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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Le rationnel et l'expressif

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Academic year: 2021

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LE RATIONNEL ET L'EXPRESSIF

Elisabeth CAILLET

Action Culturelle, Direction des Musées de France

MOTS-CLES : ARTS ET SCIENCES - CONCEPT - CREATION - ART CONCEPTUEL

RESUME: Les relations entre arts et sciences exigent que l'on connaisse mieux les processus de création propres à chaque spécialiste. Comment les artistes se saisissent-ils des concepts scientifiques, en particulier mathématiques? On trouve ici une esquisse que l'auteur établitàpartir de trois artistes de l'Art Conceptuel: Kosuth, Sol Lewitt, Venet.

SUMMARY : The relations between arts and sciences demand a better knowledge of creative process, typical of each specialist one. How the artists use the scientifics concepts, specifically mathematics' ? That is what the author frames with three conceptual artists : Kosuth, Sol LeWitt, Venet

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1. INTRODUCTION

On parle de façon commune des relations étroites entre arts et sciences. C'est un sujet d'expositions, de manifestations (rencontres de Rennes chaque année, colloque de la Villette en 1988 : "Vers une culture de l'Interactivité1",journées de la vidéothèque de Paris en janvier 1990), d'associations (Arstechnica), et les entreprises elles-mêmes considèrent qu'elles peuvent trouver profit à sponsoriser des artistes afin de développer leur imaginaire (ex. "Matières Prochaines", artistes travaillant le matériau plastique avec des ingénieurs et des techniciens). TI me semble aujourd'hui nécessaire de tenter de clarifier quelques points concernant ces relations qui deviennent de plus en plus vagues et falsificatrices tant de ce qu'est le travail des artistes que celui des scientifiques et des technologues. Je ne peux en si peu de temps que proposer l'esquisse d'une démarche vers laquelle je souhaiterais que des travaux s'engagent. Il s'agit de regarder d'un peu plus près quelles sont les questions, les problèmes que posent les artistes qui se saisissent d'objets qui ont,àpremière vue, rapport avec les objets des sciences: êtres mathématiques certes, mais on ne saurait s'y limiter et il serait nécessaire de regarder du côté des matériaux (le plastique interrogé par Jacques Bernar par exemple) et de l'informatique dans sa dimension interactive en particulier (projet Biba de Piero Gilardi, exposé en décembre au musée des Arts Décoratifs).

2. LES RISQUES POSSIBLES

J'évoquerai pour commencer les deux risques que je soulignais, au colloque de la Villette par exemple,àpropos du manque de clarté dans les modes d'intervention d'artistes dans un contexte scientifique et technologique comme celui de la CSI.

A - Le risque pour les artistes de voir leur travail renvoyéàune pédagogie des sciences et des techniques: une tendance existe qui considère que l'art offre au grand public des moyens d'accéder plus facilement que par la démarche d'apprentissage aux concepts scientifiques ou aux dispositifs techniques. On a vu dans la CSI comment ce présupposé conduisaitàfaire purement et simplement disparaître le discours des artistes (cf. "Le Bon Robot" de Roussi et "L'Escalier du Progrès" de Varini). Plus récemment j'ai eu connaissance d'un document d'aideàla visite conçu par le RiksutstlUlningar (Suède) : "une rencontre entre l'image et les mathématiques" à propos d'une exposition itinérante appelée: "le kaléidoscope s'ouvre". On peut y lire : "Naum Gabo". Ce stand porte le nom d'un artiste russe. Il tendait des fils entre deux points d'un cadre, créant ainsi des sculptures faites de courbes et de motifs. Vous pouvez utiliser le "Naum Gabo" de l'exposition à votre façon - en tendant les élastiques ou en suivant une série de nombres" (guide p.17).

B - Le risque pour les techno-sciences de se voir réduites àdes résultats ne tenant pas compte des processus qui ont permis d'y aboutir - ce qui interdit qu'on les comprenne et surtout qu'elles ne pèsent comme des vérités absolues.

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les spécificités de chaque type de travail, surtout lorsqu'ils travaillent sur des objets qui sont les mêmes en apparence ou qu'ils travaillent ensemble (dès qu'il s'agit de nouvelles technologies on voit d'indispensables associations entre ingénieurs/techniciens et artistes).

3. L'ART EN TANT QUE CONCEPT

3.1. Kosuth

Que se passe-t-il quand un artiste se saisit d'un concept fonnel, tels ceux que l'on trouve en mathématiques, en logique ?Je prendrai l'exemple de Kosuth, l'un des fondateurs de l'Art Conceptuel. Apparemment, on n'est pas très loin de Léonard de Vinci déclarant que l'art est"cosa mentale".Pour Kosuth, "l'art est conceptuel, non sensible". Depuis1966ilintitule toutes ses oeuvres "An as idea as idea". Il expose des définitions de mots, extraites du dictionnaire, tels "an", "painting", "water", "white". Les définitions sont la forme de l'oeuvre etsasignification en ce que les mots définitionnels servent de renvoi vers d'autres mots en une parfaite tautologie. L'an parle de l'an."Si nous continuonsàconsidérer les formes artistiques comme étant le langagedel'art, nous comprendrons alors qu'une oeuvre d'an est en quelque sorte une proposition avancée dans le contexte artistique en tant que commentaire sur l'art". L'art est une pensée au même titre que la philosophie ou les mathématiques. C'est ainsi que Kosuth a conçu la récente exposition "Wittgenstein: le jeu de l'indicible", lors de la Sécession de Vienne de septembre-octobre1989.

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montre la façon dont l'art se fait et dont les artistes pensent; opération complètement différente dece qu'en disent les historiens d'art qui sont attentifsàl'histoire, nonàl'art, dit-il.

3.2. Sol Lewitt

Lesecond exemple nous rapproche encore de notre propos: il s'agit également d'un artiste fondateur de l'art conceptuel. En1965Lewitt met au point les éléments qui dorénavant composeront toutes ses structures : des pièces de fonne géométrique simple (horizontales, verticales, carrés, cercles...) qui seront combinées selon un rapport toujours le même(1/8,5).Chaque pièce organise les éléments dans l'espace. Elles sont peintes en blanc pour des raisons plastiques (la plupart des lieux où il expose, galeries ou musées, ont des murs blancs, et la couleur blanche des pièces adoucit son travail, dit-il). En1967ilécrit (Sol LEWITI,1967(1» :"Dans l'Art Conceptuel l'idée ou le concept est l'aspect le plus importantdutravail.Quandun artiste utilise une fonne conceptuelle d'an, cela signifie quetoutce qui concerne la progranunation ou les décisions est accompli d'avance et que l'exécution est une affaire sans importance. L'art devient la machine qui fabrique l'art. Ce genre d'art n'est pas théorique, ne vient pas non plus pour illustrer une théorie;ilest base d'intuition,ilest liéàtoutes sortesdeprocessus mentaux et ne poursuit aucun objectif Il ne dépend généralement pasdel'habileté manuelledel'artiste. L'artiste dontl'anest conceptuel veutfaire en sorte que son travail soit quelque cOOse de mentalement intéressant pour le spectateur;ilaimerait en règle générale que cetandevienne émotionellement sec. Il n'ya cependant aucune raisondepenser que l'artiste soit là pour ennuyer le spectateur...".

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Par la suite (vers 1968) il réalise des oeuvres sur les murs; "Wall Drawings". L'artiste en conçoit le projet qui est ensuite réalisé par des assistants. A leur propos il écrit (SolLEwrrr,1978(2» : "Par réaction contre l'idée selon laquelle la sensibilité de l'artiste s'exprime

tout au long de la productiondel'oeuvre, j'étaisàla recherche d'une méthode d'organisation plus objective. Finalement cela aboutitàune théorie de l'art qui affirmait quelaconception originale (ou peut-être l'intention) de l'oeuvre d'art était de première importance et que le travail devait être exécuté sans aucune déviation. Cette théorie faisaitdel'artisteàlafois un penseur et un créateur beaucoup plus qu'un artisan. D'autres personnes peut-être plus compétentes pouvaient réaliser le projet de l'artiste. Par analogie avec la musique on pouvait dire que l'artiste avait le rôle du compositeur plutôt que celui d'exécutant".

Ce que pense l'artiste peut donc porter sur des êtres qui sont aussi l'objet de travaux de scientifiques. Je reprendrai ici deux définitions de Lewitt concernant deux de ces êtres; le nombre et l'axiome, simplement pour souligner la différence d'approche qui en est faite par l'artiste et le scientifique(HARVAY, 1987(3».

- le nombre: "Nos facultés perceptives nous permettent d'enregistrer immédiatement et

avec exactitude une dizaine d'éléments, sans avoiràcompter. Une fois dépassé ce seuil numérique, on se contente d'évaluations approximatives, dont l'imprécision croft avec le nombre d'éléments. Rares sont ceux qui voudraient entreprendredecompter la multitude de lignes qui parcourent un dessin de Lewitt, mais leur nombre est trop élevé pour rester approximatif. On en connaft le chiffre exact. Il ne faut pasyvoir un intérêt pour le nombre en tant que tel, comme c'est le cas chez les mathématiciens Frege ou Cantor par exemple, ni un jeu destinéàl'imaginaire irrationnel. Lewitt ne s'intéresse pas au nombre en soi maisàdes nombres déterminés, etàl'effet qu'ils sont susceptibles de produire.Laprécision quantitative est indispensable, car un chiffre précis génère certaines qualités spécifiques.Laqualité est un attribut de la quantité et Lewitt, dans cette mesure, se doit d'accepter le résultat esthétique de sa décision numérique".

- l'axiome; "On définissait autrefois l'axiome comme une vérité en soi évidente. On le

considère plutôt aujourd'hui comme un postulat commode, le fondement d'une argumentation systématique indépendante de la vérité factuelle. C'est la relation existant entre la proposition dérivée et le postulat de base qui importe, La procédure exclut toute incohérence, "déformation" ou "arrangement".Siles conditions sont correctement respectées, ilfaut en accepter le résultat logique. Chaque dessin représente un axiome formulé par l'artiste. Par conséquent, toute velléité d'intervention visant à modifier le résultat rendrait le système caduque".

Il faut ajouter que ces propositions se complètent de beaucoup d'autres qui concernent des éléments non mathématiques: le contexte artistique dans lequel Lewitt travaille, la réception que le public a de son travail, les rapports qu'il entretient avec d'autres artistes (Morellet par exemple).

Quoi qu'il en soit, il me semble quelasaisie d'éléments mathématiques, géométriques ou autres ne relève pas d'une interrogation sur l'être mathématique ou géométrique en lui-même. Il s'agit de règles que tout artiste se donne (individuellement ou collectivement) et dont il observe les effets en termes d'oeuvre et de réception.

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3.3. Bernar Venet

A lafindes années 60. l'Art Conceptuel pose qu'il n'est plus nécessaire de réaliser une oeuvre d'art pour la valider:ilsuffit qu'elle existe au niveau du concept, de l'esprit. Bemar Venet cherche à aller encore plus loin: pour lui,ilest possible de présenter de pures conceptions de l'esprit. Cest en 1970qu'il découvre les travaux de Jacques Bertin. Il décide alors de passer de la ré-élaboration des dessins techniques sur lesquels il travaille depuis quelques temps à "la représentation graphique de problèmes pouvant être résolus"(vANDERMARCK,1988(4»)

La distinction que le sémiologue établit entre les signes pansémiques, polysémiques et monosémiques, tente Venet:

- les signes pansémiques, ce sont la musique et les images non figuratives, puisqu'ils ont uneinfinitéde sens ;

- les signes polysémiques, ce sont le langage et les images figuratives qui ont plusieurs sens, mais la pluralité de ces sens est défmie, épuisable;

- les signes monosémiques, tels les mathématiques et les arts graphiques, qui n'ont qu'un seul sens.

"Le caractère pansémique de l'image non-figurative comme le caractère polysémique de l'image figurative procèdent de l'ensemble des signifiants contenus dans les images en question. Comme il n'existe pas de code pré-établi, leur interprétation varie en fonction de la nature et du nombre des signifiants, et aussi en fonction de l'aptitude du sujet àpercevoir et déchiffrer leur message. Un discours ou un portrait n'admet qu'un nombre limité d'interprétations, alors qu'un morceau de musique ou un tableau abstrait constitue de parfaits exemples de communication pansémique: la somme globale des signes émis signifie tout en général, et rien en particulier. Pour Bertin, l'image graphique (...) est un signe monosémique par excellence. Il cite plus précisément les schémas, les figures géométriques, les courbes et les dessins industriels qui jouent un rôle primordial dans une communication efficace des données scientifiques et techniques."

En 1970 Venet compose un tableau qui reprend le schéma explicatif de Bertin etilintitule cette oeuvre: "Degrés d'abstraction d'après Jacques Bertin".Letravail a alors pu être considéré par Roland Barthes lui-même comme "le degré zéro de la peinture" puisqu'en effet le travail de l'artiste consiste à présenter tel quel un être mathématique qui s'auto-désigne sans qu'aucune autre interprétation ne puisse lui être affectée. De l'ami-peinture, pourrait-on penser! Non, car Venet cherche à traiter les problèmes mathématiques comme Cézanne traitait les pommes. Alors que le regard scientifique propose quelque chose qui estàlire, Venet propose la même chose maisà contempler.Tel est exactement le déplacement que propose tout artiste: suspendre la lecture et la remplacer par cet autre regard qui met une distance, pose unedifférence par où l'être de l'homme, ou ce qu'il en reste, transparaît.

Dès lors Venet coupe en deux ensembles les oeuvres d'art qui utilisent les mathématiques: - d'une part les oeuvres qui en font un usage constructiviste, au sens où les Russes ont si bien su le développer, usage qui a conduit à tous les travaux sur les structures primaires (Sol Lewitl par exemple) ;

- d'autre part les oeuvres qui en font un usage linguistique soit un usage dans lequel l'oeuvre s'auto-dénote, ne fait référence qu'à elle-même. "Dans le travail (de certains poètes), seule est à

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considérer la forme verbale, dans certains cas la tautologie, dans d'autres l'utilisation de l'antinomie ou encore le décalage de niveau" (JanVAN DER MACK,1988(4).Cetravail, Venet l'effectue sur les signes mathématiques, ou sur des formules de physique. Ce qu'il donne"àvoir" c'est "la structure sémantico-syntaxique" du système linguistique des mathématiques. L'oeuvre de Venet s'inscrit dans ces oeuvres rationnelles qui s'opposent aux oeuvres expressives, expressionnistes qui jouent sur l'adhésion du spectateur aux fantasmes de l'artiste. L'oeuvre rationnelle se veut un processus de connaissance discursive, oeuvre "qui construit son objet par son organisation de concepts dans un champde validité précis".

On voit donc ici comment le rationnel et l'expressif traversent le travail même des artistes, même de ceux qui se saisissent d'objets ou de règles mathématiques pour conduire leur travail d'artiste. La distinction entre art et science, loin de recouvrir la disjonction entre les deux tennes (rationnel, expressif) en montre la nécessaire intrication.

En conclusion tout à fait provisoire je dirai que l'approche du réel par les artistes ne relève ni du rationnel ni de l'expressif. Elle manifeste, plus, elle démontre qu'il est possible de rendre sensible la pensée en train de penser sur elle-même, sur le monde, sur les autres fonnes d'expression.

4. BIBLIOGRAPHIE

(1)SOL LEWITI, 1967. -Les paragraphes sur l'Art Conceptuel.

(2)SOL LEWITI, 1978., -Catalogue. The Museum of Modern Art, New York.

(3)HARVAy (M.),1987. - Notes sur les Dessins Muraux de Sol Lewin.InCatalogue Art Minimal,

CAPC Musée d'Art Contemporain, Bordeaux, 2, p. 46.

(4) VAN DER MACK (J.), 1988. -Bernar Venet. Ed. La Différence, p. 20, p. 24, p. 32, p. 31

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