LA FORMATION SCIENTIFIQUE
DES PRATICIENS DE L'EDUCATION SPECIALISEE QUELQUES REPRESENTATIONS
S. LARIVEE
"Ecole" de psycho-éducation Uni versité de Montréal 750 Bd Gouin Est , Montréal Québec H2C 1A6 Canada MOTS CLEFS RESUME:
FORMA TION SCIENTIFIQUE - EDUCATION SPECIALISEE RE PRESENT ATIONS .
Suite
à
une analyse de contenu des travaux de 75 étudiants en éducation spécialisée , dans lesquels ils avaient à démontrer l'inutilité de cours de méthodes de recherche, un certain nombre de représentations de leur future tâche d'éducateurs en comparaison avec celle du chercheur a pu être mis en exergue . Outre des dispositions classiques , telles "humanisme-science" "approche globale , approche réductionniste" , on retrouve un ensemble de représentations antinomIques dont par ailleurs les tâches respecti ves du chercheur et de l'éducateur donnent des points d'ancrage dans la réalité.o.
PRESENTATIONIJne des motivations des étudiants qui s'inscrivent \ des départements de scien-ces humaines appliquées réside dans l'espoir de pouvoir enfin poursuivre des études universitaires, sans être enquiquinés par des cours de mathématiques et de sciences. Tl n'est pas surprenant, d2S lors, qu'on se heurte l une fin de non recevoir plus ou moins coriace, quand, 1 l'intérieur des cours de méthodes de recherche, fussent-ils introductifs, et sans contenu statistique, on c~erche
q les sensibiliser ~ l'attitude scientifique en général et \ l'évaluation de leur praxis en particulier.
D'années en années, et ce malgré de multiples changements didactiques, les mê-mes jérémiades reviennent :'!~n cours de m~thodes de recherche, ça ne sert; rien!tl. En vue de faire préciser leurs affirmations, je leur demandai, d2S le rl6but de l'ann~e acad~mique, de d~montrer par écrit l'inutilité d'un cours de méthodes de recherche. A ma grande surprise, peu d'étudiants firent état du pa-radoxe dans lequel ils étaient plongés. Pour démontrer l'inutilité d'un cours introductif de m~t~odes de recherche et non plus se contenter d'affirmer péremp-toirement son inutilité, cela n~cessite une certaine rigueur de pensée orésen-tant de fortes connivences avec l'attitude scientifique. l'analyse des "argu-nlents I l des étudiants (N~75) a permis de dégager un certain nombre de repr~sen tations des ~ducateurs concernant l'activité du chercheur et leur propre activi-té. (1)
1. PRATI0UE VERSUS T'EORIE
- "La t~éorie au c~erc~eur, les faits 1. l'éducateur."
- "On n'a pas l'intention de faire ne la recherche; donc, \ quoi servent les cours de méthode de recherche? De toute façon, la théorie, c'est pas utile nous, on s'occupe de la réalité!1!
1.0 LES EDUCATEURS, DES 'lO"HES "T0'JT TERRAIN"
La plupart des éducateurs se présentent comme des hommes de terrain et repro-chent du m~me souffle aux c~ercheurs d'~tre décoll~s du r~el aVec leurs sp~cu lations et constructions t:léoriques.
Par3doxalernent, les mêmes éc,ucateurs s'irritent de ce que la psychologie fonda-mentale ne puisse r~pondreaux probl~mes que leur pose leur praxis (Guyot et ~~, 1974)e Ce faisant, ils accordent du pouvoir aux cherc:1eurs et \ leurs
théories, et ceux-ci, devant tant èe bienveillance, le prenne. Par exemple,il arrive fr~quemmentque des praticiens basant leurs interventions sur un mod2le
(1) Une analyse plus exhaustive des 12 représentations recens~es devrait pa-rai tre dans la "Revue Canadienne de psvcho-éducation!1, la norme de cinq pages nous obligeant \ sa~rer et dans la présentation des représentations et dans leur analyse.
l1XIl n'obtiennent pas les résultats escomptés. Ils concluent -ou on leur fait
con-clure- q une mauvaise application du modèle, sans remise en cause de son
inadé-quacité éventuelle. Autrement dit, les faits n'invalident jamais la théorie, ils invalident les éducateurs. Dommage, les éducateurs épousent ainsi le mythe de la toute puissance magique de la science. S'ils affectionnent les faits, les éduca-teurs n'en ont toutefois pas le monopole. Les théories tant décriées s'éloignent passablement des pures spéculations. Pour survivre, une théorie doit en effet trouver des échos empiriques. Gu'ils en soient conscients ou pas, les éducateurs comme tous les humains d'ailleurs, décodent la réalité en fonction d'une théorie quelconque, ou de façon plus générale de leur "image du monde", au sens de 1,at-zlawick-tl..2.l.. (1991)
D'ailleurs, le choix des mots pour décrire le comportement, révèle déj' le cadre interprètatif de l'o~servateur.Par exemple, pour décoder un même comportement,
un éducateur pourrait dire "ie trouve que Joseph intellectualise beaucoup" et un
autre, "je trouve que Joseph exerce passablement ses schèmes formels ces jours-ci". Le premier lit le réel \ travers le prisme psychanalytique, le second, ' travers le prisme piagétien. J'ai discuté ai lleurs (Larivée 1980 des i nc iden-ces théoriques et pragmatiques de ce double regard. Mon insistance porte simple-ment sur le fait que les éducateurs, partageant le vécu quotidien avec de8 enfants en mal d'adaptation, ont nécessairement un modèle en filigrane.
1.1. LEUR "C'-lOIX" : DES T'JEORIES NON FALSIFIABLES
Malgré leur allergie aux théories, force est de constater que dans leur pratique, la théorie psychanalytique filtre les faits d'observation et les discussions cli-niques. Déj\ \ l'université, les cours centrés sur l'affectivité et la psychopa-thologie sont nettement mieux prisés que les cours de méthodes de recherche. Cer -tains étudiants sont d'ailleurs surpris, voire sceptiques, quant, on leur si-gnale les efforts d'opérationnalisation de certains concepts psychanalytiques (par ex.: la relation objectale: Spitz et Gouin-Decarie; le moi:1oevinger).Ces efforts ne semblent en tous cas pas suffisants pour les inciter, adopter le critc,re de falsiabili té proposé par Popper(1973) pour juger de la validité scien -tifique d'une théorie.(2)
( 2) Ce critère stipule qu'une théorie est valable aans la mesure 0" on peut fai-re des expériences en vue de prouver sa fausseté et qu'elle résiste.
Comme il est extrêmement difficile, \ partir des énoncés de la théorie ~sych~ nalytique, de proposer une expérience qui tenterait de montrer que cet enonce est faux, l'application du critère de falsiabilité rend donc \ lui seul la psy-chanalyse sujet, caution. L'exemple classique cité dans presque tous les livres de méthode de recherche, concerne l'existence de la loi freudienne de l'Oedipe. Pour un freudien, la loi est confirmée si les individus analysés manifestent les symptômes oedipiens, mais elle est aussi confirmée en l'absence des symptômes
Pour expliquer cette attirance pour les théories conjecturales, je m'en tiendrai
pour le moment 1. trois !!ypothèses:
· Une réponse toute analytique: les étudiants qui s'inscrivent en sciences humai
-nes cherchent 1 comprendre et 1 résoudre leurs propres probl~mes.
• "La nature humaine": L'attitude scientifique n'est pas naturelle:' l'homme. Si elle l'était, son enseignement ne serait pas nécessaire (~achelard, 1938; Fouras-tie, 1972). A-t-on eu besoin d'enseigner les méthodes pré-scientifiques d'acqui-sition de connaissances? (3)Non, et pourtant l'homme s'en sert spontanément et de -puis des millénaires.La tendance naturelle de l'esprit est "d'intuitionner" le réel, et de déduire, mais non pas d'expérimenter (Piaget 1972~Tschirgi(198ü),a bien montré que le développement d'une pensée critique demande des efforts, que les raisonnements spontanés sont rarement guidés par la logique, et que dans les processus de raisonnement, interviennent constamment des variables sociales et affectives. Selon Tschirgi, le développement de l'attitude scientifique peut être miné dès le départ par cette tendance naturelle chez les humains 1 démonter ce qui doit être vrai et 1 invalider ce qui doit être faux selon leurs perspec-tives propres. Il appelle cette attitude "sensible reasoning", un raisonnement 1 base principalement d'intuition et de gros bon sens.
En fait, ses résultats suggèrent que les gens n'ont pas tendance \ utiliser le critère de falsiabi1ité de Popper pour démontrer leur point de vue et vérifier leurs hypothèses.
Or cette tendance naturelle est renforcée chez l'éducateur du fait qu'un bon
praticien "sent" habituellement "les choses", ce qui rend souvent 1. ses yeux
inu-tile, toute démarche d'expérimentation systématique.
• Le pouvoir de l'invérifiable et des mots: La relation soignant-soigné consti-tue au moins partiellement et plus ou moins consciemment une relation de pouvoir. Acet égard, les théories peu vérifiables deviennent utiles, elles permettent
l'exercice du pouvoir.
A la toute puissance de la théorie est associé le pouvoir des mots. Nommer les choses ou les évoquer rassure. Et cela demeure vrai tant pour le soigné que pour
le soignant. Quel clinicien nia pas fait l'expérience de voir des "patients"
mo-difier leur comportement du seul fait de mettre une étiquette sur leur mal? 0ue1 soignant n'a pas observé le même phénomène chez lui? Le fait de cataloguer un (2) suite- puisque le complexe oedipien peut être déclaré refoulé. (~els que soient les faits, ils confirment toujours la théorie. Une théorie qui a réponse
1 tout est non falsifiable, donc non scientifique: une expérience ne corrobore
une théorie que si elle pouvait 1 priori la refuter. (3) Voir 1arivée (J9güa ) pour une description détaillée.
comportement angoissant rassure.
2. APPROC9E GLOBALE VERSUS APPROC1E REDUCTIONNISTE
-"Nous,on s'intér·ésse \ la totalité du sujet j les chercheurs ne s'intéressent
qu'; des petits problèmes."
- l'Les;eunes dont on s'occupe ont des problèmes globaux et c'est pas en
soi-gnant une seule partie Qu'on va les aider~'.
l,'opposition"globale-réductionniste" constitue une représentation centrale qui infiltre les autres représentations recensées .. Nous verrons dans unl'prerilier temps que cette opposition est non seulement importante, mais aussi ambigüe,
am-biguité manifestée d'une part, par l'appropriation par les deux clans de
l'ap-proche systémique et d'autre part, d'une forme de réductionniste "de facto", des
nraticiens, eu égard aux diverses facettes de la personnalité. Dans un deuxième
temps, nous analyserons deux représentations découlant (branchées) directement de l'opposition "global-réductionniste": "grands problèmes-petits problèmes" et
"pourquoi-commentll•
2.0. LE S'!STEMIQTJE
Le réductionnisme constitue l'un des principaux reproches qu'adressent des huma-nistes aux expérimentalistes. Certes, les chicanes" propos des bienfaits et des méfaits de l'attitude réductionniste ne sont pas près de finir.Dès que l'on évo-que l'approche réductionniste on l'oppose" l'approche systémiévo-que. Je ferai
trois remarques ~ ce propos.
Premièrement, être réductionniste, c'est comme être \ droite Ou l gauche; n'est
-on pas toujours ~ droite ou ~ gauche de quelqu'un? Celui qui veut embrasser
l'univers, trouve toujours les recherches de son voisin trop réductionnistes et
celui qui s'attache" tel détail trouve probablement le premier inutilement
va-gue. ~ais les systèmes étudiés sont réduits. Deuxièmement, il ne faudrait pas ou
-blier que la "théorie générale des systèmes" dont découle l'approche systémique, origine des sciences exactes. Tremblay (1934) a bien vu le paradoxe dans lequel se plongeait les humanistes avec leur récupération de l'approche systémique:
ils utilisent un produit des sciences exactes comme voie d'évitement du
réduc-tionniste, Cette attitude est particulièrement fréquente chez les thérapeutes
systémiques. D'un côté, les tenants des sciences exactes étudient les systèmes
réduits, les travaux de Laborit en sont un bel exemple, de l'autre, les humanis-tes aux prises evec un système nettement plus complexe, les interactions humai-nes, continuent de manier l' intui tion. En effet, "la rigueur méthodologique des
informaticiens ou des biologistes pour comprendre un système ne se retrouve pas
chez le thérapeute d'orientation systémique. Les diagrammes complexes
représen-tant les systèmes sont utilisés dans les deux cas, mais 11. 0·...1 l'informaticien
ef-fet q partir d'un calcul mathématique complexe pour appuyer sa représentation, le thérapeute se contente de faire une flèche en s'appuyant sur son intuition." (Tremblay,P. 7) Troisièmement, la plupart des étudiants qui s'orientent vers les sciences humaines pour effectuer un travail clinique veulent soigner l'être total.
Voil\ certes un noble idéal, Les éducateurs s'intéressent évidemment aux asDects
corporels, COfnitifs, sociaux ect ..• Mais les mots \ connotation thérapeu-tique ont plutôt des résonnances affectives. Ouand entend-t-on un clinicien se plaindre que les enfants dont il a charge souffrent de mal penser ou de ne pas
voir leur contra(liction, ou de rigidité cognitive, ou de ne pas avoir accès 1 un
raisonnement abstrait CLarivée,19~O~a )? Ouand un trouble hors de la sphère affec -tive est décelé, il semble bien que l'explication finale est psycho-dynamique. 2.1 GRANDS PRO~LEMES VERSUS PETITS PROBLEMES
Les praticiens des sciences humaines, et particulièrement les étudiants,ont
plû-tôt tendance \ se poser des grands problèmes, des problèmes fondamentaux. Et en cela, ils sont cohérents : une approche globale va de pair avec le désir de rè-gler des problèmes de fond et ce n'est sans doute pas par hasard que leur modèle privilégié, l'approche psychanalytique, s'appelle aussi la psychologie des pro-fondeurs. Or, "tant qu'on a posé les problèmes en profondeur, on a obtenu des ré-ponses superficielles, naives, amphigouriques, ampoulées et boursoufflées (le mal des profondeurs, certainement)"CCyrulnik, 19~3,p.289). Pourtant, sans que les phy -siciens ne sachent ce qu'est la matière, et les biologistes ce qu'est la vie, la physique et la biologie, ont progressé comme science? Les praticiens des sciences humaines devront au moins admettre qu'il y a des inadaptés qui deviennent adaptés,
et des fous qui deviennent sains, sans qu'on puisse s'entendre sur le sens des
mots adaptation et folie? Alors, est-ce bien utile de chercher \ résoudre des problèmes de fond.
2.2 POlJROUOI VERSUS COMMENT
En acceptant de se poser des problèmes "simples" plutôt que de "grands" problèmes, les hommes de sciences ont non seulement provoqué le démarrage de la science,mais ont du même coup, opéré un véritable virage épistimo1ogique: la pertinence du
"Pourquoi" a laissé la place au "Quoi" et au "CorrnnentlT• Par exemple, Piaget ne
s'est pas demandé pourquoi les enfants acquièrent des connaissances, mais comment
ils les acquièrent. Ce faisant Piaget et son école ont fait en près d'un demi siè -cIe avancer la connaissance alors que les philosophes n'avaient fait que
discou-rir sur le sujet pendant plusieurs siècles.
En fait, les questions relatives au pourquoi des choses constituent des questions importantes, mais ne sont pas du ressort de la science. Les religions et les idéo -togie~ ~ont nettement mieux situées pour traiter ce genre de questions. Toutefois,
i l est évident que les tâches respectives de l'éducateur et du chercheur les pré -disposent en proportion différente au maniement du comment ou du pourquoi. Il est plus facile, l'homme de science de dichotomiser ces deux aspects: en tant que chercheur, il peut se centrer sur le quoi et le comment et en tant que reli-gieux ou philosophe, sur le pourquoi. Mais chacun sait que ce n'est pas parce que la tâche le permet que tel est le cas. Newton, par exemple, se servait d'argu~
ments th~ologiquesdu type "l'espace est infini .•. parce que Dieu est infinill
,
pour mieux faire passer sa conception de l'espace cosmique. Pour SR part, le
(r~)-~ducateurest en quelque sorte contraint de ne pouvoir dissocier ces deux
façons d'aborder le réél. Pourtant, dans sa pratique quotidienne, il est
concer-né au premier chef par le quoi et le comment, c'est-\-dire par la description
des comportements et des év~nernents, mais il semble hien que les situations
réé-ducatives soient le genre de situations qui demandent des réponses au Dourquoi
des comportements observés. (4)
3. INTUITION ET SPONTANEITE VF.RS'JS SYSTF.!"ATISATION ET "ES'11Œ
- "Prendre des mesures.0 4 J'aurais l'impression d'agir avec eux comme on fait
avec des cobayes!"
- "t'intervention en sciences humaines se doit d'êtTe spontanée!"
"les seules méthodes accessi bles dans les domaines 0.;'1 interviennent les
juge-ments fondamentaux de valeur et les engagejuge-ments sont la réflexion et l'intui-tion ." (Piaget,1972,0. 47), Effectivement, l'intuition, comme d'ailleurs tou-tes les mét~odes pré-scientifiques, s'avère un procédé efficace en rééducation
même s'il a ses limites. Et vouloir exporter le paradigme expérimental propre aux
sciences dures dans le camp des sciences humaines pose plus d'un problème.
La méthode expérimentale entraîne le morcellement des probl~mes traités et carré
-lativement les réduit \ des aspects observables. Or le lot quotidien de l'éduca -teur est aux antipodes: il se trouve le plus SOUVent confronté'> des problèma-tiques globales dont il est difficile d'isoler les éléments. S'il désire isoler
des facteurs d'une situation, l'éducateur se place alors en situation d'échec.
En psychologie, des procédés statistiques, tel l'analyse de variance, permettent dans certains cas, de 1u8er des influences réciproaues de olusieurs variables
(4) Pourtant, l'école de Palo Alto (",JatzIawici ( etaI.1975,lC)~l) a développé une
approche thérapeutique centrée sur le comment e~n plus sur le pourquoi. Leur
approche est qualifiée de psychothérapie brève sans doute par opposition \ la
psychothérapie analytique, interminée et interminable. L'examen de la nature des
résistances des intervenants sociaux \ laisser tomber les pourquoi, malgré sa
pertinance, déborde malheureusement le cadre de cette présentation (T~rivée,
simultanément en jeu; le paradigme expérimental n'offre rien de tel \
l'écuca-teur.Devant cet obstacle, bon nombre d'éducateurs concluent \ l'inutilité de l'approche scientifique et se rabattent sur les méthodes des pré-scientifiques, oubliant du même coup qu'entre les oeuvres de bonne volonté et le plan expéri-mental, "carré latin", il reste amplement de place \ un peu de rigueur. Cette attitude provient en partie d'une confusion entre méthode expérimentale et
atti-tude scientifique, méthode expérimentale étant associée 1 une mozaïque de mots
, connotation mathématique (mesure, statistique, chiffre, forma1isation,etc ••. ) Qui se renforcent les uns les autres et en dehors desquels il n'y aurait point
de sc ience.
Il semble en effet difficile de leur faire dissocier rigueur et mesure chiffrée, de leur faire admettre que l'attitude scientifique relève aussi d'un état d'es-prit, d'une manière d'envisager les problèmes. Les éducateurs veulent bien admet -tre l'utilité des statistiques lorsqu'elles sont appliquées \ des groupes, mais ils leurs récusent toute utilité lorsqu'appliquées \ des individus. Réduire le
comportement \ quelques équations non seulement répugne au clinicien, mais va q
l'encontre de son expérience: la richesse, la densité, et la complexité du réel ne se laissent pas résumer, une formule statistique, pourraient-ils dire. Une des conséquences de cette attitude souvent déplorée d'ailleurs par les
édu-cateurs eux-mêmes, est qu'ils laissent ainsi aux autres PSY un pouvoir q deux
volets : non seulement ceux-ci imposent leurs théories, mais les éducateurs laissent aussi aux chercheurs le champ libre pour "mesurer" \ leur façon et
se-lon leurs critères évidemment, l'efficacité des interventions des éducateurs.
4. C"JALELTR VERSUS FROIDEUR
- ""Le jeune a besoin de chaleur et d'amour."
- "On travaille avec des sentiments, pas avec des boites de conserves!" La chaleur du clinicien et" la froideur du scientifique constitue une opposition
solidement ancrée, non seulement chez les praticiens, mais aussi chez le
tout-venant. Les futurs praticiens n'ont donc pas de mal \ se laisser convaincre que la chaleur humaine constitue un ingrédient essentiel \ leur action rééducative et thérapeutique. L'observation quotidienne présente un certain nombre d'exem,. pIes qui contredisent cette représentation. Règle générale, les praticiens sont certes chaleureux, mais qui n'a pas observé la rigidité quelquefois glaciale de certains éducateurs dans l'application de leurs principes de rééducation?
Cer-tains praticiens sont tellement "sérieux", qu'ils en oublient les comportements chaleureux de base: sourires, touchers, proximité .•. etc. De toute façon, même
\ l'intérieur du clan des humanistes, la chaleur n'a pas la même valence. Le
comportementa-liste du behavioniste puisque celui-ci fraie avec la mesure.
5. CERTITUDE VERSUS D0UTE '1EnODF)UE
Une des caractéristiques de l'attitude scientifique concerne le doute méthodique et les étudiants le reconnaissent volontiers :
- "Il existe beaucoup èe contradictions \ l'intérieur des diverses recherches
portant sur un même sujet. La science n'est jamais certaine •.. c'est inutile".
- llLa science ne peut pourvoir de réponses i tout, ne peut apporter des
certitu-des, alors, elle devient une approche inutile pour l'éducateur qui a bèsoin de
réponses, et de certitudes et ce sans ambiguité, et sans délai."
- "Nous ne savons pas qui croire lorsque deux autorités compétentes proposent
deux croyances opposées et incompatibles."
Si de tels propos apparaissent incompatibles avec le travail du chercheur, il en
va autrement lorsqu'on considère celui de l'intervenant social. Le doute
métho-dique conduit q la limite q deux effets contraires. Dans un cas, il fait avancer
le domaine investigué par le chercheur. Dans l'autre, comme l'intervenant social
a pour fonction d'intervenir, la constante remise en question risque d'aboutir
l'inaction, q la paralysie. Alors que pour le chercheur, le doute méthodique a valeur de survie, dans le cas de l'éducateur, il confine q l'inefficacité. De plus, souvent centré sur l'efficacité \ court terme, le besoin de certitudes se fait douloureusement sentir. On m'objectera que l'éducateur prend du temps lors de journée d'études par exemple, pour réfléchir sur la valeur de son action et
dans bien des cas, pour la questionner. Cela est vrai, mais quelque soit
l'abou-tissement de ses cogitations, le feu de l'action sera encore 1\ pour lui rappe-ler le peu de place \ laisser au doute.
A la décharge des praticiens, il faut admettre que la vie avec le doute est rela -tivement plus facile lorsque l'objet d'étude est phvsique ou chimique. te vécu partagé avec des enfants inadaptés rognedéj\ sur le peu de certitude disponible; vivre avec un doute constant pour fins d'investigation de l'objet étudié, l'hu-main, cela exigerait probablement une dose de sécurité personnelle quasi
inhu-maine.
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