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L'Europe face aux changements climatiques. Une mesure d'ajustement aux frontières pour préparer l'après-Kyoto ?

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mesure d’ajustement aux frontières pour préparer

l’après-Kyoto ?

Mehdi Abbas, Federico Sindico

To cite this version:

Mehdi Abbas, Federico Sindico. L’Europe face aux changements climatiques. Une mesure d’ajustement aux frontières pour préparer l’après-Kyoto ?. 2012, 16 p. �halshs-00698497�

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ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

ET DE L’ÉNERGIE

LEPII - EDDEN

BP 47 - 38040 Grenoble CEDEX 9 - France 1221 rue des Résidences - 38400 Saint Martin d'Hères Tél.: + 33 (0)4 76 82 56 92 - Télécopie : + 33 (0)4 56 52 85 71

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L’Europe face aux changements climatique

Une mesure d’ajustement aux frontières pour préparer

l’après-Kyoto ?

Mehdi Abbas

1

Francesco Sindico

2

janvier 2012

note de travail n° 5/2012

1

Maître de conférences UPMF et chercheur EDDEN

2

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L’Europe face aux changements climatiques. Une mesure d’ajustement aux frontières pour préparer l’après-Kyoto ?

Mehdi Abbas, Maître de conférences, EDDEN, Grenoble Université, CNRS.

Francesco Sindico, Lecturer in International Law, Centre for Energy, Petroleum and Mineral Law and Policy, University of Dundee

Janvier 2012

En matière de gouvernance globale, l’Union européenne se caractérise par un projet fort ambitieux de lutte contre les changements climatiques1. La diplomatie de l’exemplarité environnementale est devenue la marque distinctive de l’UE au niveau international. En effet, c’est en montrant l’exemple et au travers de politiques volontaristes qu’elle estime être en mesure de construire un consensus international.

Mais, à un mois de la 17ème Conférence des parties (COP 17) de la CCNUCC la Commission européenne montre des hésitations au maintien de sa politique climatique et s’interroge sur l’intérêt d’un effort unilatéral en matière de réduction des émissions de CO2.

La Feuille de route énergétique pour 2050 indique que « si une action coordonnée sur le

climat entre les principaux partenaires mondiaux ne peut être renforcée dans les prochaines années, il faut se demander jusqu’où l’UE doit poursuivre une transition du système

énergétique orientée vers la décarbonisation »2. En effet, les objectifs européens et les

transformations qu’ils appellent ont vite soulevé des réserves, particulièrement de la part des industriels européens. Est-il soutenable pour l’économie européenne de fonctionner avec un prix du carbone plus élevé que celui en vigueur chez ses concurrents ?3 Ce différentiel de coût ne risque-t-il pas de contribuer à la désindustrialisation de l’Europe ?

C’est en réaction à ces inquiétudes que le gouvernement français a émis en novembre 2006 l’idée d’introduire une taxe carbone ou mesure d’ajustement aux frontières (MAF), sur les importations en provenance des pays refusant de s’engager en faveur du protocole de Kyoto. Une proposition similaire a été adressée conjointement par la France et l’Italie en 20104. Cette initiative française se fondait sur le fait que la non-application de ce protocole en

1 La nouvelle législation européenne projette de réduire les émissions de GES à 20 % du niveau de 1990 d’ici à

2020, ainsi que d’augmenter l’utilisation des énergies renouvelables à 20 % de la consommation totale d’énergie à la même date.

Voir, http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/misc/107136.pdf, consulté le 25 septembre 2011.

2 Voir http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/hedegaard/headlines/topics/roadmap_fr.htm consulté le 21

octobre 2011.

3

Les estimations de la Commission donnent un prix de l’ordre de 35 $ la tonne de CO2 en 2020. Le prix de la

tonne de CO2 jugé nécessaire pour éviter une augmentation de la température moyenne de 2°C est évalué à 100 $

par l’OCDE en 2030. Selon d’autres scénarios le prix oscillerait entre 300 et 500 $ la tonne. Voir OCDE, Les

perspectives de l’environnement à l’horizon 2030, OCDE, Paris, 2008.

4 Le Président français, Nicolas Sarkozy et le Président du Conseil italien, Silvio Berlusconi, ont adressé une

lettre commune au président de la Commission européenne José Manuel Barroso en avril 2010 afin que l’UE adopte « une taxe carbone aux frontières (…) pour lutter contre les ‘fuites de carbone’ ». Ce mécanisme a pour but de taxer les importations des pays qui ne s’engagent pas dans la réduction de leurs émissions de gaz à effet

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dehors de l’Europe donnerait lieu à un désavantage compétitif dont souffriraient les exportations de la région. Son objectif est double : 1) éviter les distorsions de concurrence à l’encontre des industries qui subissent le coût des politiques mises en œuvre en Europe et 2) créer un mécanisme incitant les pays concurrents à rejoindre le dispositif international. La proposition française n’a pas été relayée et ne figure pas dans le paquet énergie-climat de l’UE.

L’enjeu d’une articulation entre le régime commercial et celui de la lutte contre les changements climatiques est double. D’une part, il renvoie à la place qu’occupera l’Europe dans le tissu industriel mondial dans les prochaines années, alors que l’économie politique internationale du carbone dessine un équilibre défavorable aux pays industrialisés et à l’Europe plus particulièrement. D’autre part, il détermine la crédibilité de la diplomatie par l’exemple de l’Union européenne.

C’est pourquoi nous abordons la stratégie environnementale de l’UE dans la perspective d’une gouvernance multilatérale des changements climatiques pour l’après-Kyoto5. Il s’agit d’une réflexion visant à élaborer une régulation des échanges internationaux climat-compatible. Cette expression met en exergue le fait que la politique commerciale pourrait être mise au service des politiques d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques6. La récente prise en compte de la dimension commerciale internationale de ces politiques par l’OMC constitue de ce point de vue un signe positif7. Mais l’introduction d’une MAF ne sera pas suffisante pour répondre aux défis des changements climatiques. C’est pourquoi il convient de la concevoir dans le cadre d’une architecture globale de la gouvernance climatique. Autrement dit, au sein d’un système de gouvernance multilatérale qui articulerait les Accords de l’OMC à la CCNUCC.

Si toutefois l’ensemble des pays souscrit à des engagements, mais que certains adoptent un comportement non coopératif, dans ce cas la diplomatie européenne des bonnes intentions climatiques peut et doit s’accompagner d’un jeu d’incitations et de sanctions, comme par exemple des MAF. Aboutir à un tel accord se révèle d’une grande complexité compte tenu de l’évolution de la négociation climatique depuis les sommets de Copenhague et de Cancun. La gouvernance climatique semble emprunter une voie largement différente de celle contenue dans le protocole de Kyoto. Les efforts internationaux en matière de mitigation s’éloignent de l’obligation de réduction avec objectifs contraignants. L’approche issue de l’accord de Copenhague – reprise dans les accords de Cancun – renvoie à un régime de coordination faible reposant sur des engagements nationaux, unilatéraux et non contraignants en fonction des circonstances propres à chaque pays ou ensemble régional. Cela rend plus complexe,

de serre. A ce titre, ils déclarent qu’il « serait inacceptable que les efforts déjà ambitieux que nous avons

consentis au sein de l’Union européenne en vue de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (…) soient compromis par les fuites de carbone qui résulteraient de l’absence ou de l’insuffisance d’action de certains Etats tiers. » Voir http://www.euractiv.fr/energie-climat/article/2010/04/15/paris-rome-plaident-taxe-carbone-aux-frontieres_66478, consulté le 21 octobre 2011.

5 Le protocole de Kyoto ne couvre effectivement que 19 % de émissions mondiales de GES et n’est valable que

jusqu’en 2012. Pour l’instant, rien n’est prévu pour la suite sauf la poursuite des discussions.

6 See T. Epps and A. Green, Reconciling Trade and Climate: How the WTO Can Help Address Climate Change,

Edward Elgar, 2010; See also M. Cossy and G. Marceau, « Institutional challenges to enhance policy co-ordination – how WTO rules could be utilised to meet climate objectives? » in T. Cottier, O. Natrova and S.Z. Bigdeli, International Trade Regulation and the Mitigation of Climate Change, CUP, 2009.

7 OMC, The Multilateral Trading System and Climate Change, disponible sur le site internet de l’OMC

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voire impossible, de labelliser un pays comme non coopératif en matière de lutte contre les changements climatiques. Cependant, pointer le comportement non coopératif d’un pays est précisément ce que l’UE, et tout autre pays, doit éviter de faire, en particulier si elle souhaite que ses mesures soient compatibles avec le régime OMC, comme nous allons le montrer.

C’est pourquoi ce système de gouvernance constituerait le socle d’une architecture à même d’articuler la problématique de la lutte contre les changements climatiques à celle de la soutenabilité sociale, économique et environnementale du développement, étant entendu que cette dernière n’est pas réductible aux seuls pays dits en développement. En effet, la lutte contre les changements climatiques exige une macro-transformation du régime de croissance en rien comparable avec un problème d’action collective ou de gouvernance environnementale tels ceux adressés par les quelque 900 accords multilatéraux d’environnement. Il s’agit de « décarboner » l’économie et d’assurer la transition vers une société post-carbone avec ce que cela implique en termes de changement du modèle productif, de consommation et technologique. Cela annule la distinction traditionnelle entre politique économique et politique environnementale, le passage à une économie à faible intensité carbone transformant toute politique en une politique environnementale8.

Cette contribution s’organise en cinq sections. Les deux premières rappellent les enjeux d’une MAF et les difficultés de la mise en œuvre d’une solution fiscale au niveau multilatéral. Dès lors, nous exposons les stratégies alternatives pour l’UE. La troisième section aborde celle d’une offre de libéralisation commerciale comme incitation à la lutte contre les changements climatiques. La quatrième section traite de la dérogation à la norme multilatérale. Enfin, la cinquième section élargit la perspective en formulant la proposition d’un système de gouvernance CCNUCC-OMC.

I. La question de l’introduction d’une mesure d’ajustement aux frontières de l’UE Dans la mise en œuvre du régime international de lutte contre le changement climatique, les coûts socio-économiques de réduction des émissions et ceux de la prévention et de l’adaptation sont encore mal connus. Cependant, en l’état actuel, l’effort à fournir est inégalement réparti entre les pays et, en l’absence de mécanismes d’incitation à la ratification des engagements quantitatifs pris dans le cadre du protocole de Kyoto, un problème de compétitivité internationale se pose9. Cela parce que les pays en développement (pays non annexe B du protocole de Kyoto) n’ont pas d’objectifs quantitatifs de réduction et parce que les Etats-Unis sont sortis en 2001 du dispositif, alors que les modalités de mise en œuvre des objectifs de réduction des émissions en Europe imposent des coûts supplémentaires à certaines industries.

Dans un contexte de globalisation économique caractérisé par la grande liberté de mouvement du capital productif, un accord géographiquement limité et différencié, comme le protocole de Kyoto, confère un avantage comparatif aux régions qui restent en dehors.

8 Point que relève N. Stern lorsqu’il estime qu’une analyse à la Pigou ou à la Coase n’est en mesure de rendre

compte, ni des problèmes posés par l’économie du changement climatique, ni des réponses à élaborer. Cameron Hepburn/Nicholas Stern « A New Global Deal on Climate Change », Oxford Review of Economic Policy, Vol. 24, n° 2, 2008, pp. 259-279.

9 Il n’existe pas de consensus, dans la littérature économique, sur la relation entre régulation environnementale et

compétitivité, compte tenu du fait qu’une politique de protection de l’environnement ne constitue que l’un des éléments de la compétitivité des entreprises. Il n’existe pas non plus de conclusion définitive concernant l’avantage concurrentiel des firmes localisées dans des pays ayant une politique moins contraignante en matière d’environnement.

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L’industrie européenne (164 secteurs et sous-secteurs)10 est donc confrontée à un double problème de compétitivité, à l’exportation sur des marchés tiers et sur son propre marché. Le point-clé est que le coût de la mise en œuvre du protocole de Kyoto devrait être significativement plus élevé que celui supporté jusqu’à présent par la mise en conformité avec les autres réglementations environnementales11. Lorsque les permis d’émission du système européen de quotas échangeables deviendront plus rares, un choc concurrentiel risque de se produire. En effet, lors de décisions d’investissement dans les secteurs les plus concernés par la concurrence internationale (aluminium, acier, ciment et autres matériaux de construction) les investisseurs pourraient préférer investir dans d’autres régions. Le coût des politiques de réduction des émissions de CO2 entraînerait une baisse sensible de la compétitivité des

entreprises soumises à la contrainte carbone et un transfert de production vers les zones où les modes de production sont moins efficaces du point de vue énergétique ou climatique12.

Outre cette dimension économique, les « fuites carbones » sont facteurs d’externalités climatiques négatives en matière d’efficacité de la lutte contre les changements climatiques en stimulant le développement des activités fortement émettrices de GES dans les pays où la réglementation serait moins contraignante. Mais contrairement aux phénomènes de pollution, un pays ou une entreprise ne peuvent reporter la contrainte environnementale par des délocalisations. La nature globale du problème climatique et la nature de bien public global d’une atmosphère à faible teneur en carbone rendent la coopération climatique internationale sensible à un effet d’envergure imposant par là même une action multilatérale.

L’ampleur des risques de migrations industrielles dues au coût du carbone dépendra fortement des secteurs ou industries13. Les études disponibles indiquent que les secteurs de transformation à forte intensité énergétique ou gros consommateurs d’électricité, n’ayant pas la capacité de reporter le surcoût carbone sur le consommateur et n’ayant pas de marges en matière de réduction des autres coûts de production, seront les plus sévèrement affectés (sidérurgie, métallurgie, aluminium, ciment, verre, papier, raffinage).

En faisant apparaître ces enjeux, la réflexion post-2012 soulève des interrogations sur le terrain du commerce et des investissements qui le placent à la lisière du champ de compétence du régime commercial multilatéral de l’OMC.

II. La problématique de la compatibilité d’une mesure d’ajustement aux frontières avec le régime de l’OMC

Il n’y a pas consensus sur le fait que l’OMC doive se prononcer sur le changement climatique ou que ce dernier ait sa place dans le régime OMC. Certes, le préambule de l’OMC affirme que l’un de ses objectifs est « l’utilisation optimale des ressources mondiales

10 Voir Journal Officiel de l’UE du 5 janvier 2010.

8 Richard Baron, Compétitivité et politique climatique, IDDRI, Paris, 2006 (notes de l’IDDRI ; 11).

9 Sur l’impact compétitif du protocole de Kyoto sur l’industrie européenne, voir les études suivantes : Julia

Reinaud, Industrial Competitiveness under the European Union Emissions Trading Scheme, IEA, Paris, décembre 2004 (Information Paper) ; COWI-UNICE, Competitiveness and EU Climate Change Policy, Bruxelles, octobre 2004.

10 Aaron Cosbey/Richard Tarasofsky, Climate Change, Competitiveness and Trade, Chatham House, Londres,

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5

conformément à l’objectif de développement durable »14. Cependant, le préambule relève de

la déclaration d’intention des membres et n’a pas de valeur juridique, bien qu’il puisse servir de référent en cas de conflit d’interprétation15. C’est à l’aune des divers accords constitutifs du régime de l’OMC qu’il convient d’analyser la question de l’introduction d’une taxe CO2

aux frontières de l’UE (voir tableau 1 pour une présentation des dispositions climatiques dans les Accords de l’OMC).

Tableau 1. Les règles de l’OMC reliées aux politiques climatiques

Mesures de politique climatique Accords GATT-OMC concernés

GATT GATS Accord sur l’agriculture

Accord sur les subventions et mesures compensatoires Accord sur les marches publics Mesures d’investisse ment liées au commerce Barrières techniques au commerce Mesures réglementaires

Régulation des énergies renouvelables × × × × × ×

Standards et labels énergétiques × × × ×

Mesures fiscales

Taxes carbone/énergie × × × × ×

Subventions énergétiques × × × × ×

MAF sur les importations × × × × ×

MAF sur les exportations × × × × ×

Mesures d’incitation pro-marché

Mécanismes de flexiblité du protocole de Kyoto (permis d’émission, MDP, application jointe)

× × × × × ×

Commerce des produits et services à faible teneur en carbone

× ×

Marchés publics ×

Source: composition des auteurs

II. 1. Une détaxe aux frontières à l’exportation

Le principal écueil que rencontrerait une mesure de soutien aux exportations afin de compenser la perte de compétitivité internationale serait sa possible catégorisation comme « subvention prohibée », au regard de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires de l’OMC.

11

GATT, Résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, Genève.

15 La Convention de Vienne sur le droit des traités et le différend crevette-tortues se réfèrent à la présence de

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Afin d’éviter qu’une subvention ne fasse l’objet de plainte à l’OMC, il est nécessaire qu’elle satisfasse à trois conditions. La première est qu’elle ne soit ni spécifique, ni réservée aux seuls produits exportés. La deuxième impose une évaluation des effets résultant de sa mise en place : elle doit respecter un critère de proportionnalité et ne doit donner lieu à aucune surcompensation modifiant le système des prix relatifs16. Or, toute taxe ou subvention possède un effet de distorsion qui rend problématique son acceptation par l’OMC. La troisième condition renvoie au respect du principe de transparence, l’accord étant extrêmement précis sur les procédures de notification des subventions.

Il n’y a quasiment aucune chance pour qu’une mesure de ce type soit déclarée compatible avec le régime de l’OMC. Toutefois, l’Europe pourrait définir un programme de subvention sur la base de critères les plus neutres possible et sans définition sectorielle. Cela aurait également le mérite de faire évoluer la fiscalité environnementale européenne vers l’adoption de règles communes à tous les secteurs d’activité.

L’UE pourrait prendre le leadership du chantier de l’harmonisation internationale de la fiscalité environnementale et énergétique, ou lancer la réflexion sur des « standards communs

minimaux en vue d’une permissivité des subventions pour raisons climatiques »17. Pour ce

faire, deux voies sont envisageables. La première consisterait à clarifier les dispositions de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires pour les rendre compatibles avec les objectifs de lutte contre les changements climatiques, ou de créer une catégorie de subventions non opposables et compatibles avec cet objectif. La seconde serait de s’engager dans l’élaboration d’un mémorandum d’accord sur les effets compétitifs des politiques climatiques18.

II. 2. Une taxe à l’importation ou le mécanisme d’ajustement aux frontières

Entre 2003 et 2009, la position de l’UE a évolué de l’idée d’imposer une taxe CO2 aux

frontières à celle d’une mesure d’ajustement aux frontières reliée au système européenne de quotas d’émissions19. En effet, la proposition de révision de l’EU-ETS stipule que « les

secteurs à forte intensité d’énergie considérés comme exposés à un risque significatif de fuite de carbone pourraient recevoir une plus grande quantité de quotas gratuits ; une autre solution consisterait à introduire un système efficace de péréquation pour le carbone afin de mettre sur un pied d’égalité les installations situées dans la Communauté présentant un risque important de fuite de carbone et les installations des pays tiers. Un système de ce type pourrait imposer aux importateurs des exigences qui ne seraient pas moins favorables que celles applicables aux installations de l’Union, par exemple en imposant la restitution de

quotas. »20 La Commission considère ainsi deux options : doter les secteurs exposés au risque

16 Lucas Assunça/Zhong Xiang Zhang, Domestic Climate Policies and the WTO, Unctad, Genève, 2002 (Unctad

Working Papers, n° 164).

17

Matthias Buck/Roda Verheyen, International Trade Law and Climate Change : A Positive Way Forward, FES-analyse ökologische Marktwirtschaft, Bonn, 2001.

18 Harro Van Asselt, et al. (2005), « Advancing the Climate Agenda : Exploiting material and Institutional

Linkages to Develop a Menu of Policy Options », Review of European Community and International

Environmental Law, 14(3), 2005, pp. 255-264.

19 Voir Directive 2003/87/CE et Directive 2009/29/CE.

20 Directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 portant sur l’amélioration et

l’extension du système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, in Journal

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7

de « fuite carbone » d’un volume conséquent de quotas gratuits, ou obliger les importateurs à acheter des permis d’émissions. Simultanément, la Commission prend en compte qu’à terme ces options peuvent entrer en conflit avec ses obligations internationales, puisqu’elle indique qu’« Il convient que toute action adoptée soit conforme aux principes de la CCNUCC, et

notamment au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, compte tenu de la situation des pays les moins avancés (PMA), et qu’elle soit conforme aux obligations internationales de la Communauté, dont les obligations au titre de l’accord OMC. » Cela nécessite une attention particulière au design de la MAF et in extenso

de sa politique climatique internationale, pour en mesurer la compatibilité avec les accords de l’OMC21 et avec les engagements internationaux de l’UE vis-à-vis des pays en développement, au sein à la fois du régime OMC et du régime international de lutte contre les changements climatiques.

La faisabilité d’une mesure d’ajustement aux frontières suppose sa compatibilité avec les principes du multilatéralisme commercial, en particulier l’article III relatif au traitement national22. La mise en place d’une mesure d’ajustement aux frontières par l’UE devra être précise sur les trois axes suivants, sans que cela ne préjuge pour autant de sa compatibilité.

La question de l’assiette de la taxe

La taxe CO2 pourrait ne s’appliquer qu’aux produits de base à forte intensité d’émission

ou fortement sensibles aux prix de l’électricité. Mais une taxe douanière d’ajustement n’est autorisée que pour les impôts dits « sur le produit », à l’instar de la TVA. Elle ne l’est pas pour les impôts dits « sur la production » ou sur « le producteur ». Le régime OMC a une préférence pour la réglementation des produits plutôt que de la production. Cette caractéristique rend nécessaire la clarification de la fiscalité environnementale et de son articulation à la fiscalité domestique ainsi qu’aux mesures de régulation de l’accès aux marchés.

La question des effets de la mesure

La jurisprudence GATT/OMC a toujours conclu que le volume des échanges n’importe pas pour ce qui est du respect des dispositions de l’article III. Le seul élément à prendre en compte est l’existence ou non d’une distorsion à la concurrence23. De même, l’existence d’un différentiel minimal de taxation est suffisante pour établir l’existence d’une discrimination. En se référant aux dispositions III.1 et III.2, le différend « Corée-Taxe sur les boissons alcoolisées » (DS 75 et 84) conclut que le régime OMC ne tolère aucun « montant minimal » de taxation et que les interdictions contenues dans l’article III s’appliquent à l’encontre d’une mesure qui favorise des produits nationaux, même si aucun échange n’est perturbé ou que la mesure n’a pas encore fait l’objet de dispositions exécutoires. Reste encore le problème de la

21 Voir N. Ahner and L. Meeus, « Global versus Low Carbon Economy: The Case of the Revised EU Emissions

Trading Scheme », 20.1 RECIEL (2010); F. Sindico, « The EU and Carbon Leakage: How to Reconcile Border Adjustment Measures with the WTO? », 17.6 European Energy and Environmental Law Review (2008).

22 L’article III du GATT interdit les discriminations entre les produits nationaux et les produits importés.

L’article III.1 énonce le principe général d’interdiction des mesures à finalité protectionniste. L’article III.2 interdit les discriminations causées par les taxes et les impositions intérieures alors que l’article III.4 interdit celles causées par les réglementations intérieures de nature non fiscale. Chacune de ces deux dispositions interdit les discriminations entre produits similaires. L’article III.2 prohibe également les discriminations à l’encontre de produits importés concurrents ou substituables.

23 Japon-Taxes sur les boissons alcooliques (DS 8, 10 et 11), Etats-Unis-Taxes sur le pétrole et certains produits

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similitude des produits, une différence de nature ouvrant éventuellement la voie d’une différence de traitement.

La question de la similitude des produits

Il n’existe pas dans les textes du GATT/OMC de critères permettant de conclure que deux ou plusieurs produits sont similaires ou non. Deux doctrines s’affrontent. La première estime que des produits obtenus à partir de méthodes et procédés de production (PMP) différents ne peuvent être considérés comme des produits similaires. Aussi les PMP peuvent être à l’origine d’une distinction entre les produits dans le cadre des articles I et III du GATT24.

La seconde doctrine considère que la similitude découle des propriétés physiques, de la nature et qualité, de l’usage, des goûts et comportements des consommateurs ainsi que de la classification tarifaire des produits25. Le processus de production de ces produits n’entre pas en considération dans la similitude ou non des produits26. La jurisprudence GATT/OMC a tendance à privilégier cette dernière. Cependant, d’après l’Organe d’appel, la notion de similitude doit être appréciée au cas par cas en fonction du contexte et des circonstances.

Il existe par exemple une ambiguïté quant à considérer que la dangerosité et la toxicité d’un produit puissent être un critère de différenciation27. Cela ouvre une piste visant à faire admettre qu’un produit intensif en CO2 est plus dangereux qu’un autre produit similaire mais

à contenu moindre en CO2. L’accord sur les obstacles techniques au commerce précise que

ceux-ci ne peuvent pas porter sur des propriétés de conception du produit (article 2.8). Par conséquent, c’est à l’UE d’apporter la preuve que des méthodes divergentes de fabrication ont un impact sur la qualité intrinsèque des produits.

Le régime et la jurisprudence de l’OMC permettraient donc l’élaboration de mesures commerciales ciblées sur la lutte contre le changement climatique mais sous certaines conditions non systématisables a priori. Seul le règlement d’un différend allant dans ce sens serait susceptible de trancher le problème. Or, rien ne garantit que cela aboutisse à une solution définitive et conforme à l’objectif environnemental de la mesure. En l’état des accords de l’OMC, l’incertitude est totale quant à l’issue d’un différend de ce type.

Mais, au-delà, il est peu probable qu’une taxe puisse être un instrument suffisant de transformation du capitalisme en une économie à faible intensité en carbone. Le dossier pose avec une acuité nouvelle la question de la compatibilité environnementale du régime commercial multilatéral. Il conduit donc à une réflexion sur les possibilités d’articulation du régime OMC avec le régime de lutte contre les changements climatiques. L’UE pourrait mettre en œuvre plusieurs stratégies qu’il s’agit à présent d’expliciter. (Cf. Schéma 1 pour une présentation synthétique des options).

24 Béatrice Chaytor/James Cameron, Taxes or Environmental Purposes : the Scope of Border Tax Adjustment

under WTO Rules, WWF, Londres, 1995 et D.H. Regan, « How to think about PPMs (and climate change) » in

T. Cottier, O. Natrova and S. Z. Bigdeli, International Trade Regulation and the Mitigation of Climate Change, CUP, 2009.

25 Voir le rapport Working Party adopté le 2 décembre 1970 (Doc. L/3464), § 18 et Doc. WT/ DS135/AB/R, 12

mars 2001, § 101.

26 D. C. Crosby, « Tilting at conventional WTO wisdom » in T. Cottier, O. Natrova and S. Z. Bigdeli,

International Trade Regulation and the Mitigation of Climate Change, CUP, 2009.

27 L’Organe d’appel dans le différend Amiante a considéré que la dangerosité d’un produit pouvait être prise en

considération dès lors qu’elle affectait les propriétés physiques du produit ou déterminait les rapports de concurrence entre les produits sur un marché donné.

(12)

9

Schéma 1. Les stratégies de l’UE pour une régulation commerciale climat compatible

Source : Composition des auteurs

III. La stratégie de la libéralisation commerciale

Depuis la Conférence ministérielle de Seattle (décembre 1999), l’Union européenne a développé le projet d’une OMC laboratoire de la gouvernance globale. Le lancement du cycle pour le développement de Doha a constitué le point d’orgue de ce projet. La transformation progressive de l’agenda pour le développement en une négociation commerciale classique centrée sur la question de l’accès au marché illustre les limites du projet européen28.

Force est de constater que la Commission, qui mène les négociations commerciales multilatérales, envisage l’articulation entre politique commerciale et politique de lutte contre les changements climatiques sous l’angle exclusif de la libéralisation commerciale. Membre

28 Voir Mehdi Abbas, « La proposition d’une taxe CO

2 aux frontières : vers une stratégie européenne en matière

de régulation commerciale et de lutte contre le changement climatique », Revue du marché commun et de

l’Union européenne, n° 513, pp. 628-637.

Libéralisation commerciale multilatérale

Options pour une régulation commerciale climat-compatible − Les biens et services environnementaux − Les technologies vertes − SGP+ Rénovation des accords de l’OMC Régime dérogatoire

− Accord sur les subventions et mesures compensatoires (ASMC) − Article III

− Article XX

− Clause de sauvegarde climatique − Adpic (transfert de technologies

vertes)

− Introduction de flexibilités climatiques

− Clause de traitement spécial et différencié climat orientée − Article IX.3 de

l’accord instituant l’OMC − Articles XX.b et XX.g

Système de gouvernance CCNUCC-OMC

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actif du groupe Friends of EGS29, la Commission insiste sur la libéralisation multilatérale des

biens et services environnementaux30, établie dans le paragraphe 31.3 de la déclaration de Doha. L’objectif est de ratifier un accord multilatéral sur la libéralisation des échanges des produits, services et technologies verts. En l’état, la négociation bute sur la question des définitions, les membres peinant à trouver un consensus sur le contenu de l’expression « biens et services environnementaux ». De même, il y a absence de consensus sur l’inclusion des méthodes et processus de production dans le périmètre de la négociation. Autant dire que le dossier n’a avancé ni sur la substance ni sur la forme. Mais, de ce fait, l’UE pourrait prendre le leadership.

Il ne faudrait toutefois pas perdre de vue que l’objectif premier est de réduire les émissions de GES et non pas d’offrir des opportunités de libéralisation commerciale. D’ailleurs, la libéralisation totale des échanges internationaux des biens et services environnementaux ne concernerait qu’un volume marginal des échanges, sans qu’il soit démontré que cette libéralisation contribue à la lutte contre les changements climatiques31. A cela s’ajoute l’opposition Nord-Sud dans le dossier de la libéralisation des biens et services environnementaux, ces derniers étant produits essentiellement au Nord et au sein des grands pays émergents (Brésil, Chine, Inde et Mexique)32.

La stratégie d’une libéralisation commerciale pourrait donner lieu à des offres à destination des pays en développement intégrant les préoccupations européennes en matière climatique. Il s’agit dans ce cas de concevoir la politique commerciale multilatérale comme un instrument incitatif aux stratégies d’adaptation aux changements climatiques. Cette option appelle la définition d’un nouvel équilibre entre droits et obligations commerciaux si l’UE souhaite provoquer l’adhésion à son projet d’une régulation commerciale climat-compatible. Le respect de la règle du consensus la contraint et l’incite à œuvrer pour un compromis le plus large possible à partir de ses positions.

Il serait envisageable d’affecter les revenus nets tirés des droits compensateurs aux frontières de l’Europe au Fonds d’adaptation du protocole de Kyoto. Le principe de « responsabilité commune mais différenciée » confère aux PED un statut particulier qui complique l’usage d’instruments de politique commerciale les concernant. A cela s’ajoute les dispositions de l’article XXXVII.1.c du GATT-1994 interdisant « d’instituer de nouvelles mesures fiscales » à leur encontre. C’est pourquoi des dispositifs compensateurs sont nécessaires. Ils permettraient d’afficher que l’objectif premier n’est pas de discriminer les pays, mais de soutenir la lutte contre le changement climatique.

L’offre commerciale de l’UE pourrait se déployer dans ses relations avec les pays en développement éligibles au système généralisé des préférences (SGP). Il s’agit de généraliser

29 Le Groupe Amis des biens et services environnementaux (Friends of EGS Group) comporte le Canada, l’UE,

les Etats-Unis, le Japon, la Corée du sud, la Nouvelle Zélande, la Norvège, la Suisse, Taiwan.

30 Il s’agit par exemple des systèmes solaires photovoltaïques, des lampes à basse intensité, des technologies de

génération d’électricité, des biens/produits de l’éolien, des technologies de traitement des eaux, des produits ayant un usage environnemental, des produits favorisant l’efficacité énergétique.

31 Aaron Cosbey (ed.), Trade and Climate Change : Issues in Perspective, International Institute for Sustainable

Development, Winnipeg.

32

E. Claro/N. Lucas/M. Sugathan/M. Marconini /E. Lendo, Trade in Environmental Goods and Services and

Sustainable Development : Domestic considerations and Strategies for the WTO, International Centre for Trade

and Sustainable Development, Genève, 2007 (ICTSD Environmental Goods and Services Series, Policy Discussion Paper).

(14)

11

et de systématiser un SGP+ comportant des dispositions favorables à la lutte contre le changement climatique (accès au marché européen pour les biens labellisés verts, inclusion des biens et services environnementaux). Ce type de mesures existe déjà à destination des pays en développement récompensés par des préférences commerciales pour leur combat contre la production et le trafic de drogue, ou pour la protection des bois tropicaux, ou qui ont adopté et appliquent les conventions de l’OIT. Pourquoi ne pas introduire alors une référence aux instruments et objectifs internationaux de la Convention, ce d’autant plus que le SGP européen a évolué ces dernières années en fonction de critères ad hoc, parfois totalement étrangers aux échanges33 ?

Cette stratégie pourrait cependant se heurter à deux obstacles. D’une part, l’inclusion d’objectifs de politique climatique dans le SGP peut être perçue par les PED comme une nouvelle forme de conditionnalité politique34. D’autre part, sous réserve de clairement définir le contenu et la forme de ce SGP+, il est possible qu’une telle mesure entre en conflit avec le principe de « responsabilité commune mais différenciée » contenu dans le protocole et la Convention.

La voie d’une offre commerciale climat-compatible semble donc très rationnelle et politiquement acceptable à court terme. Elle est néanmoins d’une portée très limitée et largement insuffisante en matière de lutte contre les changements climatiques.

IV. La stratégie de la dérogation aux principes du système commercial multilatéral Deux options s’offrent à l’Europe. La première consiste à s’engager dans une procédure au titre de l’article IX.3 de l’accord instituant l’OMC. Celui-ci autorise « dans des

circonstances exceptionnelles » et dans le cadre d’une conférence ministérielle, un membre à

demander une dérogation à l’une des obligations qui lui sont imposées par les Accords de l’OMC. Ce membre ne pourra obtenir cette dérogation que par consensus ou par la majorité des trois quarts des membres. Cette option nécessite que l’UE prouve que les mesures de lutte contre le changement climatique relèvent bien de « circonstances exceptionnelles ». Une fois cela fait, l’UE devra s’engager dans une stratégie de construction de consensus afin que sa demande soit acceptée par les membres de l’OMC, puisque c’est de leur appréciation que dépend la qualification de « circonstances exceptionnelles » concernant une mesure prise par un membre.

La seconde option, c’est le recours à l’article XX du GATT, qui a pour fonction de s’assurer que les principes et obligations du GATT/OMC sont respectés lorsque les pays poursuivent ou cherchent à atteindre des objectifs non commerciaux. Il semble en effet plus « rationnel » de s’orienter vers une justification au titre de l’article XX, qui offre des moyens d’établir les mesures d’ajustement aux frontières compatibles avec le régime de l’OMC, que de chercher une compatibilité avec l’article III (i.e. égalité de traitement). Ce sont les alinéas (b) et (g) concernant « la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou

la préservation des végétaux » et « la conservation des ressources naturelles épuisables » qui

pourraient être invoqués.

Toutefois, l’instauration d’une mesure d’ajustement aux frontières dans le cadre d’une dérogation à la norme multilatérale suppose le respect de quatre conditions : (a) elle doit être un complément nécessaire pour rendre efficace le système de permis d’émission négociables ;

33 Marie-France Valette, « Le nouveau schéma européen de préférences tarifaires généralisées sous le signe du

développement durable et de la bonne gouvernance », Revue du marché commun et de l’Union européenne, n° 506, mars 2007, pp. 163-171.

34 WT/DS246/AB/R, adopté le 20 avril 2004. Voir également Lorand Bartels (2007), « The WTO Legality of the

(15)

(b) elle ne doit pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable ; (c) elle ne concerne que des pays où les mêmes conditions existent ; (d) elle ne doit pas constituer une restriction déguisée au commerce international.

A cela s’ajoute que la mesure doit passer avec succès le « test de nécessité », c’est-à-dire vérifier l’existence d’une relation raisonnable entre les moyens et les fins. Dans le cas présent, il s’agit de démontrer qu’elle constitue un moyen adéquat pour atteindre les objectifs des alinéas (b) et (g). A ce niveau, la stratégie européenne risque d’être en opposition avec l’architecture de la lutte contre le changement climatique. En effet, l’article 3.5 de la Convention empêche le recours aux mesures commerciales pour atteindre ses objectifs, ce à quoi s’ajoute qu’elle n’autorise pas le recours à des mesures commerciales pour encourager l’adhésion ou la mise en œuvre. Il devient dès lors improbable d’utiliser une mesure d’ajustement à la frontière comme instrument de lutte contre le changement climatique. Et, même en cas de différend, un groupe spécial ou l’Organe d’appel n’ira jamais au-delà de ce qui est prévu dans le Protocole ou dans la Convention35.

V. La stratégie d’un système de gouvernance CCNUCC-OMC

A ce stade de l’analyse il convient de dresser un bilan d’étape. Premièrement, l’introduction d’une MAF n’a que très peu de chance d’être compatible avec le contenu actuel du régime de l’OMC, sauf à provoquer un différend dont l’issue ne peut être anticipée. L’UE pourrait réclamer une rénovation des dispositions de certains accords afin de les rendre compatibles avec l’objectif de lutte contre les changements climatiques. Deuxièmement, l’UE semble avoir une préférence pour la libéralisation des échanges de biens et services environnementaux. Or, cela ne sera pas suffisant et ne répondra ni à la problématique de la perte de compétitivité ni à celle des « fuites carbones ». Dès lors, une stratégie envisageable consiste à investir dans la mise en place d’un système de gouvernance commun aux deux institutions multilatérales que sont la CCNUCC et l’OMC36. Cet investissement réclame une éco-diplomatie réaliste de la part de l’UE.

La première étape viserait à créer un groupe de travail commun à l’OMC et à la Convention climat. Le mandat de ce groupe de travail serait triple : i) établir une liste des mesures environnementales compatibles avec le régime OMC ; ii) clarifier la hiérarchie entre les deux régimes en matière de droits et obligations et iii) lever les ambiguïtés pouvant être à l’origine de conflits de normes et de conflits de juridiction (compétence) entre la Convention et le Protocole d’un côté et les Accords de l’OMC de l’autre. Si ce travail aboutissait à des clauses et règles précisant les liens avec les Accords de l’OMC, ces clauses ne faisant pas partie du régime OMC, elles ne lieraient pas juridiquement les groupes spéciaux ou l’Organe d’appel, mais constitueraient un référent pour les décisions qu’ils seraient amenés à prendre. A plus long terme, ce système de gouvernance se verrait attribuer une fonction de coordination entre les deux régimes (collecte et échanges d’informations, analyse scientifique, compatibilité de mesures nationales et multilatérales, suivi des engagements)37 et une fonction

35 Arthur Appelton, The World Trade Organization’s View : Emissions Reductions in a Free Trade World,

Swiss Re Centre for Global Dialogue, Genève, 2001.

36

Le Secrétariat de la CCNUCC a obtenu le statut d’observateur dans le Comité du commerce et de l’environnement de l’OMC, ce qui lui permet d’assister aux discussions et négociations menées en son sein.

37 Le système de gouvernance CCNUCC-OMC pourrait régler le problème de la compatibilité avec l’Accord sur

la propriété intellectuelle de l’OMC (ADPIC) et les politiques de transfert des technologies vertes. Les pays en développement sollicitent l’accès à la « meilleure technologie disponible » et aux technologies sous brevet sans aucune contrainte, ce qui n’est pas garanti en l’état de la gouvernance globale, comme l’a montré le problème des médicaments génériques. Voir Sabina Voogd, Oxfam Novib, Technology Transfers and Climate Change:

(16)

13

de renforcement des capacités des pays en développement (capacités institutionnelles, économiques et technologiques).

Ce système de gouvernance permettrait de doter la communauté internationale d’une structure à la fois flexible et pouvant actionner la procédure de règlement des différends de l’OMC. L’éclatement de la gouvernance environnementale, auquel pourrait conduire le processus post-Kyoto, est susceptible d’entraîner une perte d’efficacité. Dès lors, le regroupement sur une base thématique et fonctionnelle des deux régimes permettrait d’accroître la visibilité des thématiques communes et d’encourager les synergies38. En effet, le système de gouvernance CCNUCC-OMC permettrait de dépasser les deux critiques généralement adressées au protocole de Kyoto : l’absence d’une part d’un dispositif contraignant de mise en œuvre des engagements et, d’autre part, d’un mécanisme de règlement des différends39. La proposition d’un système de gouvernance CCNUCC-OMC est proche de celle émise par S. Barrett40. En revanche, elle s’éloigne de celle de Walsh et Whalley de créer une « World Bargaining Organization »41. En effet, nous ne pensons pas que la création d’une nouvelle agence accroîtra nécessairement l’efficacité de l’action multilatérale. Par ailleurs, l’investissement dans la création de cette WBO ne fera que détourner des ressources de l’objectif premier des négociations.

Une approche similaire semble ressortir des travaux entrepris dans le sillage des accords de Cancun au sein du Groupe de travail spécial sur l’action concertée à long terme au titre de la Convention (AWG-LCA). En effet, il a été reconnu que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques pouvaient avoir des conséquences négatives sur le développement économique et social de certains pays. Les PED ont particulièrement insisté sur les conséquences pour leur développement du recours à des mesures commerciales liées au climat ou trade related climate measures (TRCM). Les accords de Cancun enregistrent cette inquiétude en indiquant qu’un « système économique international ouvert » est mieux à même de répondre aux besoins de développement des PED. Ils ajoutent que « les mesures de

lutte contre ces changements, y compris les mesures unilatérales, ne devraient pas servir à imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables ou constituer des entraves déguisées au commerce international » (§. 90). De fait, la mise en œuvre des politiques et mesures de

riposte aux changements climatiques constituent une préoccupation majeure des PED en raison de l’incertitude entourant les effets de ces mesures pour leur développement. Aussi ont-ils, à l’initiative de l’Inde, rappelé que « developed country Parties shall not resort to any

http://unfccc.meta-fusion.com/kongresse/SB28/downl/080607_SB28_3_SabinaVoogds.pdf, consulté le 25

octobre 2011.

38

On inscrit cette stratégie dans l’idée du clustering qui fait référence au regroupement des systèmes de gouvernance des conventions ou de certaines de leurs fonctions. Voir Sebastian Oberthür, « Clustering of Multilateral Environmental Agreements. Potentials and Limitations », International Environmental Agreements, 2(4), 2002, pp. 317-340 ; UNEP, Implementing the Clustering Strategy for Multilateral Environmental

Agreements. A Framework, UNEP, Nairobi, 2001 (UNEP/IGM/4/4) ; Konrad von Moltke, On Clustering International Environmental Agreements, IISD, Winnipeg, 2001. Il convient de ne pas perdre de vue les

difficultés opérationnelles d’un regroupement de ce type.

39

Scott Barrett, « Climate Treaties and the Imperative of Enforcement », Oxford Review of Economic Policy, Vol. 24, n° 2, pp. 239-258.

40 Scott Barrett, « A Portofolio System of Climate Treaties », Discussion Paper, 2008-13, Harvard Project on

International Climate Agreements, Cambridge.

41 Sean Walsh/John Whalley, « Bringing the Copenhagen Global Climate Change Negotiations to Conclusion »,

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form of unilateral measures, including tariff, non-tariff, and other fiscal and non-fiscal border trade measures, against goods and services from developing country Parties on any grounds

related to climate change, including protection and stabilization of climate, emissions

leakage and/or cost of environment compliance. »42 Cette proposition fait clairement ressortir

l’opposition entre l’approche de l’UE, qui met sur un pied d’égalité les pays concernant les risques de « fuite carbone », et celle des PED opposés à toute mesure commerciale pour traiter le problème des migrations carbones.

Les accords de Cancun en appellent à la coopération entre les parties membres de la CCNUCC en vue de « comprendre les conséquences économiques et sociales des mesures de

riposte, en tenant compte de la nécessité d’avoir des informations venant des pays touchés, ainsi que des preuves des incidences véritables et des effets aussi bien positifs que négatifs »

(§. 92). Cette coopération comprend la mise en place d’un « forum sur l’impact des mesures

de riposte mises en œuvre » (§. 93). A Durban, les parties devraient arriver à établir l’agenda,

le domaine de compétence et le mode opératoire de ce forum43. Malgré les incertitudes qui lui sont associées, il nous semble que ce type de solution coopérative constitue la bonne option pour gérer le problème de l’articulation climat-commerce. Elle a le mérite de ramener le problème au sein de la négociation climatique et de l’extraire du régime et de l’approche strictement commerciale de l’OMC ouvrant la voie à l’inclusion de mesures non commerciales, i.e climatiques, dans le système commercial multilatéral.

Les accommodements que l’Europe est disposée à accepter pour susciter l’adhésion d’autres pays devront concilier les contradictions entre les propositions visant un compromis avec les États-Unis (conditionnalité du niveau d’objectifs) et celles d’un compromis avec les PED (degré et forme de la différenciation, politiques de transferts technologiques et financiers). L’UE doit reconnaître que le Sud fait face à un dilemme entre satisfaction des besoins de développement et protection du climat. La dimension inclusive de la future architecture de gouvernance climatique ne sera soutenable que si elle apporte une réponse à ce dilemme. Un système de gouvernance CCNUCC-OMC offrirait suffisamment de flexibilité pour favoriser l’inclusion des économies émergentes à bas salaire, à forte capacité industrielle et à croissance rapide à la fois de l’économie et des émissions de GES, c’est-à-dire l’Afrique du sud, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, l’Iran et le Mexique. Il serait possible d’envisager une prise en charge de la gestion des revenus tirés par la mesure d’ajustement aux frontières de l’UE en les affectant au Fonds Vert prévu par les accords de Cancun. Cette gestion des revenus de la MAF prouverait que son objectif n’est pas de protéger les producteurs européens mais d’inciter à limiter les changements climatiques et financer le Fonds vert prévu par l’accord de Copenhague.

Le basculement de la géographie du carbone avec un accroissement de la part des émissions de GES des pays en développement fait que l’efficacité d’une future architecture est conditionnée par leur inclusion44. Mais l’objectif d’efficacité ne doit pas faire perdre de

42 AAWG-LCA, FCCC/AWGLCA.2011/CRP.14, p. 2. Souligné par nous.

43 Deux groupes de PED assument un leadership sur cette question : les économies émergentes telles l’Inde et la

Chine, et les économies de l’OPEP, Arabie Saoudite et Venezuela en tête. Voir leurs propositions FCCC/AWGLCA/2011/CRP.29 où ils détaillent le programme de travail de ce futur forum.

44 Outre l’inclusion des PED, l’efficacité d’un nouvel accord sera conditionnée par l’instauration d’un régime

étendu à de nouveaux domaines d’activité (le résidentiel, le tertiaire, les transports). En l’état, l’intégration de ces secteurs dans un accord post-Kyoto demeure incertaine, voire improbable.

(18)

15

vue le critère d’équité sans lequel ces pays n’accepteront pas de participer à l’effort collectif. A cet effet, l’UE devrait adopter un rôle proactif dans la rénovation du principe de

responsabilité commune mais différenciée (PRCD) et tenter d’en rattacher le contenu au principe du traitement spécial et différencié du régime de l’OMC. Ce rapprochement serait

l’occasion d’introduire au sein du TSD des clauses spécifiques à la relation climat-commerce intégrant les préoccupations commerciales, développementales et climatiques des PED-PMA.

De l’autre côté, tout projet de gouvernance auquel les Etats-Unis ne seraient pas associés n’est pas viable. L’éco-diplomatie réaliste devra y veiller. Les États-Unis, qui ont adhéré à la Convention-cadre mais refusé de ratifier le protocole de Kyoto, ont pris l’initiative d’un partenariat avec l’APEC, l’Asia Pacific Partnership on Clean Development and Climate45. Ce document témoigne de la préférence des Etats-Unis pour des objectifs non quantifiés, des accords sectoriels ou régionaux, et une stratégie de « politiques et mesures ». La stratégie d’engagement très ambitieux de l’UE a provoqué jusqu’alors un blocage américain.

Pour que l’UE ne soit pas « l’idiot du village global », il lui faut rendre attractive son offre et affirmer un leadership climatique. A quelles conditions cela est-il envisageable ? La toute première est d’avoir une position unique sur le dossier et de faire une place conséquente dans la diplomatie par l’exemple à une éco-diplomatie réaliste en vue de construire un consensus international. La deuxième condition est celle de la réussite du marché européen des droits d’émission et la démonstration de son efficacité en matière de lutte contre le changement climatique, ce qui est loin d’être acquis. La troisième condition complète la précédente au sens où l’UE doit également montrer que son système constitue une alternative crédible, ou bien peut converger avec les initiatives américaines et celles venant des pays émergents attendues pour l’après-2012.

* * * * *

Ainsi peut-on caractériser les options stratégiques multilatérales que l’UE serait en mesure de mettre en œuvre à la veille d’une nouvelle étape dans les négociations internationales sur le climat. Si l’on prend comme déterminant de ces stratégies le double critère de leur compatibilité avec le régime de l’OMC et leur efficacité systémique, il est donc possible de mettre en évidence quatre grandes options stratégiques :

− La première consiste à élaborer une offre de libéralisation commerciale orientée vers la réduction des GES. C’est l’option qui a les faveurs de la Commission européenne. Dans la même perspective, l’UE pourrait généraliser et systématiser un SGP fortement orienté vers la lutte contre le réchauffement climatique.

− La deuxième option consiste à invoquer les articles IX.3 ou XX du GATT pour motiver des mesures dérogatoires à la norme multilatérale.

− La troisième serait d’ouvrir le chantier de la rénovation de certaines dispositions des Accords de l’OMC afin de les rendre compatibles avec une régulation favorable à la lutte contre le changement climatique (l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires, l’article III.2, l’article XX, l’Adpic, l’accord sur les clauses de sauvegarde).

− La quatrième option stratégique consiste à construire à partir des accords existants un système de gouvernance CCNUCC-OMC. C’est l’option qu’il conviendrait de privilégier et dans laquelle devrait s’investir la diplomatie européenne.

45 Ce « pacte climatique » regroupe, outre les Etats-Unis, l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et le

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Parmi les options ouvertes pour l’après-Kyoto (fixation d’objectifs quantitatifs de réduction des GES par pays avec des échéanciers différenciés, harmonisation des politiques domestiques et coordination des politiques unilatérales de réduction des GES)46, la proposition d’un système de gouvernance CCNUCC-OMC est à l’articulation des deux dernières. Elle capitalise sur les régimes existants et offrirait une procédure contraignante de mise en œuvre au travers du mécanisme de règlement des différends de l’OMC.

Quelle que soit l’option choisie par l’Europe, il faut qu’elle ait pour objectif d’inclure les Etats-Unis et des pays émergents dans le futur protocole. La nouvelle architecture devrait idéalement comporter des objectifs quantitatifs différenciés, auxquels souscrirait l’ensemble des 192 Etats membres de la CCNUCC. Mais on entre ici dans un schéma marqué d’une forte contradiction interne : d’une part, la mesure d’ajustement aux frontières constituerait l’une des conditions incitatives à l’entrée des nouveaux pays dans un schéma d’objectifs contraignants et, d’autre part, cette mesure ne serait compatible avec l’actuel régime OMC que dans l’hypothèse où ces pays auraient déjà pris de tels engagements mais ne les respecteraient pas. On voit ici la complexité du jeu stratégique autour des mesures d’ajustement aux frontières. Alors que les fondamentaux économiques du problème sont là pour longtemps, gageons que cette question ne va pas disparaître de sitôt de l’agenda et des débats sur la construction du régime international pour le climat.

46 Joseph E. Aldy/Robert N. Stavins, Designing the Post-Kyoto Climate Regime : Lessons from the Harvard

Project on International Climate Agreements, Belfer Center, novembre 2008 (Harvard Project on International

Figure

Tableau 1. Les règles de l’OMC reliées aux politiques climatiques

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