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Modes d'inscription de l'idéologie dans Les enfantômes de R. Ducharme

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Academic year: 2021

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(1)

par

Gi Iles McMillan

Mémoire de maîtrise soumis à la

Faculté des études supéri eur(>s et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maî trise ès lettres

DépartemF.lnt de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Jui l let 1992

(2)

RESUME

L'étude des modes d'ir.scription de l'idéologie dans L.s enf~nt~.es (1976) vise à décrire la fictionalisation des valeurs sociales qui pénètrent dans le roman. Cette étude aborde une dimension majeure des romans de Ducharme que les critiques ne soulèvent généralement qu'à l'aide d'ébauches d'analyse pour suggérer des pistes de recherche.

Les travaux de Bakhtine sur l'étude formelle de l'idéologie, dont le concept de dialogisme constitue le principe central. se révèlent très féconds pour décrire le texte de Ducharme. Effectivement, la spécificité des Enf~nt~.es réside dans la représentation ludique des formes discursives de l'idéologie: pastiche et satire de genres littéraires, parodie de textes. de discours et de lieux communs, mise en scène de doctrines littéraires virtuellement conflictuelles. Au plan

méthodolo9~que, le principe dialogique s'intègre parfaitement à

l'évolution de la recherche en sémiotique narrative. Ainsi, la notion d'effet-id~olog1e (Hamon) permet de décrire les lieux d'affleurement de l'idéologie comme des appareils normatifs-évaluatifs incorporés au texte. Au plan des procédures d'analyse,

le texte narratif peut être abordé comme une construction dont la spécificité réside dans sa manlere de réagir aux discours sociaux qu'il absorbe et qu'il transforme (Zima). Or la situation sociolinguistique dans laquelle nait le roman favorise l'émergence du plurilinguisme (Kwaterko). Cette étude montre que les modes d'~nscription de l'idéologie dans Les enfantb.es

reposent, tant au niveau de la forme que du contenu, sur un tiraillement entre le repli du texte sur lui-même et l'ouverture sur l'autre, ent.re l'inceste et l'altérité. En privilégiant la représentation ludique des formes discursives de l'idéologie, le roman clitique la naturalisation des discours, dans la pratique romanesque notamment, ainsi qu'une vision tragique de l'existence.

(3)

l

By studying the modes by which ideology is inscribed in Les enf ant(J.es (976), the fict i onali zing of s ocia 1 values permeating the novel may be descrihed. This thesis discusses a major dimension of Ducharme's novels which critics have generally evoked only in the form of analytical outline~, and in order to suggest directions for research.

Bakhtin's work in the formaI study of ideology, to which the concept of dialogism is central, presents fertile ground for description of Ducharme's text. Indeed, the specificity of Les enfantfl.es lies in the representation of the play of ideology' s discurSlve forms pdstiche and satire of literay doctrines, parody of texts, of discourses and of the commonplace, presence of potentlally conflicting literary doctrines. In terms of methodology, the dialogic principle is perfectly suited to the developpement of narrative semiotics. Accordingly, Hamon's notion

of effet-ld~ologle makes i t possible to describe those areas

where ideology appears on the textual surface as normative-evaluative devices integrated in the text. In terms of analytical procedures, the narrative text may be approached as a construction whose specificity resides in the way it reacts to social dlscourses which it at once absorbs and transforms (Zima). Furthermore, the sociolinguistic context in which the novel is born fosters the emergence of plurilinguism (Kwaterko). This thesis shows that the modes by which ideology is inscribed in Les enfantD.es conslst, at the level of both form and content, in a pull between the folding in of the t ext upon i t sel f and i t s opening-up t owards the other - between incest and otherness. By favoring the representation of the play of discursivE:' forms of ideology, the novel criticizes the naturalization of discourses, notably in the novelistic practice, as weIl as a tragic vision of exi st ence.

(4)

1

REMERe J EMENT S

Nous voulons remercier tout particulièrement Mme Gillian

Lane pour avoir accepté la direction de ce memoire et exprimer

notre extrême reconnaissance envers son attitude intellectuellE:

qui fut toujours empreinte de rigueur, de sensibillte et de

respect. Notre gratitude va aussi à M. J6zef Kwaterko pour son

soutien amical et sa générosité intellectuelle qUi a permiS que

se développent les premières ébauches de cette recherche. Eni ln,

nous remercions le Comité des études du Departement de lanque et

littérature françaises de l'Université McGill qUl., en nous

accordant une bourse substancielle pour realiser ce memOlre de

(5)
(6)

l

TABLE DES MATIERES

ïABLE DES

MATIERES

INTRODUCTION

CHAPITRE 1 :

Méthodologie

1.1 Notions et procédures d'analyse 1.2 Situation sociolinguistique

CHAPITRE 2 :

Productivisme et contre-discours:

le

plongeon

1

1

14 14 44

dans l'abîme émotif 55

CHAPITRE 3

Mémoires et ambivalence idéologique

CHAPITRE 4 : Des mémoires à la satire: de l'ode et du désode

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE 105 156 208 222

(7)

tel. (Bakht.ine, 1978, p. 132, 133).

Et Sl la SC1ence de la lltt~rature s?av~ralt ~tre .oins ratlonnelle que la lltt~rature ell~-.~.e? (Zima, 1981,

p. 737).

La Vle n~est pas ce qu~on pense, .alS ce qu?on d~pense.

(Ducharme, 1976, Les enfant~.es, p. 178).

L'étude des modes d'inscription de l'idéologie dans Les

enf~nt~.es permet d'abo~der une dimension majeure des romans de

Réjean Ducharme que les critiques les plus préoccupés par la pénétration des valeurs sociales dans le texte narratif n'ont soulevée qu'à l'aide d'ébauches d'analyse pour suggerer des pistes de recherche. Celles-ci ont le grand mérite d'accompagner une réflexion sur la spécificité du discours narratif au Québec et d'indiquer les théories du texte littéraire dont les appareils conceptuels sont susceptibi~s de tenir compte.

Dans un article traitant de la problématique du récit dans le roman québécois, Gilles Marcotte (1979) perçoit l'intérêt que représente le principe dialogique (Bakhtine) pour analyser certains romans québécois, dont ceux de Ducharme. André Belleau attire également l'attention sur les travaux de Bakhtine dans un article (1984) où il fait une plus large place à la tradition carnavalesque, inhérente au principe dialogique. A l'instar de Marcotte, Belleau signale l'intérêt d'étudier les romans de Ducharme à l'aide du concept central de Bakht ine, Les enfilnt~.es

(8)

tout particulièrement

2

(Belleau, 1984, p. 312). Malgré les sU9gestions répétées de chercheurs différents, aucune étude ne s'est risquée dans cette voie.

Le principe dialogique nous .1emble intéressant pour analyser les manifestations de un roman de Ducharme, qu'il s'intègre à

recherche en sociocritique at aux apports

d'autant plus l'idéologie dans l'évolution de la de la sémiotique narrative. On verra au chapitre suivant, consacré à la méthodologie, aux notions et aux procédures d'analyse, que l'idéologie peut être décrite en termes de sociosémiotique (de mise en discours d'intérêts sociaux); qu'elle peut se définir aussi par rapport à des notions appartenant à une problématique strictement littéraire du social, celle d'effet-'~d~olog1e

notamment (P. Hamon), qui décrit les lieux d'affleurement de l'idéologie comme des appareils normatifs-évaluatifs incorporés à

l'énoncé. Enfin, on verra que le texte narratif peut être décrit comme une construction dont la spécific1té réside dans sa maniere de réagir aux discours sociaux qu'il absorbe et qu'il transforme (P. Zima). Le texte littéraire construit l'idéologie autant qu'il est construit par elle.

Il est remarquable que la plupart des études sur Ducharme, même les plus approfondies, arrivent difficilement à tenir compte du tout et des parties d'un système signifiant que constitue un roman. Alain Piette part d'une observation semblable dans un article (1986) où i l signale la nécessit.é, pour faire l'étude

(9)

exemple - , de ne pas esquiver l'énonciation:

Malgré les affirmations réitérées de la critique à propos des jeux de langage chez Ducharme, l'attention de presque tout le monde est ici polarisée par le contenu du message.

<Piette, 1986, p. 302, 309).

Cette observation s'avère singulièrement pertinente dans le cas des études sur Les enf antlJaes avec lesquelles nous composerons. Notre réservoir critique sur le roman est constitué de cinq textes. Deux publications: un ouvrage (Renée Leduc-Park,

1982) et un article (Susanna Finnel, 1985) ; deux mémoires de mai t ri se (Pi erre Bra i s, 1982 et Domini que Chasse. 1979) et une thèse de doctorat (Susanna Finne1. 1985).

Le mémoire de Brais se rapproche de notre sujet de recherche dans la mesure où

«

i l tente de mettre le texte en relation avec la soc ié té comme 1 i eu de production, de circulation et d'affrontements des discours'> (p. 6). L'analyse de Br~is reste bien en deçà de son propre objectif pour lequel i l ne précise pas de méthodologie spécifique à son sujet. ni de procédures d'analyse - en conclusion de son étude, une brève référence aux travaux de Zima sur la sociologie du texte littéraire, et entre parenthè se, une vague allusion au dialogi sme. Nous croyons pouvoir décrire des phénomènes textuels qui demeurent chez Brais. parfois des observations intéressantes, mais surtout des généralités, sinon des lieux communs:

«

L'auteur joue avec et sur les mots, comme s ' i l voulait leur redonner une liberté perdue» (p. 62): ct Un langage qui fait flèche de t out bois, de

(10)

-L

4

tous les dis~ours ambiants comme de toutes les nuances.

>

(p.64). De manière générale, on le signalera au cours de notre étude, l'analyse de Brais néglige des éléments fondamentaux de la struct ure du roman (pact e aut obi ographique. subvert ion du pa.ct e) , esquive l'importance de l'intertextualité, du pastiche, de la satire et de la parod~e. Nous pensons que l')nterprétation de

Brais reste prisonnière du manichéisme construit par le roman autour de l'opposition enfance idyllique/ âge adulte (âge de la dégradation), mais pour en faire la parodie. A cet égard, l'ironie de l'instance narrative joue un rôle d'une extrême importance dont l'analyse de Brais ne tient pas compte : ~ Dans

Les Enfant~.es, ces deux mondes, celui de l'enfance et de l'âge

adulte, sont le fondement symbolique de toute l'oeuv~e. ~

(Brais, 1982 p. 19).

Aucune des autres études sur Les enfant~.es ne se réclame

de la sociocritique. bien qu'elles fin i ssent toutes, volontairement ou non, par être aux prises avec l'idéologie, surtout quand c'est pour nier l'impact du social dans le roman de

Ducharme. C'est ce que vise à défendre la thèse de Susanna Finnel, reprise partiellement dans le seul article publié sur Les

enfant~.es où :'auteure insiste sur l'intertexte régionaliste du roman (La Petlte Fadette et Jean Rlvard). Pour Finnel, Les

enfantO.es« [ ... 1 fonctionne sur un modèle constant dont la loi consiste dans la rupture du principe de repésentation» et opère

la négation

«

ailleurs

»,

du

un

social pour instaurer «el:pace imaginaire l>, en une 80n c~ntre « absence

>,

un un

(11)

<

vide> (p. 153, 327, 328). Ironiquement, la thèse de Finnel est fameuse au plan idéologique, et l'effort analytique pour annuler l'impact politique concret du roman est notable. Pour Finnel, « l a structure socio-politique

>

du roman, «bien que très mince:'

<

débouche encore une fois sur cet "ailleurs" > (p. 153, 154). Or Finnel est dans l'obligation de reconnaître l'importance

de cett~ structure socio-politique, même au niveau le plus

explicite de la fiction. Cette structure socio-politique se manifeste, par exemple, dans ce qu'elle nomme «des allusions au colonialisme anglais> (p. 170). Finnel prévient dans une note de bas de page qu'elle

«

laisse à d'autres la solution de ce débat»

(p. 170). Comme cette nonchalance se défenn a.sez mal théoriquement - l'analyse n'a pas à faire de débat, mais à

prendre en charge un élément de la fiction1

- , Finn~l fait

disparaître la problématique nationale du roman:

Cependant, la connotation du colonialisme s'éclipse tout de suite et ce qui importe davantage, c'est que la connotation du nom est

en même temps la dévalorisation de la fonction sociale sanctionnée par le pouvoir de la profession mentionnée. (Finnel, p. 171, 179-182) .

1 Ironiquement encore, Finnel alimente elle-même le débat,

puisque parler de colonialisme au Québec, c'est prendre une position politique, même involontairement. Il est effectivement discutable de parler d'une situation coloniale au Québec et cette question a fait l'objet de polémiques dans les milieux

intellectuels (à cet égard, voir l'ouvrage de Bourques et

Dostaler, Soclalisae et indépendance, 1980). Mais la question est surtout de savoir ici quel impact la problématique nationale peut avoir sur le roman et si, en dernière analyse, le roman fait valoir une situation de colonialisme ~our le Québec.

(12)

i

6 En dernière analyse, l'argument de Finnel vise i mettre en cause l'idéologie référentielle du texte littéraire, en lui opposant l' idé oJ ogi e non-référentielle. Mais l'argument est fallacieux - sinon tendancieux puisque cet

<

ailleurs

>,

ce

<

vide

»,

dont parle Finnel constitue encore un référent et le texte continue toujours de représenter!.. Lor.qu'on reviendra à

l'étude de Finnel au cours de notre analyse, ainsi qu'à son article sur l'intertexte régionaliste, il apparaîtra qu'à force de trouver le vide partout, c'est le texte lui-même qu'on évacue de l'analyse descriptive, et qu'à trop vouloir nier l'idéologie, elle fait retour subrepticement - naturellement, nous ne sommes pas à l'abri non plus de l'esprit tendancieux. C'est justement une caractéristique du fonctionnement discursif de l'idéologie, de se pré sent er là où on croit apercevoi r l a négat ion. sa

cr i tique, ou plus insidieusement encore, là où l'on ne croit apercevoir que l'expression littéraire d'un univers clos et parfaitement original.

Cette remarque nous oblige à clarifier le point de vue que nous adopterons sur la question de la référentialité du texte littéraire, car elle constitue un élément fictionnel des

1 Sur cette problématique de la référentialité du texte

littéraire, voir l'étude de Catherine Kerbrat-Orecchioni

<

C'est ainsi qu'il n'est pas rare de voir établir une relation

d'antonymie: les

«

textes référentiels> vs les

<

textes fictionnels ;) (non référentiels donc), comme si la notion de ré fé rence impl iquai t l'ex i stence ont 01 ogique, dans l'uni vers d'expérience, du dénoté correspondant au signifiant envisagé.»

(p.29). Et plus loin:

«

Il en rés~llte que tout t~xte parle d'une certaJne .anz~re du« .onde r'el» et que l'znterprfter, c'est toujours faire appel à certaines repr~sentatlons de U [ ... ].

»

(13)

(

Plutôt que de privilégier l'une ou l'autre des idéologies, il nous semble plus fécond d'observer qu'il s'agit de doctrines différentes, véhiculant aus.i des valeurs sociales, mais à travers des manifestations textuelles différentes, exigeant un autre mode de lecture que celui élaboré par le texte qui prétend apporter une information sur le monde empirique. Les

enf.nt~.es absorbe les deux doctrines. construit une tension

dialogique entre elles les théories du texte lttéraire des nouveaux romanciers, celles de Ricardou et de Robbe-Grillet, notamment, sont essentielles pour décrire certains aspects des

Enf.nt~.es. De manière générale, le roman fictionalise les

discours sur le monde, y compris les discours littéraires, les met en scène. Mais on verra que le roman s'empare aussi des lieux communs de la psychanalyse sur l'inceste, de même que ceux de la problématique socio-historique du Québec.

Or

cette fictionalisation des problématiques psychanalytique et socio-historique est, au plan structural, inséparable de l'entreprise autobiographique du narrateur et de sa quête de l'enfance idyllique. Les enf.nt~.es crée une allégori~ parodique de la

problématique nationale québécoise qui s'articule, à travers la tension dialogique des genres du discours (le lyrisme et la prose), autour de la question du repli sur soi et de l'ouverture sur l'autre. Plus profondément, c'est la question de l'engagement

l Certains des éléments abordés ici seront largement

(14)

i

8 littéraire que le rOlnan pose, l'attitude de l'écrivain l l'égard de son propre discours.

Dans son étude sur l'oeuvre romanesque de Ducharme, René e Leduc-Park accorde beaucoup d'espace à l'étude des E"f.1)t~ • • s. La lecture nietzschéenne qu' ,.,lle propose soulève d'emblée des questions reliées à l'idéolcgie, surtout à travers la figure de Dyonysos et du renversement des valeurs autoritai~es qu'il provoque. Pour cette raison peut-être, on rencontrera dan. notre étude des aspects semblables à ceux qu'aborde Leduc-Park, mais que nous traiterons dans une perspective plus spécifique à une problématique du texte littéraire. On utilise, par exemple, le principe de renversement des valeurs, inhérent à la perception carnavalesque de l'univers, notion que Bakhtine a introduite pour décrire la carnavalisation de la littérature. La« notion> de masque qu'utilise Leduc-Park est très féconde pour décrire la construction de l'instance narrative qui met en cause les

front ières de la fict i on, scène des langages et

celle de mise en scène aussi (mise en des di scours) , d'écriture ludique (procédures génératrices). Ces

<

notions» ne serviront pas nécessairement à décrire les mêmes phénomènes textuels soulevés par Leduc-Park. D'ailleurs, on verra que nos points de vue divergent considérablement sur le roman, moins en ce qui touche aux généralités esthétiques du texte, que dans sa description concrète. L'étude de Leduc-Park, aussi intéressante soit-elle, néglige plusieurs éléments de la fiction, ce qui rend la description du texte souvent insatisfaisante.

(15)

énonciative des EnfanttJaes doit également être signalé e. L'analyse de Chasse décrit avec beaucoup de rigueur et de précision les phénomènes que suscite le dédoublement de l'instance narrative du roman : un Je-scripteur et un Je-narrateur. Dans la perspective dialogique empruntée par notre étude, la construction de l'instance narrative s'avère beaucoup plus complexe que ne le montre Ch~sse et plusieurs aspects de la fiction doivent être pris en charge pour en faire la description: l'inachèvement idéologique et psychologique du narrateur, Vincent Falardeau, aux prises avec la rédaction de ses mémoires qui resteront inachevé,; aussi; l'a?propriation et la déformation par le narrateur du discours de sa soeur, Fériée; 80n hésitation entre le désir incestueux pour sa soeur-manifestation du refus du monde et son désir de l'autre; l'ambivalence idéologique du narrateur; la mise en cause des frontières de la fiction (fictionalisation de l'auteur empirique) qui rend le narrateur et son projet improbables; l'exhibition des procédures génératrices; les contradictions axiologiques attribuables au travail incessant de l'ironie; les renversements axiologiques inhérents - c'est ainsi que nous les décrirons -, à

la perception carnavalesque de l'univers; la transformation du contrat de lecture; la mul tipI ici té des références intertextuelles explicites et implicites (parodie, pastiche, satire, mise en scène des genres du discours littéraire). Nous

(

pensons que ces phénomènes textuels sont reliés étroitement à la

(16)

10 construction

<

décentrée> de l'instance narrative qui nourrit le principe dialogique du roman.

Quel intérêt trouve-t-on à étudier Les enfant.~.es plutôt que le dernier roman de Ducharme, Dlvad~ (1991) par exemple, ou

L'hiver de force (1973) dont le référent social est apparemment

plus marqué, plus facilement identifiable?1 Les différents aspects de la fiction énuméré s plus haut sont autant de bonnes raisons d'entreprendre son étude. Effectivement, la structure du roman se prête tout particulièrement au principe dialogique. De plus, la structure du roman nous semble porter à un haut niveau de littérarité la situation sociolinguistique dans laquelle il naît.

On

verra dans la description de la situation sociolinguistique, que cette période de l'histoire québécoise est marquée par une ouverture, par l'émergence du plurilinguisme. De surcroît l'année 1976, avec l'accession d'un parti souverainiste au gouvernement, représente un point d'orgue dans l'histoire socio-politique du Québec dans la mesure où s'accomplit, virtuellement du moins, une transformation politique concrète dans la problématique socio-historique québécoise, impliquant des intérêts sociaux divergeants.

Enfin, il nous a paru étonnant qu'un roman d'une telle richesse et d'une telle complexité ait en définitive assez peu

1 S'appuyant sur une conception référentielle du roman, Gilles Malcotte écrit à propos de L'hlver de force (Ducharme, 1972)

< ( ... )

en voi là donc enfin, an roman, un vrai, avec une histoire tout à fait vraisemblable, des décors qu'on peut aisément reconnaître en se promenant dans Montréal, des personnages qui empruntent leurs traits à des personnalités connus du monde artistique et littéraire.

»

(Marcotte, 1976, p. 87).

(17)

(

roman de Ducharme, avec La fille de Christophe Colo.b, est celui qui capte le moins l'intérêt de la critique (et sans doute des professeurs de littérature). Pourtant, le roman a suscité de fortes réactions au moment de sa parution qui dénotent, qu'elles soient pour ou contre, fascinées ou choquées. l'impact idéologique du roman et les difficultés qu'il donne au lecteur. Les nombreu~ «irritants> dont le texte est parsemé (irrespect des conventions orthographiques et syntaxiques,« mauvais» jeux de mots, rupture syntagmatique du récit , brouillage chronologique, insultes aux lecteurs, narrateur plaisantin, etc.) n'ont effectivement pas été décodés de la même fa!;on par tout le monde. Nous signalons les commentaires qui nous semble les plus représentatifs de la réception du roman. Pour Jean Ethier-Blais,

La logique de ce livre, c'est la destruction de la société dans laquelle nous vivons. Mérite-t-elle mieux que de disparaître? Les destins misérables de Vincent Falardeau et de son entourage portent le présage d'une vaste dévalorisation de tout ce à quoi nous tenons. Après les enfantômes viendront les destruct eurs de toute vi e. (Ethi er-Blai s,

1976, p. 15).

Vallières interprète le roman avec une tout autre grille idéologique. Ducharme, qu'il place dans la communauté des Rimbaud, Nelligan, Joyce, éprouverait la limite des sens, le regard en particulier, jusqu'à l'illumination. En dernière analyse,

(18)

Les Enf.nt~.es piègent le lecteur co~we L'~v.l~e des aval.s et tous les autre. l~vre.

de Réjean Ducharme. Alors qu'il croit lire un roman ou un récit, le lecteur est convié à

débarquer une fois pOUl toutes des routes planifiées qui le font tou~ner en rond dans le paysage domestiqué par la production, l'argent, la tente roulotte, le mot.l et le reste. (Vallières, 1976, p. 21).

12

D'après Jean Basile, Les enf.nt~.es est un livre plein de

négligences et de platitudes. Le plus significatif à ses yeux est que Réjean Ducharme« manque d'ambition littéraire qui l'aide. se faire comprendre par ses pairs> (Basile, 1976, p. 12).

Pour Réginald Martel,

Cette écriture libre mais accrocheuse, qui accapare avec efficacité tous les éléments narratifs que suggère l'époque choisie (ce qui fai t du roman un mé lange baroque de psychologie et de cinéma retro), elle fascine littéralement. Elle révélerait, si cela était encore nécessaire, l'extraordinaire original i té de Ré jean Ducharme, chez qui on devine que la littérature, plus qu'une arène où on achève les petits copains, ne cesse d'être le fruit de la nécessi té. (Mart el,

1976, p. DS).

Enfin, dans un compte rendu de lecture, Marcotte fait un parallèle avec les romans précédents de Ducharme

La même histoire, en somme; et en quelque sorte .ggr.v~e. Tous les reproches qu'on a pu faire à Réjean Ducharme, quant. l'immaturité de ses personnages et à la monotonie de leur désespoir, de leur récrimination contre le monde, seront ici abondamment justifiés, dès la première page. (L'auteur souligne, p. 23)1.

1 Les italiques

soulignés de l'auteur. fois où nous soulignons.

dans Nous

les citations sont toujours des ne signalerons dorénavent que les

(19)

(

Après avoir commenté la problématique de l'inceste du roman qu'il met en perspective avec la

Québec, Marcotte insiste sur

situation socio-historique du l'importance d'une lecture attentive et répétée parce

question troublante que pose 26) .

que «[ce] n'est pas la seule le roman de Réjean Ducharme> (p.

La polarisation des commentaires est remarquable, même quand ils portent la marque de l'hésitation comme chez Marcotte. De « l a dévalorisation de tout ce à quoi nous tenons> à la critique du productivisme, de l'opportunisme à la pratique littéraire commp. nécessité, de la platitude aux questions

troubla~~es, dans tous les cas ces évaluations constituent des

jugements de valeur, c'est-à-dire des appréciations motivées par des idéologies littéraires et sociales différentes que le roman de Ducharme a suscitées par sa forme et Bon contenu.

Les modes d'inscription de l'idéologie dans Les enfantb.es r6posent, tant au niveau de la forme que du contenu, sur un tiraillement entre le repli du texte sur lui-même et l'ouverture sur l'autre, entre l'inceste et l'altérité. On verra qu'au plan de l'idéologie du texte narratif, Les enfantb.es privilégie une représentation des discours et des genres littéraires. Mais avant d'aborder l'analyse du texte. nous avons un certain chemin méthodologique à parcourir qui nous permettra

appareil conceptuel. On pourra dès lors

de préciser notre expliciter notre procédure d'analyse, puis décrire la situation sociolinguistique dans laquelle Les enfant~.es a vu le jour.

(20)

1. METHODOLOGIE

1.1 NOTIONS ET PROCEDURES D- ANALYSE

Deux questions, reliées à notre méthodologie, doivent être discutées avant d'amorcer la descente dans le texte: preciser l'emploi du terme idéologie, que nous définissons provisoirement comme la manifestation discursive (ou textuelle) d'intérêts sociaux liés à des enjeux de pouvoir, et exposer, par la même occasion, ce que nous entendons par «modes d'inscription

>

des idéologies; définir les notions et les procédures d'analyse que nous utiliserons pour décrir~ les diverses manifestations

textuelles de l'idéologie. La double difficulté que doit élucider notre méthodologie est la suivante : à partir des études sur la problématique textuelle du social, justifier, au plan théorique, l'entrée de l'idéologie (le social) dans le texte de telle sorte qu'on puisse en décrire la singularité. Il est donc entendu que nous adopterons surtout une perspective sociocritique, plus intéressée à décrire les manifestations d,., l'idéologie inscrite dans les différents phénomènes textuels qu'à situer ces derniers par rapport à l'ensemble des pratiques discursives composant une sitUation sociolinguistique particulière, sans toutefois négliger complètement cet aspect. Ces amorces de précisions demandent naturellement à être développées.

Les recherches auxquelles nous nous référons proposent une définition opératoire de l'idéologie, reformulée dans le contexte de la sémiotique narrative, qui rend cette notion ~ aisément ~

(21)

manipulahle dans un texte narratif. C'est dire que l'idéologie se définit par rapport à d'autres notions ou concepts d'investigation: celles de norme et d'évaluation (Hamon, 1984), de discours, de genres (Angenot, 1989) et de sociolectes (Zima, 1985), de sujet, d'intertextualité et de dialogisme (Bakhtine, 1970, 1977, 1978). Bien que les auteurs auxquels nous nous référons aient construit des outils notionnels spécifiques à

leur perspective d'analyse, les fondements théoriques qu'ils partagent diversement1 permettent de situer leurs travaux en

complémentarité et en interaction.

Parmi ces fondements théoriques, doit être soulevée la conception même du langage, du texte donc, et de son lien avec le social.

A

cet égard, les travaux de Bakhtine sur l'énoncé et le roman constituent une source théorique et conceptuelle singulièrement importante.

L'énonce chez Bakhtine est ~ un produit de l'interaction entre la langue et le contexte d'énonciation - contexte qui appartient à l'histoire» (Todorov, 1981, p. 8). Cette conception théorique du langage, tierce voix entre une vision individualiste du langage et le structuralisme naissant accaparé par ses formes abstraites, amènera Bakhtine, selon la remarque de Todorov, à

«

dépasser la dichotomie stérilisante de la forme et du contenu, pour inaugurer l'analyse formelle des idéologies»

(Todorov, 1981, p. 8).

l On verra qu'Angenot, par exemple, prend

par rapport à Bakhtine et qu'il critique sociolecte développée par Zima.

des distances la notion de

(22)

16 Pour Bakhtine, contenu, forme et idéologie sont des termes indissociables et convergent dans sa conception historique et sociale de l'énoncé. Celle-ci, originale au quart de ce siècle, amène Bakhtine à penser une nouvelle science du langage~ qui

s'apparente à une sémiotique de l'idéologie.

plus loin,

Le domaine de l'idéologie coïncide avec celui des signes: ils se correspondent ~.utuellement.

Là où on trouve le signe, on trouve auss~

l'idéologie. (Bakhtine, 1977, p. 27);

Le mot est toujours chargé d'un contenu ou d'un sens idéologique ou événementiel.

(Bakhtine, 1977, p. 102-103).

L'omniprésence de l'idéologie (tout est idéologique) dans le langage rend cette notion peu malléable dans le cadre d'une analyse de texte. Elle ouvre cependant sur la parole dialogique, principe central de la théorie de Bakhtine. Le dialogisme, d'un très grand intérêt pour la sociocritique, indexe d'abord et avant tout, d'après Kristeva (1970, p. 13), la ~ division du sujet

»,

le caractère profondément hétérogène de l'être humain. Bakhtine conçoit effectivement la culture comme une pluralité de discours par- rapport auxquels le sujet doit se situer. Dès lors, celui-ci n'est plus concevable, tel le sujet cartésien, comme une conscience unitaire idéalement soustraite aux formes plurivoques de la culture, grâce aux vertus de son vouloir ou de sa

1 Bakhtine a appelé cette nouvelle science,

C métalinguistique

»,

que Todorov a traduit par C translinguistique

»

(Todorov, 1981, p. 8).

(23)

compétence à coïncider avec son propre discours qui l'exprime et 1 e r epré sen te. Pour Bakhtine, le «devenir idéologique> de l'individu est lié à celui de l'autre, au désir de l'autre (Kl·isteva.1970, p. 13). Mais lui-même, instance discursive d'un discours polyphonique, est également cet autre à qui i l s'adresse et dont la réponse, manifestation d'un désir autre - discours Bans fin ni finalité probable - vient modifier le sens, décentrer l'assurance. Dans 80n introduction à la Poétlque de Dostoievskl,

Kristeva écrit,

Dans cette plurivocité, le mot/le discours n'a pas de sens fixe [ ... li n'a pas de sujet fixe [ . . . 1 j n'a pas de destinataire unifié

[ ... ]. (Kri st eva, 1970, p. 13).

Au plan conceptuel, en décrivant l'interaction entre le langage et la société, Bakhtine montre que le langage n'est pas clos comme le concevait les formalistes, qu'il est une pratique indissociable du sujet, irréductible donc à des formes qui ne soient pas relativisées par l'histoire. L'énoncé est en rel~tion

intertextuelle, volontairement ou non, avec les autres discours, les autres pratiques signifiantes.

Toute énonciation-monologue, même s'il s'agit d'une inscription sur un monument, constitue un élément inaliénable de la communication verbale. Toute énonciation, même sous forme écrite figee, est une réponse à quelque chose et est construite comme telle. Elle n'est qu'un maillon de la chaîne des actes de parole. Toute inscription prolonge celles qui l'ont précédée, engage une polémique avec elles, s'attend à des réactions actives de compréhension, anticipe sur celles-ci, etc. Toute inscription constitue une partie

(24)

ou de la vie politique. 105-106) .

Le concept de dialogisme,

18 (Bakhtine, 1977, p.

l'agencement polyphonique des langages sociaux introduits dans l'énoncé appelle immediatement celui d'intertextualité, d'échange avec d'autres discours. C'est d'ailleurs dans cette perspective que Bakhtine consacre une part considérable de ses travaux à une sociologie des genres, (genres littéraires, genres rhétoriques, discours doxologiques, genres quotidiens) visant à situer les genres et les discours les uns par rapport aux autres.

Bakhtine s'attache à montrer que parmi les genres du discours, la prose romanesque favorise plus que tout autre - la poésie, par exemple la polyphonie et le dialoSisme. C'est à partir des romans de Dostoïevski qu'il élabore sa conception esthétique du roman, concrption reliée à la tradition ménipéenne et carnavalesque de l' écri ture dont il perç oi t des manifestations jusque dans le roman humoristique anglais du dix-huitième siècle. Pour bien comprendre les implications du principe dialogique, il nous paraît important de signaler qu'il recouvre ce que Bakhtine a appelé la lltt~rature carnavallsée

[ ... ] celle qui a subi directement, sans intermédiaire, ou indirectement, après une série de stades transitoires, l'influence de tel ou tel aspect du folklore carnavalesque (antique ou médiéval). Tout le domaine comico-sérieux fournit un premier exemple d'une telle littérature. Nous pensons que la carnavalisation de la littérature est un des problèmes majeurs de la poétique historique et surtout de la poétique des genres. (Bakhtine, 1970, p. 152).

(25)

Deux genres identifiables du domaine comico-sérieux depuis l'Antiquité jouent un rôle capital sur l'élaboration historique de la littérature carnavalisée: le

<

dialogue socratique> et la

<:

satire ménippée;) (1970, p lC\4). Ces deux genres, la ménippée surtout, combinent un nombre étonnant d'éléments disparates, mais selon Bakhtine, la jI~rceptlon carnavalesque du monde

constitue le principe unificateur de ces multiples éléments (p.

183) . Ces derniers pauvant être ramenés à quelques particularités littéraires traitement de l' actua1 i té contrairement à la distanciation épique; mise en question de la tradition 1ittérairej pluralité intentionnelle des styles et des voix; mélange du sublime et du vulgaire, du sérieux et du comique; emploi des genres intercalaires, parodie des genres élevés, etc. (p. 152, 153). Enfin, ce qui retient l'intérêt de Bakhtine, c'est la pénétration dans la littérature des diverses catégories du carnaval, ce qu'il appelle la carnavallsat~on de la littérature ou encore, nous venons de le voir, la perception carnavalesque du monde (p. 171). L' intronisation-détronisation. acte rituel majeur du carnaval, constitue le noyau de cette perception singulière du monde que Bakhtine décrit en ces termes:

[ ••• 3 le pathos de la déch~ance et du re.place.ent, de la .ort et de la renalssance.

Le carnaval est la f~te du temps destructeur et regénérateur. C'est en quelque sorte son

idée essentielle. (Bakhtine, 1970, p. 172).

Pour Bakht ine, la question du style se confond avec le potentiel carnavalesque, dialogique ou polyphonique de l'énoncé

(26)

1

20 narratif. Le style, c'est la représentation (Bakhtine. 1976, p. 153) des genres du discours sous des formes diverses, mais parfaitement identifiables parodie. pastiche. ironie. réfraction des intentions de l'auteur à travers le discours du narrateur et des personnages, genres intercalaires, etc.

C~est. pr~cis~.ef)t la dlversit~ des langages,

et non l ~ u.nl t~ d'" un 1 angage co •• un nor.at if, qUl apparaît co •• e la base du st.yle.

(Bakhtine, 1978, p. 129).

La prose romanesque apparaî t donc comme un énoncé virtuellement polyphonique, une construction hybride par excellence.

Plus loin,

Nous qualifions de construction hybride un énoncé qui, d'après ses indices grammaticaux

(syntaxiques) et compositionnels J appart ient

au seul locuteur, mais où se confondent, en réal i té, deux énoncé s, deux manleres de parler, deux styles, deux

«

langues

»,

deux perspectives sémantiques et soci ologiques.

(Bakhtine, 1978, p. 126).

Les constructions hybrides ont une importarlce capitale pour le style du roman. (Bakhtine, 1978, p. 126).

Le roman dialogique engage une polémique visant la relativisation des formes discursives conventionnelles et normatives, que Bakhtine appelle diversement discourE autoritaire et discours monologique. Le caractère monologique prédomine dans l'attitude que le sujet adopte à l'égard de son di scours . A l a paroI e aut ori ta ire, cf la paroI e des pè res

»

(27)

\

..

persuasive, ouverte, privée d' autori té, souvent méconnue socialement.

Le conflit et les inter-relations dialogiques de ces deux catégories déterminent souvent l'histoire de la conBcien~e idéologique individuelle. (Bakhtine, 1978, p. 161).

Dans la perspective d'une 8ociocritique où les concepts de dialogisme et d' intertextuali:'é permettent de corréle~ le texte littéraire et la société, Zima tente de montrer «comment l'absorption intertextuelle de sociolectes et de discours donne nai ssance à une struct ure 1 i t téraire part i culiè re » (Zima, 1985, p. 139). Le sociolecte n'est pas compris ici dans les limites d'un répertoire lexical spécifique à un groupe social, comme une

ce:: e.ntité statique» (lima, 1985, p. 134). Zima définit le

sociolecte par rapport à la notion de discours. Intégrant les notions pragmatiques de la sémiotique narrative, il conlroi t le sociolecte comme une mise en discours d'un répertoire lexical:

Dès

[ . . . ) i l faudrait définir le discours comme uni té transphrastique dont la structure sémantique (en tant que structure profonde) fait partie d'un code et partant d'un sociolecte et dont le parcours syntaxique peut être représenté à l'aide d'un modè le actantiel

(narrat i f). (lima, 1985, p. 134).

lors, l'idéologie peut être formulée en termes discursifs ou de sociosémiotique:

[ . . . ] comme manifestation discursive (lexicale, sémantique et syntaxique [narrative]) d'intérêts sociaux particuliers.

(28)

~

1 1 1

l

22

En d'autres mots, une idéologie peut être décrite comme un discours sur le monde, un récit, comportant des oppositions lexicales et sémantiques qui déterminent la relation entre les actants.

Dans un deuxième temps, Zima distingue le discours idéologique du discours critique. Cette distinction, fondamentale dans les mécanismes discursifs de l'idéologie, a trait à

l'attitude que le sujet adopte à l'égard de son discours: soit sa tendance à le naturaliser, à prétendre qu'il coïncide avec le monde, qu'il est naturel; soit l'attitude critique du sujet qui tend à relativiser son discours, à le concevoir comme une simple hypothèse théorique sur le monde. Le concept de dialogisme, dont le versant négatif est le monologisme, joue encore ici un rôle de premi er plan.

L'analyse du texte littéraire, dans la perspective sociocritique de Zima, est une analyse intertextuelle par laquelle sont corrélés le texte et la société. Celle-ci est conçue comme un ensemble de langages sociaux, de discours oraux et écrits, de textes fictionneIs et scientifiques. etc. qui déterminent une situat~on sociolinguistique.

[L'analyse intertextuellel doit rendre compte d'un texte littéraire dans un contexte dialogique, c'est-à-dire par rapport aux formes discursives auxquelles i l a réagi en les absorbant, en les transformant, en les parodiant, etc. Car c'est à partir de ces formes discursives qu'il s'agit d'expliquer ses structures sémantiques et narratives. (Zima, p. 139).

(29)

l

importantes qu'on appliquera à l'analyse des Enfant~.es. Situer d'abord le texte dans la situation sociolinguistique qui l'a vu naitre, puis identifier, pour que l'analyse soit concr~te,

l'idéologie que le roman absorbe sous la forme d'un discours pour en faire la critique. «L'idéologie [ .•. ) doit être con~ue comme un discours issu d'un sociolecte particulier.

>

(Zima, 1985, p. 147). Ces opérations présupposent bien sûr que la situation sociolinguistique du roman soit circonscrite. Zima précise qu'il ne s'agit pas de rendre compte de la totalité d'une situation linguistique, mais de la situation« telle qu'elle a été vécue par l'auteur en question et par les écrivains qu'il connaissait, critiquait ou appuyait» (Zima, 1985, p. 143). Or, Ducharme s'est rigoureusement tenu à l'écart de la scène publique, sinon pour tenter des mises au point sur les circonstances entourant la parution de son premier roman. L~aval'e des aval'es, et pour dire

qu'il voulait conserver l'anonymat,

« ( ... ]

je ne veux pas qu'on fasse le lien entre moi et mon roman, je ne veux pas être connu [ ... ] Je ne veux pas être pris pour un écrivain» (Cité par Pavlovic, 1980, p. 77). Dans ces circonstances, la situation sociolinguistique sera esquissée à partir

sociocritique (Kwaterko, 1989). On reviendra sur de la description de nos procédures d'analyse.

d'un ouvrage de cet aspect lors

Angenot affine un peu plus la définition de l'idéologie en la situant par rapport aux notions de genre et de discours, montrant ainsi qu'il y a représentation des intérêts sociaux dans

(30)

24 tout secteur discursif (genre romanesque, discours de la chronique mondaine, discours médical sur l'hystérie, discours scientifique!) et non pas seulement dans ce qu'il est courant d'appeler ( discours idéologique

>

tel l'antisémitisme. Il souligne aussi la fonction politique de l'idéologie.

Nous appelerons idéologie, dans la division du discol.lrs social, une topique (un

«:

sujet> et un cortège de prédicats) qui peut Be systématiser dans un genre discursif ad hoc (<< littératures» antisémite, antimaçonnique; propagande du progrès républicain; doctrine collectiviste ... ) mais qui a une diffusion plus large, qui broche sur plusieurs genreB déterminés, qui vient s'inscrire en des versions successives dans la politique, le journalisme, la littérature, leB sciences ...

(Angenot, 1989, p. 100).

Plus loin:

Ces

«

idéologies

>

ont toutes une fonction quasi-politique; elles servent d'explication partielle ou totale de

ld

conjoncture, elles

repr~sentent un enjeu de pouvoir et dès lors, elles sont en rapport direct avec la préservation ou la subversion des grands

ordres et appareils de la société. C'est en quoi on pourra aussi parler d'une idéologie légitimatrice du groupe régnant, propre à

chaque

«

champ> discursif: idéologie littéraire (identique à la doctrine esthétique dominante) , idéologie scientifique [ ... ].

(Angenot, p. 101).

Précisons qu'Angenot retient de Bakhtine

<

la thèse d'une interaction généralisée» entre les genres et les discours, mais

«

ne le suit pas

>

dans ce qu'il appelle le

<

mythe démocratique

»,

c' est-·à-dire

«

la représentation du social comme

1 . Ces exemples sont empruntés au corpus qu'il analyse, le discours social de 1889 à Paris (Angenot, 1989. p. 97).

(31)

(

(

un lieu o~ des consciences - «responBoriales

>

et dialogisées-sont en interaction constante (Angenot, 1989, p. 16). Dans le cadre de ses travaux sur le discours social, il cherche plutôt à

identifier qui impose Bes dominances

interdiscursives> (p. 19) à l'ensemble des langages sociaux sur une période donné e. Cependant, Angenot

<:

ne nie [ •.. ] pas l'existence de "manières de voir", attitudes et mentalités propres aux c lasBes social es et groupes sociaux)\> (Angenot, 1989, p. 100).

Dans sa définition de l'idéologie, Angenot met également en question l'intérêt de recourir à la notion de sociolecte comme le fait Zima (Angenot, 1989, p. 99). Il nous semble toutefois que ce qu'il nomme

<

hJstorloSophJe

>,

«

stade suprême de l'idéologie»

(p. 101) o~ elle tend, comme les religions, à tout expliquer, rejoint l'idéologie-doctrine que Zima place sous la notion de sociolecte.

Avant de préciser notre méthodologie, il nous reste à faire appel aux recherches de Philippe Hamon, complémentaires, pensons-nous, à la notion de discours tel que l'a décrit Zima, c'est-à-dire comme une manifestation discursive.

Hamon ne cherche pas à définir la notion d'idéologie, mais .i

décrire plutôt ce qu'il nomme 1I'effet-idéologie, à repérer et à

scruter les endroits du texte où l'idéologie remplit sa fonction évaluatrice en regard d'une norme, d'un modèle extratextuel1 ou

Hamon ne s'intéresse pas au hors-texte. Il précise qu'4:' [u]ne poétique (textuelle) de l'évaluatif ne saurait

(32)

26 intratextuel. ~ Tout romancier, dit-il, est un encyclopédiste du normatif

»

(Hamon, 1984, p. 220). Or, tout discours est nécessairement une évaluation du monde qui engage le aujet (évaluant) à faire des comparaisons, conscientes ou non. entre des actants, à choisir un répertoire lexical et une structure sémantique qui lui permettent de se concevoir lui-même et le monde. Les notions de dialogue et de monologue, de discours autori taires et persuasifs apparaissent aussi comme des évaluations 1 des évaluations de son propre discours et de ceux

des autres. D'ailleurs, il n'est pas étonnant que Hamon dise de (: Bakhtine [qu'ill est certainement l'un des premiers théoriciens à avoir commencé d'explorer ce.tte poétique du normatif et de l'axiologique» (Hamon, 1984, p. 19). Hamon fait donc l'hypothèse

que l'effet-idéologle, dans un texte (et non: l'idéologie) passe par la construction et mise en scène stylistique d'~ppareils nor.atjfs

textuels incorporés à l'énoncé. (Hamon, 1984. p. 20).

Ces appareils normatifs sont déf~nis comme des lieux d'évalu.ation ou de .odal isatlon1 (~assertion complémentaire

»),

«

comme des foyers relat i onnel s compl exes

»

1 c' est-à-di r e un

acte de mise en relation par une instance évaluante quelconq~e entre un procès et une norme (Hamon, 1984, p. 20-21). Ces appareils normatifs, Hamon les conçoit aussi comme« l'intrusion

anthropologie, diacipline spécifique, manipulant des

problèmes et des entités spécifiques [. .. } (Hamon. 1984. p. 219).

1 . Hamon se réfère ici à Benveniste (1974, p. 187): 4: Nous

entendons par modalité une assertion complémentaire portant sur l'énoncé d'une relation

>.

(33)

ou l'affleurement, dans le texte, d'un savoir, d'une compétence normative du narrateur (ou d'un personnage évaluateur) [ ... ]

>

(p. 22).

Comme tout peut faire l'objet d'une évaluation dans un texte, Hamon retient a posteriori quatre relations privilégiées où i l Y a relation médiatiaée entre actants, c'est-à-dire entre lujets et objets, entre sujets et sujets : manipulation d'outils, de signes, de lois et de canons esthétiques. Sur chacune de ses relations, l'évaluation se présente dans le texte comme un savoir-faire des actants, un savoir-dire, savoir-vivre, savoir jouir (1984, p. 24). Hamon apporte des précisions supplémentaires en sig'<1alant deux

«

carrefours idéologiques privilégiés du texte l> (p. 34) où l'appareil normatif-évaluatif est fortement mobilis9. I l y a carrefour idéologique où il y a mise en scène d'un objet «surdéterminé par essence et par excellence

>,

un objet sémiotique : texte, livre, oeuvre d'art, obj et symbolique ou sémantique figuratif quelconque (Hamon, 1984, p. 34). Deuxième carrefour: le corps, corps physique et corps émotif, constitue un embrayeur idéologique important en ce qu'il met en jeu l'évaluation technologique (dextérité, travail), esthétique (le regard), linguistique (la voix), éthique (l'attitude corporelle, habit, séduction, sexualité) (p. 36-37). Le corps émotif met en cause les directives émotionnelles, les tabous et angoisses, etc.

(Hamon, 1984, p. 38-39).

Toutes ces notions, et Hamon le souligne à gros traits,

(

relèvent d'un métalangage sémiotique homogène facilitant leur

(34)

28 manipulation d~ns les termes et au sein d'une problématique strictement textuelle (Hamon, 1984, p. 24).

Au terme de la description des notions fondamentales auxquelles nous aurons recours et des procédures constituant notre méthodologie, nous croyonE pouvoir clarifier notre objectif: décrire la spécificité des En'ant~.es en montr~nt

comment ce roman réagit à la mise en texte de l'idéologie.

Nous verrons que la situation sociolinguistique est caractérisée en substance par l'émergence du plurilir.guisme accentuée par la conjoncture socio-politique québécoise. Cependant, il ne faudra jamais perdre de vue que ce plurilinguisme se développe dans un contexte où l'ttat moderne joue un rôle centralisateur dans le développement du capitalisme le discours productiviste et utilitaire, issu du sociolecte de la classe dirigeante, reste dominant. C'est d'ailleurs à ce discours que réagit Les

par le contre-di scours du narrateur d'abord, romantiquement rebelle, et les mémoires qu'il entreprend de rédiger; mais avec plus de force encore, par l'ironisatioli de ce contre-discours et la critique du genre autobiographique. Nous reviendrons plus en détail sur ces points avant même de pasler à

l'analyse.

Ce n'est pas arbitrairement que nous évoquons le romantisme du contre-discours du narr.ateur. Le roman cite ou fait allusion!

1 . La citation (<< avec guillemets, avec ou sans référence précise

»

et l'allusion (4': un énoncé dont la pleine intelligence

suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions [ ...

(35)

29

à des textes du XIXe siècle qui développent les thèmes romantiques: la nostalgie du passé, l'exaltation de la nature et de l'individualisme (C. Baudelaire, G. Sand, A. Lajoie). On le voit bien, ces textes ne sont pas tous des

<

textes-étendards> de la doctrine romantique et peuvent être très éloignés les uns des autres formellement, sty1istiquement et idéclogiquement. On vœrra quelle relation dialogique, intertextue11e, Les eDfaDt~.es

entretient avec un roman régionaliste québécois du XIXe siècle, avec Sand et avec Baudelaire. Le texte d'arrivée (Les enfaDt~.es)

leur fait subir des transformations par les procédés de la parodie et de l'imitation stylistique (pastiche et pastiche satirique) 1 •

Notre procédure d'analyse doit maintenant résoudre un autre problème. Comment définir le discours productiviste dans une problématique du texte littéraire? Compte tenu de l'importance de l'intertexte romantique, nous croyons pertinp.nt de décrire le

1982, p. 8).

1 , On verra un peu plus loin que pour Bakhtine, la parodie est inhérente à la perception carnavalesque du monde et au

co.zque qui est le renversement de tout énoncé monolithique. La parodie permet un travestissement stylistique, non une négation de l'objet parodié, et un renversement des valeurs (Bakhtine,

1970, p. 175). D~ns son étude sur ce qu'il appelle l'hypertextualité (tout texte dérivé d'un texte antérieur par transformation ou imitation, p. 14), Genette propose une définition de la parodze qui permette de la situer par rapport au pastiche et à la satire. Nous retiendrons des diverses catégories qu'il propose que

<

la parodie stricte et le travestissement procèdent par transformation de texte, le pastiche satirique

(comme tout pastiche) par imitation de style» (p. 33). Genette définit ailleurs le pastiche satirique comme une imitation stylistique à fonction critique [ ... ] ou ridiculisante [. .. ].

(36)

i

30

discours productiviste à partir d'une étude de Bataille (1957) sur Baudelaire et la signification historique des Fleurs du •• 1 .

Celle-ci nous permettra de mieux saisir le contre-discours romantique du narrateur sa nostalgie du passé, sous-jacente aux mémoires, est déjà un bon indice de ce romantisme - et de voir comment, en dernière analyse, Les enfantÔ.es réagit différemment

que le romantisme au discours productiviste.

Bataille montre que Les Fleurs du .al, et plus généralement,

les choix esthétiques de Baudelaire, sont à comprendre comme une réaction historique au productivisme issu de la sociéte bourgeoise. Ce productivisme repose, selon Bataille,

«

sur le primat du lendemain à savoir l'accumulation capitaliste» (p.

63) et sur des valeurs connexes: le travail, la satisfaction (différent du plaisir, on va le voir à l'instant) et l'utilité.

Le travail répond au souci du lendemain, le plaisir à celui de l'instant pré sent. Le

travail est utile et il satisfait, le plaisir, inutile, laisse un sentiment d'insatisfaction. Ces considérations placent l'économie à la base de la morale, elles la placent à la base

de la poésie. (Bataille, 1957, p. 60).

Des groupes sociaux et des classes sociales différentes réagirent différemment au productivisme. Le mouvement ouvrier ne s'oppose pas à l'accumulation, mais au profit d'un petit groupe de capitalistes de même qu'il vise, mais dans une perspective d'avenir, à libérer l'homme de l'esclavage (Bataille, p. 64).

Au plan littéraire, écrit Bataille, le romantisme donnait une forme concrète à la contestation des valeurs utilitaires. Cependant, ce romantisme qui exalte naïvement le passé, la nature

(37)

(

(

et l'individu 4( en tant:. qu'existence rêveuse, passionnée et

rebelle à la di soipl ine;) n'est qu'un compromis, car l'individu, comme la poursuite de l'intérêt privé, sont les sources et les finalités du capitalisme (Bataille, 1957, p. 64, 65).

[. .. 1 sous sa forme consacrée, le romantisme ne fut guère qu'une allure antibourgeoise de l'individualisme bourgeois. Déchirement, négation de soi, nostalgie de ce que l'on n'a pas, exprimèrent le malaise de la bourgeoisie qui, entré e dans l ' hi st oire en se liant au refus de la responsabilité, exprimait le contraire de ce qu'elle était, mais

s'arrangeai t pour ne pas supporter les conséquences, ou même pour en tirer profit.

(Bataille, p. 65)" .

A partir de ces observations donc, nous dirons que Les enfanttJ.es absorbe le discours productiviste, issu du socio1ecte de la c; lasse dirigeante, c'est-à-dire de l'Etat moderne. Ce discours repose sur le primat de l'avenir au détriment de l'instant pré sent, du travail ut i 1 i taire visant à l' accroi s sement ou au maint i en de la product ion, de la volonté de dominer ses

«

faiblesses )) individuelles, ses relâchements devant le travail à accomplir, de manière à concentrer ses forces sur

D'après Bataille, Baudelaire va beaucoup plus loin dans le refus de l'idéologie dominante. En se vouant à la fascination du Mal - la fascinat i on étant 1 e contraire de la volonté -, i l récuse 1 e primat du lendemain, de la duré e et de la sat i sfact i on.

4: Baudelaire ouvrit dans la masse tumultueuse de ces eaux la dépression d'une poésie maudite, qui n'assumait plus rien, et qui subissait sans défense une fascination incapable de satisfaire, une fascination qui détruisait. Ainsi la poésie se détournait d'exigences à elle données du dehors, d'exigences de la volonté, pour repondre à une seule exigençe intime, qui la Hait à ce qui fascine, qui en faisait le contraire de la volonté.

(Bataille, p. 67).

, ,~I

(38)

l

32

l'accumulation de richesses. Cet cbjectif atteint, la réussite individuelle est sanctionnée positivement par le socio1ect. de la classe dirigeante.

Le discours pr oduct i vi st e remplit la fonction de destinateur, tant au niveaux social qu'au niveau textuel. I l

constitue un vouloir-faire, de même qu'il fournit au sujet de l'énoncé un savoir, des réponses à ses questions sur le monde et sur lui-même. Comme toute idéologie, ce discours peut être conçu comme un appareil normatif-·évaluatif (Hamon) indiquant au sujet les normes à adopter, les tabous à respecter ou à transgresser (selon la norme), les modèles à imiter ou à rejeter. Il offre donc au sujet l'objet d'une quête et la meilleure fa~on d'y parvenir. Au plan sociolinguistique, sous-jacent à un savoir sur le monde, viennent en prime un répertoire lexical, une structure sémantique et narrative.

Le sujet d'un tel discours adopte une attitude énonciative autoritaire, monologique (Bakhtine). Comme il vise à persuader l'autre, à lui imposer son savoir plutôt qu'à le confronter, son discours est édifiant, c'est-à-dire qu'il érige en véri té absolue et pathétiqueJ. , processus discursif empreint de sentimentalisme et d'une vision tragique de l'existence, son évaluation du monde et les normes qu'il met en place.

1 Bakhtine fait implicitement la distinction entre le pathétisme inhérent au

«

faux sérieux» (1978, p. 132), et« le pathos de la déchéance et du remplacement :2> inhérent à la vision carnavalesque du monde (1970, p. 172). A notre connaissance, i l

(39)

Dans la logique des mécanismes discursifs de l'idéologie, ce discours n'est pas nécessairement explicité par le sujet. I l aurait plutôt tendance à liIe camoufler, il gommer toute trace d'énonciation, il s'inscrire dans les présupposés et les non-dits (Zima, 1981, p. 730).

Bien que Les enfant~.es réagisse principalement au discours productiviste, i l fait la critique de plusieurs idéologies: les idéologies littéraires et artistiques (conceptions esthétiques J

idéologies référentielle et autoréférentielle), les idéologies-doctrines (capi tali sme, social i sme) • le nationalisme, le machisme, le courant contre-culturel, etc. Pour faciliter l'analyse et la description du texte, nous dirons d'abord que le roman absorbe et réagit globalement à l'idéologie productiviste de deux maniè res, chacune d'elles étant subdivisées

inégalement

1 Par le contre-discours à connotation1 romantique du

narrateur, Vincent Fa1ardeau, et par les mémoires qu'il entreprend pour renouer avec l'enfance idyllique et unitaire, bien à l'abri du monde, mais du discours productiviste et utilitaire surtout. Pour reprendre la métaphore de Vincent à

1 La notion de connotation appelle celle de dénotation.

Pour les distinguer, nous nous référons à C. Kerbrat-Orecchioni: <: Nous appelerons I l dénotatif I l le sens qui intervient dans le

mécanisme référentiel, c'est-à-dire l'ensemble des informations que véhicule une unité linguistique et qui lui permettent d'entrer en relation avec ou objet extralinguistique [. ,,]. Toutes les informations subsidiaires seront dites connotatives.

>

(40)

1

34

propos de son entreprise autobiographique, c'est 4( le plongeon

dans l'abîme émotif )0 (p. 12).

Au plan de l'analyse, il s'agit ici du niveau 1. plus explicitei du texte, celui qui retient, et en partie seulement,

l'attention de la critique. Il est remarquable en effet que la critique adhère sans réserve au discours du narrateur, sans tenir compte des multiples contradictions, construite. par le roman, entre certains de ces énoncés et l'en:3emble de son univers axiologique. La nostalgie du passé et la quête de l'enfance idyllique n'ont fait l'objet d'aucune attention particuli~re.

Effectivement, on verra que les études sur le roman ont esquivé l'examen du pacte autobiographique et de son expansion narrative.

2 Par la relativisation et la mise en cause de l' anti--discours du narrateur et des normes qu'il met en place. Cette

relativisation est surtout produite par l'ironie de l'inst.ance narrative qui, en plus de susciter l'ambiguïté sémantique, place

1 La notion d'explicite se définit par rapport .. celle

d' impl icite. Nous nous ré féron. erJcore il Kerbrat-Orecchionni:ct [ ... ] les contenus impl icites (présupposé s et sous-entendus) ont en commun la propriété de ne pas constItuer en principe [ •.. ] Je v~"l.table objet du dire, tandis que les contenus explicites correspondent, en principe toujours, il l'objet du message à

transmettre [ ...

J.

>

(p. 21,22).

On doit compléter au moins partiellement la définition en distinguant prfsuppos~s et sou.s-entendus. Les présuppos •• , dit Kerbrat-Orecchioni,

<

s ' i l s ne constituent pas en principe l'objet essentiel du message, sont tout de même bel et bien véhiculés par l'énoncé. dans lesquels ils s~ trouvent (a la

différence des sous-entendus) intrins~quement et incontestablement inscrits [ . . .

J.

~ (Kerbrat-Orecchioni, 1986, p. 21).

Figure

figure  de  Dionysos.  Dès  les  premières  lignes  de  la  conclusion  de  .on  étude,  Leduc-Park  écrit  :

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