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Le jeu de l'illusion et de la réalité dans l’œuvre de Jean Giraudoux.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

, / LE JEU DE L'ILLUSION ET DE LA REALITE

DANS L'OEUVRE DE JEAN GIRAUDOUX

A thesis presented to

the Faculty of Graduate Studies and Research MCGill University

ia partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts

by Guy Mentha

(2)

INTRODUCTION

'Ilout ce qu'on peut savoir de M. G-iraudoux invite à croire qu'il est"normal", au sens le plus vulgaire comme au sens le plus élevé du terme ••• Pourtant d~s que l'on ouvre un de ses romams on a l'impression d'accéder 1 l'univers d'un de ces r~veurs éveillés que la médecine nomme"schi-zophr~nes"et dont le propre est comme on le sait de ae pouvoir s'adapter au réel. Tous les traits principaux de ces malades, leur raideur leurs efforts pour nier le changement, pour masquer

ie

présent! leur géométrisme, leur goût pour les symétries, pour es généralisations, les symbolesJ pour les correspondances magiques

A

travers le temps et ~'espace, M. Giraudoux les reprend

A

son

compte, les élabore avec art, et ce sont eux qui font le charae de ses livres. (1)

C'est avec un humour féroce que M. Sartre exprime une impression que tout lecteur n'a pas manqué de ressentir une fois ou l'autre en face d'un texte de Giraudoux. Mais le lecteur, qui n'a pas des lunettes de philosophe, a l'avantage de pouvoir se divertir A ce que nous avons appelé dans notre étude " le jeu de l'illusion et de la réalité ", et même se plaire aux surprises que lui réserve une mani~re inusitée de voir et de peindre le monde. Cette manière, nous la retrouverons partout dans l'oeuvre de Giraudoux.

D~s ses premiers écrits, ( les nouvelles recueil-lies dans les Contes de Jeunesse et les Provinciales )

(3)

11

-Gdraudoux avait laissé voir une veine poétique qui savait enrichir d'une touche de fantaisie les sujets qu'il choi-sissait. Il développa peu

l

peu ce penchant, donnant

A

son imagination originale un cours toujours plus libre,

( Simon le Pathétique et Siegfried et Le Limousin )

jusqu'l se prendre tellement l son jeu que ses derni~res

oeuvres, perdant leur spontanéité dans la fantaisie, en arrivent A donner l'impression de procédé terriblement artificiel. ( Choix des Elues ) Parall~lement l sa

car-ri~re de romancier, il avait réussi l devenir le grand auteur dramatique de sa génération, secondé d'ailleurs admirablement par le talent de Jouvet. Toutefois on rencontre dans son théâtre la même évolution, et, de Siegfried l La Folle de Chaillot se retrouvent les mêaes différences que des Provinciales au Choix des Elues.

Ce goût pour la fantaisie, ce penchant pour

l'irréalité, nous ne chercherons pas A les étudier, comme M. Sartre, en voulant les expliquer par des crit~res phi-losophiques. Giraudoux n'a pas besoin qu'on le justifie, et du reste on voit par l'attitude de ce critique qu'une telle sorte de justification tend plutôt A des fins de

(4)

111

-sont les traits qui -sont l proprement parler irréels, quels sont les procédés qui contribuent 1 renforcer le sentiment d'irréalité et enfin nous tenterons de dégager ce qui fait le réalisme de Giraudoux. Ainsi nous espérons parvenir l donner une vision plus claire de l'oeuvre de cet écrivain dont Cocteau a dit un jour en s'amusant qu'il était • un tr~s bon élêve qui ajoute 1 cette sagesse le prestige mystérieux du cancre "• Pensait-il alors 1 Simon le Pathé-tique ?

••• Avant tout, Simon, sois digne. Quand tes professeurs te prieront de bourrer le poêle, d'ouvrir la fenêtre,

d'essuyer le tableau, refuse-s~cheaenti· ils n'y reviendront pas. Tu ae vas pas au lycée pour doub er le concierge.

Tu le sais pourquoi tu vas au lycée ?

ne le savais. Pour faire des é.tudes parfaites • Pour devenir préfet, ministre.

- Tu vas au lycée pour ne pas perdre tout l fait ton temps. Chaque soir, dans ton lit, rép~te-toi que tu peux devenir président de la R6publique. Le moyen en est simple; il suffit que tu sois le premier partout; et tu l'as bien été

jusqu'ici ••• (1)

-Pour nous, nous découvrirons dans cette évocation des années d'adolescence de Giraudoux, des traits qui nous semblent devoir marquer toute son oeuvre future. Il est ll le Giraudoux qui commence toute chose avec cette décis-ion et cette ambition si peu communes, avec cette indépendance et cette originalité que l'on retrouvera dans chaque

(5)

lV

-ouvrage. Mais aussi, nulle disposition

A

s'accomaoder aux petits tracas de l'existence 1 nulle retenue dans les ambitions 1 Giraudoux ne voit que l'extrême et l'intégral. Et d'ailleurs il n'y a aucun calcul dans ses projets.

" ••• il suffit d'être premier partout." Le monde n'est qu'une suite de causes et d'effets et si l'on parvient 1 conserver toujours les mêmes aTantages avant d'entreprendre quelque chose, on obtiendra toujours les aêœes succ3s.

Ces quelques traits nous enseignent qu'il faut accepter Giraudoux dans son enti~reté pour bien l'étudier. Il faut d'abord le comprendre et essayer de retrouver sa mani~re de voir avant de le critiquer. C'est ce que

K. Sartre a compris. Mais il n'a pu s'empêcher, pour faire l'étude et la critique de Giraudoux, d'employer les armes de M. Sartre et non celles de Giraudoux. C!est ce que nous essayeroas d'éviter. Hous tenterons doDe d'aborder

Giraudoux avec de justes aoyens, c'est-A-dire en preaant ses créatures pour des êtres 1 qui il a sine~rement infusé sa propre vérit' et non seulement pour des créations d'une libre fantaisie.

Dans notre étude, nous chercherons en premier lieu 1 comprendre la psychologie giralducienne en nous penchant

(6)

-v-sur les êtres, puis -v-sur le cadre dans lequel ils évoluent, nous attachant ensuite l montrer comment l'optique de

Giraudoux a influenc6 le choix et la conception des th~mes

qu'il a choisi d'illustrer. Ceci fait nous aborderons ce que nous appelons le style de Giraudoux - en prenant le mot style au sens large,- c'est-A-dire les moyens que l'auteur ( écrivain romanesque et écrivain dramatique,) a A sa disposition et au premier rang desquels nous devons mettre bien entendu l'art du langage. Enfin, dans une derni~re partie nous essaierons de présenter ce qui nous semble la pensée profonde de Giraudoux, sa conception de la vie et du monde, ce que faute d'un meilleur mot nous appellerons sa·philosophie. Notre conclusion soulignera ce que nous considérons comme les qualités et comme les faiblesses de cet écrivain et tentera de le situer dans le cours de la littérature.

(7)

CHAPITRE I

LES ETRES

L'étude des créatures giralduciennes doit porter d'abord sur leur caract~re. Une fois approfondi cet aspect capital d'un être, il sera possible de le situer dans un ca-dre social. On verra alors comment lee personnages s•

adaptent l leur ailieu et comment ce milieu est choisi pour leur donner le plus de relief et le plus

réalit' possible' EnfiD, il faudra suivre leur comportemeat avec beaQcoup de prudence. la effet, si les actions de ces ltres épousent souvent la pente de leur caractare, la fantaisie de Giraudoux leur conf&re parfois une orien-tation iuttendue ~~ais bien caractéristique.

'l!bus les personnages girald.uciens ont u.ne certaine sillilitude de caract~re. Tous oat en coDDDun une ia\elli-gence aiguë des choses, un boa sens d'allure souvent para-doxale, un llélange d'égoisae et de génél!osité; le tout é·tant régi et dominé par un individualisae impénitent et une soif de jouissance - de nature tr&s pure du reste,-qui les stimule sans cesse.

Yoill Si~n, toujours premier, laborieux saas ef-fort ,doué· d'une aeneilleuse clairvoyance, dénonejant par

(8)

-a-sa seule présence les faiblesses, découTrant la grandeur et la vertu sans coup férir. C'est lui dont son aai dit: • Bous soDUBes fiers de tei, Simora, tu es parfait 1 •

Et lui peut poursuivre:

••• ce

n1é:tait paa tout l fait raux. Je n16·tais pas tOllt A

fait imparfait. J'étais l aon aise dans la Tertu. De alae que le néglii6 ae ·gltait plus qu'un autre, et je devais ltre toujours fra!chement rasé,fra!chellent coi?fétun seul défaut elt en aoi tout coaproa1s.J'essayais donc ae n'en

pas aToir. (1) · ·

Voici un ltre qai recherche la perfection parce qu'elle le coapl~te. Sa nature représente l'équilibre entre toutes les aeilleures qualités de l'holllle.S.. Tertu est esthétique et point morale.Son individualisae se révolte l la pensée que cette perfection pourrait &tre la perfection.Il

vou-drait se confondre dans la .asse des hommes, se placer sur un pied d'6galit6 avec eux. Alors, échappant

1

la traascendan-ce de ses qualités,il actraascendan-cepte de les voir recoDDues.

Simon le Pathétique représente sur la terre cet exeaple de qualités rares, aais dont l'asseablage est si humain qu'il est justement ce qu'

•on

peut prendre eo.me exemple ou référence, saas &tre obligé, co_.e le font les juifs, de recourir tout de suite l Jésus ou 1 SpinGza.• (2)

(1) Simon le Pathétique.p.59. (2) idea.p.él.

(9)

.3

-'lel est SillOn, pathétique par son attit_ude devant l'existence, parce qu'il est le frire selon l'esprit et

,•

seloa la nature d'EciMe, l'Elue.Eda,e, elle, ne se distingue pas par sa logique, par son assiduité pour la coanaisaaaee; elle n'est pas sotte, aais son intelligeace toute intuiti-Ye n'a que taire de la science hUilai ne .• Elle est te-e, aa perfection tient daas son rôle de te . . e. C'eat ·l~ délica-tesse, l'a-our, la beauté, la finesse, aYeugléaeat divou4s

1

l•ho~~me, pour ce qu'il iacarne." ••• il sentait idm6e

libérée par l'a~ur de tout ce qui était son rang, sa con-dition, sa mission, et en premier lieu de lui, Pierre.11(l)

Cette te-e l'aiuit, non parce qu'il 4tait beau, courageux, intelligent,-les concours de ~lyteehnique ne soat pas des preuves intailliblesl aaia si vous &tes classé pre.ter l l'entrie et premier la sortie, on-ne saurait quand .a.e

parler de coi11ci.dencet- •ia parce q11'il l'aYait le preaier deaandée ea aariage1 C était ll le pre-ter des hommes pour cet te fille extraordi11aire: le pre mi er qui 1' inTi ter.ai t l monter dans son lit. Si lui, Pierre _ ftait arrivé un 110ia plus tard, cela aurait pu 3tre le llt d'un b~gue ou d'un

bos-s\1. (2) - - . .

Malgré. cette indifférence au.x 'v&nements de la vie, cette perversion- pour eaployer le -ot de Giraudoux - E~e n~en

(10)

est pas moins la perfection. Elle incarne la v'rité de la beauté, de l'A-propos; elle est.invulnérable, intangible. •ille avait tout ce qui provoque la laideur, la 110rt: le teint éclatant- un de ses genoux provoqua la pire insulte, - la beauté, la vie." (1)

Voici Suzanne qui est le bonheur, l'innocence. Suzanne, la pupille de la nature, comme Simon 6tait le pQ-pille d'une nation. Sur elle se sont penchées toutes les r'es du coeur de la France, pour elle, le paya a revltu son as-pect le plus faailier, le plus intiae et ea a&ae temps le plus Yi vaat.

J'avais dix-huit ans. J'étais. heur.euse. J'habitais avec 11011

tuteur, une aaison toute en longueur doat .chaque porte-tenltre donnait sur la ville, chaque ten&tre sur un pays l ruisseaux et l colliaes, avec des champs et des châtaigneraies coJUDe des rapi,çages ••• 1 car c'é.tait une terre qui. avait

beaucoup servi déjl, c1ttait le Limousin •••• (2}

Il

faudrait pouvoir citer toute l'introduction

1

C'est l'image d'un paradis terrestre où l'homme ignore toute contrainte et toute ambition.. Il n'a qu' 1 rl vre avec la nature •

••• Puis le soleil se couchait, de biais, ne voulant bles-ser mon pays qu'en séton.On le voyait 1 demi une minute, abrité par les collines comme un acteur. Il eit suffi de

l'applaudir pour qu'il revint. Mais. tout restait silencieux •••

(l)Choix des llues.p.8).

(11)

-

5

-lllUJI.inés de dos, toutes les branches et les moindres ra-aeaux semblaient se rendre l aerci ••• On les rassurait ••• On faisait malgré soi un demi geste pour les rassurer. (1}

La perfection de Suzanne, c'est l'équilibre. Tout lui est promis, elle a acc~s l toutes les ressources, tous les

secrets du monde; elle communie avec la nature. Pourtant elle reste une jeune fille intégrale, mesurée dans sa sa-gesse comme dans sa frivolité. Ses amies, d'ailleurs, par-ticipent aussi l cet état de communication peraanente avec les forces de l'univers, l cette innocence douée de la conscieace même du monde.

lous nous sentions un corps plein, des sens creus's sur lui, et les démons ne pouvaient y pénétrer plus que la pluie

dans une oreille. Il nous eQ.t été .bien facile, avec cette Victoria, si proche, par sa.-'moire, de l'existence antéri-eure, aTec cette Marie-S4v&re, si voiad.ne; elle, de la mort,

de faire de notre présent un terrain plus réduit encore et plus pathétique que ce tréteau sur lequel Norvégiennes et Russes boxent la vie. Mais nous étions dea Françaiaes. Mais, l Bellac, on se laisse conduire par la faim et la soif, par tout ce qui dilate et rassemble une famille autour de sa maison ou de sa ferme ••••

••• Mous avions des yeux sans double fond, un coeur ovale et qui jamais ne se mettait de b1a1s; ••• (2)

Suzanne est prête pour l'existence. Elle détient un inesti-mable capital de fra!cheur. Déjl elle sait tout, mais rien ne l'a marquée. Le voyage pour lequel elle se prépare-la

vie-(l}~zanne et le Pacifique.p.à-9 (2}1dea p.l?.

(12)

6

-ne lui doit rien réserver de pénible. Elle poss&de cette sagesse qui fait accepter la fatalité coaae une expérience, le bonheur comme uae habitude.

Enfin, voill Siegfried-Forestier, l'indispensable, le nécessaire, l'homme que la France réclame comme une par-tie inséparable de sa pensée, de son esprit, l'être dont l'Allemagne ne peut se passer, puisqu'il compl~te son in-telligence. Siegfried, c'est le trait d'union entre les deux nations, entre les deux races, les deux cultures. C'est l'organe qui saura donner la aesure 1 l'Allemagne et lui rendre sa place dans l'Europe. L'Allemagne implore qu' on le lui laisse:

Quelle que soit la nationalité de Siegfried, Hongrois, Français ou Portugais l'Allemagne a besoin de lui ••• ••• Vous &tes arrivé l !•heure o6 ses services vont nous devenir indispensables. -Ce dont nous manquons le plus, vous le savez,ce n'est point l'esprit créateur, (par rapport au Français, nous créons dans la proportion oà engendre un aa-ri polygame par rapport au aonogame,)c'est de caa-ritique, et jusqu'ici seul Siegfried a TU le vice et les conséqueaees scabreuses de 31 de nos paragraphes •••••• lous venons done vous demander de reaettre vos révélations jusqu'au jour oà l'Allemagne sera laite et l'Europe pacifi,e ••• (l)

Mais la France le revendique comme étant son fils spirituel, son esprit, sa sensibilité.

(13)

-

7-S'il lisait Traiment ma pensée, il ae Toyait p3ehant l la ligne avec le petit Forestier, plus jeune que aoi de deux ans! et lui contant l'histoire du pêeheur qui prit une tru te si grosse, qu'en la jetant en l .'.àir elle assoDUI8. une perdrix, ce dont-le pêcheur fut si -stupéfait qu'il tomba assis sur un li~vre.et le tua. (1} ·

Et Siegfried devra choisir: suivre le sang et se retrouTer français, ou se sentir un Allemand de mauvaise foi, n6eea-saire l sa patrie d'emprunt, aais.inassillilable depuis qu' on lui a révélé ses origines. Et lui se rév&le ainsi en taisant son adieu l l'Allemagne :

Vo\ls auriez di deTiner ce jour-11 que j'étais né hors de l' Allemagne. Je me rends compte mieux encore depuis l'autre .

j ' h du délire sacré de votre patrie, que j'ai dans' eho-r raphiquemeat1 de sa résonnance terrible, doat j'ai u&6 pour lire de pet1ts diseoura composés, de. son d6terainisae épouvantable, que j1aTais cru quelque phénom~n• politique

et passager co . . e la course l la mer o~ au Rhin, en so . . e tout ce que je croyais uae eoaséquence de la suerre,alora que les causes seules en apparaissent encore ea Allemagne coiDle les auscles apr&s l'écorchement. PauTre grande natien

qui n'est plus que chair1que poumons et digestion l jour, et sans douee peau ••• Tout ce que je demande aujourd'hui c'est qu'on ae redonne pour patrie un pays que je puisse du JIOiDs -caresser. (2} _ ·

Siegfried, po&te en France, législateur ea Allemagne. Prenons Eglantine, prenons Juliette, prenofts

Electre ou a&ae J'rôae, ce jumeau d'Edla6e, tous ces person-nages repr,sentent la a&ae esp~ce d'êtres. Tous sont les

(l}Siegtried et le Limousin.p.l70. (2)idea.p.295-296.

(14)

-

8-prototypes d'une vertu, tous sont la perfection d'un genre. Mais ils ont encore en commun une autre qualité,et coabien é;tonnante et dangereuse. Ils brillent tous de 1 'éclat par-ticulier que leur donne cette virginité, cette transparence et cette pureté de l'âme que Giraudoux ne peut s'empêcher de conférer l tous ses héros. On aurait pu dire de Simon, d'Edmée, ce sont des caraet,res. lon, ce sont des anges, aais créatures de l'hoaae et non de Dieu. Ils sont humains et restent au dessus des bommes; ils pressentent et percent les mystères de la nature et de l'existence et pourtant n' ont aucun pouvoir surnaturel; ils vivent dans le monde pour se briser contre sa loi.

Giraudoux s'est du reste attaché aux héros féminins et en particulier aux jeunes. filles.Plus roaanesques que les hommes, aoins Tite conscientes.de la fatalité de l'existence, elles se laissent bercer par des illusions ou des rêves qui leur fon~ voir la vie comme un jeu de surprises dont on sait déjl un peu le secret. Aussi au seuil de cette vie qu'elles considèrent sans crainte, et aêae avec une certaine

indif-férence, elles n'ont paa encore songé l ce q~i sera leur destin Elles ne voient pas le monde comme un en~enage dont on ne

(15)

-9--peut sr-échapper, aais coJIDle un 6talage qui s'offre et o~

l'on f'ait son choix.

En général ces &tres sont l la limite du vrai, leur psychologie ,pourtant normale 1 ne cesse d ''flpprocher ces' limites où la spontanéité devient étrangeté. On peut même dire que ce sont leurs innombrables vertus qui rendent plausibles quelques-uns de ces iaconeevables traits de ca-ractêre que Giraudoux sêae comme autant d'inattendu dans son oeuvre.Telle est l'indifférence d'Edmée l lt.égard des hollllles - alors que 11HoJIDle est sa vocation -; telles sont les amies de Suzanne,l'une douée d'une mémoire si aerveil-leuse qu'elle a'ignore rien du passé, l'autre déjl habitée par la mort. Voici ilcm~ne, dont le sens de l'honneur conju-gal est poussé l un point tel qu'elle refuse dtouvrir sa porte l un Amphitryon venu sous les apparences d'un amant. Et nous retrouverons les aêaes exc~s dans la pitié et la charité de Maléna, dans la haine d'Electre ou la magnani-aité des Dubardeau. Toujours Giraudoux muse avec le sya-bole,avec les f''es ou les Dieux.

ColllDlent de telles créatures peuTent-elles agir et acquérir une existence concr~te ? Comment parviennent-elles l devenir le centre d'une intrigue,? on peut se le demander.·.

(16)

10

-Ces &tres n'ont pas la consistance des hommes.Leurs vices ne font pas contrepoids 1 leurs qualités. Ils resse•blent plut!t

A

des idées dont la transparence ne découvre rien de cet imbroglio de Téll,ités contraires qu'on voit d'ordi-naire au fond de l•âme des hommes. En eux-aêmes, ces per-sonnages sont si purs qu'il semble impossible qu'ils puis-sent conna!tre la liberté, cette illusoire compensation • nos faiblesses. Cependant ils existent, c'est indéniable. Nous croyons que c'est dans leur situation sociale et dans l'atmosphêre qui les entoure que nous pouvons trouver une explication 1 un tel probl~ae.

De nouveau, nous constaterons une parenté entre les différents Bilieux oà évoluent les personnages giral-duciens. D'abord tous ces itres jouiront, car ici li'on

peut bien dire jouir, dtune similitude dans leur condition: l'indépendance. Cette indépendance leur est octroyée gra-tuiteaent par le destin. Ils sont Teufa, orphelins, isolés, au moins célibataires, et s'ils ne peuvent bénéficier d' aucun de ces précieux aTantages, ils sont fonctionnaires, c'est-A-dire qu'~ils ont un métier sans arriêre-pensée, sans soucis d'avenir. Ou bien encore, ils possadent l'

(17)

11

-indifférence, cette forae 1 la fois illusoire et suprlae .

de la liberté.

Isa belle - Tous savez dans quelle Tille Yous ire~ en nou• quittant ?

Le

Contr8leur - Je sais et je ne sais paa. Je sais seulement qQe ce sera Gap ou Bressuire. L'une d'elles h'las

a•échap-J&r~ aais j1au~ai l'autre t Saisissez-vous la délicatesse et la volupté de cette incer.titude 'l (1)

Mais la fatalité ne cherchait pas par le ainiaua de

taa-taisie, l retenir ~r&ae Bardini !ans sa vocation de rece-Yeur de lL'enregistreaeat et de Bardini. (2)

Siaon dont le p&re vit en province, acq~iert tris jeune soa indépendance :

-Vous 3tes un peu notre bien, Siaon. (lui dit un de se& ma!-tres.)

Un peu, pas beaucoup. J'appartenais

1

aes camarades. ~ n1aYais point de sentiaent qui ae pdt s'épanouir 1 leaise dans les limites de aa classe. ••• .

••• Je

ne sortais jaaais, je recevais peu de lettres; c'était

1 ''poque o-Q. 1 ''o n ll0di!1ait tous les six aois la Yipette des tiabres-postes: il est des modales que aon p~re ne trouva pas le temps d'employer. Enfin, en rh,toriq~e1 le vieux silcle s'effondra •••• Tous ceux qui n'aYaient eté

jusque ll pour .notre classe que de proches a1néa, Laaartiae, Michelet, Huge, passarent le second cercle du Styx. Je ae dégageai d ''eux. Je renon~ai, par des généalogies fic ti Yes,

1 ae taire le cousin de Vigny, le petit-fils de Chateaubriand. Ce tut une tente qui s'abattait et ensevelissait tous nos

a!nés. Mais, tout seuls, nous n'aYions pas peur ••• (.)) Suzanne et Eglantine sont eonfiies l un tuteur indulgent, Electre n•a point de liens avec les siens; Siegfried est

{l)

hteraezzo.p.l79.

{~) Les AYentures de Jër8ae Bardini.p.~. (..,) Simon le Pathétique .p.22. et sui Yan tes,.

(18)

-

12-aaaésique, ŒeneTi~vre 6tait la liberté aêae. Elle repré-sente du reste l'émancipation giralducienne.

••• GeneYi~vre était fille et a~re adultérine, divorcée• défroquie, et pas .al d'autres choses encore. Elle se défendait contre la société par des phrases d'enfant qui causaient la hoate 1 tous ceux qui se croyaient en r&gle avec leur petite conscience: Je suis enfant adultérine, aais mon pire était sénateur; j'ai quitté le couvent directement pour l'atelier Quentin,aais je ne crois en Dieu que l'été; je ·Suis divorcée aais je continue

1

~iTre aTec ·aon mari; j'ai 'té allemande pendant la guerre, mais je suis revenue deux fois en France par l'aéroplane pour accoucher de petits enfants morts ••• (1)

La preaiêre attitude commune de tous ces h'ros est l'acceptation de la vie telle que le Destin la leur a offerte. Si par hasard. ils s '!insurgent contre la vie, leur besoin de liberté n'a riea 1 voir aTec une réTolte "gidienne". Leur révolte, quand elle existe, ataboutit pas 1 uae destruction, au reniement du monde; elle a le aêae caract&re que les héros eux-alaes: une certaine irréalité. Cela se passe daas UD autre monde.OD se

eon-tente d'effacer le passé• de se pr6parer uae seconde naissa11ce, une vie toute neuve .•

n

s''assit nu sur uae chaise, s"étendit nu sur le tapis, essaya l Tide sa liberté, se réjouit de n'avoir aucun .

grain de beauté aucun tatouage. Puis, pour quelques heures! il se r~abilla, négligeant de mettre son gilet, comme es jours oi il allait au bain. Il était rassuré.

(19)

13

-Il aTait eu l'appréhensioa ce matin de trouver son corps lui-a&ae un objet trop familier, trop semblable, d'ea 3tre laa. Cela e6t été fâcheux. Cela lui ett donné

-1

croire que son mal était siapleaeat de la neu~asthénie,

et non point une ambition effrénée, l '.ambition de chu.ger l"aiguillage aime que le destin avait ·donné

1

saTie. {1) En effet, et nous y consacrerons uae part de notre étude, le destin est le seul aléa de l"existence des personnages giralduciens. Mais œdraudoux n'est pas romantique. On De ae réTolte pas contre le destin: on l'ignore.

Ce qui cause le earact&re mesuré et pondéré dea réactions humaiaes chez Giraudoux est justeaeat la douceur de l"existence qu'il fait

1

ses héros. lls sont d'ordinaire riches ou du JIOins tr~s aisés. L'abondance r~pe chez cha-cun et nul ne conna!t d'autres soucis que ceux qu'il veut bien ae faire,- et ceux d'une catégorie 1 part, doat Teut bien l'honorer le Destin en personne. Les aalheareux sea-blent créés pour leur condition. Ils incarneat, a&ae fort bien, le ulhellr, et l'on dirait qu'ils font ainsi le\tr aétier, avec succls,·aais sans y aettre de leur âme 1 eux.

Ils participent seulement l l•âae du malheur. Té~ia1 le pauTre, dans le CoaDat avec l'Ange; il est poignant, il bouleverse et tteaplit de tendresse le lecteur, ·mais sa résignation, eon art de la souffrance, l'humilité de sa

(20)

-14-pauvreté ea font un ltre trop parfait dans sa condition. Il en est de alae des diverses foraes de lt.horrible mi•

s~re qui d'filent chez Mal,na, elles sont vraiaeat les

délégués du aalheur, plut8t que des aalheurs.Et les petite~ gens, les humbles et les tras humbles, ils ne souffrent pas: Auguste (Ondine) et le Jardinier (Electre) sont tort aatis-!aits, l'infra-peuple de l~Folle de Chaillot respire de bonheur dans son ianoceace et son dénueaent.Les ltres ~t nés adaptés

1

leur misare oœ

A

leur fortune.

Giraudoux nous rappelle la stylisation dea person-nages de la tragédie classique, ses héros ae ressentent

jamais leur situation comme un fardeau, coaae une entrave. Ils ne sont plus toujours rois ou princes, mais secrétaire• de ministres, co . . e Simon ou Philippe Dubardeau, financiers et rentiers,( MOiae, Fontranges ) ou au moins jouissent

d'une situation qui leur garantit loisirs et aisance.(Pierre, Jér&m.e.)

!ous ces personnages baignent donc dans une atmos-phare

ol

l'insouciance est de r~gle; leurs préoccupations n ''ont pas ce caractê:ètF vulgaire et commun qui avilit et abaisse tant d t:existences. Le bonheur crée une sorte de noblesse et d'élégance. En effet, si Gdraudoux appartient

(21)

15

-bien l son épôque par ce besoin d'insouciaoce et de pros-périt' ~'oa ressent dans ses oeuvres, on

n'y

retrouve pas le futile instinct de jouissance et le sot contentement

qu'affichent beaucoup de ses coateaporains. Le ~nde de Giraudoux ne semble pas touché par le péchâ originel. Soa bonheur est de la pureté, sa richessede 11iDDocence.

{ Cette idée est du reste iapli_ci tement soutenue daas 11!nti-iebinson que constitue S.zanne et le Pacifique.)

Daas

un monde si clémeat pour l'homme, dans ua

milieu si propice l dea existences sans histoire, on se demande ee qu'il peut advenir de ces &tres, eux-a&aes enclins 1 la perfection. Cependant rappelons que le com-portement des persGnnages giralduciens De découle pas seuleaent de la simple psychologie. ColiDle la conscience humaine a1est souvent que le jouet de la destin6e, elle

obéira parfois l un déterai:aisae iaexpliquable ;: elle ser...-a

vic~iae de 1 tabsurdi_t6 du d.estia_.

Mais en dehors de ces cas oà le aonde métaphysique fait intrusion dans l'existence de l'homme, le comportement des héros giralduciens est tr&a humain, et ces êtres

(22)

16

-sont rong's par les mimes doutes que les autres mortels. Dans l'Ecole des lndifférents o-a Giraudoux fait une galerie de portraits dans laquelle il approfondissait ltétude des défauts qui menaçaient le plus ses h'ros d''lection, le

faiblesse de caraet&re, l'orgueil et l'égoisme sont d'peints avec.une rare justesse. C'est du reste tris remarquable que Giraudoux ait consigné dans un livre 1 part l'étude des Yices qui lui tenaient le plus l coeur. Cette trilogie définit

assez bien une façon d''gotisae qui perce en bien des points: par exeaple, voici Simon amoureux. C•est la vie en rose, mais c'est aussi l'occasion pour lui de sortir un peu de lui-m3me •

••• Je profitai de ce tendre esprit de justice pour réviser en moi tout parti-prist toute habitude.... Je n'inventais plus en aoi un être dirférent de moi •'indiquant les

moyens puérils et infaillibles pour Atre l aa guise triste·

ou gai, faible ou fort. Je me sentis-plus seul, aais plus un; plus triste mais plus tendre et aussi pour .oi-a&ae; et les quatre f!ls Aymon eussent ~prouvé le mêae bien-&tre si on les avait• - pour l'avantase aussi de leur aonture -, fondus en un seul fils Aymon. (lJ

Rais voill Simon malheureux;la situation est renversée. Le chagrin personnel du héros détruit l ses yeux tout ce qu'il venait de découvrir dans le monde. C'est un phénoa~ne banal en soi, mais voyons l'effet qu'en tire Giraudoux:

(23)

-

17-••• ~'étais enfin dans ma chambre. Je l'avais quittée voilA trois heures; pas un grain de poussi&re, de

lu-ai.~re, qui ne fdt tombé d'un matin heureux. Pas un meuble, pas un objet qui ne fût .aintenant une fausse promesse, qui ne m'eO.t menti .• Menteurs, ces tableaux aYec leurs couleurs, menteur le rouge aenteur le Yert. Menteuses plus encore les choses tris!es, le portrait de

Philippe mort, de Claire aorte. Je chercnais en Yain un coin de table un cadre qui ne m1e6t pas promis le

bonheur lui-aime. Je f~missais 1 -la pensêe que cette fausseté, je la trouverais désoraais dans le dernier casier de aes tiroirs. Pas une lettre reçue dans l'année qui ne fat aaintenant démentie. Déaenti, le printemps. D'mentie, aa jeunesse. Je me réfugiais vers la glace de la cheminée, et j'y rafra!chissais mon front, j'y Yoyais mon reflet penché sur moi, lui seul était sinc~re

1

lui seul ne mentait paa, et, bien que parfois il sourit, jtacceptais de lui toute pitié. Longtemps je n'eus

d'autre consolation que de voir ainsi proche ou lointain, ce pauYre sosie jouer mon rôle et souffrir pour moi. De lui venaient aussi mille insinuations consolantes:

- Fais-toi un peu de thé. Fais-toi un peu de tilleull ••• Je •'obéissais ••• Mais jlavais besoin d'ordres plus nets, de ma!tres plus exigeants. -Heureux les désespérés qui

peuvent se constituer prisonniers 1

(1)

Enfin,par cet aveu terrible, Jérôae Bardin! résuae l'a~ti­ tude de la plupart des personnages de Giraudoux :

-Tu sais bien ce que je veux dire. L'orgueil D'est pas la vanité. C'est une nausée l l'idée de -la création, une

r6pulsion pour notre mode de -vie, une fuite de nos dignités, c'est une aodestie terrible. Tu es fier d'6tre homme ?

-Hon! dit Bardini. Mais je ne Yois pas 116ft plus dalla

q~el e peau d~autre cr,ature je serais fier de Yivre. (2)

{1} Simon le Pathétique.p.l88.

(24)

-

18-Mais 1 c6té de cette faiblesse, qu~on voit égaleaent chez Electre, Eglantine, Juliette, chez Hans comme chez Ondine• il faut remarquer la volonté et l'optimisme qui sans jamais se démentir animent les créatures de Giraudoux.

Simon a reçu son congé; Anne en épousera un autre. Pourtant il s'écrie~ "Demain je revois Anne ••• Vais-je l'ai-mer ?Demain tout recommence ••• • (1)

Suzanne se défend de toutes ses forces contre le désespoir. Elle tire d'innombrables ressources du néant de son !le: elle vit de son attente.

•A,\quoi je •'occupe encore, Siaon ? J'attends.

•c•eat

mon seul travail, an travail véritable, que je ne

peux négliger une matinée ou un apr&s-aidi sans resseatir le remord que donne chez nous la paresse: j'attends. C~est

un métier. Etendue ou assise devaat la aer, -j~attends. ,Je ne suis plus qu'un oeil1 j'en arrive l ne pas -sourciller pour ne pas ~rdre le ~lli~me d'une chance •••

•Les jours

ol

je sens trop q•e le départ n'est pas pris vers mQi ent~e les messieurs du monde1 j'attends le vent •••

•• .On s'occupe, seule dans une !le. (z) ·

Mais parfois aussi, cette merveilleuse obstination se heurte au destin. C'est alors une lutte inégale

ol

l'ho~

me défend pouce par pouce son bonheur. Ainsi Hector, qui grandit en bon sens et en humanité 1 chaque coup qu'il

porte l cette guerre de Troie qui devra avoir lieu. A chaque

(1) Simon le Pathétique.p.246.

(25)

19

-épisode de cette course contre la destinée, le héros voit son caract~re se préciser, sa fonction s'affirmer: il est le héros de la paix, de la générosité, de la saine logique, contre l'absurdité des dieux et la vilénie des hommes.

Pourtant dans E+ectre, le destin seconde l'héroine, il at-tise sa soif de pureté, en a!me temps qu'il accrott son orgueil.

Electre - Elles ae sont faites que pour cela. Epouses, belles-soeurs, belles-•~res, quand les boames au aatin ne voient plus par leurs yeux engourdis, que la pourpre et l'or, c~est elles qui les secouentt qui leur tendent avec le café ·et l'eau chaude, la haine Qe l'injustice et le mépris du petit bonheu~. ·

•••••

- Et elles épient leur réveil. Et les hommes, n'eussent-ils dormi que cinq minutes ils ont repris l'armure .du bgnàeur: la satisfaction, l~ind!fférence, la génér.osité, l'appétit. Et une tache de soleil les réconcilie âvec toutes les taches de sang. Et un chant d'oiseau avec tous les mensonges. Mais elles sont 11, toutes, ·sculptées par l'insomnie, avec la

jalousie, l'envie, l'amour4 la mémoire .: avec la vérité.

1u

es réveillé, Oreste ? \1)

Un trait se dégage de cet ensemble de citations. Tous ces personnages se trouvent devant un dilemne •. Leur nature angélique se heurte

1

leurs aspiratians humaines, leur corps de chair fausse leurs ambitions trop pures. A foree

d~incarner leur perfection, ils sont amenés si loin de

(26)

20

-l'humanit~ que ce qu'il y a en eux de fonci&rement humain

ne peut plus suivre. Ils atteignent le point limite de la tension dans l'existence et il leur faut ou bien céder ou dispara!tre. Eleetre, Ondine, Siegfried ne c&dent pas, ila subsistent eo11111e la pureté, l 1Ul0ur et l'indispensable;

Simon, Suzanne, Isabelle et EdBée s'inclinent devant la

destinée, ils en sortent amoindris, mais rassasiés et apaisés. le soyons pas surpris de cette réaction enti~re

des personnages; qu'ils affrontent le destin ou qu'ils s'y soumettent, ils y trouvent leur accomplissement lorsqu'ils le suivent: d'oà le calme bouleversant qui succ&de

A

leur fébrilité antérieure.lous avons assisté l UBe sorte de dédoublement, non de la personnalité, mais de l'&tre. Une moitié souffre et craint avec le corps, l'autre s'idéalise déjl avec l'Ame. Le dénouement ne sera pas autre chose que la cessation de cet état.

Dans la derni&re sc~ne d'Electre, l'héroine et les Euménides s'eagagent dans un âpre dialogue. C'est en fait la représentation imagée du monologue d'un cruel cas de conscience.

Un Seryiteur.- Fuyez vous autres, le palais br6le 1

Première El11lénide.- 6•est la lueur qui manquait.à Electre.

Xvec

le jour et

la

vérité l'incendie lui en fait trois.

Deuxi~ae Euménide.- Te volll·satisfaite, Eleetre, la ville

(27)

21

-Electre.- Me voill satisfaite. Depuis une minute je sais qu*elle rena!tra.

Troisi~ae Euménide.- Ils rena!tront aussi ceux qui s'égor-gent dans les rues ? Les Corinthiens ont donné l'assaut, et 11assacrent.

Electre,- S'ils sont innocents, ils renaitront.

P,Eûién1de.- Voill oà t'a mené l'orgueil, Electre 1 Tu n'est plus rien, tu n'as plus -rien. · . .

Electre.- J'ai aa conscience, j'ai Oreste, j'ai la justice,

j'ai tout. · · ·

D,Euménide.- Ta conscience 1 Tu vas l'écouter, ta conscience, dans les petits matins qui se préparent. Sept ans tu n•as pu dormir A cause d'un crime que d'autres avaient commis. Désormais c'est toi ·la coupable.

Eleetre .- .1-~ai Oreste, j'ai la justice, j'ai tout. · f,Euménide.- Oreste 1 Plus jamais tu ne reverras Oreste. lous te quittons pour le cerner. Bous prenons ton âge et ta forme pour le poursuiYre. Adieu. lous ne le lâcherons plus jusqu'A ce qu'il délire et ae tue, maudissant sa soeur. Electre.- J'ai la justice. J'ai tout. (1)

Cet état est encore présenté sous sa forae traditionnelle, les Euménides sont des &tres distincts d'Electre. Maie chez Suzanne, le confiit éclate dans toute sa force. L'épisode de la correspondance imaginaire aTec Simon et dea r'aetions qu'elle provoque chez la naufragée témoignent de l'importance de ce dédoublement.(2).Aussi la reprise de l'action se fait dans une ambiance d'hésitation et d'oppression.

J'avais ' t ' r'Teillée brusquement, mais par quoi ? Par un rêve ? ou plutôt, pendant la derni~re minute de mon somaeil, le canon n'avait-il pas tonné, un projecteur ne a'aTait-11

(1) Electre.p.22~.

(28)

22

-pas illUBdnée ? Je scrutais l la fois, pour découvrir 1~

cause de ce sursaut

1

mon esprit, mon corps et l'horizon.

Je tâtonnais dans 1 !le obscure, appuyant sur les plus

sensibles de aes oiseaux! cognant aux arbres creux,appelant l'écho comme dans un sa on oà l'on cherche le bouton

'lectr!que. J'obtins seulement que le soleil se lev&t. (1) Isabelle a tenté. d'oublier les médiocrités terrestres pour chercher la plénitude des purs esprits.C'est le sujet

d'Intermezzo. A la fin de la pi~ce, Isabelle revient lea-teaent d'un long éTanouissement que L'Inspecteur explique ainsi:

••• Le pays d'ol revient Isabelle n'est pas l'éTanouisseaent, mais la désincarnation, peut-être l'oubli supr~ae. Ce

qu'elle réclame, ce sont des vérités universelles, et non des détails d'ordre particulier 1 (2)

Enfin nous voyons le déchirement final dans Ondine • Hans, partagé entre son amour pour Ondine- pour ce qui représen-te 11·amour, et sa soif de viTre terrestreaent- soa

attache-ment aux créatures.Ce dédoubleattache-ment n'a rien d'une déYiation psychique, et pourtant c'est plus qu'un simple dileane qui déchire l'être. C'est Yraiment le symbole du conflit entre ce qu'il y a d'intemporel dans l'homme et toute son humanité.

Si l'on veut résumer en quelques mots ce chapitre et mettre en relief l'emprise de l'irréalité sur les person-nages de Giraudoux, on conviendra de dire que l'art de

(1) SUzanne et le Pacifique.p.là6. (2) Intermezzo.p.l97.

(29)

23

-l'auteur consiste dans la façon dont il donne 1 ses héros une sorte de double identité. On a d'abord l'impression qu'il va animer des symboles et soudaiDement, ces all,go-ries se prennent

1

sentir et

A

agir en hommes, ou bien, au contraire, il introduit peu

A

peu l'idéal:

1

partir d'un fait des plus terre

A

terre, il arrive

l

laisser pressentir des conséquences de l'ordre le plus élevé. Ce glissement du réalisme à la fantaisie fait d'ailleurs partie intégrante avec ces êtres et c'est ce qui leur donne

(30)

- 24 .;.

CHAPITRE 2

LE CADRE

Les fées ont leurs royaumes, les anges leurs espaces; il est naturel que les créatures de Giraudoux évoluent dans un monde qui leur soit propre. Ce monde est le nôtre, mais doué de prestiges qui nous échappent, rayonnant d ~·une vitali té presque surnaturelle: un monde où tout est sensibilité, un monde dont les plus infimes composantes éclatent de raison <Hêtre. Enfin cette mise èn sc~ne ne se r~gle pas à l'horloge qui mesure le temps des hommes, pas même au rythme de leur conscience, mais elle obéit aux lois des Dieux qui sont les interpr~tes de la destinée.

D'ordinaire les personnages de Giraudoux sont placés tians un cadre où ils peuvent s'épanouir pleinement. Ils y trouvent non s~~lement un milieu sympathique et

chaud, mais encore une esp~ce de connivence des choses, une familiarité dans la nature qui dépasse en intensité la traditionnelle atmosphère que l'on respire au sein àu pays natal, à l'abri du home ancestral. Nous avons déjà montré Suzanne à Bellac, on peut cf. ter Fontranges dans

(31)

25

-ses domaines, Juliette chez son tuteur, et epfin je donnerai ce passage de Siegfried que l'on pourrait ap-peller l'accueil de la France, du Limousin natal • ••• Puis on cria le nom de la première gare Limousine, et, soudain ce département que j'avàis quitté à deux ans et que je croyais ignorer me reçut comme son enfant. Mon père l'avait habit~ toute sa jeunesse, tous les noms propres que l'on prononÎait chezmoi avec amour et respect étaient pris dans les a manachs, les annuaires, les jour-naux de ce pays, et jamais noms n'avaient contenus pour moi plus de nostalgie et d!aventure que ceux qu'appelaient main-tenant à toate voix les eœployés1 ou que je voyais collés au flanc des gares comme des :col1s précieux laissés pour moi en consigne, entre des arbres et des troupeaux dont

mon coeur aussi reconnaissait la race, par mon père adolescent. (1) Et de cette contrée si intime, Giraudoux passe l la France entière, et la sent vibrer, la devine et se la · ~emémore

en même temps •

••• Tous étaient maintenant éveillés en France. Le soleil rayonnait sur le pays à idées claires. Un chasseur à che-val de l'armée sans poésie avait capturé un renardeau et le montrait d'une barrière aux parents voyageurs qui n'hési-taient plus, pour un si beau spectacle,

A

réveiller leurs enfants dans les filets. Cea sidecars roux hérités de l'ar-mée américaine couraient déjà les routes comme des para- ·

sites. Tous étaient éveillês, à Valençay, à Buzançais1 et dans les pays des fromages, Roquefort et Levroux, dejà on les mangeait tout jeunes en buvant du vin blanc. Tous ouvraient les yeux, y compris les six cent mille candidats aux Palmes académiques, à la médaille des Epidémies ••• Y compris Monet, Bergson, Foch ••• (2)

(1)

Siegfried et le Limousin.p. 286

(32)

26

-Il y a chez Giraudoux à la fois l'amour du pays de

Du

Bellay et le patriotisme de Barr~s; mais il y a plus, il y a une sorte d'union entre cette terre nourrici~re et protectrice et les êtres qui y vivent.

Cependantt il n'y pas que Bellac dans Girau-doux. Edmée s'est attachée à sa Californie et son home a peu A peu acquis toutes les qualités qu'assume d'ordi-naire la France. Du reste elle avait transporté avec elle cette confiance en la nature, cette intimité avec les chosest cette aisance

A

créer un foyer.

La maison n'était pas aussi bonne que Pierre. La. maison ne la connaissait plua. Tout ce qu/e Pierre ne lui. disait

i

aa, q~'elle trahissait1 qu•elle cédait, le moindre •••ble e criait. Il claaait aeae dea nouvelles inattendues, dont la principale était qu'elle ne les reverrait plus. Les

provisions de la cuisine, de l'office, dans leura bocaux ou le•ra ~ali&rea, se détachaient -d'ellef n'étaient plus sa nour-riture.

Ila

n'acceptaient aucun aot d affection, aucune

excuse •••

••• Mais ce langage auaai était raux: caf6 et cornichons aimaient jadis l &tre moulus, l atre mangés par elle; ils avaient été aa joie! son coeur, et ils se brouillaient avec elle, ils la rejeta ent.

(1)

Et l'!on assiste ici 1 ce phinoaane extraordinaire: le dialogue des êtrea et dea choses.

En effet, il existe entre ltres et choses dea liens auxquels Giraudoux donne une importance capitale. tout ce

(33)

- 2.7 ..

qui constitue le décor de ses oeuvres eat susceptible de prendre un jour part l l'action. Les objets ont tous en puiasamce une identité particuli~re qui les tirera, au moment propice, de l'espêce d'oonymat oll. sont confinées les choses. On a déjl vu la tendance de Giraudoux pour la généralisation lorsqu'on a étudié les caractêres. Ils incarnent une idée, en alae temps qu'ils sont dea ltres eD ew.x-a&mes. Mais pour les choses, cette attitude de l'auteur est encore plus frappante. Elles sont ll, représentant

chacune leur esp3ce, comme délégaéea aupr3a des &trea et prêtes l remplir un r8le qui dépasse de beaucoup celui que leur confêre leur nature de choses. A leur usage at-ajoute un r8le.

lOus sommes les cornichons, de vulgaires cornichons.

Trompe-nous si tu veux. lous n'avons pas l nous occuper dea âaes, aais dea langues... ·

••• Mais ce langage était faux ••• (1)

Rous voyons ces cornichons qui jusqu'alors avaient humblement rempli leur tâche de cornichons dans le llénage de Pierre et d'Edmée, ae révolter contre l'abandon que médite Edllée, percer avant tout autre ses sentiments, et devenir les instruaenta d'une sorte de morale surnaturelle: celle dea

(34)

-

28-choses. Le aêae ph,noa~ne prend une valeur symbolique daas Electre, lorsque l'Etranger, Oreste, ouvre le drame en •'informant de la situation lArgos.

L.~Etranger ... Curieuse façade 1 ••• Elle est d' aploab ? (il parle du palais.)

•••••

~e Jardinier.- La façade est bien d'aplomb, étranger;

n'écoutez pas ces aeateuses. Ce qui -vous trompe c'est que le corps de droite est construit en pierres gauloises qui suintent l certaines époques de l'année. Les habitants de la ville disent alors que le palais pleure. Et le ~orps de gauche est en .arbre d'Argos, lequel saDa qu'on ait jaaaia au pourquoi, at:easoleille soudain, alae la nuit. On dit alors que le palais rit. Ce qui se·passe, c'est que, en ee moment, le palais pleure et rit l la fois. ·

Premi~re petite fille.- Comme cela il est at~r de ne pas se troaper.

Deuxi~ae petite fille.- C'est tout l fait un palais de veuve.

Pf

petite fille.- Ou de souvenirs d'enfance.

L Etranger.- Je ne ae rappelais pas-une façade aussi

sensible •••• (1} .

Parfois cette fantaisie d'écrivain •'abrite derri~re une réalité aux allures surprenantes o6 les choses acquiarent une fonction qui ne s'accorde point avec leur visage. Ce renversement de l'ordre naturel éaerveille toujours

Giraudoux parce qu'il lui d~couvre les ressources innoabra-bles de la nature en aême teaps que la relativité de nos vues sur elle.

(1) Electre.p.ll-12.

(35)

29

-Partout des arbres inconnus, mais qu'on devinait des ali-aents rébus; il devait me suffire de -patience, pour en trouver la solution, pour découvrir ent~ eux, quel 6tait 1 •·arbre pain l'arbre lait, peut-&tre l'arbre viande. Dea arbres sans fruits et presque sans feuilles, aais cerclés de cercles rouges, qu'on devinait pleins d'abondance, et dont je tapais le fflt,- pour voir s'ils étaient pleins, de aa .ain, ou d'un bâton. Des arbres -qui l mesure qu'ils étaient plus stériles, offraient plus franchement leurs dons... (1)

Telles sont les surprises que nous réserve la nature, mais dans le passage suivant éclate le renversement des valeurs humaines •

••• ici oà tout est abondance en fruits et en coquillages, il avait défriché et semé du seigle; ici, pr~s de deux

grottes chaudes la nuit et fra!ehes le jour, il avait coupé des madriers et bâti une hutte; •••

••• LA ol tout est solitude et bonté, il avait gravé ea latin sur la grotte: M6fie-toi de toi-aêae. On y voyait aussi, dans un petit clos pris sur les champs d1orchidéea

1 des

fleurs misérables, des zinias, des balsamines •••

(z)

Ces surprises, ces contrastes, se retrouvent aussi au coeur des cités, comae Paria, par exemple, dans ce café de la Rotonde

ol,

"personne du cati,- et de ce café seul, et

peut-être de ce seul lieu au monde,- ne désesp~re du voisin le plus aalpropre, le plus pauvre, le plus grossier, au

point de croire qu'il ne peut devenir un jour roi ou tyran.•())

(1) Suzanne et le Pacifique.p.65. (2) idem p.llO • .

(36)

-

30-Et du reste, pour Giraudoux, la nature s'empresse d'abon-der en @tres l double visage, illustrations aussi fantas-tiques que fantaisistes de ce qu'il veut prouver ou dé-peindre.Siegfried et le Limousin en regorge d'exemples, comme les sociétés secr~tes, la description du Palais royal de MUnich,celle du réveil de la France.

Il nous faut cesser un instant cette analyse du cadre de l'oeuvre de Giraudoux pour porter notre attention sur la conception particulière qui en permet l'intelligence. En effet, on ne peut pas saisir la véritable portée de

l'oeuvre de Giraudoux si on ne saisit pas le trait carac-t6ristique et dominant qui imprime l sa pensée une orienta-tion si particuli~re. lous voulons parler de son réalisae. Lt.emploi d'un tel mot a une résonnance un peu paradoxale dans le cas présent, mais nous allons montrer qu'il cor-respond l quelque chose de concret et de bien défini.

Nous avons vu que le héros giralducien vit en n symbiose • avec son cadre familier. C1est-l-dire qu'il est si proche des choses que celles-ci prennent peu

A

peu une conscience. Ce sont elles qui créent autour du héros, par ailleurs toujours isolé, cette tension affective qui

(37)

31

-préserve les âmes solitaires du desséchement ou de l'idée fixe. Mai~ maintenant, faisant un pas en avant, nous croyon~

pouvoir affirmer, en nous appuyant sur ce que nous avons dit du symbolisme et de l'aspect inattendu de la nature, que ces deux traits de l'art descriptif de Giraudoux sont

intimément lié~ l'un 1 l'autre. Ils représentent les stades d'une évolution psychologique: deux aspects d'une même compréhension du monde extérieur.

Les choses ont un double rôle. Premi~rement, elle~ forment ce dont se compose la réalité sensible. Elles

remplissent le monde. Elles sont garantes de la véracité.

du décor. Mais elles deviennent des instruments beaucoup plus difficiles 1 comprendre, 1 interpréter, qui tirent leur force d'eux-aêmes, ou la trouvent dans le rôle de miroir de la conscience qu'elles jouent. Elles revêtent en quelque sorte une valeur doublement symbolique. Et d~s lors, elles ne sont plus seulement le décor, mais elles

parti-cipent l l'action, tantôt aux côté~ du destin, tantôt aux côtés de l'homme.

:Nous avons déjl suffisaaent cité les premi~res

pages de Suzanne et le Pacifigue pour pouvoir les placer d'emblée parmi les meilleurs exemples du rôle protecteur

(38)

32

-que se donne la nature. On sent -que Suzanne obéit instinc~

tiveaent l l'équilibre qui se dégage de la nature et qu'elle y puise une force libératrice qui la met l l'abri des in-:.nombrables petites calamités qui affligent les autres humains.

Voici Forestier que les choses travestissent en Siegfried von Kleist:

Il entra, plus couvert encore de barbe, de bagues et de breleques qu'il ne l'avait semblé de loin, tant l'Allema-gne prenait ses précautions pour qu'il ne manquât ·plus, en cas de nouvelle amnésie, de plaques d'identité.

(1)

Même complieité des choses, autour de lui: l'Allemagne l'a convaincu de sa fausse identité:

Il en était de la maison de Forestier comme de son vêteaent. Pas une trace ne subsistait de la sGreté avec laquelle il avait jadis retiré de cent boutiques d'antiquaires et de trois ateliers modernes tous les meubles et tous les objeta qui

depuis le

IVlame.

siacle et ea passant pa~ Iribe n'avaient été. faits que pour lui. Gravés sur tout ce qui était bois, brodés sur tout ce qui était étoffe, je retrouvais daas son bureau tous ces proverbes et résidus de la sagesse allemande dont le visiteur est abreuvé: ~ Qui parle le aatin se tait

le soir ••• Qui aime son prochain aura dea fleurs au. printemps ••• Assieds-toi sur moit je suis 11ll loyal fauteuil de Dessau ••• L'heure du aatift a ae l'or daas la bouche ••• • J'aperçus du moins, pendu au mur, ·Un objet comaun l ce bureau et .l son bureau de Paris un objet neutre, la femme au turban de Veraeer. Rien n16tait perdu, puisque ce petit Hollandais avait réussi dans sa petite tâcne, en s•armant il est vrai d'un cadre étain et cuivre plus large que lui-aime, et en

(39)

- .3)

-se colorant de couleurs infiniment plus vives encore que celles de l'original... Le combat avait dQ. &tre rude pour traverser cette ritine endurcie par un destin allemand. (l) CoiDDle on le voit, cette optique giralducienne cc11porteune três forte part de vérité. Ces choses qui parlent aux hommes en dépit d'eux, les forment et les influencent ; qu'elles soient toute la France en Bellac, les bibelots chers l 111/.me allemande, ou simplement les petits

cornichons d1Ed-'e•

De quel cadre gigantesque cuivre et étain devrais-je me parer, de quelle aniline éclatante enduire mes v&tements pour atteindre ce cerveau dont je voyais, l travers son iris toujours si large, la premitre brume ? (2)

Mais, le plus souvent, ce sont les choses qui

reflêtent la pensée et les sentiments des êtres, et ceux-ci peuvent alors réfléchir sur eux-a&aes et sentir avec plas d'intensité. lOus avons doané plus haut un large extrait de Simon le Pathétique oà il se plaint de l'expression

mensong~re de son univers familier, lorsqu'aprls sa désillusion avec Anne. il rentre chez lui 'perdu et

abandonné par son courage. Tout l'a trahi. Le monde qui semblait dévoué l son bonheur claae maintenant son infor-tune. On remarquera cette participation totale de la nature

Siegfried et le Limousin.p.l09. Siegfried et le Limousin.p.lO?.

(40)

34.

-l -la vie intime du héros. C1est un aspect de l'Unicité

des év~nements qui se produisent pour les héros giraldu-ciens. Tout semble cGnverger vers eux. Ils sont toujours les objets uniques de la sollicitude de la nature, les téaoins d'un spectacle sans précédent.

Pour la premi&re fois de sa vie, Stéphy voyait lt.hiver, au lieu de tourner en canicule, se résoudre en un air pur et léger. Ce bonheur, cette moindre pression que l'on goûte en été au ratte des montagnes on le goûtait aujourd'hui dans Broadway, et tous les lew-Tor,ais! dans les ascenseur-s, daas les restaurants, avaient ce maint en plus digne et loyal des gens placé:s l haute altitude •••• (1)

Mais souvent la nature aime_ se présenter 1 l'homme dans des circonstances particuli&res, toute chargée d'un potentiel de significations. Lthomme,alors, ne peut a'emplcher d'en 3tre frappé et de commencer l songer l cette demi~coincidence.

Tous deux étaient bien seuls, sur cette rive du Niagara • .NrSme en fut d'abord agacé. Il détestait ces présentations que la nature se croit obligée.de vous réserver immanqua-blement avec un inconnu d1a~pect étrange dans ce qu'elle croit ses lieux sacrés, fat~e de la tour Eiffel, pied des Pyramides, ou terrasse sur.des cataractes. Il ne croyait pas aux intentions du sort mais il était sGr de sa mala-dresse. Mame dans cette c!rconstance

ol

le.fénie entre-aetteur de la providence s'était trompé et n aYait réussi avec les précautiGns les plus flatteuses, aYee la flatterie de la neige nouYelle et du tonnerre des eaux, qu'l isoler un couple bien peu capable d'assurer la reproduction de l"esp&ce1 UD homme et un enfant, Jérôlle ne se sentait qu1l dem1 rassur6. (2}

Les Aventures de Jérôme Bardini.p.65. idem.p.l68.

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-Quant l Suzanne, elle lit dans la nature présente ce que son éloignement des hommes lui cache.

Mais l mesure que le soleil chauffait, cette troupe que je croyais d'abord uniforae, je la vis se diviser en deux. L'alliance que tous les noyés ont contre la nuit était rompue. Il y avait deux sortes de tricots deux sortes de bérets; cteat qu'il y avait eu deux nav!res, il y avait deux sortes de têtes de mains, a3ae dans la aort, deux attitudes; il y avait deux coupes de cheveux: c'est qu'il y avait deux races ••• !lors je vis la guerre. (1) . Et aussi, alors qu'elle est au comble de la dépression, alors qu •·elle sent la soli tude de la façon la plus intolé-rable, Suzanne découvre soudain dans l'immensité impénétrable de 11univera une aerveilleuse familiarité.

Ce n'est pas vrai qu'alors je voulus mourir de faia. Que je •'étendis, le corps dans l'eau, pour aourir aussi noyée. Que je laissai aa tête hors de la mer, contre un eaillou, pour mourir aussi d'insolation. ~e je pensai l tout ee q•'il y a de plus vil et de plus bas àans le aonde, pour mourir aussi d'indignité. Qae j'ouvris autour de aoi toutes les aorta comme des tuyaux 1 gaz, et j'attendis.

Mais les morts s'écart&rent, appelées vers des besognes plus riches, loin de cette enfan~ seule. Le soleil disparut,

la mer se retira; tout le ciel me donna soudain des nouvelles d'Europe: sur la Duit, de grosses étoiles poilues tremblot-taient, commè, sur le parapluie du camelot, pr&a de la Brasserie Universelle, les fausses araignées en laiton •••

Dieu ae promit que je repasserais pr&s de

ll,

cSteyée par les autobus ••• Dieu ae promit qu'un jour, dans ce aaga8in pr&a de la Madeleine, jlirais acheter pour mes enfants de fausses araignées, de fausses sauterelles, des cigares qui éclatent ••• J1éta1s sauvée... (2)

(1) Suzanne et le Pacifique.p.l56. (2) idea.p.eo.

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-Par cette familiarité retrouvée des atres et dea choses, l'univers restaure son entiêreté et toute division commune et conventionnelle entre les héros et le cadre est effacée. On le voit dans Suzanne; et c'est cette conscience d'un monde qui est à la base de la pédagogie de la charmante institutrice qu'est Isabelle. Pour elle, tout doit repr'-senter une valeur, tout doit avoir son explication syabolique. Gilbert§.- L'arbre est le frlre mobile des hommes. Dans son langage, les ·assassins s'appellent les bicherons, les croque-morts les charbonniers, les puces, les pic-verts.

Irtno.- Par ses branches, les saisons nous font des signes toujours exacts. Par ses racines, les morts soufflent

jusqu'A son ratte leurs désirs, leurs rives.

Jiola.- Et ce sont les fleurs dont toutes les plantes se couvrent au printemps.

k'Inspecteur.- Oui, surtout les épinards ••• De la sorte, aa petite! si je comprends bien, que les racines sont le vrai feui lage, et le feuillage, les racines.

Qilberte.- Exactement. (1)

Sous des dehors fantaisistes, cette interprétation de la nature suppose une attitude philosophique de l'auteur. Le monde est considéré l la fois comme une anaexe de la

conscience de l'homme et comme une possession commune l tous les hollllles. C'est à cause de ce double aspe-et que le héros giralducien est souvent incertain dans son attitude à l'égard de l'univers, tantôt il y voit le moyen de com-auniquer avec lea autres hommes, tantôt au contraire, il

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-en joue comme d'un bi-en purem-ent personnel, et peu acces-sible aux autres. C'est là la source de cette abondance de métaphores toujours surprenantes, de cette obscurité, l la première lecture, qui font que l'on sent Giraudoux, sans toujours bien le comprendre. Nous croyons pouvoir dire qu'il y a entre Giraudoux et le surréalisme une aette parenté, non pas d'école, aais d'esprit. L'un et l'aut,re, mettant l contribut;ion l'univers dans sa totalité, sont arrivés à une vision extrêmement sensible des moindres rapports entre les choses, et, parviennent presque l les confondre. Seulement, tandis que l'école souffre des excês d'une vue syst~matique, l'écrivain, ne se pliant, qu1l sa sensibilité, conserve tout son naturel et sa

spontanéité.

La notion de temps constitue la troisi~me

dimension;,, de toute oeuvre romanesque. Giraudoux n'est pas un écrivain qui a donné au temps une valeur précise et immuable. Pour lui, le temps est un instrument de mise en se~ne dont il tire des effets. D'autre part, il n'est pas sans accorder au temps une valeur philosophique comme

unité de mesure de la destinée.

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-

38-prime :.·abord asse-z indifférents au temps. Est-ce leur per-fection, est-ce leur fatalisme, ils ne sentent point passer le temps, ou, du molan.s, ils n'en ont cure.

Voici Suzanne, qui sur son tle, prend six jours pour faire son lit, la voici três vite indifférente l l'horaire humain, la voici, pour qui l'attente n'est pas une durée qui s •·étend plus longtemps qu 1 on y a va.i t song,., mais une 'ternité ol l'âae en suspens est simplement

inadaptée.

J'attendais ••• D'jl en ce temps éternel, tout se dissociait de aon passé. Alor$ que les premiers moia, j'avais gardé mes heures de pri~re, de repos, de repas, que .je m'étais crue obligée chaque jour de déjeuner, de diner, de ·Souper ••• maintenant je vivais de bananes et de mangues heure par

heure. J ''avais au milieu de la nuit dea heures de veille qui ne semblaient pas prises sur le sommeil ••• J"attendais ••• Par bonheur, les moments qui aiguisent l'attente -en Europe n'existaient point ici. (1) ·

Ce qui fait le poids du temps, c'est évidemment sa teneur en affectivité. lous voyons parfois ces &tres presqu'insensibles que sont les personnages de Giraudoux, sortir d1eux-m3mes et soudain éprouver la consistance de la durée.

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-Jours d'automne, rebelles tout le jour, mais qui, vers le soir,. suivaient servilement le troupeau des autres et devenaient le souvenir d'un jour loin d'elle, d'un jour sans elle, d'un jour sans souvenir. Plus jamais Paris ne me fournirait ainsi de ces minutes vides. (1)

Mais, en dehors de ces périodes de faiblesse, les personnages de Giraudoux sont véritablement insouciants du temps. Ils ne vieillissent pas. Si comme Edmée, ils rea-sentent URe certaine fatigue d'exister, c'est qu'ils ont dd céder l la pression de 1~ vie. Mais la plupart, comme MOise, comme Fontranges, ont pris de l'âge, mais n'ont pas vieilli. Fontranges, en particulier, reste é~onnamment jeune dans sa candeur. Susanne revient du Pacifique sans une seule de cea rides prémonitoires qui sillonnent peu l peu les autres

êtres. Enfin, les deux types les plus caractéristiques de Giraudoux, l'Apollon de Bellac et Ondine, vivent tous deux en marge du temps. Et d'ailleurs c'est justement dans

1 'histoire d ''Ondine, que la technique giralducienne du teaps

se montre dans son plein épanouissement. L'Illusionniste,

délégué du destin, fait s'envoler les années videa, et la vie se compriae, et l'existence ae condense, en quelques instants cruciaux. lul ne le regrette, c'est l peine si l'on se sent vieillir, l'important est dans cette vision

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