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Introduction : Lire et dire l’architecture...

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R A I N I E R H O D D É

( 1 ) Comme le rappelle P h ilippe Boudon dans son in te rve n tio n au colloque in te r ­ écoles Rhône-Alpes (Saint-Rom ain en Gall, 22-23 nov 2001), la culture archi­ tecturale, qui porte sur l'espace a rchi­ te ctu ra l, est radicalem ent diffé re n te de la connaissance de l'architecture, qui porte sur les opérations de conception à l'œuvre lorsqu'on f a it un p ro je t d'architecture.

(2 ) On se place dans l'hypothèse où les enseignants de conception architecturale o n t eux-même cette culture.

I n t r o d u c t i o n

Lire et dire l’architecture...

DU PROJET D'ARCHITECTURE À LA CULTURE ARCHITECTURALE, DE LA CRITIQUE À LA PRATIQUE

Au vu de quelques indices et intuitions, et faute d'une investigation qui constituerait la culture architecturale dans la formation des architectes en objet scientifique, on peut penser que celle-ci y occupe une place dominante : les monographies d'architectes affichent leurs grands formats aux places de choix dans les bibliothèques des écoles d'ar­ chitecture, l'édition trouve plus volontiers son grain à moudre dans ce domaine que dans celui de la connaissance 1 et les revues alimentent un public captif autant qu'elles le construisent. Mais si l'on se focalise sur la transmission pédagogique de cette culture, le constat se nuance, et to u t semble indiquer que les étudiants doivent l'acquérir seuls. On leur demande2, à l'occasion d'un studio de projet sur les bibliothèques par exemple, d'aller voir la bibliothèque uni­ versitaire de Louis Kahn ou une bibliothèque municipale d'Alvar Aalto, à moins qu'on ne les invite à se pencher sur les bibliothèques universitaires plus récentes d'Alvaro Siza à Aveiro (1988-1995) de Mecanoo à Delft (1993-1997), ou de Pierre Riboulet, sa contemporaine exacte à Saint Denis. Mais on ne se demande pas comment ils examinent sur une réa­ lisation architecturale et on ne se donne pas toujours les moyens de construire ce type d'acquisition. L'analyse

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archi-tecturale n'est plus un genre pédagogique, et l'habitus uni­ versitaire, ici comme ailleurs, frappe. Pas plus que les étu­ diants en lettres n'apprennent vraiment à lire, à écrire, à prendre des notes (ne le savent-ils pas déjà ? 3), les étu­ diants en architecture n'apprennent vraiment à voir, à décortiquer, à critiquer. Ces opérations pratiques le sont probablement trop pour mériter que l'on s'en soucie, et l'en­ seignement du projet a fin i par occuper to u t le cursus de nos futurs créateurs. À y regarder de plus près, les critiques et contresens que cristallise le projet « à la manière de 4» n'indiquent-elles pas que la culture est plus une entrave à la création qu'un facteur de liberté ?

Imaginons que l'on interroge nos anciens étudiants sur leur culture architecturale. En nous attachant non aux excep­ tions habituelles dont to u t un chacun est fier en disant « mes étudiants » mais en regardant ceux qui sont qualifiés de « moins brillants ». Ne risque-t-on pas de voir les réponses s'attacher à quelques exemples convenus, toujours les mêmes, à ces mêmes façades trop peu regardées faute de temps, ou à ces plans qu'on n'analyse plus ta n t ils sont familiers ?

La chose s'arrange-t-elle dans la vie professionnelle, et les praticiens revisitent-ils ou étendent-ils leur culture to u t au long de leur carrière ? I l semble que non, si l'on observe l'évolution des qualités de l'architecture française, qui semble peu mobiliser ses classiques, comme Scharoun ou Lutyens lorsqu'il s'agit de concevoir une école, Aalto ou Kahn lorsqu'il faut faire une bibliothèque. Cela pourrait pourtant probablement aider la production courante à se faire plus familière et plus émouvante, invite r à plus d'hos­ p ita lité envers les usages et le quotidien, on encore ques­ tionner la quête de l'objet au profit d'une culture des rela­ tions aux contextes. L'architecture accepterait ainsi d'être l'héritière de solutions abouties par le passé qu'elle dépas­ serait pourtant dans chaque nouvelle proposition. Comme d'autres domaines, l'architecture deviendrait alors une construction collective et cumulative. Pour un architecte

( 3 ) Comme l'o n t constaté Pierre Bourdieu e t Jean-Claude Passeron (tes Héritiers :

les étudiants e t la culture, Paris, M inuit,

1964, p. 95 e t suiv.), ou Danièle Sallenave (Lettres mortes, de l'enseigne­

m ent des lettres en général e t de la culture générale en particulier, Paris, Michalon,

1995, p. 93-119).

dont le génie semble et peut faire fi de l'héritage, combien auraient besoin, comme autant de gardes-fous, de mobiliser des précédents comme pour mieux construire certaines qua­ lités de leur projet ?

(4 ) Mis au point par Philippe Boudon. Voir

Enseigner l'h istoire de l'architecture : Le projet à la manière de, Bulletin d'infor­

mations architecturales, supplément au n ° 5 7 , 1" trimestre 1981, 8 p.

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( 5 ) Par exemple les musées de Francfort (Allemagne) de la décennie 80-90 ou les résidences de personnes âgées qui fire n t l'o b je t d'une expé rim en tation en France SEPIA (Michel Conan, Patrice Séchet, J. Bordet, Eric Daniel-Lacombe e t Jean- Dider Laforgue, Mémento-stock de pro­

gram mation générative, CSTB, Paris, s.d.).

( 6 ) En particulier sur Alvar Aalto don t je rédigeais alors la monographie. Voir l'a r­ tic le ci-après dans ce numéro de Lieux

communs. Les Cahiers du Laua.

( 7 ) Auteur de la conférence prononcée le 29 ja n vie r 1997 e t in titu lé e « Le Corbusier e s t-il vraim ent un architecte ? ».

( 8 ) Auteur de deux conférences pronon­ cées le mardi 18 mars 1997 (« Mies van der Rohe in the USA : quand l'architectu­ re s o rtit de la préhistoire ») e t le mercre­ di 19 mars 1997 (« Mies van der Rohe : le surnaturel c'est du réel précis »).

( 9 ) Auteur de la conférence fa ite le 9 avril 1997 e t in titu lé e « Esthétique du d é ta il et cohérence d'ensemble : le cas de Siza ».

OU CHEF D'ŒUVRE ISOLÉ AUX LEÇONS DE L'ŒUVRE DITE COMPLÈTE, DU SÉMINAIRE DU LAUA À UN ENSEIGNEMENT

Ce sont ces constats qui sont à l'origine de mes premiers enga­ gements sur la nécessité de développer la capacité de lecture critique de l'architecture pendant des études d'architecture. Je souhaitais reprendre ce que j'imaginais être une tradition pédagogique bénéfique : la critique de bâtiment, en tant qu'exercice spécifique et construit qui invite à lire un bâti­ ment, à le comparer à d'autres, à ne pas l'isoler de ses contextes, à le juger en s'engageant, et enfin à se l'approprier. Je me souvenais de certains cours que j'avais pu faire en accompagnement de projet d'architecture afin d'aider les étu­ diants dans leurs tâtonnements ; il m'était arrivé de leur pré­ senter des bâtiments sous l'angle de leurs qualités et défauts d'usage en me risquant à des comparaisons typologiques 5, mais aussi en analysant plusieurs réalisations d'un même architecte6. Cette dernière idée d'un enseignement consacré à l'œuvre d'un même architecte me semblait pédagogiquement la plus fructueuse. J'ai donc demandé à quelques collègues de venir échanger autour de la pertinence de cet approfondisse­ ment de l'œuvre (complète) qui dépassait le commentaire du chef d'œuvre (isolé). C'est ainsi que le séminaire « Leçons de ville » du LAUA a été partiellement consacré à ces aspects pendant l'année universitaire 1996 / 1997.

I l s'agissait en fa it de donner envie aux étudiants de s'appro­ prier une œuvre. Au-delà de la question de la description en architecture, sorte d'étape objective nécessaire pour partager les bâtiments qu'on a visités avec ceux qui ne s'y sont pas rendus, il fallait déboucher sur des clés d'accès à la comparai­ son des bâtiments et à la compréhension de l'œuvre. C'est autour de cette consigne que se sont succédés Jean-Didier Laforgue7, Gilles Maty8 et enfin François Brugel9 qui clôturait ainsi le cycle inauguré avec Aalto au début de l'année univer­ sitaire.

Ce cycle de conférences devait confirmer l'intérêt d'un ensei­ gnement d'approfondissement et de croisement des bâtiments qui constituent l'œuvre d'architectes. Après la mise en place du 3e cycle intitulé « Pratiques urbaines, usages et critiques » auquel le séminaire du LAUA était de fa it jumelé en 1996- 1997, nous avons décidé avec Agnès Deboulet, co-responsable

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de cet enseignement10 avec moi-même, de centrer en partie l'enseignement sur un architecte différent chaque année. Cet enseignement verra ainsi se succéder des architectes aussi d if­ férents que Rem Koolhaas (en 1997-1998), Louis Kahn (en 1998-1999), Alvaro Siza (en 1999-2000), Hans Peter Berlage (en 2000-2001) avec un retour sur Siza pour l'année en cours (2001-2002). On pouvait ainsi travailler l'approfondissement d'une œuvre, dans lequel se rejoint ce que l'on voit, ce que l'on sait, ce que l'on croit décrypter, ce dont on fa it l'hypo­ thèse et ce qui semble acquis, que nous souhaitions travailler. Comparer les bâtiments entre eux oblige à les voir et à les revoir, et à les interroger encore. En outre, chaque bâtiment n'est plus une référence isolée, mais il renvoie à la façon dont un architecte progresse dans les questions de conception qu'il se pose. À chaque étudiant, ensuite, de reprendre ses dis­ tances, mais elles seront d'autant moins pétries de présuppo­ sés que l'œuvre n'est plus seulement reconnue mais connue. I l importe de construire sa connaissance, et de débattre des positions que cela invite à réfléchir.

DU SÉMINAIRE AUX CAHIERS, DIRE ET ÉCRIRE L'ARCHITECTURE

Les aléas de la publication s'ajoutant à ceux du séminaire, les disponibilités individuelles s'imbriquant aux effets de réseau, on retrouve au sommaire de ce numéro trois architectes modernes des plus célèbres (Aalto, Le Corbusier et Mies van der Rohe) et deux architectes contemporains (Charles Delfante et Yves Lion). La double question de l'approfondissement du regard porté sur une œuvre et d'une compréhension du proces­ sus de conception se dénoue ainsi dans un corpus hétérogène, auquel chaque auteur confère par ailleurs une posture métho­ dologique différente. Les démarches itératives et la dimension comparative se confortent ainsi symétriquement.

Mies van der Rohe (1886-1969), te l que Gilles Marty nous invi­ te à le regarder, illustre plus que to ut autre les enjeux de cette nécessité de rompre avec la fausse familiarité qui dispense de la lecture approfondie d'un plan ou d'une œuvre. Comme ces modernes de l'autre tradition que sont Aalto ou Scharoun 11, mais encore plus paradoxalement puisque son architecture se donne des airs simples, il méritait un arrêt sur image. Ses détracteurs pourraient nous dire qu'il n'y a rien à voir dans ces trames obsessionnelles, dans ce qui n'est que mirage

construc-(1 0 ) Qui trouvera son appellation d é fin i­ tiv e (« Critique architecturale e t pra­ tique s urbaines ») en 1998-1999.

(1 1 ) Colin St John W ilson, The Other

Tradition o f Modem Architecture, Londres,

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( 1 2 ) Ce don t Tom Wolfe a f a it une saga. Voir Tom Wolfe, From Bauhaus to our

House, Picador, Reading (GB), 1993.

( 1 3 ) Alpers, S vetlana, Baxandall, Michael, Tiepolo e t l'intelligence picturale

{Tiepolo and the Pictural Intelligence,

tra d u it de l'anglais par Xavier Carrière), Paris, Gallimard, 1996, 185 p.

( 1 4 ) Alekan, Henri, Des lumières et des

ombres (Livio Negri e d ito r), Paris, la

Librairie du collection neur, 1991.

( 1 5 ) Le Corbusier, Vers une architecture, Paris, Vincent, Fréal e t Cie, 1996 (réed.), p. 16.

t i f ou dans le coup de grâce porté à l'usage, alors que ses admi­ rateurs pourraient louer l'épuration portée à son abstraction... au point d'en rendre la description et l'interprétation difficile­ ment partageable. Avant toute lecture de l'œuvre, Gilles Marty pose toutefois le quasi-refus de la commande initiale du sémi­ naire qui souhaitait que l'on se penchât sur la valeur d'usage de l'architecture ; le « petit homme » cher à Aalto n'intéresse donc guère plus Mies van der Rohe selon Gilles Marty que Le Corbusier selon Jean-Didier Laforgue. Circulons, il n'y a rien à voir, il y aurait trop à redire 12, et laissons-nous porter par une lecture qui déplace le point de vue sur Mies et plus largement sur l'architecture. Comme Tiepolo13 ou Alekan14, Mies s'intéres­ se aux corps lumineux. Et peut-être qu'à cela ! Mais autrement qu'en suivant le slogan simpliste de Le Corbusier : « l'architec­ ture est le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière15». Car plus qu'à la brutalité des volumes sous la lumière exacte, Mies s'intéresse à la dématé­ rialisation et au moirage, aux reflets et aux irradiations de chaque bâtiment, à l'occupation par des vides par une lumière qui relie ou isole, aux opacités et aux brillances d'une peau désormais architecture. La lumière engagerait donc un jeu autrement plus subtil, qui toucherait les volumes en eux et entre eux autant que sur eux. Je me souviens de l'expérience d'une journée légère mais nuageuse au milieu de Westmount Square à Montréal : Gilles Marty m'avait persuadé que multiplier les heures de visite me ferait comprendre Mies. Une fois sur place, je ne pus m'arracher à cette émotion poétique et lumi­ neuse que chacun de mes gestes, chaque mouvement de nuage et chaque heure passée renouvelaient. Je me gardais bien de passer de l'autre côté du miroir en allant voir du côté de l'usa­ ge, mais jamais la surface de l'architecture ne m'avait paru si sensible.

Tout en se situant dans une perspective humaniste, la quête architecturale d'Aalto (1898-1979) n'est pas sans lien avec celle de Mies van der Rohe, de dix ans son aîné et que Gilles Marty nous a invité à lire. La jeu de ses bâtiments avec le ciel ou le paysage répond au renouvellement de la mise en scène de la villa Mairea à chaque saison ; mais les bâtiments de Mies sont des caméléons aériens et fugaces, alors que ceux d'Aalto sont terriens et plus lents. Et pour s'en tenir à la villa Mairea, on pourra mettre en relation son intérieur, si fluide qu'il peut désorienter et étourdir, avec la description de l'intérieur du

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pavillon de Barcelone que nous livre Gilles Marty. Au-delà de leur posture très différente, le Finlandais et le Germano-améri­ cain semblent partager des matrices architecturales semblables lorsqu'ils conçoivent les relations entre leurs bâtiments et les contextes, ou lorsqu'ils multiplient contradictions et ambiva­ lences ; contextes et paysages sont certes différents et lus dif­ féremment, comme leur idée de ce que doit être le dénouement de l'architecture à travers « la dure obligation du to u t » est dif­ férente. Mais l'un et l'autre participent à l'invention de l'espa­ ce moderne, et leurs exigences de conception font d'eux des « maîtres » plus que des lectores qui seraient orientés vers la reproduction 16.

Si les démarches comparatives qui touchent Aalto et Mies van der Rohe se situent dans les limites précises de leurs œuvres dites complètes, Jean-Didier Laforgue interroge le profession­ nalisme de Le Corbusier (1887-1965) en lisant minutieusement et empiriquement des projets similaires produits par ses contemporains. I l adopte en outre un point de vue qu'il parta­ ge avec l'auteur de l'article consacré à Aalto : la question de la valeur culturelle et esthétique de l'architecture ne doit pas faire oublier qu'on v it aussi (surtout ?) d'usages. Face au pilon­ nage idéologique de Le Corbusier, dont Aalto disait d'ailleurs sur le tard « Comme chacun sait, il est surtout devenu connu par ses livres 17», et que Wright dans son refus de le recevoir en 1935 tenait plus pour un journaliste que pour un architecte 18, l'auteur tente de décrypter le sens des projets en s'en tenant à leur dessin. Son regard est contradictoirement focalisé (sur Le Corbusier) et décentré (vers la culture architecturale). Ce va- et-vient permanent lui donne une arme, ou plus simplement une aide, pour pénétrer et évaluer la pertinence ou l'indigence d'un projet d'architecture ou d'aménagement. Au-delà de l'af­ franchissement du contexte et de l'usage que l'auteur constate chez Le Corbusier, c'est une leçon de méthode (de lecture de projet) qu'il nous donne : sa description tenace et rigoureuse comme son engagement pour une certaine architecture du quo­ tidien s'alimentent d'une culture architecturale et d'une démarche comparative qui construisent une véritable liberté d'opinion. Les compétences de lecture de plan dont i l dessine les contours sont différentes de la prudence polie que l'on peut trouver dans certaines commissions techniques ou dans cer­ tains jurys d'écoles d'architecture. Et encore plus de la vénéra­ tion envers un architecte qui pourrait aussi faire l'objet d'une

(1 6 ) Je reprends la d is tin c tio n de Pierre Bourdieu dans Homo academicus, Paris, M inuit, 1984.

( 1 7 ) Alvar Aalto de l'œuvre aux écrits, Paris, Centre Pompidou, Paris, 1988, p. 188.

( 1 8 ) Le Corbusier une encyclopédie, Paris, Centre Pompidou, 1987, p. 445.

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évaluation critique Que le droit d'inventaire critique ne nous empêche pas de les réévaluer, pour leurs apports et leurs erre­ ments. Ou de voir, en l'attention de l'un au « petit homme » et dans l'absence de souci de l'usage de l'autre une différence radicale dans la leçon que l'on peut prendre et dans la concep­ tion même de ce qu'est l'architecture.

Face à la tentative de comprendre (mais de ce fa it d'isoler et de particulariser à l'extrême) trois grandes figures de l'archi­ tecture moderne, d'autres auteurs déplacent la réflexion vers la dimension collective de l'aménagement ou de l'architectu­ re, se penchent sur le rôle des documents graphiques ou des échanges entre acteurs, et mettent à jo u r la dialectique conception / évaluation pour comprendre ou modifier un projet.

( 1 9 ) Sur cet e ffe t d 'a u to rité de le Corbusier, v o ir Bernard Huet, « Les enjeux de la critiq u e », Le Visiteur, n ° l , autom ne 1995, p. 94-95.

( 2 0 ) M ichel Callon, « Le tra v a il de la conception en architecture », Les Cahiers

de la recherche architecturale, n ° 37

(Situations), 1" trimestre 1996, p. 25 à 35.

Jean-Yves Toussaint et Monique Zimmermann reconstituent le jeu entre la doctrine et la pratique, les mots et les actes, les acteurs et leurs valeurs, pour montrer que la production de l'es­ pace obéit à des logiques collectives, extra-spatiales et dont personne ne peut prédire le dénouement. Une chronologie pré­ cieuse établit les étapes et objective la dissonance progressive entre le résultat construit et les intentions initiales de Charles Delfante, l'aménageur de ce projet de la Part-Dieu (Lyon). On voit ainsi le projet « dériver », pour reprendre le terme de Michel Callon 20, et procéder d'une « collusion » de logiques plus que d'une conclusion logique, d'un concours de circonstances plus que d'un concours de formes. Celles-ci voient ainsi leur statut changer, et les auteurs nous invitent à lire et à inter­ préter les plans d'aménagement en nous arrimant dans le res­ pect des acquis empiriques. Derrière ce que les plans disent d'explicite, de spatial et de synchronique, leur succession dia­ chronique et leurs soubresauts sociologiques parlent aussi. Leur forme finale et réalisée n'est incohérente et irrationnelle, comme les uns ou les autres le dénoncent, qu'en apparence. Leur genèse permet en revanche de comprendre que leur effi­ cacité réside dans le jeu auquel ils convient chaque acteur à venir pour voir ses « traductions » réalisées et vérifier de pos­ sibles « projections ». Le plan agglomère ainsi des énoncés individuels et leur confère une dimension collective, mais per­ sonne ne peut prédire son point d'aboutissement. Même Le Corbusier, dont pourtant l'époque était friande, se voit despa- tialisé, puisque les auteurs incitent à penser que son

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efficaci-té doctrinale résidait moins en une dimension urbanistique qu'en une idéologie totalitaire de dépossession de l'espace et du temps. Les interrogations de Jean-Didier Laforgue sur les compétences urbanistiques du Grand Horloger dans ce même numéro se voient ainsi complétés à la lumière des pistes ouvertes par Jean-Yves Toussaint et Monique Zimmermann.

Le point de vue de Jean-Michel Léger ne concerne ni l'œuvre dite complète d'un architecte, ni la genèse d'une unique opé­ ration. I l se centre pourtant sur un seul architecte (Yves Lion né en 1945) et sur une typologie in progress. I l se situe au moment précis où un même architecte s'interroge sur l'évolu­ tion possible du logement collectif à l'occasion de différentes commandes successives. Au-delà du récit documenté sur cette étape singulière et révélatrice, les perspectives qui s'ouvrent sont riches au regard du thème de ce numéro. Évalués, les loge­ ments occupés disent autre chose que ce que le projet annon­ çait ; le logement de l'habitant apparaît ainsi en surimpression du logement décidé et dessiné par l'architecte. Mais les traces (que les relevés habités et les observations donnent à voir) ne suffisent pas. I l faut leur ajouter les mots qui, même s'ils sont quelquefois trop repris donc trop polis, donnent du sens aux minutieux « ajustements » et aux petits arrangements certes spatiaux, mais aussi temporels. L'espace du logement est ainsi non seulement re / construit par l'habitant, mais encore re / défini par les « transactions » qui s'y déroulent21.

Tant d'inattendu et d'imprévu dans ces logements dont la conception s'est pourtant arraché aux héritages les moins questionnés pourraient décourager les architectes en mal d'éla­ borer autrement la question du logement. Comment en effet anticiper tant de dissonance entre « l'espace de conception » propre au projet d'architecture, et l'espace bâti qui est perçu et vécu ? A moins que ce type d'investigation n'invite certains acteurs du projet à reconnaître puis à problématiser les rela­ tions entre l'espace de conception et ses logiques de distinc­ tions professionnelles d'experts et les expériences partagées par les habitants anonymes d'une même culture. Cette diffé­ rence, que révèle la superposition de l'espace de conception et de l'espace des appropriations et des transactions, pourrait devenir une dissonance si on ne pense pas dialectiquement leur spécificité et leur lien. De Villejuif à Champs, chaque acteur clarifie ses positions, ses propositions, ses présupposés.

( 2 1 ) Sur la notion d'espace de transac­ tio n , vo ir Michel Conan, Méthode de pro­

grammation générative pou r l'h abitat des personnes âgées, Paris, Centre scientifique

e t technique du bâtim ent - Plan construc­ tio n , 1988.

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Les problèmes éventuels qui pourraient se poser dans l'espace se clarifient, ce qui donne un objet à l'expérimentation et une fonction sociale à l'évaluation.

De l'éco le à ses s u it e s : l a r u b r iq u e « Tr a n s/p o s it io n »

On comprend que ce souci de la relation incertaine entre l'ex­ périence pratique et l'expertise professionnelle auquel ren­ voient plusieurs articles de ce numéro touche aussi et peut- être particulièrement les jeunes professionnels qui inaugurent dans ce numéro la rubrique « trans/position ». Sortir d'une école d'architecture aujourd'hui, c'est certes se demander ce que l'on va devenir professionnellement, mais c'est aussi se demander comment mieux comprendre le monde pour mieux y agir comme pour s'y sentir plus à l'aise. Ce sont ces témoi­ gnages qui, dorénavant, seront sollicités sous cette rubrique écrite par des étudiants de l'école d'architecture de Nantes, actuels ou fraîchement diplômés, professionnels ou engagés dans des études universitaires. Le premier est directement lié au séminaire du LAUA de 1996-97 qui fa it l'objet de ce numéro et à l'enseignement qui s'y articule ; Steve Bouanchaud et Guillaume Leparoux reviennent avec l'attention complice de Célia Dèbre, sur leur approfondissement de l'œuvre de Rem Khoolhaas en 5e année et sur la culture critique qui fa it défaut dans les écoles d'architecture. Ils évoquent une pratique pro­ fessionnelle qui, au-delà de telle ou telle référence savante qui serait mobilisée, entretient une posture qui cultive les liens entre analyse, critique, culture et production. Un « simple » mémoire de 4e année permet à Virginie Loizeau de piéger les présupposés de la maison individuelle d'architecte et d'esquisser quelques axes probables du décalage architec- te/habitant. Interroger les intentions d'un concours comme l'Europan et tenter la reconstitution de ses effets comme le fa it Caroline Paul de son TPFE à son DEA donne quelques armes sur la construction de la professionnalisation et les débuts d'une trajectoire professionnelle autant que cela informe la pédagogie. Gweltaz Keromnès témoigne d'un TPFE développé du côté de l'écriture en montrant que loin d'être incompatible avec la démarche de projet dont les écoles d'architecture sont saturées, elle la décentre, l'enrichit et la renouvelle ; devenant instrument de conception, l'écriture retrouve un statut dans une formation qui tend à la marginaliser. Partageant une expé­ rience similaire initiale de l'écriture, Marie-Laure Guennoc

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nous invite à un retour similaire sur les étapes qui relient, mais recalent aussi, sa formation et sa professionnalisation ; en éclairant ces déplacements progressifs qui nous font autant que nous les provoquons, elle décentre nos routines et focali­ sations pédagogiques. Célia Dèbre ajoute à ce décentrement à travers un texte qui reprend un TPFE de son intention à sa réa­ lisation, puis montre son déplacement vers un DEA. Toutes deux témoignent de la construction d'une quête personnelle autrement plus riche que la quête de la construction d'un pro­ je t à laquelle trop souvent se limite la formation d'un archi­ tecte. Dans tous ces cas, et dans d'autres qui suivront dans cette nouvelle rubrique, l'inquiétude curieuse de territoires ou de pratiques l'emporte sur la quiétude de lendemains balisés. En « s'exposant » sous cette rubrique, ces jeunes profession­ nels montrent de rares capacités réflexives, ce qui permet de comprendre leur dynamique et de discuter de leurs positions respectives. Une école ne peut que trouver bénéfice dans ce débat, heureusement jamais clos.

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