vement. (Champagne-Gilbert, M., 1980, pp. 299-300-301)
La société a forcé les hommes à nier leurs sentiments et à dénigrer
l'expression de leur affectivité. Le père québécois moyen a donc été un
travailleur acharné, qui a réussi professionnellement mais qui est demeuré plutôt passif à la maison, avec sa famille. Non activement impliqué avec sa fille, incapable d'exprimer avec chaleur l'affection qu'il ressent pour elle, il n'encourage donc pas le développement intellectuel, professionnel et spirituel de celle-ci. Il ne valorise pas le caractère unique de sa féminité ce qui se traduit par une faible estime de soi de la fille.
Ainsi donc est formulée la première hypothèse: pour développer une
estime suffisante d'elle-même qui la stimule à se réaliser sur les plans intellectuel et professionnel, et à s'aimer, une fille a besoin d'être reconnue, valorisée et aimée par son père.
D'autre part, l'observation des familles de notre entourage, nous
révèle que la relation père-fille est remplie de contradictions et de messages doubles:
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il d é p e n s e une fort u ne po u r l ' i n s t r u c t i o n de sa fille mais il vo it le m a r i a g e et la m a t e r n i t é comme sa p r e m i è r e et seule s ourc e d' épa n oui s sem e nt;
elle v eu t être i nd é p e n d a n t e mais c on s o m me é n o r m é m e n t d'énergie p o u r o b t e n i r son approbation;
lu i- mê me indépendant, riche et compétent, il v o u d r a i t qu'elle su i v e ses pas ma i s il g rat i f i e sa s o u m i s s i o n et sa passivité;
elle admi re ses r é a l i s a t i o n s p r o f e s s i o n n e l l e s mais p o u s s e r a son é p o u x p l u t ô t q u ' e l l e - m ê m e à les imiter
La s e c o n d e h y p o t h è s e s era donc celle-ci: les do u bles m e s s a g e s qui sont v é h i c u l é s entre un père et sa fille a m è ne n t un c o n f l it de rôles et une faible e st i m e de soi chez celle-ci. Q u a n d elle se limite au rôle
d'é po u s e et de mère, elle ne s'a i me pas et quand elle ose s 'i m p l i q u e r et ré u s s i r p r o f e s s i o n n e l l e m e n t , elle se sent c o up a b l e et a l' i m p re ss io n d'être une p i è t r e ép ou s e et une m a u v a i s e mère.
4. CADRE T H E O R I Q U E
Dans l ' a p p r o c h e p e r c e p t u e l l e (phénoménologique), ce qui prévaut, c'e st de
c o m p r e n d r e le c o m p o r t e m e n t de l 'i n d i v i d u à p a rt i r de son p r op re poi nt de vue, c'est d ' o b s e r v e r les gens, non quant à ce qu'i l s s e m b l e n t aux o b s e r v a t e u r s extérieurs, ma i s qua nt à ce qu'i l s s e mbl e nt à eux-mêmes. C'est la
faç on dont 1 ' in d i v i d u p erç o it les cho s es - dont lui-même - qui est la réalité; c o n s é q u e m m e n t , le co m p o r t e m e n t est fonction, n o n de l ' évé n e m e n t externe, mais de la p e r c e p t io n qu ' e n a l'individu. Cet e n s e m b l e de pe r c e p t i o n s de l' un iv er s entier, inc l uan t lui-même, tel q u' e x p é r i m e n t é par l' in d i v i d u est appelé le champ e xp é ri e n t ie l ou champ
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phénoménal. La portion plus différenciée de ce champ
phénoménal et qui a trait à l'ensemble des perceptions que 1'individu a de lui-même est appelée le "soi phéno ménal". Au sein de ce "soi phénoménal", les perceptions très importantes ou centrales, les perceptions les plus
vitales de soi sont appelées "concept de soi". (Combs
et Snygg, cités par l'Ecuyer, R . , 1978, p. 67)
Et dans la même perspective de cette définition du concept du soi peut se situer l'estime de soi, composante plus spécifique du concept du
soi. Cette définition s'accorde avec Cantor lorsqu'il affirme: "Self
esteem is the reputation we have with ourselves. More specifically, it is a conviction that we are worthy to live and enjoy life and that we are
competent to do so " (p. 51). D'ailleurs Coopersmith (1967), L'Ecuyer
1975, 1978), Rosenberg (1979), Wylie (1961, 1974) donnent la même signifi
cation à l'estime de soi. Branden (1981) ajoute que cette appréciation,
cette évaluation que l'homme porte sur lui-même "is ordinarily experi mented by him, not in the form of a conscious, verbalized judgment, but in the form of a feeling, a feeling than can be hard to isolate and identify
because he experiences it constantly: it is part of every other feeling,
it is involved in his every emotional response" (p. 109).
Jourard (1974), Hamachek (1971), Maslow (1970), Rogers (1976), St- Arnaud (1983) et Wylie (1974) nous amènent à croire en l'importance de
l'estime de soi chez l'individu sain et, comme l'ajoute Fromm (1968),
cette estime de soi est un pré-requis à la capacité d'aimer l'autre.
Maslow (1970) et St-Arnaud (1983) considèrent que l'estime de soi
s'inscrit dans un cheminement de l'individu vers l'actualisation ou
1 'auto-transcendance. St-Arnaud (1983) se distingue cependant de Maslow
(1970) quant à la place qu'il accorde à l'estime de soi dans la hiérarchie
des besoins. Pour St-Arnaud, les besoins de considération, de compétence
et de cohérence sont regroupés au même niveau de la hiérarchie (après les
besoins d'appétence et de sécurité) et mènent tous trois à l'estime de
soi. Cependant, quelle que soit la place de l'estime de soi dans la
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à la r é a l i s a t i o n de soi. Q u a n d le b e s o i n d' e stime de soi n' e s t pas s u b s ta n t i e l l e m e n t gratifié, la p r o g r e s s i o n vers les p a li e rs .plus é l e v és de la h i é r a r c h i e s' en trouve entravée. Ainsi, une femme qui ne s ' es time pas aura de la d i f f i c u l t é à s' actualiser.
Le ca dr e t h é o r iq ue de cet t e étu d e s'appuie donc sur 2 approches: la p h é n o m é n o l o g i e et la t hé o rie de l'actualisation.
5. M E T H O D O L O G I E
U n e ét u d e s y s t é m a t i q u e de la l i t t ér a t u re actuelle, p l u s p a r t i c u li è r e m e n t sur les p u b l i c a t i o n s faites depuis 1970, sera me n é e afin de c o n f i r m e r ou i n fir m er ces hypothèses.
Le p r o c h a i n ch ap i t r e e s s a i e r a de p r é c i s e r quelle est l'inf lu en ce du père sur le d é v e l o p p e m e n t de sa fille alors que le t r oisième chapitre p o r t e r a sur l'est im e de soi de la femme adulte. Finalement, le quatrième et de r n i e r c h a p i t r e fera le lien entre ces deux variables, lien qui aura pour but de ré po n d r e à la q u e s t i o n initiale: quelle est l'in f lu e nc e de la r e l a t i o n p è r e - f i l l e sur l'est ime de soi de la femme adulte?
Ch a p i t r e II
CHAPITRE I I
L 'INFLUENCE DU PERE SUR SA FILLE
1. LA RELATION PARENT-ENFANT
1.1 La paternité
Le Larousse et le Petit Robert ne connaissent pas l'instinct pa ternel. Notre société fait peu ou même rien pour préparer les hommes à un
des défis les plus importants de leur vie: la paternité (Hamilton, 1977;
Lamb, 1981; Lynn, 1974). "Fatherhood is more of an abrupt, sometimes
jarring turning point in a man's life, while motherhood to a woman is likely to be more an expected fulfillment cf a 'natural' role" (Biller et Meredith, 1975, p. 38).
Le seul rôle actif et concret que notre culture semble reconnaître au père, c'est celui du coït fécondant.(...) Mais privilège ambigu que celui de ce rôle du père, puisqu'il est suivi d'une absence de quelques mois, voir
de quelques années: la 'fabrication' et l'éducation
d'un enfant ressemble fort, en effet, à une 'affaire de femmes'; depuis la sage-femme jusqu'à l'institutrice en
passant par la mère, les grands-mères, sans oublier
l'infirmière et la puéricultrice. (Delaisi de Parseval, 1981, p. 18)
1 5
A cause d'une multitude de pressions sociales, le père a perdu confiance
en son importance pour le développement de son enfant. Il ne réalise pas
qu'il a le pouvoir d'influencer ses enfants, de les guider, de les aider à
croître. Il ne considère pas la paternité comme une partie importante de
sa masculinité et/ou comme un but légitime dans sa vie. (Biller et
Meredith, 1975; Lamb, 1981; Lynn, 1974) "La plupart des hommes ont des enfants mais peu d'enfants peuvent compter sur un vrai père" (Lacroix, 1983, p. 59).
Au Québec, en France, aux Etats-Unis, on parle de plus en plus des
"nouveaux pères": ceux qui assistent à l'accouchement, changent les cou
ches, donnent le biberon et vont même quelquefois jusqu'à "garder"
l'enfant pendant que la mère travaille à l'extérieur. Nouveautés bien
banales que celles-là, selon Geneviève Delaisi de Parseval (1981). "Elles sont le simple reflet du changement de la réalité sociologique (le travail
féminin, le glissement de l'idéologie médicale, les modifications des
stéréotypes masculins et féminins ...)" (p. 306). Selon elle, un chan
gement significatif se traduirait plutôt ainsi: "une certaine
symptoma-tologie de couvade sera reconnue et admise comme telle, tant par les
intéressés que par la société, le deuil d'enfant chez un homme dont la compagne a avorté contre son gré sera pris en compte; le 'père de la gros sesse' existera" (p. 306). Le père de demain, selon Mme de Parseval, "ce
sera simplement un homme à qui l'on rendra, face au bébé et à l'enfant,
les réactions complexes et ambivalentes qu'on a jusque là, réservées à la seule mère" (p. 306).
Adrien Lacroix (1983) "rêve du jour où les hommes vivront leur gros sesse autant que leurs femmes" (p. 53). Mme de Parseval (1981) considère
qu'il "n'y a rien d'absurde à supposer que, si le père ne porte pas
l'enfant dans son ventre, il peut, tel Zeus pour sa fille Athéna, le
porter dans sa tête" (p. 19). Henry Biller prône avec beaucoup d'ardeur,
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father's neeeds and concerns receive adequate attention during the process of pregnancy, he probably will be more motivated and prepared to posi tively accept fatherhood" (cité par Evans, 1979, p. 39).
1.2 Le père est différent de la mère
Biller et Meredith (1975) notent que l'amour du père pour son enfant est moins physiologique que celui de la mère, qu'il provient plutôt de la
reconnaissance de l'enfant comme sien, des tendances protectrices res
senties envers l'enfant et de l'effet que ses attitudes paternelles pro voquent chez celui-ci. Les deux auteurs insistent pour signaler que "This kind of love - more judging and more challenging - is vital to the child. You [the father] dare more with the child, you help him to push himself and to use his talents to their fullest" (Biller et Meredith, 1975, p. 7).
Parsons et Bales (1955), des sociologues qui entre 1942 et 1964 ont étudié la structure de la famille, attribuent un rôle "instrumental" au père et un rôle "expressif" à la mère. Responsable de l'autorité et de la discipline ainsi que du bon fonctionnement de la famille dans la société, le père aurait comme tâche cruciale d'aider ses enfants à devenir des adultes indépendants et actifs.
Comme Suzanne Fields (1983) le fait remarquer, la famille d'au
jourd'hui est bien différente de celle qui existait au moment de l'étude
de Parsons. Au Québec, en 1980, 1 021 000 femmes travaillent (selon
l'annuaire du Québec 1979-80) et de moins en moins de familles sont struc turées selon le modèle traditionnel du père qui travaille et paie les fac tures et de la mère qui règne en maître absolu à la maison. "A two-career
family with different demands creates different identities, and such
changes dramatically affect both father and daughter roles" (Fields, S., 1983, p. 20).
17
les familles monoparentales ont augmenté à la fois en nombre (de 371 885 à 559 335) et en pourcentage
de l'ensemble des familles (de 8,2% à 9,8%) (...) La
proportion de familles monoparentales ayant un chef féminin a progressé de 6,6% à 8,1%, tandis que la pro portion de celles ayant un chef masculin n'est
passée que de 1,6% à 1,7%. Ces chiffres reflètent la
progression du nombre de familles 'brisées' au Canada,
étant donné que le pourcentage d'augmentation des
familles monoparentales ayant un chef féminin était de 171,6% dans le groupe d'âge de 25-34 ans et de 68,2%
dans celui de 35-44 ans. (Annuaire du Canada, 1980-81,
p. 131)
Fields (1983) croit que la relation père-fille est unique et que le père a un apport différent de celui de la mère mais pas à la manière dont Parsons et Baies l'ont décrit. Suzanne Fields (1983) pense que l'amour paternel est souvent plus valorisé que celui de la mère, et la mère, comme si elle avait peur de ce dangereux amour, élargirait souvent la distance entre père et fille. Fields ajoute que souvent l'amour paternel est rendu encore plus conditionnel que le père aurait voulu qu'il soit, parce que celui-ci permet à son épouse de parler pour lui, de transmettre des émo tions pour lui. Quand la mère sert d'intermédiaire, il y a toujours quel que chose qui est perdu ou oublié dans l'interprétation de la mère et père et fille y perdent. Lederer (1964) soutient lui aussi que pères et mères aiment différemment leurs enfants. L'amour maternel serait inconditionnel alors que l'amour paternel aurait ses exigences et serait conditionnel à
la performance de l'enfant. "Mother's love is so complete - so blind -
that it has no confirmatory value: it does not concern itself with the
question of merit and does not establish merit. Father's love establishes
value: it is something to be proud of and reassured by" (Lederer, 1964,
p. 33). Erikson (1962) ajoute: "Fathers (...) they love us different
ly,more dangerously" (p. 123).
1 8
Hamilton (1977) relate les résultats de deux recherches qui ont tenté de décrire les différences entre les comportements des pères et mères envers leurs fils et filles. La recherche de Droppleman et Schaefer (1963) portait sur 165 enfants de septième année d'une école privée catho lique (85 garçons et 80 filles) et 70 enfants de onzième année d'une école
publique protestante (36 garçons et 34 filles). Les deux groupes
d'enfants ont répondu de façon similaire à un questionnaire de 260 ques
tions sur le comportement de leurs parents. Les filles ont décrit leur
père comme leur permettant plus d'autonomie, comme étant moins irritable
et comme les grondant et les disciplinant moins que leur mère. Par
ailleurs, les filles ont rapporté recevoir significativement plus d'amour, d'affection et de soins attentifs des deux parents que les garçons en ont rapporté.
La recherche de Rothbart et Maccoby (1966) portait sur 98 mères et 32 pères à qui on faisait entendre un enregistrement de la voix d'un
enfant de quatre ans. Le sexe de l'enfant n'était pas clairement identi
fiable par sa voix. A certains parents on a dit que c'était un garçon, à
d'autres, une fille. Les parents étudiés avaient à imaginer qu'ils
étaient assis à la maison, en train de lire et que l'enfant, jouant dans la pièce voisine, leur demandait de jouer avec lui, de l'aider dans son
casse-tête... Les chercheurs ont découvert que les mères étaient plus
permissives et accordaient plus d'attention positive à un garçon alors que les pères étaient plus permissifs et accordaient plus d'attention positive à leurs filles.
Hamilton (1977) conclut que ces deux recherches supportent l'exis tence d'une relation unique entre les filles et leurs pères, une influence qui pourra manquer à la fille si le père joue mal son rôle ou s'il est ab
sent. Comme ces deux recherches ont été effectuées en 1963 et 1966, il
est à se demander si on les répétait aujourd'hui, les conclusions seraient elles alors les mêmes?
1 9
Miriam Johnson fournit une réponse partielle à cette interrogation.
En effet, Johnson (1982) s'appuie sur plusieurs résumés de recherches
récentes (ceux de Biller, 1981; Block, 1979; Lamb, 1981; Lamb et al.,
1979) pour affirmer:
While it clearly cannot be claimed that mothers do not respond differently to their male and female children
the tendency is more marked in fathers. Data also show
that male and female children themselves respond more
differently to fathers than they do to mothers. This
greater differentiation appears at both the personality
level and the role level, in micro and macro inter
actions, with children of various ages, in unconscious
behavior and conscious statements. Moreover, very
recent studies continue to find this greater differen tiation on the part of the father even among parents who believe in "non-sexist" child rearing in which sex differences are minimized, (p. 3)
1.3 Réactions du père au sexe de l'enfant
Avant d'examiner la relation père-fille, il est intéressant de
signaler que selon Biller et Meredith (1975), l'ajustement initial le plus difficile pour un nouveau père, c'est d'accepter le sexe de son enfant.
D'après eux, les hommes désirent un garçon comme aîné et souvent ils ne
voudront pas arrêter d'avoir des enfants, avant d'avoir eu un fils. Wil liamson (1976) a fait une étude multi-culturelle sur les préférences des
parents quant au sexe de leurs enfants. Se basant sur des recherches
datant de 1931 à 1975, Williamson affirme que les Américains ont une
légère préférence pour un garçon, spécialement pour un aîné, qu'ils
désirent un enfant de chaque sexe et qu'ils préfèrent une prédominance de garçons à une prédominance de filles si un nombre égal de chaque sexe
n'est pas choisi. Sur une échelle allant de -4- (préférence très forte
pour une fille) à +4 (préférence très forte pour un garçon) les femmes américaines ont une faible préférence pour un garçon (+1) et les hommes
20
ligne cependant que les parents ne semblent pas désirer un garçon à tout prix et très peu de recherches ont étudié les désordres émotifs possibles chez les enfants du "mauvais sexe".
S'appuyant sur plusieurs recherches, Lamb (1981) constate lui
aussi, qu'hommes et femmes ont une préférence pour un enfant de sexe mas
culin et que cette préférence est plus marquée chez les hommes. Lamb
(1981) nous fait part aussi de certaines recherches qui ont montré que peu
après l'accouchement, les pères interagissaient de façon préférentielle
avec leur fils. Il aurait été prouvé, aussi, que les pères regardent
leurs garçons plus que leurs filles et qu'ils stimulent visuellement et tactilement ceux-ci plus que celles-là.
Par ailleurs, Suzanne Fields (1983) nous rapporte les propos de Sue Rosenberg Zalk, une psychologue qui travaille avec des pères "enceints":
Though most men prefer sons, a large number would rather have daughters, because they don't want to relive their
childhoods in a son. They are fearful that they will
repeat their original relationship with a son, and they
will become a father like their own fathers. It is as
though they sense they have a better chance at being a
father to a daughter, though that may not happen. (p.
42)
Ces données suscitent de nombreuses questions: Est-ce que les
parents québécois ont eux aussi, même en 1984, une préférence pour un
enfant de sexe masculin? Est-ce qu'effectivement, les pères québécois
touchent et stimulent davantage leur garçon que leur fille? Et si oui,
quelles en sont les conséquences pour la relation père-fille?
Jean-Marc Meunier (1979) répond partiellement à l'une de ces ques tions, dans sa thèse de doctorat intitulée: "Conditions influençant l'en gagement du père envers son premier-né, participation à la naissance et
sexe de l'enfant." Meunier (1979) a rencontré 48 pères québécois en
21
premier enfant. Suite à l'analyse des résultats, Meunier (1979) conclut
que le sexe de l'enfant n'exerce aucune influence sur l'engagement du père mais il ajoute cependant:
L'effet du sexe de l'enfant, s'il n'est pas démontré
i c i , devra recevoir une attention renouvelée puisque des
indications contradictoires semblent apparaître. Il
semble que les valeurs rattachées à la considération du sexe de l'enfant soient en pleine mutation, (p. XII)
Et commentant la littérature théorique sur le sujet, Meunier (1979) nous dit:
L'étude des effets du sexe de l'enfant sur l'engagement paternel ou sur la dynamique du rôle paternel semble à peine à ses balbutiements malgré les multiples interpré tations psychologiques et sociologiques dont ils ont
fait l'objet. Ces influences ne sont pas très claires;
les disparités entre les paroles et les gestes sont parfois déconcertantes; les interprétations qui en sont faites sont tellement divergentes qu'aucune conclusion
sûre ne peut en être tirée, (pp. 199-200)
La question reste donc ouverte. Nous ne pouvons dire si les pères qué
bécois préfèrent un enfant de sexe masculin ou s'ils s'engagent davantage avec un fils qu'avec une fille.
En résumé, il semblerait donc que la société et les hommes eux-mêmes valorisent peu la paternité et que le vécu du père durant la grossesse et l'accouchement soit peu reconnu. Il semblerait aussi que le père ait un rôle particulier à jouer auprès de son enfant, rôle différent de celui de la mère mais les auteurs ne s'entendent pas quand il s'agit de préciser ces différences. La littérature rapporte aussi des propos contradictoires en ce qui concerne l'effet du sexe de l'enfant sur l'engagement paternel. Finalement, il semblerait que les enfants eux-mêmes, garçons et filles, réagissent différemment à leur père et à leur mère.
22
Nos parents étant nos premiers modèles, le parent de sexe opposé
porte une responsabilité particulière: il est le premier guide qui nous
apprend à interagir avec l'autre moitié de l'humanité (Appleton, 1981;
Biller, 1971; Fields, 1983; Hammer, 1982). Freud et ses successeurs, met tant beaucoup d'accent sur les multiples différences entre hommes et femmes, ont mis en évidence l'influence du père sur les futures relations
amoureuses de sa fille (Fields, 1983),
2.1 Freud
La conception freudienne de la participation du père au développe ment de sa fille est bien résumée dans Bergeret (1976) et dans Hall et
Lindzey (1970). La petite fille échange son objet d'amour initial, la
mère, pour un nouvel objet, le père.
Plusieurs expériences importantes sont les déceptions qui détournent la fillette de sa mère. Parmi elles nous trouvons le sevrage, l'éducation à la propreté, la nais sance des frères et soeurs ..., mais il existe en outre une déception spécifiquement féminine encore plus impor
tante: la fillette a l'impression qu'elle possédait
autrefois un pénis et que sa mère le lui a pris. Son
but est maintenant d'obtenir du père ce que sa mère lui a refusé. Or, écrit Freud, '... Le renoncement au pénis ne se réalise qu'après une tentative de dédommagement:
... obtenir comme cadeau un enfant du père, lui mettre au monde un enfant.' Dès lors en tout cas les tendances
réceptives remplacent les tendances actives. Et la
fille va vers le père et secondairement vers les hommes — non plus ici dans une attitude de revendication virile mais pour capter l'admiration de celui que sa mère avait choisi comme objet d'amour c'est-à-dire pour séduire
celui-ci. A ceci s'ajoute (...) une haine jalouse,
chargée de culpabilité envers la mère , (Bergeret, 1976, p. 31)
23
Ma r j o r i e L e o n a r d (1966) insi s te sur l ' i m p o r t a nc e d'une r és o l u t i o n ré ussie du c om pl e x e d'O e d i p e féminin. L e o n a r d note que la fille a b e so in d ' é t a b l i r une r e l a t i o n d ' o b j e t n on s ex u a l i s é e avec son père p our être ca p a b l e u l t é r i e u r e m e n t d ' a c c e p t e r le rôle f é m i ni n sans c u l p a b i l i t é ou an x i é t é et d ' a i m e r un jeu ne h o m m e de son âge. Se l on L e o n a r d (1966), la pr é s e n c e d ' u n pè re "adéquat" est ess e nt i e l l e à la r éu s si t e de cett e phase de d é v e l o p p e m e n t ps y cho - s e x u e l l e . Sans la p a r t i c i p a t i o n paternelle, la fille p e u t i d é a l i s e r son pè r e et plus tard, comme adolescente, r e c h e r c h e r un obj e t d ' a m o u r s e m b l a b l e à cet idéal ou encor e elle p e ut c o n s e r v e r une att it u d e n a r c i s s i q u e p r é - o e d i p i e n n e qui la r en d r a incapable d'aimer, l ' i n c i t a n t p l u t ô t à r e c h e r c h e r une g r a t i f i c a t i o n n a rcissique, à "être aimée". L e o n a r d ajoute:
Moreover, c o n s i s t e n t lack o f a t t e n t io n is e x p e r i e n c e d as r e j e c t i o n w h i c h is de s t r u c t i v e to the sense o f s e l f e s t e e m d e r i v e d from the k n o w l e d g e of b e i n g loved by an a d m i r e d object. Ignor e d by her father, the girl has not real b as i s for c o m p e t i t i o n wi t h her mother, and lacks i n c e n ti ve to r e l i n q u i s h her pre oedipal attachment. (p. 329)
Tess F o r r e s t (1966), p o ur sa part, nomme di v er s e s façons qu'a le
père d ' i n f l u e n c e r sa fille: il l'aide à se défaire du lien sy mb io t i q u e avec la mère, il lui e n s e i g n e à i n teragir s oc i a l e m e n t et il l'aide à se
viv r e e l l e - m ê m e comme un ind i v i d u féminin. F o r r e st cr oi t que l'influence pa t e r n e l l e sur la fille co m m e n c e plus tôt que ne le c r o i e n t les autres
t h é o r i c i e n s p s ych a n a l y t i q u e s .
She [the little girl] m ust learn pa t er n a l trust during i n f an cy w h e n she learns m a ter n a l trust. E s p e c i a l l y from her father does the infant girl n e e d c o n f i r m a t i o n of h e r d e s i r a b i l i t y as a female and a f f i r m a t i o n of he r va l ue as a d i f f e r e n t and sep arate person. His gen t le t e nderness c o m m u n i c a t e s to her his p l e a s u r e in her femininity. Father, b y c o m p a r i s o n w i t h mother, has a s ha r p e r eye, a fir mer grip, a ro u gher cheek, a d e e e p er voice. He is n o n e t h e l e s s e q u a l l y tender, loving, w a r m and safe, and 2. 2 Après Freud
24
the infant girl can feel herself lovingly cradled by a man's arms and conforted by a man's voice. Contact with the father opens the door of the mother-infant dyad to the possibility and pleasure of triadic union and secondary dependency. (Forrest, 1966, pp. 29-30)
2.3 Critique des conceptions psychanalytiques
Après avoir décrit la relation père-fille telle que la concevaient Forrest (1966), Leonard (1966) et Freud, nous nous devons de relater ici quelques-unes des multiples critiques de ces théories psychanalytiques.
Biller et Meredith (1975) remettent en question la théorie de Freud qui dit que tous les enfants s'attachent d'abord à leur mère. Ils regret
tent que cette théorie, qui a été conçue à une époque où les femmes
étaient seules responsables des soins des enfants, influencent encore les parents d'aujourd'hui. Biller et Meredith affirment que le bébé s'attache à sa source de nourriture et de confort et non à sa mère en tant que per
sonne. Selon eux, si les deux parents s'impliquent, l'enfant s'attachera
simultanément aux deux parents. Après avoir révisé la littérature sur le
sujet, Lamb (1981) conclut: "Infants do clearly become attached to both
of their parents at about the same time" (p. 13). Appleton abonde dans le même sens: "Maintenant qu'il est clairement établi que l'enfant s'attache
à son père comme à sa mère durant les neuf premiers mois, on réalise mieux
l'importance de la relation père/fille dès le berceau" (1983, p. 26).
Henry Biller (1974) ajoute même que "children who are able to form strong attachments to both their mothers and fathers during infancy have more positive self-concepts and success in interpersonal relations than children who have only an attachement to their mothers" (p. 6).
La notion de "l'envie du pénis" a été fréquemment critiquée par
plusieurs chercheurs (Carrier, 1983; Carter, 1983; Champagne—Gilbert,
1980). Maurice Champagne-Gilbert se demande "si à côté de la théorie
freudienne qui veut que les femmes se sentent frustrées de ne pas avoir de
2 5
d'un sentiment profond d'infériorité et d'impuissance chez les hommes, dû au fait qu'ils ne peuvent pas enfanter" (p. 302). Selon Champagne-Gilbert
(1980),
cela pourrait nous aider à expliquer, en partie, cer taines caractéristiques si généralisées du comportement
mâle: (...) le peu d'intérêt à vivre avec les enfants
et à assumer les réalités liées au développement de la
personne et des relations humaines; la propension évi
dente à se faire des enfants sous toutes sortes de
formes: des enfants-oeuvres, des enfants-systèmes, des
enfants-idéologies, des enfants-engagements politiques
et sociaux ou professionnels dont les hommes disent d'ailleurs communément, en les protégeant jalousement, que ce sont "leurs bébés" et qu'il "ne faut pas y toucher", (p. 302)
D'autre part, Micheline Carrier (1983) et Florence Rush (1983), nous rappellent que la légende d'Oedipe
a inspiré Freud (...) non point au début de sa carrière, mais un peu plus tard, quand il a eu besoin de s'expli quer les tentatives ou les actes de séduction des pères
à l'égard de leurs filles. Au début de sa carrière,
Freud acceptait comme vrais les récits de ses patientes. Il avait même commencé à élaborer une théorie de la séduction pour expliquer l'hystérie dont souffraient
presque toutes ses patientes. Il aurait même établi un
lien entre l'hystérie et les agressions sexuelles subies
dans l'enfance. Mais quand ses malades commencent à
identifier leur père comme auteur de ces agressions,
Freud est embarrassé. Il fait maintes circonvolutions
mentales pour essayer de faire croire que les agresseurs
étaient des enfants du sexe opposé, les bonnes, les
gouvernantes, les relations proches, les professeurs,
mais jamais le père. Quelque chose ne va pas dans ses
théories: ces catégories d'agresseurs présumés sont
composées en majorité de femmes, et les cas d'hystérie (toutes des clientes) citées par Freud sont liés à des agressions hétérosexuelles...
Les faits incriminant de plus en plus les pères, Freud
décide de ne plus croire ses patientes. Il va se tirer
d'embarras en projetant sur la fille les désirs pater
nels et en traitant ce vécu de fantasmes: c'est la
fille qui veut inconsciemment séduire le père et qui
26
analyse par laquelle il découvre ses désirs d'enfant
pour sa mère, il conclut que tous les garçons ont ces
désirs et veulent éliminer leur père, ce qu'il appelle le "complexe d'Oedipe"; il prête aux petites filles les mêmes désirs incestueux pour le père et une rivalité qui
en découlerait à l'égard de la mère. Ouf! Les pères
sont saufs!
Mais il reste un petit problème à résoudre: les
hommes, eux, ne se plaignent pas d'avoir été agressés ou séduits par leur mère, au cours de leur enfance. Freud conclut alors que les fantasmes d'agression par le père sont "typiquement féminins". (Carrier, 1983, p. 15-16)
Ces fantasmes seraient selon Freud, attribuables au fait que "le désir de la fille pour le père est tellement plus puissant que celui du
fils pour sa mère, que l'envie d'être séduite de la fille trouve son
accomplissement dans les fantasmes et des histoires fictives de séduction" (Rush, 1983, p. 138).
Micheline Carrier (1983) et Suzanne Fields (1983) nous font remar quer que l'incidence accrue de l'inceste père-fille nous prouve que Freud s'est trompé. Fields (1983) ajoute:
By placing the burden on unconscious infantile per ceptions of sexuality, rather than on real sexual abuse by the parent or even the unconscious sexual desire of
the parent for the child, Freud overlooked the active
flow of sexual energy that passes in both directions between a father and daughter. He missed an opportunity to examine closely the way a father and daughter
sexualize their relationship, the titillation that
propels two people toward love, respect, trust, and
admiration. By missing this opportunity, he investi
gated neither the strengths that flow from love, respect, trust, and admiration, nor how the exploitation
of love can move people in opposite directions. (pp.
16-17)
Carrier (1983) trouve odieux que les disciples de Freud (et surtout
Christiane Olivier) ignorent ou font semblant d'ignorer, l'imposture de
celui-ci et qu'ils adoptent les théories de Freud comme des vérités
27
reconnaît à Christiane Olivier "le mérite de vouloir ramener les pères un peu plus près de leurs enfants" (p. 52) mais elle critiqué vigoureusement la façon dont Christiane Olivier propose aux pères d'atteindre cette
proximité. Pour Carrier (1983), il ne suffit pas, comme le prône Chris
tiane Olivier, "de désirer sa fille et de se faire désirer par elle, pour être un bon père" (p. 52).
Betty Carter (1983), considère que Freud, au moins, avait l'excuse de vivre à la période victorienne mais elle se demande quelle est l'excuse de certains auteurs contemporains qui désignent la relation père-fille idéale comme celle qui est extrêmement colorée d'un caractère érotique. Carter se demande pourquoi le volume "Passionate attachments" , publié en
1982, nous dit que le père doit flirter et donner une "électricité
sexuelle" à sa fille. Carter nous signale que dans un tel contexte, il ne faut pas être surpris que la distance émotionnelle et l'inceste soient les
difficultés majeures vécues entre pères et filles. Il est intéressant de
noter ici que Signe Hammer a publié un volume sur la relation mère-fille
intitulé: "Daughters and Mothers: Mothers and Daughters" (1976) et un
volume sur la relation père-fille intitulé "Passionate attachments" (1982)... Les titres parlent d'eux-mêmes...
Travailleuse sociale co-fondatrice d'une clinique de thérapie fami liale, Carter nous avise que nous avons l'obligation professionnelle, en tant que thérapeutes, de re-penser nos théories puisque actuellement nous étiquetons de grave problème sexuel tout désordre de relation mère-fils et que par ailleurs nous prescrivons un degré d'érotisme dans les relations pères-f illes.
Carter (1983) pense qu'un enfant, peu importe son sexe, deviendra un adulte aimant et sexuellement mature s'il ou elle a une relation chaleu reuse et affectueuse avec ses deux parents et que par contre, il deviendra un adulte vulnérable à divers problèmes de relations interpersonnelles,
s'il a eu une relation perturbée avec l'un ou l'autre parent. Selon
2 8
mesure où leurs attributs personnels, incluant leurs charmes sexuels, sont admirés par les deux parents et ils souffrent quand ils sont critiqués ou ignorés par l'un ou l'autre parent. Contrairement à la croyance populaire selon laquelle une fille marierait un homme qui ressemble à son père, Carter (1983) croit que le choix du conjoint et la relation de couple subséquente sont probablement davantage influencés, pour les adultes des deux sexes, par la relation familiale la plus intense, c'est-à-dire habi
tuellement par la relation avec la mère. "Yes - once again - I ara saying
that most daughters marry their mothers, not their fathers" (Carter, 1983, p. 11).
Betty Carter nous propose de re-penser la conception patriarcale de Freud et de considérer la possibilité qu'au triangle oedipien et à celui
d'Electre, soient ajoutés plusieurs autres triangles et plusieurs autres
situations que parents et enfants auront à négocier tout au cours de leur v i e .
Carter (1983) croit qu'il est pertinent de connaître les jeux de pouvoir qui existent entre père et fille même s'il est difficile d'identi fier ceux-ci comme des problèmes parce qu'ils nous sont très familiers. Elle nous décrit quatre variétés possibles de triangles:
1 - Pygmalion
Le père qui a vécu une relation difficile avec sa propre mère et dont l'épouse résiste d'une façon ou d'une autre aux efforts qu'il fait pour la contrôler, peut retrouver en sa fille une occasion unique d'être enfin "traité comme un 'homme'", peu importe ce que cela veut dire pour
lui. Si pour lui, "être un homme" signifie avoir du pouvoir, diriger la
famille ou gagner un gros salaire, il attendra de sa fille admiration et
respect. Sa fille ne sera pas considérée "féminine" si, plutôt de le
"traiter en homme", elle l'imite et devient elle-même chef de famille ou bien rémunérée professionnellement.
2 9
2 - L ut t e ac ha r n é e et p r o l o n g é e
U n p r o b l è m e f r é q u e m m e n t v é c u p ar les filles est celui de se r e t r o u ver pri s e s a u x côt és du pè r e dans la lutte de p o u v o i r qui se dé r o u l e entre le père et la mère. Les p èr e s p l a c e n t leur fille dans cette p o s i t i o n lors qu' i l s j o u e n t le rôle du M o n s i e u r p a r f a i t p a r r a pp o r t à la mère, d e m a n d a n t ainsi l 'in d u l g e n c e à leur fille, ou l o r s q u' i ls p a r t a g e n t avec leur fille des cr i t i q u e s et c o m m e n t a i r e s p e u é l o g i e u x sur la m è r e ou des secr ets qui e x c l u e n t celle-ci. Les père s qui u t i l i s e n t cette m é t h o d e pour v a i n c r e leur é p o u s e c o n t r i b u e n t à cré e r des r e l a t i o n s m è r e - f i l l e d i f f i cile s et e n t r a î n e n t ainsi leurs filles à avo i r b e s o i n de leur s up po rt p a t e r n e l .
U ne v a r i a t i o n de ce triangle, auquel les filles aînée s sont p a r t i c u l i è r e m e n t vulnér a ble s , se p r o d u i t q u a n d le p è r e p e r d la lutte de p o uv oi r avec sa femme, et que sa d é p r e s s i o n et ses d o l é a nc e s i nc i t e n t sa fille à p r e n d r e s o i n de lui ém otivement. Ce triangle e n t r a î n e r a lui aussi un c o n f l i t mè re-fille, ma is les rôles du père et de la fille sont ici int er vertis, le pè re d e v e n a n t "victime" et la fille "sauveteur".
L o r s q u e dans cette lutte a cha r née de p o u v o i r entre père et mère, le p r e m i e r joue au tyr an alors que la s econde joue la conciliatrice, la fille p o u r r a être e n t r a î n é e dans le rôle de rebelle. Elle s ' o p p o s e r a alors a son père. E lle p o u r r a i t aussi se soumettre, comme sa mère. De toute façon, qu'e l l e c h o i s i s s e l'un ou l'autre rôle, elle d é v e l o p p e r a une r e l a tion p e r t u r b é e avec l'autorité.
3 - M o n c o e u r a p p a r t i e n t à papa
D a n s ce tri a ngl e qui i m plique le père, la fille et le c o n j o i n t de celle-ci, le p èr e gagne c o n t re tous ses riv a ux et c on s er v e l'entière d é v o tion de sa fille. Il ré u s s i t à gar de r cette ex c l u s i v i t é avec la c o o p é rat ion de tous les p e r s o n n a g e s impliqués et ce, de d if f ér e n t e s façons. Il peut é t a b l i r avec son gend r e une forte a ll i an c e basée sur les affaires, l ' argent et le pouvoir, et ils peuvent, tous deux p a r t a g e r les d é c i s i o n s qui c o n c e r n e n t la fille (et/ou l'épouse). Il peut aussi c r i t i q u e r et
30
s'opposer à son gendre, mettant ainsi sa fille en conflit avec son serment
de fidélité, ce qui bouleversera sa relation de couple. Il peut, par
ailleurs, simplement ignorer l'intrus et continuer à fournir à sa fille conseils et cadeaux, demandant ainsi l'attention qu'exige son rôle d'homme
numéro un dans la vie de sa fille. Après tout, ne savons-nous pas tous
que "a son is a son till he gets him a wife, but a daughter's a daughter
for ail of her life!" (Carter, 1983, p. 13).
4- - Tu grimpes sur ce piédestal et tu y restes
Dans ce triangle, le père et les autres hommes essaient de conserver
le monde du travail, l'argent et le pouvoir pour eux seuls et ce, sous
prétexte que c'est trop "difficile", "sale" ou "brutal" pour des femmes
qui sont trop sensibles, fragiles ou belles pour la politique ou les
affaires. Dans ce triangle, la fille est en apprentissage chez sa mère,
mère qui elle aussi est au-dessus de tout, "une sainte qui enseignera à sa fille comment devenir une bonne épouse pour l'un des protégés du père et une bonne mère pour la prochaine génération de filles et garçons".
Comme nous le constatons, un des principaux mérites de Freud, serait d'avoir suscité de nombreuses critiques et stimulé la réflexion de plu
sieurs auteurs sur la relation père-fille. Qu'il s'agisse de critiques
concernant l'attachement premier à la mère, l'envie du pénis, les désirs
de séduction ou le triangle oedipien ... toutes sont pertinentes,
enrichissantes et stimulantes.
De plus, de nouvelles perspectives s'annoncent ... de plus en plus de théoriciens et chercheurs ne se contentent pas de critiquer les concep
tions antérieures, ils élaborent leur propre théorie sur le vécu père-
31
Entre 1925 et 1956, aux Etats-Unis, il y a eu 160 publications
concernant la relation mère-enfant et seulement 11 publications concernant
la relation père-enfant (Biller, 1974). A partir de 1965, une série de
recherches et d'écrits théoriques ont relié certains aspects du développe
ment de la fille à l'influence du père. Biller et Weiss (1970) et
Hamilton (1977) ont publié une revue complète de la littérature théorique
et empirique sur la relation père-fille. La littérature citée par Biller
et Weiss (1970) suggère que la personnalité, les attitudes sociales, la
façon d'éduquer et de discipliner du père peuvent faciliter ou inhiber le
développement de la personnalité de sa fille. Tous les auteurs réper
toriés s'entendraient pour dire que le caractère particulier de la rela tion père-fille semble affecter profondément le développement féminin et avoir des effets étendus et durables sur la personnalité et l'adaptation
sociale de la fille. Hamilton (1977) tout comme Biller et Weiss (1970) a
relevé plusieurs écrits décrivant le processus d'identification de la
fille. Ces écrits se distinguent de la conception psychanalytique qui
veut que l'identification avec la mère soit la façon normale pour une
fille féminine d'acquérir ses caractéristiques. Les recherches étudiées
par Biller et Weiss (1970) et par Hamilton (1977) indiquent que le père et la mère répondent de façon distincte et unique à un garçon et à une fille et que les réponses du père peuvent être les plus spécifiquement reliées
au sexe de l'enfant. Les filles normales, relativement "féminines" pour
la plupart, pourraient acquérir certaines de leurs caractéristiques par
imitation des caractéristiques du père. L'acquisition de ces caractéris
tiques fournirait aux filles un éventail de comportements plus large et plus souple que ceux des filles qui ressemblent étroitement à leur très féminine mère. Lamb (1981) en arrive lui aussi aux mêmes conclusions.
Ces deux revues de littérature de Biller et Weiss (1970) et d'Ha
milton (1977) ont été faites avec beaucoup de rigueur, un souci d'être exhaustif et un esprit critique. Elles contiennent une multitude d'autres
renseignements très intéressants sur différents aspects de la relation
3 2
père-fille (influence du père sur le développement intellectuel, le
comportement sexuel et l'autonomie de la fille; conséquences du rejet, de l'indifférence, de la domination exagérée ou de l'indulgence excessive du père; effets de l'absence du père et influence du père sur la motivation
professionnelle, l'estime de soi et le locus de contrôle interne ou
externe de sa fille.)
Il est impossible, dans le cadre de cette étude, de relater tous ces
résultats de recherches. Il serait alors recommandé de consulter les
revues de littérature précitées. Le quatrième chapitre de cette thèse se
limitera à décrire et à critiquer la littérature empirique spécifique à l'influence du père sur l'estime de soi de sa fille.
3. RELATION DU PERE AVEC SA FILLE DEVENUE ADULTE
Alors que de 1965 à 1980, la majorité des écrits portant sur la
relation père-fille se sont intéressés aux conséquences de cette interac tion sur l'enfance de la fille; à partir de 1980, quelques chercheurs, psychologues, psychiatres et thérapeutes ont porté leur attention sur la façon dont l'interaction père-fille modèle la vie adulte de celle-ci (Appleton, 1983; Carter, 1983; Fields, 1983; Hammer, 1982; Lamb, 1981; Léonard, 1982; Walters, 1983).
En décrivant comment la relation du père avec sa fille crée la femme que celle-ci deviendra, Appleton (1983) et Fields (1983) mettent en paral lèle différents moments de la vie de la fille (enfance, adolescence, matu rité) et différentes étapes de la vie du père (course occupationnelle,
questionnement existentiel, prise de conscience de sa finitude, de ses
limites). Ces deux temps de vie sont ainsi appelés: les deux cycles de
33
3.1 Les deux cycles de vie
3.1.1 Conceptions de Appleton
William S. Appleton (1983), un psychiatre américain, a interviewé 81 femmes ne faisant pas partie de sa clientèle et s'est particulièrement
intéressé à l'influence paternelle sur leur vie adulte. Dans un ouvrage
vulgarisé, il décrit les conclusions tirées de ces interviews. Ces con
clusions sont fort intéressantes mais malheureusement, Appleton ne donne
pas accès au contenu textuel de ces interviews; nous devons donc faire
"aveuglément" confiance à ses interprétations.
Appleton (1983) a constaté que le mécanisme d'isolation et le manque de recul empêchaient les femmes de comprendre le rapport entre leur relation avec leur père et leurs difficultés d'adulte. L'isolation expli querait ."pourquoi les femmes 'savent' à quel point leur père les a influencées mais sont incapables d'intégrer ce fait à leurs émotions" (p.
1 2 ) .
De plus, Appleton (1983) pense que
Pour qu'une femme comprenne comment ses rapports avec son père influencent sa manière d'aborder une carrière ou une relation amoureuse, elle doit avoir une vision globale des années passées ensemble et de leurs effets.
(...) Le père de la petite fille n'est pas le même que
celui de l'adolescente ni de l'adulte. En outre, le
père par timidité, manque de temps, ou pour protéger sa fille des réalités de la vie, ne se montre pas sous un
vrai jour. Et même dans le cas d'un père disponible et
sincère, il se peut qu'elle n'ait pu le comprendre, car elle était trop jeune, peu réaliste, effrayée, hostile ou trop amoureuse de lui. (p. 14)
Selon Appleton (1983),
cette façon de considérer la vie du père et de la fille comme un double engrenage est une nouvelle tentative de clarifier trente ans d'une intéraction confuse et