• Aucun résultat trouvé

Le grotesque dans Les diaboliques de Barbey d'Aurevilly /

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le grotesque dans Les diaboliques de Barbey d'Aurevilly /"

Copied!
107
0
0

Texte intégral

(1)

INFORMATION TO USERS

This manuscript has been reproduced from the microfilm master. UMI films the text directlytrom the original or copy submitted. Thus, sorne thesis and dissertation copies are in typewriter face, while others may be trom any type of computer printer.

The quality of this reproduction is dependent upon the quallty of the copy submitted. Broken or indistinct print, colored or poor quality illustrations and photographs, print bleedthrough, substandard margins, and improper alignment can adversely affect reproduction.

ln the unlikely event that the author did not send UMI a complete manuscript and there are missing pages, these will be noted. Also, if unauthorized copyright material had to be removed, a note will indicate the deletion.

Oversize materials (e.g., maps, drawings, charts) are reproduced by sectioning the original, beginning at the upper left-hand corner and continuing trom left to right in equal sections with small ovel1aps.

ProQuest Information and Leaming

300 North Zeeb Road, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521-0600

(2)
(3)

Le grotesque dansLes Diaboliquesde Barbey d'Aurevilly

par

Tania MARLEAU

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtentiondudiplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises UniversitéMcGiIl

Montréal, Québec

Juillet 2000

(4)

1+1

National Ubrary ofCanada Acquisitions and Bibliographie services 385VMingIDnStrMt oaa-ON K1AOt" canada Bibliothèque nationale duCanada Acquisitions et seMees bibliographiques 385.rueWe5ngtDn 0IIawaON K1A 0N4 c.n.da

The author

bas

granted

a

non-exclusive licence allowing the

National Library ofCanada

to

reproduce,

10.

distribute

or

sen

copies

of

this

thesis

in

microfonn,

paper or electronic fonnats.

The author retains ownership

ofthe

cop)Tight

in

tbis thesis. Neither the

thesis nor substantial

extracts

from

it

may

he

printed or otherwise

reproduced withaut the

author's

permission.

L

~auteur

a accordé une licence non

exclusive

pem1ettant

à

la

Bibliothèque nationale du Canada de

reproduire,

prêter,

distnbuer ou

vendre

des

copies

de

cette thèse sous

la

forme

de

microfiche/film,

de

reproduction sur papier ou sur format

électronique.

L'auteur conserve

la

propriété

du

droit

d'auteur qui

protège

cette thèse.

Ni

la

thèse

ni

des extraits substantiels

de

cene-ci

ne doivent être imprimés

ou autrement reproduits sans son

autorisation.

0-612-70609-5

(5)

ABSTRACT

The grotesque is an unsettled notion which is difficult ta define. Over the years, there have been severa! attempts ta fOfOlulate a satisfactory definition. Today, a few definitions prevail, namely that proposed by Hugo, Bakhtine and Kayser.Inmyopinion, the latter is the most appropriate for the analysis of the grotesqueinBarbey d'Aurevilly'sDiaboliques.

Indeed, Wolfgang Kayser's theory of the grotesque is based on the idea of a world that has suddenly become «estranged». Barbey's «diabolical» charaeters are peculiar beings, both passionate and inscrutable, who by their actions and attitudes manage to overwhelm most characters of their universe. By their very mystery, thediaboliques rernain deeply

presentinothers' minds, thereby changing their existence forever. In Barbey's stories, there are no mythical beasts, no monstrous grotesque per se. However, when examined from Kayser's perspective, light is shed on the grotesque aspect oftheir characters.

(6)

RÉsUMÉ

Le grotesque est une notion aux contours mouvants difficile

à

définir. Aufildes ans, plusieurs ont tenté d'en esquisser une définition satisfaisante. Aujourd'hui, on ne retient que quelques approches, notamment les définitions du grotesque de Hugo, de Bakhtine et de Kayser. C'est cette dernière qui m'apparaît la plus pertinente pour l'analyse du grotesque dans Les Diaboliques de Barbey d'Aurevilly.

En effet, la théorie du grotesque de Wolfgang Kayser repose surtout sur l'idée du monde transformé, devenu soudainement étrange. Les personnagesdiaboliquesde Barbey sont des êtres étranges,àla fois passionnés et impénétrables, qui bouleversent l'univers des autres personnages par leurs actions et leur attitude. Imprégnées de mystère, lesdiaboliques

laissent dans l'esprit des autres personnages un souvenir qui transforme leur existence. Dans les nouvelles de Barbey, pas d'animaux mythiques, pas de grotesque monstrueux comme tel. Mais en les examinant àla lumière de la théorie de Kayser, elles n'en ont pas moins un caractère grotesque.

(7)

REMERCIEMENTS

Je souhaite d'abord remercier vivement mon directeur, M. lean-Pierre Boucher, pour sa grande disponibilité, sa patience et ses conseils fort appréciés. Je remercie également chaleureusement mes parents et ma famille, pour leur grande générositéetleur assistance dans les moments plus difficiles. Un merci spécialàmon père, Gilles, etàmon frère, Patrick, qui ont accepté de relire et de réviser mon mémoire. Ma reconnaissance va égalementà Hélène Laporte, qui m'a aidée à réviser et imprimer la version finale de mon mémoire. Enfin, je voudrais remercier Pablo, pour son amour et ses encouragements constants.

(8)

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION

Legrotesque chez Barbey d'Aurevilly Éléments de définition du grotesque

La théorie du grotesque de W. Kayser: concepts

Éléments de définition retenus pour la lecture critique des

Diaboliques L'ÉLÉMENT MONSTRUEUX Le monstrueux physique Le monstrueux mythique 1 1 3 12 16 18 18 28

«THE GROTESQUE IS THE ESTRANGED WORLD»:

LE TEXTE ET L'ÉTRANGE 40

La construction textuelle de l'étrange: Introduction du fait étrange 40

L'univers bouleversé 53

«THE GROTESQUE IS A PLAY WIm THE ABSURD» 66

Fin ouverte et personnages complexes: le mystère en suspens 66

Dénonciation de J'absurdité de l'existence et provocation 74

CONCLUSION 80

Le grotesque aurevillien 80

(9)

INTRODUCTION

Le grotesque chez Barbey d'Aurevilly

À ma connaissance, il n'y a pas encore d'ouvrage qui se penche sur la notion du grotesque dans l'oeuvre de Barbey d'Aurevilly. On compte en revanche plusieurs études sur des sujets voisins du grotesque, telles celles de type psychanalytique faites par Jacques Petitl. Petit s'est également penché sur les« obsessions du romancier»2 qui englobent entre autres thèmes, ceux de l'enfant mort, de la femme-sphinx, de l'androgyne et de la mère. Ce sont des figures récurrentes de l'oeuvre aurevillienne, et en particulier desDiaboliques, oeuvre dont

('écriture s'est étendue sur plusieurs années. C'est dans la mesure où Petit nous parle des hantises du romancier que ces thèmes ont rapport au grotesque. En effet, comme on le verra plus loin, le grotesque est traditionnellement associé aux notions de cauchemar, de folie (ou d'obsessions), de fantastique.

D'autres critiques se sont également intéressésàces concepts chez Barbey. Philippe

Berthier propose ainsi une excellente étude de l'imaginaire et des fantasmes de Barbey dans son ouvrage intituléBarbey d'Aurevilly et l'imagina/ion. Le très récent ouvrage de Pascale

Auraix-Jonchière,L'unité impossible. Essai surla mythologie de Barbeyd'Aurevil/y, quant

JacquesPeti~Essais de lecture des(eDiaboliques )} de Barbey d'Aurevilly. On peut également se référer

aux nombreu.x articles queM.Petit a fail paraître dans laRevue des let/res modernes, «Série Barbey d'Aurevilly», de 1966à1973 .

C'estle titre donné parJ.Petitàdeu.x de ses introductions aux cahiers de laRevue des lettres modernes.

(10)

2

à

lui, s'arrête sur les figures mythiques récurrentes chez Barbey, entre autres, ceDes de la femme-sphinx et de l'androgyne. Finalement, les ouvrages sur Barbey et le satanisme ou le Mal sont abondantsJ•

L'étrangeté est omniprésente dansLes Diaboliques. Les héroïnes de ces nouveUes

n'ont rien de normal; elles trompent, elles assassinent, elles sont parfois presque androgynes, elles dominent, elles fascinent, elles sont inoubliables pour leur entourage. C'est d'ailleurs ce qu'elles ont en commun: elles manifestent un contraste frappant avec leur environnement et elles y laissent leur trace. Elles ne font pas qu'étonner les autres personnages, elles jurent avec eux. Plus encore, elles semblent être intrinsèquement contradictoires: la petite masque déteste en apparence celui dont elle est amoureuse, Hauteclaire Stassin, qui possède des talents tout masculins, estàla fois un peu homme et femme, sans oublier la duchesse d'Arces qui, malgré son rang, décide de vendre son corps dans les ruelles de Paris. C'est en voulant étudier cet amalgame inusité et provocant des contraires que je me suis arrêtée au grotesque chez Barbey d'Aurevilly. Ainsi, il m'apparaît très intéressant d'examiner cet aspect de l'imaginaire aurevillien pour montrer jusqu'à quel point la notion du grotesque peut éclairer ma lecture desDiaboliques.

3 On compte panni ceux-ciLa /iuérature et la hantise du Mald'AJain Toumayan, etL 'univers tragique de Barbey d 'Aurevi//yde Pierre Colla (en particulier le chapitre III,«Le diabolisme et lesDiaboliques», quitraite dusatanisme aurevillien).

(11)

3 Éléments de définition du grotesque

Elisheva Rosen, dans son livre sur le grotesque, écrit:

D n'y a pas de livre en France sur le grotesque, ce qui serait peut-être une raison suffisante de ne pas en proposer un. La réticenceàl'égard de cette notion, voire la méfiance qu'elle inspire à certains ne sont pas dénuées de fondement. On ne peut pas définir le grotesque, du moins pas de façon satisfaisante: on s'y est souvent essayé, mais sans jamais panrenir pleinement aux exigences de l'acceptable, en y contrevenant plutôt. De là une résenre qui est sans doute sage".

Le grotesque est une notion aux frontières floues, sans cesse mouvantes, difficiles àdéfinir d'une façon précise. Jusqu'à ce jour, la réflexion sur le grotesqueestun mélange hétérogène de plusieurs voix, d'idées, de théories qui souvent se contredisent. La notion du grotesque a en effet fait couler beaucoup d'encre. De nombreux écrits sont consacrés au grotesque notamment en arts plastiques et en architecture. Quant au grotesque en littérature, plusieurs théories ont été avancées, et il me paraît important de rappeler les grandes lignes de cette notion toujours en évolution pour ensuite m'attarder plus longuement sur la théorie et les éléments du grotesque que je retiendrai pour cette lecture critique desDiaboliques.

Le grotesque ou un ensemble de formes disparates: La Renaissance

Le mot« grotesque» nous vient de la toute fin du quinzième siècle. Lors de fouilles à Rome, on a découvert dans le palais de Néron des ornements de facture originale et jusque-là inconnus. Les artistes contemporains ont été aussitôt inspirés par ces représentations schématiques étranges. Ce nouveau style fait aussitôt fureur auprès du public, qui en fait une mode qui ne tarde pas à se propager partout en Europe,ycompris en France. Elisheva Rosen

(12)

4 précise qu'on les appelle alors les«grotesques»s. Cette nouvelle forme d'art plaît beaucoup,

à la fois à cause de sa nouveauté, mais aussi parce qu'elle s'inspire de l'Antiquité, ce qui lui donne, aux yeux de plusieurs, une certaine légitimité. On commence donc

à

explorer un nouveau monde de formes et d'images. Ce style se répand dans les palais, dans les églises, et chez de nombreux artisans, comme les orfèvres et les graveurs. Ce style ne plaît cependant pasà tous. On n'hésite pas à remettre en mémoire les écrits d'un critique romain, Vitruve6,

dénonçant la présence de monstres au lieu de représentations naturelles et vraies. Plus encore, il s'attaque au mélange, selon lui extravagant et illogique, des règnes humain, animal et végétaI. En conséquence, la description des grotesques se trouve vite soumiseà ce que Rosen appelle une « rhétorique du rejet »': «Elles ne reproduisent pas les images d'un univers familier. D'autre part, [elles] portent délibérément atteinte à tout principe de vraisemblance. [...] Leur agencement est tel qu'il s'impose comme incohérent et insignifiant, incongru et aberrant »8. Certaines personnes continuent cependant d'apprécier ces formes hétéroclites. Il faut souligner l'importance du regard dans la définition des grotesques. Ces dernières n'offrent pas vraiment de point de repère à la perception: formes mi-végétales,

mi-animales, elles sont un pur produit de (' imaginaire. Ces ornements représentent des formes qui ont ('apparence d'être sans cesse en mouvement, ce qui explique pourquoi elles retiennent

s

6

8

Ibid., p. 12. Lepluriel désigne les ornements grotesques.Lesingulierseraadmis quand le grotesque devientunecatégorie esthétique,auXIXe siècle. Rosen souligne aussi que le nom deces ornementsest «forgé par métonymie» à panir du lieu de leur exhumation, le mot«grotta»)en italien signifiant «cave».

Pollio Vittmvius,De Architectura. Elisheva Rosen,Op.cil.,p. 14.

(13)

5 beaucoup le regard. Rosen va même jusqu'à avancer que«l'oeil s'y attache au point de se détourner de ce qui devrait être le peint focal du regard. Voué aux marges, voilà que l'ornement menace d'empiéter sur le centre, de remettre en cause toute hiérarchie des figures et des signes»9. Le spectateur s'attarde donc sur les gargouilles en oubliant d'admirer la cathédrale. Cette réflexion plus générale sur le grotesque permet d'appliquer ce concept à une forme d'an moins visuelle: la littérature.

Dans ses Essais, Montaigne se sert de l'image des grotesques pour expliquer l'originalité de son oeuvre.

Considerant la conduite de la besongne d'un peintre que j'ay, il m'a pris envie de l'ensuivre. fi choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élabouré de toute sa suffisance, et, le vuide tout au tour, il le remplit de crotesques, qui sont peintures fantasques, n'ayant grâce qu'en la varieté et estrangeté. Que sont-ce icy aussi, à la verité, que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n'ayant ordre, suite ny proportion que fortuite?10

Montaigne perçoit les grotesques comme des formes variées et étranges" ensemble plus ou moins cohérent formé de divers morceaux. Il s'intéresseà la disposition etàla composition, mais plus encore au renversement de l'ordre des préséances. Or, on sait que Montaigne propose un nouveau genre avec ses essais dans lequel il traite de sujets plus ou moins reliés, ce qui évoque la composition même des ornements grotesques aux formes disparates. Les grotesques finissent par s'identifierà tout ce qui échappeàl'ordre canonique, aux codes hégémoniques. Elles sont un ensemble mouvant qui échappeàtoute fixité de la désignation.

Ibid.,p. 20.

(14)

6 EUes permettent donc de faire entrer l'innommable dans une catégorie plus précise. Relevant toujours de l'imaginaire et de l'invraisemblance, elles réunissent différents éléments: la fantaisie, l'étrange, le mystérieux. En somme, un des traits les plus importants du grotesque est cette mouvance, cette flexibilité qui lui permet de se soustraireàla norme. Les grotesques ne privilégient aucune voie, elles sont l'exploration de possibles dans leur sens et dans leur composition même. Elles se prêtentàun réexamen constant.

Les antithèses, la marginalitéetle rire: la période romantiqueetle grotesque

Les romantiques feront des grotesques une catégorie esthétique. C'est ainsi que les grotesques deviennent le grotesque. Rosen considère le Cromwell de Victor Hugo comme un texte inaugural. Plus précisément, il s'agit du premier écrit théorique d'envergure consacré au grotesque. Pour Hugo, le grotesque est partout, il ne se limite pas aux bas sujets de la nature; infinicomme la Création, ilcomprendà la fois le Beau et le Laid. Rappelons que la conception du grotesque de Hugo lui permet de rompre avec la tradition classique et d'annoncer un règne nouveau, celui de l'art moderne. Ce dernier est produit par le«génie [qui se doit] de créer une oeuvre qui soit totale, qui refuse d'exclure un élément du réel»11.

Annie Ubersfeld montre que le grotesque hugolien est extrêmement fécond, àla fois ({ rire franc» et« rire réduit», sublime et laid, terreur et épouvante, mais avant tout voix du peuple. En effet, Ubersfeld parle ailleurs de« parole grotesque»12,parole qui

«

fait parler les

contradictions »13, qui s'élève contre la parole conforme, qui déconcerte. Le grotesque

Il Victor Hugo,Cromwell,p. 48.

12 Annie Ubersfel«L Paroles de Hugo, p.9.

(15)

7 hugoIien, selon Ubersfeld, représente«l'image de la force populaire aliénée »14. Pour Hugo, le grotesqueestune explosion de voix qui proviennent de toutes les couches du peuple et qui parviennent finalement àse faire entendre.

Une grande partie de l'intérêt de la conception hugolienne du grotesque repose sur la fusion des antithèses. Depuis la Renaissance jusqu'au XIXe siècle, le grotesque, autrefois curieux éventail de formes étranges, devient amalgame des contraires qui, pour Hugo, sont inscrits au coeur même de la réalité. Comme Hie précise dans sa célèbre préface,1'«antithèse n'est pas un éclairage commode, elle est la lumière de la vérité »15. Ainsi, le grotesque hugolien ne s'arrête pas uniquement au physique des personnages. Quasimodo provoque les rires de la foule caril est tout aussi affieux qu'étrange (<< rire franc »). Mais ily a «rire réduit» quand on se rend compte que ce monstre hideux a un coeur pur, est capable d'aimer, et que, même repoussant, il fait un avec la sublime cathédrale Notre-Dame de Paris: «la présence de cet être extraordinaire faisait circuler dans toute la cathédrale je ne sais quel souffle de vie. [...] elle était possédée et remplie de Quasimodo comme d'un génie familier. On eût dit qu'il faisait respirer l'immense édifice »16. Hugo nous invite

à

nous arrêter aux détails,

à

nous méfier des extérieurs trompeurs. Le laid ou le grotesque peut comprendre le sublime. Ainsi, le grotesque a, pour Hugo, des facettes multiples toutes aussi importantes les unes que les autres dans la représentation de la vie réelle.

16 Victor Hugo,Notre-Dame de Paris, p.211.

14 Annie Ubersfeld,Le roi et le boujJôn,p. 463. Consulter également la deu.xième partie du même ouvrage

consacrée au « Drame carnavalesque». Notons que Ubersfeld explique le grotesque hugolien en s'appuyant sur la théorie du carnaval de Bakhtine, que nous verrons plus loin.

IS Victor Hugo,Op.

(16)

8 L'approche du grotesque de Théophile Gautier est différente de celle de son contemporain. Les Grotesques·7 n'est pas un écrit sur le grotesque comme tel, mais plutôt une étude de dix poètes français « oubliés » qui ont attiré l'attention de Gautier par la singularité de leur expérience humaine et littéraire. Cefaisan~ Gautier fournit de nouveaux exemples qui enrichissent l'étude du grotesque. L'ouvrage se place sous la tutelle du

Cromwell de Hugo, dont Gautier est un disciple fidèle. L'intérêt de son oeuvre réside dans

l'interprétation que Gautier en fait.

Les Grotesques de Gautier désigneà la fois les poètes qu'il étudie, leur oeuvre et leur vie marginales. Pour Gautier, le grotesque comprend tout ce qui est singulier.

n

met l'accent sur le décentrement, rejoignant ainsi Montaigne qui se concentrait sur l'écart entre les marges et le centre. Le grotesque est pour Gautier changement radical de point de vue, originalité. Gautier jette un regard nouveau sur les vers de Villon, Viau, Cyrano de Bergerac et Georges de Scudéry: «ces écrivains dédaignés ont le mérite de reproduire la couleur de leur temps [...]. Vous trouverez dans ces bouquins mille détails de moeurs, d'habitudes, de costumes, mille idiotismes de pensée et de style que vous chercheriez en vain ailleurs»18. Gautier utilise

le mot grotesque comme symbole de nouveauté, pas de rupture radicale avec les classiques comme Hugo [' affirmait, mais de regard nouveau, de décentrement de la pensée conventionnelle, presque d'échappatoire:«ilexiste un genre auquel conviendrait assez le nom

17 Pour un étude pl us complète desGrotesquesde Gautier. on peut se référeràl'ouvrage de René Jasinski intituléLes années romantiques de Théophile Gautier.Paris. Librairie Vuibert. 1929.

(17)

9

d'arabesque, où, sans grand souci de la pureté des lignes, le crayon s'égaye en mille fantaisies

Plus tard, toujours au XIXe siècle, Baudelaire rebaptise le grotesque

«

comique absolu». Avant de définir le comique absolu, examinons le lien que Baudelaire trace entre le grotesque et la caricature. Pour Baudelaire, la caricature dénonce les défauts et les abus d'une société; elle naît d'un sentiment de connivence qui unit les êtres. La caricature suscite le rire. Ce dernier est une réaction suscitée par la caricature; le rieur a un sentiment conscient ou non de supériorité sur l'objet, mais de supériorité relative. Baudelaire précise: «comme le rire est essentiellement humain, il est essentiellement contradictoire, c'est-à-dire qu'il est à la fois signe d'une grandeur infinie et d'une misère infinie. C'est du choc perpétuel de ces deux infinis que se dégage le rire»20. Il entend par là que l'être humain peut facilement se moquer des autres, s'en croire infiniment supérieur, mais tout en sachant qu'il demeure nettement inférieuràDieu. Le rire, par sa nature même, est une activité fondamentalement antithétique, donc grotesque. Baudelaire souligne aussi les aspects physiologiques du rire, comme les convulsions de la figure du rieur, etc. Retenons que pour Baudelaire,l'orgueilest la source principale consciente ou inconsciente du rire; il est«signe de supériorité ou de croyanceà sa propre supériorité»21. Selon Arne Kjell Haugen,«le rireesten principe, pour

Baudelaire, satanique: il est incompatible avec la sagesse et l'innocence»22.

19 Ibid.,p. 452.

21) Charles Baudelaire, Critique d'art, p. 192. Voir le chapitre du Critique d'art«De l'essence du rire et

généralement du comique dans les ans plastiques )).

n Ibid.,p. 193.

(18)

10 Revenons maintenant au comique absolu, Baudelaire distingue deux sortes de comique: le comique significatifet le comique absolu ou le grotesque, qui provoquent deux sortes de rire. Le comique significatif estdouble etilest plus simple: on rit de l'homme par rapport àl'homme. Il est double car il procède parimitation ou par représentation (par

exemple, rire de quelqu'un qui a un grand nez). En revanche, le comique absolu estun, car

il est le rire de l'homme par rapport à la nature: il estcréation d'un individu. Le comique

absolu se trouve donc en principe en lui-même, on le saisit par intuition (et non par perspicacité comme le comique significatif) caril n'a pas de référent. Il est beaucoup plus profond et «primitif». II est le produit d'une expérience purement individuelle et c'est pourquoi il échappe àl'analyse et à l'explication. Rosen écrit: « émanant de la vision particulière que l'artiste fait de l'espace commun, [le grotesque ou le comique absolu] est sans cesse menacé de devenir vision singulière. [...] de là cette part de mystère qui subsiste dans la définition même »23. Le grotesque est donc lié au rire, qui est manifestation d'un sentiment de supériorité par rapport à la nature, mais sentiment personnel, donc indéchiffiable pour le spectateur tant il relève de l'intuition. En somme, pour Baudelaire, le grotesque est une forme de « communication esthétique», mais communication qui n'aboutit jamais, car le spectateur ne peut que spéculer sur le sens du grotesque.

Le grotesque de Bakhtine ou le monde carnavalesque

Beaucoup plus tard, au XXe siècle, un autre critique, Mikkaïl Bakhtine, s'arrête

à

la notion du grotesque et propose une des théories les plus importantes du grotesque en littérature. Pour Bakhtine, le grotesque est étroitement lié à la notion de «carnaval »,

(19)

Il

festivitéàlaquelle participent toutes les couches de la société, sans distinction de classe. De même, le grotesque faitfi de toute hiérarchie;ilenglobe tout. Le grotesque de Bakhtine est expliqué avec la métaphore du corps humain, oùilya sans cesse renversement du hautet du bas. Le grotesque est essentiellement dynamique, car il est lié àl'inachèvement du corps humain, qui subit constamment des processus d'échanges et de transformations:«lecorps grotesqueest uncorps en mouvement. Il n'est jamaisprêtniachevé: il est toujours en état de constnlction, de création et lui-même COl1stnlÎt lin autre corps;de plus,ce corps absorbe le monde et est absorbé par ce dernier»24.

Le grotesque est, chez Bakhtine, mort et naissance perpétuelles, mouvement circulaire, inachèvement. Le grotesque est profondément positifcar il engendre le phénomène libérateur du rire joyeux:

Le rire lui-même ne se transforme pas encore entièrement en une ridiculisation pure et simple: son caractère est encore suffisamment entier, ilconcerne l'ensemble du processus de vie, ses deux pôles et les tonalités triomphantes de la naissance et de la rénovationyrésonnenfS.

Le grotesque «commence là où l'exagération prend des proportions fantastiques »26. En

effet, le grotesque bakhtinien est hyperbolique: «L'excentricité est une catégorie spéciale de la vie carnavalesque. (...] elle permetàtout ce quiestnormalement réprimé dans l'homme de s'ouvrir et de s'exprimer sous une forme concrète »27. En somme, le grotesque est, pour

24 Mikkaïl Bakhline, L 'oeuvre de Français Rabelais el la culture populaire au Moyen Âge et sous la

Renaissance,p.315.

2.S Ibid.,p. 73.

26 Ibid.,p. 314.

(20)

12

Bakhtine, renversement joyeux du haut et du bas qui prend place lors du carnaval. C'està ce moment que s'inverse la hiérarchie sociale au profit de la couche populaire et que se dégage le rire libérateur.

La théorie du grotesque de W. Kayser: concepts

L'approche théorique qui me semble la plus pertinente à l'analyse textuelle des

Diaboliques est celle de Wolfgang KayserI. Celui-ci examine et réinterprète ce qui a pu s'écrire sur le grotesque au fil des siècles pour ensuite tenter d'en identifier les éléments principaux. C'est dans le dernier chapitre de son ouvrage,«AnAttempt to Define the Nature ofthe Grotesque», qu'il esquisse sa propre définition du grotesque. Le grotesque est pour lui une catégorie esthétique transhistorique, il est de tous les temps: d'abord en architecture pendant l'Antiquité, puis en architectureetsous diverses formes d'art jusqu'au XIXe siècle, et finaiement surtout en littérature aux XIXe et XXe siècles.

Kayser retient dans sa définition du grotesque quatre éléments principaux. D'abord, il ya la présence de monstres, àson avis thème récurrent et essentiel de toute oeuvre qui se veut grotesque. On retrouve l'élément monstrueux sous diverses fonnes: animales, végétales ou humaines. Selon Kayser, le bestiaire grotesque comprend une grande quantité de possibilités: il peut s'agir de vrais animaux (parmi les plus connus, Kayser compte le hibou, l'araignée, le serpent et le crapaud) ou d'animaux mythiques (où tous les mélanges insolites

28 Wolfgang Kayser, The Grotesque in Art and Literature, Peter Smith, 1968.Laversion originale en

allemand, intitulée Das Grotske: seine Gestaltung in Malerei und Dichtung. a paru en 1957. Notonsque

(21)

13 d'animaux sont pennis). Selon lui, ranimai grotesque par excellence, dans ce cadre, est la chauve-sourisàcause de sa physionomie et de son comportement étrange: tout petit animal nocturne aux sens extrêmement développés, à la fois fragile et puissant, il suce le sang d'animaux endonnis.

L'élément monstrueux comprend également les plantes, qu'on retrouve souvent dans des ornements grotesques (par exemple en architecture). Selon Kayser, l'écart entre le monstre animal et le monstre végétal est mince. Les plantes peuvent s'avérer être aussi dangereuses et redoutables que les animaux (surtout si l'on pense aux jungles, aux plantes carnivores et aux forêts équatoriales). De plus, dans certains ouvrages, les plantes peuvent parfois, en plus de croître, devenir des êtres autonomes capables de penser. Kayser ajoute que tout autre objet inanimé, végétal ou non, est grotesque s'il semble prendre soudainement

Vie.

Finalement, l'élément monstrueux peut également se manifester sous forme humaine. Dans la plupart des cas, l'être humain en question perd son caractère humain quand une force extérieure semble s'emparer de lui:«we find human bodies reduced to puppets, marionettes, and automata, and their faces frozen to masks»29. Il entend par là que le personnage perd contrôle de soi et sombre dans la folie. L'état grotesque du personnage se lit dans son comportement, ses paroles et ses pensées.

Kayser propose un deuxième ingrédient du grotesque:«[it] is the estranged world»30 ou l'univers familier bousculé. Le monde du personnage concerné devient soudainement

29 Ibid. p. 183 .

(22)

14 étrange sans qu'on sache très bien pourquoi; ilest en partie transformé souvent à cause de l'apparition d'un monstre quelconque. Le personnage, profondément troublé, ne peut se fier à son jugement; il doit adopter une toute autre perspective face au monde«nouveau ». Kayser précise: « the grotesque instills a fear of life rather than a fear of death »31, car le

personnage a partiellement ou complètement perdu le contrôle de son univers. Le grotesque produit un effet de choc car la métamorphose de l'univers familier se fait de façon assez soudaine: «suddenness and surprise are essential elements of the grotesque »32. Bref: le

grotesque est tout ce qui va à l'encontre de la norme, tout ce qui force la personne qui en fait l'expérience à se remettre en question.

Le troisième élément du grotesque selon Kayser concerne le monde du personnage déjà transformé. Kayser écrit: «the grotesque is a play with the absurd»33. Il entend par là

que le monde transformé demeure absurde. L'auteur n'offre pas d'explication finale au public lecteur et encore moins au personnage. En ce qui concerne le processus créateur, Kayser est clair: le grotesque peut apparaître dans les visions de l'écrivain, éveillé ou non, ou il procède d'une vision désenchantée de l'existence. C'est ce qui permet à Kayser d'identifier deux types de grotesque: le grotesque«fantastique» et le grotesque« satirique». Kayser s'explique en disant que le grotesque«fantastique» consiste en la représentation d'un monde onirique, fantaisiste, tandis que le grotesque « satirique » est plus mordant, caril est une critique désenchantée de la société. En n'omant pas de réponseàla fin de l'histoire, l'auteur rit des

JI Ibid,p. 185.

32 Ibid., p. 184.

(23)

15

absurdités de l'existence et de son propre univers en les propageant dans son oeuvre. Des questions demeurent en suspens:«APOCalyptic beasts emerge from the abyss; demons intrude upon us. If we were able to name these powers and relate them to the cosmic order, the grotesque would lose its essential quality »34. Le monde reste donc nécessairement inexpliqué, incompréhensible et impersonnel.

Finalement, le dernier élément que Kayser propose, - «the grotesque is an attempt to invoke and subdue the demonic aspects of the world »35_, parle des raisons d'être du

grotesque. Rappelons que le grotesque est un ensemble dynamique de fonnes disparates impossible à définir. L'auteur surmonte donc les absurdités de l'existence en les exposant pour ce qu'elles sont véritablement: un ensemble de questions sans réponses. Selon Kayser, représenter le grotesque, c'est pour l'artiste une façon de le maîtriser et de le dénoncer: «the truly artistic effects a secret Iiberation. The darlmess has been sighted, the ominous powers discovered, the incomprehensible forces chalienged »36. Paradoxalement, c'est donc en

montrant que son monde est absurde que l'auteur en reprend le contrôle.

34 Ibid.,p. 185.

l'Ibid..p. 188. ]6 Ibid.,p. 188.

(24)

16

Éléments de définition retenus pour la lecture critigue des

Diaboliques

Les nombreux écrits sur le grotesque tentent chacun à leur manière de définir ce concept, se rejoignant parfois, se contredisant ailleurs, mais s'entendant tous pour dire que le grotesque est une notion hétéroclite qui comprend plusieurs dimensions: l'horreur, le sublime, l'étrange, le comique37• Rosen résume bien la situation: « le grotesque figure la

pluralité, la richesse, les multiples possibles de l'invention et de la fantaisie. Il se situe du côté du vivant, du concret, du mouvant. L'accord s'arrête toutefois là»38.

Les théories du grotesque de Bakhtine et de Baudelaire enrichissent grandement la discussion sur le grotesque. Cependant, ilme semble que certains éléments et approches du grotesque se prêtent encore mieuxàla lecture critique des

Diaboliques.

C'est le cas de la conception du grotesque de Théophile Gautier et de Montaigne, qui s'intéresse au côté marginal du grotesque. Rappelons que pour eux, le grotesque n'est pas qu'agencement plus ou moins logique de formes bizarres; il suscite avant tout un regard nouveau vers les marges. Cet élément important de la marginalité est omniprésent dans les nouvelles aurevilliennes, qui racontent l' histoire de femmes peu ordinaires.

En outre, la conception du grotesque de Hugo propose un des éléments essentiels du grotesque pour la lecture des textes de Barbey: la fusion des contraires. En effet, quelques

)7 Pour une perspective contemporaine du grotesque, on pourra consulter les ouvrages de Philip Thomson,

The Grotesque(qui confronte le grotesque avec des notions voisines), de Franœs K.Barasch, The Grotesque. A Study in Meanings,etde Dominique [ehl,Legrotesque(qui se penche sur le grotesque chez d'autresécrivains,commeEdgar Allan Poe,Kafkaet Ionesco).

38 Elisheva Rosen,« Legrotesque ou les grotesques? Aspects d'undébat romantique »,Bulletin de la

(25)

17 personnages féminins ont des traits ou des qualités masculines qui font d'elles des genres d'androgynes. Ces êtres mythiques qui amalgament les contraires, qui fusionnent le masculin et le féminin, sont, selon l'approche hugolienne, des êtres fondamentalement grotesques.

Le grotesque de Kayser prend des tons sombres et effiayants car il exprime la peur du passage du familier àl'étrangeté. Comme l'écrit Bakhtine en expliquant l'approche de Kayser: «c'est notre monde qui se transforme soudain en monde des autres»39.C'est ce que

semblent vivre les personnages qui rencontrent les diaboliques. En effet, dans les nouvelles de Barbey, pas de«rire joyeux». Les personnages aureviIliens sont préoccupés, passionnés, angoissés, mystérieux. La théorie la plus pertinenteà la lecture critique du grotesque dans

Les Diaboliques est donc, àmon avis, celle de Kayser. Ce dernier fonde sa théorie sur des concepts qui m'apparaissent récurrents dans toutes les nouvelles de Barbey et qui fonnent les grandes articulations de ma lecture critique: l'élément monstrueux., le choc du monde bouleversé et transformé, et l'absurdité du monde

«

nouveau»,w.

J9 Mikkat1 Bakhtine,Op.cil.,p. 57.

«J Leséléments de définition du grotesque sont développés plus longuementdansles chapitres quiysont

(26)

18

L'ÉLÉMENT MONSTRUEUX

«Elle jette sur un homme l'air de sphinx qui préoccupe comme un mystère et qui inquiète comme un danger.»

Barbey dt Aurevilly,Du dandysme et de George Brumme/

Le monstrueux physique

La femme-fé/in

Il n'y a pas de monstre comme tel dansLes Diaboliques. iln'y a pas non plus de ces animaux classiques du bestiaire grotesque selon Kayser (comme le hibou, le crapaud ou l'araignée). Malgré l'absence flagrante d'animaux fabuleux dans les nouvelles, le texte comporte cependant plusieurs éléments qui appartiennent à la sphère des monstres telle que définie par Wolfgang Kayser. Ce dernier souligne que l'élément monstrueux peut comprend les êtres fabuleux, mi-animaux mi-humains, quand il n'implique pas d'élément végétal en plus. Ce mélange n'est pas toujours concret; il peut être figuré. Ce qui veut dire que les êtres humains abondamment comparés à des bêtes finissent par en devenir. Kayser ajoute que l'être humain peut devenir un«monstre» dès qu'il perd le contrôle de soi, dès qu'il semble être habité par une force extérieure.

Les personnages aurevilliens, en particulier les héroines, sont tous déshumanisés d'une façon quelconque. Tout d'abord, il semble exister une étrange parenté entre certains personnages féminins et les fauves. La femme apparaît plus souvent qu'autrement comme une femme-panthère, redoutable dévoreuse d' hommes. Elle perd complètement son rôle classique

(27)

19

d'être tendre et soumis. Le rapprochement femme-fauve débute très tôt dans le recueil quand le narrateur de la première nouvelle,«Le rideau cramoisi»,parle du«monde, féroce comme une jeune femme»41. Comme pour donner raison au narrateur, la première nouvelle raconte

l'histoire d'une jeune femme passionnée qui parvient à ensorceler un jeune soldat.

C'est dans la deuxième nouvelle,«Le plus bel amour de Don Juan»,que l'image de la femme-fauve se développe davantage. L'histoire se déroule chez la marquise de Chiffrevas, lors d'un repas que celle-ci donne pour treize convives: le comte de Ravila de Ravilès, alias Don Juan, et douze de ses anciennes conquêtes amoureuses. Comme le titre de la nouvelle le laisse entrevoir, Don Juan raconte sa conquête amoureuse la plus mémorable. Les femmes attablées sont plus que pendues à ses lèvres; elles le {( mangent des yeux »42, comme s'il

faisait partie du banquet. À plus d'une reprise, le narrateur soulignera la façon dont elles fixent Don Juan, accrochéesàses lèvres, désireuses d'être sa conquête inoubliable. Celle-ci s'avère être une fillette de treize ans, fille d'une marquise, ancienne conquête de Don Juan. Ce dernier, afin de mieux décrire le caractère jaloux de la marquise, la compare à une lionne:

«Lionne, d'une espèce inconnue, qui s'imaginait avoir des griffes, et qui, quand elle voulait les allonger, n'en trouvait jamais dans ses magnifiques pattes de velours »43. La femme se transforme en animal puissant, imprévisible, redoutable et sage à la fois. Dans cet amalgame

41 Jules Barbey d' Aurevilly,Les Diaboliques,p. 12.

42 Ibid.,p.67.

(28)

20 aurevillien des règnes humain et animal, on rejoint le grotesque de Kayser qui parlait d'un

«unnatural fusion of organic realms »44 dans son exposé sur l'élément monstrueux.

Dans la nouvelle«Le bonheur dans le crime»,ily a véritable zoomorphisme quand Hauteclaire Stassin est transformée en panthère par les paroles du docteur Torty. C'est au

Iardin

des Plantes que l'héroïne se livreàun duel des regards avec une magnifique panthère

noire. Le narrateur utilise un vocabulaire parallèle pour décrire l'animal et la femme: toutes deux sont en noir (la panthère en velours, la femme en satin), la panthère a «de l'éclat» tandis que la robe de la femme « miroite ». La description des deux êtres se confond rapidement:

«

Noire, souple, d'articulation aussi puissante, aussi royale d'attitude - dans son espèce, d'une beauté égale, et d'un charme encore plus inquiétant, - la femme, l'inconnue, était comme une panthère humaine, dressée devant la panthère animale »45. La femme capte autant, sinon plus, l'attention des visiteurs du Jardin des Plantes que l'animal. Le choix du décor, la ménagerie du Jardin des Plantes, contribueà souligner davantage les similitudes qui existent entre le personnage et l'animal. Dans cet endroit où l'on est censé observer les bêtes en cage, les badauds se trouvent plus attirés par cette femme étrange, qui assume presque le rôle d'un des animaux en cage. Personnage et bête se trouvent ainsi facilement confondus. Le personnage perd presque complètement sa qualité d'être humain pour devenir fauve fascinant, inapprivoisable par l' homme. Dans la nouvelle, ce sera le rôle d'Hauteclaire Stassin que d'émerveiller les hommes des environs par ses talents incomparables d'escrimeuse invaincue. Dans la même nouvelle, une autre femme se fait

44 Wolfgang Kayser, Op.cit., p. 183.

(29)

21 fauve. Il s'agit de la première épouse du comte Serian de Savigny, Delphine de Cantor. Celle-ci rugit de haine quand elle confie au docteur Torty que sa servante, Eulalie (qui est nulle autre que Hauteclaire déguisée en femme de chambre), l'a empoisonnée: «De douce, elle devint fauve»46.

Les personnages féminins aurevilliens sont des êtres puissants et mystérieux qu~

comme des fauves, peuvent se déchaîner quand vient le temps de protéger leurs intérêts. Dans «Le dessous de cartes d'une partie de whist », une autre lionne se cache sous des dehors de velours. La façade froide et impénétrable de la comtesse de Stasseville cache un véritable monstre: ses mains « ressemblaient à des griffes fabuleuses, comme l'étonnante poésie des Anciens en attribuaitàcertains monstres au visage et au sein de femme »,17. Plus loin, elle mâchonne des fleurs d'une « manière fauve». Dans les deux dernières nouvelles, Rosalba dite la Pudica et la duchesse d' Arcos de Sierra-Leone seront elles aussi comparées

àdes félins: l'une pousse«des miaulements étranglés de chat sauvage »48 tandis que l'autre fait l'amour comme une panthère: « aucune d'elles n'aurait mieux justifié ce nom de panthère... Elle en eut, ce soir-là, la souplesse, les enroulements, les bonds, les égratignures et les morsures»49.

Les personnages féminins ne sont pas les seulsàposséder des attributs animaliers. En effet, Mesnilgrand, un des narrateurs du« Dîner d'athées»,a un«nez épaté de léopard, [et

46 Ibid.,p.118. 47 Ibid., p. 154.

4B Ibid.,p.224.

(30)

22

des] yeux glauques, légèrement bordés d'un filet de sang comme ceux des chevaux de race très ardents»50.Celui-ci fait également figure de monstre caràcause d'une maladie nerveuse,

on a dû lui brûler la colonne vertébrale. Les gens de son village sont venus assister au supplice avec leurs fils afin de les moraliser. L'intervention médicale n'a pas déformé le corps du jeune homme, mais la nature du supplice (où l'on peut déformer de façon permanente la colonne vertébrale) presque effectué sur la place publique ne va pas sans rappeler un des monstres les plus célèbres de la littérature française, Quasimodo, le bossu de Notre-Dame. Sans peindre de véritables monstres dans ses nouvelles, Barbey d'Aurevilly met en scène des personnages qui ne sont presque pas humains. On les compare sans cesseàdes animaux autant par leur apparence physique que par leur comportement: attitude un peu nonchalante, mais dangereuse. Ainsi, les personnages, féminins surtout, nous apparaissent comme des monstres grotesques dévoreurs dont il faut se méfier. C'est le moyen auquel Barbey a recours pour justifier les actions inexplicables des femmes, ces êtres grotesquesà

peine humains. Lefait qu'il les compareàdes fauves laisse entrevoir la passion intérieure qui les ronge. Philippe Berthier explique:«la thématique des grandes forces naturelles, surtout celle des fauves, sera consubstantiellementliéeàla passion, considérée avant tout comme une puissance [...

l

de destruction sauvage et d'inexpiable débordement »51. En peignant des femmes-monstres, Barbey construit ainsi toute une thématique de la cruauté et du mystérieux. L'élément monstrueux ne repose pas que sur le mélange étrange et grotesque femmes-félins.

SO Ibid.,p. 184.

(31)

23

Le

corps desfemmes~ vénéré oumutilé~est également toujours objet de fascination pour les personnages masculins.

Corps defemmes, corps mutilés

Le recueil Les Diaboliquesrelève d'une esthétique de l'outranceet de la cruauté. Chaque nouvelle a pour but de choquer: les héroïnes sont des femmes-monstres dont les actions demeurent inexpliquées. Le titre même du recueil suscite dans l'esprit du lecteur la représentation d'images suggestives, et l'univers démoniaque des nouvelles stimule l'imagination. Le corps humain occupe une place importante au sein du texte. Le corps des personnages féminins en particulier contribueàconstruire le grotesque monstrueux du recueil. Les nouvelles sont racontées par des hommes. Le corps des femmes demeure pour eux objet de culte, splendide et mystérieu~parce qu'il est toujours partiellement voilé et jamais pleinement révélé. Les héroïnes aurevilliennes ne sont jamais complètement nues, ce qui pique d'autant plus la curiosité des personnages masculins et nourrit leur désir: «la fascination du regard est souvent attachée dans les nouvelles au corps de la femme: ce corps entrevu derrière les voiles, jamais tout à fait nu»52. Dans la première nouvelle, Brassard se

souvient que les filles du village où il se trouvait«n'étaient pour [lui] que des rêves cachés, plus ou moins sous des voiles, de loin aperçus! »53. Quand finalement Alberte se donneàlui

complètement, elle ne sera qu'à«moitié nue». Plus loin, dans«Àun dîner d'athées », quand Mesnilgrand va retrouver Rosalba dans sa tente, il la trouve«àpeine vêtue, les épaules au

SI Marcelle Marini,«Ricochets de lecture. Lafantasmatique des Diaboliques»,Littérature,nO 10 (1973), p.18.

(32)

24

vent, embrasées par une chaleur africaine»)S4.Finalemen~ même Robert de Tressignies,dans

« La vengeance d'une femme », ne verra pas sa belle entièrement nue: «Elle n'était pas entièrement nue; mais c'était bien pisf Elle était bien plus indécente, - bien plus révoltamment indécente que si elle eût été franchement nue»SS. On dirait que les corps des femmes sont complètement détachés de leur personne pour devenir objet à la fois sublime et grotesque. On n'a accès au sexe féminin qu'à travers le regard des hommes, qui lui vouent un genre de culte-rejet: le sexe féminin est divin et parfait, mais il est aussi « vulve de louve»56, et il se trouve ainsi«renvoyéàl'horreur de la bestialité et rejeté hors de l'humain. (...] La femme est assimIlée à la panthère etàla nature elle-même»57_

En effet, faute de pouvoir percer l'énigme de la nature féminine, les narrateurs, frustrés, se vengent et font redescendre sur terre ces anges en mutilant leur corps. Les femmes, qui autrefois exerçaient sur les personnages masculins une fascination presque irréelle, inspirent à présent de l'effroi. De nouvelle en nouvelle, les scènes macabres se succèdent, et le corps des femmes devient de plus en plus meurtri et déformé. La première nouvelle montre le jeune Brassard qui s'acharne désespérément sur le cadavre de son amante dans l'espoir de la réanimer: «Je pris un poignard, et j'en labourai le bras d'Alberte à la saignée. Je massacrai ce bras splendide [..

-J.

Ni baisers, ni succions, nimorsures ne purent

sc Ibid., p. 220. 55 Ibid., p. 239.

S6 Ibid., p. 226.

(33)

galvaniser ce cadavre raidi, devenu cadavre sous mes lèvres »51.

25 D'après Christine

Marcandier-Colard, le « sacrilège de la mutilation est encore amplifié par les résonances vampiriques et nécrophiliques des actes de Brassard»S9.Dans«Le bonheur dans le crime», on a droit àune description physique morbide de la comtesse de Savigny, « épuisée de douleur, et dont le visage rétracté ressemblaitàun peloton de fil blanc tombé dans la teinture verte. Elle était effrayante ainsi. Elle (...] sourit affreusement de ses lèvres noires»60. Elle n'est pas la seule femmeà mourir à petit feu, empoisonnée. Herminie de Stasseville meurt par la main de sa mère, la comtesse de Stasseville, qui, à son tour, sera empoisonnée par Mannor de Karkoël. La Rosalba souffre un véritable calvaire quand elle est mutilée par son propre amant, le major Ydow. Ce dernier, fou furieux de constater que son amante l'a trompé, décide de la cacheter:«ilétait penché sur sa victime, qui ne criait plus, et c'était le pommeau de son sabre qu'il enfonçait dans la cire bouillante et qui lui servait de cachet! »61.

Finalement, la dernière nouvelle est marquée par le sang dans une scène particulièrement etrroyable où la duchesse disputeàdes chiens le coeur d'Esteban. C'est en vain qu'elle tente de leur arracher le coeur de son amant. Elle s'en tire avec des morsures affreuses et une robe en lambeaux, tachée de sang, qu'elle conserve précieusement afin de mieux nourrir sa haine à l'endroit du duc, responsable de l'assassinat de son amant. La nouvelle se termine avec la description des souffiances horribles de la comtesse, morte rongée par la syphilis:«elle s'était

sa Iules Barbey d'Aurevilly,0p.cil., p.52.

59 Christine Marcandier-Colarcl,Crimes de sang et scènes capitales.Essaisur l'esthétique romantique de

la violence,p. 154.

60 Ibid.,p. 117.

(34)

26

cariée jusqu'aux os... Un de ses yeux avait sauté brusquement de son orbite et était tombéà ses pieds comme un gros sou... L'autre s'était liquéfié et fondu... Elle était morte - mais stoïquement - dans d'intolérables tortures »62. Sa déchéance fait écho à la maladie contractéeàla colonne vertébrale par Mesnilgrand.

Chose certaine, il y a une parenté étroite entre les souflTances physiques des personnages féminins et le vice. La première est présentée comme la conséquence de la seconde dans les nouvelles aurevilliennes. Par conséquent, cette surabondance de scènes macabres est presque obligatoire dans un recueil qui raconte l'histoire de diaboliques. On pourrait facilement conclure qu'il ya,àla base des nouvelles, une morale chrétienne. Berthier suggère qu'il s'agit plutôt peut-être là du moyen auquel Barbey a recours afin de«préserver l'empire qu'il exerce imaginairement sur lui-même »63. La violence faite à l'endroit des femmes dans ses textes serait donc peut-être le reflet de ses propres conflits émotionnels: « The scenes of violence and torture are, as it were, the manifestation of the central destructive forces of Barbey's emotional world, translated into concrete acts of cruelty»64. Certains personnages féminins font preuve d'une audace ahurissante: Alberte visite le jeune Brassard à toutes les deux nuits au risque d'attraper froid, Delphine de Cantor souflTe en silence et elle interdit même au docteur Tortyde dénoncer son mari qui est complice de son assassinat, et la duchesse d'Arcos de Sierra-Leone se fait fille de joie en espérant contracter une maladie vénérienne afin de mieux salir le nom du duc. Les personnages féminins

62 Ibid.,p. 263-264.

63 Philippe Benhier, Op.cil.,p. 133.

(35)

27 aurevilliens connaissent un immense bonheur dans la transgression et la terreur. Certains d'entre eux deviennent des monstres humains de leur propre gré, hantés par un désir puissant de destruction de soi.

Le grotesque atteint son paroxysme avec la mort de deux enfants. Le premier drame se joue dans«Le dessous de cartes d'une partie dewhist», où l'on découvre après la mort de la comtesse de Stasseville, le cadavre d'un enfant enfoui sous la terre dans une caisseà résédas ayant appartenu à la comtesse. On peut soupçonner que c'était

r

enfant illégitime de la comtesse et de l'énigmatique Marmor de Karkoël. Alors s'esquisse dans l'esprit du narrateur de la nouvelle l'impression sinistre de la cruauté du couple, soupçonné d'avoir également empoisonné la fille de la comtesse. Le récit bascule dans l' horreur totale quand on apprend que la comtesse, peu de temps avant sa mort, avait pris l'habitude de toujours mâchonner des tiges de fleurs, des résédas, pendant ses parties de whist. Barbey suggère ainsi une forme figurative de cannibalisme. La comtesse, telle une ogresse, dévorerait froidement son propre enfant! Provocatrice, elle jouit de son secret devant les autres joueurs, qui ignorent encore la vérité. Dans la nouvelle suivante, Rosalba, dite la Pudica, et le major Ydow, dans un«combat impie», se jettent à la figure le coeur de leur enfant mort. Ydow, trahi, commence par piétiner le petit coeur qu'il conservait précieusement dans une ume en cristal, puisil le lanceà la Pudica qui, dans un élan de rage, le lui relance. Mesnilgrand lui... même, témoin de la scène, demeure muet devant le sacrilège. Les personnages aurevilliens trouvent un moyen de transformer le corps de leurs propres enfants, beaux et purs, en objets grotesques, profanés, souillés. S'il n'y a pas de véritable monstre dans les nouvelles, l'élément monstrueux du grotesque n'en reste pas moins présent grâce aux personnages, à la

(36)

28

fois objets de culte ou êtres d'une cruauté étonnante. Ainsi, à cause de leur apparence physique ou de leurs actions, ils sont complètement déshumanisés. Les nouvelles nous présentent des monstres et des scènes de violence et de souftTance.

Le monstrueux mythique

La femme-sphinx

L'image de la femme-sphinx est une des figures récurrentes desDiaboliques. Le sphinx représente chez Barbey la contradiction inhérente de la femme. Les personnages féminins des nouvelles se montrentàla fois froids et impénétrables, passionnés et expressifs. Ils sont donc imprévisibles et énigmatiques, car ils laissent les hommes dans le doute quant

à

leurs sentiments véritables. Selon Jacques Petit, cette obsession de la femme aussi indifférente qu'amoureuse est le«fruit d'une rêverie fantasmatique sur l'image maternelle. Froide, peu affectueuse, ]a mère est rêvée aimante et tendre, avec d'autant plus de violence qu'elle demeure inaccessible»65. Petit croit que J'écriture serait donc peut-être un moyen

auquel Barbey a recours pour exorciser ses démons. Être mythique, le sphinx fait partie du bestiaire grotesque selon Kayser. Comme pour les monstres, il n'y a pas de sphinx comme tel dans les nouvelles; ce sont plutôt des personnages qui sont constamment comparésàl'animal

énigmatique, Barbey s'acharnantàbrouiller les frontières entre les règnes humain et

animal.

(37)

29

Plusieurs personnages féminins correspondent àl'image de la femme-sphinx. La

première de toutes est l'énigmatique Albertine (ou Alberte)66 du «Rideau cramoisi ».

Brassard appelle«archiduchesse d'altitude» cette jeune femme totalement impassible aux yeux noirs et froids. Elle est complètement désintéressée du narrateur. Elle ne semble même pas avoir de lien avec ses propres parents67; elle est un êtreàpart, unique en son genre. Bien

vite, le narrateur, Brassard, se rend compte qu'il y a autre chose sous la façade rigide et impénétrable de cette fille à l'air de Princesse. Elle se montre incroyablement hardie lorsqu'elle saisit, repas après repas, la main du jeune homme sous le nez de ses parents. Toujours, la«Mademoiselle Impassible» garde le même air dégagé et indifférent:«ses traits de Princesse n'avaient pas bougé. Ils avaient toujours l'immobilité et la fermeté d'une médaille »61. Cependant, Alberte s'avère être une amoureuse ardente et passionnée malgré ses airs de roc inanimé. Le narrateur confie: «Elle me produisait l'effet d'un épais et dur couvercle de marbre qui brûlait, chauffé par en-dessous... Je croyais qu'il arriverait un moment où le marbre se fendrait sous la chaleur brûlante, mais le marbre ne perdit jamais sa rigide densité»69. Elle est un être dichotomique dont les deux faces (rigide et passionnée) ne

se rejoignent jamais. Être profondément antithétique, elle demeure un mystère pour le narrateur même quand elle se donneàlui:«Absolument livrée, Alberte demeure illisible»70.

D6 Levéritable prénom du personnageestAlbenine, mais ses parents et Brassard l'appellent Albene afin de«s'épargner la longueur du nom»./bid.,p. 32.

67 Lenarrateur écrit:«Entre eUe et eux, ilyavait l'abîme d'une race.»./bid.,p. 31.

68 Ibid.,p. 45.

69 Ibid.,p.47.

(38)

30 Pour le lecteur cependant, les désirs d'Alberte sont plus clairs: défier ses parents et les moeurs de la petite ville. Le jeune Brassard n'est qu'un moyen pour atteindre son but.

Dans la nouvelle suivante, la fillette de treize ans amoureuse de Don Juan fait figure de sphinge71. À cause de son caractère froid et impassible, le narrateur la surnomme«petite

masque». Il ne se doutera jamais de l'intensité des émotions de la fillette àson endroit. Hauteclaire Stassin, dans une autre nouvelle, vient nourrir le côté énigmatique de la femme-sphinx. Habile au maniement de l'épée, belle et sérieuse « comme une Clorinde », elle représente pour les hommes qui la côtoient un mystère inexpliqué et inexplicable. Le mystère s'épaissit quand elle disparaît subitement deLaPointe-au-corps, le château de son père.

Rares sont ceux qui perceront le mystère et découvriront en elle une femme comblée et passionnée. La comtesse de Stasseville, dont le nom fait étrangement écho à celui de

Hauteclaire Stassin, est coulée dans le même moule. Les autres personnages la perçoivent comme une aristocrate froide et blasée. Le narrateur la trouve « inscrutable comme l'espace »n, alors qu'elle est éprise de Marmor de Karkoël.

Les personnages masculins sont sans cesse confrontésàl'insaisissable énigme féminine représentée par l'image dichotomique du sphinx. Pierre Gille appuie son analyse de la dichotomie du personnage féminin sur l'antithèse du «dedans et du dehors )JiJ. Selon lui,

chaquediabolique est issue d'un même moule, «opposant à un extérieur de froideur, de pudeur ou de volupté déchaînée un intérieur de lave incandescente: volupté brûlante ou haine

71 Pascale Auraix-Jonchière,L 'unité impossible. Essai sur la mythologie de Barbey d'Aurevilly, p. 214.

Elle utilise le mot«sphinge»)pour désigner le sphinxauféminin.

72 Iules Barbey d'Aurevilly,Op. cil.,p. 163-164.

(39)

31 implacable»74. Alberte, Hauteclaire, la petite masque et la duchesse parviennentàgarder

secrets leurs vrais sentiments. Rosalba, qui se donne à plusieurs hommes du régiment, est malgré tout surnommée la Pudicaà cause de sa pudeur. En cette femme sont fusionnés les contraires:«la Rosalbaétaitpudique comme elle était voluptueuse, et le plus extraordinaire, c'est qu'elle l'était en même temps»7S. Le narrateur ne parvient pas du toutà connaître ses

véritables sentiments; il l'appelle «sphinx» à plus d'une reprise car elle garde son secret. Comme les autres femmes, elle est complètement impénétrable et insondable. Les héroïnes aurevilliennes possèdent une incroyable maîtrise de soi malgré la passion intense qui les ronge. Cela vient rappeler une partie de la définition du grotesque humain de Kayser: «it is as ifan impersonal force, an a1ien or inhuman spirit has entered the soul»76. Les autres personnages

ne parviennent pasà comprendre ces êtres diaboliquement divins.

Deux personnages masculins parviennent eux aussià atteindre un niveau quasi divin. Le premier, le comte Ravila de Ravilès, ou Don Juan, est un homme énigmatique. Comme un sphinx, il présente lui aussi un mystère. Les femmes attablées avec lui se meurent de découvrir quelle femme a été sa conquête amoureuse la plus inoubliable. Toutefois, Don Juan perd son caractère mystérieux quand il dévoile l'identité de l'élue. L'homme qui fascinait les femmes perd ainsi une partie de son attrait, et c'est la«petite masque» qui revêt dès lors un manteau de mystère (car elle meurt sans livrer son secret). Pour la durée du repas seulement, Don Juan semble faire figure de divinité.

En

effet, Philippe Berthier souligne que cette

74 Ibid.•p.41.

7S Jules Barbey d'Aurevilly, Op.cil.,p. 211.

(40)

32 nouvelle est une parodie de la Dernière Cène où«la place de Jésus est occupée par Don Juan. [...] [et les femmes], comme autant de Chérubins devant le trône d'un Jéhovah amoureux, chantent angéliquement la louange du Très·Désirable

»".

Les références bibliques sont nombreuses dans le texte: il y a douze convives (comme douze apôtres), le repas est donné en l'honneur du«dieu », Don Juan, tous les regards sont tournés vers lui, et la duchesse de • • •78 est«assise comme un juste à la droite de Dieu,àla droite du comte deRavila, le dieu

de cette tète»79. Contrairement auxdiaboliques, cethomme ne parvient pasàconserver son

titre divin.

Les choses sont un peu différentes pour Marmor de Karkoël dans « Le dessous de cartes d'une partie de whist». En effet,M.de Karkoël, Écossais énigmatique, gagne aussitôt le respect des personnages en s'imposant au whist. Il gagne bientôt le titre de

«

dieu du chelem» dans ce milieu nécrosé où le seul pôle de désir, le whist, se substitue

à

la religion. Les personnages, issus de familles anciennes ruinées par la Révolution, et se butant à la modernité, cherchent le réconfort dans le jeu qui devient rapidement une obsession. Le jeu remplace la messe, et Karkoël en est le grand-prêtre. Philippe Berthier ajoute:

rD

possède] un pouvoir mystérieusement transcendant, émanant d'une souveraineté fatale. Marmor distribue les cartes comme s'il attribuerait les destins, et sa main fascinatrice, sur laquelle se concentrent le désir et une révérence sacrale, sa main de gloire et de Oamme offreà chacun sa chance avec une autorité et un arbitraire d'essence divine, devant

n Philippe Berthier,Figures du/an/asme. Op.cil.,p. 273.

11 On ne connaît ce personnage que sous ce nom de«duchesse de •••».

(41)

33 lesquels il n'y a plus qu'à s'incliner comme devant les décrets

d'En-Haut. Grand prêtre du jeu, ilen règle la Iiturgie8G •

Karkoë~contrairement à Don Juan, réussit à conserver le mystère qui entoure sa personne.

Homme indéchiffrable, comparé à un sphinx par le narrateur, et dont les joueurs de whist ne connaîtront jamais les desseins. Il parle peu, il se désintéresse complètement de tout saufdu whist. Quand il joue, il ne regarde même pas les autres joueurs; il fixe ses cartes. Le plus étonnant, c'est qu'il gagne toujours. Le narrateur de la nouvelle avoue que Karkoël finit par arriver« àcette domination qui ressemble à un ensorcellement »81. À la fin de la nouvelle,

Karkoël disparaît subitement on ne sait où, emportant avec lui son secret de même qu'une petite fortune gagnée aux joueurs de la ville. L'énigmatique personnage contribueàépaissir le mystère qui plane dans les nouvelles. Les figures du masque et du sphinx, attribuées surtout aux femmes, représentent l'énigme absolue.

L'amazone et l'androgyne

L'amazone est une autre figure mythique récurrente dans les nouvelles de Barbey. Femmes fortes, viriles, elles viennent renverser le stéréotype de la femme passive. Hauteclaire Stassin, que Pierre Tranouez appelle « amazone canonique »82, en est sûrement le meilleur exemple. D'abord, elle a un nom d'épée, ensuite, elle pratique l'équitation, puis elle se signale autant par sa beauté que par ses talents d'escrimeuse. Dès son jeune âge, on lui devine une force peu ordinaire: « c'était un marmot solide que cette fillette, avec des attaches et des

80 PhilippeBenhier~ Figures du fantasme. Op.cil.,p. 265.

81 Iules Barbeyd'Aurevilly,Op.cil.,p. 152.

82 PierreTranouez,«L'asthénique, l'amazone et l'androgyne»,Revue des lettresmodernes, «SérieBarbey d'Aurevilly»,nOl0 (1977),p.91.

(42)

34 articulations d'acierfin, [...]à dix ans elle semblait en avoir déjà quinze, et [...

l

elle faisait admirablement sa partie avec son père et les plus fans tireurs de la ville de V... »13. EUe devient plus forte que son père et que tous les hommes qui viennent prendre des leçons d'armes à la salle de

La

Pointe-au-corps. Tous finissent par admirer le talent phénoménal de la « diva spéciale». Hauteclaire,«piquante et provocante», n'a rien de la femme passive de l'époque telle que décrite par Bram Dijkstra: « society could conveniently shape the relationship ofman ta woman as oneofownerto thing owned »14. Apparemment invincible au combat à l'épée, elle est maîtresse au jeu comme en amour. Elle séduit le comte Serian de Savigny, qui ne pourra lui résister. Elle agit avec un sang-froid exemplaire tout au long de la nouvelle: quand elle pratique l'escrime, quand elle se déguise en femme de chambre de la comtesse de Savigny et qu'elle l'empoisonne, et quand elle«affronte» la panthère au Jardin des Plantes. Elle semble au-dessus de tout, même des hommes. Le fait qu'elle se déguise en servante ajoute de l'ironieà la nouvelle: même dans un rôle de sujet, elle déjoue la plupart des gens des couches sociales supérieures. La seule personne qui se rend compte de son jeu est Delphine de Cantor peut-être parce que, jouant la comédie elle-même, elle a

83 Jules Barbey d'Aurevilly, Op.cil., p. 93. Selon Jacques Petit, la«ville de

v...

» des nouvelles est

Valognes. Jacques Petit,« Laville-prison»,Larevue des lettres modernes,«SérieBarbeyd'Aurevilly», nOI (1966).

84 Bram Dijkstra.«The Androgyne in Nineteenth-CenturyArtand Literature»,Comparative Literature,

n026 (1974), p. 64. Notons que la nouvelle met en scène peu de femmes. On peut cependant reconstituer le portrait de la«femme passive )) assez aisément grâceàdivers passages de la nouvelle. On déduit que la majorité des femmes de la ville de

v...

ne sortent pas beaucoup, ne pratiquent pas l'escrime et sont pieuses: «[Hauteclaire1se montrait très rarement dans la rue, - et les femmes commeil faut ne pouvaient la voir que là. ou encore le dimanche à la messe )). Jules Barbey dt Aurevilly,Op.cit.,p. 94. On devine que les femmes«comme il faut») de V... sont plutôt peintes à l'image de Delphine de Cantor, aristocrate hautaine. Celle-ci joue le rôle de la femme traditionnelle, de J'épouse fidèle, nonpaspar amour et naïveté, mais par orgueil. Le narrateur explique:«Lesentiment de leur noblesseestla seule passion des femmes de V... dans la haute classe, - dans toutes les classes, fortpeupassionnées».Ibid.,

(43)

3S plus de flair (rappelons que la comtesse sait qu'elle s'est fait empoisonner par son mari et sa maîtresse). Et encore, la comtesse, ignorant la véritable identité d'Eulalie-Hauteelaire, ne connaît qu'une partie de la vérité.

Le personnage d'Alberte témoigne également de la domination puissante de la femme sur l'homme dans les nouvelles aurevilliennes. Alberte s'impose au jeune Brassard quand, de sa main«épaisse» et fenne, elle lui saisit la mainàla table du souper. Plus tard, son pied vient s'appuyer sur celui du jeune homme,

à

la fois épouvanté et émerveillé de la hardiesse de la jeune femme. Alberte est l'instigatrice de leur relation., et elle en demeure la maîtresse. Entre les caresses sous [a table, les billets doux, et les visites nocturnes., Brassard attend, passif. Elle domine même leurs ébats amoureux:«Elle n'avait rien de ces peurs vulgaires et osées... Ce fut bien plus elle qui me prit dans ses bras que je ne la pris dans les miens»&S.

La plupart des héroïnes aurevilliennes sont des femmes fortes, maîtresses de leur propre destin. Mesnilgrand affirmera que la Pudica., ayant séduit plusieurs hommes du régiment, «fut le sultan de ces redoutables odalisques»86, et la duchesse d'Areos de Sierra-Leone ne dérogera pas de son but ultime: venger la mort de son amant. Si Barbey semble hanté par la figure de l'amazone, c'est peut-être que des femmes dominatrices, comme sa mère et Louise (un amour d'enfance), ont marqué sa vie8

' . Comme leur auteur, les

personnages masculins aurevilIiens ne peuvent absolument pas se défaire de l'emprise que ces

as JuJes BaJbeyd'Aurevilly,Op.cil.•p. 44. Brassard ajoute presque aussitôt qu'elle«fut aussi violente que moi, et je vous jure que je l'étais! ».Ibid., p. 44.

86 Ibid.,p. 214.

87 Lire sur ce point le chapitre l,«Perspectives historiques et biographiques»,de l'ouvrage deJacquesPetit,

Références

Documents relatifs

À titre d’exemple, Burchardt, Le Grand et Piachaud (SILVER, 2007) ont établi des indicateurs relatifs à quatre dimensions de la participation sociale dans les activités « normales

[r]

22 Banque du Brésil 22 Banque du Japon 22 Réserve fédérale 23 Banque d'Angleterre 23 Banque de Norvège 23 Banque nationale suisse 30 Banque du Mexique. 4 Banque de réserve d'Australie

« On rêve à ce que pourrait être le bonheur du monde, si... — dans un formidable paradoxe : l'accumulation d'armes les plus terri- fiantes nous a « valu » quarante ans de paix,

La mise en valeur des jardins et autres terrains extérieurs fait aussi partie des priorités, notamment pour répondre à une meilleure inté- gration du site dans le quartier..

Dans la série « collège autour d'un thème », cet article présente la réalisation de quelques expériences simples (et peu coûteuses) à réaliser sur 2 séances d'une heure,

Rappelez-vous que vous changez et que vous libérez ce dont vous n’avez plus besoin, ce qui vous limite, ce qui ne vous permet pas d’être connectés avec votre

dans les jambes (et parfois les bras) qui vous gênent pour vous endormir et vous obligent à