• Aucun résultat trouvé

Généalogie et famille insulaire : les unions mixtes et leurs descendants sur l’île de San Andrés, caraïbe colombienne

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Généalogie et famille insulaire : les unions mixtes et leurs descendants sur l’île de San Andrés, caraïbe colombienne"

Copied!
375
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-02099615

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02099615

Submitted on 15 Apr 2019

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Généalogie et famille insulaire : les unions mixtes et

leurs descendants sur l’île de San Andrés, caraïbe

colombienne

Gabriel Gilberto González Delgadillo

To cite this version:

Gabriel Gilberto González Delgadillo. Généalogie et famille insulaire : les unions mixtes et leurs descendants sur l’île de San Andrés, caraïbe colombienne. Anthropologie sociale et ethnologie. École pratique des hautes études - EPHE PARIS, 2015. Français. �NNT : 2015EPHE5026�. �tel-02099615�

(2)

Mention « Sciences des religions et systèmes de pensée »

École doctorale de l‘École Pratique des Hautes Études

Groupe Société, Religions, Laïcités/CNRS-EPHE

« Généalogie et famille insulaire »

Les unions mixtes et leurs descendants sur l’île de

San Andrés, caraïbe colombienne.

Par Gabriel Gilberto González Delgadillo

Thèse de doctorat d‘Anthropologie

Sous la direction de Mme. Anne-Marie Losonczy-Menget, Directrice

d‘études

Soutenue le 10 juin 2015

Devant un jury composé de :

Carlos Agudelo, Chercheur associé URMIS, Paris Diderot

Jean-Luc Bonniol, Professeur émérite, Université d‘Aix-Marseille

Odile Journet-Diallo, Directrice d‘études, EPHE

(3)

2

Remerciements

Je tiens à remercier très sincèrement ma directrice de thèse, Madame Anne-Marie Losonczy-Menget, directrice d‘études à l‘École Pratique des Hautes Études, qui a apporté un soutien inestimable à cette thèse. Je lui suis reconnaissant pour sa confiance et son énorme enthousiasme à l‘égard de ma recherche sur le monde caribéen.

Je remercie également les membres du jury, Monsieur Carlos Agudelo, Chercheur associé à l‘Urmis, Université Paris 7, Monsieur Jean-Luc Bonniol, Professeur émérite à l‘Université d‘Aix-Marseille, Madame Odile Journet-Diallo, Directrice d‘études à l‘EPHE et Madame Odile Hoffmann, Directrice de Recherche à l‘IRD, de m‘avoir fait l‘honneur d‘examiner mon travail.

J‘adresse mes remerciements à l‘École doctorale de l‘EPHE pour avoir financé mes participations à la 34e conférence du Caribbean Studies Association en 2009 et au 14e congrès d‘Anthropologie en Colombie en 2012, des opportunités qui m‘ont permis de faire connaître mon travail et élargir mon expérience.

Je voudrais également remercier chacune des personnes interviewées et tous ceux qui m‘ont apporté leur soutien en partageant avec moi le temps qu‘il a fallu pour que j‘en apprenne un peu plus sur la vie dans cette île merveilleuse. Les histoires recueillies m‘ont montré une autre San Andrés que je n‘oublierai jamais. À Fanny Buitrago merci pour « Los Pañamanes ».

Merci « les amis » de Paris pour les bons moments et d‘avoir partagé nos rêves, nos histoires et nos vies de doctorants. Amandine, Adèle, Gabriel, Marine et Maya, merci infiniment d‘avoir lu le texte et corrigé mon français. Aux amis qui sont restés au chaud en Colombie, merci pour l‘intérêt manifesté pour mon travail et le soutien à distance, notamment Fabio qui m‘a encouragé à accomplir ce rêve.

Finalement, je remercie mes parents Gladys et Gilberto, mes sœurs Ana Marìa et Beatriz et mon frère Germán de m‘avoir aidé et soutenu dans ce projet et d‘avoir fait tout leur possible et parfois l‘impossible pour que je sois là. Merci également à Ellen et Don d‘être devenu un ancrage familial, de m‘avoir tant aidé à me sentir chez moi en France. Maya, merci énormément pour tous tes conseils, apports, idées, encouragements et d‘avoir fait preuve d‘une énorme patience durant cette épreuve.

(4)

3 Table de matières Table de matières...3 Avant-propos ...7 PREMIÈRE PARTIE ... 10 Introduction ... 10

1. L‘île de San Andrés comme terrain anthropologique ... 10

2. État de l‘art : autour de la famille et la parenté chez les Afro-américains ... 15

a. La famille des communautés noires dans le Nouveau Monde ... 16

b. Le regard sur la famille noire colombienne ... 19

c. Famille et parenté à San Andrés ... 22

3. Les méthodes d‘enquête : L‘appréhension du monde insulaire ... 28

a. La population et l‘ethnologue ... 29

b. Sources et limites méthodologiques ... 32

c. Les sources orales : les gens ... 36

4. L‘approche ethnographique ... 40

Chapitre I. San Andrés : la terre et l‘histoire ... 49

1. La terre ... 49

a. L‘île géographique ... 50

b. L‘insularité : entre isolation, mobilité et resserrement ... 61

2. L‘histoire ... 68

a. Le peuplement insulaire... 69

b. Croissance démographique et migrations ... 80

c. L‘archipel et ses nouvelles frontières ... 84

Chapitre II. L‘île de San Andrés : vers une politisation des relations sociales ... 87

1. San Andrés : un laboratoire politique multiculturel ... 87

a. Les changements politiques : influences ... 88

(5)

4

2. Le mouvement raizal ... 96

a. La raizalidad selon les raizales ... 96

b. Le titre de séjour OCCRE comme marqueur identitaire ... 99

3. La rencontre avec l‘Autre à San Andrés ... 103

a. Le rapprochement familial ... 104

b. Les descendants des unions ... 109

DEUXIÈME PARTIE ... 114

Chapitre III. Construction généalogique : outil identitaire et de socialisation ... 114

1. Les généalogies dans l‘île de San Andrés ... 116

a. L‘héritage baptiste : Philip Beekman Livingston Archbold Jr. ... 117

b. L‘Empire Gallardo : Juvencio et Julio ... 123

c. Les blancs d‘abord : l‘endogamie de couleur de la famille Robinson ... 129

d. Encore de l‘endogamie, mais avec de l‘exclusion : Luis Alberto le providenciano blanc ... 135

Chapitre IV. Habiter l‘île ... 140

1. Deux quartiers continentaux insulaires : Ciudad Paraíso et Morris Landing ... 140

a. Ciudad Paraíso ... 143

b. Morris Landing ... 150

2. Beautiful San Andres ... 157

a. À l‘intérieur de l‘île ... 157

b. Le Crab Antics et l‘extrême égalité... 171

Chapitre V. Les descendants de San Andrés ... 175

1. The Spaniards ... 179

a. Nubia : adoption et oubli ... 180

b. Carmelo : l‘engagement social et le petit-fils ... 183

c. Deisy : l‘union à San Andrés ... 186

(6)

5

a. Cleotilde : le radicalisme mélangé ... 190

b. Zimena : de Canton, Bogotá et San Andrés ... 194

c. Adriana : de Boyacá à San Andrés ... 198

d. Domingo : the new islander... 200

3. Les Turcos et autres continentaux ... 205

a. Carlos et Ana... 205

b. Emilio & Co. ... 208

TROISIÈME PARTIE ... 215

Chapitre VI. Famille, religion et territoire ... 215

1. La religion comme cheval de bataille ... 216

a. Gilberto Mylles Steele Palma (Pama) Martín(ez) ... 217

b. La religion et le quotidien à San Andrés ... 225

2. La terre héritée, la terre volée ... 228

a. Rose Carter Baxton Forbes Steele... 230

b. Reolicia Duke Santana Lever Archbold ... 234

Chapitre VII. Famille : endogamie et exogamie ... 238

1. Endogamie et exogamie ... 238

a. William « Bill » Francis Manuel Stephens Edward ... 239

b. Orma Wilson Hooker Forbes Bowie ... 246

2. Les mariages et les mélanges ... 251

a. Susana Howard Bent Davis Eden ... 252

b. Talia May Pomare Bent McNish ... 255

c. Eileen Stephens Bowie McKeller Corpus ... 257

Chapitre VIII. Famille : l‘appartenance des descendants ... 262

1. Appartenance culturelle ou ethnique ... 262

a. Ingrid Shoonewolff Mangsang ... 263

(7)

6

2. Famille et descendance ... 273

a. Margarita Vásquez Santana Viviezcas Archbold ... 274

b. Ernesto Vélez Rodríguez Lynton Rivera ... 278

Chapitre IX. Famille : l‘héritage des anciens au miroir des pratiques contemporaines ... 283

1. Les récits des anciens ... 283

a. Harris O‘Neill Christopher ... 284

b. Ateliers de cartographie mentale : parenté et mémoire familiale ... 288

i. L‘île à travers le regard des anciens ... 289

ii. Les fiançailles à l‘époque des anciens ... 295

2. L‘héritage des « children of mixed » ... 302

a. Silvio Casagrande May Brogi Pomare ... 303

b. San Andrés abrégé ... 308

Conclusions ... 314

L‘île ... 314

Comprendre San Andrés ... 315

L‘immersion dans l‘univers familial... 318

Approche généalogique... 320

Les insulaires ... 321

Bibliographie ... 328

Annexes ... 357

Table des illustrations ... 366

(8)

7

Avant-propos

L‘île de San Andrés fait partie intégrante de mon projet de vie personnel et professionnel depuis près de deux décennies, des années pendant lesquelles je suis tombé sous son charme, pour le meilleur et pour le pire. À l‘époque de mes 20 ans, j‘étais fasciné par l‘idée de vivre une vie différente à celle que je vivais dans des montagnes des Andes, de connaître cette île de la Caraïbe colombienne mythique où le pirate Henry Morgan avait caché, selon la légende, tout l‘or obtenu au cours de son expédition au Panama. Mais San Andrés est aussi devenu une obsession, un projet énorme avec des contraintes et des sacrifices.

Mon intérêt pour la région caribéenne s‘est éveillé au milieu des années 1990 quand l‘une de mes sœurs prend la décision de s‘installer à San Andrés suite à une offre d‘emploi. À cette époque, je finissais mon baccalauréat et me faisais déjà une vague idée de l‘anthropologie. Déboussolé par un an de service militaire et de nombreux doutes à propos du métier que je devais choisir pour mon avenir, j‘ai fini par basculer vers l‘ingénierie, une formation que j‘ai suivie pendant un an et demi avant de revenir vers mes premiers amours : l‘étude de l‘homme.

Avant de recommencer mes études, ma sœur m‘a invité à passer des vacances chez elle, un premier séjour dont je garde toujours quelques souvenirs. C‘était au mois de juin en 1997. Je n‘ai rien fait pendant un mois à part déambuler dans les rues commerciales et les plages touristiques. Je parcourais à vélo les petites collines et les sentiers cachés de l‘île en regardant les rues, les maisons et les voitures rongées par la corrosion de la mer, les visages des touristes fascinés par la beauté de l‘île, rêveurs de cette terre idyllique qui allait les expulser un jour, comme à moi-même.

Le travail de ma sœur me permettait de rencontrer beaucoup de gens, des collègues de son travail, d‘autres professionnels, mais aussi de commerçants, des fonctionnaires, des amis et son futur mari.

Le fait d‘être parent d‘une résidente de l‘île et de pouvoir compter sur un réseau social sur place m‘a permis de voir d‘autres contextes que celui du tourisme, même si à l‘époque je ne portais pas vraiment d‘intérêt particulier du point de vue anthropologique, ni sur l‘île ni sur ses habitants. Néanmoins, les rapports qui s‘établissaient entre moi et mes connaissances me

(9)

8

permettaient un accès à d‘autres espaces plus intimes et familiaux, qui me laissaient entrevoir une île plus réelle et plus éloignée de celle que promotionnaient les agences de voyages.

Cette expérience m‘a d‘abord rapproché des familles colombiennes continentales de San Andrés, car elle m‘a permis de faire la connaissance de résidents installés sur l‘île depuis de décennies. J‘ai aussi rencontré des personnes natives de l‘île, qui me confrontaient à une autre culture que la mienne, une autre façon de communiquer, de s‘amuser, et à une autre langue dont je ne comprenais absolument rien.

Sans que je le sache, ce mois de vacances m‘a ouvert une porte de cette île charmante et suffocante, une île où toutes les couleurs de peau se confondent, où toutes les langues se parlent. Une île dont il est presque impossible de se détacher.

Influencée par les courants indigénistes des années 1970 et 1980, l‘anthropologie colombienne des années 1990 orientait tacitement tous ses étudiants vers la poursuite d‘études indigénistes, laissant discrètement de côté d‘autres aires d‘études. Un seul de mes cours à l‘université nationale, intitulé Teoría social – Afrogénesis, traitait de la question des études noires en Colombie.

Par nostalgie de mon séjour à San Andrés ou par un jeu du destin, j‘ai réalisé un exposé sur l‘archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina dans le cadre de ce cours. Comme à l‘époque l‘idée du noir en Colombie renvoyait directement à la région du Pacifique et aux villes caribéennes de Cartagena et Barranquilla, mon intérêt pour les insulaires de la Caraïbe colombienne a été perçu dans un premier temps comme un choix par défaut, puisque tous les exposés sur les vrais noirs avaient déjà été pris. C‘est donc à partir de ce moment-là que j‘ai compris qu‘il fallait prêter plus d‘attention à la Caraïbe, qu‘il fallait contribuer à réhabiliter cet objet d‘étude pour le futur de la discipline anthropologique en Colombie.

Je remplissais les vides auxquels je me heurtais à l‘aide de lectures, mais la bibliographie consultée me montrait parfois des données contradictoires. D‘un côté, on parlait d‘une population insulaire assez homogène, installée sur l‘archipel depuis des siècles, héritière des mœurs anglo-caribéennes très distinctes de celles de la Colombie continentale. De l‘autre côté, on brossait le portrait d‘une société fondamentalement mélangée suite aux siècles de colonisation européenne, d‘esclavage et de migrations.

(10)

9

C‘est comme cela que j‘ai appris l‘existence des isleños ou nativos ou raizales, les habitants dits traditionnels des îles, détenteurs de caractéristiques socioculturelles si particulières et assez éloigné de la Colombie hispanophone et catholique du continent, reconnaissables par leur langue créole de base anglaise, leur credo protestant baptiste, leur culte aux morts, leur histoire anglo-caribéenne, et leurs danses européennes démodées.

Mais ils n‘étaient pas seuls. Plusieurs séjours sur le terrain m‘ont aidé à me familiariser aussi avec la population immigrante, les célèbres pañas ou pañamanes, connus des natifs comme the spaniards ou spanish man. Originaires de la côte Caraïbe colombienne, pour la plupart, ces individus font aussi partie de l‘histoire des îles depuis fort longtemps. À la recherche d‘opportunités et d‘une meilleure qualité de vie, depuis des siècles les migrants ont trouvé refuge dans ces îles paradisiaques et s‘y sont installés. L‘amour, les ambitions, les passions, la haine, l‘affection et l‘aversion ont fait le reste.

Ces deux populations se sont unies et fondus pour former la population insulaire d‘aujourd‘hui. Si les discours ethnicistes sont plus présents que jamais et essaient d‘enfermer un groupe pour en isoler un autre, plus que jamais aussi, on voit des mariages et des unions entre les habitants traditionnels de jadis et les nouveaux arrivés.

Intrigué par toutes les réalités qui se cachaient derrière ces unions et étonné par le fait de ne rien trouver dans les livres sur ce phénomène, je ressentais une envie grandissante d‘étudier ces unions et leurs descendants dans leur contexte si particulier.

Cette curiosité, qui ne disparaîtra jamais malgré les éléments de réponse apportés par ce travail de thèse, m‘a permis de mettre en évidence des processus qui ont été passés sous silence, qui sont placés derrière les débats politiques et multiculturels qui n‘ont fait autre chose que creuser encore plus la différence entre les habitants natifs et les allochtones, une différence qui, dans la vie quotidienne, est à peine perceptible.

(11)

10

PREMIÈRE PARTIE

Introduction

« C‘est difficile et cela te déchire l‘âme, mon fils. Mais la triste réalité c‘est que tu es arrivé à une terre de personne. Imagine-toi l‘enfer : adventistes, baptiste, témoins de Jehova, curés, black-panthers, libéraux sceptiques, indépendantistes, mordus du vaudou, communistes, féministes… le chaos absolu mon fils, le chaos, et le pire c‘est que tout ça se

passe dans une terre consacrée à la Vierge Marie et au sacré cœur de Jésus… »1

(Buitrago. 1979 : 201).

1. L‘île de San Andrés comme terrain anthropologique

San Andrés se présente aux yeux des Colombiens continentaux comme une île lointaine, exotique et étrangère. Sa population d‘anciens esclaves n‘a rien d‘extraordinaire étant donné l‘histoire coloniale et esclavagiste qu‘a vécu la Colombie. Mais, cette population qui ne parle pas l‘espagnol inspire la curiosité des colombiens lambda et réveil l‘intérêt des anthropologues, des linguistes ou des sociologues.

Quand le chercheur arrive à San Andrés, il apporte certaines idées de ce que la population insulaire doit être. Les livres, manuels, articles et travaux de recherche dépeignent une population unique, bien établie, presque immuable. La Constitution politique de la Colombie de 1991 se réfère à cette population comme « las comunidades nativas […] del archipiélago » (article 310 de la Constitution politique de la Colombie, 1991), caractérisées par le partage d‘une tradition anglo-caribéenne et d‘une langue, une culture et une histoire propre. Dans les pages qui suivent, cette population sera dénommée nativa/raizal, car le mot raizal est le mot employé pour différencier ethniquement cette population des autres minorités en Colombie, notamment des communautés noires de la côte pacifique.

En effet, la nouvelle Constitution politique de 1991 a déclaré que la Colombie était un pays pluriethnique et multiculturel et a apporté de nouvelles garanties aux groupes minoritaires, des mesures qui permettent leur protection et leur reconnaissance ethnique. Ce

1

« Esto es duro y parte el alma hijo mío. Pero la triste realidad es que habéis llegado a una tierra de nadie. Imaginaos el infierno, adventistas, bautistas, testigos de Jehová, episcopales, black-panthers, liberales descreídos, separatistas, adictos al vudú, comunistoides, feministas…. El caos absoluto hijo mìo, el caos y pensar que todo esto ocurre en una tierra consagrada a la Virgen Marìa y al Sagrado Corazñn de Jesús… ».

(12)

11

changement rompt ainsi avec un système de pensée plus ancien, où la Nation se proclamait unie sur un territoire, avec un seul Dieu, une seule langue et une seule race.

Dans le cas de l‘archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, en plus de la reconnaissance ethnique de la population traditionnelle native insulaire, les nouvelles lois ont modifié le statut du territoire insulaire, apportant des changements d‘ordre économique, démographique et politique sur le territoire.

On trouve également, particulièrement à San Andrés, des immigrés venus du continent qui y sont installés depuis plus d‘un siècle. Ces immigrés sont connus sous le nom de pañamanes, qui est une dérivation du mot anglais spanish man et qui, avec le temps, est devenu simplement pañas. Dans la pratique cet adjectif qualifie tous les immigrants sans distinction d‘origine. Ainsi, une fois arrivé dans l‘archipel, n‘importe quel étranger, qu‘il soit Colombien, Italien, ou Libanais, est désigné par un seul et même terme.

Il y a une dizaine d‘années, ce sont les pañas, en particulier les immigrés colombiens continentaux qui ont attiré mon attention. J‘ai voulu d‘une certaine manière les confronter à tous les textes académiques lu pendants ma licence qui les montraient comme des émissaires de l‘acculturation et des éléments nuisibles à la communauté locale et non comme une population à part entière de l‘île. Un premier travail de terrain, qui a duré neuf mois entre 2001 et 2002, a permis l‘appréciation de la complexité de la société insulaire dans son ensemble.

Les continentaux qui s‘installent à San Andrés donnent l‘impression d‘être enfermés dans une bulle à la fois spatiale et culturelle. Autrement dit, l‘une des premières images que l‘on retient de cette population est le regroupement des individus dans certaines zones et certains quartiers très spécifiques de l‘île. De même, leurs rapports sociaux se concentrent presque exclusivement à l‘intérieur du groupe continental. Cette représentation est due, peut-être, aux premières visites de quartiers dits pañas où j‘ai eu le sentiment de ne plus être sur l‘île, mais dans un quartier d‘un petit village de la côte littorale caraïbe colombienne.

Mais ce repli n‘était qu‘une apparence. D‘abord, la totalité des immigrés ne se trouve pas dans des quartiers pañas. Ensuite, quelques familles de nativos/raizales habitent aussi ces quartiers. D‘autre part, le travail, le commerce et les services sont des activités qui dépendent du contact entre les habitants et qui créent des relations et des systèmes d‘échanges.

(13)

12

L‘image du groupe nativo/raizal, vue de l‘extérieur comme une société très fermée où l‘étranger n‘a qu‘une place en tant que touriste ou envahisseur, s‘est aussi révélée réductrice. Les données du terrain ont montré par contre une société insulaire à deux visages, à deux vitesses.

Une partie des nativos/raizales, avec une position plus radicale face aux migrations, ne facilite effectivement pas l‘entrée des immigrés, ni sur le territoire ni dans la vie privée. D‘autre part, c‘est une population qui établit des systèmes d‘échange avec les immigrés continentaux qui permettent notamment la circulation de biens et de services, mais aussi la circulation de personnes par le biais des échanges matrimoniaux, les unions consensuelles et de la parenté réelle ou fictive.

Dès le premier séjour sur le terrain, l‘idée du repli culturel de San Andrés n‘était plus concevable, car la culture de l‘île était foncièrement dynamique : la langue créole de base anglaise s‘appropriait de nouveaux mots hispaniques, l‘architecture locale se complétait avec des détails venus d‘ailleurs, les noms de famille anglo-saxons s‘intercalaient avec les patronymes hispaniques ou étrangers, et les couples mixtes et leurs enfants occupaient toujours plus de place dans la société insulaire.

Malgré la réalité sociale constatée, le discours du multiculturalisme de modèle isolationniste continuait à peser sur les relations sociales à San Andrés. Autrement dit, la rhétorique politique et académique montrait essentiellement une société divisée entre habitants traditionnels des îles et résidents immigrés continentaux. Le rôle joué par les catégories ethniques et la division que celles-ci produisaient au sein de la population était évident, du moins dans les propos publics des uns et des autres.

De plus, depuis les années 1990, mais plus particulièrement à partir des années 2000, les conflits sociaux qui touchent les habitants de l‘île et leurs conséquences font beaucoup parler de San Andrés. Sont notamment évoqués les problèmes démographiques, l‘épuisement des ressources naturelles, les tensions entre différents groupes au sein de la population, la position défensive adoptée par le groupe raizal face aux politiques gouvernementales et aux immigrants, ainsi que les avantages politiques obtenus par ce groupe en vue d‘assurer la protection de la culture native insulaire.

(14)

13

Pourtant, l‘archipel présente une histoire migratoire assez riche et d‘autres séjours sur le terrain ainsi que de nouvelles lectures ont révélé un autre type de population. C‘est ainsi qu‘à la population traditionnelle, constituée d‘Européens, d‘anciens esclaves et de noirs libres, s‘ajoutent les immigrants antillais, colombiens et chinois, arrivés dès le début du XIXe siècle. À partir de ce moment, les noms de famille des insulaires commencent peu à peu à se transformer. D‘abord, on constate la perte de patronymes africains, oubliés et perdus durant la traite. Ensuite, les noms de famille anglais se mélangent avec ceux des nouveaux arrivants, comme le montrent les mariages de Jay Lung avec Muriel Robinson, Jay Ching avec Margie Walters, Bin Chow avec Louisa Stephen, et Charles Mow avec Aribela Bent.

Dès le XIXe siècle, il y a aussi eu des échanges avec les Colombiens continentaux. Les médecins, policiers et autres employés publics que l‘État envoyait sur le territoire insulaire furent parmi les premiers à y laisser une descendance. Les terrains m‘ont montré ces unions mixtes (mariages ou des relations consensuelles) entre la population nativa/raizal et les immigrés continentaux pañas, ainsi que leurs descendants. Un bref parcours généalogique me révélait aussi les transformations des patronymes présents aujourd‘hui sur l‘île : Martínez Hudson, Gallardo Archbold, Palacio Stephens, Humphries Figueroa, García Taylor, Archbold Escalona, et bien d‘autres.

La société insulaire de San Andrés est forgée simultanément par un discours d‘exclusion envers une partie de la population et l‘intégration de chacun par le biais des échanges matrimoniaux ou des unions consensuelles. C‘est dans ce contexte que les objectifs de cette recherche se sont dessinés. Porté par une nouvelle approche et un autre regard sur les concepts constitutifs des discours ethnicistes utilisés pour définir les groupes minoritaires en Colombie, un deuxième séjour sur le terrain s‘est imposé pour la mise en place d‘une méthodologie pour répondre à de nouvelles interrogations.

Pourquoi trouve-t-on un discours d‘exclusion dans cette partie de la région caribéenne, où des populations diverses cohabitent pacifiquement ? Quelle est la position des unions mixtes et leurs descendants et quel rôle jouent-ils à San Andrés ? Quel est le rôle de ces familles dans le processus d‘identification ethnique ? Comment se passe la coexistence d‘une éventuelle exclusion sociale et ethnique avec la pratique d‘échanges matrimoniaux ? Comment se déroule le processus d‘identification au sein des familles mixtes ? Sont-elles acceptées ou discriminées ? Par qui ? Pourquoi ? Sont-elles protagonistes ou médiateurs dans la lutte pour l‘appropriation de l‘espace sociale et symbolique à San Andrés ?

(15)

14

Au cours du premier travail de terrain, le rapport à la famille s‘est avéré une piste de recherche nécessaire pour comprendre le processus d‘appropriation de l‘espace et l‘expérience des immigrants. Cependant, je n‘avais pas encore identifié l‘importance de l‘organisation sociale, de la famille et de la parenté dans la formation et le maintien des relations mixtes à San Andrés.

Effectué au début de 2009, un deuxième temps de recherche s‘est transformé en une redécouverte de l‘île et de sa population, car après des années vécues en France, c‘était avant tout l‘occasion de rétablir le contact avec de vieilles connaissances. Il a néanmoins été possible de fixer quelques objectifs, qui m‘ont guidé tout au long de mon travail de recherche et m‘ont aidé à observer la population du point de vue des unions mixtes, du mariage, de la famille et de la parenté pour mieux comprendre les formes d‘organisation sociale, culturelle et religieuse de cette population.

Ce n‘est que lors d‘un troisième séjour sur le terrain, entre août 2009 et février 2010 qu‘il a été possible d‘aborder l‘ensemble de la société insulaire sans faire de distinctions entre la population ni de division des habitants selon leurs appartenances ethniques. En ce sens, la construction des généalogies et l‘usage de la terminologie de la parenté sont devenus des outils inestimables pour comprendre et analyser cette société insulaire. À partir du moment où l‘on regarde la famille comme unité sociale grâce aux relations de parenté, les données recueillies sur le terrain montrent chaque individu en tant que membre d‘un groupe en qualité de parents, ce qui a l‘avantage de nuancer et atténuer les contraintes d‘appartenance à des catégories telles que raizales, afrodescendientes, pañas ou extranjeros.

L‘approche généalogique a donc levé le voile sur une facette de San Andrés et de ses habitants très peu étudiée jusqu‘à aujourd‘hui et m‘a permis par la suite d‘élucider le rôle et l‘importance des familles mixtes et leurs descendants dans cette société caribéenne.

Dans mon parcours méthodologique, j‘ai consulté une bibliographie bien fournie sur l‘histoire de l‘archipel, ainsi que sur les problématiques sociales, politiques et culturelles actuelles. Une grande partie des ouvrages décrivait la vie traditionnelle, les mœurs et coutumes des insulaires et déploraient que ceux-ci soient si fortement touchés par le contact avec des éléments externes. Peu nombreux, les travaux monographiques sur la famille et l‘organisation sociale se focalisaient à leur tour sur l‘identité ou les conflits sociaux entre la population native et les immigrants continentaux.

(16)

15

Aucun travail de recherche n‘a encore été effectué dans le but de comprendre les processus sociaux et de cohabitation de la société insulaire actuelle. En mettant en lumière les relations familiales et de parenté entre les nativos/raizales et les continentaux résidents sur l‘île de San Andrés, ce travail de thèse prétend combler ce vide et montrer l‘envers du décor, c‘est-à-dire un paysage social où les immigrants, leurs relations, leurs habitudes et leurs visions, ont toute leur place dans cette nouvelle société insulaire.

Cette thèse recueille ainsi les fruits de plusieurs mois de travail de terrain, des années d‘études du territoire insulaire et ses habitants et une éternelle reconnaissance du monde caribéen. Toute cette expérience laisse derrière elle quelques réponses aux nombreuses questions qu‘au cours des années sont venues perturber mon sommeil et apporter la certitude d‘avoir oublié quelque chose d‘essentiel.

Un projet à la fois personnel et professionnel, mon travail de thèse m‘a éloigné de chez moi, du système de pensée académique et d‘écriture qui sont les miens et a mis à l‘épreuve tous mes mécanismes d‘adaptation culturels et linguistiques. L‘exercice d‘écriture, déjà ardu lorsqu‘elle s‘effectue dans la langue maternelle, est devenu un véritable défi, car le français reste pour moi une langue étrangère. Il semble donc pertinent de préciser que cette thèse a été rédigée entièrement en français, mais que les notes de terrain concernant les généalogies, qui ont été structurantes pour les derniers chapitres, ont été traduites de l‘espagnol. Le texte présente donc parfois des changements stylistiques au niveau de l‘écriture. Une fois la rédaction terminée, une correction du français a été effectuée par des relecteurs francophones.

*

2. État de l‘art : autour de la famille et la parenté chez les Afro-américains

Dans les pages qui suivent, je m‘éloigne de l‘île de San Andrés, pour parcourir la bibliographie sur les populations afro-américaines et afro-colombiennes. Cette approche, que j‘ai partagée entre les différents points de vue anglo-saxons, français et hispaniques dévoile l‘importance centrale de la famille et des relations de parenté pour analyser et observer les sociétés caribéennes.

Évidemment, l‘objectif ici n‘est pas de recenser de manière exhaustive tous les courants de pensées qui se sont penchés sur le sujet. Il n‘est pas non plus question de

(17)

16

reprendre toutes les études menées sur la population afrodescendante sur le continent américain. Il s‘agit plutôt de citer brièvement quelques études qui m‘ont guidé et ont fait poser un autre regard sur l‘organisation sociale de San Andrés. Ce parcours bibliographique met en évidence le réel besoin d‘ouvrir un espace de réflexion autour du sujet de l‘organisation sociale et la parenté en Colombie et la Caraïbe insulaire, non seulement comme objet d‘étude, mais aussi comme outil méthodologique pour l‘intelligibilité des sociétés insulaires et continentales de la Caraïbe colombienne.

*

a. La famille des communautés noires dans le Nouveau Monde

L‘arrivée et la postérieure installation des populations noires en Amérique ont eu un effet déterminant sur la vie économique, politique et socioculturelle du continent. Niée pendant plusieurs siècles, cette influence a pourtant changé la configuration mondiale à jamais, ce qui a réveillé l‘intérêt des sciences sociales et bouleversé les études anthropologiques du siècle dernier.

Au début du XXe siècle, dans un contexte où les préjugés négatifs sur la population noire américaine ne font qu‘augmenter, on assiste pourtant au développement considérable de travaux scientifiques et littéraires sur les Noirs en Amérique, notamment aux États-Unis. Si des voix s‘élèvent pour dénoncer l‘inégalité sociale qui frappe cette population (comme les montrent les travaux de William Du Bois sur la communauté noir en Farmville, Virginia ou encore les études sur la culture populaire haïtienne de Jean Price-Mars), la majorité des études se concentrent davantage sur la religion, la famille et la culture noire en Amérique. En donnant une importance capitale aux héritages culturels africains, ils interprètent et justifient l‘existence culturelle de ces populations.

La méthode comparative, fondée sur l‘observation de phénomènes culturels en Afrique et en Amérique, a permis d‘explorer certains changements culturels des populations noires en Amérique grâce à l‘identification de mécanismes comme l‘acculturation2, la réinterprétation et le syncrétisme (Price et Price. 2003 : 4). Les survivances invisibles

2

Pour Herskovits l‘acculturation est un phénomène qui permet une adaptation au nouveau milieu, tandis que dans le contexte des études hispaniques, le mot désigne plutôt un passage conflictuel et destructeur pour la culture dominée.

(18)

17 (africanismes ou empreintes d‘africanité3

) servaient à montrer le passage des cultures africaines au Nouveau Monde.

L‘organisation sociale de la famille noire américaine, parfois considérée comme « désordonnée » et « chaotique », attire l‘attention des anthropologues depuis des décennies. Certains, comme William. E. B. Du Bois et Edward Frazier, considèrent qu‘il y a eu rupture brutale et totale avec les systèmes culturels et d‘organisation sociale africaine due à l‘esclavage et au système de plantation (Du Bois. 2006 : 140-141 ; Frazier. 1939, cité par Mintz et Price. 1992 : 63), qui ont bouleversé la vie familiale des noirs.

D‘un autre côté, Melville Herskovits argumente que la structure des familles des communautés noires américaines est un héritage culturel africain, où le mariage continue à être une affaire entre parents et où la polygamie est généralisée. Le cas du concubinage haïtien (mariage traditionnel), le Keeper des Antilles anglophones, ainsi que les unions non formelles au sud des États-Unis et en Amérique latine peuvent tous être interprétés comme des exemples de la survivance de la polygamie originaire d‘Afrique (Herskovits. 1930, 1990 ; Bastide. 1967 : 37 ; Mintz et Price. 1992 : 63).

Produite par la colonisation européenne, la famille noire caribéenne s‘associe désormais à une série de termes devenus caractéristiques, dont on observe l‘utilisation récurrente dans les textes anthropologiques consacrés à l‘organisation sociale caribéenne : « mère-enfant » ; « père absent » ; « matrilinéarité » ; « grand-mère » ; « matrifocalité » ; « système monoparental » ; « illégitimité » ; « polygynie » (Price. 1971 : 24). À force de répétition constante4, certains de ces termes sont utilisés par extension pour désigner d‘autres aspects plus généraux des sociétés caribéennes.

Les deux termes qui apparaissent le plus sont l‘illégitimité et la matrifocalité. Associée à la matrifocalité, l‘illégitimité peut être et vue comme une conséquence de la marginalité des hommes dans la structure familiale. Cela expliquerait l‘inexistence de couples ou encore de mariages légitimes. Pour Jean-Luc Bonniol et Jean-Michel Hegesippe, ce phénomène perpétué par l‘esclavage a évolué depuis l‘abolition, parce que le mariage légal et religieux est devenu une référence culturelle pour les communautés noires libres. Toutefois, l‘illégitimité

3

Concept adopté par l‘anthropologie colombienne dans ses études sur les communautés noires qui se traduit par « huellas de africanía ».

4

Clarke (1999), Dubreuil (1965), Horowitz (1967), Pilon-Lé (en Benoist 1972), Smith (1998), Josy-Lévy (en Benoist 1972), Bariteau (1972), Charbit (1988), entre autres.

(19)

18

resterait encore présente dans la vie sociale, notamment là où le mariage légal n‘est pas pratiqué (Bonniol. 1980 : 130 ; Bonniol et Hegesippe. 1980 : 1158-1159).

Mais, outre l‘illégitimité et la matrifocalité, la famille caribéenne a évolué au gré de bien d‘autres phénomènes. La présence de familles blanches, de relations interethniques, de stratégies de sélection des partenaires et l‘emploi extensif de la terminologie de parenté pour inclure les étrangers sont de phénomènes très représentatifs de la complexité et la richesse de la société caribéenne.

Les choix des partenaires ne sont pas dus au hasard. Ce sont des expressions de règles sociales qui façonnent aussi la transmission génétique des phénotypes, par le choix de favoriser certaines unions et d‘en proscrire d‘autres. Ce type d‘échange contrôlé, que Jean-Luc Bonniol (1992 : 141-209) nomme « barrière des flux », permet le passage de traints génétiques de la population blanche vers le reste de la population, mais non l‘inverse. Ainsi, le système de mariage qui se forme à partir de ces choix de partenaires donne lieu à deux modèles : celui de la panmixie (où prédomine le hasard des unions) et celui de l‘homogamie (où ce sont les semblables qui s‘unissent) (Bonniol. 1980 : 157 ; Bonniol et Hegesippe. 1980 : 1159-1160).

Édith Kovats-Beaudoux et Jean Benoist montrent comment chez les blancs martiniquais, la famille (où l‘homogamie est très stricte) accomplit le rôle d‘institution régulatrice et reproductrice des normes et des mœurs sociales, faisant d‘elle un noyau dans l‘espace socioéconomique du groupe.

Dans le cas martiniquais, la famille beke très contrôlée par une bonne connaissance généalogique de ses égaux, est chargée de transmettre, par voie paternelle le patronyme et la pureté de sang, la respectabilité et une bonne position sociale. La connaissance de ses égaux s‘avère très importante, car si certaines conditions ne sont pas respectées, elles peuvent faire basculer la position d‘une famille qui pourra perdre de son rang, sa respectabilité et diminuer ses relations sociales. Par exemple, les égaux n‘incluent ni les blancs pauvres ni les familles « mésalliées », c‘est-à-dire qui possèdent une personne non blanche dans leur généalogie.

Ainsi, on voit que la manipulation de la généalogie peut servir de barrière sociale et d‘outil pour déterminer les types de relation entre la population. C‘est pour cela que le mariage joue un rôle central dans le futur des blancs créoles de la Martinique ; s‘il y a des

(20)

19

unions extraethniques, leur groupe ethnique disparaîtra ; tandis que si les unions intraethniques se maintiennent, le problème se pose d‘un important degré d‘endogamie (Kovats-Beaudoux et Benoist, en Benoist. 1972 : 83-96).

*

b. Le regard sur la famille noire colombienne

Au cours des années 1950, le modèle américain des « cultures en conserve » et le modèle français des stratégies d‘adaptation vont se placer au centre des études afro-colombiennes5 (Agier et Quintin. 2004 : 398 ; Kalulambi. 2005 : 48-49 ; Restrepo. 2005 : 36). D‘après le courant fonctionnaliste français et postérieurement selon la vision culturaliste anglo-saxonne de l‘après-guerre, Virginia Gutiérrez de Pineda développe ses travaux sur la famille colombienne, sans pour autant faire du sujet noir son objet d‘étude exclusif. Néanmoins, son œuvre est essentielle pour l‘anthropologie colombienne puisqu‘elle est l‘une de premières – et l‘une des seules jusqu‘à nos jours – à aborder de manière approfondie le sujet de la famille et de l‘organisation sociale en Colombie.

Pour étudier la famille en Colombie, Virginia Gutiérrez (1994 : xxxii-xxxvi) propose une division du pays en ensembles culturels ou subcultures (complejos culturales6). Ces ensembles culturels se distinguent géographiquement et sont en relation avec les caractéristiques ethniques des populations qui y habitent. De tous les ensembles, le « complejo cultural fluvio-minero o negroide » (Gutiérrez. 1962, 1963, 1994) retiendra notre attention.

Au premier abord, on observe l‘absence de la population insulaire de San Andrés, Providencia et Santa Catalina et la présentation de deux variables dans la structure familiale. D‘un côté, le mariage religieux catholique lié à la société blanche, et de l‘autre, les unions libres ou « relaciones consensuales », liées directement aux classes les plus démunies, autrement dit, la population noire. Ces types d‘unions feraient de la famille noire, une famille

5

Les recherches d‘Escalante « Notas sobre Palenque de San Basilio » (1954), « Significado del Lumbalú, ritual funerario del Palenque de San Basilio » (1989) et « El negro en Colombia » (1964), ainsi que celles de Zapata Olivella « Los pasos del folclor colombiano. Alabados y lumbabúes » (1960) et « Negritud, indianidad y mestizaje » (1976), font partie aussi de la vague afroaméricaniste. Leur intérêt pour l‘héritage africain, ainsi que l‘importance donnée à la Négritude et à l‘identité noire en Amérique latine sont une contribution substantielle à l‘anthropologie colombienne (Munera. 2000).

6

Gutiérrez propose une division du pays en quatre ensembles culturels : l‘ensemble santandereano ou neo-hispanique, l‘ensemble du littoral fluvio-minero ou négroïde, l‘ensemble andin ou américain, et l‘ensemble de montagne ou antioqueño (Gutiérrez. 1994: xxxii-xxxvi).

(21)

20

étendue centrée sur l‘autorité maternelle où la parenté joue un rôle essentiel dans la structure familiale (Gutiérrez. 1994 : 282-285, 325-329).

Le modèle afroaméricaniste est repris de plus en plus par les anthropologues colombiens au cours des années 1990, mais une nouvelle théorie viendra la détrôner, celle de l‘écologie culturelle de Gregory Bateson7

qui, avec son concept d‘« empreintes d‘africanité », prendra une place centrale dans les études afrocolombiennes de cette décennie.

Nina Sánchez de Friedemann, Jaime Arocha et Adriana Maya sont les premiers à adopter ce concept pour démontrer la survivance et la continuité de certains traits culturels africains chez la population afrocolombienne et expliquer ainsi le processus de résistance et de création culturelle de cette population (Arocha et Sánchez de Friedemann. 1986 : 21 ; Arocha. 1991 ; Maya. 1998).

Le défi relevé par Nina Sanchez de Friedemann a été d‘étudier la famille noire en dehors du modèle ethnocentrique de la famille occidentale et de la concevoir plutôt comme un lieu où se recréent, comme le dit Niara Sudarkasa (1980, cité par Sánchez de Friedemann. 1993 : 15), des principes éthiques et de comportement, des traits structurels et de nouveaux systèmes de parenté qui servent à la survie des noirs en Amérique.

Nina Sánchez de Friedemann et Richard Cross (1979) ont observé la formation d‘un système social créé par les noirs marron en réponse à l‘esclavage à San Basilio de Palenque dans la Caraïbe. Ils affirment que ces « cuagros » sont formés par des groupes d‘âge qui comptent une moitié masculine et une autre féminine. Les jeunes sont encouragés depuis leur enfance à prendre leur place respective dans le groupe en fonction des différences de genre, car les jeux, le travail quotidien et même les responsabilités sont différenciés par rapport au sexe et à l‘âge.

Une des spécificités de Palenque se trouve dans l‘existence de la polygynie, interdite en Colombie. Un homme palenquero habite avec sa femme d‘« église », c‘est-à-dire celle qu‘il a épousé légalement et selon les rites de la religion catholique, mais il maintient aussi des relations avec d‘autres femmes qui habitent dans leurs propres maisons. Sachant que la réputation de l‘homme augmente en fonction du nombre d‘enfants, les chercheurs expliquent

7

« Steps to an Ecology of the Mind: Collected Essays in Anthropology, Psychiatry, Evolution, and Epistemology » (1972) et « Mind and Nature: A Necessary Unity (Advances in Systems Theory, Complexity, and the Human Sciences) » (1979).

(22)

21

la polygynie comme une conséquence de la vie de marron, où l‘homme doit forcément prouver ses qualités de meneur (Sánchez de Friedemann et Cross. 1979 : 74-85).

Par ailleurs, à travers une étude menée dans la région sud du Pacifique colombien, Nina Sánchez de Friedemann (1966-1969, 1993) montre la formation de groupes de parenté appelés « troncos ». Cette structure, considérée comme une création culturelle, sert à élargir les relations d‘amitié, mais ils sont aussi, en tant qu‘organisation de parenté une réponse à la discrimination socioethnique et économique que souffre cette population. Ces groupes cognatiques qui ont un/e ancêtre commun/e permettent aux gens de travailler la terre et de l‘hériter selon un système de parenté où les droits se transmettent du côté paternel ou maternel. De là l‘importance de ne pas se marier avec une femme du même lignage puisque le couple risque de diminuer le territoire de travail et de mobilité (Sánchez de Friedemann. 1993 : 47 ; Arocha et Sánchez de Friedemann. 1986 : 21 ; Arocha. 1991).

Dans la même région du Pacifique, mais un peu plus au nord, Anne-Marie Losonczy (1997) montre la coexistence qui s‘établit entre les Noirs et les indiens Emberá grâce à la mise en place d‘un dialogue interethnique. Dans ce dialogue, les systèmes d‘échange économique, de parenté et symbolique jouent un rôle prépondérant dans la relation entre ces deux populations.

Contrairement aux groupes de parenté appelés « troncos » dont parle Nina Sánchez de Friedemann, Anne-Marie Losonczy trouve que « le système d‘alliance et de descendance, ainsi que les règles de résidence et d‘occupation ne semblent pas être tout à fait identiques à ceux du littoral Pacifique sud » (Losonczy. 1997 : 65-66).

D‘après les analyses de l‘auteure, l‘absence de règles strictes dans l‘alliance et dans la filiation ainsi que dans le lieu de résidence des Noirs de la côte Pacifique fait penser que leur système de parenté est un système cognatique bilatéral, comparable au système de descendance bilatérale des Emberá. S‘il est possible de dire que les Noirs ont emprunté ce système aux Indiens, Anne-Marie Losonczy préfère parler d‘une « dynamique d‘attraction-opposition » (Losonczy. 1997 : 99), puisqu‘il existe des différences entre les deux systèmes, notamment dans la terminologie de parenté.

Les Noirs ont adopté non seulement le système classificatoire des Espagnols, mais aussi le système de parenté rituelle du compérage pour faire face à leur nouvel environnement

(23)

22

social. Autrement dit, pour créer et maintenir des relations avec un nouveau partenaire culturel : les Emberá. Si certains voient l‘unité polygamique de résidence et la polygynie de résidence par groupe matrifocal comme des innovations du groupe noir, il est également possible de faire le lien entre ces pratiques et des survivances culturelles, héritées par exemple des Bantoues du Congo (Velasquez, cité par Losonczy. 1997 : 99).

*

c. Famille et parenté à San Andrés

Malgré l‘importance que l‘anthropologie accorde à la famille caribéenne depuis presque un siècle, les études sur l‘archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina se sont penchées davantage sur les problématiques identitaires, l‘histoire du peuplement, les revendications ethniques ou les politiques de réparation8 et les conflits sociopolitiques9, laissant de côté l‘organisation sociale de cette société insulaire.

Avant de parler des études menées à San Andrés, il est important de faire la différence entre la parenté et la famille. La parenté est entendue ici comme le système qui permet aux individus de distinguer leurs semblables, ceux avec qui ils partageant « une origine commune inscrite dans la succession des générations », et les autres, qui peuvent devenir leurs semblables par le biais de la filiation, l‘alliance, la consanguinité ou l‘adoption (Barry. 2008 : 15, 774).

Bien que la famille se définisse par les liens de parenté (consanguinité, alliance, filiation, adoption), elle ne montre pas les mécanismes employés pour reconnaître socialement les relations entre les individus. Les membres d‘une famille, dont le nombre varie selon l‘organisation de celle-ci (nucléaire, étendue, monoparentale, recomposée), ne partagent pas forcément un seul lieu de résidence. Par exemple, lorsque les enfants en bas âges sont pris en charge par les grands-parents. Ainsi, j‘ai pris la famille en tant que « terme générique

8

Les politiques de réparations cherchent à dédommager économiquement et socialement une population qui a subi des crimes violents ou une maltraitance au cours de son histoire. Dans le cas colombien et pour la population noire, on parle d‘« afro-reparaciones » (voir Mosquera. 2007).

9

On peut lire le recueil d‘Eduardo Restrepo et Axel Rojas « Afrodescendientes en Colombia. Compilación bibliográfica », Universidad del Cauca, Colección políticas de la Alteridad, 2008. Et pour avoir un regard plus profond, on peut voir le travail de Fabio Silva « Balance actual de la antropología en el Caribe colombiano » de 2006.

(24)

23

désignant les personnes (consanguins ou alliés) se considérant comme ―parents‖ » (Barry. 2008 : 769), rendus visibles par la construction généalogique.

L‘étude que Peter Wilson (1969, 1973) a mené sur l‘île de Providencia contribue à combler ce vide. Il montre comment les insulaires maintiennent des relations sociales équilibrées à l‘aide de certains mécanismes qui établissent des règles et des codes de coexistence10. Ces mécanismes sont le résultat d‘une interaction entre la réputation masculine et la respectabilité féminine. Mais, la parenté a son rôle à jouer, car celle-ci est utilisée pour mettre l‘accent sur l‘égalité et freiner toute tentative de différenciation entre membres de la communauté.

Wilson explique que l‘application de la terminologie de parenté aux non-parents sert spécifiquement à égaliser toute relation qui peut devenir dissemblable (Wilson. 1995 : 122). Smith adhère à la même idée lorsqu‘il démontre le sentiment étendu de solidarité entre les habitants du quartier d‘August Town en Guyane Britannique, qui se considèrent « all one family » (Smith. 1998 : 51). Dans les deux cas, les chercheurs ont constaté l‘utilité des mots comme « aunty », « uncle », « cousin » pour transformer les « strangers » temporairement en parents (Price Jr. 1954 : 23 ; Wilson. 1995 : 146-147).

Si la famille a tendance à égaliser, la parenté, elle, organise aussi les relations sociales. Verticales. La parenté pour l‘homme de Providencia s‘inscrit non seulement dans le domaine politico-judiciaire et économique, mais elle est aussi liée au lieu physique de résidence, car le fait d‘être propriétaire est « a cultural imperative for a man ». C‘est grâce à la possession d‘un terrain où il pourra construire sa maison qu‘un homme pourra devenir un mari ou un père, c‘est-à-dire quelqu‘un de respectable (Wilson. 1995 : 125 ; Ruiz et O‘Flin. 1992 : 26).

Pour les femmes de Providencia, c‘est dans le domaine domestique que la parenté joue un rôle d‘organisation pour l‘expression de liens affectifs. Elle est aussi liée au lieu de résidence, mais seulement dans la mesure où le foyer représente l‘endroit où les réseaux sociaux de la parenté se transmettent. La mère est au centre du réseau qui s‘étend par rapport direct aux sœurs, aux belles-filles, aux tantes, aux cousines et à leurs descendants. Les hommes sont inclus en tant que frères, fils, cousins et neveux. Mais c‘est grâce aux unions

10

À ce dispositif de relations, l‘auteur l‘appelle Crab Antics. En France, on entend dire « panier de crabes » pour désigner un groupe de personnes qui se haïssent et cherchent à se nuire. On peut penser aussi aux messages transmis par les histoires d‘Anance, l‘araignée représentant le contre-pouvoir et l‘antihéros qui essaie toujours de profiter des situations, de s‘en sortir indemne et de maîtriser son frère (son égal) brother Tiger.

(25)

24

consensuelles et donc à la mobilité des belles-filles, qui se déplacent entre le foyer parental et celui de leurs beaux-parents, que se préserve « a constant and consistent set of persons with and from whom they (les femmes) derive emotional and physical satisfaction and existential identity » (Wilson. 1995 : 134).

Malgré le fait que la famille sert à égaliser, Peter Wilson observe une contradiction liée au fait que certaines familles de l‘île incluent des membres de classes sociales différentes. La majorité des familles aisées de Providencia embauchent des parents proches appartenant à la lower class pour les aider avec leurs tâches domestiques en expliquant qu‘ils le font « because of family », dont la conséquence c‘est une aide économique dans un premier temps, mais aussi une preuve de la différence sociale qui les séparent. De plus, les gens de la upper class cherchent à se marier entre eux ou avec des étrangers « respectables » et « réputés », ce qui correspond au modèle où un parent doit aussi être un égal socialement (Wilson. 1995 : 146-147 ; Benoist. 1972 : 95-96).

Selon Dilia Robinson, il n‘y aurait pas de contradiction de classe puisque la parenté contribue à la cohabitation des « classes sociales en neutralisant la présence de la misère grâce au principe de l‘entraide » (Robinson. s.d. : 76). Pour cette chercheuse, le fondement des normes sociales qui dirigent la vie des insulaires est la famille nucléaire et monogame. Ainsi, le travail, les rites et les coutumes, la religion, la relation avec les morts, la langue, les festivités et la musique tourneraient autour de l‘unité familiale (Robinson. 2004 : 5).

Les différenciations entre classes sociales, observées depuis le XVIIe siècle à Providencia comme à San Andrés11, ne se restreignent pas seulement au domaine économique. J. Cordell Robinson (1996) montre qu‘elle est liée notamment au rapprochement des communautés blanches et noires par le biais de la polygynie et des relations interethniques. Autrement dit, la upper class, composée de propriétaires blancs et respectables, et la lower class, composée des descendants d‘anciens esclaves, vont se rapprocher par l‘intermédiaire des relations sexuelles entre les hommes de la upper class et les femmes de la lower class (Price Jr. 1954 : 32).

La frontière entre les classes s‘est ainsi brisée en donnant comme résultat un « large number of children of mixed racial heritage » (Cordell Robinson. 1996 : 40-41). Les femmes,

11

(26)

25

mais surtout leurs enfants, ont vu leur situation socioéconomique s‘améliorer, alors que les pères ont bénéficié d‘une reconnaissance et acquis une respectabilité grâce au nombre d‘enfants engendrés, sans forcément donner d‘autre importance aux relations avec leurs différentes femmes.

Ce phénomène a aussi été constaté chez les saint-barths (Bonniol. 1992 : 121 ; 126-127), où les mélanges sont toujours présents malgré l‘existence d‘une barrière sociale et naturelle qui les freine. Jean-Luc Bonniol rappelle que ces unions illégitimes réaffirment la domination et l‘exploitation sexuelle de la femme noire par l‘homme blanc, même s‘il y a une stratégie de la part des femmes pour blanchir leurs enfants.

Thomas Price Jr. (1954 : 30) remarque que la pratique assez répandue de l‘adoption permet aussi de franchir les frontières de classe. Souvent, il s‘agit de familles insulaires à faibles revenus qui donnent un enfant à une femme de la upper class qui n‘aurait pas d‘enfants ou à une famille dont les enfants auraient déjà atteint l‘âge adulte. Cette tactique, qui reste en général une affaire entre femmes, a pour objectif d‘assurer le futur de l‘enfant et de créer des liens entre les familles de classe différente.

Généralement, les hommes ne prennent pas parti directement dans l‘affaire par peur de perdre leur réputation. L‘homme qui « donne » son enfant, parce qu‘il ne peut pas en assurer la prise en charge et l‘homme qui le « reçoit » parce qu‘il ne peut pas en avoir. Il est néanmoins tacitement entendu que l‘homme qui « donne » un enfant n‘interviendra plus dans l‘éducation de celui-ci, laissant à l‘homme qui « reçoit » toutes les responsabilités, que ce dernier endossera sans problème.

Outre les relations sociales et sexuelles, où les classes sociales se mêlent les unes aux autres, J. Cordell Robinson parle de l‘existence de « consanguineous relationships » (Cordell Robinson. 1996 : 61), et de la présence de la polygamie dans certaines familles de Providencia. Pour ce chercheur, l‘isolation géographique de l‘île et la taille réduite de la population rendent inévitables ces types de relations endogamiques. Il fait référence notamment aux mariages et unions consensuelles plutôt stables entre proches parents (unions entre cousins parallèles ou croisés ou entre oncles et nièces).

Des maladies génétiques détectées ont été directement liées à la consanguinité à Providencia (Cordell Robinson. 1996 : 65 ; Tamayo. 2000 : 413). Toutefois, des analyses

(27)

26

génétiques conduites par Natalia Lamprea (2009 : 64) ont conclu que les habitants de l‘île suivaient plutôt une pratique de l‘accouplement aléatoire. De petites variations dans les proportions génotypiques ont été décelées et la population ne présente pas d‘endogamie malgré son insularité.

L‘un des cas les plus connus à Providencia est celui de la famille de J. Cordell Robinson, qui présente une forte endogamie, une polygynie et aussi un taux de fécondité très élevé, phénomène qui agit sur l‘héritage de la terre.

La première particularité que l‘on remarque en observant la généalogie de J. Cordell Robinson est les origines polonaises du fondateur de cette lignée (300112), dont le vrai nom de famille s‘avère être Birelski (Cordell Robinson. 1996 : 8 ; communication personnelle Luis Alberto Archibold. 2010). En deuxième lieu, on remarque que ce Polonais s‘est marié avec deux sœurs, Mary et Nancy Taylor13

.

Dès la deuxième génération, on distingue une union entre deux cousins parallèles patrilatéraux (3006 et 3007), eux-mêmes enfants de demi-frères (3004 et 3005), dont les descendants au niveau de la quatrième génération (3008 et 3011) sont les parents de J. Cordell Robinson (3012).

L‘étude généalogique de cette famille a également révélé la présence d‘une polygynie et un taux de fécondation très élevé. Tout d‘abord, John Robinson a deux femmes et neuf enfants. Ensuite, au niveau des deuxième et troisième générations, on voit que Frederick Robinson a dix femmes et vingt-sept enfants, que Roosevelt Robinson a sept femmes et seize enfants, que Theodore Robinson a trois femmes et douze enfants, et enfin que Julius A. Robinson a quatre femmes et onze enfants.

Ces données montrent d‘une part comment le lignage des Robinson se répand très rapidement, avec au moins 300 membres au bout de la quatrième génération, faisant de cette famille la deuxième la plus grande de Providencia derrière celle des Archbold. La nombreuse descendance procure une main-d‘œuvre inestimable pour la famille, qui occupe des postes importants dans le commerce, l‘administration ainsi que la pêche et l‘agriculture.

12

Tous les chiffres entre parenthèses se réfèrent à la figure n.1, ci-dessous.

13

On ne sait pas s‘il était marié en même temps avec les deux sœurs ou s‘il s‘est remarié après la mort de l‘une d‘elles. Ce cas de polygynie sororale reste isolé et ne représente pas une règle d‘échange matrimoniale.

(28)

27

Figure 1: Généalogie de J. Cordell Robinson Robinson.

Source: Gabriel González. 2015

EGO

Cousins parallèles patrilatéraux

Union entre la petite-fille et le fils

des cousins parallèles patrilatéraux Demi-frères paternels Lignage Robinson (Birelski) Sœurs Taylor G - 0 +/- 1925 G - 4 +/- 1805 G - 5 +/- 1785 G - 1 +/- 1895 G - 2 +/- 1865 G - 3 +/- 1835

Figure No. 1 Généalogie de J. Cordell Robinson Robinson

3006 Frederick Robinson (Archbold) 3004 Theodore Robinson (Taylor) 3001 John Robinson (Theodore Birelski) 3002 Mary Taylor 3003 Nancy Taylor 3008 Hylton Robinson (Archbold) 3005 Alfred Robinson (Taylor) 3007 Alfred Robinson (How ard) 3010 Ethan Robinson (How ard) 3011 Naomi Robinson (Whittaker) 3012 J. Cordell Robinson (Robinson)

(29)

28

Cependant, cette nombreuse descendance présente un inconvénient. Une fois les deux premières générations disparues, l‘héritage de la terre a des répercussions économiques et sociales à Providencia, comme l‘indique l‘exemple de Frederick Robinson (Cordell 1996 : 95). Celui-ci était un riche propriétaire et gérait une production agricole et une force de travail assez importante. Au moment de sa mort, la division de ses terres entre ses vingt-sept enfants a entrainé une perte considérable de valeur et de productivité, obligeant plusieurs nouveaux propriétaires à abandonner les lieux.

*

3. Les méthodes d‘enquête : L‘appréhension du monde insulaire

À l‘époque où j‘ai commencé à m‘intéresser à l‘archipel de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, celle-ci était si éloignée de l‘esprit des Colombiens continentaux que la plupart de mes professeurs universitaires se sont étonné de mon choix d‘écrire un mémoire de licence sur l‘île de San Andrés.

Leur réaction s‘explique d‘abord par le fait que la plupart des recherches anthropologiques du moment ciblaient les groupes indigènes, laissant à l‘écart les autres objets d‘étude anthropologiques « minoritaires » comme ceux de l‘anthropologie urbaine, visuelle, de genre, ou encore les Afrocolombiens. Ensuite, parce que les préjugés sur la culture insulaire et les positions radicales de certains raizales ont attiré l‘intérêt de l‘anthropologie, faisant de cet espace un terrain très difficile à intégrer pour un étudiant continental, qui de surcroît, ne parlait pas un seul mot de créole. Finalement, parce que toutes les conversations aboutissaient sur une seule et même réflexion : « Faire du terrain sur une île de la Caraïbe ? », idée qui renvoyait toujours à la partie exotique et peu laborieuse du terrain.

Tous ces préjugés, qui ont aussi une part de réel, ont fait partie de mon expérience à San Andrés. Ma condition de chercheur continental et étranger qui arrivait pour observer « les autres », mais aussi, et surtout, le fait d‘avoir un lien de parenté avec une famille nativa/raizal.

(30)

29 a. La population et l‘ethnologue

J‘étais un inconnu pour tout le monde à San Andrés sauf ma sœur, son mari et quelques amis. Mon arrivée à l‘antenne de l‘Université Nationale de San Andrés a été vécue comme celle d‘une personne étrangère qui venait déranger l‘ordre établi du petit monde universitaire insulaire. Mis à part la chaleureuse bienvenue et la précieuse aide du professeur Francisco Avella, l‘accueil méfiant que m‘a réservé l‘antenne de San Andrés a été la cause de ma première déception sur le terrain.

Malgré cela, le fait de me présenter comme un membre de l‘Université était plutôt positif, car cela apaisait les soupçons de beaucoup de gens qui pensaient que je travaillais pour la corporation environnementale Coralina14 ou que j‘étais un employé du gouvernement central à la recherche de personnes sans papiers ou d‘actes illégaux sur le territoire insulaire.

Cela dit, le fait d‘être chercheur à la fois national (colombien) et international (pour le fait d‘être inscrit dans une université étrangère) ne plaisait pas à tout le monde. Les églises, certains bureaux du gouvernement, et les leaders raizales ne me recevaient pas les bras ouverts, car la méfiance s‘était installée depuis longtemps entre eux et tout ce qui venait de l‘intérieur du pays. Notamment, les églises catholiques étaient réticentes à partager leurs actes par méfiance des travaux de systématisation d‘actes, registres et données généalogiques de la part des mormons15. De leur côté, les radicaux ne souhaitaient pas que leurs secrets soient dévoilés.

Dans un premier temps, l‘enquête s‘est donc déroulée petit à petit, comme un événement quotidien. Je me promenais d‘une maison à l‘autre, d‘un bureau à l‘autre, je rencontrais des gens qui savaient déjà sur quoi je travaillais, où j‘habitais, qui je fréquentais, et qui j‘avais interviewé. Il était de plus en plus clair ce qui disaient les gens ici, dans une île, tu n‘as plus une vie privée, elle finit par devenir publique.

La porosité entre vie privée et publique permet de savoir des choses que l‘on ne se demande même pas. Grâce au commérage et à la médisance, ou en d‘autres termes, le chisme,

14

La relation entre la population et la corporation Coralina est assez tendue puisque cette dernière est chargée de faire respecter les lois relatives à la pêche, la déforestation, la construction d‘immeubles, l‘exploitation de puits d‘eau, le contrôle de déchets, entre autres, ainsi que gérer la réserve de la biosphère « Sea Flowers » (voir González. 2002).

15

Selon les mormons, ces données (ils comptent près de 2 milliards de noms enregistrés) servent à accomplir le projet du temple, c‘est-à-dire le baptême, par procuration, des personnes étant morte sans la bénédiction de l‘évangile (http://www.pbs.org/mormons/etc/genealogy.html).

Figure

Figure 1: Généalogie de J. Cordell Robinson Robinson.
Tableau 1 : Évolution de la population de l‘archipel depuis 1870.
Tableau 2 : Estimation de la migration nationale et départementale, 1985-2005 et projections 2005-2020  Année   1985-1990   1990-1995   1995-2000   2000-2005
Tableau 3 : Indicateurs démographiques de l‘île de San Andrés, 2005-2020  Période  Croissance naturelle  Natalité  Mortalité
+6

Références

Documents relatifs

Le 17 août 1852 Louis Sébastien Amédée Pauvert, marié à Marie Joséphine Adèle Geanty, acquiert l’habitation sucrerie « Malgré Tout », de 121 hectares, à Saint François. Le

C’est pas la joie mais c’est chez soi Et c’est bien mieux qu’en avoir pas. Moi, l’escargot du bas du bois, Je plains les

Il est possible que nous devrions faire un emprunt pour acheter la voiture, mais comme je commence bientôt à travailler, je ne vois pas pourquoi la banque nous en refuserait

[r]

[r]

[r]

[r]

Pour profiter de ce service, il suffit d’identifier sur le coupon d’inscription en 3,- le point de distribution qui vous convient et après le lancement du 9 novembre, communiquer