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La praxis éthique et esthétique de la frivolité dans une production sérieuse

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Academic year: 2021

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La praxis éthique et esthétique

de la frivolité dans une production sérieuse

Mémoire

Carol-Ann Belzil-Normand

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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La praxis éthique et esthétique

de la frivolité dans une production sérieuse

Mémoire

Carol-Ann Belzil-Normand

Sous la direction de :

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Résumé

Par une pratique ouverte et éclectique, j’ai décidé d’orienter mon travail de recherche de maîtrise vers une étude libre du cinéma d’animation. Mon approche de la création est frivole bien qu’elle s’inscrive dans un cadre méthodique et rigoureux. La réalisation de trois films d’animation m’a permis d’analyser le concept de ligne, de construction et de corps afin de tisser des liens avec les autres arts comme la céramique et l’impression numérique. La synthèse de mon travail est présentée dans le cadre d’une exposition à La Bande Vidéo du 13 janvier au 5 février 2017 sous le titre À peu près prêt(e).

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Table des matières

Résumé... iii

Table des matières ...v

Liste des illustrations... vii

Dédicace ... ix Remerciements... xi Introduction ...1 Espace ...2 Praxis...3 Éthique ...6 Esthétique...8 Tangible et intangible ...9 Frivolité ...11 Étymologie...12 Ornement...13 Métamorphose...14 Méthode et frivolité ...16 Trilogie ...18 Ligne...18 Construction ...22 Corps ...25

Fétichisme des formes...30

Entre le produit et l’objet d’art...32

Transposition ...33

Sacralisation ...35

Conclusion ...38

Bibliographie ...39

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Liste des illustrations

Figure 1 : Choses frivoles, 2016, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes,

installation. ...3

Figure 2 : Sans titre, 2015, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, installation d'estampes numériques. ...4

Figure 3 : Main, 2015, 13 cm x 6 cm, dessin. ...6

Figure 4 : Femme au bureau, 2016, 27,94 cm x 43,18 cm, estampe numérique. ...8

Figure 5 : Échec, 2016, 8,57 cm x 15,24 cm, image numérisée...12

Figure 6 : Métamorphose, 2016, 18 cm x 21 cm, dessin. ...14

Figure 7 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min...19

Figure 8 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min...20

Figure 9 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min...21

Figure 10 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min...22

Figure 11 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min...23

Figure 12 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min...24

Figure 13 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min...27

Figure 14 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min...28

Figure 15 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min...29

Figure 16 : Je, 2016, 30,48 cm x 22,86 cm, dessin. ...31

Figure 17 : Objets, 2015-2016, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, céramiques...34

Figure 18 : Lignes, 2015, 20,32 cm x 50,8 cm, photographie et dessin. ...35

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Je dédie ce mémoire à la frivolité.

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Remerciements

Je souhaite remercier ma famille ainsi que mes amies et mes amis pour leur soutien et leur confiance dans la réalisation de mes projets. Merci à Jocelyn Robert pour les précieux échanges et son inflexible collaboration dans le long processus qu’est la rédaction d’un mémoire de maîtrise. Merci à Alexandre David, Julie Faubert, Jacques Perron et Joëlle Tremblay qui m’ont permis de faire évoluer mes obsessions par des discussions exaltantes. Merci à Marie-Christiane Mathieu pour son honnêteté et ses inestimables conseils. Merci à La Bande Vidéo et à toute son équipe pour leur assistance et leur support dans ma création. Merci à toutes celles et à tous ceux qui ont contribué à rendre possible l’entente de résidence entre l’École d’art de l’Université Laval et La Bande Vidéo par l’entremise du Fonds Fondation René-Richard. Merci à LA CHAMBRE BLANCHE.

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je me fous de tout le reste mais peut-être pas on est des enfants avec des casques de moto sur la tête Les heures se trompent de but, Virginie Beauregard D.1

Introduction

Mes recherches actuelles en art m’ont amené à une pratique pluriforme qui lie le cinéma d’animation, la céramique et l’art imprimé. Bien que je tente de lier toutes ces formes d’art entre elles, le cinéma d’animation demeure l’élément obsédant de ma recherche. Je m’intéresse au processus de production, mais aussi à la matérialité qui émerge de mes recherches.

Le contexte de production marque de manière signifiante mes expérimentations. En ce sens, il est pour moi indissociable de ma recherche d’expliquer l’importance de mon espace et la manière dont je l’aborde. J’aime l’idée que la praxis agit à la fois dans un contexte esthétique et éthique. L’instauration d’un mode de pensée féminin est devenue alors fondamentale dans ma pratique. J’ai choisi la frivolité comme étant une posture qui agit de manière éthique et esthétique dans une perspective spécifique à la femme.

La production de trois films d’animation m’a permis d’aborder des concepts qui sont pour moi fondamentaux dans l’étude de l’image en mouvement. Ces concepts sont la ligne, la construction filmique et le corps en rapport à l’espace. Ma trilogie filmique m’a permis de faire des liens avec les autres arts tels que la céramique et l’impression numérique. La récurrence ou la répétition d’éléments visuels ou conceptuels me permettent de joindre le concept de fétichisation dans ma pratique, c’est-à-dire qu’une idée, qu’une obsession est transmise d’une forme d’art à une autre. L’étude du contexte de ma production mêlé à une pratique circonscrite dans un cadre trilogique m’a permis de définir un ensemble théorique autour du concept de frivolité. Ma recherche s’articule autour du féminin et de l’intime dans une perspective profane et sacrée.

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Espace

Mon espace de création est plutôt informe ou multiforme. Ce n’est ni un bureau, ni un atelier, ni un moment. Il s’agit plutôt d’un regroupement tentaculaire et morcelé de petites choses éparses. Mon travail est fractionné de petits instants me permettant de produire du tangible et de l’intangible. Il s’agit aussi d’un espace idéologique où la praxis joue un rôle déterminant par une éthique et une esthétique de la frivolité.

L’espace que j’occupe est séparé par diverses obligations quotidiennes où j’arrive à trouver quelques bribes de liberté. J’aime idéaliser cet espace comme étant une série de paradoxes ou d’incohérences. Un espace doté d’une excellente connexion internet et dans un même temps, sans connexion internet. Il peut être grand et/ou petit. Disponible en tout temps, mais aussi disponible à des heures restreintes. Après mes instants de production, le défi est de collecter tous les morceaux, puis de les assembler. Le désordre est omniprésent. Chaque séance demande donc une remise en contexte, un temps pour bien compiler toutes les données des expériences précédentes et de les adapter à ma production actuelle.

Dans ma pratique, mon espace idéologique correspond à une position féministe2. La frivolité est

pour moi un moyen d’affirmer la féminité par la praxis. Mes convictions et mon attitude sont liées à ma production. Mes méthodes de production découlent de cette double posture éthique et esthétique se traduisant, pour moi, par une praxis.

2 Je ne souhaite pas que mon travail adopte un discours politique, j’affirme simplement que le féminisme est une position

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Figure 1 : Choses frivoles, 2016, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, installation.

Praxis

La praxis consiste à pratiquer une position critique et réflective de l’action. Je vais aborder le sens de la praxis de manière chronologique. D’abord, une position historique par l’intermédiaire d’Aristote. Puis, je ferai une brève comparaison entre mon approche de la praxis et celle de la philosophie marxiste. Bien que la praxis soit aujourd’hui plus associée à un modèle d’approche pédagogique tel que le conçoit par exemple Paulo Freire, je vais m’attarder davantage à sa signification antique en la comparant à la frivolité.

Très tôt chez les Grecs, la praxis est une notion explorée par le philosophe Aristote. Dans une analyse de la philosophie aristotélicienne, Pierre Rodrigo fait mention de la praxis comme un état d’être dans l’action tel qu’il est évoqué dans les écrits de l’Éthique à Nicomaque3 : « Il n’est pas

inutile, pour démêler cette question, de rappeler qu’Aristote conçoit la praxis, tout d’abord comme un mode d’être, et ensuite comme un mode d’être ayant en lui-même sa propre fin4. » La praxis

d’Aristote prend la forme d’une double posture d’action, la première étant l’être dans l’action et

3 Aristote, Éthique à Nicomaque, Paris, Éditions Flammarion, 2004, 560 p.

4 Pierre Rodrigo, Aristote, une philosophie pratique : praxis, politique et bonheur, Paris, Éditions Librairie Philosophique J. Vrin,

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l’autre étant l’être dans l’atteinte d’une finalité de l’action, le telos5. Je considère que la frivolité ne

s’exerce pas nécessairement dans le but d’une finalité, d’un telos tel que l’entend Aristote. Cependant, elle agit à la manière d’une praxis, c’est-à-dire que la frivolité se déploie dans un état d’être et d’action. Ainsi, je considère que la praxis du frivole fait partie intégrante de mon processus de création.

Figure 2 : Sans titre, 2015, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, installation d'estampes numériques.

La praxis n’a pas de modèle de représentation clairement défini, elle est immatérielle. La représentation de la praxis est une problématique à laquelle s’est aussi intéressé Aristote : « Dès lors, la praxis ne peut pas être imitée ou re-présentée, tout simplement parce que le modèle subsistant, l’archétype, fait défaut. […] Ainsi, irréelle par essence, la praxis ne se laisse pas le moins du monde re-présenter6. » Son caractère irréel, son absence de représentation claire et

concrète me permettent de faire un lien avec la frivolité. La frivolité ne correspond pas à un

5 Le telos qui signifie un but à atteindre par le biais de l’action.

6 Pierre Rodrigo, Aristote, une philosophie pratique : praxis, politique et bonheur, Paris, Éditions Librairie Philosophique J. Vrin,

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stéréotype culturel comme le dandy par exemple7. L’attitude frivole se définit par une ébauche

d’imperfection qui s’immisce dans un long processus méthodologique. Elle est en quelque sorte l’affirmation spirituelle d’une recherche du tangible et de l’intangible. La praxis est frivole, car elle n’appartient pas à un archétype anthropologique, mais elle affirme une éthique et une esthétique de l’intime.

Je m’approprie le concept de praxis en le distinguant de la praxis marxiste. Selon Jean Granier dans Penser la praxis : « L’origine de la pensée, y compris celle de Marx, reste toujours la production par l’homme de son existence sociale et cette production est justement la praxis8. »

Cela nous ramène à une expérience égotiste9 prenant part au contexte historique et social. Pour

moi, la frivolité s’inscrit dans une perspective féminisante du vécu et de l’expérience. Ainsi, elle adhère à une existence sociale et à un contexte de production artistique. En d’autres mots, par mon approche de la frivolité, je mêle ma production au contexte social et politique tout en m’en détachant. Il ne sera pas question de causes ou de problématiques dites de nature politique. Je m’intéresse au féminisme qui sublime la singularité féminine. Pour Marx, la praxis se situe plutôt dans une forme de nécessité sociale : « Le monde pour [la femme et] l’homme est moins un spectacle qu’une tâche10. » Ainsi, Marx place la praxis au sein d’un fonctionnement utilitaire. En ce

qui me concerne, la praxis est plutôt synonyme d’un acte égotique oui, mais léger et à certains moments presque non avenu selon le contexte. Les actions qui caractérisent ma production s’inscrivent dans une logique sans pour autant revendiquer une forme de vérité utilitariste. Il s’agit d’une vérité de l’intime.

7Pour Nicolas Bourriaud, la figure du dandy se positionne de manière éthique et esthétique dans la création. Même si j’adhère à ce

double positionnement de la création, je n’adhère pas à la position complète du dandy qui se traduit beaucoup par l’élégance, la bourgeoisie et l’impertinence. Voir Nicolas Bourriaud, Formes de vie: l’art moderne et l’invention de soi: essai, Paris, Éditions Denoël, 1999, p. 43-51.

8 Jean Granier, Penser la praxis, Paris, Éditions des Presses universitaires de France, 1980, p. 107. 9 L’égotisme proclame la sublimation du moi dans son individualité.

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6   Figure 3 : Main, 2015, 13 cm x 6 cm, dessin.

La praxis agit comme une conscience dans le geste, un mouvement dans l’idée. En ce sens, elle se distingue de la méthodologie. La méthodologie est liée à l’esprit scientifique alors que la praxis est liée au corps et à la conscience : « L’intentionnalité de la conscience est donc fondée sur l’opération d’amener-devant, qui définit la praxis et qui compose le sens dans des conduites étayées matériellement11. » La praxis permet un mode de pensée intime dans l’action tout comme

la frivolité prend sens pour moi dans l’action. Elle est visible dans le processus.

De la méthodologie à la praxis, la posture de frivolité s’accommode mieux de l’être et de l’action. Elle ne peut vivre dans le déterminisme et la systématisation des modèles théoriques présents dans la pensée méthodologique. La frivolité est d’une part immatérielle et d’une autre part tangible. Il s’agit d’un concept qui embrasse le contexte de création. C’est un modèle qui s’exerce sans attendre de but particulier. Elle est là, c’est tout.

Éthique

Mon positionnement éthique dans ma pratique consiste en une approche alternative à l’industrie du cinéma. Mon parcours académique en arts visuels et en cinéma d’animation a donné lieu à une fascination pour un art cinématographique expérimental et frivole. Ainsi, je critique par mon travail le cinéma de nature industrielle (technique), mercantile et institutionnelle.

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Avant d’aller plus loin, je considère pertinent de distinguer brièvement l’éthique de la morale. Étymologiquement, la morale vient du latin mos, moris12 qui signifie l’usage, la coutume. Plus

précisément, la morale correspond à un ensemble de valeurs auxquelles doit adhérer une société. L’usage de ces valeurs permet un certain consensus social. La morale est donc ultimement axée sur la conformité. L’éthique vient du grec ễthos signifiant le caractère habituel, la manière d’être, mais aussi le génie. Dans le cas de l’éthique, elle réfère plutôt à un système de valeurs auxquelles l’individu adhère. Comme dans les tragédies grecques, elle est là pour séduire. Voilà pourquoi la frivolité est éthique sans adhérer nécessairement à la moralité.

Dans ma pratique, l’aspect éthique de la frivolité est présent dans ma position vis-à-vis l’industrie du cinéma. L’apport technique et technologique du cinéma peut prendre plus d’importance que son statut d’oeuvre d’art. L’industrie cinématographique met de l’avant les qualités technicistes du film : « L’idéologie techniciste a non seulement réussi à atteindre une telle influence du fait de ses séductions propres, mais encore en raison de la faiblesse des alternatives : c’est par défaut qu’on se tourne vers elle pour donner un contenu à l’idée de progrès et dessiner un futur souhaitable13. »

L’idée d’un cinéma bien fait ne laisse pas beaucoup de place à l’expérimentation. Les chiffres et les statistiques sont aussi omniprésents dans l’industrie14. Ce sont des facteurs qui ne font pas

exception dans la mise en marché d’un film et qui font du cinéma un indéniable produit culturel. Néanmoins, certaines formes alternatives du cinéma subsistent. Ces formes alternatives ne répondent pas à toutes les questions déterministes de l’industrie. Plus spécifiquement, mon travail se situe dans une catégorie à part du cinéma : le cinéma d’animation. J’adopte une approche qui diffère de celle des grands studios15. Je fais mes films de manière autonome avec peu de

ressources matérielles, financières et humaines.

Le champ éthique de la frivolité comporte une position singulière qui le distingue du champ conformiste de l’industrie cinématographique. Je prends position en élaborant des films d’animation de manière libre tout en étant critique de la grande institution.

12 Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot: dictionnaire latin-français, Paris, Hachette-Livre, 2000, p. 1007. 13 Laurent Creton, Cinéma et marché, Paris, Éditions Armand Colin, 1997, p. 77.

14 Par exemple, les statistiques à propos du succès au box-office, la fréquentation dans les salles, et le coût d’investissement

participent à l’industrie du film.

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Esthétique

La posture de frivolité implique une esthétique. Cette esthétique est le fruit d’un engagement intime. L’attitude que j’adopte dans mon travail détermine de manière significative sa portée esthétisante. Pour Nicolas Bourriaud, l’attitude produit une « identité formelle16 » qui permet de

faire sens dans la production, alors que Georges Sifianos définit le cinéma d’animation par l’attitude du cinéaste avant de le définir par rapport à ces spécificités techniques.

Figure 4 : Femme au bureau, 2016, 27,94 cm x 43,18 cm, estampe numérique.

Comme le mentionne Nicolas Bourriaud « [l]’artiste se construit ainsi une “ identité formelle ” à partir de la langue dont il hérite et du style qui dénote son histoire personnelle : former c’est engager; créer, c’est de créer de la valeur. Mais les formes n’abritent des valeurs que parce qu’elles sont produites, au sens propre, par des comportements17. » Ainsi, l’artiste construit son

identité en créant son propre langage. Dans ma pratique, les comportements que j’emprunte orientent mon travail dans une perspective éthique et esthétique. Tout en prenant une distance avec la technicité rigoureuse de la technologie, je me contrains à faire preuve d’un certain

16 Nicolas Bourriaud, Formes de vie : L’art moderne et l’invention de soi, Paris, Denoël, 1999, p.115. 17 Ibid.  

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« laisser-aller ». Dans le cas plus spécifique du cinéma d’animation, la définition appuyée sur la technique est loin d’être suffisante. Comme le précise Georges Sifianos, c’est avant tout l’attitude dans son utilisation qui qualifie son esthétique :

Longtemps on a essayé de définir le cinéma d’animation par une approche technique. Or, la technique ne semble pas, en l’occurrence, être un moyen pertinent d’évaluation : si l’on prend par exemple la définition classique du cinéma d’animation, « le cinéma image par image », elle s’avère très vite limitée comme on peut le constater si on filme un élément immobile […] Le cinéma d’animation est plutôt caractérisé par son attitude à l’égard du matériau cinématographique élémentaire, l’image et le mouvement […]18

Ainsi, la technique dans le cinéma d’animation ne demeure en aucun cas une qualité ou une preuve de son existence, c’est l’attitude dans son utilisation qui le caractérise en tant qu’art. Par mon attitude, ma production prend une valeur esthétique. Mon engagement est synonyme d’un rapport esthétisant avec toutes les pratiques et plus spécifiquement avec le cinéma d’animation. La frivolité devient, pour moi, une manière d’encourager une esthétique singulière présente dans ma pratique.

Tangible et intangible

Mon espace de travail varie entre un espace tangible19 et intangible20. J’ai le besoin indéniable de

travailler de manière tactile et intuitive sur certains éléments, dont la céramique et le dessin, alors qu’à d’autres moments, j’ai le besoin de me retrouver dans un environnement intangible21 qui

demande peu d’espace, et dont tout le contenu est aisément « éditable22 ». Le va-et-vient entre le

tangible et l’intangible crée un lien entre le spirituel et le technologique.

Effectivement, l’espace technologique et l’espace spirituel sont liés à la notion de sacré et de profane. Cet espace technologique est aussi profane que sacré. Il est profane puisqu’il est éditable, sa valeur est changeante et il obéit à ma volonté. Il peut aussi être sacré puisqu’il recèle des idées intimes telles un espace de projection mentale, un modèle de représentation des idées,

18 Georges Sifianos, Esthétique du cinéma d’animation, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p.7. 19 Un espace tangible est un espace manifeste, matériel et solide.

20 Un espace que l’on ne peut pas toucher, qui demeure immatériel.

21 Mon espace de création intangible est dans ce cas-ci l’espace virtuel de mon ordinateur, le bureau. Le bureau devient un atelier

de création avec l’immatériel.

22 La photographie numérique, la vidéo et le dessin numérique sont tous des médiums me permettant de modifier entièrement le

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alors que dans le cas de l’espace spirituel, c’est un lieu où tout est sacré. Il demeure avant tout personnel, donc intime. Il échappe au langage commun et au consensus collectif. Il ne peut être un espace impersonnel puisqu’il est le reflet intime de l’individu à sa propre échelle. Ainsi, seul le profane est présent dans l’espace technologique, alors que le sacré subsiste dans les deux espaces, mais surtout dans l’espace spirituel, intime. Le frivole agit de manière libre entre la voie du profane et du sacré. Le mouvement entre ces deux concepts permet l’affirmation d’un espace sacré féminin.

La frivolité est implicite à mon espace spirituel. La fascinante allégorie à propos de Don Quichotte et du cinéma par Giorgio Agamben met en lumière le questionnement que j’adopte par rapport à la posture de frivolité. Agamben se demande : « Que faire de nos imaginations? Les aimer et y croire jusqu’au point de les détruire, de les falsifier (c’est là, peut-être, le sens du cinéma d’Orson Welles). Mais ce n’est que quand elles finissent par se révéler vides et inexaucées, quand elles nous montrent le néant qui les constitue, que nous pouvons racheter le prix de leur vérité […]23 »

La conscience de l’échec tue la magie. Si la frivolité persiste, même en sachant qu’elle est vaine, elle maintient une forme d’espace spirituel.

Le lien que j’ai découvert entre le spirituel et le technologique m’a permis de m’ouvrir à une dimension intime de mes inquiétudes et de ma frivolité. Entre le tangible et l’intangible, un dialogue prend forme. Mon espace spirituel est maintenu par mes convictions personnelles, celles de ma pratique.

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Frivolité

La frivolité est un concept qui revêt diverses identités qui rappellent l’inconstant et le double. Mon analyse de la frivolité m’a amenée à considérer divers aspects conceptuels tels que l’étymologie, l’ornement, l’étude de la méthode ainsi que la figure de métamorphose. Certains de ces concepts s’appliquent à la frivolité alors que d’autres s’y opposent.

D’abord, l’étymologie du frivole permet de mieux cerner le contexte et la signification du terme. La compréhension de ce concept se perfectionne à travers ma pratique. Le frivole se distingue de l’ornementation puisqu’il est non seulement lié à l’objet, mais aussi à une attitude, à une manière d’être, alors que l’ornement est fixe, il est matériel. L’approche scientifique24 s’est révélée être

opposée à la recherche de liberté présente dans le frivole. Enfin, la figure de métamorphose m’a permis de faire un rapprochement avec le cinéma d’animation et la frivolité. La métamorphose se présente comme un lieu de recherche de sens et de mouvement qui rend grâce à l’instabilité et l’inconstance présente dans ma production.

À travers l’histoire, la frivolité peut se manifester de diverses manières. Dans ma pratique, le frivole permet de circonscrire certains aspects de ce concept à ce que je produis. Ainsi, j’explore différentes orientations théoriques et conceptuelles afin de peaufiner et de compléter ma recherche.

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12   Figure 5 : Échec, 2016, 8,57 cm x 15,24 cm, image numérisée.

Étymologie

L’étymologie permet de bien contextualiser les mots selon leur origine. Dans le cas de la frivolité, j’examinerai ses racines latines afin de mieux comprendre son sens actuel dans ma pratique. Comme le mentionne Jacques Derrida : « La frivolité naît de l’écart du signifiant, mais aussi de son repli sur lui-même, dans son identité close et non-représentative. On n’échappe donc à la frivolité qu’en courant le risque sémantique de la non-identité […]25 » Il est donc important pour moi

d’anticiper ce risque sémantique et de bien expliciter l’origine de la frivolité.

Ainsi, les racines latines du frivole sont significatives pour l’intégration du concept dans ma pratique. Le terme frivolus26 qualifie quelque chose sans importance, de léger, d’inutile. Le terme

est par définition contraire à ce qui est « sérieux27 ». Puis, frivola28 se traduit par « vaisselle de

terre cassée » donc frivola est lié à un objet de peu d’importance. L’adverbe frivole29 signifie

25 Jacques Derrida, L’archéologie du frivole, Paris, Éditions Gallilée, 1990, p.138.

26 Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot: dictionnaire latin-français, Paris, Hachette-Livre, 2000, p. 695. 27 Sabine Melchior-Bonnet, Une histoire de la frivolité, Paris, Éditions Armand Colin, 2013, p. 7. 28 Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot: dictionnaire latin-français, op cit., p.695.

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« légèrement ». Frio30 est un verbe signifiant l’action de « concasser », de « broyer ». Il est difficile

de saisir la signification entière du terme puisqu’il s’adapte à divers contextes et diverses époques. La frivolité est multisémantique. L’ouverture de ces diverses significations me fascine et c’est aussi une des raisons pour lesquelles ce concept persiste dans ma pratique. Le frivole s’applique selon son contexte de création. Dans le cas du cinéma, il s’immisce dans le processus de manière discrète par un certain laisser-aller dans un rigoureux processus méthodologique. Il en va de même pour les autres médiums tels que la céramique, l’impression numérique, etc.

Ornement

À travers l’histoire, la frivolité s’est manifestée dans la manière d’être et de paraître. Même si le frivole et l’ornement sont souvent associés, il demeure que ce sont deux éléments avec des caractéristiques distinctes. Plus spécifiquement, l’ornement est lié aux objets, à l’architecture, à l’inanimé. Entre la nécessité et le superflu, la parure et l’utile, je trouve pertinent de préciser les liens et les différences entre l’ornement et le frivole.

Adolf Loos, auteur du traité d’Ornement et crime31, se positionne sur l’existence de l’ornementation

dans l’architecture. Comme il le mentionne : « Le dessin de détails naturels ornementaux, totalement superflus et gaspilleur de travail, va disparaître32. » Bien que le texte d’Aldolf Loos

s’inscrit dans une critique sociale et politique d’une certaine époque, il reste que l’ornement demeure une question ouverte. Thomas Golsenne considère l’ornement utile, et même nécessaire : « Il ne faut pas croire pour autant que le rapport de l’ornemental est celui de l’inutile au nécessaire. L’ornement est nécessaire. L’ethnologie montre qu’il est universel chez les humains et qu’il correspond chez les peuples autochtones à la forme d’artifice la plus prisée, la plus essentielle33. » La frivolité a souvent été associée à la classe bourgeoise et au luxe34.

Marie-Antoinette, figure mythique de la frivolité, a été victime d’une discrimination politique et sociale. L’affaire du collier35 a été pour le peuple français un prétexte supplémentaire pour condamner la

reine. La frivolité peut sembler anodine, mais elle demeure néanmoins signifiante dans les

30 Félix Gaffiot, Le grand Gaffiot: dictionnaire latin-français, op cit., p.695.

31 Adolf Loos critique la production de l’ornement comme étant le fait du prolétariat qui produit au profit du riche. Il considère

l’ornement comme un artifice qui ne participe pas à la fonctionnalité de l’architecture, mais contribue à l’écart entre les classes sociales.

32 Adolf Loos, Ornements et crime et autres textes, Paris, Payots & Rivages, 2003, p. 46.

33 Thomas Golsenne, « L’ornement aujourd’hui » dans http://imagesrevues.revues.org/2416?lang=en, page consultée le 15/09/15. 34 Les objets frivoles sont associés au luxe, aux parures, aux bijoux, aux vêtements, aux attributs physiques.

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conceptions sociales, éthiques et morales d’une époque. Cependant, la frivolité n’est pas seulement le fait d’une classe sociale, elle est présente dans toutes les sphères d’une société. La frivolité telle que l’entend Étienne Bonnot de Condillac et Jacques Derrida est un concept philosophique qui s’applique à de nombreux domaines tels que l’économie politique, la théorie de la représentation, la linguistique, l’écriture, etc.

Dans ma pratique, ce qui distingue avant tout la frivolité de l’ornement, c’est qu’elle est esthétique, mais aussi éthique. L’ornement se caractérise plus spécifiquement dans l’objet, tandis que le frivole peut s’incarner dans la figure du vivant, du féminin. L’ornement peut être frivole, mais le frivole n’est pas ornemental. Les deux concepts se chevauchent tout en étant circonscrits à des contextes distincts.

Métamorphose

La signification plurielle de la frivolité me permet de faire un lien avec la figure de métamorphose. Je perçois la frivolité comme un concept ouvert qui prend des formes différentes et s’adapte à son contexte. Elle est aussi présente dans le cinéma d’animation. De plus, la métamorphose est liée à la métaphore, c’est-à-dire qu’elle opère un changement de forme qui entraîne un changement de sens.

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La métamorphose est une particularité du cinéma d’animation. Comme le mentionne Marcel Jean : « […] le caractère synthétique du cinéma d’animation offre à l’artiste la possibilité de tout transformer – les êtres autant que les choses […] Dès les origines de l’animation, la métamorphose s’est imposée comme une figure expressive dominante36. » D’ailleurs, dans la

trilogie que j’ai produite dans le cadre de ma maîtrise, la métamorphose est omniprésente. Dans Refoulement, la ligne en constant changement se produit comme un langage primitif et intime alors que pour La Grille, l’élément central du film est une plante. La plante crée une constante narrative dans le film ramenant à une lecture légère et humoristique. Pour mon dernier film, Architecture sensible, c’est le corps féminin qui se métamorphose en contrastant avec la présence de la construction architecturale. Le changement de forme dans chacun de ces films me ramène à la figure de frivolité.

La métaphore et la métamorphose sont deux figures qui produisent un effet sur l’imaginaire. Elles ont toutes deux une symbolique très forte. Elles sont pourtant à distinguer l’une de l’autre : « La métaphore évoque et signifie, la métamorphose permet au poète de créer, dans l’esprit de son lecteur, une réalité autre. […] Encore faut-il que le lecteur y croie; non pas, certes, à la réalité ontologique de la transformation; il suffit qu’elle soit possible, c’est-à-dire qu’on peut l’imaginer, la craindre ou la désirer37. » La figure de métamorphose est d’autant plus liée à l’émotion, à

l’invisible. En ce sens, elle est d’autant plus de nature phénoménologique que peut l’être la métaphore. Comme le mentionne Michel Maffesoli : « [c]e sont ces incertitudes de divers ordres, s’exprimant dans la multiplication des préfixes “ méta- “ ou “ trans- “ (que l’on retrouve dans la mode, dans la théorie ou dans l’observation journalistique), qui fondent les « cultures des sentiments » (Gefühlskultur). […] La culture du sentiment est donc la conséquence de l’attraction. On s’agrège suivant les occurrences ou les désirs38. » Ainsi, le « méta- » de la métaphore est un

préfixe qui se prête bien à l’émotion, au désir. La métaphore est aussi liée à un aspect sérieux du sens des mots. « Condillac considère la métaphore comme le concept le plus général et le nom commun de tous les tropes. […] [L]a métaphore marque l’origine des langues […]39 » Chez

Condillac, la métaphore est nécessaire dans l’évolution du langage contrairement à la métamorphose qui est plutôt synonyme de liberté dans l’interprétation. Dans mes films

36 Marcel Jean, Le langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’animation, Montréal, Éditions Les 400 coups, 2006, p.55. 37 Guy Demerson, Poétique de la métamorphose, Saint-Étienne, Éditions de l’Université de Saint-Étienne, 1981, p.32. 38 Michel Maffesoli, Au creux des apparences: Pour une éthique de l’esthétique, Paris, Éditions Table Ronde, 2006, p.31. 39 Jacques Derrida, L’archéologie du frivole, Paris, Denoël/Gonthier, 1973, p.124.  

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d’animation, la métamorphose prend un rôle important dans l’imaginaire. Par exemple, chaque transformation de la ligne dans le film Refoulement permet d’envisager une idée, un désir.

La métaphore présente des similitudes avec la métamorphose. Cependant, la métamorphose est liée à une légèreté et une liberté en correspondance avec la frivolité. Quant à la métaphore, elle est trop sérieuse pour être frivole.

Méthode et frivolité

La frivolité ne peut vivre dans une perspective à sens unique. Elle est pluridimensionnelle et elle agit selon les époques et selon le contexte. La méthode devient une problématique à l’intérieur même de la frivolité. Jacques Derrida mentionne que « [l]a méthode pour réduire le frivole, c’est la méthode. Il suffit d’être méthodique pour n’être point frivole40. » Il est donc paradoxal d’être

méthodique et frivole dans un même temps. Dans ma pratique, la frivolité et l’esprit méthodique se croisent et s’opposent.

Dans le cinéma d’animation, l’utilisation d’une méthodologie rigoureuse est nécessaire. Les principes d’animation de Richard Williams41 sont une source intarissable de la méthodologie et des

étapes de production d’un film. Nous retrouvons dans sa méthode le scénarimage, les modèles, le layout, l’animation, la colorisation, les décors, les effets spéciaux, le compositing et le montage. Dans mon film Refoulement, j’ai élaboré un scénarimage qui devient un guide pour la réalisation du film. Sinon, pour le reste il s’agit d’un processus beaucoup plus intuitif. Il n’y a pas de décors, ni de layout, ni d’effets spéciaux, ni de feuille de modèle, ni de colorisation.42 J’essaie de manière

intuitive de concevoir la métamorphose de la ligne. Les poses clés de l’animation sont mises en valeur par une répétition successive du même dessin43 qui se transforme pour prendre une autre

forme. Le layout et les feuilles modèles ne sont pas nécessaires, elles sont même à éviter pour maintenir une liberté dans le montage. Mon deuxième film La Grille se différencie de Refoulement dans son approche méthodologique. Pour La Grille, je n’ai pas préparé de scénarimage, mais j’ai développé une approche intuitive. Le potentiel de ce film se manifeste par les liens suscités par les éléments figuratifs et l’arrière-plan. Pour mon dernier film Architecture sensible, les scènes se sont

40 Jacques Derrida, L’archéologie du frivole, Paris, Denoël/Gonthier, 1973, p.112.

41 Richard Williams est un animateur canadien-britannique (1933-…) qui a animé de nombreux génériques d’introduction tels que

celui de la Panthère rose et de Casino Royale. Il a aussi participé au long métrage Qui veut la peau de Roger Rabbit ? Il a rédigé un livre qui est considéré comme une bible dans le domaine du cinéma de l’animation : Animator survival kit.

42 Le film Refoulement est en noir et blanc.

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créées de manière aléatoire et non planifiée tout comme mon deuxième film. Ainsi, même si l’élaboration de mes films nécessite une approche méthodologique et une grande rigueur, je maintiens une part de liberté dans ma production.

La frivolité est pour moi une critique de la méthode scientifique. Un moyen de sauvegarder l’enfantillage dans la création. Elle permet de contester la construction d’un système préétabli. Erik Vessels mentionne : « Prévisibles ou non, les erreurs nous obligent à aiguiser notre regard. Disséminées dans un océan d’excellence passablement ennuyeux, elles savent comment capter notre attention44. » L’imperfection agit comme un agent frivole. En ce sens, le frivole peut être

synonyme d’incomplétude, d’inexactitude ou de défaut. Il n’est pas parfait.

Le frivole permet une liberté dans un système déjà établi. Dans ma production, il est présent dans le processus de mes films. Le laisser-aller dans ma production cinématographique permet une opposition au rigoureux processus méthodologique. De plus, la frivolité se distingue de la méthode empirique. Elle n’a pas besoin d’essais pratiques pour exister, elle est toujours là. Même si je ne fais rien, elle est là.

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Trilogie

La trilogie est un concept qui permet de classer certaines œuvres dans un corpus déterminé sous un angle conceptuel cohérent. J’aimais l’idée de développer différents concepts du cinéma d’animation et de limiter ma recherche dans le cadre défini. Les thèmes principaux abordés dans ma trilogie sont la ligne, la construction et le corps.

Pendant la réalisation de mon deuxième film, j’ai compris le lien qui unissait les trois films de la trilogie que je souhaitais réaliser dans le cadre de ma maîtrise. Plus précisément, le premier film était un retour primitif à la matière me permettant de renouer avec l’élément le plus schématique de l’animation, c’est-à-dire la ligne. Par la suite, j’ai eu envie de jouer avec la construction de l’image écranique, c’est-à-dire la grille. Je voulais que les éléments animés puissent jouer/interagir avec l’arrière-plan. La grille devient un élément de la structure, mais aussi une composante esthétique de l’image. Puis, pour terminer la trilogie, j’ai voulu intégrer un élément qui n’était pas mis de l’avant dans les deux autres films, c’est-à-dire le corps, et plus précisément le corps féminin. L’anatomie de la femme crée une correspondance avec le cadre filmique et les diverses constructions architecturales dans la scène.

Dans le cadre de cette première recherche trilogique, j’ai réussi à cerner la complexité, mais aussi la frivolité inhérente à mon processus de création. La trilogie ligne/grille/corps permet une réflexion ouverte sur le cinéma d’animation et ses diverses approches.

Ligne

À la manière de Catherine Breillat45, je me laisse guider dans ma production. J’adapte mes films à

de nouvelles possibilités permettant un changement de la scénarisation à la réalisation. Mon court-métrage Refoulement (2015) met en scène un langage primitif qui évolue tant dans le processus de création que dans la progression narrative du film.

45 voir L’Abécédaire de Catherine Breillat recueillis par Claire Clouzot avec la collaboration de Valentina Novatis dans Claire

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Figure 7 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min.

Les séquences de métamorphose de mon film agissent comme la syntaxe de signes géométriques et organiques. La compilation de tous ces signes oeuvre comme le lexique d’un langage inconscient. Les lignes révèlent un univers quasi narratif conduisant vers une indéniable rupture de la ligne. L’idée de la métamorphose permet de ne rien figer, ni le sens, ni la forme, ni le mouvement. Certaines images rappellent les appareils génitaux féminins alors que d’autres conduisent vers une illusion d’optique. Le mouvement des formes permet l’émergence d’un monde imaginaire quasi magique. Les courbes sensuelles de l’animation opèrent comme une tension entre le sens et l’esthétique. Le film est aussi évocateur du plaisir de dessiner des formes sans contrainte. Le perceptuel et le visuel se confondent produisant un effet de persistance rétinienne46.

Des représentations de phénomènes et de sujets provenant de l’inconscient produisent des images issues du souvenir. La représentation de ces souvenirs agit comme un état altéré de la perception de l’image. Ainsi, certaines images restent, d’autres sont oubliées. Comme le

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mentionne Georges Bataille dans L’expérience intérieure : « Si la poésie introduit l’étrange, elle le fait par la voie du familier. Le poétique est du familier se dissolvant dans l’étrange et nous-mêmes avec lui. Il ne nous dépossède jamais de tout en tout, car les mots, les images dissoutes, sont chargés d’émotions déjà éprouvées, fixées à des objets qui les lient au connu47. » Effectivement,

les représentations visuelles présentes dans ce film ne sont pour moi pas un langage inconnu, bien qu’il est difficile à exprimer. Ce film est pour moi une manière de représenter un langage primitif qui élabore un discours intime sur le féminin et sa recherche de liberté.

Figure 8 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min.

Mon film Refoulement démontre une parenté avec le cinéma structuraliste. Effectivement, certaines caractéristiques du cinéma structuraliste telles que l’effet flicker48, la position fixe du

cadrage et la boucle sont présentes. L’apparition de ces caractéristiques structuralistes s’oppose à ma recherche de frivolité dans ma pratique du cinéma d’animation. La recherche de sens met en péril cette recherche de liberté prenant part au processus de l’oeuvre cinématographique. Le

47 Georges Bataille. Oeuvres Complètes V: La somme athéologique, I. Paris, Gallimard, 2009. p. 17.  

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frivole est présent dans la praxis et non dans sa finalité. La rationalisation des moyens de production artistique, notamment l’écriture d’un synopsis ou la rédaction d’un mémoire de maîtrise procèdent à l’annihilation de toute forme de frivolité. Néanmoins, la frivolité a pour moi son importance capitale dans l’écriture ou la réalisation du film. Le frivole persiste dans le processus, dans l’invisible.

Dans l’épilogue du livre monographique de Catherine Breillat, une question est posée : « La question de Sigmund Freud : “ Que veut une femme? ”, à laquelle les psychanalystes ont cherché en vain une réponse, l’oeuvre de Catherine Breillat répond : “ Elle veut tout49 ”. » Si la femme veut

tout, la ligne peut tout dire. En ce sens, l’animation de la ligne a été pour moi synonyme d’un langage singulier et féminin.

Figure 9 : Refoulement, 2015, format numérique, film d'animation, 03:29 min.

Bien que mon film Refoulement marque une recherche de liberté dans la forme et une forte construction poétique, le film est élaboré avec un scénarimage comme guide. Ainsi, le parcours de

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la ligne était planifié avant la réalisation du film. La recherche de liberté s’est produite avec le dessin de la ligne à l’encre de Chine. Le dessin a été en lui-même l’affirmation de ma frivolité. La mise en place d’un cadre très rationnel m’a permis de jouer avec la ligne dans l’abandon et la spontanéité.

Construction

La Grille est un film qui met en scène la représentation cartésienne de l’espace50 en opposition

avec l’apparition d’éléments organiques (plantes, pizza ou autre). En effet, la grille a pour usage de mettre en forme des représentations de modèles théoriques51 ou d’organiser l’espace afin d’y

appliquer une communication efficace et uniforme. Dans le cas de mon film La Grille, l’arrière-plan agit parfois de manière animée avec des éléments de la scène et à d’autres moments, il reste immobile et décoratif.

Figure 10 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min.

50 L’espace de l’arrière-plan est une grille.

51 La grille est un modèle théorique qui permet une organisation rationnelle d’éléments de même nature ou de nature diverse. Le

typographe allemand Jan Tschichold a mis de l’avant dans son travail l’utilisation de papiers normalisés et de polices de caractère standardisées. Ses travaux ont été reconnus par rapport à la normalisation de l’imprimé. On retrouve aussi la grille dans tous les logiciels de montage, d’édition et de comptabilité. La grille permet de simplifier et de compiler de nombreuses données afin de comprendre de manière plus efficiente des informations provenant de plusieurs sources différentes.

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Mon constat intime de ce film est que les éléments organiques tels que la pizza et les plantes prennent plus d’importance dans l’espace que la grille elle-même. En ce sens, la grille devient à certains moments un artifice décoratif de l’espace et à d’autres moments, elle prend son importance. Lorsqu’elle est visible, la grille joue un rôle esthétisant de l’espace, lorsqu’elle est invisible, elle permet de mettre en ordre et de créer l’unité dans une composition52. Dans le cas de

mon film, la quadrillage de l’espace est un élément constamment visible, brouillant peut-être même la mise en place des éléments de l’espace filmique. Les éléments organiques du film ne respectent pas toujours la grille de l’arrière-plan, par contre ces mêmes éléments respectent assurément la règle des tiers53. Ainsi, les éléments animés sont partie prenante d’une composition spatiale que la

grille soit visible ou non.

Figure 11 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min.

Par ailleurs, il est fascinant pour moi de créer des correspondances avec des éléments comme une plante et une pizza dans un espace soi-disant mathématique. L’idée de jumeler ces deux éléments vient tout d’abord d’une fascination esthétique de leur forme, mais aussi parce que ce sont des éléments liés aux plaisirs et à la vie. L’utilisation d’éléments organiques dans cet espace rationnel me permet de contrecarrer le sérieux de l’utilisation de la grille. Il s’agit peut-être d’une

52 Voir Kimberly Elam, Grid systems: principles of organizing type, New York, Princeton Architectural Press, 2003, 120 p.  

53La règle du tiers s’applique au cinéma, au dessin et à la photographie. Elle consiste à fixer un élément au 2/3 de la longueur d'un

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manière de célébrer la singularité. La frivolité peut s’appliquer à un univers permettant de créer des incohérences dans le genre narratif ou dans l’esthétique particulière du genre. On peut aussi décider de créer des singularités, des oppositions afin de renforcer la présence d’un élément par rapport à un autre. L’utilisation de la grille par rapport aux éléments insolites dans l’espace permet d’opérer une étrangeté, mais aussi de mettre l’accent sur les éléments organiques. Ce phénomène de contraste met de l’avant la spécificité de ce film, c’est-à-dire une tension entre un espace rationnel et la présence d’éléments organiques sans fonction. Comme le mentionne Georges Bataille : « Le non-sens est l’aboutissement de chaque sens possible54. » La singularité, l’absurde

offrent un potentiel virtuel de connexions et de liens sur l’imaginaire. L’imaginaire permet aussi un rapport entre l’intime et le personnel. D’ailleurs, Bataille affirme : « […] il fallait ne pas chercher loin, rentrer en soi-même au contraire pour y trouver ce qui manqua du jour où l’on contesta les constructions55. » Étant une construction de l’esprit, mais aussi un système présent dans plusieurs

domaines, la grille est révélée de manière contraire dans le film. Effectivement, il ne s’agit pas d’une grille qui agit de manière organisationnelle dans l’espace, il s’agit d’une grille qui joue avec l’espace. Sa présence artificielle nous amène à un rapport plus intime et singulier qui défie l’aspect cartésien habituel de la grille. Elle agit sous forme de contestation et ouvre sur l’imaginaire.

Figure 12 : La Grille, 2016, format numérique, film d'animation, 03:01 min.

54 Georges Bataille. Oeuvres Complètes V: La somme athéologique, I. Paris, Gallimard, 2009. p. 119. 55 Ibid., p. 21.

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La Grille est un film en continuité, mais aussi en rupture avec le premier film de ma trilogie. La métamorphose et la légèreté sont deux caractéristiques qui le distinguent du film Refoulement. Dans le film La Grille, la figure de la métamorphose est omniprésente dans tout le film par la présence animée de la plante. Dans Refoulement, c’est la ligne en constant changement qui constitue l’élément central du film. Bien que la plante soit une constante narrative du film, elle n’est pas le seul élément présent dans le récit à la différence de la ligne qui marque l’intégralité du film. Ainsi, la métamorphose est une figure toujours omniprésente, mais de manière beaucoup moins significative qu’elle l’a été dans mon film Refoulement. Aussi, La Grille est un film léger et figuratif qui s’oppose à l’approche de mon premier film. Bien qu’il soit minimaliste dans sa construction, Refoulement est un court métrage qui rappelle des similarités avec le cinéma structuraliste. Ainsi, le mouvement cinématographique prend le dessus sur la simplicité et la recherche de liberté. Dans La Grille, l’apparition d’éléments clairement figuratifs s’oppose à la présence formelle de la ligne. Bien que la ligne fait référence à un lexique intime et personnel, les éléments figuratifs de mon deuxième film sont plus éclatés et humoristiques. Ainsi, l’utilisation d’un arrière-plan construit de manière schématique et d’un avant-plan constitué de formes organiques a été pour moi une forme de liberté. L’agencement singulier de ces éléments a été un début de frivolité.

La Grille est un film qui s’est construit de manière progressive sans préparation narrative préalable telle que le scénario ou le scénarimage. J’ai préféré une approche plus intuitive du film me permettant ainsi une plus grande liberté dans la réalisation. L’utilisation de la grille m’a permis de contraster le récit et de valoriser les éléments figuratifs. Le potentiel de ce film se manifeste par l’imaginaire des liens suscités entre le fond et la forme.

Corps

Architecture sensible est le film qui complète ma trilogie et mes réflexions sur le cinéma d’animation. Il s’agit d’un film très court à propos de mes préoccupations actuelles sur la place de la femme par rapport à l’architecture. Le film est avant tout d’un exercice formel me permettant de comprendre l’interdépendance entre un monde fabriqué et l’espace réservé au corps féminin. Dans la culture populaire, la place de la femme est avant tout reléguée à l’espace domestique. Malheureusement, sa place dans l’espace domestique ne lui permet pas d’avoir sa place dans l’espace public, tel que mentionné dans New Space for Women : « The separation of the home

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environment from public life and the denial of the economic contribution of domestic work are still primary societal factors that lie behind women’s problem in relation to the home56. » L’espace privé

et l’espace public créent une forme de ségrégation entre la femme et l’homme. Dans mon film, je tente de mixer ces deux espaces afin qu’ils ne deviennent qu’un seul espace. Le corps de la femme et l’espace architectural s’alternent afin de créer un espace organique qui contraste avec des formes angulaires. Aussi, il est intéressant de constater que l’espace domestique n’est pas pensé par la femme selon ses propres besoins : « In general, houses are not designed by women, since women constitute a mere 1 percent of all registered architects; nor have women normally been consulted by designers of home environments. Indeed, rarely is there even a conscious recognition that women are predominant users of the home. As a result there is frequently a poor fit between the needs of women and the design of houses57. » Ainsi, les besoins de la femme

vis-à-vis l’espace domestique ne sont pas toujours une priorité dans la compréhension et la mise en place de ces espaces. D’une certaine manière, ce sont les femmes qui se sont adaptées à ce qu’on a créé pour elles. Dans le film Architecture sensible, les différentes postures qu’adopte mon personnage féminin sont des postures ajustées au format rectangulaire du film au même titre que l’espace domestique. L’espace filmique devient similaire à un espace de vie où le corps de la femme s’adapte.

56 Gerda R. Wekerle, Rebecca Peterson et David Morley. New Space for Women, Boulder, Éditions Westview Press, 1980. p.8. 57 Gerda R. Wekerle, Rebecca Peterson et David Morley. New Space for Women, op. cit., p.11.

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Figure 13 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min.

Dans mon troisième film, la figure de la métamorphose y est une fois de plus présente. L’esthétique du film se rapproche de mon court métrage La Grille. La métamorphose opère seulement sur le personnage de la femme. La femme adopte trois postures ajustées au cadre de l’écran. La transition entre chacune des métamorphoses permet un rapport fantastique à la construction rigide du film. La métamorphose du film Architecture sensible joue d’une certaine manière avec la limite du cadre filmique, alors que la métamorphose de la plante dans mon deuxième film était plutôt axée sur le jeu de la grille. On peut se demander si c’est la plante ou la grille qui devient ornementale, alors que dans le cas d’Architecture sensible, le corps de la femme joue un rôle prédominant dans la scène. Dans La Grille, l’arrière-plan agit parfois comme un motif esthétique et d’autres fois comme un personnage dans la scène. L’arrière-plan d’Architecture sensible est très nettement anodin par rapport aux éléments qui sont placés dans l’espace. L’espace filmique et les métamorphoses diffèrent entre les deux films et permettent une lecture différente des éléments animés. La métamorphose du corps de la femme se marie à l’espace écranique alors que la métamorphose de la plante marque plutôt un rapport d’opposition avec l’arrière-plan. Ainsi, l’utilisation de la métamorphose dans le film La Grille diffère de l’utilisation faite dans Architecture sensible.

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Figure 14 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min.

La ligne dessinée à la main et la ligne vectorielle s’opposent afin de faire apparaître des figures dissemblantes et un sens divergent. Les corps féminins sont dessinés à la main avec des courbes gracieuses alors que l’architecture est dessinée à l’ordinateur de manière géométrique et angulaire. J’imagine la traduction sonore de la ligne vectorielle sous forme d’un bruit au volume constant, alors que la ligne dessinée à la main se manifesterait sous forme de saccade sonore avec des irrégularités de volumes. Effectivement, le rapport entre le dessin à la main et les dessins produits par ordinateur marque un changement esthétique dans la juxtaposition des dessins de deux natures différentes. J’ai choisi le dessin vectoriel afin de bien rendre l’aspect architectural. Un trait bien droit et net à l’image de l’architecture, alors que le corps de la femme a été dessiné à la main. Ainsi, l’imperfection de la ligne rend bien le corps. Le commentaire de Marcel Jean concernant le peintre par rapport au cinéaste d’animation me permet de justifier mon utilisation de la ligne : « […] je crois que le cinéaste d’animation, contrairement au peintre ne pense généralement pas en termes de composition à partir d’un point originel, mais plutôt en termes de mouvement à partir d’un premier trait58. » Ainsi, le trait imparfait de la ligne évoque pour moi de

manière plus spontanée le mouvement. Dans La main qui pense, Juhani Pallasmaa dit : « Les projets entièrement conçus par ordinateur ne manquent pas d’une certaine séduction, du moins en apparence, mais ils appartiennent en réalité à un monde où l’observateur n’a ni peau, ni mains, ni

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corps. Le concepteur lui-même reste à l’extérieur de son corps et de son travail de conception. L’ordinateur est un outil pour un observateur sans corps59. » Ainsi, la métamorphose du corps

féminin est vive et animée lorsqu’elle est dessinée à la main, tandis que l’architecture est plutôt de nature fixe et mathématique au même titre que son outil de conception, l’ordinateur. Dans mon film, ce qui rend l’architecture sensible, c’est son rapport au corps féminin.

Figure 15 : Architecture sensible, 2017, format numérique, film d'animation, 01 min.

Le film Architecture sensible permet un va-et-vient entre un monde habitable et le cadre filmique. Le corps féminin s’adapte à l’écran au même titre qu’il s’adapte à l’architecture. Les lignes droites et les lignes courbes s’entremêlent afin de créer un rapport d’échange entre le sensible et l’insensible. Dans le cas de la ligne courbe, elle permet de bien rendre le mouvement et la métamorphose, alors que dans le cas de la ligne droite, elle est l’expression d’une constance et d’une rigidité de l’espace architectural. Le tout se disloque afin de créer un monde sensible.

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Fétichisme des formes

Le frivole me permet de pousser mes formes et mes obsessions à travers divers langages. Ce que je nomme « le fétichisme des formes » agit comme la transposition d’une idée formelle d’un langage à l’autre. De la céramique à l’animation, il y a donc une correspondance tangible ou intangible qui lie les éléments les uns aux autres. L’obsession formelle ou idéelle est transmise par le fétichisme.

Le fétichisme est un motif qui témoigne d’une obsession. Pour Karl Marx, le fétichisme est lié au concept de marchandisation et de capitalisme. En histoire de l’art, le concept de fétiche est conjoint à la marchandisation de l’oeuvre d’art et à sa valeur. Comme il est mentionné dans la publication de Valerie Steele : « [dans] le concept de “ fétichisme de la marchandise ”, Karl Marx analyse le phénomène en termes de mauvaise conscience et d’aliénation trouvant une pseudo-compensation dans la consommation : dépourvu de toute conscience de classe, l’ouvrier fabriquant les objets leur confère une valeur “ secrète ” qui fait de chacun d’eux un “ hiéroglyphe social ” exigeant d’être décodé60. » L’analyse marxiste du fétiche est avant tout un regard cynique

sur le capitalisme et la consommation. Néanmoins, je crois que l’on peut différencier le produit de l’objet d’art. Pour moi, la fétichisation dans un contexte artistique peut avoir une vocation sacrée ou profane, mais surtout le fétiche peut devenir intime sans être social. Son appartenance au domaine du sacré lui permet d’affirmer une autonomie dans sa signification.

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Par la suite, l’idée de transposition d’un type d’art à un autre permet la survivance du fétiche. Comme le mentionne Michel Maffesoli :

[c]haque époque a ses idées obsédantes qui, bien sûr, sont rien moins que personelles. Celles-ci se retrouvent de diverses manières dans toutes ces expressions sociétales que sont la littérature, les modes de vie, les multiples formes culturelles, sans oublier les idéologies, qu’elles soient politiques, journalistiques ou savantes. Une de ces idées obsédantes qui, d’une manière transversale, parcourt toutes les civilisations, est dans le sens simple du terme la vie morale61.

Le fétiche s’affirme à travers l’esthétique comme un recours à l’obsession, son moyen d’expression n’étant qu’un prétexte à transmettre cette idée.

Enfin, la sacralisation d’une idée permet un processus de fétichisation. Dans une perspective anthropologique, le fétiche est un rituel accordé à l’objet dans un contexte de valorisation sociale ou spirituelle. Comme il est mentionné par Valerie Steele : « Le mot fétiche peut désigner deux choses : une amulette, petit objet aux vertus magiques, ou un objet fabriqué mettant en oeuvre tout un réseau de signes et d’apparences. Les premières réflexions sur le fétichisme sont d’ordre religieux et anthropologique62. » L’organisation symbolique autour du fétiche permet de lui

accorder une place dans la sphère du sacré.

Entre le produit et l’objet d’art

Dans la philosophie marxiste, le fétiche occupe une place particulière. Je souhaite nuancer les différences qui subsistent entre le fétiche de Karl Marx et celui présent dans ma pratique. Pour Marx, le fétiche est lié à la valeur marchande d’un produit dans un contexte spécifiquement capitaliste. Ainsi, la fétichisation de la marchandise permet d’accorder une certaine valeur à un produit. Ce type de fétichisation crée une réification des relations sociales en valorisant la hiérarchisation de la marchandise. Pour moi, le fétiche occupe plutôt une valeur relative à l’objet d’art du point de vue de l’artiste et non du point de vue du marché de l’art.

Une valeur intangible (marchande) est attribuée aux produits de consommation. Le fétichisme de la marchandise sacralise les produits et influence les rôles sociaux entre individus. Pour Karl Marx : « Le fétichisme de la marchandise c’est justement le fait qu’un rapport social des hommes

61 Michel Maffesoli, Au creux des apparences: Pour une éthique de l’esthétique, Paris, Éditions La Table Ronde, 2007, p. 21. 62 Valerie Steele, Fétiche: Mode, sexe et pouvoir, Paris, Éditions Abbeville, 1997, p. 10.  

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entre eux se présente comme un rapport des choses entre elles; en l’occurrence la valeur des marchandises, à travers laquelle s’organise leur échange, est socialement perçue comme leur attribut naturel, alors qu’elle est générée par des rapports de production spécifique63. » Cet

échange entre les choses et les individus consiste à transformer des objets en marchandise. Bien que j’accorde une valeur de fétichisation à mes objets, ce ne sont pas pour moi des produits, mais bien des objets. Le premier regard que j’adopte avec mes objets n’est pas un regard mercantile. Les objets ont pour moi une valeur tangible et intangible, à la fois sacrée et profane. Les objets que je produis s’expérimentent dans un cadre intime et personnel en dehors du cadre de marchandisation.

Bien que le fétiche de la théorie de Marx soit associé à la valeur marchande d’un produit, je considère que dans ma pratique le fétiche est attribué de manière intime et personnelle d’une chose à une autre. Le fétiche peut être une idée, un objet, une imperfection, un détail. Pour moi, le fétiche est pluriforme au même titre que la frivolité et il s’exerce de manière indistinctible64. Sa

transposition est parfois anodine, peu significative, mais elle est présente. Ainsi, l’objet-fétiche se dissocie de sa valeur marchande.

Transposition

La transposition du langage du cinéma d’animation à un langage plastique tel que la céramique permet l’affirmation du fétiche. Les dessins en mouvement sont ainsi fixés dans une matière tridimensionnelle permettant de créer un rapport à l’objet, mais aussi, de faire vivre l’obsession de son langage plastique par le biais des autres formes. Le fétichisme des formes agit entre les langages comme l’extension d’une l’idée, l’abstraction de l’objet.

63 Antoine Artous, Marx et le fétichisme: le marxisme comme théorie critique, Paris, Éditions Syllepse, 2006, p.13. 64 Le fétiche est indistinct et incompréhensible.  

Figure

Figure 1 : Choses frivoles, 2016, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, installation
Figure 2 : Sans titre, 2015, dimensions variables, les Ateliers du Roulement à billes, installation d'estampes numériques
Figure 3 : Main, 2015, 13 cm x 6 cm, dessin.
Figure 4 : Femme au bureau, 2016, 27,94 cm x 43,18 cm, estampe numérique.
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Références

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