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Sur l’homologie des groupes unitaires à coefficients
polynomiaux
Aurélien Djament
To cite this version:
Aurélien Djament. Sur l’homologie des groupes unitaires à coefficients polynomiaux. Journal of
K-theory, 2012, 10 (1), p. 87-139 ; doi:10.1017/is012003003jkt184. �hal-00584141v4�
Sur l’homologie des groupes unitaires à
coefficients polynomiaux
Aurélien DJAMENT
4 janvier 2012
Table des matières
1 Un cadre pour l’homologie stable 6
2 Outils d’annulation en homologie des foncteurs 9
2.1 Version abstraite des résultats d’annulation de Scorichenko . . . 10 2.2 Application aux foncteurs polynomiaux . . . 12 2.3 Utilisation dans certaines catégories monoïdales . . . 14 3 Un résultat de symétrisation en homologie des foncteurs 18 4 Homologie stable des groupes unitaires à coefficients
polyno-miaux : premiers résultats 20
5 Homologie stable des groupes unitaires dans le cas générique 24 5.1 Le résultat principal . . . 24 5.2 Cas particulier : les résultats de Scorichenko sur la K-théorie stable 26 5.3 Exemples de calculs . . . 27 6 Homologie stable des groupes unitaires dans quelques cas non
génériques 31
6.1 Le cas semi-simple . . . 33 6.2 Cas des coïnvariants pour les groupes On . . . 35
6.3 Anneaux d’entiers de corps de nombres . . . 38
A Homologie des foncteurs 44
A.1 Généralités . . . 44 A.2 Quelques propriétés des catégories F(A) . . . 47
Introduction
Présentation des principaux résultats Nous nous proposons de montrer que l’homologie des groupes unitaires sur un anneau A (muni d’une anti-involu-tion), à coefficients tordus par un foncteur polynomial raisonnable (par exemple, une puissance tensorielle de la représentation tautologique), peut se calculer sta-blement à partir de l’homologie à coefficients constants des mêmes groupes et de groupes d’homologie des foncteurs que l’on peut déterminer explicitement dans
les cas favorables. Il s’agit d’une généralisation des résultats obtenus précédem-ment par l’auteur avec C. Vespa dans l’article [DV10], qui traite le cas où A est un corps fini. Signalons aussi qu’A. Touzé a établi dans [Tou10] des résultats analogues pour les groupes orthogonaux sur les corps finis vus comme groupes algébriques ; dans le présent article, on ne traitera que de groupes discrets.
Précisons un petit peu les choses. Dans un premier temps, limitons-nous aux groupes unitaires hyperboliques Un,n(A). Sous des hypothèses raisonnables (à
la Bass) sur A, l’homologie de ces groupes ne dépend plus de n dès lors que cet entier est assez grand devant le degré homologique (cf. l’article [MvdK02] de Mirzaii et van der Kallen). Ceci est vrai non seulement pour l’homologie à coeffi-cients constants, mais aussi pour l’homologie tordue par des coefficoeffi-cients polyno-miaux. Pour éviter toute hypothèse sur A, nous nous intéresserons à la colimite U∞,∞(A) de ces groupes et à son homologie (c’est en ce sens qu’on parle
d’homo-logie stable). Le calcul de cette homod’homo-logie à coefficients constants constitue un problème extrêmement ardu, même lorsque A est un corps, problème que nous n’abordons pas dans le présent travail. Les conjectures de Friedlander-Milnor (cf. [Mil83]) attestent de cette difficulté, mais des résultats partiels significatifs sont disponibles (voir notamment les articles [Kar80] et [Kar83] de Karoubi, utilisant de puissantes méthodes de K-théorie). Si l’on se restreint aux corps de carac-téristique nulle (l’un des cas les plus développés, pour les coefficients tordus, dans cet article), c’est d’ailleurs l’homologie rationnelle du groupe orthogonal ou unitaire infini qui nous intéresse, dont la conjecture de Friedlander-Milnor ne dit rien, mais qui s’avère plus accessible (voir l’appendice de [Mil83] et les travaux de Karoubi précités).
Nous montrons que, d’un autre côté, des groupes d’homologie dans la caté-gorie P(A) des A-modules à gauche projectifs de type fini (bien plus accessibles — on dispose par exemple de nombreuses annulations gratuites en degré homo-logique strictement positif si A est un corps de caractéristique nulle) permettent d’exprimer l’homologie à coefficients tordus polynomiaux à partir de l’homologie à coefficients constants. Plus précisément (cf. § 5.1) :
Théorème 1. Soient A un anneau muni d’une anti-involution, F un foncteur polynomial de la catégorie P(A) vers les groupes abéliens et n un entier. Il existe un isomorphisme de groupes abéliens
colim
i∈N Hn(Ui,i(A); F (A
2i)) ≃ M p+q=n
Hp(U∞,∞(A); TorP(A)q (Z[T ], F ))
où T est le foncteur ensembliste contravariant des formes hermitiennes (éven-tuellement dégénérées) et le groupe U∞,∞(A) = colim
i∈N Ui,i(A) opère trivialement
sur TorP(A)
q (Z[T ], F ).
À titre d’application, nous obtenons, au corollaire 5.10, le résultat suivant : Théorème 2. Soient A un anneau commutatif sans torsion (sur Z) où 2 est inversible et d ∈ N. Le groupe abélien gradué
colim
i∈N H∗(Oi,i(A); (A 2i)⊗d)
est nul si d est impair et isomorphe, pour d = 2n, à la somme directe de (2n)! 2n.n!
copies de
H∗ O∞,∞(A); (A ⊗ M∗)⊗n
(avec action triviale du groupe orthogonal), où le groupe abélien gradué M∗ est
l’homologie de Mac Lane de Z (qu’ont calculée Franjou et Pirashvili).
Signalons également que, les groupes linéaires sur un anneau A étant des groupes unitaires sur Aop× A (muni de l’anti-involution canonique), nos
résul-tats s’appliquent aussi à l’homologie stable des groupes linéaires à coefficients polynomiaux. Ils nous permettent de retrouver un théorème important de Sco-richenko (cf. [Sco00]) qui peut s’exprimer par l’isomorphisme entre K-théorie stable et homologie des foncteurs pour des coefficients polynomiaux — l’équiva-lence entre ce point de vue et celui de l’homologie des groupes qu’on privilégie ici est traitée de manière générale dans [DV10], nous n’y revenons donc pas (nous pourrions traduire nos résultats par des isomorphismes entre des groupes de K-théorie stable hermitienne et d’homologie des foncteurs).
Quittons maintenant le cas des groupes unitaires hyperboliques. Pour sim-plifier, supposons que A est un anneau commutatif contenant 1/2 et qu’on s’in-téresse aux groupes orthogonaux On(A) associés aux formes Pni=1Xi2 sur An.
Dans certains cas (notamment celui des corps finis étudié dans [DV10], où une telle forme est hyperbolique pour tout n pair), le groupe orthogonal infini O∞(A)
qu’on obtient par colimite sur n a la même homologie que O∞,∞(A) pour des
raisons formelles ; néanmoins, en général, leur comportement homologique dif-fère largement. Par exemple, le problème de la stabilité homologique (même à coefficients constants) pour On(A) s’avère plus ardu que pour On,n(A) : des
conditions à la Bass sur A ne suffisent plus à la garantir, même lorsque A est un corps — on a besoin de conditions arithmétiques (cf. [Vog82] et [Col11]). Des difficultés similaires adviennent pour traiter d’homologie stable à coefficients polynomiaux dans un tel contexte : l’analogue du théorème précédent est par exemple en défaut, dès le degré homologique 0, pour A = Q[X] (cf. § 6.2). On peut toutefois obtenir des résultats partiels, par exemple :
Théorème 3. Soient A un sous-anneau de Q contenant 1/2 et d ∈ N. Le groupe abélien gradué
colim
i∈N H∗(Oi(A); (A i)⊗d)
est nul si d est impair et isomorphe, pour d = 2n, à la somme directe de (2n)! 2n.n!
copies de
H∗ O∞(A); (A ⊗ M∗)⊗n
(avec action triviale), où M∗ est l’homologie de Mac Lane de Z.
Ce résultat se déduit d’un théorème tout à fait semblable au théorème 1, comme le théorème 2 se déduit du théorème 1.
Lorsque A est un corps, nous pouvons nous affranchir de toute hypothèse arithmétique, obtenant par exemple :
Théorème 4. Soient k un corps commutatif de caractéristique nulle et n ∈ N∗.
On a colim i∈N H∗(Oi(k); Λ n Q(ki)) = 0 où Λn
Q désigne la n-ème puissance extérieure sur Q.
Nous citons ce résultat car, lorsque k est le corps des nombres réels, c’est une forme affaiblie d’un théorème de Dupont et Sah (qui inclut également un résultat
de stabilité), établi dans [DS90], qui constitue une étape cruciale dans leur ap-proche homologique de la résolution complète du troisième problème de Hilbert (caractérisation des polyèdres euclidiens équivalents par découpage par l’égalité des volumes et des invariants de Dehn). De fait, nos résultats fournissent un grand nombre de calculs stables d’homologie des groupes de Lie rendus discrets (moyennant la connaissance de leur homologie stable à coefficients constants, dans les cas qui ne se résument pas à de l’annulation), dans un cadre général indépendant des propriétés arithmétiques du corps de base.
Présentation des méthodes employées Le principe général des démons-trations est le même que celui suivi dans [DV10] : on commence par relier l’homologie stable des groupes unitaires (hyperboliques ou non) à coefficients tordus par un foncteur F à l’homologie de la catégorie des espaces hermitiens non dégénérés correspondants à coefficients dans F . Cela se fait de façon assez formelle, sans nécessiter d’hypothèse polynomiale sur F . Le point plus délicat consiste à montrer que l’inclusion de la catégorie des espaces hermitiens non dé-générés dans la catégorie de tous les espaces hermitiens induit un isomorphisme en homologie à coefficients polynomiaux. Ceci s’obtient en établissant que la deuxième page de la suite spectrale de Grothendieck associée à l’extension de Kan déduite de cette inclusion est nulle hors de la première colonne. Le procédé utilisé dans [DV10], reposant sur l’analyse explicite d’une catégorie de fractions très difficile à généraliser sur un anneau quelconque, a été modifié et simplifié, à l’aide de résultats d’annulation homologique dans les catégories de foncteurs remarquablement simples et efficaces développés par Scorichenko (cf. [Sco00]).
Dans le cas des groupes unitaires de type hyperbolique, l’application du critère de Scorichenko s’obtient sans trop de peine. Sur des corps, on peut rai-sonner de façon directe pour traiter de groupes de type On (plutôt que On,n).
Les résultats partiels que nous obtenons sur certains anneaux (des localisés d’an-neaux d’entiers de corps de nombres) dans le cas non hyperbolique nécessitent un peu plus de travail : on a besoin de plusieurs lemmes établissant stablement l’existence de morphismes quadratiques vérifiant certaines propriétés lorsque les obstructions évidentes à leur existence une fois les scalaires étendus au corps des fractions sont levées.
Organisation de l’article La section 1 rappelle, avec quelques variations, le cadre formel de [DV10] pour relier homologie des foncteurs et homologie stable de groupes à coefficients tordus.
La section 2 expose les résultats d’annulation de Scorichenko en homologie des foncteurs et met en place de manière abstraite les façons dont nous les appliquerons.
La section 3 est également préliminaire : on y établit un résultat de com-paraison homologique général mettant en jeu un foncteur en monoïdes abéliens et sa symétrisation. Le résultat semble nouveau, mais repose sur des techniques très classiques en homologie des foncteurs (utilisation de suites spectrales tirées de la construction barre).
Dans la section 4, on présente le cadre dans lequel on va utiliser les outils précédents : les objets hermitiens dans le contexte général d’une petite catégorie additive munie d’un foncteur de dualité ; on y donne un premier résultat de comparaison entre homologie stable des groupes unitaires (dans ce cadre) et
homologie des foncteurs.
La section 5 démontre les résultats annoncés plus haut pour les groupes de type hyperbolique1
, y compris l’application aux résultats de Scorichenko sur l’homologie stable des groupes linéaires et quelques exemples de calculs.
La section 6 présente nos incursions dans un cadre plus général (non nécessai-rement hyperbolique) : nous obtenons des résultats complets pour les catégories semi-simples, quasi complets pour le degré homologique nul, ainsi qu’un théo-rème plus difficile à obtenir (dont le théothéo-rème 3 se déduit) mais valable dans un cadre arithmétique assez restreint.
L’appendice rappelle quelques définitions, notations et propriétés élémen-taires de l’homologie des foncteurs, des extensions de Kan et de l’homologie de Hochschild dans ce contexte. On y énonce également quelques résultats utiles pour mener des calculs explicites.
Remerciements L’auteur est reconnaissant à Jean-Louis Cathelineau et Gaël Collinet d’avoir attiré son attention sur le troisième problème de Hilbert et l’ho-mologie des groupes de Lie rendus discrets. Il a aussi bénéficié d’échanges avec G. Collinet pour comprendre des phénomènes arithmétiques qui interviennent dans l’étude de certains groupes orthogonaux.
Il remercie Vincent Franjou de lui avoir procuré les travaux non publiés de Scorichenko ainsi que pour des conversations fructueuses sur l’homologie des foncteurs.
Il remercie également Christine Vespa et Antoine Touzé pour plusieurs dis-cussions utiles à la réalisation de ce travail.
L’auteur a bénéficié du contrat ANR BLAN08-2_338236 (HGRT : nouveaux liens entre la théorie de l’homotopie et la théorie des groupes et des représenta-tions). Il ne soutient pas pour autant l’ANR, dont il revendique le transfert des moyens aux laboratoires sous forme de crédits récurrents.
Quelques notations et conventions
1. On note Z[−] le foncteur adjoint à gauche au foncteur d’oubli des groupes abéliens vers les ensembles — autrement dit, Z[E] = Z⊕E.
2. Tous les produits tensoriels de base non spécifiée sont pris sur Z. 3. Si A est un anneau commutatif et n un entier naturel, on note Sn
A, TAnet ΛnA
respectivement les endofoncteurs n-ème puissance symétrique, tensorielle et extérieure des A-modules à gauche. L’omission de l’indice A indique le choix par défaut de l’anneau des entiers.
4. Si C est une catégorie, on note Ob C sa classe d’objets, C(a, b) l’ensemble des morphismes de source a et de but b dans C et Copla catégorie opposée
à C.
5. Si C est une petite catégorie, on note C − Mod la catégorie des foncteurs de C vers la catégorie Ab des groupes abéliens et l’on pose Mod − C = Cop− Mod.
6. Si F : A → B est un foncteur entre petites catégories, on notera F∗ :
B − Mod → A − Mod le foncteur de précomposition par F ; par abus, on
1. On parle aussi de situation générique car tout espace hermitien non dégénéré se plonge dans un espace hermitien hyperbolique.
notera de la même façon la précomposition Mod − B → Mod − A par le foncteur Aop→ Bop correspondant canoniquement à F .
D’une manière générale, on désignera souvent par une étoile en haut (resp. en bas) l’effet sur un morphisme d’un foncteur contravariant (resp. cova-riant) clair dans le contexte.
7. Si C est une catégorie et T : C → Ens un foncteur vers la catégorie des ensembles, on note CT la catégorie dont les objets sont les couples
(c, x) formés d’un objet c de C et d’un élément x de T (c), les morphismes (c, x) → (d, y) étant les morphismes f : c → d de C tels que T (f )(x) = y ; on note πT : CT → C (c, x) 7→ c le foncteur canonique.
Si U est un foncteur Cop→ Ens, on note CU = ((Cop)
U)op et l’on désigne
par πU : CU → C le foncteur correspondant à π
U entre les catégories
opposées.
8. Si A est une catégorie, on note M(A) la sous-catégorie des monomor-phismes scindés de A et S(A) la catégorie ayant les mêmes objets que A et dont les morphismes sont donnés par
S(A)(a, b) = {(u, v) ∈ A(b, a) × A(a, b) | u ◦ v = Ida}
de sorte que M(A) est l’image du foncteur S(A) → A égal à l’identité sur les objets et associant v à un morphisme (u, v).
D’autres notations générales sont introduites en appendice.
1
Un cadre pour l’homologie stable
(Ce cadre est essentiellement celui de [DV10], à ceci près qu’on ne se fixe plus de sous-suite cofinale, ce qui motive l’introduction de la notion de tranche ci-après.)
Soit (C, ⊕, 0) une petite catégorie monoïdale symétrique dont l’unité 0 est un objet initial. On dispose donc, pour tous objets a et b de C, d’un morphisme canonique a ≃ a ⊕ 0−−−−−−→ a ⊕ b ; toute flèche notée a → a ⊕ b sans autrea⊕(0→b) indication désignera par défaut ce morphisme. On fait également l’hypothèse suivante : il existe un foncteur
AutC: C → Grp
qui envoie tout objet de C sur son groupe d’automorphismes, tout isomorphisme de C sur la conjugaison qu’il définit, et toute flèche canonique a → a ⊕ b vers le morphisme AutC(a) → AutC(a ⊕ b) induit par le foncteur − ⊕ b. On demande
enfin à ce foncteur que tout f ∈ C(a, b) soit AutC(a)-équivariant, où b est muni
de l’action déduite de f∗: AutC(a) → AutC(b), i.e. que, pour tout ϕ ∈ AutC(a),
le diagramme a f // ϕ b f∗(ϕ) a f // b commute.
On suppose aussi vérifiée l’hypothèse suivante :
(transitivité stable de l’action des groupes d’automorphismes) pour tout mor-phisme f : a → b de C, il existe un automormor-phisme ϕ de a ⊕ b faisant commuter le diagramme suivant. a f // ''O O O O O O O O O O O O O O b // a ⊕ b a ⊕ b ϕ OO
Si F est un objet de C − Mod, on définit Hst
∗ (C; F ) := colim
c∈C H∗(AutC(c); F (c))
(l’hypothèse d’équivariance précédente permet de définir les flèches). On peut remplacer C par des catégories plus petites, en particulier remplacer la colimite par une colimite filtrante. Pour cela, introduisons la définition suivante : Définition 1.1. On dit qu’une sous-catégorie C′ de C en est une tranche si elle vérifie les conditions suivantes.
1. Pour tout objet c de C, il existe un morphisme (dans C) de source c et de but dans C′.
2. La catégorie C′est un ensemble ordonné cofinal à droite, c’est-à-dire qu’elle
est squelettique, qu’il existe au plus un morphisme entre deux objets de C′ et qu’étant donnés deux objets a et b de C′ existe c ∈ Ob C′ tel que
C′(a, c) et C′(b, c) soient non vides.
On observe que :
1. la catégorie C possède toujours des tranches (par le lemme de Zorn) ; 2. si C′ est une tranche et c un objet de C, on dispose d’un morphisme de
groupes
AutC(c) → colim
x∈C′ AutC(x)
bien défini à conjugaison près (utiliser l’hypothèse de transitivité stable) ; 3. par conséquent, pour toute tranche C′et tout F ∈ Ob C −Mod, on dispose
d’un isomorphisme canonique H∗st(C; F )
≃
−→ colim
x∈C′ H∗(AutC(x); F (x))
dont le but s’identifie à H∗(colim
x∈C′ AutC(x); colimx∈C′ F (x))
en vertu du caractère filtrant de C′.
(Ces observations permettent d’établir le lien avec le point de vue de [DV10], qui revient essentiellement à choisir une tranche dénombrable à C.)
Supposons qu’on ait fait le choix d’une tranche C′. Posons
G∞:= colim
et
F∞:= colim x∈C′ F (x)
(qui ne dépendent, à isomorphisme près, pas de C′, mais l’isomorphisme n’est
pas canonique).
On considère par ailleurs les hypothèses suivantes :
Définition 1.2. On dit que la catégorie monoïdale C vérifie l’hypothèse : – (H faible) si pour tous objets a et i de C, le morphisme canonique AutC(a) →
AutC(a ⊕ i) induit un isomorphisme de AutC(a) sur le stabilisateur de
i → a ⊕ i.
– (H forte) si pour tous objets a, b, i de C, l’application canonique C(a, b) → C(a ⊕ i, b ⊕ i) induit une bijection de C(a, b) sur l’ensemble des morphismes rendant commutatif le diagramme
i // !!C C C C C C C C a ⊕ i b ⊕ i
Remarque 1.3. Toutes les hypothèses introduites dans cette section sont stables par sous-catégorie pleine monoïdale de C.
Proposition 1.4 (Cf. [DV10], § 2.1). Sous l’hypothèse (H faible), il existe un isomorphisme gradué canonique
H∗st(C; F ) ≃ H∗(C × G∞; F )
où l’on note par abus encore F la composée de ce foncteur avec le foncteur de projection C × G∞→ C.
(Pour éviter le recours à une tranche, on peut écrire le membre de droite sous la forme colim
c∈C H∗(C × AutC(c); F ))
Démonstration. (On suit à peu de choses près [DV10] dans un cadre plutôt plus simple.)
Considérons, pour tout objet c de C, le foncteur AutC(c) → C × AutC(c)
dont les composantes sont l’inclusion d’image c et l’identité : il induit un mor-phisme de foncteurs homologiques H∗(AutC(c); F (c)) → H∗(C×AutC(c); F ). Par
passage à la colimite, on en déduit un morphisme de foncteurs homologiques Hst
∗ (C; F ) → H∗(C × G∞; F ) ; il suffit de vérifier que c’est un isomorphisme
lorsque F est un objet projectif PC
a = Z[C(a, −)] de C − Mod.
Le groupe gradué H∗(C×AutC(c); PaC) s’identifie canoniquement à H∗(AutC(c))
(grâce à la proposition A.3), tandis qu’on a H∗(AutC(c); Z[C(a, c)]) ≃
M
H∗(Stab)
où la somme est prise sur les orbites du AutC(c)-ensemble C(a, c), tandis que
Stab désigne les stabilisateurs correspondants. Via ces isomorphismes, notre morphisme est induit par les inclusions de ces stabilisateurs dans AutC(c). La
1. si c est de la forme a ⊕ i, le stabilisateur correspondant au morphisme canonique a → a ⊕ i s’identifie à AutC(i) (hypothèse (H faible)), et les
morphismes H∗(AutC(i)) → H∗(AutC(a ⊕ i)) induisent par passage à la
colimite sur i un isomorphisme ;
2. l’hypothèse de transitivité stable montre que l’image de toute orbite de C(a, c) dans C(a, a ⊕ c) est celle du morphisme canonique.
On dispose donc d’un lien étroit entre Hst
∗ (C; F ), l’homologie à coefficients
triviaux de G∞ et H∗(C; F ) :
Corollaire 1.5. Sous les mêmes hypothèses, on dispose d’isomorphismes natu-rels
Hnst(C; F ) ≃
M
p+q=n
TorCp(Hq(G∞; Z), F )
(où le membre de gauche du groupe de torsion est un foncteur constant) et d’isomorphismes (non nécessairement naturels)
Hnst(C; F ) ≃
M
p+q=n
Hp(G∞; Hq(C; F ))
(où G∞ opère trivialement).
(Cela s’obtient à partir de la proposition 1.4 par des arguments usuels d’al-gèbre homologique, voir par exemple [DV10], § 2.3 pour des détails). On peut ainsi penser à H∗(C; F ) comme à une K-théorie stable associée aux coefficients
définis par F , dans le contexte de la catégorie C (cf. ibidem).
Remarque 1.6. Le contexte général décrit dans cette section est susceptible d’un certain nombre de généralisations :
1. on peut remplacer les groupes d’automorphismes de la catégorie C par des groupes munis d’un morphisme naturel vers iceux, avec des hypothèses adaptées. Cela peut permettre, par exemple, dans les considérations sui-vantes, de remplacer les groupes linéaires ou orthogonaux par leurs ana-logues spéciaux (dans le cas d’un anneau de base commutatif) ;
2. l’hypothèse de transitivité stable est donnée sous une forme plus forte que ce dont on a réellement besoin (cf. [DV10] pour la condition mini-male utile) ; la restriction adoptée ici est motivée par sa simplicité et sa conservation par toute sous-catégorie monoïdale pleine, qui la rendent très naturelle ;
3. il n’est pas indispensable de travailler dans une catégorie monoïdale sy-métrique (on peut notamment souhaiter utiliser certaines sous-catégories remarquables non monoïdales d’une telle catégorie — par exemple pour traiter d’homologie stable de groupes orthogonaux du type On,i, où i est
fixé). Néanmoins, nous ne sommes pas parvenus à trouver des axiomes pleinement satisfaisants pour traiter de telles généralisations.
2
Outils d’annulation en homologie des foncteurs
Dans les deux premiers paragraphes de cette section, on présente des ré-sultats d’annulation en homologie des foncteurs remarquablement simples, gé-néraux et efficaces, dus à Scorichenko [Sco00]. Bien que nous ne fassions que suivre ses arguments, nous les reproduisons dans leur intégralité afin que le lec-teur dispose d’une présentation complète, avec nos notations, de ce travail resté non publié.
Dans le dernier paragraphe de la présente section, nous mettons en place un cadre général dans lequel s’inséreront nos applications des résultats de Scori-chenko.
2.1
Version abstraite des résultats d’annulation de
Scori-chenko
Dans cette section, on se donne des catégories abéliennes E1, E2, E3 et un
bifoncteur semihomologique à droite E1× E2 → E3 concentré en degrés
posi-tifs (Hn)n∈N, c’est-à-dire une suite de foncteurs Hn : E1× E2 → E3 telle que,
pour tout A ∈ Ob E1, H∗(A, −) soit additif et muni d’une structure de foncteur
homologique (morphisme de liaison donnant lieu à une suite exacte longue na-turelle pour toute suite exacte courte) — on pourrait imposer une condition de naturalité en A, mais ce ne sera même pas nécessaire. On suppose également que, pour tout B ∈ Ob E2, H∗(0, B) = 0.
On se donne aussi des endofoncteurs exacts Φ et Ψ de E1et E2respectivement,
munis de transformations naturelles σ : Φ → IdE1 et τ : Ψ → IdE2 de sorte
qu’existe un isomorphisme naturel gradué H∗(ΦA, B) ≃ H∗(A, ΨB) rendant
commutatif le diagramme H∗(ΦA, B) ≃ H(σA,B) // H∗(A, B) H∗(A, ΨB) H(A,τB) 55 k k k k k k k k k k k k k k
On note P la classe des objets A de E1 tels que σA= 0.
Notons Θ le noyau de τ. On définit des classes d’objets Sd de E2 comme
suit :
1. S0est la classe des B tels que τB soit un épimorphisme ;
2. pour d ∈ N∗, S
dest la classe des B tels que ΘiB (i-ème itération de Θ sur
B) appartienne à S0 pour 0 ≤ i ≤ d.
Proposition 2.1. Si A appartient à P et B à Sd, alors Hn(A, B) = 0 pour
n ≤ d.
Démonstration. On procède par récurrence sur d.
– Pour d = 0 : H0(A, τB) est un épimorphisme comme τB (H0(A, −) est
exact à droite), mais il est aussi nul puisqu’il s’identifie à H0(σA, B) et
que σA égale 0 (on rappelle que H∗(0, B) = 0). Donc son but H0(A, B)
– Si l’assertion est vraie pour Sd−1 et que B est dans Sd, la suite exacte
courte 0 → ΘB → ΨB τB
−−→ B → 0 procure une suite exacte Hd(A, ΨB) → Hd(A, B) → Hd−1(A, ΘB) ;
Hd−1(A, ΘB) est nul par l’hypothèse de récurrence, et la flèche Hd(A, ΨB) →
Hd(A, B) induite par τB est nulle comme σA (cf. cas précédent), d’où la
nullité de Hd(A, B).
On cherche maintenant, suivant Scorichenko, des critères plus maniables pour vérifier qu’un objet de E2 appartient à tous les Sd. On introduit pour cela
une première hypothèse supplémentaire :
Hypothèse 2.2. Il existe un endomorphisme γ du foncteur Ψ2tel que Ψτ ◦ γ = τΨ et τΨ◦ γ = Ψτ .
Proposition 2.3. Supposons que l’hypothèse 2.2 est vérifiée. Si A est un ob-jet de P et B un obob-jet de E2 tel que τB soit un épimorphisme scindé, alors
H∗(A, B) = 0.
On s’abstiendra de donner la démonstration (aisée) de cet énoncé, car le deuxième critère que nous énonçons maintenant (toujours suivant Scorichenko) est plus général — en effet, la condition que τB soit un épimorphisme scindé
s’avère souvent trop restrictive.
Pour cela, on suppose donnée une catégorie abélienne E4 et un foncteur
exact et fidèle R : E2 → E4. On note Sco la classe des objets B de E2 tels que
RτB : RΨB → RB soit un épimorphisme scindé de E4.
Hypothèse 2.4. Il existe un endofoncteur exact ¯Ψ de E4et une transformation
naturelle ¯τ : ¯Ψ → IdE4 munis d’un isomorphisme RΨ ≃ ¯ΨR faisant commuter
le diagramme RΨ Rτ // ≃ R ¯ ΨR ¯ τR == | | | | | | | |
Proposition 2.5(Scorichenko). Supposons les hypothèses 2.2 et 2.4 satisfaites. Si A est un objet de P et B un objet de Sco, alors H∗(A, B) = 0.
Démonstration. La fidélité et l’exactitude de R impliquent que, si RτB est un
épimorphisme, alors τBen est un également. Compte tenu de la proposition 2.1,
il suffit donc d’établir la stabilité de Sco par le foncteur Θ.
Soient B un objet de Sco et s une section de RτB. Notons s′ le morphisme :
RΨB ≃ ¯ΨRB −−→ ¯Ψs¯ ΨRΨB ≃ RΨ2B RγB −−−→ RΨ2B. Le diagramme commutatif ¯ ΨRB Ψs¯ // Id $$J J J J J J J J J ΨRΨB¯ ≃ // ¯ ΨR¯τB RΨ2B RγB // RΨτB RΨ2B RτΨB zztttt tttt t ¯ ΨRB ≃ // RΨB
montre que s′ est une section de Rτ ΨB.
De même, la commutation du diagramme RΨB ≃ // RτB $$I I I I I I I I I ΨRB¯ ¯ τRB ¯ Ψs //ΨRΨB¯ ¯ τRΨB %%K K K K K K K K K K ≃ // RΨ2B RτΨB RγB // RΨ2B RΨτB yytttt tttt t RB s // RΨB
montre que les sections s et s′ sont compatibles au morphisme τ
B : ΨB → B
au sens où le diagramme
RΨB s ′ // RτB RΨ2B RΨτB RB s // RΨB
commute, de sorte qu’elles définissent par passage aux noyaux une section de RτΘB.
2.2
Application aux foncteurs polynomiaux
Soit A une petite catégorie additive.
Si E est un ensemble fini non vide, on note tE: A → A le foncteur A 7→ A⊕E.
Ce foncteur est adjoint à lui-même, les foncteurs de précomposition TE qu’il
induit A − Mod → A − Mod et Mod − A → Mod − A (qu’on notera par abus de la même façon) sont donc munis d’un isomorphisme naturel
TorA∗(TE(X), F ) ≃ TorA∗(X, TE(F )). (1)
Si I est une partie de E, on note uI : Id → tE (la mention de E est omise
par abus) la transformation naturelle dont la composante Id → Id associée à e ∈ E est l’identité si e ∈ I et 0 sinon, et pI : tE → Id la transformation
naturelle « duale » (donnée par les mêmes composantes). On définit des trans-formations naturelles d’endofoncteurs de A − Mod
crEA,dir=
X
I⊂E
(−1)#I(uI)∗: Id → TE
(effet croisé direct ; # désigne le cardinal) et crA,invE = X
I⊂E
(−1)#I(pI)∗: TE → Id
(effet croisé inverse). Les exposants seront omis s’il n’y a pas d’ambiguïté. Pour tout foncteur F ∈ Ob A − Mod et tout entier d ∈ N, l’équivalence entre les propriétés suivantes est classique :
1. crA,dirE (F ) = 0 pour tout ensemble E de cardinal au moins d + 1 ;
2. crA,dir
E (F ) = 0 pour un ensemble E de cardinal d + 1 ;
3. crA,invE (F ) = 0 pour tout ensemble E de cardinal au moins d + 1 ;
(Cf. par exemple la référence originelle d’Eilenberg-Mac Lane [EML54], chap. II, d’où l’on peut aussi tirer que cette définition équivaut à exiger que la fonction A(a, b) → Ab(F (a), F (b)) qu’induit F soit polynomiale de degré au plus d pour tous objets a et b de A.)
Si ces conditions sont vérifiées, on dit que F est polynomial de degré au plus d. Un foncteur est dit analytique s’il est colimite de foncteurs polynomiaux (on peut toujours choisir cette colimite filtrante, ce qui permet de propager les propriétés d’annulation homologique des foncteurs polynomiaux aux foncteurs analytiques).
Pour la commodité de nos considérations ultérieures, on s’intéressera à la variante suivante des effets croisés. Supposons que (E, e) est ensemble fini pointé. On définit comme précédemment des transformations naturelles d’endofoncteurs de A − Mod
crE,eA,dir=
X
e∈I⊂E
(−1)#I(uI)∗: Id → TE
(effet croisé direct pointé) et crA,invE,e = X
e∈I⊂E
(−1)#I(p
I)∗: TE→ Id
(effet croisé inverse pointé).
On vérifie facilement que la condition que F est polynomial de degré au plus d équivaut encore à chacune des assertions suivantes :
1. crA,dir
E,e (F ) = 0 pour tout ensemble pointé (E, e) de cardinal au moins
d + 2 ; 2. crA,dir
E,e (F ) = 0 pour un ensemble pointé (E, e) de cardinal d + 2 ;
3. crA,inv
E,e (F ) = 0 pour tout ensemble pointé (E, e) de cardinal au moins
d + 2 ; 4. crA,inv
E,e (F ) = 0 pour un ensemble pointé (E, e) de cardinal d + 2.
Modulo l’identification (1), on dispose d’isomorphismes naturels TorA∗(cr
Aop,inv
E,e , Id) ≃ TorA∗(Id, cr A,inv
E,e ) (2)
(de même avec les effets croisés directs et les variantes non pointées).
Dans [Sco00] est établi le théorème suivant (pour l’homologie des bifoncteurs plutôt que les groupes de torsion entre deux foncteurs, et dans le cadre des effets croisés ordinaires plutôt que la variante pointée qu’on leur préfère ici pour des raisons techniques, mais la démonstration est identique). On y note θ : M(A) → A le foncteur d’inclusion de la sous-catégorie des monomorphismes scindés de A.
Théorème 2.6 (Scorichenko). Soient d ∈ N, (E, e) un ensemble pointé de cardinal d + 2, X ∈ Ob Mod − A et F ∈ Ob A − Mod. On suppose que :
– F est polynomial de degré au plus d ; – le morphisme θ∗cr
E,e(X) : θ∗TE(X) → θ∗X est un épimorphisme scindé
de Mod − M(A). Alors TorA
Démonstration. On applique le formalisme de la section 2.1 avec les choix sui-vants : E1 = A − Mod, E2 = Mod − A, E3 = Ab, H∗(A, B) = TorA∗(B, A),
Φ = TE, Ψ = TE, σ = crA,invE,e , τ = cr Aop,inv
E,e : les observations précédentes
montrent que les conditions requises sont satisfaites. L’hypothèse 2.2 est véri-fiée en prenant pour γ l’involution de (TE)2 ≃ TE×E intervertissant les deux
facteurs du produit cartésien.
On pose enfin E4= Mod− M(A) et l’on prend pour R le foncteur θ∗, qui est
fidèle puisque θ est essentiellement surjectif. Le foncteur ¯Ψ est donné comme TE
par la précomposition par A 7→ A⊕E (qui induit bien un endofoncteur de M(A))
et pour ¯τ la transformation naturelle donnée par la même formule que crAop,inv
E,e ,
ce qui fait sens puisque les morphismes pAop
I , correspondant aux morphismes uI
de A, sont bien dans M(A) lorsque I est une partie non vide de E. Le résultat est donc un cas particulier de la proposition 2.5. Corollaire 2.7. Soit X ∈ Ob Mod − A tel que le morphisme θ∗cr
E,e(X) :
θ∗T
E(X) → θ∗X est un épimorphisme scindé pour tout ensemble fini pointé
(E, e). Alors TorA∗(X, F ) = 0 si F ∈ Ob A − Mod est analytique.
Ces assertions constituent un raffinement du résultat suivant, qui est im-médiat (cas particulier de la proposition 2.1 en degré homologique nul) mais utile :
Proposition 2.8. 1. Supposons que (E, e) est un ensemble fini pointé de cardinal d+2 et G un objet de Mod−A tel que l’effet croisé pointé crE,e:
TE(G) → G soit surjectif. Alors G ⊗
AF = 0 pour tout F ∈ Ob A − Mod
polynomial de degré au plus d.
2. Si la surjectivité de crE,e: TE(G) → G a lieu pour tous les ensembles finis
pointés (E, e), alors G ⊗
AF = 0 pour tout F ∈ Ob A − Mod analytique.
2.3
Utilisation dans certaines catégories monoïdales
On commence par une propriété élémentaire très générale des extensions de Kan dérivées dans un contexte monoïdal :
Proposition 2.9. Soient n ∈ N, (C, ⊕, 0) une petite catégorie monoïdale symé-trique dont l’unité est objet initial et D une sous-catégorie monoïdale pleine de C. Notons ϕ : D → C le foncteur d’inclusion et X = Lϕ
n(Z) ∈ Mod − C (où la
notation Lϕ
∗ est définie par (12) dans l’appendice). Alors :
1. X est nul sur D ;
2. il existe un morphisme X(c) → X(c ⊕ d) naturel en les objets c de C et d de D qui est une section du morphisme X(c ⊕ d) → X(c) induit par la flèche canonique c ≃ c ⊕ 0 → c ⊕ d.
Démonstration. On rappelle (cf. remarque A.2) que X est donné par X(c) = ˜H∗(Dϕ∗C(c,−)).
Si c appartient à D, (c, Idc) est objet initial de Dϕ∗C(c,−), donc X(c) est nul.
Comme D est monoïdale, pour c ∈ Ob C et d ∈ Ob D, l’endofoncteur − ⊕ d de C induit un foncteur
qui induit un morphisme X(c) → X(c⊕d) naturel en c et d2
. La post-composition de ce morphisme avec le morphisme X(c ⊕ d) → X(c) induit par c → c ⊕ d est induite par le foncteur
Dϕ∗C(c,−)→ Dϕ∗C(c,−) (x, f ) 7→ (x ⊕ d, c → c ⊕ d
f ⊕Idd
−−−−→ x ⊕ d). Il existe une transformation naturelle de l’identité de Dϕ∗C(c,−)vers ce
fonc-teur, induite par la flèche canonique x → x ⊕ d, puisque le diagramme
c f //
x
c ⊕ d f ⊕Idd // x ⊕ d
commute. Ainsi, notre composée égale l’identité, d’où la proposition.
Dans la suite de ce paragraphe, on se donne une petite catégorie additive A et un foncteur monoïdal T : Aop → Ens. La structure monoïdale sur A est
celle donnée par la somme directe, et sur les ensembles par le produit direct ; on entend ici monoïdal au sens faible : on a des fonctions naturelles T (A) × T (B) → T (A ⊕ B) (et un élément de T (0)) vérifiant les conditions de cohérence habituelles. Il revient au même de se donner une factorisation de T à travers le foncteur d’oubli des monoïdes commutatifs vers les ensembles. On suppose également que T (0) est réduit à un élément. Alors la somme directe induit une structure monoïdale symétrique, notée ⊕ ou simplement ⊕, sur la catégorieT C = AT (voir 7 en fin d’introduction pour la notation) : (A, x)⊕ (B, y) estT
A ⊕ B muni de l’image de (x, y) par T (A) × T (B) → T (A ⊕ B), l’unité 0 (muni de l’unique élément de T (0)) est objet initial de C, et le foncteur canonique π = πT : C → A est monoïdal au sens fort (π(a ⊕ b) ≃ π(a) ⊕ π(b) avec
conditions de cohérence).
On se donne aussi une sous-catégorie pleine monoïdale D de C et l’on note ϕ : D → C l’inclusion.
Proposition 2.10. Supposons que la propriété suivante est vérifiée :
pour tout objet (A, x) de C, il existe y ∈ T (A) et d ∈ Ob D tel que (A, x + y) appartienne à D et que C((A, y), d) soit non vide.
Alors, pour tout foncteur X ∈ Ob Mod − C satisfaisant aux deux conditions de la proposition 2.9 et tout foncteur analytique F ∈ Ob A − Mod, on a X ⊗
C
π∗(F ) = 0.
Démonstration. On rappelle qu’on dispose d’un isomorphisme naturel (cf. ap-pendice) X ⊗ C π ∗(F ) ≃ π !(X) ⊗ AF où π!(X)(A) = M x∈T (A) X(A, x).
2. La naturalité en c est évidente (vraie au niveau des foncteurs) ; celle en d s’obtient grâce à une transformation naturelle, par un argument identique à celui utilisé pour terminer la démonstration.
Il suffit donc de montrer (cf. proposition 2.8) que, pour tout ensemble fini pointé (E, e), l’effet croisé
crE,e: π!(X)(A⊕E) → π!(X)(A)
est surjectif.
Soit x ∈ T (A) ; choisissons y ∈ T (A), d ∈ Ob D comme dans l’hypothèse et un morphisme a : (A, y) → d. Examinons la composée
X(A, x) → X((A, x) ⊕ d⊕E\e) X((A,x)⊕a
⊕E\e)
−−−−−−−−−−−→ X((A, x) ⊕ (A, y)⊕E\e) . . . ֒→ π!(X)(A⊕E) → π!(X)(A)
où la première flèche est donnée par la première propriété de la proposition 2.9 et la dernière est l’effet croisé pointé. Elle a une composante vers X(A, x) égale à l’identité (correspondant à la partie pointée {e} de E), puisque la première flèche est une section du morphisme induit par (A, x) → (A, x) ⊕ d⊕E\e. Si
maintenant I est une partie pointée de E à n + 1 éléments, le terme de l’effet croisé auquel contribue I arrive dans le facteur X(A, x + ny) de π!(X)(A) ; il
est induit par la flèche qu’induit uI : (A, x + ny) → (A, x) ⊕ (A, y)⊕E\e. Mais
celle-ci se factorise comme suit :
(A, x + ny) uI // δ )) S S S S S S S S S S S S S S S (A, x) ⊕ (A, y) ⊕E\e
(A, x + y) ⊕ (A, y)⊕I\{e,i} α 44 i i i i i i i i i i i i i i i i
où i est un élément arbitraire de E \ e, δ est la diagonale et α est donnée par la somme de la diagonale (A, x + y) → (A, x) ⊕ (A, y) et de la flèche canonique (A, y)⊕I\{e,i} → (A, y)⊕E\e.
Comme (A, x + y) ⊕ (A, y)⊕I\{e,i} appartient à D, X est nul sur cet objet,
de sorte que la composée qu’on étudie est l’identité. La proposition 2.8 donne donc la conclusion.
Corollaire 2.11. Sous les mêmes hypothèses sur C et D, pour tout foncteur analytique F ∈ Ob A − Mod, on dispose d’isomorphismes canoniques
H0(D; ϕ∗π∗F ) ≃ H0(C; π∗F ) ≃ Z[T ] ⊗ AF.
La proposition suivante généralise ce qui précède aux groupes de torsion supérieurs, sous des hypothèses supplémentaires.
Proposition 2.12. Supposons qu’il existe un endofoncteur Φ de C et une sous-catégorie B de C vérifiant les propriétés suivantes :
1. π ◦ Φ = π ;
2. si f est un morphisme de C tel que π(f ) appartienne à M(A), alors Φ(f ) appartient à B ;
3. pour tout objet c de C, la sous-catégorie K(c) de CC(Φ(c),−) formée des
4. de plus, il existe un objet f : Φ(c) → d de K(c) tel que la flèche ˜
c−→ c ⊕ Φ(c)g −−→ c ⊕ dc⊕f
où g est la flèche donnée par la diagonale π(c) → π(c) ⊕ π(c) (et ˜c est l’objet (π(c), x + y) de C, où c = (π(c), x) et Φ(c) = (π(c), y)) se factorise par un objet de D.
Alors pour tout foncteur X ∈ Ob Mod − C satisfaisant aux conditions de la proposition 2.9 et tout foncteur analytique F ∈ Ob A − Mod, on a
TorC∗(X, π∗(F )) = 0.
Démonstration. On va appliquer le corollaire 2.7 au foncteur π!(X) ∈ Mod − A
(ce qui suffit puisque l’isomorphisme d’adjonction rappelé dans la démonstration précédente, entre π! et π∗, s’étend aux groupes de torsion). On se donne un
ensemble pointé fini (E, e).
Soient c un objet de C et f : Φ(c) → d un objet de K(c). On définit sfc : X(c) → X(c ⊕ Φ(c)⊕E\e)
comme la composée
X(c) → X(c ⊕ d⊕E\e) X(c⊕f
⊕E\e)
−−−−−−−−→ X(c ⊕ Φ(c)⊕E\e)
(où la première flèche est donnée par la première propriété de la proposition 2.9). Vérifions que sf
c ne dépend en fait pas de f (de sorte qu’on notera seulement
sc cette flèche). Supposons pour cela que f et f′sont deux objets de K(c) reliés
par une flèche g : on dispose en particulier d’un diagramme commutatif Φ(c) f // f′ !!C C C C C C C C d g d′
dans C. On en déduit un diagramme commutatif
X(c) // &&L L L L L L L L L L X(c ⊕ d ⊕E\e) X(c⊕f ⊕E\e ) // X(c ⊕ Φ(c)⊕E\e) X(c ⊕ d′⊕E\e) X(c⊕g⊕E\e) OO X(c⊕f′⊕E\e) 33 g g g g g g g g g g g g g g g g g g g
(le triangle de gauche commute en raison de la naturalité des sections de la proposition 2.9) qui montre que sf
c = sf
′
c , lorsqu’une flèche de K(c) relie f et f′.
L’hypothèse de connexité de la catégorie K(c) établit donc l’indépendance en f voulue.
Pour tout objet A de A, les différents morphismes s(A,x) constituent les
composantes d’un morphisme σA : π!(X)(A) → π!(X)(A⊕E). Montrons que
cette collection de morphismes définit une transformation naturelle θ∗π !(X) →
θ∗T
y ∈ T (B), x = T (u)(y) ∈ T (A) — de sorte que u induit un morphisme, encore noté u, (A, x) → (B, y) — et g : Φ(B, y) → d un objet de K(B, y). La deuxième hypothèse de l’énoncé implique que f = g ◦ Φ(u) : Φ(A, x) → d est un objet de K(A, x). Le diagramme commutatif
X(B, y) // X(u) X((B, y) ⊕ d⊕E\e) X((B,y)⊕g ⊕E\e) // X(u⊕d⊕E\e) X((B, y) ⊕ Φ(B, y)⊕E\e) X(u⊕Φ(u)E\e)
X(A, x) // X((A, x) ⊕ d⊕E\e) X((A,x)⊕f
⊕E\e)
// X((A, x) ⊕ Φ(A, x)⊕E\e)
fournit l’égalité u∗◦ s
(B,y) = s(A,y)◦ u∗, puis u∗◦ σ(B,y)= σ(A,y)◦ u∗, d’où la
fonctorialité souhaitée.
La démonstration que σ est une section de l’effet croisé pointé associé à (E, e) repose sur la quatrième hypothèse et s’établit de la même façon qu’à la proposition 2.10.
Corollaire 2.13. Sous les mêmes hypothèses, pour tout foncteur analytique F ∈ Ob A − Mod, on dispose d’isomorphismes canoniques
H∗(D; ϕ∗π∗F ) ≃ H∗(C; π∗F ) ≃ TorA∗(Z[T ], F ).
3
Un résultat de symétrisation en homologie des
foncteurs
Soit A un monoïde commutatif. On note ˜A sa symétrisation et iA : A → ˜A
le morphisme de monoïdes canonique. Autrement dit, iA est l’unité, évaluée sur
A, de l’adjonction entre le foncteur d’oubli des groupes commutatifs vers les monoïdes commutatifs et la symétrisation (qui en est l’adjoint à gauche). Si M est un ensemble muni d’une action de A, on note jM : M → ˜M le morphisme de
A-ensembles initial parmi ceux dont le but est un ˜A-ensemble (dont l’action de A s’obtient par restriction par iA). Explicitement, ˜M est le quotient de A × M
par la relation d’équivalence identifiant (a, m) et (b, n) lorsqu’existe x ∈ A tel que x + b + m = x + a + n (la loi de A comme son action sur M sont notées additivement) — ainsi ˜A n’est autre que ˜M pour M = A muni de l’action par translations ; il est muni de l’action de ˜A donnée par (x−y)+[a, m] = [y+a, x+m] (où [a, m] désigne la classe de (a, m), qu’on peut donc lire comme −a + m).
On note que si M est le A-ensemble trivial ∗ (à un élément), alors ˜M est le ˜ A-ensemble trivial ∗. La propriété universelle de jM montre que cette application
n’est autre que l’unité (évaluée sur M ) de l’adjonction entre le foncteur d’oubli des ˜A-ensembles vers les A-ensembles et le foncteur ˜A ×
A− (qui lui est adjoint à
gauche) ; si l’on linéarise, jM induit l’unité Z[M ] → Z[ ˜A] ⊗
Z[A]Z[M ] ≃ Z[ ˜M ].
Proposition 3.1. Les applications iAet jM induisent un isomorphisme gradué
H∗(A; Z[M ]) ≃
−→ H∗( ˜A; Z[ ˜M ]) ;
en particulier iA induit un isomorphisme gradué
H∗(A) ≃
Démonstration. La Z[A]-algèbre Z[ ˜A] est la localisation obtenue en inversant les éléments de A, elle est donc plate. Par conséquent, l’isomorphisme naturel
ι(V ) ⊗
Z[A]W ≃ V ⊗Z[ ˜A]
Z[ ˜A] ⊗
Z[A]W
où V est un Z[ ˜A]-module à droite, W un Z[A]-module à gauche et ι : Mod − Z[ ˜A] → Mod − Z[A] désigne le foncteur d’oubli, s’étend en un isomorphisme gradué
TorZ[A]∗ (ι(V ), W ) ≃ Tor Z[ ˜A]
∗ V, Z[ ˜A] ⊗ Z[A]W
. La proposition est le cas particulier V = Z et W = Z[M ].
Dans ce qui suit, on note ¯Z[E] = Ker (Z[E] → Z[∗] = Z) pour tout ensenble E.
Corollaire 3.2. Il existe un morphisme naturel de complexes . . . // ¯Z[A]⊗(n+1)⊗ ¯Z[M ] // ¯ Z[A]⊗n⊗ ¯Z[M ] // . . . // ¯Z[M ] . . . // ¯Z[ ˜A]⊗(n+1)⊗ ¯Z[ ˜M ] // ¯Z[ ˜A]⊗n⊗ ¯Z[ ˜M ] // . . . // ¯Z[ ˜M ]
qui induit un isomorphisme en homologie.
Démonstration. On utilise la construction barre réduite (ou normalisée), qui est fonctorielle, et on applique la proposition précédente.
On s’intéresse maintenant à une généralisation « à paramètres » de ce qui précède. On suppose que A est une petite catégorie, A un foncteur contravariant de A vers les monoïdes abéliens, et l’on note ˜A : Aop → Ab sa symétrisation
(i.e. le foncteur obtenu en symétrisant au but), qui est munie d’un morphisme iA : A → ˜A. Plus généralement, si M est un foncteur contravariant de A vers
les ensembles qui est muni d’une action de A (i.e. on dispose d’un morphisme A × M → A vérifiant les conditions évidentes), on peut construire un foncteur
˜
M muni d’une action de ˜A, avec un morphisme d’unité jM : M → ˜M .
Par naturalité le corollaire 3.2 demeure valide dans ce contexte, dans la catégorie Mod − A.
Théorème 3.3. Supposons que la catégorie A est additive et que F est un foncteur polynomial (ou même analytique) A → Ab. Supposons également que A et M sont réduits au sens où leur valeur en 0 est réduite à un point.
Alors jM induit un isomorphisme gradué
TorA∗(Z[M ], F ) ≃
−→ TorA∗(Z[ ˜M ], F ).
En particulier, iA induit un isomorphisme
TorA∗(Z[A], F ) ≃
Démonstration. On établit le résultat par récurrence sur le degré polynomial d de F . Plus précisément, on montre par récurrence sur d que pour tout foncteur polynomial F de degré au plus d et tout foncteur ensembliste M muni d’une action du foncteur en monoïdes A, la conclusion du théorème est valide.
Si C• est un complexe (avec une différentielle de degré −1) de Mod − A,
rappelons qu’on dispose de deux suites spectrales naturelles d’hyperhomologie telles que
I1p,q= TorAq(Cp, F )
et
II2p,q= TorAp(Hq(C•), F )
(on indexe pour que la différentielle drsoit toujours de bidegré (−r, r − 1)) dont
les aboutissements sont isomorphes.
Appliquons cela aux complexes du corollaire 3.2 : sa conclusion montre que le morphisme de complexes induit un isomorphisme gradué II2 ≃−→ eII2, ce qui
implique que le morphisme de suites spectrales I → eI induit un isomorphisme entre les aboutissements.
Entre les premières pages, ce morphisme
I1p,q= TorAq(¯Z[A]⊗p⊗ ¯Z[M ], F ) → ˜I1p,q = TorAq (¯Z[ ˜A]⊗p⊗ ¯Z[ ˜M ], F )
est induit par iA est jM; vérifions que l’hypothèse de récurrence entraîne que
c’est un isomorphisme pour p 6= 0.
Comme la catégorie A est additive, les foncteurs diagonale A → A × A et somme directe ⊕ : A × A → A sont adjoints, ils induisent donc entre groupes de torsion un isomorphisme
TorA∗(¯Z[A]⊗p⊗ ¯Z[M ], F ) ≃ TorA×A∗ (¯Z[A]⊗p⊠ ¯Z[M ], ⊕∗F ) ;
et la proposition A.3 procure une suite spectrale E2
i,j= TorAi Z[A]¯ ⊗p, U 7→ TorAj (¯Z[M ], F (U ⊕ −))
· · · ⇒ TorA×Ai+j (¯Z[A]⊗p⊠ ¯Z[M ], ⊕∗F ).
Comme A et M sont réduits, ce terme E2
i,j s’identifie, pour p > 0, à
TorAi Z[A]¯ ⊗p, U 7→ TorAj(¯Z[M ], cr2(F )(U, −)).
Or cr2(F )(U, −) est de degré strictement inférieur à d, de sorte que l’hypothèse
de récurrence implique que jM induit un isomorphisme
TorAi Z¯[A]⊗p, U 7→ Tor A
j (¯Z[M ], F (U ⊕ −))
≃
−→ . . . TorAi Z[A]¯ ⊗p, U 7→ TorAj(¯Z[ ˜M ], F (U ⊕ −))
.
En appliquant inductivement la proposition A.3 au facteur ¯Z[A]⊗p(toujours
pour p > 0) et en utilisant derechef l’hypothèse de récurrence, cette fois-ci pour le foncteur A agissant sur lui-même par translations, on en déduit que iAet jM
induisent un isomorphisme
TorAi Z[A]¯ ⊗p, U 7→ TorAj (¯Z[M ], F (U ⊕ −))
≃
TorAi Z¯[ ˜A]⊗p, U 7→ Tor A
j(¯Z[ ˜M ], F (U ⊕ −))
, donc par ce qui précède un isomorphisme I1
p,q→ ˜I1p,q sauf peut-être pour p = 0.
Mais cela contraint notre morphisme à être également un isomorphisme pour p = 0, puisqu’on a vu que le morphisme de suites spectrales I → ˜I induisait un isomorphisme entre les aboutissements (son noyau et son conoyau, concentrés sur la ligne p = 0 à la page 1, s’y arrêtent nécessairement). Cela termine la démonstration.
Remarque 3.4. La méthode mise en œuvre dans cette démonstration est très classique en homologie des foncteurs ; par exemple, les articles [Pir93] et [FP98] utilisent fortement la résolution barre pour les groupes abéliens dans le contexte des catégories de foncteurs pour établir des résultats sur des groupes de torsion ou d’extensions entre foncteurs polynomiaux.
4
Homologie stable des groupes unitaires à
coef-ficients polynomiaux : premiers résultats
A étant une petite catégorie additive, on suppose donné un foncteur de dualité D : Aop → A, c’est-à-dire un foncteur vérifiant les trois conditions
suivantes :
1. D est auto-adjoint : on dispose d’isomorphismes naturels σX,Y : A(X, DY )
≃
−→ A(Y, DX) ; 2. D est symétrique au sens où σY,X = σ−1X,Y;
3. l’unité IdA→ D2 (qui coïncide avec la coünité par symétrie) est un
iso-morphisme (en particulier, D est une équivalence de catégories).
Il s’agit du cadre général classique pour traiter d’espaces hermitiens ou sym-plectiques — cf. par exemple [Knu91], chap. II, § 2.
Remarque 4.1. L’exemple canonique est celui où A = P(A) (cf. appendice A.2), où A est un anneau muni d’une anti-involution, et D la dualité usuelle (l’anti-involution permet de considérer HomA(M, A), où M est un A-module à gauche,
comme un A-module à gauche).
Nous verrons au paragraphe 5.2 un autre cas particulier important.
On notera ¯a pour σX,Y(a), où a ∈ A(X, DY ). Ainsi ¯a = a ; on dispose en¯
particulier, pour tout objet M de A, d’une involution distinguée sur A(M, DM ). On se donne ǫ ∈ {1, −1} (on pourrait faire légèrement plus général en suppo-sant que A est k-linéaire, où k est un anneau commutatif à involution, que D est k-semilinéaire et que ǫ est tel que ǫ.¯ǫ = 1, et remplacer au but des catégories de fonc-teurs Ab par k − Mod) et l’on note Zǫ la représentation Z de Z/2 avec action de
l’élément non trivial par ǫ.
On note T D2 le foncteur Aop→ Ab M 7→ A(M, DM ), qui est donc muni
d’une action de Z/2. On en définit un sous-foncteur ΓD2
ǫ et un quotient SD2ǫ
par
ΓDǫ2= HomZ/2(Zǫ, T D2) et SD2ǫ = Zǫ ⊗ Z/2T D
(de sorte que ΓD2(M ) = {f ∈ T D2(M ) | ¯f = ǫf }) ; on dispose d’un morphisme
de norme
SDǫ2→ ΓDǫ2 1 ⊗ x 7→ x + ǫ¯x
dont l’image est notée ¯SD2 ǫ.
Si 2 est inversible dans A (i.e. dans chaque groupe abélien A(M, N )), alors ces trois foncteurs coïncident.
Afin de traiter en même temps de ces différents foncteurs et d’éventuelles variantes, nous introduisons les hypothèses suivantes.
Hypothèse 4.2. On suppose que T : Aop → Ab est un foncteur muni d’un morphisme T → ΓD2
ǫ dont le noyau est additif 3.
Cette hypothèse s’applique en particulier à SD2
ǫ muni de la norme.
On utilisera aussi l’hypothèse plus faible suivante :
Hypothèse 4.3. On suppose que T est un foncteur contravariant de A vers les monoïdes commutatifs réguliers, dont la symétrisation vérifie l’hypothèse 4.2.
(Il revient au même de demander que T soit un sous-foncteur en monoïdes d’un foncteur vérifiant 4.2.)
Définition 4.4. Supposons que T vérifie l’hypothèse 4.3.
On appelle T -forme hermitienne sur un objet M de A tout élément de T (M ). Une telle forme est dite non dégénérée si l’élément de A(M, DM ) associé est un isomorphisme.
On note AT, selon nos conventions générales, la catégorie des objets de A
munis d’une forme T -hermitienne. On rappelle que les morphismes (M, x) → (N, y) de AT sont les morphismes f : M → N de A tels que T (f )(y) = x. On
munit la catégorie AT de la structure monoïdale symétrique (notée⊕) induiteT
par la somme directe de A et la structure monoïdale de T (cf. § 2.3).
On note HT(A) la sous-catégorie pleine de AT dont les objets sont les
espaces T hermitiens non dégérénés (i.e. les objets de A munis d’une forme T -hermitienne non dégénérée). C’est une sous-catégorie monoïdale de AT.
Exemple 4.5 (Cas fondamental). Soit A est un anneau muni d’une anti-involution et A = P(A) la catégorie additive avec dualité correspondante (cf. remarque 4.1). Si M est un objet de P(A), un élément de SD2
ǫ(M ) est exactement une forme
hermitienne (éventuellement dégénérée ; si A est commutatif et l’involution tri-viale c’est donc une forme quadratique) au sens usuel sur M , tandis qu’un élément de ΓD2
ǫ(M ) est exactement une forme sesquilinéaire sur M (notions
qu’on peut identifier lorsque 2 est inversible dans A, puisque la norme est alors un isomorphisme). Le foncteur ¯SD−1 correspond quant à lui à la notion usuelle
de forme symplectique (toujours éventuellement dégénérée).
On dispose d’un foncteur d’oubli πT : AT → A (noté souvent simplement π) ;
sa restriction à HT(A) se relève en un foncteur vers S(A) (catégorie définie en 8
en fin d’introduction) de la façon suivante : soient u : M → N est un morphisme de HT(A), r et s les éléments de A(M, DM ) et A(N, DN ) respectivement
associés aux formes sur M et N , on associe (r−1us, u) ∈ S(A)(M, N ) à u.¯
3. Un foncteur additif est un foncteur polynomial de degré au plus 1 et nul en 0, c’est-à-dire un foncteur commutant aux sommes directes finies.
Proposition 4.6. Sous l’hypothèse 4.3, la catégorie monoïdale symétrique HT(A)
vérifie les conditions de la section 1.
Démonstration. Par la remarque 1.3, on peut supposer, pour simplifier, que l’hypothèse forte 4.2 est satisfaite.
La structure fonctorielle sur les groupes d’automorphismes s’inspire du fonc-teur vers S(A) : avec les notations précédentes, le morphisme AutHT(A)(M ) →
AutHT(A)(N ) qu’induit u est donné par f 7→ uf r−1us + 1 − ur¯ −1us. Pour mon-¯
trer que ces morphismes préservent bien la forme sur N , on utilise l’hypothèse sur le noyau de T → ΓD2
ǫ (qui permet essentiellement de se ramener au cas où
ce morphisme est injectif4) : on a une identité quadratique
T (a + b)(x) = T (a)(x) + T (b)(x) + θ(¯b˜xa + ǫ¯a˜xb) (3) (pour une fonction additive θ convenable ; on désigne par ˜x l’image de x ∈ T (A) dans A(A, DA)) ; elle montre que les morphismes T (N ) → T (N ) induits par uf r−1us + 1 − ur¯ −1us et ur¯ −1us + 1 − ur¯ −1us = 1 sont les mêmes.¯
En conservant les mêmes notations pour un morphisme u de HT(A),
l’en-domorphisme φ de πM ⊕ πN donné par la matrice
0 r−1us¯
u 1 − ur−1us¯
est en fait un automorphisme involutif de M⊕ N (dans HT T(A)) comme on le
vérifie de façon analogue à ce qui précède, en utilisant l’identité quadratique (3), et il fait commuter le diagramme
M u // ''O O O O O O O O O O O O O O O N // M T ⊕ N M⊕ NT φ OO (4)
d’où la transitivité stable requise.
Enfin, l’hypothèse (H forte) est satisfaite, même sous une forme légèrement plus forte : soient H un objet de HT(A), r l’élément de A(M, DM ) sous-jacent,
M et N deux objets de AT. Tout morphisme M⊕H → NT ⊕H faisant commuterT
le diagramme H // !!C C C C C C C C C M T ⊕ H N⊕ HT est donné par une matrice
u 0
f 1
qui préserve les formes, ce qui implique rf = 0, i.e. f = 0 puisque r est inversible, donc que notre morphisme provient d’un morphisme M → N .
4. Le passage du cas de ¯SD2
ǫau cas général dans le lemme 5.2 ci-après, par exemple, peut
Par conséquent, la proposition 1.4 et le corollaire 1.5 entraînent : Proposition 4.7. Sous l’hypothèse 4.3, il existe des isomorphismes
Hst
∗ (HT(A); F ) ≃ H∗ HT(A) × UT∞(A); F
, Hnst(HT(A); F ) ≃ M p+q=n TorHT(A) p Hq(UT∞(A); Z), F
(où le membre de gauche du groupe de torsion est un foncteur constant) na-turels en F ∈ Ob HT(A) − Mod, où UT
∞(A) désigne la colimite des groupes
d’automorphismes d’objets de HT(A) prise selon une tranche (cf. § 1) et des
isomorphismes (non nécessairement naturels) Hnst(HT(A); F ) ≃ M p+q=n Hp UT∞(A); Hq(HT(A); F ) . Lorsque T = SD2
ǫ ou ¯SD2ǫ, on notera U∞,∞(A, D, ǫ) pour UT∞(A) car on
peut alors prendre une tranche constituée d’espaces hyperboliques, comme cela résultera du lemme 5.2 (la notion d’espace hyperbolique est rappelée ci-dessous) — dans le cas où A = P(A), où A est un anneau muni d’une anti-involution, et où l’on prend pour D la dualité usuelle et ǫ = 1, un choix distingué de tranche conduit à U∞,∞(A) = colim
n∈N Un,n(A), tandis que pour ǫ = −1 on obtient le
groupe symplectique infini Sp∞(A).
Espaces hyperboliques Soit V un objet de A ; supposons ici que l’on se trouve dans le cas générique, i.e. que T est le foncteur ¯SD2
ǫ ou SDǫ2(muni de la
flèche canonique vers ΓD2
ǫ). On note ˜V l’objet V ⊕ DV de A muni de la forme
correspondant dans la décomposition
T (V ⊕ DV ) ≃ T (V ) ⊕ T (DV ) ⊕ A(DV, DV )
à l’identité de DV . L’élément de A(V ⊕DV, D(V ⊕DV )) ≃ A(V ⊕DV, DV ⊕V ) correspondant a pour matrice
0 1 ǫ 0
, il est donc inversible : ˜V est un objet de HT(A), appelé espace hyperbolique associé à V . (Cette construction ne définit
pas un foncteur de A dans HT(A), puisque D est contravariant, mais seulement
un foncteur de la sous-catégorie des isomorphismes de A vers HT(A)). Il s’agit
d’une généralisation classique et très naturelle des espaces hermitiens (au sens usuel) hyperboliques qui correspondent au cas A = P(A) déjà mentionné.
Dans la section suivante, on utilise de façon essentielle les propriétés fonda-mentales des espaces hyperboliques pour relier l’homologie stable des groupes unitaires à coefficients polynomiaux à des groupes d’homologie des foncteurs dans le cas générique (au sens mentionné précédemment).
Le cas non générique, plus délicat (traité partiellement dans la dernière sec-tion), ne peut plus être abordé de la même manière. Le cas typique est fourni en considérant, sur P(A), où A est un anneau commutatif (avec l’involution triviale et ǫ = 1), les groupes orthogonaux « euclidiens » On(A) (avec le choix de T y
afférent — cf. section 6 ; cette situation peut évidemment se réléver générique dans certains cas particuliers, comme lorsque −1 est somme de carrés dans A).
5
Homologie stable des groupes unitaires dans le
cas générique
5.1
Le résultat principal
On considère encore, dans ce paragraphe, une petite catégorie additive avec dualité (A, D) et ǫ ∈ {−1, 1}.
Hypothèse 5.1. On suppose dans ce paragraphe que le foncteur T est soit ¯
SD2
ǫ soit SD2ǫ (munis de la flèche canonique vers ΓDǫ2).
On note dans la suite MAT la sous-catégorie de AT des morphismes f tels
que π(f ) ∈ M(A) (elle contient en particulier HT(A)).
Lemme 5.2. Soit V un objet de A. L’espace hyperbolique associé ˜V ∈ Ob HT(A)
vérifie les propriétés suivantes.
1. L’ensemble MAT((V, x), ˜V ) est non vide pour tout x ∈ T (V ). De surcroît,
on peut choisir un élément de cet ensemble qui possède une rétraction dans A indépendante du choix de x.
2. On peut de plus trouver un élément η de MAT((V, 0), ˜V ) tel que tout
morphisme de MAT de source (V, 0) et de but non dégénéré se factorise
par η.
3. Plus généralement, si ϕ : (V, 0) → (E, r) est un morphisme de AT tel que
rϕ : V → DE soit un monomorphisme scindé de A, alors ϕ se factorise par η.
4. Soient x ∈ T (V ), m : V → W un monomorphisme scindé de A et φ : (W, 0) → E un morphisme de MAT avec E non dégénéré. Il existe un
diagramme commutatif de MAT de la forme
(V, x) &&L L L L L L L L L L L L L 1⊕m // (V, x)⊕ (W, 0)T 1⊕φ // (V, x)⊕ ET ˜ V 77o o o o o o o o o o o o o
Démonstration. Soient x ∈ T (V ) et t ∈ A(V, DV ) un élément relevant x (on utilise les épimorphismes canoniques T D2։ SD2
ǫ ։ ¯SD2ǫ; autrement dit, dans
le cas de ¯SD2
ǫ, x = t+ǫ¯t). Alors le morphisme V → V ⊕DV de A de composantes
1V et t est un monomorphisme, scindé par la projection sur V (qui ne dépend
pas de x), qui définit un morphisme (V, x) → ˜V dans AT, d’où le premier point.
Prouvons le troisième (donc le deuxième) point dans le cas où T = ¯SD2 ǫ, par
exemple. Soit α : DE → V une rétraction dans A à rϕ. Il existe t ∈ A(DV, V ) tel que αr ¯α = ǫt + ¯t. Alors le morphisme f : V ⊕ DV → E de composantes ϕ et ǫ : ¯α − ϕt vérifie f η = ϕ (où η est le morphisme construit précédemment pour la forme nulle, i.e. l’inclusion V → V ⊕ DV ) et préserve les formes car
¯ f rf = ¯ ϕrϕ ǫ ¯ϕrα − ¯ϕrϕt ǫαrϕ − ¯t ¯ϕrϕ (ǫα − ¯t ¯ϕ)r(ǫ ¯α − ϕt) qui égale 0 1 ǫ 0 parce que αrϕ = 1V, ¯ϕrϕ = 0 et αr ¯α = ǫt + ¯t.
Pour le dernier point, l’assertion 3 permet de se ramener au cas où m = IdV et où φ est le morphisme vers ˜V construit précédemment. En ce cas, si
ϕ : (V, x) → ˜V et η : (V, 0) → ˜V sont les morphismes construits en début de démonstration et ψ : ˜V → V leur rétraction commune dans A, on vérifie aisément que le morphisme α : ˜V → (V, x)⊕ ˜TV de composantes ψ et 1 + (ϕ− η)ψ (qui est scindé par le morphisme de composantes η − ϕ et 1) préserve les formes, et il fait commuter le diagramme
(V, x) η A A A A A A A A A 1 ϕ // (V, x)⊕ ˜T V ˜ V α ;; w w w w w w w w w ce qui achève la démonstration.
Nous pouvons maintenant établir rapidement le résultat principal de cette section.
Théorème 5.3. Sous l’hypothèse 5.1, pour tout foncteur polynomial F ∈ Ob A− Mod, l’application canonique
H∗(HT(A); i∗π∗F ) → H∗(AT; π∗F ) ≃ TorA∗(Z[T ], F )
est un isomorphisme, où i : HT(A) → AT désigne le foncteur d’inclusion et,
comme plus haut, π : AT → A désigne le foncteur d’oubli.
Démonstration. On applique le corollaire 2.13 aux foncteurs HT(A) −→ Ai T −→π
A, avec le choix suivant : B = MAT et Φ : HT(A) → HT(A) est le foncteur
composé de π et de V 7→ (V, 0) A → AT. Les deux premières hypothèses de la
proposition 2.12 sont trivialement satisfaites.
La propriété 2 du lemme 5.2 montre que l’hypothèse de connexité requise est également vérifiée (les catégories concernées ont même un objet pseudo-initial). La propriété 4 du même lemme montre la validité de la dernière condi-tion (de factorisacondi-tion) nécessaire à l’applicacondi-tion de la proposicondi-tion 2.12 (ou du corollaire 2.13). Cela termine la démonstration.
Combinant le théorème 5.3 à la proposition 4.7, on obtient :
Corollaire 5.4. Sous les mêmes hypothèses, il existe des isomorphismes natu-rels Hnst(HT(A); F ) ≃ M p+q=n TorAp Hq(UT∞(A); Z) ⊗ Z[T ], F et des isomorphismes (non nécessairement naturels)
Hst n(HT(A); F ) ≃ M p+q=n Hp UT∞(A); Tor A q(Z[T ], F ) (où l’action de UT
∞(A) est triviale).
Dans le cas où A = P(k), k étant un corps fini, l’homologie à coefficients constants de la même caractéristique que k de UT
∞(A) est triviale, de sorte qu’on