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La conscience de soi illusoire : Derek Parfit et ses critiques

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Academic year: 2021

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(1)

LA CONSCIENCE DE SOI ILLUSOIRE : DEREK PARFIT ET SES CRITIQUES

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN PHILOSOPHIE

PAR GABRIEL LACOSTE

(2)

UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques

Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

(3)

Je débuterai ce mémoire en remerciant tous les proches qui en ont accompagné la réflexion durant de longues années: Lysiane Goulet-Gervais, Mathieu Tremblay, Dominic Gagnon, Jean-Nicolas Paul, Julie Roussil, Vincent Perron, Maxime Lefebvre, Guillaume Fleurant, Hughes Jutras, Édith Plourde-Bérubé, Pierre-Yves Rochefort, Anton Uvarov, Marie-Lise Chrétien-Pineault, Gabriel Proulx, André-Anne Robert, Ève Salvas, Marise Daigle, Guy Rolland, Marc-André Langelier, Laura Darche, Caroline Guy, ma mère et ma sœur. C'est grâce à leur présence, ainsi qu'à leur réaction sympathique, hostile, sceptique, confuse ou indifférente que j'ai dû constamment ajuster mes hypothèses, mon langage et mes perceptions à une réalité extérieure plutôt que de me laisser errer librement vers des pistes qui ne mènent nulle part. Ce sont eux qui m'ont rendu profondément méfiant de la conscience que j'ai de moi-même. Je remercie également Denis Fisette, Mauro Rossi et Alain Voizard pour l'encadrement de mon projet. Ceux-ci m'ont permis de mesurer l'état de ma réflexion relativement à sa cohérence et à sa clarté. Je tiens également à mentionner au passage l'apport inestimable des usagers du programme l' Ancrage-Delta de l' Armée du Salut pour personnes aux prises avec des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie. J'y ai travaillé durant des années. Leurs expériences d'échec, d'adversité et de succès quant à la réalisation de l'image qu'ils ont d'eux-mêmes m'ont permis de comprendre les enjeux associés aux illusions de l'Égo avec une profondeur inestimable.

(4)

DÉDICACE

À mes grands-parents et à mon père, qui sont décédés. Leur mort aura été l'occasion première de philosopher sur la nature de mon existence, au même titre que ma naissance aura donné un sens à la leur.

(5)

DÉDICACE ... .iii

RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS ... iv

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE I INTUITION D'ÊTRE UNE CHOSE PRÉSENTE À LA CONSCIENCE ... 7

1.1- Contexte historique ... 9

1.2- Réductionnisme de Parfit ... 12

1.2.1- Distinction réductionnisme et non-réductionnisme ... 12

1.2.2- Indétermination ... 15

1.2.3- Rôle du réductionnisme dans le contexte ... 17

1.2.4- Argumentation de D. Parfit ... 19

1.3- Objections substantialistes ... 26

1.4- Présence d'une chose dans le flux de conscience ... 32

1.4.1- Lecorps ... 33

1.4.2- La cause de nos processus mentaux ... 34

1.4.3- L'interruption du potentiel de conscience ... 37

(6)

V

CHAPITRE II

AUTORITÉ À LA PREMIÈRE PERSONNE ... .43

2.1- Dépersonnalisation de la mémoire ... .44

2.1.1- Problème de circularité ... .44

2.1.2- Thèse de la description complète impersonnelle ... 44

2.1.3- Arguments ... 45

2.1.4- Implications sur la nature du moi ... .4 7 2.2- La mémoire comme source d'informations fiables et spontanés ... .48

2.2.1- Immunité à l'erreur d'identification ... .49

2.2.2- Illusion ou hypothèse confirmée de l'extérieur ... 50

2.2.3- Ensemble de présomptions acquises permettant l'action ... 51

2.2.4- Moi comme immersion dans un contexte autorisant un type de connaissance ... 51

2.3- Superfluité du moi dans la mémoire ... 54

2.3.1- Caractéristique non-spécifique à la 1 ère personne ... 55

2.3.2- Isoler l'identité du contexte autorisant des représentations spontanées ... 5 6 2.3.3- Support aux quasi-mémoires ... 61

2.4- Présence de l'illusion cartésienne ... 62

(7)

2.4.2- Dimension contre-intuitive du réductionnisme et de ses critiques ... 65

2.4.3- Dissolution de la séparation radicale entre deux perspectives ... 66

2.5- Résumé ... 68 CHAPITRE III LE CONTEXTE DE NARRATION ... 70 3.1- Approche de D. Parfit ... 72 3.1.1-Morcellement ... 73 3.1.2-Passivité ... 76 3.1.3-Brièveté ... 77 3.2- Le moi narrateur. ... 77 3.2.1- M. Schechtman ... 78 3.2.2- A. Rudd ... 80 3.2.3- Dimension active ... 80

3.2.4- Application à la fission et aux séquences désignées par« ceci » ... 82

3.2.5-Résumé ... 83

3.3- Réponse aux objections centrées sur le contexte narratif. ... 84

3.3.1- Données empiriques ... 84

3.3.2- Conditions non-nécessaires et insuffisantes ... 86

(8)

Vll

3.4- Synthèse ... 89

3.4.1- Observations courantes ... 90

3.4.2- Les intmt10ns sous-jacentes au postulat d'une unité de signification ... 94

3.5- Résumé ... 97

CHAPITRE IV UNITÉ DE L'EXPÉRIENCE DE SOI EN UN INSTANT ... 99

4.1- L'argumentation de Parfit ... 101

4.2- Possibilités empiriques d'une division de l'expérience consciente ... 103

4.2.1- Les cerveaux divisés ... 103

4.2.2- Critiques de leur utilisation ... 104

4.2.3- Support à leur utilisation ... .104

4.2.4- Synthèse de la discussion ... 106

4.2.5- Résumé ... 110

4.3- Possibilité conceptuelle d'une division de l'expérience consciente ... .111

4.3.1- Moi défini comme entité à double face, publique et privée ... 111 4.3.2- Autoréférence à la première personne occasionnellement publique et divisible ... 114

4.3.3- L'attribution à soi comme intuition théorique confuse ... 117

(9)

CHAPITRE V

L'IMPORTANCE ... 126

5.1- «L'identité n'est pas ce qui importe dans la survivance» ... 128

5.1.1- Confusion inhérente au problème de ! 'identité du moi ... 128

5.1.2- Le paradoxe de la duplication ... 130

5 .1.3- La solution de D. Parfit ... 132

5.1.4-Implications ... 133

5.1.5-Résumé ... 135

5.2- Les enjeux soulevés ... 135

5.2.1- Le tout importe-t-il plus que les parties ? ... 136 5.2.2- Exception à une règle ? ... .143

5.2.3-Récapitulation ... 146

5.3- Les représentations métaphysiques de la valeur de l'existence ... 147 5.3.1- La réalité naturaliste ... 14 7 5.3.2- La part de vérité et d'illusion essentialiste ... 149

5.4- Conclusion ... 155

CONCLUSION ... .156

(10)

RÉSUMÉ ET MOTS-CLÉS

Cette réflexion porte sur les illusions qui accompagnent la conscience de soi tel qu'elles se manifestent dans des questionnements sur l'identité du moi à travers le temps. Elle prend comme données les écrits de D. Parfit et des commentaires qu'ils ont suscités dans la littérature philosophique anglo-saxonne. Cinq aspects de la conscience de soi seront abordés : l'intuition d'y voir intérieurement une chose, l'autorité privilégiée que nous avons sur notre passé, l'intégration des événements ponctuels dans un récit de vie, l'unité phénoménale en un instant et l'importance de l'unité du moi à travers le temps. Ce travail questionne la présence en nous d'une intuition trompeuse selon laquelle nous sommes une chose de plus que le corps et un ensemble de processus mentaux particuliers, c'est-à-dire une croyance non réductionniste. Les arguments de D. Parfit en faveur d'une telle disposition à l'erreur, ainsi que la discussion qu'ils ont suscitée seront clarifiés de manière à évaluer si les comportements philosophiques sous-jacents en manifestent la présence. Effectivement, il s'y trouve une tendance à postuler arbitrairement certaines nécessités relatives à l' autoréférence et cette réaction est difficile à expliquer en l'absence d'une croyance non réductionniste.

Mots-clés : Identité personnelle, identité du moi à travers le temps, conscience de soi, autoréférence, non réductionnisme, réductionnisme, critère de la continuité physique et psychologique, indétermination, description complète impersonnelle, introspection, autorité privilégiée, moi narratif, unité phénoménale, importance et valeur de l'existence.

(11)

Quel genre de chose suis-je ? Une âme ? Un corps ? Un intérieur capable de se réfléchir dans une pensée ? Une fiction ? Un mystère fabuleux et indéfinissable ? Une somme d'expériences reliées ensemble par des souvenirs, des croyances et des projets en continuité?

Dans les traditions de R. Descartes, de J. Locke et de D. Hume, les philosophes anglo-saxons contemporains qui se sont posé cette question en appellent à l'imagination pour y répondre. Des fictions menaçant notre existence nous sont proposées. Notre cerveau est transplanté dans un autre corps. Notre corps est détruit, puis une copie parfaite en est ensuite créée de manière à reproduire un vécu indiscernable du nôtre, ni de l'intérieur, ni de l'extérieur. Une manipulation chirurgicale permet de créer deux êtres comme nous à partir de notre corps.

En envisageant ces scénarios, nous devrions identifier une limite au-delà de laquelle nous ne pourrions pas logiquement survivre. Elle serait l'essence de notre existence. Par exemple, si nous imaginons la réplication parfaite de notre matière comme une manière de mourir et d'être remplacé par un autre, alors l'exercice nous révèle que nous considérons notre cerveau et/ou notre corps actuel(s) comme étant ce à quoi réfère «je». Si nous y voyons plutôt un moyen de changer de place, nous nous en faisons alors une idée différente.

De nombreuses distinctions philosophiques sophistiquées se sont construites autour de ces exercices. La principale range les théories en deux clans. D'un côté, il y a celles pour qui notre existence dépend essentiellement de la continuité d'un objet physique, que ce soit le corps ou le cerveau. De l'autre, elle dépend de la poursuite d'états mentaux comme des mémoires, des intentions, des traits de caractère et des croyances.

(12)

2

D. Parfit oppose plutôt le réductionnisme et le non réductionnisme. Tous les réductionnismes s'accordent sur une liste finie d'entités «familières» dont l'existence ne pose pas problème : le corps, le cerveau, les expériences, les pensées, les souvenirs, la poursuite d'intentions, la persistance de traits de caractère, leur enchaînement graduel dans le temps et un langage pour en parler. Elles se distinguent à propos des éléments constituant notre essence véritable. Certains diront que c'est une partie suffisante du cerveau. D'autres diront que c'est la poursuite des expériences peu importe le support physique. Cependant, ils ont en commun de nier l'existence d'une chose qui transcende cette liste finie d'entités. Le non réductionnisme pose, au contraire, que notre être ne peut pas être analysé à partir de ces éléments, mais qu'il renvoie à une entité supplémentaire. Il s'appréhende directement, sans passer par l'intermédiaire de composants plus fondamentaux 1•

Peu d'auteurs s'affichent comme non réductionnistes. D. Parfit amène cette distinction parce qu'il nous attribue une pulsion plus ou moins consciente à y croire2. Le« nous» dont il parle s'observe dans le comportement des philosophes qui traitent de cette question. Ceux-ci nient se référer à une telle réalité transcendante, mais la manière dont ils réagissent aux divers exercices d'imagination semble montrer le contraire.

Prenons l'exemple suivant. Un philosophe X affirme qu'une table est une planche surélevée supportée par des objets verticaux et qui sert à manger. Il est donc réductionniste quant à la table, car il fait reposer son existence sur une liste finie d'entités plus fondamentales. Il y a devant X une planche à trois pieds du sol tenue par 4 morceaux de bois. Il mange dessus. Pourtant, il en est encore à se demander

1

D. Parfit (1984), p.210-213. 2

"In our thoughts about our identity, we are prone to illusions. That is why the so-called "problem cases" seem to raise problems: why we find it hard to believe that, when we know the other facts, it is an empty or a merely verbal question whether we shall still exist. Even if we accept Reductionist view, we may continue, at some level, to think and feel as ifthat view were not true." D. Parfit (1995), p.45.

(13)

s'il s'agit vraiment d'une table. Ce comportement philosophique étrange nous montre qu'il n'est pas réductionniste, bien qu'il prétende le contraire. Effectivement, s'il cherche encore, c'est parce qu'il croit que la table peut être une entité au-delà de ce qu'il a devant les yeux.

D. Parfit intervient dans le débat entourant la nature de notre existence en attribuant à ses collègues une telle méprise.

Premièrement, ils ne reconnaissent que l'existence du corps, du cerveau, d'expériences, puis d'événements mentaux qui les relient ensemble. Pourtant, ils s'opposent comme s'il y avait un fait de plus à propos duquel ils étaient en désaccord. Si vraiment ils étaient réductionnistes, ils reconnaîtraient que ce qui les oppose n'est pas réel, mais se réduit à choisir une perspective. Les uns voient dans Je corps notre présence et les autres Je font dans la poursuite d'événements mentaux. Les premiers refuseraient la réplication. Les seconds l'accepteraient. Plutôt que de s'opposer, ils ne s'attribuent simplement pas les mêmes éléments. Or, au lieu de tirer cette conclusion, ils avancent de nouveaux exercices d'introspection pour montrer aux autres qu'ils ne pointent pas à la bonne place lorsqu'ils disent «je ». Autrement dit, ils prétendent avoir une liste commune d'ingrédients devant eux pour nous définir, mais ils débattent comme si la réponse se trouvait ailleurs. Ils sont donc non réductionnistes à un niveau plus ou moins conscient. D. Parfit défend cette thèse en affirmant que si le réductionnisme est vrai, ces débats sont indéterminés, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de « fait en la matière» censé trancher. Le nier suppose une croyance non réductionniste plus ou moins consciente3.

Deuxièmement, nombreux sont les auteurs qui affirment qu'un aspect de la vie mentale doit absolument renvoyer à notre existence pour être décrite adéquatement. Cette attitude est spécifique à nous et ne s'applique pas aux autres entités. Décrire

3

D. Parfit (1984), p.213-214. Le contenu ce paragraphe est une interprétation abrégée de sa théorie et je la défendrai tout au long de ce mémoire.

(14)

4

une rivière comme un objet qui passe à un endroit ou plutôt comme un flux continuel d'eau est facilement compris comme deux variantes d'une même réalité. Se référer seulement à la seconde description sans mentionner l'existence des rivières n'omet pas la présence d'une dimension fondamentale de ce qui s'y trouve. Autrement dit, la manière dont nous découpons les entités impliquées là est flexible. Cette affirmation est banale lorsqu'appliquée aux rivières. Cependant, lorsque les philosophes discutent de nos états mentaux, ils réagissent différemment. Ils refusent catégoriquement d'impliquer d'autres entités à la place de notre existence pour décrire la même réalité4. Ce comportement peut aussi trahir la présence d'une croyance non réductionniste. En effet, notre existence doit posséder quelque chose de plus qui n'est pas contenu dans la liste des entités reconnues par le réductionnisme pour l'expliquer. C'est pourquoi D. Parfit argumente en montrant comment l'unité de la vie et de la conscience peut être décrite adéquatement sans se référer à soi et donc de façon impersonnelle. Il emploie cette thèse notamment comme façon de séparer clairement les non-réductionnistes confus des réductionnistes assumés5.

La réflexion de D. Parfit autour de la nature de notre existence s'articule donc autour de l'affirmation selon laquelle la conscience que nous avons de nous-mêmes est profondément illusoire. Le comportement des philosophes, en supposant qu'il est révélateur de ce que nous pensons, est la donnée qui nous permet de le penser. Nous serions portés à voir dans les exercices d'imagination une chose mystérieuse qui échappe à toute analyse et à se duper nous-mêmes en prétendant le contraire. Cette tendance nous induirait en erreur et produirait des faux débats philosophiques. C'est la thèse centrale de ce mémoire.

4

D. Parfit (1999) élabore cette idée en détail.

5

II affirme que le réductionnisme est difficile à saisir et que les thèses de ) 'indétermination et de la description complète impersonnelle visent à découvrir si nous sommes réductionnistes puisqu'il est

(15)

Ce mémoire clarifie les positions de D. Parfit et les enjeux qu'il soulève en passant en revue les auteurs qui l'ont commenté. Il en ressort que cette théorie de l'erreur est

rarement prise en considération dans cette discussion. Les critiques de D. Parfit nient la présence d'une indétermination ou indiquent une dimension de la vie impossible à

décrire sans se référer à soi. Ils prétendent rendre compte des intuitions du sens

commun sans faire intervenir une chose qui transcende le corps, le cerveau et un ensemble de processus mentaux

«

familiers

».

La discussion autour de cette démarche montre qu'en l'absence de cette réalité supplémentaire, D. Parfit a raison. J'y défendrai que de postuler la présence d'une intuition illusoire non reconnue par ces philosophes nous permet d'expliquer la résistance à ses arguments.

Ma recherche se divise en cinq parties correspondant chacune à un argument adressé

contre la théorie de D. Parfit. J'y opposerai les pours et les contres avancés dans la littérature, pour y répondre ensuite.

Mon premier chapitre portera sur l'intuition que l'expérience consciente s'accompagne de la présence d'une chose singulière à laquelle elle doit être attribuée suite à une observation intérieure.

Dans le second chapitre, je traiterai le point de vue de la conscience de soi à travers le temps comme possédant une autorité distinctive, c'est-à-dire une façon d'user d'informations à propos du passé spontanément sans avoir à se justifier davantage.

Dans le troisième chapitre, je traiterai de l'intégration des expériences conscientes

dans un récit de vie. Tous les états mentaux d'une personne prennent leur signification de la référence à celui-ci.

Dans le quatrième chapitre, je traiterai de l'unité phénoménale des expériences.

Celle-ci peut être décrite comme le fait qu'il y a un effet que cela fait pour moi de

(16)

6

clavier. Cependant, il n'y a pas d'effet que cela fait pour nous de le faire si je tape sur le clavier et que quelqu'un d'autre regarde l'écran6.

Dans le cinquième chapitre, je traiterai de l'importance spéciale qm accompagne l'identité du moi à travers le temps, plus précisément dans le cadre de l'unité de la conscience. L'identité entre moi maintenant et moi dans le futur correspond à ma survivance et un ensemble d'émotions, de pensées et de comportements spécifiques l'accompagnant. Cette idée est censée justifier une rationalité relative à soi distincte d'une rationalité relative aux autres.

6

(17)

J. Locke définissait l'identité du moi à travers le temps par la faculté de se

«

consulter soi-même comme le même, comme une même chose qui pense en différents temps et en différents lieux »7. Cette remarque l'a amené à dissocier l'identité du moi de

l'identité d'une substance, que ce soit une âme ou une chose matérielle. En effet, plusieurs âmes ou plusieurs corps peuvent logiquement incarner une seule et même conscience qui se représente comme étant la même à différents temps et à différents lieux. Inversement, une même âme ou un même corps peut ne pas se réfléchir comme étant le même à différents instants. Cette réflexion en a inspiré plusieurs,

qualifiés de

«

néo-lockéens », à concevoir l'identité du moi comme continuité psychologique. Cette conclusion n'est pas consensuelle. D'autres croient encore que le moi consiste en une substance. Peu croit en l'existence d'une chose purement pensante. Ils préfèrent analyser le moi comme une chose physique munie d'une capacité mentale, mais qui n'est pas obligée de garder à la conscience son histoire pour être le même.

C'est dans ce contexte qu'intervient D. Parfit. Selon lui, il n'y a aucun fait qui oppose ces deux positions. Il s'agit d'une querelle verbale. Cependant, il estime que cette réponse s'oppose à une intuition implicite et fausse selon quoi nous sommes une chose de plus que le corps, le cerveau, ainsi que les pensées et les expériences particulières qu'ils causent. C'est la présence de cette illusion non reconnue qui explique la tournure insatisfaisante du débat.

Dans ce qui suit, je clarifierai cette idée en la situant d'abord dans son contexte. J'expliciterai alors les principaux concepts et arguments avancés par D. Parfit en montrant comment ils vont dans cette direction. Je lui opposerai alors des arguments

7

(18)

8

visant à montrer que le moi est réellement un corps ou un cerveau particulier et que les approches héritées de J. Locke sont erronées. Je montrerai finalement comment la position de D. Parfit peut être défendue plus efficacement face à ces critiques en précisant la nature de l'illusion censée nous induire en erreur dans ce débat. Il s'agit

(19)

1.1- Contexte historique

La réflexion de D. Parfit prend sa source dans celles de R. Descartes, de J. Locke et de D. Hume.

R. Descartes cherche à nous révéler la nature du moi au moyen d'une fiction. Je peux douter qu'un malin-génie me trompe sur l'existence de mon corps, mais je ne peux pas douter de mon existence, car ma pensée me révèle que j'existe. Il en conclut que je suis essentiellement une chose pensante et non une chose étendue dans I 'espace8.

J. Locke considère aussi que je suis essentiellement pensant, mais conteste que je sois une substance sur la base de fictions différentes. Je peux m'imaginer être conscient dans le corps d'un valet, puis m'imaginer ensuite être conscient dans le corps d'un prince. Je peux m'imaginer changer d'âmes9. Il en conclut que je suis une capacité d'être conscient de moi-même. Si elle se transmettait d'une substance à une autre, je survivrais à cette succession, donc je ne suis pas une substance10•

D. Hume conçoit le moi comme une illusion d'unité à travers le temps. Il s'appuie sur la conscience qu'il a de ses perceptions. Il se cherche en elles et ne trouve que de multiples perceptions particulières distinctes de lui. Celles-ci sont changeantes. Ma perception d'aujourd'hui n'est pas celle d'hier, ni de demain11• L'impression fausse

8

R. Descartes (1979), première, deuxième et sixième méditation. 9 J. Locke (2009), p.528-9.

10

«Le soi est cette chose pensante, intérieurement convaincue de ses propres actions (de quelque substance qu'elle soit formée, soit spirituelle, soit matérielle, simple ou composée, il n'importe) qui sent du plaisir et de la douleur, qui est capable de bonheur et de misère, et qui par là est intéressé pour soi-même aussi loin que cette con-science peut s'étendre.», J. Locke (2009), p.531.

11

«Il y a certains philosophes qui imaginent que nous sommes à tout moment conscients de ce que nous appelons notre MOI, que nous sentons son existence et sa continuité d'existence, et que nous en sommes certains au-delà de l'évidence de la démonstration, aussi bien de sa parfaite identité que de sa parfaite simplicité. ( ... ) Pour ma part, lorsque j'entre Je plus intimement dans ce que j'appelle moi -même, je bute toujours sur quelque perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour, de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais, à aucun moment,

me saisir moi-même sans une perception, et je ne puis observer autre chose que de la perception. » D. Hume, Traité de la Nature humaine, partie VI.

(20)

10

d'être une seule et même chose à travers le temps est produite par les relations de

similarité, de contiguïté et de causalité entre nos perceptions 12.

Ils définissent ce que nous sommes en observant leurs pensées et sensations conscientes. La fiction chez R. Descartes et J. Locke constitue une introspection comparable à l'exercice de D. Hume. L'intuition sous-jacente, c'est que la présence de soi est indiquée par cette capacité d'auto-observation. Ils en tirent cependant des conclusions opposées. R. Descartes y voit le signe que nous sommes une chose

pensante, J. Locke que nous ne sommes pas une chose, mais une capacité

d'autoréflexion et D. Hume que nous sommes une fiction.

R. Swinburne adopte une position dans la continuité de Descartes en réaction à J.

Locke et à D. Hume. Il défend que le moi est une chose mentale simple, indivisible, inanalysable dont l'existence ne peut jamais dépendre d'une convention13. Il argwnente lui aussi à partir de fictions. Je peux m'imaginer changer de corps, changer de personnalité et survivre à une destruction complète de la conscience que

j'ai de moi-même et exister sans corps. De plus, je peux imaginer une psychologie et

un corps se divisant en deux, mais non mon être14. Je ne suis donc aucune de ces

choses. Ensuite, contrairement à D. Hume, il fait l'expérience de lui-même dans l'unité des expériences en un instant, ainsi que dans leur brève succession. En ce

moment, la vue de ce paragraphe s'accompagne de l'audition d'un bruit de voitures,

puis de l'apparition d'une sensation de picotement. Il y a un effet que cela fait de

vivre les trois ensembles. Selon R. Swinburne, cela témoigne de ma présence15.

12 D. Hume, Traité de la Nature humaine, partie VI. 13

«The simple view claims explicitly that persona! identity is one trung, and the extent of similarity in matter and apparent memory another. There is no contradiction in supposing that the one should occur without the other. ( ... ) The simple view is normally combined with the view that person are indivisible." R. Swinburne (1984), p.21-22.

14

R. Swinburne (1984), p.21-25. 15

R. Swinburne (1984), p.42-44 et p.47. J'ai modifié l'exemple. Il parle plutôt de l'expérience d'un mouvement, ainsi que de l'expérience d'une crampe combinée à la vision d'un flash bleu.

(21)

B. Williams affirme que nous sommes une chose physique: un corps. Considérer, comme J. Locke, que le moi est une capacité de se réfléchir à différents temps et différents lieux a l'inconvénient que plus d'une personne puissent la poursuivre. Si cette conscience de soi est transférable d'un corps à l'autre, elle pourrait l'être aussi dans deux corps distincts. Deux personnes en même temps seraient moi, ce qui semble impossible16. D'autre part, face à la menace de torture par un scientifique fou, la disparition de nos souvenirs ne nous empêcherait pas d'anticiper la douleur comme étant quelque chose qui nous arrivera à nous et non à quelqu'un d'autre17. B. Williams abandonne donc l'idée que le moi se caractérise par une capacité introspective, car, même si je la perds relativement à mon passé ou que j'anticipe de la perdre envers mon présent, je ne cesse pas d'exister. Cependant, il établit paradoxalement cette conclusion au moyen de l'introspection en imaginant des scénarios de duplication ou de lavage de cerveau. Il suppose qu'une forme d'observation intérieure me révèle que je suis un corps.

S. Shoemaker s'inspire de J. Locke en affirmant que nous sommes une chose physique distincte du corps dont les critères de survie sont psychologiques18. Il compare un morceau d'or et une statue. Il s'agit de deux choses distinctes, car elles n'ont pas les mêmes conditions de persistance. La statue peut être détruite, alors que le morceau d'or est conservé ou vice-versa. Pourtant, les deux choses coïncident dans la même substance et sont physiques. Il considère ainsi que c'est la continuation de ma psychologie qui est ma condition de survivance19. Je ne suis donc pas mon corps, car, si mon cerveau était transplanté dans un autre corps ou si ma psychologie était continuée par un autre moyen que mon corps actuel (par exemple, sa réplication

16

B. Williams (1973), p.20.

17

B. Williams (1970) 18

Centrée sur des états mentaux comme la mémoire, la poursuite d'intention, etc.

19

Locke se concentrait sur la conscience réfléchie de soi interprétée ensuite comme la mémoire des expériences passées, mais S.Shoemaker fait référence à un concept plus large de continuité

psychologique qui inclue toutes formes d'états mentaux, même non-conscients. S. Shoemaker (1984),

(22)

12

cellules par cellules), je survivrais20• Afin d'éviter le problème de la duplication mentionnée par B. Williams, il ajoute une clause selon quoi la continuation de la psychologie d'une personne ne doit pas s'embrancher21• Cette approche nie que je sois essentiellement une chose singulière, une substance, car je pourrais survivre au moyen de plusieurs corps si leur succession poursuivait les mêmes capacités psychologiques, conscience comprise22.

Ces trois auteurs contemporains partagent avec leurs prédécesseurs l'analyse du moi à

partir d'une observation de l'expérience consciente, soit par l'imagination, soit par l'analyse de l'unité des expériences en un instant. Ce mode d'autoréflexion est donc une constante. Les divergences portent sur ce qui en découle et ce, principalement sur trois axes : physique ou mental, substantiel ou non, réel ou illusoire.

1.2- Le réductionnisme de Parfit

1.2 .1- Distinction réductionnisme et non-réductionnisme

D. Parfit défend une position « réductionniste » qu'il définit ams1 : «A person's existence just consists in the existence of a brain and body, and the occurrence of a series of interrelated physical and mental events23. » Les relations entre événements mentaux dont il parle sont les liens causaux entre un souvenir et une expérience, entre une intention et une action ou la persistance de croyances et de traits de caractères, ainsi qu'un enchaînement suffisamment important de telles relations à travers le

20

S. Shoemker (1984), p.89-90 et p.108-111. 21

S. Shoemaker (1984), p.85. 22

J'entends ici par « substance » l'idée d'une chose singulière définie par l'organisation de sa matière (physique ou non), par opposition à une chose composée de plusieurs unités de ce genre, mais définie plutôt par une apparence, une forme, une fonction, une visée commune. Si je survivais par le biais d'une série de réplication de corps, j'existerais alors clairement dans le sens d'un composite et non d'une matière singulière. Cette idée poursuit celle de J. Locke. S. Shoemaker ( 1997) élabore des nuances similaires.

23

(23)

temps24. De« mental», il n'offre aucune définition et reste neutre quant à la question du dualisme ou du monisme25.

Parfit analyse le moi comme un composé d'éléments plus particuliers. Il en compare l'existence à la relation unissant une multitude d'arbres à une forêt ou une diversité de personnes à une nation26. Il qualifie cette relation de deux manières.

Premièrement, il peut s'agir d'une identité. La forêt peut être la multiplicité d'arbres comme la nation peut être la diversité de personnes. Dans ce cas, le moi est le corps,

le cerveau et/ou un ensemble de pensées et d'expériences reliées. Il ne privilégie cependant pas cette relation pour caractériser le moi, même s'il la range parmi les théories réductionnistes. « Sorne Reductionists claim ( 4) a Person Just is a particular brain and body, and such a series of interrelated event27. »

Deuxièmement, il peut s'agir d'exister« distinctement, mais non séparément» de ces éléments. « Other Reductionists claim (5) a Person is an entity that is distinct from a brain and body, and such series of events28. » D. Parfit reprend ainsi l'idiome de la

cohabitation avancé par S. Shoemaker. Deux entités peuvent occuper la même portion de la réalité sous le modèle d'un morceau de marbre et d'une statue29. II y a deux entités distinctes et non pas une, car certains énoncés peuvent être vrais d'une entité et non de l'autre. La statue peut être graduellement constituée d'une nouvelle matière et non le morceau de marbre. De la même manière, le cerveau ou un ensemble d'états mentaux ne peuvent pas penser, alors qu'un moi le peut. C'est en ce sens qu'ils sont distincts30. Cependant, ils n'existent pas «séparément» au sens où

24 D. Parfit (1984), p.205-206. 25 D. Parfit (1984), p.241. 26 D. Parfit (1984) p.210 et p.212 et (1995), p.19-20. 27 D. Parfit, p.211. 28 D. Parfit, p.211. 29 D. Parfit ( 1995), p.16-17. 3

°

Cette signification du caractère distinct mais non séparé du moi apparaît clairement lorsque D. Parfit

précise l'analogie avec la nation : « When we use the word «France » to refer to a nation, we are not referring to something other than a nation. We are not referring to this nation's govemement, or its

(24)

14

c'est la même substance qui est pointée du doigt en désignant les deux entités. « Since we are not separately existing entities, we would not need not to be separately

listed in an inventory of what exists31. »

D. Parfit précise cette« non-séparation» de deux façons. D'une part, il y a une entité

qui est à la base de l'autre, c'est-à-dire que connaître ce qui lui arrive suffit à établir ce qui advient de l'autre. Si nous savons qu'il y a un corps, un cerveau et un

ensemble d'états mentaux, nous avons donc tous les ingrédients pour déterminer ce

qui arrive de moi32. De la même manière, si nous savons qu'il y a un morceau de marbre configuré d'une certaine manière, nous avons tous les outils pour conclure sur ce qui advient de la statue. D'autre part, relativement à un corps, à un cerveau et à un

ensemble d'événements mentaux inter-reliés, l'existence du moi n'ajoute qu'un langage de plus pour parler de la même réalité et non un fait qui la transcende33.

Cette position sert à analyser la nature de mon existence et l'identité numérique du moi à travers le temps. Cette dernière relation renvoie au nombre d'êtres impliqués dans une situation et donc au fait qu'un être en un instant et un être en un autre instant

sont un seul et même être. Certains diront que la persistance d'un objet physique détermine cette identité, alors que d'autres diront que c'est la poursuite de

représentations mentales, de projets, de traits de caractère et de croyances34. Le trait

commun de toutes les approches réductionnistes est de préciser ces concepts en référant à d'autres entités et non au moi lui-même. «They are Reductionist because

c1t1zens, or to its territory. This can be shown as follows. If "France" referred to the French govemment, France would cease to exist if the govemment resigned and there was a period of anarchy. But this is false. ( ... ) And if "France" referred to these citizens, it must have been these citizens that

declare war on Germany. This is also false.", D. Parfit (1984), p.472.

31 D. Parfit (1999), p.221.

32

D. Parfit (1984), p.2 J 3. 33

D. Parfit (1984): "( ... ) on our concept of a person, people are not thoughts and acts. They are thinkers and agents. 1 am not a series of experiences, but the person who has these experiences. A Reductionist can admit that, in this sense, a person is what has experiences, or the subject of experiences. This is true because of the way we talk." p.223. Il élabore ce point dans D. Parfit (1995), p,.19-28 et D. Parfit (1999).

4

(25)

they claim that the fact of a person's identity over time just consists in the holding of . . 1 .>: 35

certam more part1cu ar iacts . »

Il oppose cette conception « réductionniste » à ce qu'il qualifie de « non réductionnisme », qui pose que le moi est une chose singulière de plus qu'un tel ensemble de parties. «On this view, persona! identity over time does not consist in physical and/or psychological continuity. It involves a further fact36. » Les positions de R. Descartes et R. Swinburne en sont des exemples.

1.2.2- Indétermination

Afin de clarifier cette opposition, il affirme que nous pouvons imaginer des situations où notre existence et notre identité à travers le temps sont indéterminées. C'est-à-dire que nous avons une description complète de la situation et notre existence se ramène à un choix concernant la manière d'y préciser les contours flous du moi37. Cette thèse sert de test pour départager les réductionnistes des non-réductionnistes38.

La méthode employée pour opposer les diverses approches à propos du genre de chose que le moi est, c'est souvent d'imaginer des scénarios où des composants habituellement associés à mon existence sont séparés en imagination ; puis de demander ce qui advient de mon existence afin de cerner ceux qui lui sont essentiels et ceux qui ne lui sont que contingents. Le scénario du malin-génie de R. Descartes sépare en imagination notre activité de penser de ! 'action d'une chose étendue pour en conclure que nous sommes essentiellement une chose pensante. J. Locke sépare

35 D. Parfit (1984) p.21 O. 36 D. Parfit (1984), p.21 O. 37 D. Parfit (1984), p.213-214. 38

«My claim about Reductionist draw distinction that, in this abstract fonn, are hard to grasp. But there are other ways of discovering whether we are Reductionist in our view of some kind ofthing. If we accept a Reductionist View, we shall believe that identity of such a thing me be, in quite unpuzzling way, indetenninate." D. Parfit (1984), p.213.

(26)

16

en imagination la conscience de soi des substances la supportant pour en conclure que nous sommes essentiellement une conscience réfléchie et non une chose.

Une des conclusions que D. Parfit tire de cet exercice, c'est que nous y cherchons une réalité au-delà des composants que nous séparons en imagination.

Prenons la réplication. J'actionne une machine qui enregistre l'état de mon corps, le détruit, envoie l'information par ondes radios sur Mars et en crée à partir de nouveaux matériaux une copie parfaite. L'être qui en résulte poursuit mes projets, traits de caractère, croyances et souvenirs exactement de la manière que je l'aurais fait. La conscience qu'il a de moi est indiscernable de celle que j'ai habituellement de moi-même39. Est-ce que je suis cet être ou est-ce que c'est quelqu'un d'autre ? Ce scénario sépare en imagination la continuation de ma psychologie et l'existence continue de mon corps afin de cerner laquelle des deux composantes est essentielle à mon existence40. L'approche de J. Locke et de S. Shoemaker cible la continuation de ma psychologie, alors que l'approche de B. Williams cible mon corps.

D. Parfit devine plutôt en nous une insatisfaction qui nous pousse à chercher quelque chose de plus dans ce scénario. La description qui en est faite nous apparaît incomplète, comme si quelque chose manquait : m01. « When I fear that, in Teletransportation, I shall not get to Mars, my fear is that the abnormal cause may fail to produce this further fact41• » Il nomme cet élément un «fait supplémentaire profond » ou une « substance mentale simple » pour désigner une réalité ultime et inanalysable au-delà des composants présentés à nous en imagination42. En ce sens,

une partie de nos intuitions vont dans le sens de R. Descartes et R. Swinburne43.

39 D. Parfit (1984), 199-200. 40

D. Parfit (1995), Section J. D. Parfit ( 1995), p.202-209. 41

D. Parfit (1984), p.279. 42

D. Parfit (1995), p.242-243.

43

"In our thoughts about our identity, we are prone to illusions. That is why the so-called "problem cases" seem to raise problems: why we find it hard to believe that, when we know the other facts, it is

(27)

Il présente son réductionnisme comme une famille d'approches qm nient cette intuition. Elles ont une ontologie commune. Elles ne reconnaissent comme entités réelles que le corps, le cerveau et un ensemble d'événements et de processus mentaux44. Elles ne sont donc pas en désaccord à propos d'une réalité, mais à propos de la manière d'y préciser le concept« moi». Elles impliquent donc qu'il n'y a rien de plus à chercher dans la réplication et que les deux réponses (je suis la réplique ou je ne le suis pas) ne sont qu'un choix de gestalt comparable à voir un verre à moitié vide ou à moitié plein45. Autrement dit, j'ai en ma possession tous les éléments qui me permettent de comprendre ce qui se passe, mais la présence ou l'absence de «moi» dépend d'un choix concernant une situation à propos de laquelle aucune convention linguistique n'a été prévue46• Une des deux réponses peut être préférable

à l'autre pour diverses raisons, mais non pas simplement parce qu'elle pointe le« moi véritable »47.

1.2.3- Rôle du réductionnisme dans le contexte

La réflexion de D. Parfit poursuit celle de D. Hume au sens où l'auto-observation nous révèlerait la présence d'un moi illusoire. D. Hume employait l'introspection comme méthode pour découvrir son absence parmi les perceptions malgré une pulsion forte à vouloir se trouver là. D. Parfit fait la même chose48. La réplication de soi nous révèle une attitude de fouille et d'inconfort. Nous réagissons comme D.

an empty or a merely verbal question whether we shall still exist. Even if we accept Reductionist view, we may continue, at some level, to think and feel as ifthat view were not true." O. Parfit (1995), p.45.

44

« So while believers in the different criteria disagree about imaginary cases, they agree about what is in fact involved in the continued existence of most actual people». O. Parfit (1984), p.211.

45

O. Parfit (1999), p.259-261. 46

O. Parfit (1984), p.213-214 et O. Parfit (1995), Section I.

47

Par exemple, il peut être plus utile de considérer la réplique comme étant la même personne ou non. 48 Il résume ainsi son usage des expériences de pensée: « What we can leam from this imaginary story ? Sorne believe that we can leam little. ( ... ) This criticism rnight be justified if, considering such

imagined cases, we had no reactions. But these cases arouse in most of us strong beliefs, not about our words, but about ourselves." O. Parfit (1984), p.200.

(28)

18

Hume. Nous cherchons parmi notre idée du corps ou de nos processus mentaux où notre existence se trouve. Va-t-elle avec l'un ou avec l'autre?

La présence de cette entité fuyante est ce que nie le réductionnisme. Le moi consiste en un corps et en une série d'événements mentaux et physiques inter-reliés parce qu'au-delà de ces composantes et le langage pour en parler, il n'y a rien de plus à chercher pour se référer à nous-mêmes avec succès. Pourtant, nous avons, sans forcément nous en rendre compte au premier coup d'œil, une tendance à y chercher quelque chose de plus.

La méthode de D. Parfit est une extension de celle du malin-génie de R. Descartes, reprise par J. Locke et leurs successeurs. Elle nous place dans un état mental susceptible de nous faire découvrir la nature du moi de façon claire et distincte, par opposition au contexte vague de la réalité courante. Dans la confusion, nous pouvons prétendre être réductionniste49. Face à des options claires, notre attitude montre le contraire. Parfit estime donc que Descartes saisit par ce moyen une intuition du sens commun50. Il se distingue de lui en niant que nous pointons là une réalité.

Ensuite, cette position répond à l'opposition entre J. Locke, S. Shoemaker et B. Williams, c'est-à-dire les conceptions du moi centrées sur la continuation de processus mentaux ou sur l'existence d'une chose physique. Selon Parfit, ce débat se nourrit d'une croyance non réductionniste implicite. De nombreux auteurs y interviennent sans reconnaître la part d'illusion qu'ils y mettent51. Si le moi consiste

49

«ln ordinary cases, questions about our identity have answers. ln such cases, there is a fact about persona! identity, and Reductionism is one view about what kind of fact this is. ( ... ) We may find it hard to decide whether we accept this view, since it may be far from clear when one fact just consist in another. We may even doubt whether Reductionists and their critics really disagree." D. Parfit (1995), p.27.

50 D. Parfit (1995), p.27-28.

51

« ( ... ) many of us, I suspect, have inconsistent beliefs. Ifwe are asked whether we believe that there are Cartesian Egos, we may say No. And we may accept that, as Reductionists claim, the existence of a Person just involves the existence of a body, and the occurrence of a series of interrelated mental and physical events. But, as our reactions to the problem cases show, we don't fully accept that view." D. Parfit ( 1995), p.28.

(29)

en un corps et en une série d'événements mentaux inter-reliés, il n'y a là qu'un problème verbal, d'où l'appel à la notion d'indétermination. Que l'un proclame avoir trouvé le vrai moi dans le corps et que l'autre prétende l'avoir plutôt fait dans la série d'événements mentaux par le détour d'une imagerie mentale trahit chez ces auteurs la présence d'une contradiction. S'ils ne reconnaissent pas la présence d'une chose de plus qui transcende ces composantes, alors il n'y a aucun sens à affirmer qu'ils y ont trouvé quoi que ce soit, puis ensuite de multiplier les exercices pour faire voir à leurs adversaires réticents ce qu'ils viennent d'y découvrir. Pourtant, la littérature entourant l'identité du moi à travers le temps est remplie de tels comportements52.

La solution de Parfit consiste à dévoiler l'apport de cette illusion. Une fois clarifiés, les problèmes restants sont plus faciles à résoudre. Il reste alors à déterminer laquelle de ces composantes justifie nos attitudes envers le moi. Selon lui, elles reposent sur la continuation de nos processus mentaux, mais en aucun cas sur l'existence du corps53. C'est par ce détour qu'il finit par supporter une approche comme celle de J.

Locke à l'encontre d'approches comme celle de B. Williams54•

1.2.4- Argumentation de D. Parfit

Les arguments de D. Parfit en faveur du réductionnisme suivent la méthode de D. Hume. Ils proposent des fictions comme outil d'introspection de manière à montrer de façon claire et distincte l'absence d'une réalité qui transcende le corps et les processus mentaux à laquelle nous renvoyons dans une expérience subjective.

52

D. Parfit nous attribue régulièrement des dispositions à réagir d'une certaine manière. Le rationnel qui le justifie apparaît largement provenir du comportement observable des philosophes qui se posent ces questions, en présumant que ceux-ci représentent« nous».

53

D. Parfit (1984), p.261-266, p.282-287, p.307-318. Cette question sera l'objet du cinquième chapitre.

54

(30)

20

1.2.4.1- Les quasi-mémoires

La mémoire ne nous révèle pas la présence d'un moi transcendant le corps, les pensées et les expériences particulières. Pour l'illustrer, il avance le concept de quasi-mémoire. C'est une représentation dont l'apparence et la cause sont similaires à la mémoire, mais qui peut se transmettre entre deux êtres. Il imagine ainsi qu'une trace laissée dans le cerveau de Paul suite à son voyage à Venise est transplantée dans le cerveau de Jane. Cette dernière peut alors visualiser la scène vivement comme si

elle s'en souvenait. La mémoire normale peut être conçue alors comme une somme

plus grande de telles traces reliant ainsi une perspective présente à un passé

indépendamment de la présence d'un moi55.

Il nie alors que l'introspection nous révèle dans la mémoire la présence d'une réalité

supplémentaire à cette notion de quasi-mémoire. Il le fait en se plaçant du point de

vue de la réplique parfaite d'un moi discutée plus haut. Elle aurait les mêmes raisons que nous de croire qu'elle a vécu les expériences qu'elle se représente, mais elle aurait tort56.

Les deux arguments montrent qu'analysée de l'intérieur, la mémoire ne nous révèle

rien de plus qu'une continuité psychologique avec l'expérience passée et non la

présence d'une chose pensante57.

1.2.4.2- Les spectres

Parfit imagine des spectres d'opération allant de la destruction complète de mon

corps suivie d'une réplication parfaite à une situation où rien ne se passe. Entre les

deux, il y a des opérations où 45%, 46%, 47%, 50 %, 51 % de mes cellules seront

55

D. Parfit (1984), p.220-222. Cet argument sera analysé plus en détail au 2ème et 3ème chapitre.

56

D. Parfit, p.223-224. 57

« ( ... ) it sccm to show that we could not tell, from the content of our experiences, whether we really

are aware of the continued existence of a separately existing subject of experiences. The most we have are states ofmind like that ofmy Replica", D. Parfit (1984), p.224.

(31)

remplacées par des copies. Dans tous les cas, ma psychologie serait continuée de façon similaire. Si je considère être une chose physique (cerveau ou corps), je devrai alors admettre qu'au milieu du spectre, j'aurai une description complète de la situation, alors que mon existence ou non sera un choix concernant l'usage d'un mot58. Il imagine ensuite un spectre d'opérations similaires où, dans le milieu, il

s'agirait plutôt d'un mélange des cellules, des souvenirs, des traits de caractère, des intentions de moi et d'une autre personne pour étendre cet argument également aux approches de la continuité psychologique59.

Ces spectres illustrent comment l'existence du corps, du cerveau et d'une série d'événements mentaux inter reliés peuvent être entièrement compris, alors que la présence du moi en eux n'ajoute rien de plus qu'un choix de langage60.

1.2.4.3- Cogito révisé

D. Parfit reprend le cogito de Descartes afin de déduire l'existence du moi en partant d'étapes différentes. Si Descartes dit douter, il y a un doute qui survient et donc une pensée qui est en cours, mais il est précipité d'en conclure qu'une chose doute61• Plutôt que de faire intervenir une chose qui se positionne par rapport à la pensée, D. Parfit en appelle aux pronoms « ceci », « cette », « dans » et utilise le corps pour faire le même travail62. Au lieu de «je pense », il peut être dit « Cette pensée a lieu dans cette vie causée par ce corps ». À cette étape, qu'est-ce qui nous permettrait de conclure en l'existence d'un moi qui pense? La structure verbale de la pensée et non l'observation directe d'une chose pensante.

58

D. Parfit (1984), p.234-235. 59 D. Parfit (1984), p.236-241.

Comme les pensées sont

60 D. Parfit (1984), p.241-242 et D. Parfit (1995), p.20-28. Cet argument sera approfondi au 3ème

chapitre. 61

D. Parfit (1999), p.233-237 et D. Parfit (1984), p.224-226. 62

(32)

22

grammaticalement attribuées à des penseurs, «Cette pensée a lieu dans cette vie causée par ce corps » nous autorise à en conclure : «je pense » 63.

1.2.4.4- Examen de physique

Un phénomène qui peut apparemment nous révéler la présence d'un moi à l 'œuvre dans la succession des expériences conscientes, c'est l'unité phénoménale des expériences en un instant et dans leur brève succession. La sensation de taper sur un clavier, la pensée présente, la couleur des caractères et la musique en arrière-fond forment une seule et même expérience. Il y a UN effet que cela fait d'en faire l'expérience. R. Swinburne défendait que cela témoigne de la présence d'un moi simple et inanalysable dans le flux de conscience.

La réponse de Parfit ne consiste pas à nier la présence d'une unité d'expérience, mais à la traiter comme une réalité distincte de moi. Il imagine le scénario suivant. Je suis muni d'un engin qui divise mon flux de conscience afin d'effectuer une série de calculs avec mon hémisphère gauche et une autre série avec mon hémisphère droit. Pendant dix minutes, il y a un effet que cela fait de calculer avec l'hémisphère gauche et un effet que cela fait de calculer avec l'hémisphère droit, mais il n'y a pas d'effet

que cela fait d'effectuer les deux en même temps. Dans un de mes flux de conscience, je me voix calculer dans l'autre comme je verrais un frère siamois le faire et vice-versa. Après dix minutes, je réunifie ma conscience et en retiens un souvenir vif d'avoir calculé deux séries d'exercices64.

Dans la mesure où ce qui pense dans cette situation n'est pas une entité de 10 minutes occupant un hémisphère, mais plutôt une chose qui se trouve dans les deux simultanément, l'unité de chacune des expériences ne peut pas être décrite en référant à un moi. Effectivement, cela suggère faussement qu'il n'y a qu'une seule unité

63 D. Parfit s'éloigne ici cependant du cogito de Descartes, car il reconnaît d'abord l'existence du corps. Paul Bernier (2010) p.597 fait cette analyse.

64

(33)

phénoménale, alors qu'il y en a deux. Parfit présente plutôt chacune des unités comme un fait brut. Autrement dit, ce scénario montre un cas où pointer l'unité des expériences n'équivaut pas à pointer la présence d'un sujet. Pour pointer alors un moi, il faut désigner la chose phénoménalement désunie et située dans les deux hémisphères. Constater ainsi la présence d'une unité d'expérience n'équivaut pas à observer intérieurement la présence d'un moi65.

1.2.4.5- Fission

Nous avons vu que B. Williams objectait à J. Locke que le moi ne pouvait pas être une conscience réfléchie indépendamment de la substance la supportant, car deux personnes pourraient avoir la conscience de ma vie et prétendre légitimement être moi, ce qui apparaît contradictoire. R. Swinburne a objecté que n'importe quel critère centré sur la continuité d'une chose physique contient le même problème. Un cerveau, par exemple, pourrait être divisé en deux avec une capacité égale de continuer ma psychologie et être transplanté dans deux corps exactement similaires à celui du moi d'origine. Si l'existence continue de la moitié de mon cerveau suffit à assurer mon existence, alors les deux personnes résultantes auraient des raisons égales et légitimes de prétendre être moi. R. Swinburne en conclut que nous ne sommes ni une conscience réfléchie, ni une chose physique, mais une chose de plus qui est mentale, simple, indivisible et inanalysable66.

D. Parfit en déduit plutôt qu'il s'agit d'un cas d'indétermination. Nous pouvons étendre notre concept de «moi » de manière à conclure que nous serions après la division une seule et même personne dont l'esprit est à deux endroits en même temps. Il s'agirait d'une extension de l'examen de physique où je peux avoir deux flux de conscience séparés simultanément et communiquer avec moi-même par des moyens publics. Nous pouvons aussi étendre notre concept de «moi » de manière à conclure

65 D. Parfit (1984), p.246-252. Cet argument sera analysé plus en détail dans le 4ème chapitre. 66

(34)

24

que je serais détruit et remplacé par deux nouvelles personnes67• Or, même si nous ne statuons pas là-dessus, il est possible de comprendre entièrement ce qui se passe. La manière de préciser les contours du moi dans ce cas est un choix de mots68.

Plusieurs éléments défient nos intuitions dans ce scénario. Premièrement, il nous apparaît étrange que deux parties d'un moi puisse être à des endroits différents et interagir entre elles à la manière de deux personnes, chacune avec leur histoire séparée69. Deuxièmement, il nous apparaît étrange que la relation entre moi et un être futur puisse être intrinsèquement la même, alors qu'un événement externe à cette relation puisse déterminer si cet être sera moi ou un autre. S'il n'y a qu'une des deux opérations de transplantation d'hémisphère qui réussisse, je survivrai, mais s'il y en a deux, je mourrai. Pourtant, ma relation à l'être résultant sera la même. Seulement ma relation à un autre être viendra m'empêcher de lui appliquer le concept« moi

»

70. En ce sens-là, il n'y a rien qui disparait de l'univers hormis le droit d'user d'un mot et cela nous apparaît étrange comme façon de mourir71.

D. Parfit en conclut principalement que l'existence du « m01 » n'est pas ce qm importe dans la survie72. Cette question sera traitée au 5ème chapitre. Cependant, ce scénario a aussi des implications relativement à la présence ou non d'une chose de plus que le corps, le cerveau et une série de pensées et d'expériences reliées dans la conscience de soi. Prenant pour acquis que la fission peut me tuer, je peux m'imaginer cesser d'exister alors que rien dans le flux de conscience ne l'indique. Mon existence dépend d'une relation qui lui est extrinsèque. Donc, l'unité de ce flux de conscience à travers le temps ne nécessite pas ma présence pour être comprise.

67 D. Parfit (1984), p.256. 68 D. Parfit (1984), p.258. 69 D. Parfit (1984), p.256-257. 70

D. Parfit (1984), p.261, 262, 267. Cet argument sera discuté tout au long de ce mémoire. 71

D. Parfit (1995), section III 72

(35)

1.2.4.6- Synthèse

Selon Parfit, l'usage de telles fictions serait injustifié si les états mentaux étaient des

modifications d'une substance autre que le corps dont l'indivisibilité est une

caractéristique essentielle 73. En effet, il serait alors illégitime d'imaginer que des

morceaux de cette substance soit transférés à une autre, divisés en deux et combinés.

Il présuppose cependant que cette théorie est fausse et que les états mentaux

dépendent de la modification d'une substance physique. Ce n'est pas l'introspection

qui nous révèle ce fait, mais des connaissances empiriques 74. Ensuite, il fait la

supposition que si l'esprit dépend du corps, alors rien n'empêche d'imaginer apriori

qu'il puisse être divisé, morcelé, recomposé, répliquée de cette manière. Il ne précise

pas pourquoi, mais nous pouvons présumer que c'est parce que les choses physiques,

en général, le peuvent.

Ces arguments ont une structure commune. D. Parfit indique un composant censé

nous révéler la présence d'un moi non réductionniste, puis il imagine ensuite une

fiction nous montrant comment il n'y a rien de tel qui l'accompagne. Il pointe la

mémoire, puis invoque un transplant de traces entre cerveaux ou une réplication pour

nier qu'elle nous le révèle. Il pointe le corps, puis imagine un spectre de

recomposition partielle avec des cellules nouvelles pour nier qu'il y a en lui un moi

qui le transcende. En effet, dans le milieu du spectre, il y a une telle substance

physique, mais l'attribution à moi n'est que l'addition d'un langage. Suivant la

même logique, il pointe la pensée en revisitant le cogito de Descartes, puis l'unité des

expériences phénoménales en lui opposant l'examen de physique et finalement la continuité de nos processus physiques et mentaux à travers le temps en imaginant une

fission. Autrement dit, il fait la même chose que D. Hume, mais en employant un

imaginaire de science-fiction. Il cherche le moi au moyen d'un exercice

73

D. Parfit (1984), p.238, p.259.

74

(36)

26

d'introspection et ne trouve qu'un mot pour parler de toutes les composantes qu'il appréhende et rien de plus.

1.3- Objections substantialistes

D. Parfit défend une position qu'il qualifie de réductionniste. Elle inclut un ensemble de thèses impliquant que l'existence du moi consiste en l'existence d'un corps et d'une série d'événements et de processus mentaux inter reliés et non une chose qui transcende ces composantes. Il avance que la possible indétermination de l'identité du moi à travers le temps sert à départager plus clairement cette approche du non réductionnisme. Ces précisions visent à solutionner un ensemble de problèmes discutés par R. Descartes, J. Locke, D. Hume et leurs héritiers contemporains. Elles tranchent le débat entre ceux qui présentent notre existence comme l'existence d'une chose physique singulière et ceux qui la définissent plutôt par une chose dont les conditions de survivance sont un ensemble de relations psychologiques. Selon lui, en l'absence d'une chose qui transcende les composantes actuelles du moi, cette opposition ne porte pas sur la réalité, mais sur la manière de la nommer. Or, les résistances de nombreux auteurs à tirer cette conclusion suggèrent la présence d'une croyance non réductionniste implicite. C'est ainsi qu'il cherche à défaire cette intuition au moyen de diverses stratégies d'imageries mentales.

Rares sont les auteurs contemporains selon qui nous sommes une chose pensante simple séparée du corps dans la tradition de Descartes. Cependant, ils sont plusieurs à considérer le moi comme une chose dont les frontières sont réelles et non pas définies par un ensemble d'événements psychologiques et physiques inter-reliés dont les contours peuvent être précisés de plus d'une manière. Cette section présentera des objections qui rejettent autant que Parfit l'existence de la substance cartésienne, mais qui considèrent le moi comme étant une chose au sens où ses frontières et sa présence sont indépendantes d'un choix langagier. Plutôt que de s'appuyer sur une méthode

(37)

introspective, certains auteurs estiment que des considérations d'économie ontologique ou une théorie causale de la référence permettent de fixer les frontières

du moi dans celles du corps ou du cerveau. D'autres expliquent notre résistance à

imaginer notre survivance par réplication en vertu d'une interruption du potentiel de

conscience.

E. Oison, suivant B. Williams, défend une position qu'il qualifie d'animaliste. Nous

sommes des organismes biologiques pensants. Ce qui fait notre unité est une

structure physique d'auto-organisation75. Notre psychologie est contingente. Des

éléments comme la conscience que j'ai de moi-même à travers le temps ne

déterminent pas mon existence. Si je la perds complètement pour repartir ensuite à

neuf, je ne meurs pas tant que l'organisme qu'est mon corps continue de fonctionner.

Une transplantation de cerveau ne me permettrait pas de changer de corps, car le

cerveau n'est qu'un organe de l'organisme qui correspond au moi76. Selon lui, c'est

la conception du sens commun 77.

Son argumentation ne s'appuie pas sur des expenences de pensée, mais sur une

considération d'économie ontologique78• L'organisme pensant, l'animal, répond aux

conditions pour être un moi. Il pense, il vit des expériences et il est capable de se

réfléchir dans une pensée. Si nous admettons, comme S. Shoemaker, l'existence

d'une autre entité qui coïncide matériellement avec lui, mais qui s'en distingue à la

manière d'une statue par rapport à un morceau de marbre, nous nous retrouvons avec

75

E. Oison (2007), p.27-29.

76

E. Oison (2007), p.39-44.

77

«No one is going to feel irnmediately drawn to any alternative views - that we are bundles of perception, or irnmaterial substances, or non-animais made of the same matter as animais, say. Compared with those proposais, the idea that we are animais looks like plain cornmon sense." E. Oison (2007), p.23.

78

(38)

28

deux moi à la même place sans avoir moyen de savoir auquel des deux le mot «je » fait référence79.

D'autre part, un ensemble de processus mentaux ne pense pas, car ce n'est pas une chose. Si je perds complètement la mémoire, ce n'est donc pas une chose qui est détruite. La possibilité d'être détruit et répliqué implique d'être un système psychologique, alors qu'un système ne pense pas. Seule une chose pense. Il y a donc une confusion catégorielle de la part de ceux qui définissent le moi par la poursuite d'états mentaux80. Dans le cadre d'une ontologie qui vise à limiter la multiplication

inutile des entités du monde, cette conséquence est inacceptable. Les frontières de l'organisme biologique étant déterminées par une organisation physique concrète et indépendante de notre esprit, il est plus simple d'y tracer les frontières du moi81.

Ces considérations constituent des objections à Parfit, car elles nient qu'il y a indétermination entre une conception du moi comme chose physique et comme chose dont la survivance dépend d'une forme de continuité psychologique. Le moi ne consiste donc pas en un corps et un ensemble d'événements mentaux inter reliés, mais seulement dans un corps pensant. En ce sens, une copie physique de moi ne serait pas, comme le suggère D. Parfit, potentiellement moi ou un autre selon un choix de mots. Elle ne serait pas moi, point final. E. Oison répond que les frontières

79

« Consider what it would mean if you were not the animal. The animal thinks. And of course you think. ( ... ) So if you are not that thinking animal, there would be two beings thinking your thoughts: there would be the thinking animal, and there would be you, a thinking non-animal. We should each share our thoughts with an animal numerically different from us. ( ... )ln any case, there are just three alternatives to you being an animal: (1) there is no animal where you are; (2) there is an anjmal there, but it doesn't think in the way that you do; or (3) there is an animal there, and it thinks exactly as you do, but you are not it. ( ... ) The repugnancy of these alternatives seems to me powerful reason to suppose that you are an animal." E. Oison (2007), p.29-30.

80

E. Oison (2007) p. 139- 141.

81

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