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La réification du personnage féminin dans "La modification" de Butor /

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(1)

LaRéificatjon dl.! personnase féminjn dans«LaModifieatjon» de Butor

par

Megan Nodwell

Mémoire demaîtrise soumis àla

Faculté de!' études supérieures ('t de la recherche en we de l'obtention du diplôme

Mai'triseèslettres

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Mars 1996

(2)

.+.

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(3)

Je tiens à remercier le professeur Jane Everen pour sa patience. son appui. et son encouragement.Sesprécieux conseils ont été beaucoup appréciés au cours de la rédaction de cetravail.

(4)

(5)

RÉSDIÉ

Dans ce memoire de maitrise. nous examinons la reiti.:ation. ou latransformation en objet. du personnage feminin dansLa:\1O<jiticati9J) de :\Iidlel Butor "ous soutenons que les deux personr.ages feminins. Henriette et ('ccile. jouent le rôle d·objets. parce qu'ils ne s'affirment pas comme sujets. et parce qu'ils fonctionnent de la mèrne madère que les autres objets inanimes butoriens Notre etude s'inspire des théories exis.entialiste. psychanalytiques. et poststructuralistes de la subjectivité. et les réinterprétations féministes de ces théori<.'S Nous nous inspirons C<3alement des ecrits thcoriques portant sur l'objet dans le Nouveau Roman. chez Michel Butor. et dans La Modifica!i9.n

Nous e.xaminons en premier lieu les écrits des théoriciennes féministes de la subjectivité. qui constatent que la femme est objectiliéc dans la société patriarcale parce qu'elle n'a pas acces aux moyens d'atteindre la subjectivité, c'est-à-dire l'action, la vision. et le langage. Dans le deuxième chapitre. nous analysons des écrits critiques portant sur l'objet butorien: nous voyons que les objets butoriens servent des fins narratives précises, contribuant à faire le portrait du personnage principal. et amenant celui-cià évoluer en !.ant que sujet. Dans le troisième chapitre de ce travail. nous montrons le lien entre ces deux domaines de recherche. Les personnages féminins de La Modification sont des objetsparcequ'ils n'agissent

pas.ne voient pas. ne parlent pas, bref, ils ne s'affirment pas comme sujets selon les théories de la subjectivité. Enoutre, les personnages féminins se voient assigner les mêmes rôles que les autres objets butoriens.

(6)

.-\BSTR·\CT

This master's thesis deals with the reification. or transformation into objects. of the

Icrnale charaett:rs in Michel Butor's la \'1oqilicaliQn 11 is our contention that the two female

characters. Henriette and Cecile. function not as characters. but as objects: thcy are unable

to take up subject positions. and they ha"e the same roles as the other inanimate objects in

Butor's work The critical analysis is based irl pan on existentialist. psychoanalytic. and

poststructuralist theories of subjectivity. as weil as feminist rereadings of these theories. \Ve

ha"e aIse used several critical and theoretical works on the object in the «Nouveau Roman».

in the novels of Michel Butor. and. specifically. in La Modification.

The first chapter dcals with the work of several feminist theoreticians. who daim that

woman is objectified in patriarchal society because she has no access to subjectivity, bl'" it

through the means of action. of "ision. or of language ln the second chapter we discuss

critical writings on the treatment and role of the object in Butor's work. writings which daim

that thcse objects have a specifie role: to contribute to the characterisation of the main

character. and to allow this main character to take up a position as subject. In the third chapler we examine the link between these two criticalfields. The femaIe charaeters in La Modification are objectified because they are not able to assume subject positions; they have

no access to subj.~ivitythrough .Jetion, vision, or language. In addition, the female characters ha"e the same narrative role as the other objects in the novel.

(7)

TABLE DES M..\TIERES

1. Introduction.

Il. Chapitre premier: Théorie féministe ct théories de lasubj~'Cti,·ité. 9 1. L'action comme modc d'accès à lasubj~"ctivité. 12

2. La vision comme mode d'ace':' à la subjectivité. 17

3. Le langage comme modc d'ace'•.,;à la subjectivité. 22

III. Chapitre deuxième: Théoriect fonctions de l'objet. 31

1. L'objet dans le Nouveau Roman. 32

2. L'instrumentalité. 40

3. Description dcs objets.d~'Scriptionde la situation du sujct: parallèles. 42 4. L'objet déclcncheur de souvenirs ct d'associations. 44

5. Regarder l'objet. dévoiler lasubj~"ctivité. 47

IV. Chapitre troisième: La femmc-objct dans \.:1 Modjfic-.ltjon. 54 1. Action. vision. langage: l'objectitication de la femme. 55

2. La femme·objet instrument. 65

3. Description de la lèmme. description de la situation du sujet: parallèles. 67 4. La femme-objet déclencheur de souvenirs et d'associations. 69

5. Regarder la lèmme. dévoiler la subjectivité. 73

V. Conclusion. 80

(8)

INTRODUCTION

(9)

Dans son anicle ..Fictions in l'iction ~h:nm:lle andC~'cilein i\lichd Butor's .:U:'ha!l~e

oCHealJ», Mary Beth Pringle' fait remarquer que les deux perwnnages fcminins de ta Modification ne sont que des constructions du personnage principal. Leon Delmont: tout ce qu'on sait des delL'I: femmes passe par l'intcrprctation subjective de Leon. (Pringle. 31)Si nous prenons cet anicle comme point de dépan pour notre étude de La Modilication. nous voyons non seulement qu'Henriette et Cécile. telles qu'on lespr~-nte. wnt inventées par l'imagination de Delmont.maisqu'elles sontcr,'ëes (par Leon. par le narrateur. et par l'auteur) comme des

'

-objeLç.Nous soutenons que les personnages lëminins deLa ModificatiOn~trouvent réifiés Par réifier. nous entendons -transformer en chose; donner le caractère d'une choseà..:une personne. Nous greffonsàcette définition l'idee que les personnes ainsi réifiées serventàd~'S

fins précises, conçues en fonction des bewins d'un autre. ce qui rejoint en panie la définition qu'en donne Lucien Goldmann.~ Les perwnnages lëminins de La Modification ne s'affirment jamais comme sujets. et ils n'ont de valeur qu'en tant qu'ils jouent le même rôle que les autres

objets butoriens.

Nous utilisons aussi dans ce travail les termes -chosification" et -objeetification... Par -objeetification" nous voulons dire que la femme est reléguée au même niveau que les objets

, Mary Beth Pringle. -Fictions in Fiction: Henriette and Cécile in Michel Butor's A Change ofJ:lealJ». International Fiction Review. XVI-I. Winter 1989.p. 26-31.

'Le Nouveau Petit Roben 1. Pans. Dictionnaires le Robert. :993éd. p. 1912.

~Voir Lucien Goldmann. -Nouveau Roman et rëalité... dans Pour une sociologie du roma!]. Paris. Gallimard, 1964.p. 279-333.

(10)

,

.'

parce qu'elle ne s'affirme pas comme sujet Par "chositication». souvent donné comme synon}me de réification. nous voulons indiquer la transformation de la femme en chose. sans référence aux fins spécifiques que celle transformation pourrait servir.

La critique a déjà remarqué «a noticeable tlattening of the secondary characters,,4 en général chez Butor. et Pringle a observé qu.. la présentation peu détaillée des remmes dans La Modification par le personnage principal donne lieu il un portrait féminin stéréotypé. Cependant. aucune étude antérieure n'a analysé le personnage féminin butorien en tant qu'objet; et aucune étude n'a traité de la réitication du personnage féminin dans La Modification.

Nous soutenons dans ce mémoire que la représentation textuelle de la femme comme objet semble reproduire certains aspects de la condition féminine dans la société patriarcale. Certaines théoriciennes féministes de la subjectivité se sont attachéesà analyser la condition sociale de la femme. et son objectification. Ces théories postulent toutes l'existence de certains modes d'accès à la subjectivité. Simone de Beauvoir. fondant sa théorie de la subjectivité sur "existentialisme sartrien. prétend que la tèmme est objectifiée dans la société parce qu'elle n'agit pas. qu'elle ne se transcende pas; elle est donc vouéeàl'immanence. Luce Irigaray6,qui base sa théorie sur la psychanalyse lacanienne. soutient que la femmeestobjet parce qu'elle

4PatriciaJ. Jaeger, «Three Authors in Search of an Elusive Reaiity: Butor, Sarraute, Robbe-Grillet», Critique. VI-3. Winter 1963.p.

n

, Simone de Beauvoir. Le Deuxiéme Sexe, Tomes1et 1\, Paris, Gallimard, 1949,409p. et

666p

(11)

ne VOil pas, el qu'elle se lrouve don.: in.:apable d'obie.:titier l'aulre à lravers le regard Julia Krisleva'. qui se fonde aussi sur les them'.:s de l.a':;\Il. el Chris Weedon'. qui s'inspire des lhéories poslslrucluralisles, pretendent qUl' 1;\ I"nulll' est obiet par':l' qu'elle ne se p.'se pas comme sujel dans le langage clic ne prcndP;IS une posilion dc SUJCI ènoncialcur

Bien que la/emme-oh)cr buwricnne n'ail pas encore cIe analyS<.'è par la critique, il e:I:ÎSle de nombreuses éludes surl'oh/crbUlorien lui-même, nous nous s<''f\'ons de ces eludes afin de prouver que la femme-objel j.me le même rôle" que les aulres objets butorien.1: Quelques-unes des premières critiques ponant sur le traitement de l'objet chez Butor le: comparaient au traitement de l'objet chez les aUlres Nouvcaux ROl1l3l1ciers. Cc:nains commentateurs. tels Bernard Pingaud'" el Jcan Bloch-Michel". pretendaient que: les objets butoriens. comme les objets robbe-griIlClicns. ne '·,..ulent rien dire. ne font qu'exister. Pounant,

, Julia Kristeva.Polvlogu~ Paris. Editions du Seuil. 1977. 541 p., Julia Kr'.steva. -A Question of Subjectivity., Women's Revie\\', 12. Oct 1986, P 19

• Chris Weedon. Feminist Practice and PoststrucluralistÎbeory. Oxford. Basil BlackweU.. 1987, 187p.

• Nous sommes consciente du fait que la construction active -jouer le rôle- suggère le contraire de ce que nous soutenons ici.àsavoir que la femme n'agit justement pas. qu'elle est reléguée au niveau des objets. Ce que nous voulons indiquer par cette construction est que la femmeale rôle d'objet. qu'elle est mise en place pour remplir une cenaine fonction: c:eIle des objets.

III Bernard Pingaud. -La Technique de la description dans le jeune roman d'aujourd'hui-, Cahiers de l'association internationale des études francaises, 14, 1962, p. 165-177

(12)

5

Roland Barthes'~, Jacques Howleul.'. John Sturrock'·, et Bothorel. Dugast et ThoravallS ,

entre autres, prétendent que les objets butoriens ont un rôle tout à fait spécifique: de révéler le caraClére du personnage principal. D'autres critiques ont ensuite analyséLa Modification sous le même angle. Jeffiy Larsan'· et Françoise van Rossum-Guyon17•pour ne nommer que ceux-là, constatent l'existence de paralléles entre la description des objets et celle de la situation du personnage; ils notent aussi que les objets servent à déclencher des associations et des souvenirs. qui àleur tour renseignent sur la situation du personnage principal, Lois Oppenhèim

'l

et Frederic St. Aub~l1" analyst.'tltl'objet sous un angle phénoménologique: selon

eux.

larëvélation du caraClëre du personnage principal se fait àtravers le regard subjectifque le personnage porte sur les objets.

I~ Roland Barthes, «11 n'y a pas d'école Robbe-Grillet». dans Essais critiques, Paris, Seuil. 1964. p. 101-105.

1)Jacques Howlett, «Notes sur l'objet dans le roman», Esprit, 26e année, 263-264. juillet-aout 1958. p. 67-71.

1.Joh!" Sturrock, «Introduction». dans The French New Novel. London, Oxford University

Press. 1969. p. 1-41; John Sturrock, «Chapter Il: Michel Butor», dans The French New Novel, Londor., Oxford University Press. 1969. p. 104-169.

1>Nicole Bothorel.Francin~ Dugast, et Jean Thoraval, «La Description». dans Les Nouveaux romanciers. Paris, Bordas. 1976, p. 99-113

,. Jeffry Larson. «The Sibyl and the Iron Floor Heater in Michel Butors La Modification», Paperson Language and Literature, 70.1974. p. 403-414.

17Françoise van Rossum-Guyon. Ç_ri!iqu~_9u JOJ1l3lL~ sur «La Modification» de Michel Butor, Paris, Gallimard. 1970. 305 p.

IlLois Oppenheim. Intentionalitv and Intersubiecti~ity A Phenomenological Studv ofButor's "La Modification". Lexington, Ky.. French Forum, 1980, 187 p.

.. Frederic C. St. Aubyn. «Michel Butor and Phenomenological Rea1ism». Studi francesi, 16, 1962. p. 51-62.

(13)

6

Beaucoup d'élUdes ont été faites sur l'objet butorien. mais aucune n'a fait le lien entre la fonction de l'objet et la fonction du personnage féminin Pareillement. les rares anides qui mentionnent en passant la condition de la lèmme dans La Modification. ne font eux non plus le lien entre objet et personnage féminin. Le seul anide consacré entièrement au personnage féminin dans La Modification. celui de Pringle. ne parle pas de la chosification de la femme. De même, lesécritsdeVi~;an Mercier"'. de Bernard Valette:'. et de Françoise van Rossum-Guyon. qui contiennent de brefs commentaires sur la description des personnages féminins butoriens, ne remarquent pas les parallèles entre les objets et les personnages féminins. Nous propcsons de faire ces liens.

Dans ce mémoire. nous nous inspirons de ces deux domaines de recherche (l'objectification de la femme dans la société. et le traitement de l'objet chez Butor) comme points de dépan àune analyse de la réification de la femmc dans h"J~:tQ.dillcatiol1 Nous commençons par examiner l'objectilication de la lemme dans la société patriarcale. et les théories qui essaient d'expliquer celte objectification Selon les théories de la subjectivité. la femme est un objet dans la société patriarcale parce qu'elle n'a pas accès aux moyens d'atteindre la subjectivité. soit: l'action. la vision. et le langage. 11 estànoter que la femme-objet est nécessaire. selon ces mêmes théories. pour rendre possible la subjectivité de l'homme.

:0 Vivian Mercier, «Michel Butor: The Schema and the Myth-, dans The New Novel from Queneau to Pinget, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1971, p. 215-265.

:1Bernard Valette, «Le Systéml: des personnages>', dans Esthétique du roman moderne, Paris,

(14)

7

Nous examinons ensuite les thcories traitant d.: l'obj.:t dans le Nouveau Roman, chez Butor, et dans La Modification. Il s'agit de définir clairement les fbnctions des objets butoriens (par rappon aux objets robbe-grilletiens. par exemple), afin de pouvoir démontrer plus loin que le personnage féminin a les mèmes fonctions.

Dans notre analyse du personnage féminin dans La Modification, nous nous appuyons sur les théories qui traitent de l'objectification social.: de la femme. et de la question de la subJcctivité féminine, et sur l'analyse critique des objets butoriens. La femme butorienneest un objet parce qu'elle ne s'atlirme pas comme sujet. et parce qu'elleestappeléeàjouer le mème rôle que les autres objets butoriens.

Ainsi, dans le premier chapitre de ce memoire. nous examinons en détailles théories de la subjectivité. et cenaines réinterprétations lëministes de ces théories. Nous étudions les modes d'accès àla subjectivité que ces théories mettent en valeur, et les différents modes d'objectification de la femme dans la société patriarcale. Dans le deuxième chapitre, nous examinons l'objet dans le Nouveau Roman. chez Butor. et dans La Modification. Nous montrons que l'objet butorien sen àrévéler le caractère du personnage principal, et aussi à

amener ce personnageàévoluer en tant que sujet. Nous dégageons du roman un certain nombre d'exemples qui nous paraissent représentatifs. Enfin, dans notre troisième chapitre, nous analysons la représentation du personnage féminin dans La Modification, à laquene nous lions les deux séries de notions abordées dans les chapitres précédents. Cette démarche nous permet de montrer qu'Henriette et Cécile ne s'affirment pas comme sujets(àen juger d'après les théories wes dans le premier chapitre), et qu'elles sont donc reléguées au domaine des

(15)

s

objets. Nous faisons voir aussi que la femme-objet bUlorienne lonctionne exactement de la même manière que les autres objets étudies dans le deuxième chapitre: elle sertà révéler le caractère du personnage. et àl'ameneràévoluer en tant que sujet. Henriettc et Cécilc sont doublement chosifiées. Finalement. dans notre conclusion. nous proposons quelques pistes de recherche possibles. concernant d'autres aspects reliesàla questions dc la subjectivité dans La Modification et dans toute l'oeuvre romanesque de Butor

(16)

(17)

10

Afin d'examiner la représentation textuelle de la femme dans La Modifu:atiQ!! sous un angle féministe, nous sommes obligée d'étudier des théories ft'ministes qui traitent de la condition de la femme dans notre société. car cette représentation te.'(tuelle semble fortement marquée par la condition féminine sociale Nous voulons prvuver que les deux personnages féminins deLaModification fonctionnent comme des objets. afin de permettre au personnage principal, Léon Delmont. de s'affirmer comme sujet' la réification des deux femmes semble en être une condition préalable. Il nous semble que cette réilication des personnages féminins par le protagoniste masculin dansLaModification reproduit certains présupposés ct attitudes répandus dans la société patriarcale: que la femme est secondaire, subordonnée à l'homme Bref, qu'elle estobjet par rapport au sujet masculin. Si la littérature est produite dans et par

la société patriarcale, et donc empreinte des valeurs propres à cette société, cette littérature, bien qu'elle ne soit pas une reproduction exacte de la réalité. ne peut qu'être marquée, explicitement ou implicitement, par ces valeurs.

11 faudra donc considérer l'objeetilication de la femme dans notre société, et les théories de la subjectivité qui tentent d'e.'(pliquer cette objectification. Dans ce chapitre, nous examinerons ces théories de la subjectivité, et les réinterprétations féministes de ces théories, afin de voir de quelle manière la femme est reléguée au niveau des objets dans la société: la femme n'a pas accès aux moyens d'atteindre la subjectivité. Dans le troisième chapitre de ce mémoire, nous lierons ces théories àla représentation des personnages féminins dans Y Modifieatio!!,etnous verrons qu'Henriette et Cécile sont objeetifiées de la même manière que

(18)

Il

la femme dans la société patriarcale: elles n'ont pas accès aux moyens d'atteindre la subjectivité. Publié en 1957,LaModification ne met pas en question les valeurs dominantes sociales de l'époque: il semble. par contre. les reproduire au niveau textuel.

Les théoriciens de la subjectivité. quelle que soit leur approche. s'accordent sur un point important: qu'il existe des moyens d'accéderli une position de sujet. Mais puisque ces modes d'accèsli la subjecti\;té ont été. dans la plupart des cas. postulés en premier lieu par des théoriciens masculins. en vue d'un sujet masculin. la femme. dans son altérité, en a été exclue. Les théoriciennes féministes de la subjectivité. en réinterprétant ces théories, constatent que la femme est empêchée de s'allimler comme sujet. parce qu'elle n'a pas accès aux moyens d'atteindre la subjectivité.

Les théoriciennes féministes. telles que Simone de Beauvoirl

• Jane Gallop2, Luce Irigarayl et Julia Kristeva". ont pris comme modèles les théories existentialistes, psychanalytiques et poststructuralistes de la subjectivité. et de la constitution du sujet. Elles les ont ensuite retravaillées spécifiquement par rapport li la femme et à sa position dans l'économie sujet/objet. Laconclusion. dans tous les cas, est que la lèmme n'accède pasàune

: Simone de Beauvoir. Le Deuxiéme Sexe. Tomes 1et Il. Paris, Gallimard, 1949,409p. et 666p.

=Jane Gallop. The Daughter's Seduction: Feminism and Psychoanalvsi~ Basingstoke, England. Macmillan. 1982. 164p.

, Luce lrigaray, Soéculum de l'autre femme. Paris, Êditions de Minuit, 1974, 463 p. , Julia Kristeva, Polylogue. Paris. Éditions du Seuil, 1977, 541p.; Julia Kristeva, «A Question ofSubjectivity». Women's Review. 12,Oct. 1986,p. 19.

(19)

12

position de sujet. qu'elle est relegueeil une position d'objet par rapportill'homme.

1. L'action comme mode d'accèsil la subjecJjvite

Publié en 1949. Le Deuxième Se.'I;e de Simone de Beauvoir était un des premiers textesilproposer l'idée que la femme ne s'atlirme pas comme sujet. et qu'elle demeure donc un objet pour la subjectivité de l'homme. Selon Beauvoir.

L'humanitéestrnà1eetl'homme définitlafemme non en soi mais relativement

illui; elle n'est pas considérée comme un ètre autonome. [... La femme] se détermine et se différencie par rapportil('homme et non celui-ci par rapport

ilelle; elle est l'inessentiel en làce de l'es.."Cntiel Il est le Sujet. il est l'Absolu. elle est l'Autre (Beauvoir. (5)

Toute conscience humaine a besoin d'un Autre par rapport auquel elle se définit: l'ètre humain se conçoit toujours relativementilunofY!!1qui le confimle comme sujet. «Le sujet ne se pose qu'en s'opposant: il prétend s'aflirmer comme l'essentiel et constituer l'autre en inessentiel. en objet.» (Beauvoir. 17)

Puisque chaque ètre humain. pour s'allinner comme sujet, a besoin d'un autre qui lui servira d'objet, il est nécessaire que chacun joue le rôle d'objet et de sujet en mème temps: la constitution de l'autre en objet doit ètre réciproque. Cependant, dans le cas de l'homme et de la femme, cette réciprocité n'existe pas. Pendant que l'homme se fait sujet en considérant la femme comme objet,lafemme ne parvient pasilfaire la mème chose: elle est devenue l'Autre absolu, l'objet universel. Il faut en conclure, avec Simone de Beauvoir, que si la femme n'établit pas cette réciprocité, si elle ne s'affirme pas comme sujet autonome et reste dans la position d'objet. cela doit indiquer qu'elle n'a pas la possibilité de s'affirmer comme sujet, qu'elle n'a pas les moyens d'accéderilune position de sujet. Laquestion que nous devons nous

(20)

13 poser est donc: que doit-on faire pour dcvenir sujet"'

La réponse que Beauvoir présente dan. Le Deuxiéme Sexe se fonde en grande mesure sur les théories existentialistes de Jcan-Paul Sartre. Selon Sartre. chaque personne

commence par exister. tout simplement. el doit se définir comme sujet afin d'être. Puisqu'il

n'y a pas de nature humaine universelle. le tàit d'exister ne confere pas à l'individu la

subjectivité: il faut transcendcr ccnc cxistcncc pour arrivcr à une essence. un être. une

subjectivité Cette transcendance se làit par Ic biais des actions. L'agir. selon l'existentialisme,

est le mode d'accèsàlasubjecti,,;té. parce qu'il représente la manière dont le projet d'être de l'individu se réalise. 1\ est indissociablcment lié au passage de l'existence à l'essence, au passage de l'immanence àla transcendance On se choisit et se forme par le moyen dl''s

actions. làute de quoi chaque personne reste au niveau de l'existence, demeure objet pour les

autres'

L'introduction au Deuxième Sexe est une élaboration de cene théorie du sujet:

Tout sujet se pose concrètement à travers de projets comme une transcendance; il n'accomplit sa liberté que par son perpétuel dépassement vers d'autres liberté:;; il n'y a d'autre justification de l'existence présente que son c'xpansion vers un avenir indétiniment ouvert [ ] Or. ce qui définit d'une manière singulière la situation de la temme. c'est que. étant comme tout être humain. une liberté autonome. elle se découvre et se choisit dans un monde où les hommes lui imposent de s'assumer contre l'Autre: on prétend la figer en objet. et la vouer à l'immanence puisque sa transcendance sera perpétuellement transcendée par une autre conscience essentielle et souveraine (Beauvoir. 31)

L'homme. ayant besoin d'un autre auquel il s'oppose. objectifie la femme afin de s'affirmer

comme sujet .

,. Voir Jean-Paul Sartre, L'Etre et le Néant: Essai d'ontolQgie phénoménolQgique, Paris,

(21)

1-1

Dans Le Deuxième Sexe, Beau\'oir prétend avoir trouvé les origines de cette réalité dans les tribus anciennes. où «le sujet s'est lui-mème torgé et conquis en torgeant St.'Soutils

et conquërant la terre- (Beauvoir. 101) Cest à ce moment que la tèmme commence à être considërëe comme une immanence. parce que son corps et sa fonction maternelle deviennent des obstacles au travail producteur. Parce que l'homme est physiquement plus fort. et parce qu'il n'est pas limitë aux tâches qui accompagnent la maternitë et les soins des enfants. le travail producteur (la chasse. la pèche. l'invention d'outils) tombe entre ses mainsà lui. Le

sujet se crëe à travers les projets qu'il rëalise. à travers le travail producteur. Cependant. le soin des enfants et les tâches que fait la femme à la maison ne lui conferent pas une sul>jectivitë:

Les travaux domestiques auxquds elle est vouëe, parce qu'ils sont seuls conciliables avec les charges dehlmaternitë l'enferment dans la répétition et dans l'immanence; ils se reproduisent de jour en jour sous une for.ne identique qui se perpëtue presque sans changement de siècle en siècle; ils ne produisent rien de neuf. (Beauvoir. 112)

Ainsi, la femme ëtait destinëe. par sa fonction maternelle. à s'occuper du foyer tandis que l'homme. avec sa force supërieure, crëait son propre destin. En conquërantla nature, l'homme forgeait l'avenir. tandis que la femme ne faisait que se rëpëter dans le temps. (Beauvoir, 115) Quand les premières tribus nomades deviennent agricoles, quand elles s'implantent dans un seul endroit afin de travailler la terre, plus d'importance est altachëe aux enfants et doncàlafonction maternelle. La femmeestde plus en plus identifiëe exclusivement avec son rôle maternel: puisqu'on ne comprend pas encore le rôle du mâle dans la procrëation (Beauvoir, 117), la femme. et non pas l'homme, est «en proie à l'espèce» et ·rivëe à son corps». {Beauvoir. 11 S) En ce qui concerne la subjeetivitë, la situation de la femme a empirë.

(22)

15

Le modèle qui a apparu avec les tribus anciennes est demeuré valide pendant longtemps c'était généralement l'homme qui travaillait et la femme qui restait au foyer. La

femme dans ce modèle ne se transcende jamais elle ne làit qu'e.xister. àcause de sa féminité même.•[... ) elle demeure vouéeàl'immanence[.)0(Beauvoir. 125). elle n'agit pas. et c'est pour cene raison qu'elle ne s'est jamais posée comme sujet en face de l'homme-objet.

C'est donc l'incapacité de la femme. dès les débuts de la civilisation. de panager le travail producteur avec l'homme. qui l'a reléguée au niveau des objets. Selon Simone de Beauvoir. existentialiste et sociali~ ~.-si le travail producteur était demeuréàla mesure de ses forces. la femme aurait réaliséQl'l!C"homme la conquète de la nature [...)0. (Beauvoir,

130) L'absence de force physique chez la femme. et de la possibilité de travailler pour elle-même. l'amène souventàse considérer comme incapable d'aftTonter le monde: elle ne fait que le subir.•Pour un grand nombre de femmes les chemins de la transcendance sont barrés: parce qu'elles neJOIll rien. elles ne sefi)//1 i'm: rien [ .. )". (Beauvoir, 402; c'est l'auteure qui souligne.)

La femme ne revendique pas son droit à une subjectivité propre parce qu'elle ne pose pas d'actes: elle n'apasàprendre la responsabilité de ses actions. Elle demeure un objet pour l'homme-sujet quand elle accepte le son que la femme se voit normalement assigner: celui d'ètre procréatrice, d'entretenir plutôt que de conquérir la vie. Ce n'est qu'en agissant, en travaillant, que la femme pourra transcender son existence. pourra accéder à une position de sujet. Si elle n'agit pas. elle est reléguée au niveau des objets.

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16

de la subjecù"ité humaine. et de l'accés de la femme à celle subjectivité. qui semble ol1iir une

solution: que la femme travaille. En lis.1nt ~_cL~xièlTI-e_~~~. on al'impr~'SSionque la femme n'a qu'à agir. n'a qu'à se projeter vers l'avenir pour devenir sujet Cependant. celle solution.

et cette conception de la subjectivité. s'appuyent sur un présupposé qui commence à être

contestée; c'est-à-dire la notion que le sujet tonctionne comme un tout autonome. la notion

que l'homme ois at the center of his own history and of himself; he is a subject more or Icss

. in control of his own actions. exercising. choice»Co

Cette conception du sujet autonome est mise en doute par les écrits de Jacques Lacan.

qui propose une théorie psychanalytique et poststructuraliste basée sur Freud. Selon Lacan.

le sujet autonome de l'existentialisme n'existe pas. Le sujet lacanien est plutôt une entité

ocreated in the fissure ofa radical split» (i\'litchcll. 1984. 254) L'identité qui semble être celle

du sujet est une illusion: une imag.e contradictoire qui est formée à partir des perceptions

d'autrui. (M:tchell. 1984. 254)

La théorie de Lacan. comme celle de Simone de Beauvoir. postule l'existence de

certains modes d'accès à la subjectivité Selon Lacan. les modes d'accès privilégiés sont la

vision (notion qu'il partage avec Freud) et le langage (conception principalement et

originellement poststructuraliste). Nous verrons que quand la femme n'a pas accés à ces

moyens d'atteindre la subjectivité. elle est reléguée au domaine des objets.

Lacan propose. comme Freud. une notion de ogendered subjectivity»'; pour lui, l'être

, Juliet Mitchell. Women: The Longest Revolution EssaYs on Feminism. Literature and Psychoanalysis. London. Virago. 1984, p. 252.

- Nous ne traduisons pas cette e.xpression anglaise parce qu'il n'existe pas d'équivalent exact en français.

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17

humain ne peut pas s'affinner comme sujet~n d~hors de ladichotomi~ homme/femme: chacun doit adopter une position de sujet masculine ou féminine (Mitchell. 1984. 255) Dans les écrits de Lacan et de Freud. la sexualité a unrôl~ privilé<,pé dans le développement du sujet. et. nous le verrons. la sc.xualité masculine a surtout une position privilégiée dans ce développement. Pour Lacan et Freud. la position desuj~t masculine est plus viable et plus cohérente que la position de sujet féminine. parce que toutes lesd~ux sont conceptualiséesàpartir d'un seul organe sexuel. celui du mâle En considerant les theories lacaniennes et freudiennes de la subjectivité, nous verrons pourquoi ces théoriciens considerent la se.xualité et la subjectivité féminines comme problématiques

2. La vision comme mode d'acces à la subjectivité

Chez Freud. la vision joue un rôle décisif dans la construction du sujet. Dans sa conceptualisation du complexe d'Oedipe ct de l'angoisse de castration, qui sont les moyens par lesquels un individu accede à une position de sujet (selon Freud). Freud souligne l'importance des ditlerences sexuelles anatomiques" Selon Freud. le garçon adopte une position de sujet masculine quand il l'Oit la "castration» de la fille. et la fille accedeà une

position de sujet féminine quand ellel'Oil le pénis du garçon: toute subjectivité, qu'elle soit

masculine ou féminine.estbasée sur le constat visuel de l'absence ou de la présence du pénis. Freud aniculatesthe'discovCIY of castration' around a sight: sight of a phallic

presenceinthe boy. sight ofa phallic absence in the girl. u1timately sight ofa phallic absence in the mother. Sexual difference takes its actual divisive significance upon a sighting. The privilege of the phallus as presence, the

; Chris Weedon, Feminist Praetice and Poststrueturalist Theorv, Oxford. Basil Blackwell, 1987. p. 47

(25)

\8

concomitant 'disappearance' of an\' Ii:mah: genita\ia under the phallie order. is based on the privilege of sight <weI' other senses ..

L'accèsàla subjecti\'itè est. pour Freud. princip:llemcnt une li.'nclion de la \isi<'n

Le travail de Lacan reprèsente une rdecture poststructuraliste des théories de Freud

lui aussi considère le complexe d'Oedipe el l'angoisse de castration comme des facteurs dans

J'acquisition de la subjectivité de l'individu De plus. la vision est aussi pour lui un mode

d'accès à la subjecti\;té. Selon la theorie de Lacan. cependant. l'accès de l'enlànt à la

subjectivité n'est plusaussisimple que chez Freud il comprend plusieurs étapes Lapremiére étape., -le stade du miroi...oùl'enlàntpas."Cde l'Ordre du Réelàl'Ordre Imaginaire. sc fonde

sur la vision; la deuxième étape. qui mène à l'Ordre Symbolique àtravers le complexe

d'Oedipe. se base plutôt sur le langage.

Avant de passer par le -stade du miroi... l'enlànt demeure dans -l'Ordre du Réel-,

pendant lequel il n'estpascapable de distinguer entre lui-mème el sa mère. enlre lui-mème el son environnement.'u Le stade du miroir. qui vient interrompre cet ordre du Réel. commence

quand l'enfant voit sa propre image dans un miroir L'enlànl. se rendant compte que ce qu'il

voit dans le miroir est à la fois lui-mème el pas lui-mème. comprend plusieurs choses Premièrement. que son identitéest double el forméeàpartir d'une rupture: -[

1

the child's ego becomes split into the 1 which is watchingand the 1 which is watched-. (Weedon, 52)

• Jane Gallop. The Daughter's Seduction Feminism and Psychoana!m, Basingstoke, England. Macmillan. 1982. p. 27 .

:0 Elizabeth Grosz. Jacques Lacan: A Feminist Introduction. London, Routledge, 1990, p 34.

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19

Le moi, c'est l'image du miroir en sa structure inversée, extérieure au sujet, objectivisée. L'entité totale du corps est constituee mais comme extérieureà soi et inversée. Lesujet se confond avec son image et dans ses rapportsàses semblables d'ailleurs se manifeste la mème captation imaginaire du double.'1

Deuxièmement. l'enfant comprend qu'il ne forme pas une unité avec l'extérieur: il saisit le concept de .l'extérieur>> pour la première fois Le stade du miroir est l'origine de la séparation extérieurlintérieur, sujet/objet, soi/autre; oppositions qui vont structurer toute la vie de l'individu.

Asthe threshold ofa number of ruptures or divisions which govern the child's hitherto 'natural' cxistencc, the mirror stage is conditioned on: 1.The child's tirst recognition ofa distinction bctwccn itselfand the (m)other/mirror-image (self-as-other). [...] S. The advcnt ofan internalized psychic (as opposed to neuro-physiological) sensory imagc ofthc self and the objects in the world. (Grosz. 32)

Il importe de remarquer la distanciation comprisc par l'cnfant cntrc «itself and the (m)other».

Letout premier objet quc l'enfant voit connne «autrc.(àpart lui-mème dans le miroir) est la mère, unc femme. sans distinction du scxc de l'cnfant La subjectivité de l'individu se fonde. au moins en partie, sur la vision dc la fcmlllc commc objct, de la femme-objet.

Les conséquences du stadc du miroir sont considérables pour la femme: elle est désignée comme objet néeessaire pour lasubj~'Ctivité dc l'cnfant. La femme devient un moyen par lequel l'enfant s'affirme dans son identité. et dans sa séparation à lui d'avec son environnement: elle est le moyen par lequell'cnfant se rend compte qu'il ne forme pas une unité avec ce qui lui est e:l.1érieur. Lors de ce premier stade de l'accèsàla subjectivite, l'enfant voit sa mère comme objet. et il passe ainsiàl'Ordre Imaginaire.

Pour la psychanalyse. donc, la vision joue un rôle important comme mode d'accèsà

(27)

20

la subjectivité: on a d'ailleurs souvent accuse Freud et Lacan d'ocularocentrismc. d'être centres sur la vue. La vue cst. de tous ies sens. celui qui confirme le plus facilement la separation entre~lljetet objet. (Grosz. 38) La vision et le regard sont le domaine de la domination et de la maîtrise: celui qui voit a accès à son objet. sans pour autant être en contact avec lui. La

vision est. d'ailleurs. un moyen de distanciation de l'objet par le sujet. et donc une façon d'objeetifier davantage ce qui est vu. Dans l'Ordre Imaginaire. l'enfant avance vers une position de sujet à travers sa vision de sa mère. Bien que Lacan postule re:'Cistenee de cette dyade mère-enfant dans l'Ordre Imaginaire. il n'examine pas les conséquenees du regard de l'enfànt sur sa mère. La tàche de considérer les conséquences de cette spëcularisation revient à Luce Irigaray.

Dans sa thèse de doctorat. SiLéculltlIJ~leJ'aUl.Ie.lè_mme. Irigaray critique un discours masculin qui domine la pensec philosophiquc dc l'Oucst. pcnsec quc rclùse l'existence même de la femme. parce qu'incapable de concevoir une norme autre que masculine Si, d'après Freud. l'organe masculin est l'origine de toute subjectivite, "the female difference is perceived as an absence or negation ofthe male norm"." Selon Irigaray, la femme est vue par l'homme comme ce qui lui est contraire, comme son inverse, comme son autre à lui: elle n'cst considérée que par rapport à lui .... L'homme n'est capable de concevoir le monde qu'à partir de lui-même, et la femme devient donc le non-homme.

:~ Toril Moi, Sexualrrextual Politics, London. Routledge. 1985, p. 132.

:.' Shoshana Felman. "Women and Madness: The Critical Phallacy". dans Warhol, Robyn R. et Priee Herndl. Diane, èds.• Feminisms: An Anthology of Literarv Theorv and Criticism, New Brunswick. New Jersey. Rutgers University Press, 1991, p. 7-8.

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••••

,.. >." :,' ..

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(...] le désir du mème. de l'identique à soi. du soi (comme) mème, et encore du semblable, de l'alter ego, et pour tout dire de l'auto... et de l'homo... de l'homme donùne l'économie de la représentation. La «différence sexuelle»est tributaire d'une problématique du mème [ .. ] (Irigaray. 26-27)

Puisque l'homme n'est capable de penser qu'à travers cette économie du mème, la femme ne peut ètre vue que dans la mesure où elle reflète l'image de l'homme à celui-ci: tout ce qui est de l'altérité pure devient la négativité. le "continent noir». (Irigaray, 17)'·La femme, évaluée selon de tels standards. selon un système qui ne voit qu'à partir de critères masculines, ne peut ètre qu'inférieure...Once reduced to phallomorphic measurcs. woman is defined as 'really castrated' by Freud/man.» (Gallop. 70)

D'après l'analyse que fait Irigaray de la psychanalyse de Freud et de Lacan, la femme ne peut pas occuper une position de sujet parce que toute subjectivité a été définie par des théoriciens masculins. Toute théorie du sujet a été postulée à panir d'un point de vue masculin. point de vue qui ne voit que lui-mème. que la normativité de l'homme. Le sujet «neutre» est, en vérité. un sujet masculin. (Gallop. 58) La femme n'existe que comme objet nécessaire pour la subjectivité de l'homme. en mème temps qu'elle est niée dans son altérité.ls

" ..The thinking man not only projects his desire for a reproduction of himself (for his own reflection) on to the woman; he is. according to Irigaray. incapable ofthil/kil/goutside this specular structure. Thus the femalecastration complex becomes still more of the Same. Woman is not only the Other. as Simone de Beauvoir discovered, but is quite specifically mal/'s Other: his negative or mirror image. This is why lrigaray claims that patriarchal discourse situates woman olltside representation: she is absence, negativity, the dark continent. or, at best a lesser man. In patriarchal culture the feminine as mch (...] is repressed; it returns only in its 'acceptable' form as man's specularized Other.» (Moi, 1985, 133-134; c'est l'auteure qui souligne.)

'" «Subjectivity is denied to women. lrigaray c1aims, and this exclusion guarantees the constitution of relatively stable objets for the (specularizing) subject. Ifone imagined that the woman imagines anything at ail. the object (of speculation) would lose its stability and thus unsettle the subject itself» (Moi, 1985. 136)

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Selon lrigaray, l'homme s'affirme comme sujet en regardant la femme: par ce regard porté sur elle. la femmeestreléguée au domaine des objets. etd~'\'ient le miroir pour le sujet spéeularisant Le sujet doit se voir afin de se connaître' la lèmme est la médiatrice. L'homme. pour se faire sujet, doit «usurper [...] un droit de regard sur tout, sur le tout, renforçant ainsi l'usure de son désir [...]". (Irigaray. ISO) La lèmme n'existe que comme représentation par l'homme; lui. au contraire,estfocalisateur. et donc sujet. Elle «n'a pas de regard ni de discours de sa specularisation spécifique qui lui permette de s'identilieràelle (comme) même [...]". (Irigaray. 279) Dans une économie phallocentrique. la femme n'a pas la possibilité de voir, de se voir, de voir l'homme comme objet. Pas de vision. pas d'accésàla subjectivité.

3. Le langage comme mode d'accès à la subjectivité.

Nous avons mentionné que chez Lacan. le passage de l'Ordre du Récl à l'Ordre Imaginaire était la première étape par laquelle )'cnlànt devient sujet. La conceptualisation de ce passage par Lacan. et la réinterprétation d'Irigaray. considérent la vision ct le regard comme modalités critiques dans l'acquisition dc la "gendercd subjectivity". Cependant, "enfant qui atteint l'Ordre Imaginaire n'a pas encore accédéàune position de sujet. L'enfant doit entrer ensuite dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du social et de la culture, l'Ordre qui est régi par le langage.

Pendant les stades du miroir et de l'Ordre Imaginaire. l'enfant ne peut avoir que des relations duelles, le plus souvent avec sa mère. Pour que l'enfant devienne autonome, il faut que quelqu'un vienne interrompre l'unité duelle entre la mère et l'enfant: c'est la fameuse intervention du père dans le complexe d'Oedipe

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Le phénomène oedipien est la réal.isation d'une transformation radicale et universelle de l'être hurr.ain: le pas>age de la relation duelle. immédiate ou encore spéculaire. autant de termes lacaniens.àla relation médiate propre au registre symbolique par opposition à l'imaginaire La relation duelle première de l'enfantàson semblable - qu'il s'agisse d'un autre enfant. de l'image de lui-même que lui reflète le miroir ou de la mèr~ elle-même - ne donne pas à l'enfant sa subjectivité (Riffiet-Lemaire. 143)

Dans la conception lacanienne de l'Oedipe. l'enlànt subit une menace de castration symbolique: le père refuse que l'enfant soit l'objet de gratification pour la mère. et aussi que la mère soit l'objet de désir pour J'enfant.1.Afin d'entrer dans l'Ordre Symbolique (d'accéder à une position de sujet séparée de la mère et du monde). l'enfant doit accepter cette prohibition. etildoit accepter le Phallus comme la représentation de la Loi-du-Père, et du Nom-du-Père. (Moi. 1985. 100) Selon Lacan. l'entrée dans l'Ordre Symbolique. et donc l'acquisition d'une position sociale el culturelle. est toujours tondee sur le Phallus: le signifiant transcendant qui pernletàl'enfant d'entrer dans le langage.

On pourrait soutenir. avec Lacan lui-même et la plupart de ses disciples. que le Phallus n'a rienàvoir avec le pénis. et donc que l'accès au Symbolique n'a rienàvoir avec le sexe de l'individu. Le Phallus de la psychanalyse lacanienne est. on a prétendu. le signifiant transcendant; ce qui représente la gratification absolue et impossible (parce que toujours dèférée); le signifiant qui désigne tous les effets de signification. (Gallop. 20) Le Phallus représente la jouissance parfaite que personne ne peut jamais atteindre. Il n'est pas le pénis, et donc il n'existe pas d'inégalité entre l'homme et la femme en ce qui concerne l'accès au

:.' -In order for the dyadic structure to give way to the plurality constituting the symbolic Order. the narcissistic couple must be submitted to symbolic regulation. Within the confines ofthe nuclear family. this order is initiated by a third family member - the father - who most easily [...] can represent law. order. and authority for the child.» (Grosz, 67-68)

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Symbolique. Personne ne l'a et ne l'aura jamais, selon Lacan Pour ses critiques féministes, par contre, le signifiant -phallus» fait toujours rëlërence au signifié -pénis», (Gallop. 96) Pourquoi choisir le mot -phallus» si cela n'a absolument rien à voir avec "pénis»')

The penis is what men have and women do not; the phallus is the attribute of power whieh neither men nor women have, But as long as the attribute of power is a phallus which refers to and can be confused (in the imaginary register?) with a penis, this conlùsion will support a structure in whieh it seems reasonable that men have power and women do not. (Gallop, 97)

Chaque enfant fait son entrée dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du langage, où on accède à une position de sujetàtravers le langage. quand il ilccepte la Loi-du-Pêre, et quand il accepte le Phallus comme signifiant de la signification même

Comme mode d'accèsàla subjectivité. le rôle du langage est peut-être plus évident que l'action et la vision, puisqu'on se nomme sujet dans l'acte même de parler. En parlant, on se pose comme le -je» énonciateurlsujet, ce qui suppose nécessairement la présence d'un objet un .tu» auquel le .je» parle. ct un -quoi» dont il parlc L'cmploi du langage est donc une double instauration de soi comme sépare de l'extérieur

Le langageestdonc la condition de la prise de conscience de soi comme entité distincte. 11 est de même le moyen par lequel l'individu prend distance et autonomie par rapport au monde des choscs réelles qu'il pose 'en soi' [.. .]. (Riftlet-Lemaire, 114)

L'entrée dans l'Ordre Symbolique et l'acquisition de la subjectivité sont donc réglées par le langage comme élément médiateur, comme l'élément de distanciation entre soi et l'autre. Bien qu'elle permetteà l'individu de s'affirmer comme sujet, cette fonction médiatrice du langage a des désavantages. Donner un nom à une chose dèsigne en même temps laprésence et l'absence de cette chose: parlerest un acte de substitution, une "Opération de médiation»,

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(Rifllet-Lemaire, 110) Après son entrée dans J'Ordre Symbolique, le sujet ne peut avoir que des relations médiatisées par le langage.

Laprise d'une position énonciative met le sujet parlant sous la dépendance de l'élément médiateur, le langage L'Ordre Symbolique est le domaine de la primauté du signifiant sur le sujet. (Grosz, 66) L'cnfant, en faisant son entrée dans le Symbolique. sera nécessairement marqué par cet Ordre, par la primauté du langage' selon Anika Rifllet-Lemaire, l'enfant va en -recevoir la marque indélible». (Rifllet-Lemaire, 114) Si le Symboliqueest domi:tê par la notion du Phallus comme signifiant transcendant, comment l'enfant ne pourrait-il pas intérioriser cette perception du privilège dont jouit l'organe masculin? Est-il même possible pour la fille d'accêder à une position dans le Symbolique sans se considêrer comme insuffisante, comme châtrêe""

L'entrêe de la fille dans le langage suppose un consentement au Nom-du-Père, au langage patriarcal,àla culture patriarcale (Gallop, 47) Mais ce n'est pas seulement pour la fille que l'entrée dans le Symbolique est problématique. La primauté du signifiant sur le sujet énonciateur (Gallop, 19) est la condition de subjectivitê pour le garçon aussi: le résultat est le fameux Spa/tl/III: de Lacan, la fente du sujet. Nous avons notê que le stade du miroir marquelapremière rupturedansle sujet: il se voit dans le miroir, et comprend que son image

: 7«The paternal metaphor is not a simple incantation but the formula by which the subject,

through the construction of the unconscious, becomes an 'l'and can speak in its own name. What occurs in the case ofthe girl is less c1ear and explicable. In one sense, in so far as she

~-peaksandsays'l', she toomusttake up a place as a subject of the symbolic; yet, in another, in so far as she is positioned as eastrated, passive, an object of desire for men rather than a subject who desires. her position within the symbolic must be marginal or tenuous: when she speaks as an 'rit in never c1ear that she speaks (of or as) herself Shc speaks in a mode of masquerade. in imitation ofthe masculine. phallic subject.» (Grosz, 71-72)

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est à la fois lui-même et pas lui-même Une fente parallèle est le resultat de l'entree dans le langage: le sujet est séparé de lui-mène par son usage du langage -Si l'acces au logos est salutaire en ce qu'il poulVoit le sujet d'une indi\"idualitc. l'impossible coincidence du 'Je', sujet de l'énonciation. et du 'Je'. sujet de l'énonce. amorce la dialectique des alienations du sujet. Le sujet se fige en ses énonces et la totalite de ceux-ci s'editie peu à peu en un moi qui est objectivation du sujet." (Rifilet-Lemairc. 135)

La subjectivité de Lacan, comme elle est construite dans et par le langage, est mouvanteetprécaire. Et puisque la femme doit sc situer dans le langage du côté dc l'absence du Phallus. sa position est doublement precaire, elle est -châtrée, notamment et sunout de paroles". (Irigaray, 176) Puisque. selon la théorie de Lacan. l'identité d'un individu doit passer par le Nom-du-Père. la possibilité d'une identité lëmininen'e.~iste pas. (Gallop, 54) Doit-on conclure avec Lacan que la femmen'c.~iste pas" Si la subjectivité est régie par la Loi-du-Père, doit-on comprendre qu'une position de sujet lëminine n'existe pas? Les travaux de Julia

Kristeva cssaient de repondre à ces questions.

Selon Kristeva. l'entrée dans le S}mbolique telle quc conceptualisée par Lacan n'offre pas de position viableàla femme. Parce qu'on doit atteindre le Symbolique par le biais du langage, langage qui est réglé par le Phallus comme signifiant transcendant, la femmeest empêchée de s'affirmer comme sujet. Elle ne peut pas atteindre la subjectivité parce que le langage est trop phallocentrique pour lui offiir un passage.

Because women do not occupy the subject-positions accorded to men in a patriarchal symbolic order, that is, because women are positioned as castrated and men as phailic, womcn are not illsidl!the symbolic in the same way as

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men. (GroS7~ 166)

Kristeva reformule la théorie lacanienne de l'accès àla subjectivité pour essayer de tenir compte de l'existence de la femme Elle postule l'existence de certaines formes non-verbales d'expression féminines et maternelles. qu'elle nomme le sémiotiqueetlechora sémiotiquel

".

Ces modes d'e.xpression contestent le Symbolique à partir de ses marges. Cependant. le sémiotiGueIle remplace pas le Nom-du-Père· il ne fait que s'ajouter aux limites de celui-ci.

Pour devenir sujet. l'individu doit toujours entrer dans le Symbolique. D'ailleurs. selon Kristeva. ce ne sont que les hommes qui peuvent accéderàune position stable de sujet dans l'Ordre Symbolique. (Grosz. 164) La théorie de Kristeva ne contribue donc pas beaucoupà

l'accès de la femme au langagc etàla subjectivite

Dans la psychanalyse lacanienne. la seule position énonciative viable est masculine. Si la femme n'cntre pas dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du langage, l'Ordre des relations médiatisées par le langage. elle ne dC\ient pas sujet. Ce ne sont pas que les psychanalystes qui postulent la création du sujet par le biais du langage; c'est aussi ce que propôsent A1thusserl9

etFoucault.:!II De même. ce ne sont pas seulement les critiques féministes de la psychanalyse

18 Kel1y Oliver. Reading Kristeva: Unraveling the Double-bind, Indianapolis, Indiana University Press. 1993. p. 46.

1"Louis Althusser, Lemn and Philosophy and Other Essavs. London, New Left Books. 1971:

voir Chris Weedon. Feminist Praetice and Poststrueturalist Theorv. Oxford. Basil Blackwell, 1987, p. 29-30.

:è Michel Foucault. Histoire de la sexualité: Volume 1 La volonté de savoir, Paris, Gallimard. 1976.211 p.: voir Chris Weedon, Feminist Praetice and POststrueturaIist Theo!)', Oxford. Basil Blackwell, 1987, p. 107-125.

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qui examinentlarelation problématique de la li:mme avec le langage des linguistes féministes. telles que Marina Yaguello" et Dale Spender:. ont écrit au sujet de l'inégalité de la relation des hommes et des femmes à la langue Pour elles. l'homme et la femme se servent différemment de la langue; ils n'ont pas la même relation à celle-ci parce qu'ils n'ont pas le même accés au langage masculin. Cene dillërence n'est pas sans conséquences:

Languageisthe place where actual and possible forms of social organization .and their likely social and political consequences are defined and cOntested. Yet it is also the place where our sense of ourselves. our subjectivity, is cOl/stnlCII!d.The assumption that subjectivity is constructed implies that it is not innate. not genetically determined. but socially produced (We..'don. 21: c'est l'auteure qui souligne.)

Si on n'a pas accés à la langue. on demeure incapable de s'affirmer comme sujet.

C'est Althusser qui a d'abord proposé l'idée de «l'interpellation des sujetS" (Althusser, 1971, 162-163. cité dans Weedon. 30) par un discours ou par une idéologie; c'est-à-dire que le discours est pré-existant à l'individu. el que l'individu adopte une position de sujet à l'intérieur du discours. Cene théorie a été élaborée par Michel Foucault, dans ses conceptua-lisations du discours: pour lui. on ne peut accéder à une position de sujet que de l'intérieur d'un discours. (Weedon, 97) Si le langage produit la «réalité.. dans laquelle nous vivons, et si l'individuestinterpellé comme sujet par un discours particulier, le discours à l'intérieur duquel il adopte une position de sujet marquera fondamentalement ce suje: énonciatcur. L'individu s'affirme comme sujet en participant dans un discours. mais il est aussi «SuhJl!cledto the power and regulation of the discourse... (Weedon, 119; c'est l'auteure qui souligne.) Le

:: Marina Yaguello. Les Mots et les femmes. Paris, Payot, 1978, 203 p.

:: Dale Spender. Man Made Language, London. Routledge& Kegan Paul, 1985, 250 p.

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problème pour la femmeestdouble' une fois de plus. die est marquée par une langue qu'elle utilise mais qui n'est pas la sienne De plus. elle doit essayer de s'affirmer comme sujet à l'intérieur des discours qui. le plus souvent. lui posent des problèmes. La -question" de la femme constitue en elle-même une partie importante des discours masculins: dans des textes littéraires. critiques. voire psychanalytiques. la fentme est devenue l'énigme. la question, le problème qu'on doit résoudre.'" Où la tèmme doit-elle se positionner par rapport à ces discours masculins? La femme n'a pas accès aux mêmes discours que ('homme: comment peut-elle atteindre ou affirmer la subjectivitè')

Cestlà une question fond:lmentale du féminisme comment la femme parviendra-t-elle à la position de sujet? Nous avons vu que. pour la plupart. les théories de la subjectivité ont été postulées par des hommes. pour des hommes. Même dans ce chapitre. en considérant la subjectivité spécifiquement par rapport àla femme. nous avons été obligée de retourner aux autorités -patemelles-. aux théoriciens masculins de la subjectivité que le féminisme a ensuite réinterprétés: à Sartre. à Freud. à Lacan. à Foucault Qu'est-ce que la femme doit faire pour devenir sujet? Voir. observer. selon Lacan et Irigaray Agir. produire, travailler. selon Sartre et de Beauvoir. Parler. écrire. discourir. selon Lacan et Foucault. Pour chacun de ces théoriciens. l'accès de la femme à une position de sujet est problématique: faute de mode d'accès. elle demeure dans la position d'objet. Comme nous le verrons dans le troisième chapitre de ce mémoire. cette conception des modes d'accès à la subjectivité est très

" Biddy Martin. -Feminism. Criticism. and Foucault". dans Irene Diamond et Lee Quinby, éds.• Feminism and Foucault: Reflections on Resistanc~ Boston, Northeastern University Press. 1988. p. \3-14.

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30

importante en ce qui concerne les deux personnages tëminins de La Modification. Nous verrons qu'effectivement. les deux femmes n'agissent pas. ne parlent pas. ne voient pas. et donc demeurent des objets. ne s'atlirrnent pas comme sujets. Mais avant de passer à celle êtude. il convient d'e.xaminer le rôle spécifique des objets en gênêral chez Butor.

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(39)

..,

.'-D'après les yaleurs sociales qui étaient dl'minantesà l'époque dur.mt laquelle

Li!

Modjfication a été écrit. la tèmme était considén.'c comme un objet par rapp.m au sujet

masculin: le grand nombre d'écritsthéoriqu~"sconsacn.'sàl'analyse de eeueob.i~"ctilicati"n

témoigne de l'envergure de celle-ci. La repn.'scntation textuelle de la li:mme dans

1il

Modjfication semble reproduire ccrtains aspects de ceue situation: les Jl<.'l"SOnnages Ii.'minins

sont relégués au niYcau des objets. Nous soutenons en outre que la ti.-mme fonctionne comme

objetàla manière de toutes les autres choses inanimées de (,a ModjfiÇi\tjon. lltàudra donc examiner le rôle des objets dans I.a Modjticmion. d'abord sous ('angle du Nouveau Rom'ID

en général. ":cole-1dont Michel Butor tàit partic. ct ensuite sous ('angle des lonctions

remplies par des objets particuliers dans (,a ModjtiÇi\tjpn.

1. I.'ohjçt dans lç NQuvc;au Roman,

La première réaction critique au traitement des objetsdansle Nouveau Roman a été

assez hostile. La critique a accusé Alain Robbe-Grillet. Michel Butor. Nathalie Sarraute et

autres d'être oehosisteso: de trop privilégier les choses au détriment de l'être humain. On les

a chargés d'être anti-humanistes. d'écrire des anti-romans. d'accorder plus d'importanceàune

objectivité scientifique qu'à une subjectivité humaine. On leur a donné pour ceUe raison

l Nous mettons ce mot entre guillemets parce que les membres de cette <Cole- (Alain

Robbe-Gril1et. Michel Butor. Nathalie Sarraute. Claude Simon. ete.) ne se sont jamais accordés sur l'idée que les praticiens du Nouveau Roman constituent une école.

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l'étiquette oêcole du regard•.~Enoutre. la critiqlie a prétendu que les Nouveau:..: Romanciers étaient tellement jalou:..: de la popularité du cinéma. qu'ils eSs:lyaient de s'emparer de ses teehniques.3

Pourquoi une réaction si hostile? La plupart du temps. c'était parce que la critique avait une idée. formée àpartir du traitement des objets dans le roman traditionnel (de type balzacien). de ce quede\'raitêtre le rôle des objets dans le roman. Selon Françoise Baqué. dans le roman traditionnellbalzacien.•Ies choses [...) ont toujours constitué non~ulement

l'entourage. mais le prolongement néc=ire du personnage du roman. la marque distinctive des:Iposition sociale et de son caractère particulier. l'instrument et le rellet de ses rapports

avec les autres-: L'objetdansle roman était censé d'attirer l'attention sur le personnage. et non pas sur lui-même.

11 faut alors passer par le décor. par le visage. par les gestes ct les mali:festations extérieun.'S pour arriver a ('âme.l...) C'est donc en fonction de ses personnages. où plutôt en fonction du comportement qu'ils vont avoir dans les circo'lstances où il les place qui le romancier [de l'époque balzacienne) prend la peinc de décrire longuement le lieu de cette action et les personnages eux-mêmesf

Ce qu'on reprochait aux Nouveaux Romanciers. c'est justement de ne plus utiliser les objets pour faire le portrait du héros. de refuser de faire .une projection soit de l'homme dans la

, John Sturrock. .Introduetion-. dans The French New Novel, London, Oxford University Press. 1969. p. 2.

) Jean Bloch-Michel. I.e Présent de l'indicatif. Paris. Gallimard, 1963, p. 106.

• Françoise Baqué•.chapitre 2: L'Objet-. dans I.e Nouveau Roman, Paris, Bordas, 1972, p. 65.

• Bernard Pingaud••La Technique de la description dans le jeune roman d'aujourd'hù-, Cahiers de l'Asmjation Internatjonale des=études

francaises

14, 1962, p. 167.

. \

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chose. soit de la chose dans l'hommc-o (Bloch-Michel.9~) Selon les premièn:s critiques du Nouveau Roman. la description telle que pratiquée par Robbe-Grillet et par d'autres Nouveau.'" Romanciers -:r.corde priorité à l'objet sur le spcctateur. au monde sur l'hommc-o (PingauJ. 167)

Le Nouveau Roman. à l'avis deSt.'Sdétracteurs. est anti-humaniste parcc qu'il décrit des objets comme éta.,t .irréductibles.indilTén:nL~aux intentions humaincs-. (Baqué. 68)La critique a reproché au Nouveau Roman de ne vouloir rien din:: on a prétendu que le monde d'objets décrit par les Nouveaux Romanciers était compl.ètement sans signitication. (Bloch-Michel. 65)

Le r"mancier s'empare d'un objet. si insignitiant soit-il. et le décrit avec précision. avec minutie même. L'objet ne renvoic à ricn. Il sc contcntc d'êtn: là. Le romancicr ne ,'cut lui donncr aucunc signilication. Il Ic d~'crit en privilégiant les adjectifs 'opti'l.Jes'. en refusant les épithètes romantiqu~'S. psychologiques. morales."

Cette idéc. que les objets dans le Nouveau Roman nl: veulent rien dire. est un des clichés les plus répandus dans la critique de ces romans. Pourtant. comme bien des e1ichés critiques. celui-ci n'admet pas dc ditrén:nces entre le traitement des objets chez les divers auteurs. Il semble regrouper tous les Nouveaux Romanciers. avec leurs procédés. sous la rubrique .Nouveau Roman- qui. il semble. devrait être plutôt la rubrique .Alain Robbe-Grillet-. La critique. en parlant de la -représentation parfaitement objcctive des choses. telles qu'elles pourraient se présenterliun oeil inhumain. à un oeil indilTérent- (Bloch-Michel, 94), semble ne parler que de la représentation des choses chez Robbe-Grillet. A cause de

6Nicole Bothorel. Francine Dugast., et Jean Thoraval••La Description-, dans Les NOUVeaUX

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l'étiquette -Nouveau Roman-. les autres Nouveaux Romanciers sont classés immédiatement avec lui. Il semblerait en effet que la plupan des critiques qui accusent le Nouveau Roman en général de -relever seulement la disposition des objets les unsparrappon aIL'\: autres. leur aspect. leur conformation. jamais ce qu'ils sont pour celui qui. en les décrivant. s'y projetterait lui-même- (Bloch-Michcl.98). basent leur interprétation sur Pour un nouVeaU

J:llIllilIl'de Robbe-Grillet. prenant cc livre comme le manili.'Ste d'une école.

Pour la même raison. la «description minutieuse. précise. obsédante. répétée-(Bothorel. Dugast ct Thoraval. 99). qui sc trouve chez tous les praticiens du Nouveau Roman. a été présentée par la critique comme étant une description vidée de toute signification. ce qui n'est justement pas le cas chez tous ces écrivains. Ce n'est qu'avec l'anicle de Roland Banhcs._IIn'y a pasd'~'cole Robbe-Grillet-". que la critique a commencé à remarquer les ditlërences entre les~'crivains.

7 Dans PourIlIJ nom'ça\! roman. Robbe-Grillet parle des objets danssesromans, selonsa

théorie. Ilvoit dans ses descriptions objectives. comme le font ses critiques, le refus de la description subjective balzacienne. où chaque objet était présent afin d'appuyer le portrait des personnages. Le projet de Robbe-Grillet est donc d'aller aux antipodes de cette -idée 'pananthropique' contenue dans l'humanisme traditionnel. (Robbe-Grillet, 64),de refuser d'assimiler les objets au personnage. de les poser comme totalement extérieursàl'homme. Ainsi. -le monde n'est ni signifiant ni absurde. Ilest,tout simplement» (Robbe-Grillet, 21; c'est l'auteur qui souligne); -les choses sont là». (Robbe-Grillet, 21; c'est l'auteur qui souligne.) Il ne veut pas que les objets soient le reflet de l'âme du héros (Robbe-Grillet, 24): sa théorie nie l'établissement de rappons émotifs entre l'homme et son monde. Le seul rappon possible pour lui est le visuel objectif. d'où l'objectivité géométrique de la description des objets chez Robbe-Grillet.

, Roland Banhes. -II n'y a pas d'école Robbe-Grillet_. dans Essajs critjQues. Paris. Seuil.

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Dans cet article. Barthes analyse les objets dans les romans de Robbe-Grillet et dc Butor. et conclut qu'on ne peut pas les classer sous une même rubrique. comme tant de critiques ont fait auparavant. A propos des objets dans l'oeuvl"<: romanesque de Robbe-Grillet. Barthes constate que:

[...] si Robbe-Grillet décrit quasi-géométriquement les objets. c'est pour les dégager de la signification humaine [...]. Le regard est essentiellement chez Robbe-Grillet une conduite purificatrice. la ruptUI"<: d'une solidarité [...] entre l'homme et les objets. (Barthes. 102)

Barthes s'cfforee de distinguer les objets butoriens de leurs équivalents chez Robbe-Grillet. Pour lui. les choses de Butor ne sont pas du tout privées de signification: elles en sont au contraire remplies. Les objets butorienssontl/llClll1gitJlIc!s(B:lrthes. 103):ilexiste une lorte complicité entre eux et les personnages du roman. LL'S objets révèlent le caractère du personnage qui entre en contact avec eux.

Robbe-Grillet décrit les objets pour en expulser l'homme. Butor en fait au contraire des attributs révélateurs de la conscience humaine. des pans d'espace et de temps où s'accrochent des particules. des rémanences de la personne: l'objet est donné dans son intimité douloureuse avec l'homme. il fait partie d'un homme. il dialogue avec lui. il l'amène à penser sa propre durée. à l'accoucher d'une lucidité. d'un dégoût. c'cst-à-dire d'une rédemption. (Barthes. 103)

Bien que Barthes parle de la différence entre l'objcctivité géométrique ct déshumanisée de la description des choses chez Robbe-Grillet. et les objets analogiqucs et révélateurs de la conscience humaine chez Butor'. il n'explore pas les moyens

par

lesquels Ics objets butoriens

9Il faut noter ici que. contrairement à ce que dit Barthes., beaucoup de critiques parlent dcs

objets chez Robbe-Grillet comme étant aussi révélateurs du personnage principal que ceux de Butor. Par exemple. Patricia Jaeger (71). Jean-Bertrand Barrère (95), Virginia Harger-Grinling (25). Françoise Baqué (85). et Ludovic Janvier (23) écrivent tous à propos de l'idée que le personnage principal robbe-grilletien"SCtrouve en quelque sorte dessiné en creuxpar

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dévoilent cette conscience humaine. Qu'est-cc qui fait que ces objets soient analogiques? Chez Butor. les objets sont des indices du caractère du personnage principal. mais pas de la même manière que les objets ba17.aciens.

Dans la description balzacienne. les objets renvoyaient aux personnages par leur identité même: leur qualité. apparence. perfection de création. etc.: tout aspect de l'objet était préscnt pour indiqucr le statut social du personnage.IIIChez Butor. cc n'est pas la particularité fonctionnelle dcs différents objets qui importe. mais plutôt leur rapport avec le personnage principal: en el1èl.lcs choses butorienncs sont révélatrices du personnage parcc qu'clles sont vues. regardées. considérées. utilisées par cc personnagc. Les objets ne sont considérés que relativcment au personnage principal. Comme le remarque Jacques Howlett. .quelque chose d'important apparaît dans lc roman lorsque Flaubert écrit: 'II n'y a de vrai que Ics -rapports» c'cst-à-dire la façon dont nouspem.!I"<msles llbjets.'»" Butor lui-même a dit. dans un article qui s'intitule -Philosophie de l'ameublement». queod~'criredes meubles. des objets. c'est une

Ics objets qu'il perçoit». (Baqué. 85) Selon ces critiques. la subjectivité du personnage robbe-grillctien se révèle dans la manière dont ce personnage regarde et décrit les objets. On dirait.

d'ap~\gccs articles. que le projet de Butor n'est pas si dil1ërent de celui de Robbe-Grillet.

10 -Dans le roman initial. les objets et les gestes qui servaient de support à l'intrigue

disparaissaient complètement pour laisser la place à leur seule signification: la chaise inoccupée n'était plus qu'une absence ou une attente. la main qui se pose sur l'épaule n'était plus que marque de sympathie. les barreaux de la fenêtre n'étaient que l'impossibilité de sortir... Et voici que maintenant on voit la chaise. le mouvement de la main. la forme des barreaux.» (Robbe-Grillet. 22: c'est l'auteur qui souligne.)

11Jacques Howlett. -Notes sur l'objetdansle roman»•

.EsJxil.

26e année. 263-264.juiIlet-aout

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