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Corneille psychologue

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Département de français M.A.

Les écrits théoriques et le théâtre de Corneille révèlent sa préoccupation de la pseudo-réalité qu'il pré-sentait sur scène. Et pourtant les attaques contre Cor-neille le psychologue sont nombreuses. En analysant le théâtre de cet artiste sous les rubriques "amour", "devoir" et "ambition", nous espérons en faire ressortir une richesse psychologique trop souvent négligée.

Colorée par l'époque et déterminée par le génie du dramaturge, la conception de l'amour de Corneille est variée, complexe, vraie, originale, et témoigne de la finesse et de la pénétration du poète.

Bien que certains personnages, en subordonnant au devoir jusqu'à leur personnalité, donnent raison aux critiques qui réduisent la conception cornélienne du devoir à un phénomène psychologique assez rudimentaire, la plupart des héros sont plus complexes, leur individualisme colorant et amplifiant ce concepte.

Si Corneille s'est plu à mettre l'ambition

fré-quemment sur scène --variant ses visées et ses réverbérations psychologiques selon le personnage-- c'est que, mieux que toute autre passion, elle intrigue et émerveille le spec-tateur.

Le but du théâtre est de séduire l'auditoire et l'important c'est que chaque élément concoure à ce résultat. Cet essai a tenté de prouver que la psychologie du théâtre cornélien possède les qualités requises pour plaire.

(2)
(3)

:AI.·:·'·

JW~'!

by

KILLEN, Irène Christine, B.A.

A thesis submitted to

the Faeulty of Graduate Studies and Researeh MeGill University, .

in partial fulfilment of the requirements for the degree of

Master of Arts.

Department of Freneh Language and Literature.

@) Irene Christine Kinen 1

'fl~

)

(4)

INTRODUCT ION • •.• • • • • • • • • • • • • • • •

CHAPITRE l -- L'Amour • • • • • • • • • • • • • •

CHAPITRE II -- Le Devoir • • • • • • • • • • • CHAPITRE III -- L'Ambition •• • • • • • • • • • •

CONCLUSION • • • • • • • • • • • • • • • • • BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • • • • 1 6 38

61

78

89

(5)

Corneille a pris un grand nombre de ses personnages dans l'histoire, mais il les en a tirés tel qu'un sculpteur tire une statue d'un marbre informe. Il polit et cisèle pour donner

à

la matière première une forme humaine. Le souci de la psychologie détermine souvent les modifications que cet artiste apporte

à

ses modèles. Pourquoi? Parce qu'il s'est rendu compte que le théâtre donne une illusion de la vie.

Dès

1634,

Corneille écrivait:

La comédie n'est qu'un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. Sur cette maxime je tâche de ne mettre en la bouche de mes acteurs que ce que diraient vraisemblablement en leur place ceux qU'ilsAreprésentent, et de les faire diîcou-rir en honnetes gens, et non pas en auteurs. Et en

1660:

Le poème dramatique est une imitation, ou pour en mieux parler, un portrait des actions des hommes,

et il est hors de doute que les portraits sont d'autant plus 2excellents qu'ils ressemblent mieux

à

l'original.

IPierre Corneille, Au Lecteur de La Veuve, in Corneille, Oeuvres complètes, A. Stegmann (~diteur), Editions du Seuil,

1963,

p.

76.

2 ••• •• , Discours des trois unités: d'actio~

(6)

marquée pRr les guerres de la Régence et de la Fronde et qui souscrivait

à

un idéal de vie romanesque et héroïque. Les moeurs de cette époque fougueuse reflétaient une

grandeur d'âme chevaleresque tout en mettant foi dans

l'intelligence et la volonté de l'homme. L'élite précieuse valorisait la galanterie et le raffinement dans le domaine de l'amour en subordonnant ce sentiment aux préceptes de la raison. Tout en incarnant dans ses personnages l'éthi-que de cette épol'éthi-que, Corneille a su donner

à

chaque héros sa physionomie individuelle.

La tâche propre des écrivains est de scruter le coeur humain afin de découvrir et d'étudier les sentiments divers qui l'agitent, pour'ensuite restituer sur la scène la vérité, la densité, la complexité et les vibrations de la vie en présentant des personnages chez qui le spectateur retrouvera son propre drame et celui de tout le genre

humain.

Toute sa vie littéraire, Corneille l'a vécue dans une préoccupation constante de cette pseudo-réalité. Ses écrits théoriques et son théâtrel en attestent. Et pour-tant depuis que La Bruyère a écrit dans Les Caractères, "L-Corneille/ peint les, hommes comme ils devraient être,

lL'Illusion comique surtout puisque dans cette pièce Corneille dJmontre que l'intention de l'aute'ur dra-matique est de faire douter des frontières de la réalité et de la fiction.

(7)

L-Racine/ les peint tels qu'ils sont,,,l les deux poètes ont subi d'innombrables parallèles dont la plupart accusent le premier de déficience en psychologie en louant le second pour sa finesse et sa pénétration dans ce domaine.

Les attaques contre Corneille sont souvent sévères. Ses tyrans et ses marâtres sont tout d'une pièce

comme ses héros, méchants d'un bout

à

l'autre; • •• Ses héroines, • • • "adorables furies", se ressemblent presque toutes: leur amour est subtil,

combiné, alambiqué, et sort plus de la tête que du coeur. 2n sent que Corneille connaissait peu les femmes.

Ainsi s'exprime ce grand maître de la critique littéraire qu'est Sainte-Beuve. Admirateur de Racine, Voltaire

re-proche

à

Corneille d'être "presque toujours hors de la nature,,,3 et Guizot professe la même oPinion.4 Emile Fa.guet est encore plus rigoureux. Selon lui, flrien ne ressemble moins

à

la vie que le théâtre de Corneille.,,5

Pour Gustave Lanson, volonté et connaissance domi-nent les personnages de Corneille; quant

à

Jules Lemaitre,

IJean de La Bruyère, "Des Ouvrages de l'esprit," Oeuvres de La Bruyère, G. Servois (éditeur), 3e édition, tome II, Librairie Hachette, 1922, p.

54.

2Charles-Augustin Sainte-Beuve, "Pierre Corneille,11 in Corneille and Racine, Parallels and Contrasts, Robert J. Nelson (éditeur), NeYl Jersey, Prentice-Hall, Inc., 1966, p. 63.

3p•J • Yarrow, Corneille, London, MacMillan and Co. Ltd., 1963, p. 178.

.

.

. .

4., ibid., p. 178. llL 'observation de la nature ne l'occupait point":

5

• • • •• , ibid., p. 178.

(8)

l'homme que met en scène ce poète n'est, à ses yeux, que volonté et devoir. Selon Bénichou et Nadal, le héros cornélien est guidé, non par la raison, le devoir ou la volonté, mais par sa passion pour la gloire. Cette der-nière théorie --pas plus que celle de Lanson ou de Jules Lema.itre-- ne rend le personnage de Corneille plus humain ni Corneille meilleur psychologue.

Puisque les critiques de Racine et de Corneille ne semblent pas pouvoir admirer l'un des dramaturges

sans apporter beaucoup de restrictions à leurs éloges de l'autre --ou même sans être injuste envers le second-- il

serait avantageux d'entreprendre l'étude du théâtre de Corneille comme l'auteur lui-même l'aurait désiré, c'est-à-dire avec

• • • un peu de cette faveur qui doit toujours pencher du côté de ceux qui travaillent pour le public, avec une attention sincère qui vous em-pêche d'y voir ce qui n'y est pas, et yous y laisse voir tout ce que j'y fais dire.

C'est ce que nous nous proposons de faire dans le présent travail.

L'amour n'est jamais absent du théâtre de Cor-neille. Dans les premi6res comédies, il n'est encore qu'à l'état de simple flirt, n'engendrant que rarement une situation critique. Mais à cet amour romanesque des

Ipierre Corneille, Au Lecteur de Sophonisbe, in

(9)

pastorales viennent bientôt se greffer les éléments de la comédie espagnole ainsi que les fruits de l'intuition et de l'observation. Alors apparaît cette dualité cornélienne qui oppose l'amour à des entités étrangères --honneur, gloire, civisme, patriotisme, amitié, amour divin, haine, vengeance, liberté-- que, pour plus de comnlvdité, nous classerons sous les deux rubriques "devoir" et "ambition".

En analysant le théâtre de Corneille sous cette division --assez arbitraire mais en même temps exhaustive--de l'amour, du exhaustive--devoir et exhaustive--de l'ambition, nous espérons en faire ressortir l'étonnante finesse, la variété, la complexité, l'originalité et la vérité psychologiques que la tradition nous a longtemps cachées en ne cessant de chercher une explication centrale du génie cornélien, et que la critique contemporaine tend à négliger encore

l

en ne songeant qu'à IImettre au jour l'unité de sens" qui soutient l'oeuvre du dramaturge.

l Serge Doubrovsky, Corneille et la dialectique

(10)

CHAPITRE I : L'A!10UR

L-La7 dig~i~é L-de la tragédie/ demande quelque grand interet d'Etat ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance, et veut donner l

craindre des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. Il est l propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a tOUjOl~S beaucoup d'a~ré­ ment et peut servir de fondement à ces intérets et l ces autres passions dont je parle; mais il faut qu'il se contente du second rang dans le poème, et leur laisse le pre~ier.

Les écrits théoriques de Corneille suggèrent que l'amour joue dans son théâtre un rôle secondaire. Et pourtant, les oeuvres dramatiques de l'écrivain té-moignent d'une analyse pénétrante de ce sentiment qui, plus souvent que Corneille ne veut l'admettre, domine dans ses pièces et triomphe des autres valeurs.

Si Corneille s'est ingénié l démontrer que l'amour dont il dote ses personnages est toujours subordonné à un impératif supérieur, c'est sans doute pour satisfaire le goût précieux des mondains de son temps. Comme les autres habitués de l'Hôtel de Rambouillet, Corneille

IPierre Corneille, Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, in op. cit., p.

824.

(11)

a dû participer à cet effort vers la distinction qui est

à la base-même du mouvement précieux: pour devenir "le grand homme des nouveaux cercles littéraires,,,l il lui fallait adopter l'idéal en vogue et en refléter les mani-festations dans son oeuvre dramatique.

On ne peut nier que le théâtre de Corneille doit beaucoup à l'art d'aimer des Précieux. L'amour tendre et galant, la primauté de la femme, l'esprit de soumission de l'amant, la discipline imposée à la nature par la volonté, le souci de la gloire, les rêves de grandeur:

tous ces thèmes du théâtre cornélien correspondent par-faitement au goût des ruelles.

I.fais flatter les aspirations de cette élite n'était pas le but unique de Corneille. Il lui fallait, avant

tout, satisfaire le grand public. C'est pourquoi le poète a refusé de s'arrêter à l'esclavage amoureux de l'éthique des Précieuses.

"Ces fausses délicates," écrit Saint-Evremond à leur sujet, "ont ôté à l'amour ce qu'il y a de plUS naturel, •

.

.

Elles ont tiré une passion toute sensible du coeur à l'esprit, et converti des mouvements en idées.,,2

10ctave Nadal, Le Sentiment de l'amour dans l'oeuvre de Pierre Corneille, Gallimard, 1948, p. 43.

2Charles de Saint-Evremond, "Le Cercle," Les Véri-tables Oeuvres de Monsieur de Saint-Evremond, 3e édition, tome l, Londres, Jacob Tonson, 1707, p.

88.

(12)

Tel n'est pas le cas de Corneille. Comme le note très justement Octave Nadal à propos du Cid, le poète a laissé à l'amour" • • • ses mouvements naturels, son ardeur, ses incohérences, sa cruauté, sa fatalité" ainsi que "ses fon-dations gracieuses et naïves, les formes de l'instinct et du bonheur. III Ce jugement s'appliquerait aussi bien aux autres pièces du dramaturge. Oui, tout en ayant subi l'influence des courants de pensée qui ont agité le début du XVIIe siècle, dans son théâtre, Corneille a su ramener l'amour à la mesure humaine.

"

• • • C'est dans l'expression des sentiments

naissants • • • que Corneille donne le son le plus juste,,,2 a écrit Schlumberger. Certaines scènes inoubliables lui donnent raison --celle, par exemple, où la craintive héroïne de Psyché subit les premiers charmes mystérieux de l'amour.

Dans un discours où fourmillent les termes pré-cieux, Psyché fait la découverte d'un sentiment nouveau qui l'étonne pour ensuite la ravir. Elle exprime sa

loctave Nadal, Le Sentiment de l'amour dans l'oeuvre de Pierre Corneille, Gallimard, 1948, p. 162.

2Jean Schlumberger,

"Corneille~"

in Tableau de la littérature francaise de Corneille a Chénier, tome II, Gallimard, 1939, p. 20.

(13)

pensée avec une spontanéité charmante et cette naïveté et candelIT qui appartiennent à la jeunesse •

• • • je dirais que je vous aime,

Seigneur, si je savais ce que c'est que d'aimer. Ne les détournez point, ces yeux qui m'empoisonnent,

• • •

Hélas! plus ils sont dangereux, l Plus je me plais à m'attacher sur eux.

Hardie, non seulement elle se laisse charmer par l'Amour, mais, dans son émoi, l'instinct l'emporte chez elle sur les lois de la bienséance. Elle s'en rend compte:

Par quel ordre du ciel, que je ne puis comprendre, Vous dis-je plus que je ne dois,

Moi de qui la pudeur devrait du moins attendre 2 Que vous m'expliquassiez le trouble où je vous vois? Voilà la simplicité, l'enthousiasme, l'ardeur de la jeunesse. Corneille ne pouvait les négliger en faveur de cette discrétion, parfois si artificielle, que l'époque exigeait de la femme dans le domaine sentimental. Cette scène de Psyché confirme combien il s'est ingénié à saisir et peindre les nuances les plus délicates de l'éclosion de l'amour pour en donner une description humainement valable. La finesse dont Corneille y fait preuve et la pénétration psychologique qu'il y atteint font de ces quelques vers3 un véritable chef-d'oeuvre.

lpierre Corneille, PS~Ché, in op. cit., Acte

III,

scène iii, vers 1063-65 et 10 8-69, p. 765.

2

• • • •

.

,

ibid. , vers 1070-73, p. 765.

3 ibid. , vers 1050-77, p • 765.

(14)

Corneille a également su rendre la timidité et les incohérences qu'elle engendre chez le jeune homme qui subit --pour la première fois peut-être-- l'attrait de la femme. Dans La Veuve, il dépeint, dans une scène d'une originalité exquise, ce trait de vérité des plus banals.

C'est par l'intermédiaire de Dorise que Corneille brosse le portrait du jeune Florange dont elle a fait la connaissance au bal de la veille.l Elle raconte comment, l'ayant invitée à da.nser à deux reprises, il lui parle

...

.

a pelne et se retire ensuite dans un coin pour pouvoir l'observer à son aise. Lorsqu'il se décide enfin à l'aborder de nouveau, il lui adresse, en tremblant, un compliment des plus précieux auquel la jeune fille n'hésite pas à répondre par une pointe. Le malheureux est déconcerté; il ne peut donner suite au discours qu'il semblait s'être préparé. Pour obvier à ce genre de

contrariétés, il adopte alors une conduite tout autre: devenant plus audacieux, il se met à sourire, à serrer

...

les doigts de la belle, et il s'adonne soudain a une causerie qui, par sa variété et son abondance, fait étonnamment contraste à son silence antérietœ. Telle est la confusion où l'amour naissant jette souvent le novice, et la conduite illogique dont il est la cause.

l ...

• • • •• , La Veuve, in op. cit., Acte l, scene iii, p.

79-80.

(15)

Ainsi, dès les premières comédies s'élabore une conception de l'amour dont la source principale est l'observation de la vie.

Dans La Galerie du Palais, Lysandre fait une analyse très perspicace de la naissance de ce sentiment. La curiosité, explique le héros, peut lui servir de point de départ:

A la première vue, un objet qui nous plaît N'inspire qu'un désir de savoir quel il est; On en veut aussitôt apprendre davantage, Voir si son entretien répond à son visage,

S'il est civil ou rude, im~ortun ou charmeur, 1 Eprouver son esprit, connaltre son humeul' • • • Hais comment expliquer l'origine de cette curiosité ou le choix de son objet? Selon Corneille, on ne peut le faire.

.

..

Si chez Corneille la premlere touche de l'amolœ reste mystérieuse, c'est que le poète a connu la psycho-logie humaine assez profondément pour pouvoir reconnaître que ce sentiment ne naît pas toujours d'une démarche

rationnelle.

D~s

Mélite, on2 parle de ce "je ne sais quoi" --si célèbre au XVIIe siècle et favori des ruelles--qui rend un être amoureux. C'est à la même cause mysté-rieuse que Rodogune attribue son choix entre les deux princes Antiochus et Séleucus qui tous deux la méritent

l • • • •• , La Galerie du Palais, in op. cit.,

Acte I, scène viii, vers 211-216, p. 106.

2Tircis: • • • •• , l1élite, in op. cit., Acte I, scène iii, vers 215, p. 32.

(16)

également.l Dans L'Illusion comique, Isabelle discourt longuement sur l'inexplicable raison pour laquelle elle refuse l'amant que lui donne son père:

. • • Je sais qu'il est parfait

Et que je réponds mal à l'honneur qu'il me fait; Mais • • •

• • •

Par un secret instinct, que je ne puis nommer, J'en fais beaucoup d'état et ne le puis aimer. Souvent je ne sais quoi que le ciel nous inspire Soulève tout le coeur ŒIDntre ce qu'on désire

Et ne nous laisse pas en état d'obéir, 2 Quand on choisit pour nous ce qu'il nous faut hair. La Pauline de pOlyeucte

3

et, après elle, le Placide de

Théodore

4

appellent cette force simplement "l'inclination". Corneille laisse à l'amour son caractère de fata-lité: ces nombreux témoignages le prouvent. Il n'est donc pas vrai, comme le voudrait Lanson, que "nous voyons • • • toute la psychologie cornélienne se ra-masser autour de l'idée de connaissance.,,5

Une fois l'objet élu, l'habitude, l'estime, l'admiration font naître dans l'âme une sensation inex-plicable qui élève le "je ne sais quoi"

à

l'ordre de

1 ...

• • • • • , Rodogune, in op. cit., Acte l, scene v, vers

362,

p.

422.

2 • • • •• , L'Illusion comique, in op. cit., Acte III, scène i, vers

635-637

et 639-6~4, p.

202.

3 • • • • • , Polyeucte, in op. cit., Acte l, scène iii, vers 216, p. 295.

4 • • • •• , Théodore, in op. cit., Acte l, scène i, vers

90,

p.

394.

(17)

8

"sentiment". Si la raison intervient pour servir les intérêts d'un élément antagoniste à l'amour, sa victoire est plus facile avant cette métamorphose que lorsque le sentiment s'est déjà affermi.

La prompte obéissance de Pauline

à

la volonté

, ~ l'

de son pere indique qu'attendant un epoux de sa main, elle n'a jamais donné libre cours à son "inclination" pour Sévère. Hédée, par contre, a permis

à

sa tendresse pour Jason de croître et elle en est devenue subjuguée. Elle se rend compte alors qu'une fois ancré dans l'âme, l'amour n'en sort pas sur une s im'ple injonction de la volonté.2 Telle est également l'opinion de Camille:

L-L'amo~7 ~ntre avec douce~, ~mais il règne avec force, Et quand l'ame une fois a goute son amorce

Vouloir ne plus aimer, c'est ce qu'elle ne peut, 3 Puisqu'elle ne peut plus vouloir que ce qU'il veut. Comme le poète latin Ovide, Corneille s'est douté que

l'amour doit être combattu dès son origine; lorsqu'un long délai l'a fortifié, il est trop tard pour y porter

, 4 remede.

lpierre Corneille, Polyeucte, in op. cit., Acte l, scène iii, vers 194, p. 295.

2 • • . •• , La Conquête de la toison d'or, in

op. cit., Acte II, scène ii, vers 765, p. 601.

3 • • • •• , Horace" in.Q.!l.e cit., Acte III, scène iv, vers 923-926, p. 259.

4"princiPiis obsta; sero medicina paratur,

Cum mala per longas conualuere moras." Ovide, Les Remèdes à l'amour, Société d'Edition "Les Belles

(18)

Pour comDl~ter son panorama des diff~rentes

manifestations de l'a°'lOl1r, Corneille a ~galement peint les spasmes de la passion. Si par sa conception de

certains hérosl le poète semble avoir

~té endoctrin~

à l'amour mystique et platonique des Précieux, ses

passionnés attestent du peu de cas qu'il faisait parfois des règles fondamentales de cette élite. Chez ces per-sonnages, la raison, l'ordre et la discr~tion prêch~s

dans les salons n'ont plus de place.

En proie à la passion, certains amoureux oublient leur orgueil. Domitien peut servir de mod~le. Bafoué, insulté, humili~ par Domitie, il continue néanmoins à l a poursu vre, s a a1.ssan meme i ' b ' t " , a. queman er sa p1. 1.e. , d ' t " 2 D'autres préf~rent la mort à la séparation. Ce thème, annoncé dès

H~lite3,

se retrouve jusque dans

Sur~na

qui, par le chagrin fatal d'Eurydice, en donne la plus sai-sissante et m~morable expression.

Hais c'est sans doute Camille qui restera l'exemple par excellence des passionn~s de Corneille. Chez elle, l'amour possède une raison d'être toute personnelle. Si Camille aime Curiace, c'est sans doute qu'elle a trouv~

lAng~lique

(La Place Royale), Plautine (Othon),

Th~odore, Pulchérie, B~rénice, • . •

2Pierre Corneille, Tite et

B~r~nice,

in op. cit., Acte III, scène ii, vers 813-815, p. 741.

3 • . • •• , Mélite, in 00. cit., Acte IV, scène

(19)

chez lui une sollicitude que sa sensibilité féminine exigeait et dont sa propre famille --dévouée à un idéal viril auquel elle sacrifiait souvent affection et ten-dresse-- l'avait privée. Pour s'intensifier, sa passion

, b · d i ' Il t t , I I I

n a eSOLn que e savo r qu e e es par agee.

n'est donc pas surprenant que la jeune fille continue

à

aimer Curiace lorsqu'elle le croit déserteur:

• • • ton coeur tout

à

moi, pour ne me perdre pas, Dérobe à ton pays le secours de ton bras.

Qu'un autre considère ici ta renommée

Et te blâme, s'il veut, de m'avoir trop aimée; Ce n'est point à Camille à t'en mésestimer: Plus ton amour parait, plus elle doit t'aimer

Et si tu dois beaucoup aux lieux qui t'ont vu naitr~,

Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paraître. Si la passion de cette héroïne peut subsister

A

dans l'infamie, voit combien Lanson a tort de

merne on

prétendre que l'amour cornélien est toujours fondé sur le mérite et l'estime et guidé par la raison. Certes, c'est l'estime qui alimente l'amour entre Rodrigue et Chimène, et une telle conception de ce sentiment rejoint la casuistique amoureuse de la société précieuse et la

philosophie cartésienne dont elle s'inspire. Mais le théâtre cornélien présente aussi l'amour subsistant sans estime. Nous l'avons noté dans Horace; nous le

lUne des raisons pour lesquelles Eurydice aime Suréna est également que son amour est partagé. (Acte l, scène i, vers 63 de Suréna.)

2 ,

• • • • • , Horace, in op. cit., Acte l, scene iii, vers

245-252,

p.

252.

(20)

voyons également dans Cinna: lorsqu'Emilie n~ décollvre pas chez son amant les qualités de coeur que son imagi-nation lui prêtait et auxquelles elle s'attendait chez un descendant du grand Pompée, elle ne l'en aime pas moins. Dans Suréna, Corneille fera en outre remarquer que les mérites les meilleurs ne peuvent rien sur un "coeur prévenu":

• • • quand ce coeur est pris et la place occupée, Des vertus d'un rival en vain l'âme est frapp~e, Tout ce qu'il a d'aimable importune les yeU!, Et plus il est parfait, plus il est odieux.

Après la mort de son amant, Ca~ille démontre --en reniant famille et patrie, en se suicidant, et en obligeant le meurtrier de Curiace à assumer la responsabilité de

2

sa mort -- combien son amour pour lui est exclusif et passionn~. Mais si Camille se livre tout enti~re à la passion, sa volonté est en parfait accord avec elle.

Obligés de choisir entre Rome et l'amour, Horace optait pour le premier, sa soeur, pour l'autre. Il n'est donc pas vrai que le théâtre cornélien présente une constante opposition entre volonté et passion. C~rtes, Corneille refuse de réduire l'amour à une passivité comme le fait Racine; il veut ses personnages lucides et volontaires

1 • • • • • , Suréna, in OP. cit., Acte 1, scène i, vers

93-96,

p. 801.

21a mort de Camille est un suicide déguisé car, en excitant la colère de son frère et le poussant

à

la tuer, elle se donne volontairement la mort. Sabine fait allusion à ce suicide au vers 1381 de Horace.

(21)

dans le domaine sentimental. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ne puissent pas choisir l'amour au détriment d'un impératif supérieur. Au contraire, cela est fréquent chez Corneille.l

Et la jalousie, ce sentiment que l'amour engendre si souvent chez l'être humain et que le "généreux" de Descartes ne connait pas, les personnages de Corneille en font-ils preuve? Oui, parfois très subtilement d'ailleurs.

Les exemples de jalousie passionnelle sont nom-breux chez Corneille. Ce sentiment joue un rôle important dans Cinna et Suréna où il précipite le dénouement: là en poussant Maxime

à

la trahison, ici en devenant chez Pacorus haineux et meurtrier. Dans Pulchérie, le poète brosse le portrait de la jalousie sénile --jalousie bénigne qui, chez le sympathique l1artian, n'a pour seul ennui que de lui faire reconnaître son amour pour Pulchérie.2

Mais c'est surtout dans la présentation des ja-lousies orgueilleuses que Corneille a démontré combien il s'entendait aux sophismes de la passion.

INous le verrons dans le chapitre suivant, p. 56. 2Pierre Corneille, Pulchérie, in ODe cit., Acte

II,

scène i, vers 461-462, p.

784.

(22)

Un grand nombre d'héroïnes --dont Bérénice, Domi-tie, Pulchérie, Plautine-- abandonnent leurs amants pour ensuite exiger qu'ils leur restent soumis. Ce thème, qui provient de Don Sanche, se retrouve également dans

Sophonisbe où l'héroïne, ne pouvant tolérer que Massinisse, son ancien amant, disposât de lUi-même, lui choisit une femme et tente de la lui imposer: .

Je le donnais, ce coeur • • •

Ce don, s'il l'eût souffert, eût marqué mon empire, Eût montré qu'un amant si maltraité par Toi

Prenait encor plaisir à recevoir ma loi.

La conduite extravagante de toutes ces femmes s'explique facilement si l'on se souvient que l'amour est une conquête. C'est pour cette raison que perdre l'ascendant qu'on a sur un amant blesse si profondément l'orgueil féminin. Corneille le savait, et il a mis cette vérité à profit dans son théâtre.

Si Corneille connaissait bien la psychologie humaine, il a également doté certains de ses personnages d'un peu de cette pénétration. Alidor et Domitien s'en servent dans un subtil raffinement de cruauté.

Le héros de La Place Royale sait que le meilleur moyen de faire mal à certaines femmes c'est de s'attaquer à leur beauté. Désirant se libérer d'Angélique qu'il croit aimer d'un amour trop asservissant, il fait tomber

ii,

1 . . • . • ,

SO~honisbe,

in op. cit., Acte l, scène vers 107-110, p.

6

5.

(23)

entre les mains de la jeune fille une lettre qu'il prétend avoir adressée à une autre, dans laquelle il loue les charmes de cette dernière en dénigrant cruel-lement ceux de son amante.l

Domitien, lui, aimant Domitie qui lui préfère une couronne, espère qu'en courtisant Bérénice, il forcera son retour.2 Ce chantage prouve que Domitien a conscience de cet orgu~il féminin dans le domaine de l'amour dont nous parlions plus haut. 3

Pourquoi les exégètes, tels que Lanson, s'achar-nent-ils

à

vouloir limiter par une simple définition une conception de l'amour aussi variée et complexe que celle de Corneille? C'est sans doute que, soucieux de dégager les grands thèmes, ils ne se rendent pas compte combien sont riches en psychologie et révélateurs de la finesse et de l'originalité du poète, les traits moins manifestes de son théâtre.

Voilà justement la raison pour laquelle les cri-tiques ont jusqu'ici peu sondé la puissante sensibilité et la précieuse réserve de tendresse qui animent le

1 • • • •• , La Place Royale, in op. cit., Acte II,

scène ii, vers

343-353,

p.

154.

2

• • • •• , Tite et Bérénice.

(24)

théâtre cornélien. Ces éléments y sont présents aussi incontestablement que chez Racine, mais l'artiste rouen-nais les a portés sur scène avec beaucoup plus de subti-lité que son rival.

Horace nous servira de premier exemple. Le héros dont la pièce prend son nom semble, au pr8mier abord, dénué de tout sen.timent. Tel n'est pas le cas. Sous une écorce en apparence insensible, Horace cache un

coeur capable de tendresse et de compassion, mais l'idéal qu'il s'est proposé de poursuivre l'oblige à refouler en lui leur expression.

Horace se trouve dans une situation atroce qui l'oblige

à

combattre son beau-frère et son meilleur ami. Y reconnaissant l'occasion de prouver sa valeur,

il décide de faire face au destin au lieu de s'y résigner et de souffrir en vain. Cependant lorsque, avant le

combat, il prie Sabine de l'aimer assez "pour n'en

triompher pOint"l, on se rend compte --par ces quelques mots-- que cet intrépide héros n'est pas certain que sa volonté puis se rés is ter

à.

l' éloq uence persuas ive du sentiment. A son retour auprès de sa femme, il lui exprime son affection et s'attendrit brièvement sur sa

1

, Pierre Corneille~6Horace, in op. cit., Acte II, scene vi, vers 67~, p. 2? •

(25)

douleur -_"Je t'aime et je connais la douleur qui te presse"l_- pour aussitôt lui conseiller de participer à sa gloire et de vaincre sa "faiblesse". S'il ne compatit pas plus·longtemps aux souffrances de Sabine, c'est peut-être par peur de révéler que sa fermeté n'est qu'un masque derrière lequel se cache une souffrance aiguë.

C'est ainsi que, dans l'intérêt de l'unité du personnage et de la vraisemblance psychologique, Cor-neille est parfois obligé de suggérer les sentiments de ses héros --de les faire "entrevoir" plutôt que de les faire "voir". Jean Schlumberger a donc tort de parler de "l'incapacité de Corneille à procéder par allusion.,,2 Le cas d'Horace n'est qu'une des nombreuses occasions où le discours cornélien se double d'une assise psycho-logique que l'on entrevoit ou pressent. Ceci produit

chez les personnages une impression de profondeur qu'on a trop négligée.

C'est surtout chez ses héroïnes que Corneille fait preuve de son pouvoir de suggestion. Son souci de la bienséance l'obligeant

à

leur donner une certaine raideur de caractère en présence de leurs amants, il lui

l ,

• • • •• , Horace, in op. cit., Acte IV, scene vii, vers 1355, p. 263.

2Jean Schlumberger, "Cûrneille," in Tableau de la littérature francaise de Corneille

à

Chénier, tome II, Gallimard, 1939, p. 21.

(26)

fallait leur permettre de révéler leur vraie nature en déclenchant chez elles --par des événements imprévus--des mouvements instinctifs. Dircé, par exemple, appre-nant que son amant, Thésée, est le roi recherché par l'oracle et par conséquent son frère, manifeste toute sa tendresse et son désarroi dans cette prière spontanée et charmante qu'elle lui adresse: "Ah: Prince, s'il se

.. 1 ..

petIt, ne soyez point mon frere." Quant a cette Emilie chez qui la haine vengeresse semble être la seule force motrice, les revirements soudains dont elle fait preuve, lorsque la sûreté de son amant lui donne une occasion de

s'~larmer, font foi de l'amour qu'elle prétend ressentir

1 . 2 pour u~.

Mais, pour revenir

à

Horace, on ne peut quitter cette pièce sans faire mention de la tendresse de Camille. Le récit que la jeune femme fait à Julie, au début de la pièce, démontre combien, lorsque la guerre est déclarée entre sa patrie et celle de Curiace, son amour pour lui est déjà profond.

..

scene

Combien nos déplaisirs parurent lors extrêmes:

Êt·c~mbien

de ruisseaux coulèrent de mes yeux:3 lpierre Corneille, Oedipe,

i, vers 1262, p. 581 •

2

. . .

.

., Cinna.

in op. cit., Acte

IV,

3

• • • • • , Horace, in op. cit., Acte I, scene ii,

..

(27)

Dans son désespoir, Camille a recours

à

la voix des oracles. Lorsque ceux-ci lui prédisent une union

pro-chaine et définitive avec son amant, elle s'abandonne tout entière

à

l'excès de son bonheur. C,' est alors que Corneille introduit une de ces surprises psychologiques qui confirment son génie: ayant reçu du devin une réponse favorable, Camille oublie les circonstances tragiques qui l'ont menée à le consulter et adopte une conduite inattendue qui accuse sa joie délirante et l'extase optimiste où l'a jetée la promesse des dieux. Contre son habitude, elle permet

à

Valère de lui faire la cour et, dans son transport de joie, elle ne semble pas vouloir prendre conscience de l'imminence du combat •

• • • je rencontrai Valère,

Et contre sa coutume, il ne put me déplaire. Il me parla d'amour sans me donner d'ennui: Je ne m'aperçus pas que je parlais ~ ,

à

lui, Je ne lui pus montrer de mepris ni de glace: Tout ce que je voyais me semblait Curiace,

Tout ce qu'on me disait me parlait de ses feux, Tout ce que je disais l'assurait de mes voeux. Le combat général aujourd'hui se hasarde;

J'en sus hier la nouvelle et je n'y pris pas garde: Hon esprit rejetait ces funestes objets, l Charmé des doux pensers d'hymen et de la paix. Par des subtilités de ce genre, Corneille concré-tise une personnalité. Chimène elle aussi est jeune, mais, moins passionnée que Camille, elle réagit très

l

• • • •• , Horace, in op. cit., Acte I, scène iii, vers 203-214, p. 252.

(28)

l

différemment dans des circonstances analogues. Lors-qu'elle apprend que son père consent

à

son mariage avec ROdrigue, elle n'ose se réjouir: ses quelques années d'existence semblent déjà lui avoir appris la précarité du sort. Nature délicate et profonde, Chimène agit selon la logique de son caractère lorsque, par un phénomène psychologique bien connu, elle craint le pire là où

elle espère pour le mieux. Cette mystérieuse appréhension révèle --d'une façon plus convaincante qu'aucun discours--toute sa tendresse et son amour pour Rodrigue.

Plus impétueuse et instinctive que l'héroïne du Cid, Camille accepte avec une confiance naïve la prophétie qu'elle espérait. Sa conduite, comme celle de Chimène, relève de son tempérament et fait ressortir, avec finesse et originalité, son besoin foncier d'affection et tout l'enthousiasme de son amour.

Corneille est donc un artiste raffiné chez qui chaque parole, chaque geste, chaque action peut cabher la clef d'un sentiment, d'un état d'âme, ou même d'une personnalité. Dans Polyeucte, par exemple, l'entrevue de Pauline et de son mari, en prison, ne laisse aucun doute sur l'affection réciproq:lle des deux époux.

l

• • • •• , Le Cid, in op. cit., Acte l, scène i, vers

53-56,

p. 222.

(29)

Comment les critiques qui ont accusé Pauline de ne pas aimer Polyeucte expliqueraient-ils les cris de passion et les audaces bouleversantes qu'elle fait

jaillir lors de cette réunion?

C'est donc là le dégoût qu'apporte l'h~énée? Je te suis odieuse après m'être donnée!

Si Corneille a bien voulu courir le risque de déplaire en se permettant des vers d 'Ime telle sensualité --et dans une tragédie chrétiennel--

à

une époque où la discrétion et la délicatesse étaient l'ordre du jour, c'est sans doute qu'il était prêt à tout sacrifier pour le seul plaisir de faire frémir l'auditoire afin que, dans ce frisson, il reconnaisse sa source: l'ardeur et la puissance de l'amour conjugal qui se manifeste sur la scène.

Et que dire de ce Polyeucte qui veut céder sa femme à un autre? Haints critiques lui ont reproché ce geste --dont Voltaire selon qui Polyeucte est "un

2

chrétien qui n'aime que le martyre." Mais cette cession n'est-elle pas plutôt la preuve d'une affection touchante et d'un amour généreux? Il n'est pas invraisemblable

l

• • • • ., Polyeucte, in op. ci t., Acte IV, scène iii, vers

1251-52,

p.

307.

2R• Chauviré, "Doutes à l'égard de Polveucte," French Studies 2,

1948,

p. 10.

(30)

qu· 11...'11 mari amoureux préfère confier sa fe!!1me à un rival

qu'il respecte que de la laisser seule au monde avec un père incapable de la comprendre. Dans Polyeucte est-ce donc un acte d'amour ou un geste méprisable?

Encore une fois, la même scène résoudra cette énigme. Pauline tente, par tous les moyens, de vaincre la volonté du martyr. Rien ne réussit à l'entamer. Mais l'évocation du plus intime rapprochement trouble Polyeucte jusqu'aux larmes: quelle que devienne l'intensité de son amour pour Dieu, sa tendresse conjugale n'en souffre aucune atteinte. Les derniers mots que le héros adresse à sa femme --IIChère Pauline, adieu, • • • --,,1 d' emon ren t t

et confirment la tendre affection qu'elle continue

à

lui inspirer.

Peut-être allons-nous trop loin en voulant inter-préter chaque vers, chaque soupir, chaque larme de ce thé~tre. S'il nous est possible de le faire, c'est gr~ce

à cette "profondeur", mentionnée ci-haut2, que Corneille a réussi à donner à ses personnages. Et s'il nous fallt le faire, c'est pour démontrer combien ont tort ceux'qui accusent ce poète d'étroitesse dans sa conception du sentiment de l'amour, car l'étude de détails de ce genre

Ipierre Corneille, Polyeucte, in op. cit., Acte V, scène iii, vers 1680, p. 312.

2

(31)

révèle la richesse et la complexité de sa psychologie amoureuse.

A partir du Cid, Corneille a voulu créer un théâtre qui intéresserait moins par les événements et les actes que par leur retentissement dans l'âme des principaux personnages. C'est là le grand mérite de ces oeuvres dont Le Cid restsra l'image exemplaire.

Puisque la fatale unité des vingt-quatre heures ne permettait pas toujours aux poètes de narrer un fait de son origine

à

sa conclusion, Corneille a appliqué les forces de son esprit et de son imagination

à

la peinture de l'âme au moment de la crise, en faisant appel aux souvenirs et aux confidences des personnages pOl1r déc:d.re les circonstances qui l'ont engendrée. Que Corneille le veuille ou non, c'est l'amour qui, le plus souvent, motive cette crise et occasionne le conflit psychologique. Dans Suréna, il devient même le thème unique.

Comme Corneille étudie l'amour dans une perspective sociale, il est fréquent que cette passion rencontre un obstacle étranger à sa nature --ambition, raison d'Etat, amour divin, vengeance, sentiment de l'honneur, • •• --avec lequel elle entre en lutte. C'est au chapitre du

"devoir" que nous réservons l'étude de ce conflit. Ici, nous nous proposons d'étudier la dissention qui réside

(32)

à

l'intérieur même du sentiment. Car il peut aussi arriver --et ceci est un trait de vérité-- que l'amour trouve sa contradiction essentielle en lui-même.

Le plus grand mérite de Corneille dans l'étude du sentiment de l'amour est sans doute d'avoir reconnu et mis en scène le problème de la liberté et de lui avoir donné un développement psychologique dont on ne peut nier l'originalité.

C'est l'Alidor de La Place Royale qui, le premier, se révolte avec acharnement contre l'enchaînement de

l'amour. Sa passion pour Angélique est réciproque et tout semble favoriser leur bonheur. Et pourtant, Alidor est malheureux: il s'est rendu compte que l'amour est un dieu qui asservit et il désire s'en défaire.

Dans ce but, Alidor pousse son amante dans les bras d'un ami. Mais lorsque cette répudiation est sur le point de réussir, le héros regrette sa décision.l Alors se révèlent les forces contraires et également puissantes qui le sollicitent: s'il s'insurge contre la dictature féminine, dans son for intérieur, Alidor aime Angélique et l'empire qu'il a sur elle lui plait.2 Le

lPierre Corneille, La Place Royale, in op. cit., Acte IV, scène v, vers 999-1002, p. 162.

2Dans les derniers vers de la pièce (Acte V, scène viii, vers 1522-27, p. 167), Alidor admet qu'il serait enragé de voir Angélique dans les mains d'autrui •

(33)

jeune homme énonce cette contradiction foncière dans le vers le plus célèbre de la pièce: "Je veux la liberté dans le milieu des fers."l Il décrit ensuite l'amour libre dont il rêve et cette conception du sentiment ne s'éloi-gne pas de celle des Précieux:

Il ne faut point servir d'objet qui nous possède, Il ne faut point nourrir d'amour qui ne nous cède: Je le hais, s'il me force et quand j'aime je veux Qne de ma volonté dépendent tous mes voeux,

Que mon feu m'obéisse au lieu de me contraindre, Que je puisse

è

mon gré l'enflam.TTler et l'éteindre, Et toujours en état de disposer de moi, 2

Donner quand il me plaît et retirer ma foi. Déchiré elltre la liberté et l'amour, Alidor ne peut se décider entre l'un ou l'autre et la pièce se termine sur cette note d'impuissance. La victoire finale revient

à

Angélique qui, en s'enfermant dans un cloitre, met fin au combat intérieur d'Alidor.

Attila est un successeur d'Alidor; il lui ressemble jusque dans son indécision. Lui aussi refuse de laisser la passion entamer son intégrité3 , mais il ne peut se résoudre à choisir entre Ildione, la femme qu'il aime, et Honorie, celle qu'eXige son ambition.

Ipierre Corneille, La place Royale, in op. cit., Acte 1, scène iv, vers 204, p.

153.

2

• • . •• , ibid., Acte 1, scène iv, vers

205-212,

p.

153.

3 . . . ,

Attila, in OD. cit., lcte 1, scène ii, vers

117-136,

p.

714.

(34)

Ce problème reste-t-il donc irrésolu chez Corneille? Non. Pulchérie y offre une solution. Craignant de se

faire "un maître aussitôt qu'un mari"l, l'héroïne rejette la servitude de l'amour --celui de Léon en épousant

Hartian, celui de Hartian en faisant devant Dieu un voeu de chasteté-- conservant ainsi sa liberté en même temps que l'amour et l'estime de son amant. Pulchérie récon-cilie donc deux tendances qu'Alidor trouvait irréconci-liables.

Le génie de Corneille réside égale~ent dans le fait qu'il sait tirer parti des idées empruntées

à

son époque. Comme les PréCieux, Corneille a intégré

à

l'amour la notion de gloire; il en a fait une eXigence intime,

inhérente à la nature même de ce sentiment. Au nom de cette glOire, l'Infante tente d'étouffer son amour pour Rodrigue2, et la Dircé d'Oedipe refuse d'épouser un héros sans couronne.

3

Mais Corneille ne s'est pas

arr~té

à

démontrer que le glorieux ne peut souffrir de mésalliance. Ayant fait de l'amour

à

la fois un sentiment et une valeur, il a su exploiter cette dualité pour engendrer des situa-tions subtiles et d'une originalité sans pareille.

l

·

.

. .

.,

i, vers

1443-44,

p.

2

• • • •

.

,

vers

90-92,

p.

222.

3 • • • •

.

,

vers

404,

po

572.

Pulchérie, in op. cit., Acte V, scène

794.

Le Cid, in 012· cit., Acte 1, scene , ii,

(35)

Les stances du Cid nous montrent Rodrigue prenant conscience de la dualité de son amour pour Chimène:

"l'amour valeur" le pousse à tuer le père de son amante afin de préserver son honnellr ainsi que l'estime de la

jeune fille; 1I1'amour sentimentll retient son bras par

crainte d'infliger à l'être aimé une souffrance trop cruelle. Ainsi, la dissention évidente dans les stances réside à l'intérieur de l'a'TIour et non dans un conflit de ce sentiment avec celui de l'honneur familial. Au contraire, l'amour et l'honneur ensemble incitent le héros à venger son père.

C'est donc le caractère de l'allour qui crée dans Le Cid le conflit dramatique. Il est également respon-sable de l'impasse tragique à laquelle la pièce aboutit: l'a!TIour possession est

à

jamais défendu aux amants, car la gloire ne le permet pas. Or Corneille veut réconcilier des irréconciliables en donnant à cette pièce un dénouement de fiction qui, par sa morale romanesque, plaira à l'au-di toire.

Il est particulièrement intéressant de noter le rôle que le dualisme amoureux joue aussi dans les entrevues des a~ants. Il donne à ces rencontres un sens caché qui est leur vraie raison d'être. Si Rodrigue vient trouver Chimène tout de suite après avoir tué son père, c'est, lui dit-il, pour lui offrir sa tête. Il insiste si obstinément pour qu'elle venge sur lui la perte de son

(36)

père, que la jeune fille finit par lui avouer non seule-ment qu'elle ne peut le haïr, mais aussi que, tout en le

poursuivant pour son crime, elle espère qu'il ne sera pas puni. On se demande alors si ce n'est pas dans ce but que Rodrigue a mené son argument comme il l'a fait. De même, lorsqu'il se présente chez l'orpheline pour la deuxième fois, il ne nous convainc pas tout

à

fait sur les mobiles de sa visite. Il semble que ce ne soit pas vraiment pour lui faire un dernier adieu qu'il vient la voir, mais plut8t pour apprendre de sa bouche qu'elle l'aime encore et qu'elle désire le voir sortir vainqueur du combat dont elle est le prix.

La bienséance ne permettait pas de telles ent~e­

vues où, dans leur malheur, il est évident que ROdrigue et Chimène jouissent du bonheur d'être ensemble. Mais le souci de leur gloire leur donnait une raison légitime de se voir. Si les doctes ont dénoncé ces rencontres et mis en question leur convenance, c'est sans doute qu'ils ont vu à travers le jeu subtil des amants.

Dans Don Sanche d'Aragon, les subtilités de la gloire et de l'amour sont poussées encore plus +oin que dans Le Cid. L'infidélité devient ici un devoir et une preuve d'amour.

Don Alvar est un des trois grands nommés comme prétendants à la couronne. Bien qu'amoureux de Donne Elvire, il accepte cette nomination et combattra les

(37)

deux autres nobles dans un duel où le vainqueur méritera la main de la reine. Comme dans Le Cid, le héros ne peut refuser le cartel sans se déshonorer aux yeux de son

amante, et Donne Elvire ne peut condamner le jeune hom-me, puisque c'est la gloire qui l'oblige

à

lui être

infidèle.

Lorsque la question se pose de nouveau dans Pul-chérie, Irène lui propose la même solution. Si l'ambition rend S.on amant infidèle, il méritera son estime et elle

l

ne l'en aimera que davantage. Telles sont les étonnan-tes subtilités qu'engendre la conception cornélienne de l'amour glorieux.

Corneille ne se contente pas de décrire l'amour entre deux amants; il donne également un portrait pers-picace de l'amour familial.

C'est surtout dans la peinture de l'amitié fra-ternelle que Corneille se complaît: le dévouement dont font preuve la Cloris de Mélite, la Palmis de Suréna, et les deux frères de Rodogune, en atteste, et leur conduite démontre que ces mots pleins de tendresse qu'Irène adresse

à

son frère Léon, "Si vous n'êtes heureux, je ne puis Âtre heureuse,,,2 pourraient provenir de chacun d'eux.

IV,

scène iv, vers lpierre Corneille, Pulchérie,

1331-36,

p.

793.

in op. cit., Acte 2

.

. . .

.,

ibid., Acte I, scène iil, vers 206,

(38)

sait mettre cette dévotion fraternelle en scène "dans les situations où elle est la plus émouvante, lorsqu'elle risque d'être brisée par l'amour, lorsque l'amour et la compréhension mutuelle la fortifient, lorsqu'elle est une protection contre le monde dur et inintelligent des parents. III

Si les parents chez Corneille apparaissent inhu-maine'1lent insensibles, ils ont néanmoins leur fond de

tendresse. Il faut bien avouer que les mères de Corneille ne font pas preuve de cette dévotion généreuse, de cet oubli de soi-même, de ce sens de sacrifice qu'on attribue généralement au sentiment maternel. Mais ce fait souligne la perspicacité de l'auteur: Corneille a bien compris

qu'une telle conception idéalisée d'un sentiment n'est psychologiquement valable qU'ajustée étroitement ~ la personnalité individuelle, colorée et déterminée par elle. Oui, ce qui fait l'intérêt d'une vérité psycholo-gique IIc'est sa force de pénétration et son originalité; et l'une et l'autre s'effacent à mesure que son applica-tion s'étend.,,2

lRobert Brasillach, Pierre Corneille, Librairie Arthème Fayard,

1938,

p. 2~b.

2

Jacques de Lacretelle, IILa Rochefoucauld~ Il in

Tableau de la littérature francaise de Corneille a Chénier, toma II, Gallimard,

1939,

p. 32.

(39)

L'amour d'Arsinoé pour son fils Attale ne se t ra U1 d · t ' qu en am 1 10n. b·t· 1 Celui de Marcelle est un sen-timent animal qui l'incite aux actions les plus noires pour le bonheur de sa fille. 2 Si les sentiments de ces femmes ne se conforment pas

à

la conception courante de l'a"nour maternel, ils n'en sont pas moins véritables.

Hême Cléopâtre et Médée, ces deux mères qui vont jusqu'~ tuer leurs propres enfants, ne sont pas compl~te­ ment dénuées de toute tendresse maternelle. Corneille leur en attribue, bien que les critiques ne semblent pas

touj ours y prendre garde. L'amour de :·1édée apparaît dans le monologue qui

préc~de

sa cruelle décision.

3

En outre, en les tuant, elle exprime peut-être son amour pour eux car, morts, ils n'auront pas

à

participer ~ la culpabilité de leur père. Cléopâtre révèle ses vrais sentiments dans un monologue semblable. Elle parle du "retour" d'une "tendresse dangereuse autant comme impor-tune,,4: avant le meurtre de son premier fils, son amour maternel l'a sans doute laissée quelque temps dans

l'indé-cision. Il lui livre de nouveau combat lorsqu'elle s'apprête

8.

faire périr le deuxi~me. Si ce n'est qll'à

Ipierre Corneille, Nicomède.

2

• • •

.

.,

Théodore.

3

·

.

. .

.,

Médée, in op. cit., Acte V, scène i1,

p. 189.

4

,

• •• . • , Rodogune, in op. cit., Acte V, scene i, vers 1510-11, p.

434.

(40)

tout sentiment chez Horace, l'amour maternel est subor-dorné chez cette femme

à

la passion du pouvoir.

Corneille peint q \J..elques portraits de pères dé-voués. Don Diègue, en dépit de la fermeté qu'il affecte, n'est pas un homme insensible: après avoir été vengé,

il craint que son fils ne perde la vie à son tour. Le vieil Horace, ferme et plein du sens de l'honneur et du devoir, dissimule lui aussi avec peine sa douleur de père. Mais le portrait le plus touchant est sans doute celui du vieux Hartlan qui se rapproche de sa fille par

l

une compréhension et une indulgence charmantes. Pru-sias2, Valens3 , et Félix4 n'ont pas de place dans leur âme médiocre pour le senti~ent paternel: tous ces pères ne songent qu'à leurs intérêts personnels plutôt qu'à leurs enfants. Don Diègue, Horace, et surtout Martian leur font un excellent contraste et donnent preuve, en même temps, de la diversité des personnages de Corneille.

Une selue conclusion se dégage de cette analyse du senti~ent de l'amour dans l'oeuvre de Corneille: qu'il

l Pulchérie.

· ·

• •

·

,

2 Nicomède. • • • •

·

,

3

Théodore. • • • •

·

,

4

Pol~eucte. • •

·

·

·

,

(41)

s'agisse de l'amour entre amants ou de l'amour familial, Corneille fait preuve de finesse, de pénétration, de vérité, d'originalité, de complexité et de variété remar-quables dans l'étude et la présentation de ce sentiment. Il est donc injuste --peut-être même téméraire-- de

vouloir l'appauvrir par une définition lorsque le poète s'est ingénié à le présenter dans ses manifestations les plus diverses.

(42)

CHAPITRE II LE DEVOIR

Un schématisme scolaire entériné par maints critiques réduirait la conception cornélienne du devoir

à

un phénomène psychologique assez rudimentaire. Il est vrai que la notion du devoir est fondamentale au théâtre de Corneille; mais elle n'est ni simpliste ni monochrome. La présente étude, soucieuse de rendre justice au génie du dramaturge, tentera de sonder cette notion et d'en faire ressortir quelques-unes des nuances et des complexités.

Les principes du devoir cornélien sont l'honneur et la gloire mus par la générosité du héros. Le héros est généreux parce que, bien né, il comprend la grandeur de sa naissance et doit en rester digne, devant soi-même ainsi que devant l~s autres.

Si la gloire est une exigence intime du héros, qui s'exprime par un refus de ce qui est bas, indigne et

ignoble, l'honneur, étroitement lié à la réputation, est une règle de société. La distinction entre ces deux notions apparaît dans Le Cid. Rodrig\le venge son père au nom de

1

la gloire et de l'amour; ce dernier l'y incite en faisant

(43)

appel à l'honneur familial. Cependant, cette démarcation n'est que factice: l'honneur et la gloire chez Corneille se complètent mutuellement et sont souvent interchangeables. Horace, pa.r exemple, craignant que l'opinion inconstante des hommes n'ébrèche sa gloire, désire que la mort vienne mettre fin aux vicissitudes de son sort et consacre à ja-mais son honneur.2 Cette déclaration d'Ardaric résumerait bien l'attitude du héros romain:

Quand on meurt pour sa gloire, on revit dans l'estime Et triompher ainsi du plus rigoureux sort, 3

C'est s'immortaliser par une illustre mort.

La volonté de gloire, dans le théâtre cornélien, se manifeste de différentes façons. Chez ceux qui règnent, elle suscite le scrupule dynastique. L'Infante du Cid reconnaît que son amour pour un jeune homme sans couronne ne peut avoir de suite:

• • • j'épandrai mon sang

Avant que je m'abaisse à démentir mon rang.

. .

.

Et je me dis tOUjOlITS qu'étant fille de roi, 4 Tout autre qu'un monarque est indigne de moi. lPierre Corneille, Le Cid, in op. cit., Acte III, scène vi, vers 1058, p. 233.

2

• • • • 'À Horace, in op. cit., Acte V, scène i1,

vers 1559-72 et l5~0-82, p. 265 et 266.

3 • • • • • , Attila, in op. cit., Acte IV, scène vi, vers 1410-12, p. 727.

4

• • • • • , Le Cid, in op. cit., Acte l, scène ii, vers 91-92 et 99-100~ p. 222.

(44)

passion pour l'aventurier Carlos jusqu'à ce qu'elle découvre que la véritable identité de ce dernier lui permet d'aspirer au trône. Le jeune homme comprend si bien ce devoir qU'il supplie celle qu'il aime de toujours conserver cette attitude princière et de rester insensible

l . l

envers Ul.

Chez les descendants de la royauté, la gloire justifie les mariages politiques qui leur permettent d'acquérir un trône ou de recouvrer celui dont ils con-sidèrent avoir été frustrés. La Dircé d'Oedipe, se croyant la légitime héritière du trône de Thèbes, refuse le prétendant que lui destine le roi, pour ne pas s'abais-ser par le mariage au rang de sujette:

• • • de mon coeur moi seule je dispose,

EQt,jamaiSdsur cet coeur ont n'avancera r~ent l . 2 u en me onnan un scep re, ou me renoan e mlen. Les personnages cornéliens aiment parfois au-dessous de leur rang, mais il est rare quI ils sacrifient leur

souci de gloire à leur amour, car ce souci, imposé par leur naissance, est pour eux un devoir incontestable. Si Tite est prêt à quitter son trône pour suivre celle qu'il

1 . • • •• , Don Sanche d'Ara~on, in op. cit., Acte II, scène ii, vers

529-536,

p.

04-505.

2 • • • •• , Oedipe, in op. cit., Acte II, scène

(45)

Bérénice. Sa "gloire la plus haute est celle d'être

à

- - l

!..

elW" : il le déclare ouvertement.

Une variation sur ce thème se trouve dans cette . volonté, exhibée par certains personnages, de vouloir

simplement régner sur un coeur. C'est

à

ce genre de gloire que prétendent les héroïnes qui, ayant déserté leurs amants, désirent conserver l'ascendant qU'elles ont sur eux. Ce comportement, nous l'avons considéré dans le chapitre

2

précédent sous son aspect de jalousie orgueilleuse.

Dans la recherche de la gloire se manifeste égale-ment la volonté de rester digne de l'être aimé. Chimène et Rodrigue rivalisent d'héroïsme au lieu de donner libre cours

à

leur amour: c'est que, par ce moyen, ils préser-veront intacte leur estime réciproque.3 Ne pouvant posséder Pauline, Sévère espère qu'en venant en aide

à

son rival Polyeucte, il méritera du moins "la gloire de montrer

à

cette âme si belle" qu'il "l'égale, et qu'il

4

est digne d'elle." On peut conjecturer sur la raison

l

• • • •• , Tite et Bérénice, in op. cit., Acte III, scène v, vers 1030, p. 743.

2

Pages 17-18.

3Pierre Corneille, Le Cid.

4

.

. .

,

(46)

de ce désir: l'intensité de l'estime d'un amant est un miroir où se reflète la gloire du héros.

La volonté de gloire peut revêtir chez Corneille encore un autre aspect. Le héros de La Place Royale craignait l'avenir; il protestait contre le "temps qui

l

change tout" et qui mettra peut-être fin un jour à son amour pour Angélique. Ce désir d'éChapper au flux des années qui transforme et détruit annonce déjà un thème qui, dans le théâtre cornélien, assumera les proportions d'une doctrine à laquelle le poète donnera une intéressante perspective métaphysique.

L'Emilie de Cinna conspire contre la vie d'Auguste,

,

le responsable de la mort de son pere. Mais chez elle, la haine vengeresse est doublée du désir d'illustrer son nom en délivrant Rome du tyran qui y règne:

Joignons à la douceur de venger nos perents, La gloire qu'on remporte

à

punir les tyrans, Et faisons publier par toute l'Italie:

"La liberté de Rome est l'oeuvre d'Emilie. • • 2 C'est cette même argumentation qu'elle utilise pour in-citer son amant à mener à bien la conjuration. Elleveut que lui aussi se distingue:

l

, • • • •• , La Place Royale, in op. cit., Acte l, scene iv, vers

231,

p.

153.

2 ,

• • • •• , Cinna, in op. cit., Acte 1, scene ii, vers 107-110, p. 271.

(47)

Vaom;rcher sur leurs pas où l'honneur te convie.l Horace lui aussi a recherché la gloire et son seul souci est de la conserver. Il veut mourir, non pour avoir tué sa soeur, mais plutôt par crainte de déchéance: " • • • pour laisser une illustre mémoire,/ La mort seule aujourd'hui peut conserver ma gloire.,,2 Pour cette même raison, Polyeucte veut mourir et s'abriter auprès de Dieu. Et dans Sertorius, le héros conquiert cette sorte d'éter-nité qui faisait dire à son a'1lante, "Sa mort me laissera pour ma protection/ La splendeur de son ombre et l'éclat de son nom. ,,3

Le devoir cornélien a souvent des obligations étrangères à la morale commune: il appelle sa propre morale. Dans le chapitre précédent, nous l'avons vu contraindre l'amant à l'infidélité.4 Ci-dessus, le souci de la gloire pousse Horace à réclamer la mort et Polyeucte à se la donner. Le martyre de ce dernier est

1 . ,

• • • • • , CJ.nna, in op. cit., Acte l, scene iii, 265, 269 et 273, p. 272.

vers

2

• •• •• , Horace, in op. cit., Acte

V,

scène ii, 1579-80, p. 266.

vers

i, vers 3

• 0 0 • • , Sertorius,

467-468, p. 625. in op. cit., Acte II, scène 4pages 32-33.

(48)

qu'on s'attaque

à

sa foi pour la défendre, Polyeucte provoque son supplice par des actions et des propos délibérés. En Dieu, il choisit l'impératif supérieur qui préservera sa gloire, répondant ainsi aux exigences de l'idéal cornélien --exigences incompatibles avec celles de l'éthique chrétienne.

Dans le théâtre cornélien, la parole donnée assu-jettit jusqu'au crime. En assassinant l'Empereur, Cinna commet un sacrilège odieux,l et pourtant son code d'hon-neur ne lui permet pas de se soustraire à ce projet auquel il est lié pE:.r une promesse faite

à

Emilie:

• • • je dépends de vous,

ô

serment téméraire,

Ma·f~i,

mon coeur, mon bras, tout vous est engagé.2

La vengeance, un des sujets de prédilection de Corneille, est également dans son théâtre un devoir engen-dré par le souci de l'honneur et de la gloire. Rodrigue se doit de venger l'affront fait

à

sa famille, par le meurtre du père de son amante. Rodogune, que Démétrius Nicanor a chargé de venger sa mort,3 est obligée de con-centrer ses énergies à détruire la mère de celui qu'elle

Ipierre

Corneille~ Cinn~,

in op. cit., Acte

III,

scène ii, vers

817,

p. 27b.

2

• • • •• , ibid., Acte

III,

scène iii, vers

893

et

895,

p.

279.

3 •• •• , ROdo~une, in op. cit., Acte

III,

scène iii, vers 862, p.27.

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