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Le discours moraliste dans Adolphe de Benjamin Constant /

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

o

o

,

'

I&e DISCOURS MORlLlSTI ,DAWS ADOLPHE DE BENJAMIN CONSTANT

. ®

Andr~

lIOOl

A thesh submitted to

the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fUlfilment of the requirements

for the degree of Mast.er of Arts

Departement of French Language

and

Literature McGill University

...

(2)

-tJ

,

,

.0

Adolphe est généralement .considéré par la critique comme le

chef-d'oeu-,

vre du roman moraliste.~Noul nous sommes efforcé de saisir quelles ét~ient

les manifestations du discours moraliste dans cette oeuvre et quelle pouvait, en 'tre la signification. Dans

.

~ premier temps, ~ous avons séparé les textes

' ,

rédigé. avant 1814 del~.~ postérieurs 1 oette année. Il nous est alors appa-ru que la signif1èation.du discours ,moraliste dans .ces deux ensembles de tex-tes était bien difrérente. Alprs que le roman lui-mSrne et l'Ayis

de

l'éditeur, textes rédigés entrè 1808 et 1810, portent la marque du.sentiment de désarroi et d'impuissance dont est alors rr~pé Constant, exclu de la sc~ne politique sur l'ordre de Bonaparte, le. textes préfaciels rédigé. après la Restauration véhiculent un message conformiste D ,

\

.

qui éélabre les valeurs sociales de l'épo- ~

que. De ce renversement de perspectives, le discours moraliste .porte la trace.

(3)

(

(:

\

.

,

..

.

'

.

t,

AdOtph6

uaually.1a consldered by cr1tlc . . . the maaterpiece

ot

morali.t

novel. We hereby try to seize what vere- the signe ot' ~the -discours morali8te"

.

in that novel 81ld what could be 1ts mean1ng. 11rst, we .eparate the texts

"

written betore 1814 t'rOm tho.e vr1t.ten lublequèntly. lt leems to UI that the

• •

Q.

meaning of the ?discourl moraliste- in thoee tvo gr~Upl V&8 highly1d1t'ferent.

If the novel itselt' and l'Avis'

de

l'

~1twr, tenl

writt~Q:

betveen 1808 and

q' \ ,

I8IO, are filled vi th a .enu of distrén and helple.anesa., Constant being

\ , ~

.

e'Yicted rro", the

TJi1~nat

by

~onapart.e,

text ••

~ten aft~ aee~a~ratïn

are

trùly conformist and they celebrate .ocial valuel:

or

thi.

up.ejt~lti-fies 'the "discours J1lOrali~te". ' - ,

Il , ',. 1 dl ,

..

'.

(4)

..

i --"r-' '1 - .. 1 "

Ù

i

o

" f-INTRODUCTION I

-

! !

c~ieux destin que celul\d'Adolphe, ·pptit OUTrageR auquel Benjamin Con8-'

l

': tant prétendait n'attacher aucune 1mport~'e. I l sIen est,fallu de peu pour

1 ,

qt1e l~ eriti9ues ne le prennent au Ilot.,., e récit ~ qui appartient rlésorma~s

~u panthéon de. lettre. et que toute une tradition universitaire désigne comme le chet-d,t o8urre du ro~an Iloraliste -rfne c~nnut pas le. m'oindre succ~s dans 1e8 années qui',uivirent sa parution •. Ce n'e8~ gu~re que cinquante ans ap~s la

i ~

mort de 80n auteur qü'il commença yéritablement ~~tre lu. Entretemps, les quelqUes

i.r~iCle,

de GustaTe Plarléhe et de Sainte-BeUTe ne SUSCitèrent?' que peu d'échos. Bret, vers 1880, Adolphe accade ~nfin ! la gl~ire littéraire. A par-ti!- de ce moment, éditions et commentaires yont se multiplier.

,D'emblée, Adolphe fut situé au sein de la tradition française du roman moraliste .• Sainte-BeUTe le premier compta cet "ouvrage sec et décharné" au

/ 1 •

nombre des- rares oeUTrel ;<lUi percM\,..~jour le "coeur humain~. Et lorsque Paul

,

Bourget, Anatole France et quelques autres le redécouTri~ent, c'est eOMMe

" \ !

chef-d'oeuvre du roman moraliste qu'il. célébrèrent Adolphe, san. trop se

IOU-1 , ,

cier de justifier cel jugement. Quelque 8 re.rques dl orqre general suffirent J

, J

empruntées-! une conception classique et humaniste de la littérature. On tira

1 f ! . l "

en effet le roman du c~té de l'éthique, de la dissertation sur les moeurs, ~e

" ,

(5)

t

(

./

..

-,

-Analyste ;auss\!)' eXpert" g • .,.1,# Rocheroucauld A touiller

~e fond ob.eur' de la ~n8Menee 'humaine. ".!I) ,

o "

On admira en lui le moraUste al\ détriment du ~ , ~ "r~lIlancier; . .

.'

{ • • 0

)

"Son .tyle e,t d'un morali.te plu que °d'un.romancier, .. aucunement d' un poA~e:. (2 ) - 0

"

et l'on rit d'Adolphe le parangon du roman .,ralilt .. ' li

\ " ..

-·Son Adolphe, dan. la maoUre courte, dan.

la

.déMarche

IGre, avec .on ,e.te préci. et un peu dur, est le

1110-dAle Même du style du rOMancier morali.te.·(3)

La critique, depùis lors, s'est plu~

l

.ou~igner et

1

priTilégier.certains aspects de l'oeUYl'e pour présenter Adolphe COIlltlle un texte intemporel et uni-Tersel, qui mettra1:t en scAne la Nature h1Dllaine dans SDD essence même.'

.

,

"Adolphe est un liTre de tous les paya, un liTre san'a autre patrie que celle que nous yaut 1 tous notre con-dition d'hoJlllle, 'notre lot terre.tre."(4)

Tout se passe Comme si,

a

ses yeùx, l'oeuvre l1tt'raire n'était pu le pro·-duit d'une époquet œais l'incarnation de Taleurl éternelles: das lorl~ lire

r ' ~

AdOlphe ou ~les Maximes serait tout un.

L'unanindté ainsi établie autiPur de la notion de chet-d'oeuTre du roman moraliste s'effrite- toutefois das qu'il ,'agit de déterminer la portée

mora-,~ ~ 1

le de l'oeUTre. Confondant auteur et personnage, certains commentateurs font

..

de l'amalgame Adolphe-Constant "un martyr de la pitié-CS) ou, ,1 l'opposé,

..

1. A. Le Breton·, Le Roman français au XIX • • Ucle, Paris, Société trançaise d'imprimerie et de librairie, 1901, T.I, p.2I2

2. J. Hytier, Les Roman. de l'indiTidu, Paril, Les Arta et le-

Lb~re,

1926,

p.38 fi l' , • • •

3. E. Faguet, Politiques et moràli,tel du XIXe si&cle, Ire .érie, Paris, 50-... ciété françai.e d'imprimerie et de librairie, s.d., p .. 250 ' ,

u.

C. 'Du Bo" Grandeur et Mis're 'de Benjalliin Constant, Paris, Carréa, 1946, .

p.30 ' 1.

5.

C. Du B08, Grandeur et Mislre de Benjamin Con.tant, p.24

f

(

l

"

(6)

\ \

,~

)

i)

3-l'arChétype du salaud.(I) Quelque . . uns découTrent, dans la société ou le des-tin, le moteur du. récit; d '.autres ·le 4feoherehent dans J.e C'arac~re des

per-r sonnages, ou encore dans une intention métaphysiq,ue. Mai,s parmi une telle

pro-fusion d'intérprétations, toutes plus séduisantes les Œhes que les autre., aucune ne s'interroge sérieusement .ur"lOn postulat de base, c'est-A-dire .ur la nature Moraliste du roman. C'est ce que noua tenterons de faire.

On ne peut, de ce poiJl de Tue, se contenter d'affirmer que la lecture 'moraliste d'Adolphe est ~'siMple produit de(,l'idéologie bourgeoise et idéa-liste'qui r~gne sur l'UniTeraité, une tentatiTe pour désamorcer un texte dé-rangeant. Ce serait simplifier ,~utranci8rement le probl~lIle. I l faut en effet

• « ..

r«!connattre que cette approche .JIloraliste renco~tre de; nombreux échos dans le roman) et qu'ei~e semble coller de tr~s pr~.

A

la lettre du texte. ~n fait,

" ;

l'hypothAse centrale de notre travail est que ce type de~lecture prend sa • source dans l'oeuTre m8me. Comme l'écrit Tzyetan Todoroy:

-Ce qui existe d',abord, c'est le texte, et rien que lui; ce n'est qu'en le soumettant à ~ type particulier de lecture que nous construisons, l partir de lui, un uni-Ters imaginaire.( ••• ) Quels aspects du texte déterminent la construction que nous produisons lors de la ledture et de quelle façon?"(2)

En appliquant

~es propos

A

l'étude de

l~ genèse des diacours

idé~logique8,

nous tenterons donc de cerner une série

1

constitue~l'int~ri~ur

M&me d'Adol •

tendent Il s'a-gira par la suite de détenniner .la ation idéologique de ce discours e.t la nature de .es liens avec les lecture. critiques modernes.

~

1. P~ Weisz, Incarnations Mallier,'I973,

p.I88

1

du roman, Saint-Aquilin-de-P.cy, Librairie-Editions 2. T. Todoro'T, -La lecture comme construct.ion", f\cét!que, VI,o 1975" p .ùI7

(7)

(

(~

l

• 1 . _ - --~!

4-Pàr discourl Iloraliate, noui entendons dans ce tora.,ail un

1,.,...,...

de

re-l "

présentation du réel, et pl~, particuU~ement de la ac'onM tion hUliaitle, ca-ractérisé par une .éne de

_bel

bien detinie: l' inteMporall té ou la péreDDi-té, la stabiUté, i'uniYersalité, qui le tradubent par une tendance au P'Y-chologisme et l l'ab.tract~on. joute approche loeiohiltorique 7 elt éliminée -au profit d'une étude fixi.te de -l'homme éternel·, du ·coeur humain- di.,i.é

(e

en un nombre limité de catégories morale. et psycholog1q~es.·Cela conduit

A

tout centrer .ur une ridon eSlentialiste de l' hoJlllle, c 1 est-l-~e _ur une

i-dée abltraite, aussi dégacée que possible des contingenees . . térielles. Nous

1

eonsid~reron8 comme procédé du discourl. JIlOralbte tout· élément d' ordre

.ty-~listique, narratir ou thématique infléchissant le cour. du roman dans le sens

de cette définition.

o

L'étude des moti.,ations.

~déologiq~e.

du disC9urs moraliste dans Adolphe pose pour sa part certains probltlme •• &n ~ffet, ce type de discourl, en tant

que syat~me de repr~sentation du réel, prend une .,aleur idéologique bién

'dif-férente en fonction des circonstances socio-histot\iques qui le IUlcitent. Par

exempl~, un discours moraliste l forte co~otation, ja~sé~iste acquiert un sens fort différent Si i l .al' co.ntemporain de. Pende. ou des Lettres philo.o-

.

, .

phigues. Il faut donc tenir compte des rapportl que, l'auteur et sa classe

lO-t' i'

ciale entretiennent anc l' histoire'; et il de.,ient "cap~tal de dater les oeti-Tres, C'est dJailleurs ce qui noui am~ne 1 ~viser ce travail en deux grandes parties: l'une consacrée aux textes préfaciels rédigés apr&s

1814,

l'autre a~

texte romanesque rédigé avant ISIO.(I) Les boule.,ersements historiques qui

1. L'importance accordée dans ce travail aux textes préfaciell pourra surpren-dre; elle est toutefois nécessair~ cès texte! ,n'.,.an~ jamais. fait l'obje~

d'une lecture attenti.,e, soucieuse de leur specificite •.

...

..

,

! •

(8)

1

/

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()

"

Jft"arquent le 'début du IUe.-sikle lIIodifient rapidement le8 rapports que

l'in-, '

cliTidu éntretient aTec le monde et sa façon, 1 travers

l'-éc~i t~e,

de les

ae-1 sumer. Il ne saurait toutefoi8 8tre question, dans ~e tfavail~ de ressuciter

~

, 1

la·theorie du reflet pour interpréter Adolphe. Comme l'écrit Louis Althusser: -Toute idéologie représente, dans sa déformation

nécessai-rement,imaginaire, non pas les rappo~s de production existants (et les autres rapports qui en dériTent), mais avant tout le rapport (imaginaire) des individus aux rap-ports de production et aux raprap-ports qui en dériTent. Dans

~déologie est donc représenté non pas le syst~me des rapports réels qui gquvernent l'exis\ence des individus, mais le rapport imaginaire de ces individus aux rapports , réels sur lesquels i~s vivent."(I)

,

Adolphe apparatt donc comme l'écriture rom~esque des rapports imaginaires à travers lesquels l'individu Constant perçoi~ la société du XIIe siècle 1 une

' " ,

.

epoque bien precise de sa vie. Il fa~: donc_aller au-dell du sens apparent du discours moraliwte pour en saisir les motivations véritables. C'est alors seu-lemet qu'il nous sera donné 'd 1 en comprendre la signification première-.

l '-.

.

Il nous reste

A

souligner«l'étendue de notre dette

A

l'égard des ouvra-ges de Paul DelbouiJ:le et de Pierre Barbéris. Si nous ne partageons pas tau:" , jours la conception que se fait le premier d'Adolphe, nous ne ~ommes pas moins

-'

tributaire de la magistrale analyse stylistique qu'il donne de ce roman. Quant au second, qu',il suffise de dire que l'orientation de notre travail s'inspire

t.

en grande partie de ses recherches sur le romantisme.

I.

L.

Althusser, -Idéologie et appareils idéologiques d'ét~t., La Pensée, juin 1970, p.26

(9)

-, ... ...-,

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LES TEms PREFACIELs

,

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(10)

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,

..

" CHAPITRE l - LIS PRIFACIS \

"

6-.'

Le. étude .. con.aerée. 1 Adolphe négligent généralement l~. textes prêfa-ci.h. lU •• lë. con.1d&rent IUrtout cOllUlle une ré.or ... de citat.ion •• Auui n.

c

compt.e-t-on pa. le. ouvrag •• oa de. phrue. cOJlllfte a~a gran~. qu •• tion dan. la

,'1 ' . " ~.

vi., e'elt la douleur que l'on eau.e-(!), ftLe.'circon.tance •• ont bien peu de

• c'

cho ••• , le car~tlre l i t touta(2) .ont ut11i.' •• pour jUltifier une

interpréta-~ ,

tion de l' oeUTre. Un. telle attitude p~che par bien d.. eSté.. Elle n ' ••

t-

pour- .

"

.

tant pa •• an. jouer un grand rele dan. le. diyer.es lecture. d'Adolphe.

, . _ t

La

critique, lor.qu'elle proe~e'ainsi, oubll~ d'envi.ager le. texte. pré: taciell comme un tout lU.ceptible d'une ~a1y.e .globale, et 0]\ chaque- phra.e

ne ,

pr~nd

.on .en. véritable qu'en fonction, de l'en.emble teXtuel. De plu.,

con-ddérant l ' auteur

c~e

le

,:.wenta~eur.J

le plu. autori.é

d~

.on

o~\lYI'e,

tend 1 réduire le texte ro~ane.que aux texte. prétaciel. et l confondre le lecture dtt rOMan a~ee le !oman lui-mSme. Pourtant, comme l'a démont~ê_H nri Mitterand 1 propo. de Balzac et de Zola, on

ne

.:turait lire une oeuYre 1

tra-.(

yer. .on .eul discourt préraciel:

-In prétendant dégager le .en. d'une ~euyre, le récapitu-ler tottt en l'anticipant, la prétace\ littéraire o.t un

1. Adolphe, édition

J.-R.

Bornecque, Pari., Garnier,

I968, p.t49.

Toute. le. citation. d'A.dolphe ,dana ce"travail renvoient 1 cett.e édi~ion.

(11)

~

..

...

.,

, ~~i'iif'Y"t;~~",._~ ... -..~_-.. __ ~_

,

'

(

c-.',

..

1.

..

"-men.onge

ou

une illusion ~, 1Ioeuyre •• ~.(I)

1-.

"

Brer, l'on commet cénéral.ement. deux erreur. en apparence oppede., mai.

coa-p~éaentû.rel: celle de ne' pu étudier ·~ea texte. prétacieh dan. leur

totali-té et leur .péciricit,é; et celle qu~ cônli.te 1 che,~her en eux la clé du

ra-1

1I8ll; erreurs" compléllentaire. parce 1 qu'ue analy'18 .oïgnée de ce. texte.

.ur-.!it.

a

mettre 'itn relie! tout èe qui le. COllpe du rollaIll' .lux rai.on. d'ordre

i4A'4 A

<> lingui.~ique qui inei tent 1 .éparer radical8llent texte. prétaciell et roJWl (2)

-.' ajoutênt d' aiÙeur. dea

COnaidér~tio~'l~ei~.torique..

,

RelaYer le. différentel pha.e. de 1, canè.e d'Adolphe est déjl en .oi un travail riche d!enleigne.ent.(3) Commencée dan. le. ~ernilre • • emainel de

1806,

.

une première Ter.ion d 'ldolphe dont nOlll ignoron. tout est achevée. au début

de-. , de-.Jde-.

l'~ée

1807.

Le

24

février, Constant en tait la lecture à Mme de Coigny_ A

quel point le'ro.an di!f~re-t-il alors de la premiare mouture qui noua e.t parTenue, celle de la èopie de

IBlO,

noUi l'ignorons. Ce qui est certain, en reTanche, c'est qu'entre le texte de 1610 et celui publié en 1616, le. ~i~­

. te.:.ont rares et négligeable •• D~.

IBIO,

Adolphe, y compris l'ATi. de

l'édi-teur,· elt une oeUTre aCheTée.

.

.

..

'

.

Lorsqu'il décide, en 1816, de publier Ion roman, Benjamin Con.tan~

éprôu-Te toute!oia le besoin dl e-n précber le sen., la portée éthique, ou· plu. exac-,

-

.

tement la moralité. Il écrit albrs, 4ans le. aemaines qûi

..

préc~dent, sa

paru-..

.'

1. H. Mitterand, "Le disc,our. préfaciel", in La Lecture 8oeiocritique du texte . romane.que,' T,oronta, A. M. Haklcert Ltd.,

1975,

p~II , 2. Il ne l'agit pa. "de la,m6me situation de communication, c'est-A-dire ni de

l~ 1I13me énoJlciation, pi du lI13me énoncé" .. H. Mitterand, "Le diacour.

préta-ciel", p . I O . . ~

3. Pour une étude détaillée de la genêse d'Adolphe,. noue renvo~n. le lecteur au premier chapitre de la premi~re partie de l'OUTrage de Paul Delbouille,

Gen~.e, structure et destin d'Adolphe, Paris, Les Beiles Lettres,

t97I

, ..

1

, , "

(12)

1

8-~ion, la Lettre

a

l'éditeur et la Réponsè, texte. qui ne .ont pa • •

an',rappe-1er, par laur po.ition

A

la fin du récit et leur fonction didac~ique, le

'dis-• . l ,

cour. du p~re Souêl l la tin de René. Les toute. pre~i~re. réaction. l la pu-blication d'Adolohe déplailent néanmoins l l'auteur par leur. al1uaion. 1 sa

Tie p~iYée. Il entreprend aUlsit8t de .e défendre et adre.se, d~. le 23 juin

1816,

une lettre au Directeur du Morning Chronicle. Il rédige également une' préface - dite Préface de la .econde édition - qui .era insérée d~ai:a exemplaire. de l'oeuvre et dont le manuscrit nous eat parvenu.

E~in, de~er

ajout, lors de la réédition de

1824,

Constant, pour rem~lir une obligation en-vera son édite~, écrit une nouTefie préface - dite Préface de la troiai~me édition - qui reprend en majeure partie ~es thèmes de celle de

1816.

N~u • • ommes donc en présence de,deux enaemble. textuels rédigéa, dan. le meilleur de., cas, l six ans d'intervalle. Au premier regard, cela peut para!-tre anodin. Pourtant, au coura de ce. quelquea années, la .ituation de Cons-tant change dû,tout au tout, de même què .on attitude Yia-l-Ti. d'4dolphe. En

1807,

il déplore le fait qu'il lui ait impoasible de "faire cOMprendre le ca-racUre" de Ion héro •• (1) Il écrit alor',"l Sophie Gay:

/

"Je niai pu trouTer aucune fenune, , parmi le très petit nombre de oelles auxqualle. je l'ai montré, qui ait youlu avoir pour mon héros la ju.tice que je trouve qu'il mérite. Ell~s disent toutes qu'il devrait aimer, comme si aimer, et 8~tOUt aimer toujours, était chose

~ simple et facile; et parce que le pauvre diable n'aime ," plus, on ne lui lait aucun gré de ce qu'il fait ou de "r

ce qu'il sacrifie."(2)

Getté attitude emp~e~ntè de sympathie pour le personnage qu'il a créé. ne

dure-1

-

.

B~ Constartt, J~rnal, 28 mai 1807, in Oeuvres, Pari.,

qe, 1957, p.601

2. Cité in Adolphe, ëdition Delbouille. Paris, ~8 Belle8

Gallimard, La

Pléia-Lettr.s, I976,

P.2~

(13)

)

,

(

\

ra pas" En 1812 d'ji, c"e.t aTee indifférence qu'il aborde .on roman. wLu mon rollWl. Co~ le. iJllpre .. 1ona pa.sent quand

ie •

• ituation. changent. Je ne .aurai. plu. l'écrire au-jourd'hui.w(I)

9-Et l'abouti •• ement d'une telle érolution, c'e.t lanl doute dan. cette pbra.e

de la RépoQ.e de l' éditeur qu' on la retrOln'e:

• ••• La mé~ap~.ique la plus ingénieu.e ne justifie pa.\ l'homme qui a déchiré le coeur,qui l'aimait.w(2) J

L'Adolphe qu'il .'agissait de faire comprendre én 1801 .'est métamorpholé, en l'eapace de quelques années, en un 6tre que l'on doit co~damner. Nou. sonmes donc, en 1816, loin de l'état d'esprit de Benjamin Constant lorsqu'~l compose Ion roman. Il y a Il une raison lIIajeure de ,e méfier de ce qu'il peut écrire .ur .on oeUTre 1 cette époque.

-Il reste

r

sai.ir lei rai.ons de cette évolution pour le moins étonnante. L'explication la plu. cour ante fait appel 1 la Tie .entaentale, de l'auteur 0

Pierre Deguise, par exemple, Toit dan. la pauion malheureu8e de Coostant pour

Mme Récamier la cau.e prem1~re de Ion éveil

a

une morale rigoureu.e qui le

':l

poussera

a

la tois

a

s'engager dana la luvte politique et

a

condamner, dana les textes prétaciel. de 1816, sa Tie passée 1 travers le personnage d'Adol-phe.(3) C'est hélas une hypoth~8e inTérifiable. La ~1e priTée de Benjamin Cons-tant nous semble d'ailleurs un épiphénomàne négligeable, sauf dan. la mesure

oa

elle trahit sa façon de vivre l'histoire.

Le changement d'attitude de Constant nous apparait plut6t comme le signe d'une transformation de sa Ti8ion du monde oont i l faut chercher la cau.e dan.

1. B. Constant, Journal, 8 janT1er 1812, in Oeuvres, p.651 2. Adolphe, pp.149-I'0

3. P. Deguise, Benjamin Constant méconnu - Le liTrC':~De la religion·, Genltve"

Droz, 1966, pPo198-199 (li!

i

(14)

()

..

10-se. rapport. avec la .ociété. KTineé du Tribunat sur ordre du Premier Conaul en r802, l' auteur ~'Adolphe .ane dan. le. années qui sui Tent uné existence désordonnée, dominée par la présence d'une ambition désormais impo81ible l aalouTir. Il 8e ,ent exclu de la réalité.

RJe mourrai probablement sans aToir rien fait pour cette gloire tant pésirée, doué que j!étais de facultés uni-Ter8ellement reconnues. R(I)

Toutefois, dês 18rI, les premiers signes d'une renaissance se manifestent

a-\

lors que, s'installant à Gottingue, 11 se remet l ses traTaux sur l'histoire

de. religi~ns. Les événements qui, par la suite, Tont miner de plus en plus

sérieusement l'Empire ne seront pas sans lui rendre, en partie tout'au moins, espoir et oonfi~nce en son aTénir,. La chute dt l'Empereur en r814, pour cet homme qu'il a écarté du pouToir, est une libération. La Tie l'ambition -est

a

nOUTeau possible. Malgré quelques erreurs tactique. qui le forcent 1

fuir l Londres en r816, .a .ituation est désormais rétablie. Lorsqu'il publie Adolphe, Constant prépare déjl son retour, .a future carrière. Dans quelques mois,' i l sera rédacteur du Mercure de (France; et bient6t

.

député~

Porte-parole de cette bourgeoisie qui apparattra comme la principale bénéticiairé de la Restauration, il sent de l'éloignément pour cet Adolphe en qui il aTait peint un contempteur des valeurs sociales auxquelles i1 adhère maintenlUlt avec en-thousiasme. Le' futur député condamne l'ancien exilé.

Il était nécessaire, aTant d'aborder l'analyse détaillée des textes pré-faciels, de souligner ces faits. Derriêre , , l~ discours moraliste dont nous noui efforcerons de souligner la présenoe dans Oea textes se profile une idéologie

(15)

)

nI .. ,,.·,~

Il-A - La lettre au Directe~ du Horning Chronicle

Bien qu'a propreaent parler, la lettre au Directeur du Horning

Chroni-~ ne constitue pas

un

texte préfaciel - elle ne tait pal partie de ce. dis-cours sur le roman que llauteur a publiés avec lui - elle .érite une atten-tion particuli~re. Son earact~re publie et le jour ~u'e11e jette ~ur l'atti-tude de Benjamin Constant envers Adolphe y incitent. Kt Ilalgré la banalité apparente de cette lettre, .a 8ituation de texte pivot dans l'élaboration du discours prétaciel l'exige. Chronologiquement et thématiquement, elle conati-tlle en etfet le maillon qui relie la Lettre 1 l' édi teur et la Répon.e aux d!lux préfaces, reprenant le point de vue des premi~res pour l'incorporer 1 une nou-velle problématique qui s'épanouira ,dans les secondes. Aus si ce court, texte

mé~ite-t-il d'@tre cité, puis scruté 1 fond.

" Monsieur,

Différents journaux ont blué entendre que le court roman d'Adolphe contient des péripétie8 s'appliquant

a

moi-m8Me ou

a

des personnes~exiatant réeliaaent. Je,croia qu'il est de mon devoir de démentir une interprétation aussi peu fondée. J'aurais jugé ridicule de me décrire moi-.he et le jugement que je porte sur le héros de cet-te anecdocet-te devrait JIll avoir évité un 8oupçon de ce genre,

car personne ne peut prendre plaisir a 8e représenter Comme coupable de vanité, de faiblesse et d'ingratitude. Mais l'accusatioh d'avoir dépeint d'autres personnes, quelle. qu'elles soient, est beaucoup plus grave. Cela jetterait sur mon caractère un opprobre auquel je ne veux pas me soumettre. Ni Ellénore,- ni le p~re~Adolphe, ni

-le comte de P'" n'ont aucune resiemblance avec aucune personne de ma connaissance. Non seulement mes

ami.,

1 mai.

mes relations me sont sacrées.· (1) < '

I. Cité in Adolp~e, édition Bornecque, p.305

< 't

(16)

, '

..

12-La séquence d'énoncés ~i constitu~ ce paragraphe e.t peu complexe. Mentionnant l'existence de le;tures autobiographiques d'Adolphe tians le

pre-mi~re

phra.e, Constant le.

c~damne

d'abord de façon générale. Pui., dan. la

troi8i~me phrase, la plu. longue, véritable coeur de la ~ettre, il nie plu.

particuli~rement s'Atre dépeint dans le personnage central. Troi. br~Tes

phrase • • uivent, qui d~mentent toute ressemblance entre le. per.onnage.

d'~-do1phecet de quel~onques connaissance. de l'auteur, et le tout se termine sur une pointe. L'aisance d'un tel texte, la simplicité apparente avec la-quelle il est écrit na doivent paa faire oublier les procédé. de construc-tion et les artifices 'rhétoriques mis 1 contribut~on, ni ce qu'ili dissimu-lent. Comme toute la lettre semble une amplification dei deux .., premi~res phra-ses, son aens paratt facile l appréhender, et finalement de peu d'intérêt.

Q

Maie la leçon profonde d'un tel texte, il faut bien moins la chercher dans ce qui es} dit que dans lamani~re de le dire.

La grande originalité de la lettre adressée au Morning Chronicle, c'est dans l'identité entre narrateur et auteur qu'on la trouTe. Pour ia première ,foia, ponstant assume le di.cours qu'il tient sur Adolphe, plutôt que d'en

déléguer la responsabilité

A

ces créatures romaneiquei Mal définiea que iont~

---l'éditeur et son éorrespondant. On peut alors,

A

travers le processtlv> d'é-nonciation de la lettre, discerner le portrait que l'auteur essaie d'impoier au lecteur de sa propre personne. Certains termes modaliaateurs lont parti-,

culi~rement riches d'enseignement sur son visage id~ologique •

• - IIJ e croill -qu'il est de mon devoir ••• ": le narrateur abrite lia démarche

der-ri~re la not1on de devoir; se profile ain.i l'image d'un auteur soucieux

de ses responsabilités et de respect des co~venancea, bre~ d'un honnête

~

(17)

(

,

l ' 1 \

t

.

, u

13-- "J'aurais jugé ridicule de ••• • renforce l'imag,de l'homme sérieux, de J

gotit classique, qui est bien établi dans la société et donc A cent liéues

!

de toute folie romantique; sous-entendu, un discours de classe: un possé-dant ne saurait s'abaisser ,A écrire comme Rousseau.

- "Gela jetterait sur mon caract~re un opprobre ••• ft: appara~t la nécessité de protéger sa respectabilité, sa situation ~ociale.

Cette opposition devoir / ridicule~opprobre constitue l'aùteur en un person-nage bourgeois et conformiste. Face ! des rumeurs qU1 mettent en qUèstion son adhésion à certains principes du -monde", Gonstant se défend ~n8i avec

o

vigueur, et sa' lettre constit'Ue une .. profession de roi vibrante en ces prin-cipes. Une telle intervention n'est cependant pas sâns modifier de façon

tr~s nette l'évolution du discours moraliste dans l'appareil' préfaciel.

Il y a en effet dans ce texte, par ;apport

A

la Lettre à l'éditeur et

~ la Réponse, un décentrement du discours préfaciel qui se manifes'tera enco-re, mais de façon moindenco-re, dans les préfaces. L'accent ne porte plus sur la signification d'Anolphe, qui est désormais subordonnée! l'exposé des rela-tibns entre Constant et son oeuvre. La volonté

de,

nier toute lecture autobio-granhique l'eyige. C'est sans doute l'intensité particuli~re ~ cette volonté dans

la

lettre au Morning Chronicle qui explique le peu d'i~portance qu'y prend le discours moraliste. L'exposé"des valeurs conro~mistes y est trop di-recto Aussi, comme la structure de la troisième phrase' le démontre, si le ju-gement moraliste négatif que la Lettre et la Répon~e portent sur Adolphe est récupéré, il est cependant réduit! l'état de simple preuve contre les lec-tures autobiogranhif'}ues. Seul l'accent négatif du jugement est conservé; les connotations moralistes demeurent dans l'ombre. Cette situation va toutefois grandement évoluer dês la Préface de la /seconde édition.

liAI_ail

l

(18)

/ /

/

()

()

-

14-B- La Préface de la seconde édition

Il convient tout d'abord de s'arrGter

au

sous-titre de cette préface:

/ ' .Lt '

W-essai sur le carac"\ICre et le résultat moral de l'ouvrage". Ces quelques mots suffisent

a

résumer son ambitieux programme. Ils indiquent que l'auteur, dans ce texte, ne se propose rien de moins que d'établir ce qu'est Adolphe et quelle leçon on doit en tirer, bref d'en d,onner une lecture canonique.

ADr~s

.

avoir prot~sté dans sa lettre au Horning Chronicle contre un certain

- ~

type d'approche de son ,roman, Constant s'efforcera donc maintenant de

clari-~

fier les ·rapports qu'il entretient avec son oeuvre par le biais d'un cOmJ'l!en-taire susceptible d'en éviter toute interprétation f§cheu.e. C'est d'ailleurs dans cette intention qu'il va réintroduire, en tant que substitut aux

lectu-• 0

res autobiographiques, le discours moraliste dan~ les textes préfaciel~.

A-Dans le cas préflent, la préface peut être réduite ~ deux énoncés prin-cipaux: a- ce roman n'est pas autobiographique; b- i l constitue une mise en

gat'de contre les faiblesses du coeur humain. On peut d' aflleurs la présenter

\.

comme une illustraticn du mod~le préfaciel établi par'nenri Mitterand:

"La

littérature doit ~tre ou faire 'x';

, .. Or ce roman a fait 'x';,

Donc, toi, lecteur, tu dois ~e tenir pour un livre de valeur. ft (1)

Il suffit de dégag~r son plan pour le démontrer. Apr~s une brève introduc-tion, Constant s'attache en premier lieu à discréditer les lectures autobio-graphi9ues de son roman

(par.2-').

Il avance alors que le but d'Adolphe est bién plus élevé et plus utile (par.6-7). Beaucoup plus que, de condamner les

1. H. M~tterand, rtLe discours préfaciel", p.6

(19)

(

c

-

<-..

liaison., Bon principal propos, atf~rae-t-ll, e.t de loul1cner le danier

qu~i1

y

a 1 teindre un sentiment (par.8-9). Suit une énumération lie • •

al-heurs que

prO'f'o~e, tt/~

chez l' hOmM que œhez la t8llllle, une

teHi;"~onduj.-

15-{;,~

te (par.10-12). La conclusion con.titue alors

un.

inTitation l .e contor-Iller aux exigence. lIlOralel de la lociét.é (par.n). eo.e on le Toit., on re-trouve assez facilement dans cette disposition le schéma d'Henri Mitterand:

.

.

b- ce roman nlest pas autobi~graphique 1IIais moraliste; a- la littérature ia- '

~

,

pçrtante pOlsAde une perspectiTe moraliste; c- donc ce rom~ •• L'inTer.ion des léquence. a et b e.t une particularité négligeable.

A traverl un tel schéma syllogilt.ique, la prétace de 1816 l'éhicule une ,

'fision du monde et de la littérature qu'il est capital de bien mettre en

lu-Ili~re. D4\s le- premier, paragraphe, le personnage de 11 auteur bourgeoil et

eon-• 1

formiate mi. en place dan. la lettre au Mornins Chronicle réappara!t. De ce , point de TUe, le thlae du ·petit ouvrage· auquel -l'attention du public donne une valeur- trop grandè -

th~me

qui

8e~

repr1. aTee beaucoup plus dlampleur dans la prétace de 1824 - est fort sl.gni!1catif. B1en- plu. qué de la model-tie, i l refUte l'attitude de toute une classe 1I0ciale

l

Pégard du rOIlan: pour l'hOmMe nanti, sérieux et cultil'é, un roman ne Baurait 8tre qu'un amu-lement pour femmes, un objet sana conséquence que l'on peut commettre l la rtqueur, mais auquel i l serait ridicule d'attacher de l'importance. Le pre-mier soin de Constan~ - qui n'est toutefois qu'un artifice rhétorique - est donc de prendre ses distances Yis-l-Ti. d'Adolphe. Ce n'est que par la suite, dans une habile lIanoeuYre de retournement, qu '11 pourra songer 1 récupérer Bon oeuvre 1 tral'ers un jinSidieux discours mor aliste, et JIl8me tenter de la !aire contribuer 1 l'élaboration de l'image empreinte de .ér1eux et. de re.-ponsabilité qu'il Teut donn~r de lui-Ja&.e.

( ( 1 1

I~

i

1 l , , "

(20)

·0

16-Daqs ce contexte, la viçoüreuse protestation contre le~ lectures

auto-~

biographiquesp'&r quoi débute la préface mérite d'@tre considé~ée avec

mé-q

fiance. Comme dans la lettre au Morning Chronicle, elle semble avoir surtout pour fonction de réitérer le confo~isme social de l'auteur. C'est du moins 1 l'impression qui se dégage de la nature des arguments utilisés pour contrer ces lectures. Constant ne s' attac.he en effet à les réfuter que par des

pro~-cédés rhétoriques pour le moins spécieux, les faits étant laissés dans l'om-,0 bre. Le coeur de son raisonnement, qui réside en un appel à une solidarité

,

de claSse, p'~rart spéc~alement dépourvu de toute valeur probatoire. "Ils (ces rapprochements prétendus J éta~ent l' ou~raE:e

de ces hommes qui~ n'étant pas admis dans le monde, l'observent du dehors, avec une curiosité gauche et une vanité b}essée, et cherchent ~ trouver ou à cau-.er,du scandale, dans une sph~re au-dessus d'eux:n(I)

Constant, tout l'indique, se préoccupe moins de combattre les allusions au-tobiographiques que de souligner par ce biais son appartenance à une socié-té bourgeoise dont il affitme avoir toujours partagé les valeur s'.

La comparaiso~ d'Adolphe avec les oeuvres des deux princIpaux écrlvains

de l'époque, Chateaubriand et Mme de Sta~l, marque un tournant dans

l'orien-1 _

,tation de la préface. J:.iauteur, grâce à ce parallHe avec René et Corinne, légitime son entreprise romanesque tout en marquant la hauteur où il prétend la situer. Aussi ne s'agit-il plus désormais de défendre Adolphe con~re cer-taines interprétations, mais d'en souligner le caract~re "utile" et nélevé". le disco!,%"s préf'"a6iel devient positif. A la "traca!"serie" et au "col!l'llérage" ,

,

} I auteur oppose d~s ce but

la

"nature" et le "coeur humain".

rI

met ainsi

(21)

(

,

·-MI . . . . 4% li

17-.ur pied un dhcour. moralilte que Pi~rre Veiu pré.ente eD ce. tenae.:

,

\

~_ -~ar .on allusion 1 la 'pature' et l 'l'ob.ervation·du

coeur humain', Coruatant .amble .e ranger 1 une concep-tion tout 1 rait traditionnelle du r6le de l'écriyain. Celui-ci pourrait exercer .on art dans la cont8llplation d',un hOllllle idéal, d!ùn 'coeur' unber.el dont

dériYe-. u .

ra1ent toutes le. indiyidualite. et dont chaque

per~n-nage incarnerait une illus~ation 1 la roi. partielle et exemplaire."{I)

Certa~ne8 marques de ce discours dans la prérace de

1816

.ont fort

éTiden-- ,

tes: - l'emploi de termes généraux comme "on", "les hommes", "les temme.-,'

qui

permettent d' a-ppliquer la leçon dégagée du roman l l' humanité entiare; - la y~lonté d'établir cette leçon l partir d'un certain nOllbre' de thêmeB psychologiques et moraux d'une yaleur uniyerselle 8u.ceptibles dléd1~1er le lecteur; bref, un ensemble de p~rédé8 viaant 1 propoS'er une lecture aussi' peu romanesque que possible d'Adolphe. L'oeuvre elt ain.i tirée du ceté de. sciences morales, seul domaine digne, aelon la bonne société, d'un réel inté-rêt. Cela permet 1 CQnstant de récupérer Adolphe: aprls en aToir lIépriaé les éléments romanesques, 11 Ya maintenant magnirier .on a.pact IIIOr~.te et, 1

traTerl ce dernier, taire profession de toi bourgeoise. " ~ L'essentiel de la prêf,'ace consiste dth lop-en une lecture moraliste qui réd\1it 'la

thémati~ue

complexe 'd'AdOlph[. une seule propo.sition:

i

Des danger. qu'il y a "dana Ü"simple habitude d'emprunter le lan!age de l'amour, et de se donner ou de raire nartre en d'autres des émotions de coeur pas saglre •• " (2)

...

'

Il n'y,est question ni d'Adolphe, ni d'Ellénore, mais des remmes - -Stres

(l

faibles, n'ayant de rie réelle que dans le coeur" - et des hOJlllll8s .. "pln forts", "des tinés A seMir de centre Ace qui les entoure". Les -lIap.x

ru-1. P. Weisz, Incarnations du roman, p.IS8 2. Adolphe, p.,

(22)

1

...

I8-gaires" que provoque l'emprise de la société sur le destin de l'homme y sont déclarés secondaire. au profit des "souffrance. du coeur". Quant

A

la seule

" allusion historique de tôute la préface, dénonciation des effe~s néfastes de l'esprit philosophique et voltairien, elle eat dissimulée derri~re une phra-séologi'e qui tend vers le général ej. l'éternel:

- - . - l

, .... ,> "Une doctrine de fatuité, tradition funeste, que

l~gue

A ,', ~,:' la vanité de la génération qui s'élève la corruption de ,

~la génération qui a vieilli, une ironie devenue trivia-le, mais qui séduit l'esprit ••• " (IL

Tout est àinsi subordonné

!

la peinture moraliste des malheurs qui frappent celui qui néglige les principes moraux de la société. M8me le style de Cons-tant, d'un naturel lec et concis, s'enfle, se gonfle, multiplie ~es construc-tions parall~les jusqu'A rappeler, dans sa volonté d'édifier, la façon des sermonnaires. Aussi le discours moraliste semble-t-il, en définitive, n'avoir

\ d'autre but que de mettre en garde contre les liaisons.

"C'est ne pas commencer de telles liaisons qu'il faut pour le bonheur de la vie: quand on est entré dans cette route, on n'a plu. que le, choix des maux."(2)

L'auteur réussit donc le tour de force de présenter Adolphe comme une oeuvre

fil •

conformiste, qui prouve par l'absurde la valeur des vertus bourgeoises que sont le mariage,' une vie rangée et laborieuse. Sous> le couvert du disa.ours moraliste s'impose ainsi l'idé?lcgi~ bourgeoise qui triomphe avec la

Restau-,

ration et dont Constant se fera un des principaux porte-parole.(J) Tout le dOfTIaine social, par trop brûlant pour cette idéologie de la fin de l'

histoi-1. A.do1phe,,.p. 7

2. Adolphe, p.8

J.

Elu député en I819, Oonstant, libéral modéré, défendra les intér~ts de la bourgeoisie et du capitalisme naiesant à la foi$ contre l~ gauche ra-dicale et les,u1ttas.

(23)

,

t

'19-•

o

re, est évacué en faveur d lune perspective psychologique normative. De 11 ce texte platement édifiant que devient Adolphe en 1816 aux yeux de .on auteur.

~

C- La Prétace de la troisi~me édition

La préface de 1824, dernier' texte publié par Con.tant où il .oit que.-"tion d'Adolphe, c16t le discours préfaciel de l'auteur sur une note en

appa-rence décevànte. Elle ne .emble en efr,t qu'une nouvel~e version, plul con-ci8e, de la préface de

r8r6.

Aussi J.-H. Bornecque en parle-t-il comme d'un texte sans originalité propre, fabriqué "de pi~ces et de morce~uxft.(l) Une comparaison superfic~elle des deux préfaces ne lui donne d'ailleurs pas tort. A preuve cette phrase de la Préface de la seconde édition

RIls sentent qu'un être qui souffre par ce qu'il aime est sacré.n(2)

qui devient en 1824:

nOn sent alors qu'il y a quelque chose de sacré dans le coeur qui souffre, parce qu'il aime."(3)

Et on peut multiplier les exemple~ de c~ genre, qui portent

A

croire que les seules différ~nces entre les deux textes .ont d'ordre pure~ent styli,tique.

,

Néan~ins, l'étude aétaillée des préfaces nous ~~ne l privilégier le point

de vue de Paul Del~ouille sur cette question:

"Constant a bel et bien rédigé un nouveau texte: s'il . s'est inspiré de phra~es olus anciennes, il les a pro-fondément remaniées et lelles s'int~grent parfaitement

~ leur nouveau contexte.-(4) "\"

1. Adolphe, édition J.-H. Bornecqu~ p.30J

ê. Adolphe, p.7

3. Adolphe, p.10

4.

P. Delbouille, Gen~seJ st~ucture et destin d'Adolphe, p.96

(24)

"

l

20-Nous ne 1I0JMte. toutefois pas enclin, comme lui, r/-, à jùger l'attit.Ude de Con5-r.

tant'en

1824

ComMe ~plus 8êreine~ et marquant -un certain détachement i l'é-gard de 80n roman-. Hais pqnr débuter, il conVient de définir ce ftnouv~a\l contexte" dont parle Paul Delbouille.

Eeaucoup plua courte que celle ,de 18I6, la Préface de la troisi~mé

-écii-,

tion p~ésente un p~an à la fois simple et ambigu. Apr~s avoir s~uligné dans un premier par~aphe le peu d'intér&t quli~ porté! Adolphe, l'auteur

con-\

sacre le suivant - qui, incidemment, est de loin le plus long - à tenter de ëerner la portée morale de son roman. Il s'interroge par la suite, non sans ironie, s~r la réus~ite on l'échec de sa démarche, puis conclut brusquement dans un qtlatri~me paragraphe qui marque un retour au ton d'indifférence 'af-fectéè,sur lequel s'ouvrait le texte. Une telle disposition, dans sa simpli-cité m@me, ne peut que surprendre,pax: 11 hiatus qu'elle crée entre le corps de la préface d'une part, 80n introduction et sa conclusion de 'l'a?tre. Il

o

est en- effet poW"" le moin:!! contradictoire qu'un texte 'o~ Constant réduit A-dolphe au rang dfune ftapecdote" sans Impo~tance fasse place ~ son sein à

~e lecture moraliste qui' donne du roman une toute autre perspective. Pour-' riant, cOl'TllTle. trou's allôns

t~nte!,

de le démontrer, le disco'urs mo,ralist"e ,.,et

c~-,'

0 ,t~4i de l'indiffére~ce, malgré leu; antagoni~me"apparent, se'cQ~binent dans 0

o~

préface de

r824

d'une façon fort originale pour éonTérer au pefsonnage de

J

l'auteur sa etature définitive et fixer la ·portée idéologique d.~~dolpbe. "

If<

La question des rapports qu'entretient l'auteùr avec son oeuvr~ consti- . . tue le coeur dé la Préface de la troisi~me édition. Apparue dans' le 'discours'

~I' t.

préfaciel av~c l~ lettre au Horning Chr~nic~e, cette probléma~ique est abor-" dée ici sous ~,\)our al!56Z particul~er. En effet, j'ex~stence de lectur~s

(25)

actuali-"

c'

• , . : <, o , 1

(

21-té. Par co~tre, le thAme du ·petit ouvrage- auquel l'auteur lerait -devenu fort indifférent- ~att ~ e;sor considénable par rapport A"là Prétace de . la seconde édition. Deux faits concourent ~ expliquer cette DOuvelle taTeur:

a- Ad'olphe n'ayant gu~re connu de lIuccês, Constant parattr~t 'ridicule de

r.

vouloir lui attacher quelque importaDCe; b- il serait peu convenable de la part d'un éminent membre de l'opposition parlementaire libérale de se sou-cier de quelque chose d'aussi 'futile qU~un roman. AUIsrrnotre auteur justi-fie-t-il la réédition d'~d~lphe par 'la seule crainte dien voir fublier une

contref~çon o~ ses propos seraient déformée. La physionomie qu'il se donne

dans le discourz préfaciel semble donc immuable: ce1Je d!un pomme de bon ton,

.,

sérieux et digne, qui ne saÙrait rien avoir de commun avec un Adolphe. \è'est , ,

là une impression que la fable de l'origine du roman né peut que renfor~~

• a

par l'importance qu'elle accorde au

th~me de l'oeuvre

gratui~e,

qui ne'

Je-rait qu'un 'divertissement sans conséquence, une simple gageure.

,Il Y a lie~ d'admirer 11art consommé de la transition avec lequel Cons-tant passe de cette fable, ~ l'exposé de la portée morale d'Adolphe:

...

·Une fois o~oupé de

ce

travail, j'ai voulu développer quelqves autres idées qui me sont parvenues et ne m'ont

pas ~emblé sans une certaine utilité.U(I)

D'un c6té, il présente la l,eçon morale -du roman comme qu'elque chose de

cpin-" /

pl~entaire et finalement d'assez secondaire; de ~'autre, la'no~ion d'ut~i­ té lui permet d~amoindrir ce qu'il y a de par ,trop" frivole dans l'idée d'une

.

oeuvre gratuite. D~s lors, sans contradiction flagrante, il peut récupérer le discours moraliste qu'il avait dév~loppé dans la préface de

1816.

~dolphe

, 1

r",

Adolphe, pp. 9 .. 10

(26)

ü

22-est 1 DOUTeau décrit cOllDlle un texte a}i:strait, psychologique et moralisateur, '

'"

'illustration des malheurs qulentrat~ le libertinage. Un nouvel élément s'a-joute toutefois 1 cela: la dénonciation "d'une s~ciété toute factice" qui .e

j

moque dei vertus "naturelles· (e'est-a-dire bourgeoises). Cette société n'est malheureusement envisagée que comme un ~tre'abstrait et immuable, ce qui re-tire toute porté~ effective.l cette critique.

Plus concis dans la formulation qu'en 1816, le discours moraliste donne l'impression, danl la Préfaçe de la tro18i~me édition, d'être davantage som-bre, et pessimiste. Il n~ se termine d'aflleurs plus sur un appel au confor-misme moral, mais par une vision désenchantée de l'être humain. S'interro-geant sur la véracité du tableau qu'il a tenté de peindre dans AdolpHe, Con8-tant parle en effet avec une ironie am~re de ces'hommes qui, par pure

f~tui-té, s'attribuent les crime~ mêmes dont il avait espé~é, non sans ingénuité, les détourner. La rupture de ton brut-ate qui marque un retour au th~me de l'indifférence ne doit donc pas nous étonner outre mesure.

"QuOi qu'il en soit, tout oe oui concerne.Adolphe m'est devenu fort indifférent; je n'attache aucun prix à ce roman, et ••• " (1)

Cette rupture est en quel_ue sotte appelée par le bilan négatif qu'il dresse de son entreprise moraliste. Le registre pes simiste permet en effet à l'

au-téur

de cambler l'hiatus qui existe entre le discours mora~iste èt celui de

l'indifférenc~ en les réunissant dans le masque du moraliste déçu par le

gen-re humain et bien décidé 1 se taire. A travers ce personnage quasi romantique ,.'

du proph~te qui pr@che dans le désert, Constant parvient l donner

l'impres-I. Adolphe, p.II

.-o. r

(27)

(

,

l

...

23-sion qu'il dépasse sa propre situation idéologique pour atteindre, par le biaia du discours morallBte, l une Térité uniTerBelle. i l ne faut donc pas .'étonner si Charles Du Bos, par exemple, croit découvrir en lui ·un mar-tyr de la pitié- et un ap6tre de -la religion de la douleur". Mais cela ne doit surtout pas nous faire pErdre de vue qu'en dernier ressort,., "cette pré-face, sur le mode pessimiste, ne constitue qu'Une apologie de. valeur. bour-geoises. La dramatisation du personnage-auteur nlest qu'un élément rhétori-que qui, s"'il peut lIlO(hfier la réceptivité du public au discours, n'en

bou-1~er6e e~ ri~ le contenu.

D - Le brouillon de la Préface de la ~econde édition'

1

L'étude de la série de textes préfaciels qui va de la lettre~au Horning Chronicle à la Pr~face de la troisi~me édition a mis en relief l'extr~me dis-crétion de Benjamin Constant sur les aspects sociaux de Ion roman.

La

lecture moraliste qu'il propose d'Adolphe interdit en effet au lecteur d'y chercher une quelconque allusion de ce type. Les deux seule; que nous ayons relevées sont des plus ténues: a- dans la préface de 1816, la phra~e que nous avons cru pouvoir lire comme une condamnation de l'esp~it philosophique est si

80i-.

gneusement enrobée dans une terminologie ~ora1iste qu'elle en devient presque r"

inintelligible; b- l'allusion

a

une ·société toute factice" dans celle 1824 demeure imprécise et est aussit6t récupérée par le discours

,

Cette étonnante réserYe ne peut qu'augmenter notre intérêt pour le brou~

de la Préface de la seconde édition, brouillon qui se termine par troili

para-o

"

graphes - dont rien n'a été retenu dans le texte définitif - qui débutent par cette phrase pour ,le moins révélatrice:

(28)

,!)

- - -

-

24-"J'ai voulu peindre dans Adolphe une des principales mala-dies morales de notre si~cle: cette fatigue, cette incer-titude, cette absence de force, cette analyse perpétuelle, qui place une arri~re-~ènsée

A

cSté de tous les sentiments, et qui par

lA

les corrompt d~s lenr naissance.n

(!)

Quelques lignes plus bas, il e6t fait mention "des arides leçons d'un monde blasé·, puis de "sa triste ironie" et de "son égo!sme". Une autre remarque

1

attire également l'attention:

"La

décrépitude de la civilisation les a saisis; en pensant s'éclairer par l'expérience de leurs p~res, ils ont hérité de leur satiété."(l)

Il semble bien, ces citations l'attestent, que Constant ait songé à présenter Adolphe comme tout autre ch~se qu'un roman moraliste: le voici en effet'dé-crit comme une' "pein~ure du mal du si~cle",et de ses causes, tant morales que

~sociales. Subitement, nous sommes transportés bien loin de l'étude abstralte

.

du coeur humain. Le dernier paragraphe du brouillon est particulièrement ca-ractéristique de cet élargissem9nt de la portée de l'oeuvre:

"J'ai peint une petite partie du tableau, la seule qui rat non sans tristesse, mais sans danger pour le peintre. L'histoire dira l'influence de cette disposition d'~e sur d'autres objets. Car, encore une fois, tout se tient. Ce qui fait qu'on est dur ou léger envers' l'affection, fait aussi qu'on est indifférent l tout avenir au-del! de ce monde, et vil envers toutes les puissancés qui se succ~­

oent, et qu'on nomme légitimes tant qu'elles subsistent. L'on met ensuite son esprit ~ expliquer tout cela, et l'on croit qu'une explication est une apologie. r·;ai5 i l en ré-sulte que le Ciel n'offre plus d'espoir , la terre plus de d:ignité, le coeur- plus de refuge. " (2)

Reliant la signification d'Adolphe A la questibn de l'athéisme et à celle des bouleversements eol~ques récents, Constant fait finalement de ce ~rouillon

une

esp~ce

de

man~ste

social où il donne libre cours

a

son conservatisme.

l. Adolphe, p.304

(29)

,

,

'.

(.

---- -~---

2$-,.

Il reste 1 saisir l'~xacte portée de la lecture d'Adolphe proposée dans ces paragraphes et les raisons qui ont amené Constant 1 ne pas jes ~blier. A ce sujet, nous sommes en désaccord aTec Paul Delbouille lorsqu'il écrit:

RIl,n'empOche que le romancier n'a finalement pas tait usa-ge de ce JIlOrceau, ce' qui doit nOI'lllalement nous interdire d'y chercher dei lumi~res pour éclairer le roman.--(I)

Jugement étrange de la part d'un _historien de , la" littérature dont le'"anil

~

"

"'

consiste précisément 1 inventorier les divers états de. textea., En tait, il

<

faut sans doute y déceler. le malaise d'un partisan d'une lecture esthétique

~

d'Adolphe face 1 un document qai tend 1 insérer ce roman dans le si41cle. La

décision,de Benjamin Constant de retrancher cel trois derniers paragraphes de la préface de 1816 (acte flagrant d'auto-censure) noui semble au contrai:

"'"

re le signe m@me de leur importance, de leur caract~re dérangeant et révéla-teur, Car il faut d'abord se rendre compte qu'ils~rerl~tent la vision du mande de l'auteur et de sa classe sociale. Essentiellement, ils marquent le rejet de la morale de l'intér@t bien entendu - cette horreur ·philosophique·

1

qui trouTe, aux yeux de Constant, sa plus parfaite incarnation dans cet em-pire napoléOnien qu'il déteste - au nom de celle du devoir. Au Ille si~cle~ ainsi que l'explique Roland Mortier, la bourgeoisie rejette en etfet l'héri-tage philosophique qui est le sien.

·On comprend aieux pourquoi ces descendants des 'Lumi~e8'

ont contesté l'héritage intellectuel du IVIlle si~cle: une nouvelle société suppose de nouTelles priorités; la bour-geoisieJ jusque-li requise par la lutte idéologique, s'est engagée dans la lutte pour le pouvoir. Au ai~cle de Voltai-re, ne Diderot et de d'Alembert succade celui de Royer-Col-lard, de Guizot et de Thiers.-(2)

l. P. Delbouille, Gen~se, structure et destin d'Adolphe, p.96

2. R. Mortier, "Constant et lei 'Lumières'·, Europe no,.467 (numéro spécial), mars 1968, p.18

(30)

ü

..

'26-Forte de. conqu8tes de la Rérolution, yéritable propriétaire de l'&tat dàs

la Restauration, la ,bourgeoisie prône désormai. une idéologie de la rin de

l'histoir~ dont les leitmotiye aont: famille - trayail - pàtri~. Sur le mode de la déplorAtion, ce .ont également ces 'Yaleurs que scande le jrouillon de la Préface de la seconde édition. Mai, alors, pourq~qi De pas iYo1r publié les trois derniers paragraphes de ce texte?

o

Le

propre d'un discours idéologique, noUi semble-t-il, est de s'avancer masqué. De ce point de we, .il n'était pas sana lIlaladresse de la part de Constant de rappeler des éyénements politiques récents

oi

1& grande.MAjorité des membres de sa classe aTait été, plus ou moins impllquée.(I) D'autant pIlla que l'évocation de ces bouleversements récents ne pouvait que gêner au

sein d'une idéologie de la tin de l'histoire. Le déguisement moralis~e de ce discours se réT~le finalement bien plus efficace: sans heurter les

suscepti-, "

blUtés, il présente les yaleurs bourgeoises sous un jour ét:ernel,

a

trayers un nimbe, psychologique rassurant. Si Constant renonce pratiquement l toute allusion sociale au p~fit du seul discours'moraliste dans les textes

prêfa-1

ciels pUbliés, c'est donc par simple souci d'efficacité didactique. ,Face au J'n

discours feutré de ces textes, le brouillon de la Préface de la Seconde édi-1

t,ion joue d~8 lors le r6le d'Iun réYélateur. Aussi convenait-il de s'y attar-der •

1. Constant lui-m&me vient tout juste de se compromettre dans l'aventure des Cent-Jours.

(31)

«

,

t

27-CHAPITRE 2 - LI ENCADREMENT DU ROMAN

Il peut sembler étrange que nous abordions l'étude de l'encadrement du roman apr~s celle des prêtaces. Ce raisant, nous ne respectons évidemment pas l'ordre de publication des textes. Il y a toutefois une bonne raison l

\

cela. En effet, l'encadrement d'Adolphe consiste en u~érie de textes qui, tout,en étant essentiellement de nature'préfacielle, semblen~ jouer un r8le non négligeable dans la structure narrative dû roman. Alors que ~es p~éf.ces

..

sont assUlIIées. par l'auteur et qu 1 elles demeurent A distance de 11 oeuvre,

l'encadrement est três étroitement relié au long récit 1 la premiare pJrson-ne que constitue la confession d'Adolppe: les textes qui en font partie pren-nent la forme d'une fiction romanesque (celle du roman épistolaire) et sont assumés par des personnages fictifs; de plus, ils véhiculent des informations qui paral.ssent compléter les propos du narrateur du roman (sur les années qui suivirent la mort dlEllénore, par èxemple).

Ces faits ont conduit nombre de critiques 1 considérer l'encadrement

COITIJII8 partie intégrante d'Adolphe. C' est le cas de C'laude Reiehler qui écrit:

'"Voir l'Avis de l'éditeur, la Lettre 1 l'éditeur et la Ré- \

ponse., Les réflexions morales et les justilications invo-quées par l' éditeur appartiennent-, en bonne analyse, à la riction romanesque: du point de vue de l'histoire, elles constituent une finj du point de Tue de la narratjon, un

cOllJlllencement et une tin. "(l)

l. C. Reiehler, "Adolphe et le texte enfoui", Critique no.)57, tévri~r

1977,

(32)

o

o

28-Quant

A

Pierre Weisz, i l distingUe nettement les préfaces de l'encadrement: -Malgré leur importance, mal~é le r6le qu'elles remplissent

en réclamant une certaine leëture de l'oeuyre, ces deux in-troductions présentent un intér@t qui, comme leur position, est liminaire. Il en Ta autrement <J'a l'Avis de l'éditeur, qui fait véritablement partie du récit. ( ••• ) La Lettre 1

l'éditeur et la Réponse, qui const~tuent la suite naturelle

de cet ATis ••• -(1) 1

J

Bien que nous ne 8ouBcriT1ons pa. l une telle position, l'apparente intimité de l'encadrement avec le texte romanesque nous a néanmoins incité 1 l'aborder aprAs les préfaces. Notre démarche nous am~ne en effet

A

partir des documents les plus éloigAés d'Adolphe pour nous rapprocher graduellement de l'oeuvre "en décapant les couches successiT~s de discours qui la recouvrent. De plus, une telle disposition a le mérite de mieux mettre en valeur.le contraste qui

exis-,

te entre l'Avis de l'éditeur et l'ensemble des autres textes préfaciels.

.A.- L'Avis de l' éditeur" (

\

Rédigé plusieurs années avant tes autres textes préfaciels, l'Ayis de

...

l'éditeur éclaire Adolphe d'un jour bien particulier. Le présenter à la sui-te des préfaces de 1816 et 1824 ne peut que souligner 1 quel point

l'attitu-~ de Constant envers son roman s'est modifiée depuis 1810.

Au premier abord, pourtant, l'Avis de l'éditeur semble un texte tout 1 tait conventionnel et dont il n'y aurait, en définitive, que peu de choses! tirer. Paul Delbouille le rattache d'ailleurs fort justement à ces avertisse-ments plus ou moins stéréotypés sur lesquels s'ouvre la majorité des romans 'écrits! l, premi~re perso~e au XVIIIe si~cle. Il prend tO\ltefois soin, par

1. P. Weisz, Incarnations du roman, pp.I6$-166

(33)

(

t

(--~ - - - - -~-~---1 .,$J$;:;<l!lI'fW'if''''~

.29-le biais d'une comparaison avac La Vie de Marianne, Valérie et Claire d'Albe, de souiigner l'errieacité nouvelle que Constant donne.! une technique éculée en mettant en sc~ne dans ce texte le personnage centr'al du roman.

L'ATis de l'éditeur est un texte d'une composition fort simple. Dans un

prem1~r temps, l '.édi teur rapporte les fai ta qui entourent sa renc.,ontre aT8C

un voyageur étranger, lors d'un séjour en It~ie. Il insiste sur le comporte-ment mystérieux de cet homme et, plus part1culi~rement, sur sa 'bizarre indif-férence à-l'égard de la mort. L'intér6t du lecteur une fois éveill~4par ee réei t, i l raconte dans~ quelles circonstances un manuscrit qui appartenu t 1

l'inconnu de Cerenza lui est parvenu, et 1 la suite de quelles démarches il s'est décidé à le publier. Cette deuxiame partie - dominée par le souci de distinguer l'éditeur du narrateur du roman, et aussi par le désir de prouyer que la publication de l'oeuvre ne saurait g8ner qui que ce soi~ - n'est gu~re

,

pourvue d'originalité. Il en va de même de la variante qui, dans cette secon-de partie, se glisse entre le texte de 1810 et)celui de I816: elle apparaït surtout comme une cheville qui permet de raccrocher 1 l'Avis de l'éditeur les deux textes qui viennent complét?r l'encadrement d'ldolphe.

Si l'on tient compte de l'apparente neutralité de l'édi~ur dans sa Rré-sentation, l'originalité de ce texte - que nous nous étions promis de'8oulÎ-gner - est donc loin de sauter aux yeux. Un peu méchamment, le lecte~ pressé pourrait m@me considérer l'Avis de l'éditeur comme le fait d'un auteur qui a peine 1 se dégager des leçons de la ~radition. Telle est, par exemple, la· con-clusion 1 laquelle parvient Pierre Weisz:

"C'est la/seule partie de l'ouvrage qui soit un échec.

D~s la ~remièr~ phrase, la fabrication est évidente:

cette auberge calabraise, cet étranger silencieux et triste, ce manuscrit envoyé par un h6te 1 la probité aussi scrupuleuse qu'inhabituelle, tout cela sort du

(34)

magasin d.a accessoires. Il est significatif que la pro-cédé cesse de nous convaincre d~s qu'il ne répond plus 1

une motiyation profonde de l'auteur.-(I) ,

~o-Il ne faut cependant pas se laisser aTeugler par des questions de vraisem-blance ou

enc~

par 11 aspect conyentionnel da 11 Avis. Le

caract~re

rupteur de ce taxte face 1 l'ensemble du discours préfaciel se sitU8 en effet 1 un tout autre mTeau ~

La réserve de l'éditeur doit en premier lieu atti~er notre attention. Une telle attitude ne parait contribuer qu'i accentuer la banalité de llA-vis; et pourtant, el18 signifie bien plus. Ce texte est en effet le seul de tout l'appareil préfaciel oa aucun jugement ne soit porté sur le roman ou sur ses personnages. Chose étrange, le m&me éditeur qui dénonce aTec hargne, dans la Réponse, Adolphe et les principes qui le gouvernent nlen souffle mot

Il

dans l'ATis. On ne saurait dlailleurs y relever la moindre ébauche dlun dis-cours moraliste. Certes, l'auteur est soucieux de sa respectabilité: sa re-lâtion précautionneuse aes éTénemants qui ont amené la publication d'Adolphe l'atteste bien assez. Mais sur la portée morale de l'OUTrage, pas un mot. Il semble qu~en 1810, une tella question ne se posait pas encore l Constant •••

••• Ou qu'elle se posait autrement. Car si l'éditeur slabstient de com-menter le manuscrit, il met tout en oeuvre, en revanche, pour susciter

l'in-tér&t du lecteur. De 11 l.!irnportance~ déjA soulignée par Paul Delbouille, du court récit o~ nous est décrit l'inconnu rencontré

A

Cerenza. En quelques li-gnes, l'éditeur parvient 1 capter 11 attention du lecteur, l,l'intriguer. Pour ce faire, il met 11accent sur les th~mes de la solitude, du myst~re, de la

tristesse et de la mort. Un roman noir ne serait pas présenté autrement! Il

I. P. Weisz, Incarnations du roman, pp.I65-166

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