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L'immigration des Britanniques à Chamonix

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CRIDAF 12 février 2005

L’immigration des Britanniques à Chamonix Christine Geoffroy

MCF Paris Dauphine

Depuis deux à trois ans la communauté chamoniarde est confrontée à une accélération du phénomène d’immigration britannique. La presse écrite s’en est fait l’écho en 2004. Courrier

International notamment, reprenant un article du Sunday Telegraph, titrait : « Avalanche

d’Anglais à Chamonix ».

L’immigration des Britanniques vers les régions françaises n’est pas un fait nouveau. La ville de Chamonix a-t-elle un attrait particulier pour cette nouvelle vague d’arrivants britanniques ? Quelles sont les classes sociales concernées par ce mouvement ? Comment s’inscrivent-elles dans le schéma économique et social de la ville ? Entre attirance et répulsion la communauté des Chamoniards cherche un nouvel équilibre, parfois au prix de douloureux bouleversements.

Le 29 janvier 2004, un article publié par Courrier International, repris du Sunday Telegraph de fin 2003, mettait la commune de Chamonix en émoi. Sous le titre « Avalanche d’Anglais à Chamonix », la journaliste Charlotte Edwards avait osé parler d’une menace de sale guerre franco-britannique au sein de la cité et des communes avoisinantes. D’après l’article, les inscriptions « Putains d’Anglais » ou « English go home » fleurissaient sur les murs des devantures de commerces tenus par des Britanniques ou sur les capots de leurs véhicules. Le directeur de l’Office de tourisme était décrit comme « un homme en colère » tandis que l’indignation du maire était montée en épingle.

Depuis lors, la mairie et l’Office de tourisme accordent difficilement rendez-vous et interviews. Il m’a donc fallu dans un premier temps convaincre le maire, le directeur de l’Office de tourisme et les familles françaises ou anglaises que j’avais le projet de rencontrer que je n’étais pas journaliste. Jusqu’ici, j’ai rencontré une trentaine de personnes pour des entretiens semi-directifs qui durent de quarante-cinq minutes à une heure trente. Mon enquête n’est pas terminée et je compte la reprendre avec de nouveaux contacts au printemps. C’est donc un travail en cours de recherche que je présente aujourd’hui.

Si l’on s’en tient aux articles parus dans la presse sur le sujet des Anglais à Chamonix (Sunday Telegraph, Times, Courrier international, le Dauphiné Libéré, Libération, La Croix, les bulletins municipaux et régionaux), il semble que les relations franco-britanniques soient placées sous le signe du conflit, conflit entre Français et Britanniques, conflits entre Français anti-anglais et Français partisans d’une entente, conflits entre Britanniques eux-mêmes, les immigrants installés depuis plus de dix ans et les nouveaux arrivants qui se subdivisent encore entre spéculateurs de passage, résidents secondaires, résidents permanents et fans de la glisse prêts à vivre sur le spot dans les pires conditions.

Quelles sont les peurs et les incompréhensions qui s’expriment dans la situation actuelle ?

Tout d’abord pour une majorité de Chamoniards, la peur du nombre, donc de l’invasion : sur 10 000 habitants à Chamonix, on avance le chiffre de 1 000 résidents britanniques, d’où un mécanisme de repli sur soi d’une population à l’origine semi-rurale et structurée en catégories socio-professionnelles très marquées depuis la Seconde guerre mondiale : le monde rural, le monde de la montagne, le monde du petit commerce et celui de l’hôtellerie. Dans les années cinquante la ferme était reprise par les enfants qui participaient aux travaux des champs et aux travaux d’élevage dès leur plus jeune âge ; les fils de guides, souvent issus de milieux ruraux et qui avaient une bonne connaissance de la montagne étaient porteurs pour les clients de leurs pères avant de gagner eux-mêmes leurs galons de guide ;

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en ce qui concerne les petits commerces, le fils du boucher devenait boucher, de même le fils de l’épicier ou du boulanger qui avant de partir pour l’école ou en rentrant le soir effectuaient les travaux de livraison ; dans l’hôtellerie, on avait de grandes chances de poursuivre sur la lancée de ses parents : femmes de chambres, liftiers, grooms ou majordomes ; aux Praz, seuls les enfants originaires de ce hameau situé sur la commune de Chamonix avaient le privilège de devenir caddy des riches touristes ou résidents qui fréquentaient le golf.

Cette société traditionnelle peu mobile conserve à l’époque contemporaine des ambitions limitées. L’évolution de l’industrie de la montagne, l’évolution du commerce et de l’hôtellerie pousse les jeunes de la région à ne souvent rêver que de devenir guides ou moniteurs de ski. Déception pour celui qui ne trouve pas sa place et vient alimenter la main d’œuvre d’ouvriers des usines de décolletage de la région ou des entreprises de menuiseries. La frange de la société britannique qui arrive actuellement sur la région n’est plus seulement constituée de retraités aisés ou de touristes de passage. Il s’agit d’une population plus jeune, dynamique, entreprenante, qui n’a pas hésité à quitter son pays pour se lancer dans l’aventure française. Des liens anciens qui avaient pu se tisser par l’intermédiaire de la montagne, ne subsiste qu’une forme de nostalgie chez les plus âgés qui fustigent en bloc ces Britanniques qui ne viennent plus que pour le « business » et la spéculation.

Il est vrai que les récriminations semblent fondées. La rue des Moulins, rebaptisée parfois « Mill street » par les esprits chagrins, arbore plusieurs enseignes de pubs ou de salons de thé aux noms de « Queen Vic, Bumble bee, Dick’s tea bar » etc. A l’intérieur, le personnel parle rarement français et l’ambiance reproduit le caractère feutré des établissements britanniques. La municipalité surveille de près certains restaurateurs qui n’hésitent pas à afficher un menu exclusivement en langue anglaise.

Les chauffeurs de taxis s’inquiètent également de l’effectif toujours croissant de minibus qui proposent leurs services à leurs clients : depuis un service de navettes jusqu'à l’aéroport de Genève ou la gare la plus proche, jusqu’au service personnalisé pour rentrer chez soi après une soirée bien arrosée.

Se développent parallèlement d’autres petits commerces : vente ambulante de sandwiches ou de boissons, services de portage à domicile.

Les services sont proposés par l’intermédiaire de tracts déposés dans les cafés et les restaurants ou dans les boîtes à lettres des particuliers. Les numéros de téléphone renvoient le plus souvent à une ligne téléphonique en Grande-Bretagne

Les chalets tenus par les chalets girls qui travaillaient au départ en liaison avec les agences immobilières chamoniardes deviennent des entreprises d’hôtellerie indépendantes et sont gérées directement depuis Londres. Tout se passe en circuit fermé. Réservations et paiements s’effectuent en Angleterre. Les clients sont pris en charge depuis leur arrivée jusqu'à leur départ et ce dans les moindres détails de leur vie : logement, nourriture, moniteur de ski, sorties. Le personnel est payé en Angleterre, obligeant la municipalité à multiplier les contrôles des établissements qui ne s’acquittent pas de leurs charges ou ne déclarent que cinq chambres pour échapper à la législation sur les établissements hôteliers. Personne ne connaît le nombre exact des chalets girls (seules soixante ont pu être recensées mais certains estiment qu’il y en a plus du double). Le système draine un millier de clients par semaine et se développe par l’intermédiaire du bouche à oreille et de sites internet.

L’immobilier a connu un essor considérable : un agent immobilier de Chamonix déclare sur les quatre dernières années avoir conclu 45% de ses ventes dans le canton avec des Anglais ; l’année 2004 a vu monter ce pourcentage à 60%. Un notaire de Sallanches, ville située à une trentaine de km estime sur 2000 actes avoir conclu 150 ventes avec des Britanniques en 2003. Dans le classement des départements préférés des clients d’Abbey

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National France, la Haute Savoie et la Savoie arrivent en deuxième position des opérations immobilières après les Alpes Maritimes1.

Le climat créé par une concurrence ressentie comme déloyale et par un sentiment de spoliation du patrimoine immobilier finit par rejaillir sur une autre frange de la population britannique qui, installée depuis une vingtaine d’années pour certains d’entre eux, travaillait honnêtement et s’était parfaitement intégrée.

Cependant, comme le faisait remarquer le journal Libération2, la spéculation sur l’immobilier ne s’est pas faite sans l’aval des Chamoniards eux-mêmes. Malgré les mises en garde de la mairie et de l’Office de tourisme, nombre de Chamoniards se sont laissés séduire par la perspective de vendre jusqu'à trois fois la valeur locale de leurs biens, participant ainsi à la flambée des prix et à la spoliation de l’héritage de leurs propres enfants ou petits enfants qui ne peuvent plus s’établir à Chamonix. On redoute à l’Office de tourisme un déplacement de la population active chamoniarde vers les communes des vallées voisines, une sorte de syndrome Aspen, à l’image de la station de Megève (à quelques encablures de Chamonix), Courchevel ou encore Menton dans le sud de la France qui connaissent déjà cet exode massif dont les répercussions se font sentir jusque dans les écoles primaires, contraintes de fermer des classes par manque d’inscriptions d’enfants. La commune a déjà perdu 200 électeurs.

Le maire de Chamonix ne souhaite pas prendre de mesure pour restreindre l’accession à la propriété par les étrangers, à l’exemple de la Suisse dont certains cantons n’octroient ce droit qu’aux seuls natifs de la commune. Les solutions avancées sont la construction de logements sociaux, la mise en classement réservé municipal de tous les terrains appartenant à l’Etat (gendarmerie, armée, Sncf, Pstes, Ffrance Telecom, comités d’entreprises EDF, sud aviation, RATP, maisons familiales) ou la création de zones protégées réservées à des activités précises (par exemple une zone H= hôtel pour lutter contre la revente des hôtels en appartements).

L’immigration des Britanniques vers les régions françaises n’est pas un fait nouveau

On la connaît déjà dans le Pas-de-Calais, l’ouest, le sud-ouest, le Limousin et le sud-est de la France. Les schémas de mobilité sont souvent similaires : achat d’une résidence secondaire puis installation définitive ; préférence pour les maisons à restaurer ; achat de petits commerces, d’exploitations agricoles, de forêts, de vignes. En 2002, une étude de la Safer (Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) montrait que les Britanniques possédaient près de 3% de l’espace rural en France3. En 2003, 40% des acquisitions opérées par des étrangers en France étaient à mettre au compte des Britanniques4. La population concernée était jusqu’au début des années 2000, celle des plus de 55 ans, retraités aux revenus confortables.

Même si la tendance se confirme avec l’annonce par Foreign Currency Direct que d’ici à 2012, un Britannique sur huit de plus de 55 ans habitera hors de Grande-Bretagne5, le développement de plates-formes aériennes par les compagnies à « bas coûts » qui a accompagné ce flux migratoire a également permis à des familles plus jeunes et moins fortunées de rejoindre le mouvement. Le calcul est vite fait : entre passer plus de deux heures dans les transports urbains pour regagner sa maison en banlieue, ou bien résider en France à proximité d’un aéroport desservi par une compagnie à bas prix, entre l’impossibilité d’acheter une maison au-delà de ses moyens à Londres ou dans le centre d’une grande ville britannique et la possibilité d’accéder à une propriété deux fois moins chère en France, de

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Source : Le Monde, 11 juillet 2003.

2Libération, Chamonix vend très cher son âme aux Anglais, 5 avril 2004. 3

Source : Le Monde, 11 juillet 2003 4

Ibid. 5

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plus en plus de couples de la tranche d’âge trente à quarante-cinq ans, accompagnés de leurs enfants en âge scolaire font le choix de s’établir en France.

Des sites d’aide à la recherche de propriétés ou d’aide au conseil d’achat en France fleurissent sur Internet. Des magazines anglophones spécialisés présentent mois après mois une de nos régions françaises avec force descriptions, conseils et renseignements pratiques. Les émissions de télévision participent largement à la promotion de ce mouvement. Plusieurs feuilletons contemporains britanniques mettent en scène des personnages qui ont tout vendu pour venir emménager en France et changer de vie :

A place in France raconte les démêlés de Nigel et Nippi pour trouver et restaurer la maison

de leur rêve, leur stress, leurs difficultés de communication (ils ne parlent pas français)

A place in the sun est une émission qui présente les meilleures acquisitions immobilières à

faire en Italie, en Transsylvanie et... en France. L’animateur est filmé en France avec une famille britannique de la tranche d’âge ciblée. Le téléspectateur suit en direct les visites de plusieurs maisons, la découverte du village et des services qui y sont offerts, les hésitations des acquéreurs et leur choix final.

No going back raconte la vie d’un jeune couple qui décide d’acheter une maison à Chamonix

pour la transformer en hébergement pour touristes. On assiste à leur départ d’Angleterre, leur fête d’adieu à la famille et aux amis, au feu de joie dans lequel ils brûlent leurs vêtements de travail (costume foncé pour lui, jupe droite et veste de tailleur pour elle), leur installation précaire, leurs démêlés avec les artisans locaux, leur difficultés de gestion de leur emploi du temps, leurs déboires de cuisine, etc., etc.

Chamonix semble donc bien participer de ce même engouement des Britanniques pour la France, à ceci près que Chamonix n’est pas un village paisible isolé de nos campagnes et que le climat n’est pas celui de la Côte d’Azur.

Quelles pourraient être les raisons de cet engouement pour Chamonix ?

L’histoire des relations franco-anglaises à Chamonix peut-elle nous éclairer sur les raisons de cet attrait particulier ?

L’histoire des Anglais à Chamonix est grandement liée à l’histoire de la montagne, une montagne inconnue, menaçante, source de terreur et de superstition et inabordable par l’homme pratiquement jusqu’au XVI e siècle. L’idée même de les escalader était impensable, non seulement à cause du danger représenté, mais aussi parce que l’idée de plaisir ou de loisir était absente ; grimper s’apparentait à une corvée totalement inutile et sans aucun but lucratif.

A partir du XVIe siècle, les explorateurs s’y étaient succédés et avaient écrit leurs relations de voyages. On y trouvait, outre la description et l’illustration très sérieuses de spécimens de flore et de minéralogie, celles d’une faune terrifiante, dragons à corps de serpent et ailes de chauve-souris, monstres au pelage roux pourvus d’une tête de chat et d’une queue bifide, ou autres créatures au corps revêtu d’écailles, à la crête de coq et à la langue fourchue, toutes espèces dont ils assuraient qu’elles peuplaient cols et sommets inaccessibles.

Plus récemment au XVIIIe siècle, poètes et scientifiques étaient venus passer les « portes de l’épouvante6

» et avaient osé braver les fantômes des sorcières qui erraient la nuit sur les glaciers. Bien sûr La Nouvelle Héloïse contribua dès 1761 à développer une sensibilité esthétique alpestre. Mais on pourrait citer les lettres de Thomas Gray écrites en 1739 et relatant sa traversée des Alpes ou les Descriptive Sketches, une des toutes premières oeuvres de William Wordsworth, composée à son retour d’un voyage à pied de Calais au lac de Côme en 1790.

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C’est ainsi que Goethe, attendant en 1777 l’avis de Saussure sur l’opportunité de traverser le Faucigny et le Valais, livrait son état d’âme à sa correspondante Charlotte de Stein : « Nous sommes prêts à souffrir quelque chose et puisqu’il est possible de monter au Brocken en décembre, il faudra bien qu’en début de novembre ces portes de l’épouvante nous livrent passage ». (cité par Engel & Vallot, in Ces monts affreux, 1934.

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Quant aux peintres, ils n’étaient pas très nombreux à avoir pris le chemin des Alpes et leurs oeuvres étaient essentiellement topographiques. Néanmoins, John Robert Cozens avait pu faire deux fois le voyage en 1776 et en 1782. Les jeunes aristocrates aimaient lors de leur grand tour se faire accompagner d’artistes. Les aquarelles de Cozens se démarquaient des premières cartes alpines réalisées par ses prédécesseurs. Son influence avait été décisive sur Turner, qui, alors étudiant, s’exerçait à en copier les effets de lumière et de relief et entreprit à son tour le voyage en 1802.

On commençait aussi à reconnaître les vertus salutaires de l‘air de la montagne, un air qui « envahit tous les organes d’une espèce de quiétude et permet à l’âme de jouir de la sérénité7 ».

Dans tous les cas, la Relation d’un voyage aux Glacières de Savoie en 17418 de William

Windham, publiée d’abord en français, puis traduite en anglais et largement diffusée en Grande-Bretagne, marqua un tournant dans l’histoire des Alpes et particulièrement de Chamonix. Ce jeune Britannique de vingt-quatre ans qui résidait alors à Genève ne pensait qu’à tromper son ennui : tous les bruits qui couraient sur les vallées sauvages et infestées de brigands qu’on lui décrivait au pied de ces monts qu’il apercevait par temps clair depuis la ville même, c’était plus qu’il n’en avait fallu pour le décider à y lancer une expédition. Dûment accompagné de Richard Pococke, explorateur rompu aux voyages longs et dangereux du Moyen Orient et de l’Asie, Windham s’en était allé à la découverte des glaciers de « Chamouni ». « Après quatre heures trois quarts de marche très pénible, nous nous trouvâmes au sommet de la montagne, d’où nous jouîmes de la vue des objets les plus extraordinaires », écrivit-il à son retour. Et dans cet étonnant témoignage, premier du genre, il avouait sa difficulté à en donner une idée juste, « ne connaissant de tout ce qu’il avait vu, rien qui y eut le moindre rapport ». Sa comparaison avec la description que donnaient alors les voyageurs des mers du Groënland devait créer l’image qui forgea le nom du glacier : « Il faut s’imaginer un lac agité d’une grosse bise et gelé tout d’un coup ; encore ne sais-je pas bien si cela ferait le même effet ». La « Mer de glace » était née.

De 1741 à 1788, le voyage aux Glacières devint incontournable pour tous les voyageurs qu’ils fussent artistes, militaires, touristes ou jeunes aristocrates effectuant leur « Grand tour ». La révolution française marqua l’arrêt des voyages sur le continent, mais ils reprirent en force dès 1815 en pleine période romantique avec la visite, entre autres, de Shelley et son épouse Mary, Byron, Dickens, Tennyson. L’ascension du Mont-Blanc, vaincu en 1786 par Paccard et Balmat, devint alors un des objectifs des visiteurs. Parmi les vingt premiers ascensionnistes, sept venaient de Grande-Bretagne.

Au XIX e siècle paraissait un des premiers guides de voyage : Murray’s Handbook for

Travellers in Switzerland, 1838. Puis commença l’ère des scientifiques avec Forbes et

Tyndall, deux grands physiciens britanniques qui vinrent séjourner à Chamonix pour y étudier les glaciers. A partir du milieu du siècle se développa la grande période de l’alpinisme. Il s’agissait de conquérir un à un tous les sommets et toutes les aiguilles du massif du Mont-Blanc. Les grimpeurs les plus illustres étaient pour la plupart anglais : leurs noms de Whymper à Mummery furent donnés aux aiguilles, sommets et couloirs qu’ils avaient conquis. C’est à cette époque que se nouèrent de grandes amitiés entre les alpinistes anglais et leurs guides ; à 18 ans Douglas Freshfield rencontra François Devouassoud :

« J’étais comme un élève d’Eton riche de connaissances sur les Alpes mais pauvre en expérience de l’alpinisme. Je faisais l’ascension du Mont Blanc sous la responsabilité du

7

Jean André Deluc en 1772, physicien genevois cité par David Hill, Turner in the Alps, 1992.

8 Relation d’un voyage aux Glacières de Savoie en l’année 1741, par M. Windham, anglais, publié par l’Echo des Alpes en 1879, in « Ces monts affreux... » C.E. Engel et C. Vallot, Paris : Delagrave, 1934.

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vieux Michel Alphonse Couttet. Il choisit François Devouassoud comme second. L’expérience fut un succès. J’étais charmé par mon nouveau compagnon ».

Freshfield dira aussi de Devouassoud :

« He knows equally well when to efface himself and when to come forward. His conversation is original and entertaining. He combines the varied interests, the power of observation, and more than the ordinary power of expression of an educated man with the simplicity and breadth of view of a peasant philosopher9 ».

Les aristocrates lettrés, explorateurs curieux, amoureux de la nature et chasseurs trouvaient en leurs guides, souvent chasseurs eux-mêmes, un écho à leurs préoccupations pour la faune et la flore et la vie au contact de la nature. Ils allèrent, pour, certains jusqu'à inviter leurs guides à participer à leurs chasses en Angleterre. L’Alpine Club fondé en 1857, fut le premier des clubs alpins à naître en Europe, témoin de l’importance que ce sport avait pris dans les milieux britanniques. Les membres fondateurs se distinguaient des aristocrates qui étaient venus jusqu’alors pour le Grand Tour. La plupart d’entre eux avaient un travail et passaient leurs vacances d’été à faire de l’escalade : hommes d’affaires, juristes, curés, professions libérales, ils s’échappaient de leurs bureaux pour trouver le grand air et la montagne. (Le club alpin français ne vit le jour que 17 ans plus tard en 1874, sous l’impulsion de femmes britanniques qui n’étaient pas autorisées à devenir membres de l’Alpine Club).

Ce fut également en 1857 que le Prince de Galles, futur Edouard VII visita Chamonix et que l’Angleterre fut saisie de ce que le Times appelait la « Mont-Blanc mania », en grande partie sous l’influence de Albert Smith qui, à la suite de son ascension du Mont-Blanc, avait produit un spectacle qui pendant six ans obtint un succès populaire retentissant. Les enfants jouaient à un jeu de société intitulé « le nouveau jeu du Mont-Blanc » tandis que leurs parents dansaient le quadrille du Mont-Blanc ou la polka de Chamonix.

En 1860, ce fut le tour d’autres visiteurs célèbres : Napoléon III et l’impératrice Eugénie. Dans le même temps les touristes étrangers déferlaient à Chamonix en provenance de Genève. Faire le voyage de Genève à Chamonix, puis de Chamonix jusqu’au Montenvers pour contempler la mer de glace ne représentait plus guère de danger. Les touristes britanniques étaient de loin les plus nombreux et les classes sociales « not at all the best of all classes » remarquaient les aubergistes : ils discutaient les prix, buvaient jusqu’au milieu de la nuit, salissaient du linge inutilement, surmenaient leurs guides et de manière générale se comportaient beaucoup trop comme s’ils étaient en vacances - ce qu’ils étaient évidemment.

Un visiteur stupéfait rapporte en 1825 :

« We beheld a description of animal rather frequent in the mountainous regions - not a chamois nor a lammergeyer but an Alpine dandy. He was fearfully rigged out for daring and desperate exploit, with belt, pole and nicely embroidered jerkin - a costume admirably adapted for exciting female terror, and a reasonable apprehension, that some formidable hillocks and rivulets would be encountered during the day, before the thing returned to preside over bread and butter at the vesper tea-table10 ».

Les aristocrates qui se considéraient seuls capables d’apprécier les Alpes, étaient épouvantés par les nouveaux arrivants. William Brockedon, qui avait surpris l’accent cockney d’une famille installée à la table voisine de la sienne dans une auberge des Alpes, écrivit dans son journal :

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Cunningham, C.D. & Abney, W., The Pïoneers of the Alps, Sampson Law, Marston, Searle, 1888.

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De Beer, Travellers in Switzerland, OUP London 1949 (cité par Fleming in Killing Dragons, Granta Books, London, 2000)

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« I was struck with disbelief that such vulgarity could have reached the Great St Bernard. I only record it as a subject of astonishment, how such people ever thought of such a journey. I had no idea that the gentilities of Wapping had ever extended so far from the Thames11 ». Tandis que les Anglais se regardaient en chiens de faïence, pour les Français et les Suisses, ces touristes étaient tous du même acabit des « Yes and No tourists » comme le relatait le maître d’école genevois Töppfer en 1835 dans un dialogue entre un Chamoniard et deux Anglais12 :

« Il s’agit d’une canne à corne de chamoix que possède l’anglais. Le Chamonien : J’en fais, moi, de ces cannes.

Les deux Anglais après un silence long et plein de dignité : Uï. Le Cham. J’ai peut-être fait celle-ci, tenez.

Les deux Angl. : No.

Le Cham. Vous l’avez achetée par ici ? Les deux Angl. :No.

Le Cham. Alors, c’est à Servoz ? Les deux Angl. : No.

Le Cham. Vous venez pourtant bien de Servoz ? Les deux Angl. : Uï.

Le Cham. Il y a là le père François qui en vend. Le premier Anglais : Uï.

Le second Anglais : Uï.

Le Cham. Vous avez payé ça cinquante sous. Le premier Anglais : No.

Le second Anglais : No. Et ainsi de suite avec une dignité croissante. »

Dans une autre de ses relations de voyages, Töppfer poursuivait son portrait des Anglais : « What an armour of dignity or something else must these singular mortals possess to be able to walk for ten hours in these valleys without meeting people other than our type and without giving sign of greeting or of politeness, or even of non-ferocity13 ! »

Mais ce fut George Sand qui devait être la plus féroce au retour d’un voyage en Suisse et à Chamonix qu’elle effectua en 1836 :

« Les insulaires d’Albion apportent avec eux un fluide particulier que j’appellerai le fluide britannique, et au milieu duquel ils voyagent, aussi peu accessibles à l’atmosphère des régions qu’ils traversent que la souris au centre de la machine pneumatique. Ce n’est pas seulement grâce aux mille précautions dont ils s’environnent, qu’ils sont redevables de leur éternelle impassibilité. Ce n’est pas parce qu’ils ont trois paires de breeches les unes sur les autres qu’ils arrivent parfaitement secs et propres malgré la pluie et la fange ; ce n’est pas non plus parce qu’ils ont des perruques de laine que leur frisure roide et métallique brave l’humidité ; ce n’est pas parce qu’ils marchent chargés chacun d’autant de pommades, de brosses et de savon qu’il en faudrait pour adoniser tout un régiment de conscrits bas-bretons, qu’ils ont toujours la barbe fraîche et les ongles irréprochables. C’est parce que l’air extérieur n’a pas de prise sur eux ; c’est parce qu’ils marchent, boivent, dorment et mangent dans leur fluide, comme dans une cloche de cristal épaisse de vingt pieds, et au travers de laquelle ils regardent en pitié les cavaliers que le vent défrise et les piétons dont la neige endommage la chaussure. Je me suis demandé en regardant attentivement le crâne, la physionomie et l’attitude des cinquante Anglais des deux sexes qui chaque soir se renouvelaient autour de chaque table d’hôte de la Suisse, quel pouvait être le but de tant de pèlerinages lointains, périlleux et difficiles, et je crois avoir fini par le découvrir grâce au

11

Brockedon, Journals of excursions in the Alps, James Duncan, London, 1833 (cité par Fleming in Killing Dragons, Granta Books, London, 2000)

12

Voyage à Chamonix, 1835 : 17° voyage de son pensionnat dont Rodolphe Töppfer a écrit le récit 13

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major, que j’ai consulté assidûment sur cette matière. Voici : pour une Anglaise le vrai but de la vie est de réussir à traverser les régions les plus élevées et les plus orageuses sans avoir un cheveu dérangé à son chignon. – Pour un Anglais, c’est de rentrer dans sa patrie après avoir fait le tour du monde sans avoir sali ses gants ni troué ses bottes. C’est pour cela qu’en se rencontrant le soir dans les auberges après leurs pénibles excursions, hommes et femmes se mettent sous les armes et se montrent, d’un air noble et satisfait, dans toute l’imperméabilité majestueuse de leur tenu de touriste. Ce n’est pas leur personne, c’est leur garde-robe qui voyage, et l’homme n’est que l’occasion du portemanteau, le véhicule de l’habillement. Je ne serais pas étonné de voir paraître à Londres des relations de voyage ainsi intitulées : Promenade d’un chapeau dans les marais Pontins. – Souvenirs de l’Helvétie par un collet d’habit. – Expédition autour du monde par un manteau de caoutchouc14

». Témoins de l’importance de l’industrie du tourisme avec les voyageurs britanniques, les grands hôtels se développèrent prenant le nom de : Hôtel de Londres, Hôtel Bristol ou Hôtel d’Angleterre. A la même période 1859-60 fut construite l’église anglaise sous les auspices de l’association : « Colonial and Continental Church Society ». L’église est toujours en place et son pasteur y accueille la communauté anglaise de Chamonix et des environs. Dans le cimetière reposent plusieurs alpinistes anglais morts en montagne.

La vague d’alpinistes se tarit à la fin du siècle, il fallait bien chercher ailleurs d’autres sommets à conquérir, mais le tourisme de luxe perdura au début du XXe siècle. Entre 1910 et 1914, trois grands palaces furent inaugurés : le Savoy, le Majestic et le Chamonix Palace. Les grands hôtels rivalisaient de taille et de prestige avec ceux des stations suisses de Davos et St Moritz en Suisse pour accueillir une clientèle huppée ainsi que personnalités et artistes de renom tandis qu’étaient construites les premières grandes villas non chamoniardes. C’est ainsi que la villa Farman de style art nouveau fut construite à la fin de la Première guerre mondiale. La famille Farman15 est particulièrement représentative de la vie mondaine de l’époque : une maison à Deauville, une maison à Chamonix dans laquelle étaient organisées de somptueuses réceptions. Madame Farman était une des figures marquantes de la vallée de Chamonix : elle participait à toutes les associations mondaines ou caritatives, s’adonnait aux concours d’élégance du Majestic et présidait le curling club. En effet, les sports d’hiver étaient devenus à la mode et notamment le ski faisait son apparition. Ce fut le docteur Payot qui s’était entraîné dès 1900 en effectuant ses visites à ses malades qui introduisit la mode du ski à Chamonix. Les premières grandes compétitions furent organisées en 1908 avec le « grand meeting de Chamonix » et en 1924 avec les premiers jeux olympiques d’hiver.

En 1932 l’alpiniste et écrivain Frison Roche créait la première école d’escalade, consacrant Chamonix capitale mondiale de l’alpinisme.

Si Chamonix connut une baisse d’affluence au début des années 1960 (d’autres stations de sports d’hiver vont se développer et s’ouvrir au plus grand nombre) elle n’a jamais cessé d’attirer les visiteurs. L’ouverture du tunnel en 1965, puis la construction de l’autoroute blanche en deux étapes 1971 et 1991 contribua largement au regain du tourisme.

De toute évidence le Mont-Blanc et la vallée de Chamonix, lieu emblématique de la conquête de la montagne par l’homme, continuent d’exercer un fort pouvoir d’attraction sur les voyageurs et migrants britanniques car pour qui connaît Chamonix, on y vit sous le regard omniprésent du Mont-Blanc.

14

George Sand, Lettres d’un voyageur, A Herbert.

15 Maurice Farman, avec son frère André fut un des pionniers de l’aviation française. Leur père, de nationalité anglaise était correspondant d’un journal britannique à Paris. Leurs avions participèrent à la première guerre mondiale et ils créèrent la première ligne aérienne commerciale française Paris-Londres en 1919. Ce ne fut qu’en 1947 que les frères adoptèrent la double nationalité.

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J’aurais pu ici dresser un portrait de l’Alpine dandy contemporain ou des fêtards noctambules qui ajoutent au climat d’hostilité des Chamoniards pour les Britanniques, j’aurais pu également citer tous ceux qui, après trois ans passés sur place ne parlent toujours pas français, ceux qui à l’instar des jeunes lords passent une année sabbathique sur le continent. Mais cela ne constituerait que la partie émergée de l’iceberg et j’ai préféré concentrer mon enquête sur les résidents que j’ai rencontrés et qui s’étaient véritablement installés à Chamonix.

En tout état de cause, pour les personnes que j’ai rencontrées de toutes professions et de tous âges : jeunes globe trotters, étudiants prenant une année sabbathique, jeunes nouveaux riches achetant un bar ou montant une entreprise d’hôtellerie pour prouver à leurs parents qu’ils sont aptes au business, spéculateurs immobiliers, professions libérales, enseignants, infirmières, pilotes de British Airways, la montagne est leur passion commune. Mais cette passion, ni même la mode du ski extrême qui présente Chamonix comme la Mecque du ski sur les couvertures de magazines, ne sont les conditions suffisantes qui expliqueraient le regain d’intérêt des Britanniques pour la région et particulièrement cette frange de population qui s’y installe avec leurs enfants d’âge scolaire.

Etat des recherches Les atouts de la ville

1. Le premier et le plus fréquemment cité, c’est que justement Chamonix, à la différence des stations de sports d’hiver, est une ville à part entière où l’on peut vivre toute l’année. Même les globe trotters partis chercher les sommets jusqu’en Patagonie avouent revenir à Chamonix.

2. Sa situation à une heure de l’aéroport de Genève en rend l’accès très facile : British Airways, bmibaby, easyjet, flybe. Ironie du sort, la première ligne aérienne commerciale Paris-Londres avait été fondée par la société Farman en 1919 (les frères Farman, célèbres avionneurs français étaient nés de parents anglais). On pourrait multiplier les exemples de ceux qui profitent de ces facilités de transport. Telle infirmière à Londres travaille à temps partiel et rentre tous les quatre jours chez elle à Argentière, son mari travaille à distance grâce à Internet. Tel comptable passe la semaine à Londres et le weekend à Chamonix ; son épouse anesthésiste en congé de maternité envisage de trouver du travail sur la région. Tel couple de militaires dont le mari était basé en Allemagne et la femme dans le nord de l’Angleterre a choisi Chamonix ; l’épouse a abandonné l’armée et donne des cours d’anglais aux enfants et aux adultes. Tel autre plongeur professionnel en mer du nord rejoint sa famille après avoir passé 28 jours en caisson étanche, etc. sans parler de la communauté des pilotes de British Airways qui ont choisi de faire vivre leur famille à Chamonix.

3. La ville offre de plus le choix d’écoles publiques et privées qui, petit à petit, jouent le jeu de l’ouverture à cette nouvelle population. Au niveau de l’enseignement public primaire, un instituteur spécialisé pour les classes d’initiation visite régulièrement les écoles du secteur et assure le suivi des petits élèves britanniques. Venu d’Argenteuil où il avait travaillé pendant 13 ans, il trouve ici un public bien scolarisé déjà lecteur dans sa langue d’origine et qui apprend vite. Les Britanniques, de leur côté, déclarent admirer la qualité de l’enseignement dispensé en France. Ils comparent les deux systèmes éducatifs et soulignent le privilège de l’accès gratuit à l’enseignement en France.

Au niveau secondaire, l’école privée Jeanne d’Arc a su créer un emploi du temps qui en offrant multiples options l’après-midi s’apparente à un cursus scolaire britannique et attire de nombreux anglophones, y compris des enfants qui jusque là étaient scolarisés à Genève. Les effectifs de l’école explosent et les demandes s’alignent jusqu’en 2008 et plus.

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Les raisons évoquées par les informateurs pour le choix de Chamonix

1. Vivre avec moins de revenus mais vivre mieux : Simon, journaliste pour Sky news et CNN, est devenu artisan menuisier et vit de sa production de cale-portes en bois qu’il vend sur les marchés. Bien qu’il déclare que la vie ici revient trois fois moins cher qu’à Londres, il avoue ne pas avoir de revenus suffisants pour acheter un chalet ; il vit avec sa femme et son fils dans un logement en location.

2. Rendre ses enfants heureux. Chamonix est un véritable terrain de jeu16 pour les enfants. Ski, patin à glaces, et autres sports, ainsi que toutes les activités telles que musique ou danse, offertes dans les grandes villes se trouvent à Chamonix. De plus la taille de la ville permet aux enfants de rencontrer souvent leurs amis. Ecole et clubs permettent aux enfants de tisser des liens avec la population locale.

3. Echapper à la pression de la ville et aux conventions sociales. On n’a pas besoin d’avoir la voiture comme il faut, ni de s’habiller d’une certaine façon. A Chamonix, on se fait remarquer quand on « s’habille » ou quand on porte des chaussures de ville. La règle ici est la tenue de montagne décontractée et pas forcément du dernier chic, l’été un short, un T-shirt et une paire de tongs font l’affaire..

4. Contact direct avec la nature : désir d’un retour à une vie « saine » sous-tendue par la pureté et la virginité de la montagne. Andy, ancien grimpeur chevronné, victime d’un accident, est devenu artiste peintre et a épousé la cause des écologistes. Ses tableaux monumentaux représentent les files de camions enfumant la vallée à l’entrée du tunnel. Pour tous, Chamonix exerce une attraction en forme de ravissement à tel point qu’on peut se demander si cette population migrante n’est pas en train de renouer avec une quête du romantisme et des « sublimités » de la nature telle que définie par Edmund Burke au XVIIIe siècle. On constate, en effet, une ferveur pour la beauté de la montagne mêlée à quelques « frissons délicieux » quand on s’adonne à l’alpinisme ou au ski extrême.

Si tel était le cas, comment admettre que seuls les Britanniques seraient touchés par ce phénomène. Effectivement, à la lumière des statistiques de la Préfecture, on découvre que les Suédois résidents à Chamonix étaient plus nombreux que les Britanniques en 2003, suivis par les Italiens qui, depuis la réouverture du tunnel, reviennent investir en masse. On conçoit que d’autres Britanniques soient venus sur le site depuis 2003 mais on imagine aisément que les Chamoniards n’aient pas fait la distinction entre tous les locuteurs anglophones. Lors de mon enquête, notamment à l’école d’Argentière, on m’avait annoncé des dizaines d’enfants britanniques. Finalement, le directeur après vérification s’est aperçu qu’il avait des enfants américains, australiens, sud-africains et une petite dizaine de Britanniques. J’ai pu également rencontrer toute une équipe d’artisans suédois dans un chalet en cours de restauration sous la « supervision » d’un jeune Britannique. Le fait n’est pas isolé car les Suédois ont la réputation, auprès de riches résidents britanniques qui font appel à leurs services, d’être très travailleurs et de fournir un travail de grande qualité. D’autre part les pubs soi-disant anglais de la célèbre rue des Moulins n’appartiennent pas en majorité à des propriétaires britanniques : certains Français se cachent aussi derrière les enseignes.

En conclusion, on ne peut pas nier le phénomène de mode en Grande -Bretagne lié à l’attrait de Chamonix, ni les spéculations et économies parallèles engendrées par le phénomène. Mais il y a fort à parier que tous les spéculateurs de passage qui irritent et agacent la population, iront d’ici peu chercher fortune ailleurs car déjà il devient difficile ou peu rentable, même pour un Anglais aisé, d’acheter à Chamonix ; un premier mouvement

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semble se dessiner en direction de l’Autriche. Restent tous ceux qui sont venus s’installer avec un réel projet de vie et un désir de s’intégrer en apprenant le français et en participant à la vie locale, tous ceux qui sont amoureux de Chamonix et s’intéressent à son histoire, à leur histoire.

Se pourrait-il alors que Chamonix soit un laboratoire d’une société européenne en devenir ? Sa position géographique à proximité d’un aéroport international (à la différence des plate-formes aériennes de La Rochelle, Carcassonne ou Limoges) en fait un carrefour européen et international. A travers l’exemple de l’immigration britannique, semble se dessiner une nouvelle société de classes moyennes aisées, société très mobile dont les familles ne choisiraient plus leur lieu de résidence en fonction de leur lieu de travail mais selon des critères « hédonistes » et selon des normes éducatives redéfinies : à savoir privilégier l’épanouissement de ses enfants dans un cadre de vie idéal (vie saine, pureté de la montagne, petit paradis retrouvé où il fait bon vivre comme le dirait Théodore Zeldin), tout en garantissant leur réussite scolaire et en leur offrant la possibilité d’apprendre des langues étrangères (français, italien et allemand)

Décidément les lieux de conflit sont multiples : conflit de classe (aisée/ défavorisée), conflit de société (mobile / immobile), conflit d’objectifs éducatifs, conflit d’intérêts économiques, conflit de mentalités de travail, conflit de patrimoine historique. A quand la réconciliation ou les solutions de compromis ? Avec l’arrivée des investisseurs russes ?

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