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La caricature littéraire (1830-1870) : l'example de Balzac et de Hugo

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Texte intégral

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CARICATURE LITTt;BAIRE (1830-187~);

L'EXEMPLE DE BALZAC 'ET DE HUGO

par liliane Dubaux,

Département de I~ngue et littérature françaises'

McÇiIll University, Montré~~

MarS/1988 1

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'A ih8,SIS subrhltted to the

FaC~ItY ~f

Graduate Studies and

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Li liane, Dubaux, 1988--*

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LA CARICATURE LlTT~RAIRE (1830-1870) : L'EXEMPLE DE BALZAC ET DE HUGO ;.. ~.

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Je ,tiens ici à exprimer mes

remercieme~~s les plus chaleureux

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à mon directeur 4" de travaux, 1

Monsieur Jean-C laude Morisot.

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R~SUM~

liumorlstique, ridicule, comique ou g~otesque p,r la physionomie,

la caricature fait rire, qu'elle soit dessinée ou littéraire.

Vers les années 1830, les journaux illustrés, dans lesquels les romanciers publiaient leurs, oeuvres sous, forme de feuilleton, ont favorisé l'esso,-1l du genre. Lei cibles étaient la société en général, et les dirigeants ou les bourgeois en particulier.

, f'!\ ,)

Balzac, qui se "disait chi.storien» des moeurs avec «La Comédie hlimaine», et Hugo,

, qui supportait mal la situation politique, dépeignaient, dans leurs romans, dei

l_,p~;onnages

réa li stes et ridicules che z l'un, fantasmagoriques et grotelque. che

z

l'autre. Par l'exagération ou par le ·contraste des caractér:istlques, ce sont des «caricatures littéraires».

C'est ce que 'dém~>ntrent le's exemples c!:1oisls !neuf" pour chacun dei

de4x auteurs) qui composent un échantillonnage diversifié.

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'-_ 'Caricature, of humorous, ludicrous, comical or grotesque physiognomies

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Around' 1830 magazines \allowed writers to publish theïr novels in

1 D

series. In these they ridiculed the

uppe~

middle class and the politicians. Realistic and humorous characters were deplcted

9Y

Balza~,

refering to himself as a «sociaÎ

hlstorl~n»

ln 'c La Comédie humaine »', white' characters

~epicted

by Hugo were

extraordlnary unusual and grotesque; As exaggerated or diametrically opposed as

"

they were, these characters may be called «literary caricatures».

This is what has been shown by the examples chosen, eighteen in

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La première partie (ch. 1 à IV) est consacrée à une analyse sommaire .;r·del critères ,entourant la caricature graphique ou littéraire : Qu'est-ce qu'une J

earlcature? Quelle était la motivation dës auteurs du XIXe siècle? Qui étaient les caricaturistes en vogue? Et les caric~turés ? .ce type de portrait fait rire,

-

.

-pourquoi 1

,

.

Exlste-t-il des .genres approchantj. 'en littérature? , "

Quel rôle joue la physiognomonIe dans cMes portraits? 1.

"

La deuxième par\ie (ch. V à VII /) expliql;le pourquoi et comment Jes

/

écrivains du XIXe siècle ont fa!t un portrait déta'illé et souvent humoristique de la plùpart des personnage.s-clefs de leurs romanf. L'étude d'échantillons diversifiés permet de déterminu les caractfpistiques,

.

.

com~unes

ou non; qui font.de ces portraits des caricatures, et de forn:'luler quelques 'hypothèses quant à la possibilité d'une transposition du dessin à l'~criture, à l'éventualité d'un parallèle entre la physionomie

-~

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des auteurs (ou de leurs amis. et ennemis) ét celle des personnages de leurs oeuvres, et à la virtualité d'ut:1e transparence «physiologique::t.

,1

La troisième .partte (ch. VIII et IX) fait apparaître, à l'analyse de quelques personnages sélectionnés, la façon dont chaque auteur a exprimé les traits

t

physionomiques ••

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Nous tenons à justifier le choix de la période: l'op~ion pour Balzac et Victor Hugo, écrivains dont les oeuvres fourmillent d'exemples 'pertinents. Novs retenons ceux qui nous par'aissent les plus typiques, chez Balzac à partir de 1830,

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date marquant l'essor de ses adaptations physiognomoniques, et chez Hugo)usqu'en

1870, de façon à y inclure son roman «l'Homme qui rjt ::te

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(1 Notice

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Dans la première partie (chapitres 1 à IV incll4slvementl, toutes les citations dont

la longueùr excède une ligne sont détachéesOet placées en retrait à gauche et à droite.

~ " .

Pour les. chapitres suivants (chapitres V à 'X), seules IE:!s citations extraites des oeuvres

de Bal,zac et de Victor Hugo sont détachées.

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part!e, le numéros de page sont Indiqués après les citations, au lieu d'appels de note.

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Remarque:

-L'orthographe des noms varie quelquefois selon les auteurs. Nous n'avC!ns pas adopttt;

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,de règle spéciale, sauf en ce, qui concerne le respect des citations.

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Le XIX" siècle est le- plus fructu(jl.~ en caricatures, pour des raisons aussi diverses que nombreuses: vogue de la physiognomonie, influence de l'AngleterreA

(>~

-, Jarge diffusion des dessins lithographiés-, renversemen'ts de situation politique et

bovrsière. Un autre facteur jo~e un rôle appréciable: la suprématie de la bourgeoisie .~

,

~ qui, avec ses parvenus, offre un merveilleux terrain propice à la dérision •

.,kPtit nouveau, les écrivains imitent les dessinateurs; le «trait de plume» rivalise avec le «trait de crayon~. Après le premier quart de siècle, le qesèriptif, héritage dJ.l naturalisme romantique, penche de plus en plus vers le réalisme. Les descriptions, en particulier celles qu'on appelle descriptions physiologiques,

,

-se mult,iplient et s'allongent, en même temps que les personnages dépeints changent de milieu. Pour le romancier comme pour le dessinateur, ce sont des cibles "

o ~

polit iciens, escrocs ou encore gens du peuple dans leur vie de tous les Jours.

Cette composante du roman qu'est la description n'est pas 'fle digression qui détourne le lecteur de l'action; elle fait partie de l'action; ~lIe situe

,

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l'action et~, plus précisément dans le cas du portrait caricaturai, elle fait prévoir ~

l'action ou elle la justifie, par le fait même que nous connaissons bien les protagonistes

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et que ceux-=ci peuvent s'étudier mut4ellement.

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D'flnit,lon, caract"'isti~ et fonction.

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En général, les dlctionnaires définissent Caricatyre _ comme «dérivé de l'Italien Carlcatyra, de Caricarc : charger ». CHARGE a été attesté dans le sens de Critique en 1773, par Mercier.

1

La plupart de~ auteurs pens~nt que la caricature, au même titre que

1 ,

le portrait, est une im~. selon. Platon, écrit MaHus ~J~tour, J'imitation est la· reproduction de l'apparence des choses, et, de ce fait, un iIItsionisme, une «magie»,

~,

et non la restJtution de la, véri!a~l~ ~a1ité. Les peintres grecs, au lieu de suggérer, imitaient. Pour eux, le comble de l'art était le trompe-l'oeil: De l'imitation, Aristote disait qu'il existe pour le poète comme pOlV le peintre trois façons d'imiter, que Latour rapporfe ainsi :

«II doit présenter les choses ou bien telles qu'elles furent ou sont réellement, ou bi,en telles qu'on les dit ou, qu'elles semblent, ou bien telles qu'elles devraient être». 1

SI le portrait artistique obéit au modèle, le portrait caricatural, lui, désobéit aU

modèle par excès d'obéissance, car dépasser l'obligation est encore ùne façon de manquer à l'obligation. C'est une imitation, mais une if!1ltation de r;nauvaise foi qui

,

met en relief les défauts du modèle et fait injure à son légitime désir d'être compris. à son avantage. Suivant l'expression de Mo4ière, l'imitation caricaturale consiste à «cracher comme le modèle ».2

1

Marius Latour considère la caricature comme une vengeance sur

,

-l'effigie, due à un renversement de la hiérarchie : l'imitation, tout en impliquant

o

le prestige du sujet, attaque celui-ci. C'est aussi «l'exagération des exagérations» dans la façon de représenter les traits. L'effet comique vient de "inversion des procédés de l'art, ceux-ci donnant l'illusion de réel, alors que ceux de la caricature restent du domaine de l'Irréel, des faux concepts et de l'invécu. Pour sa part, Bergson

(14)

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... 9 • ., J...

.. considère que, 51 l'exagération existe bien, elle n'est pas Je but de la caricature, c ••• car il Y a des caricatures plus ressembla~~es que des portralts»~ Bohun Lynch a recueilli bien des définitions; l'une d'elles nous paratt particulièrement Intéressante Îcar elle fixe des limites au grotesque:

, "Caricaturlsts should be careful not to overchatge

the peculia~itles of their subjects, as thElY would thereby

become hideous instead of ridiculous,' and Instead of laughter excite horror." (Grose).q 1

"

l'

Henry' Fielding, le premier romancier anglais (d'après Ashbee), écrivant sur Hogarth, le premier caricaturiste anglais (toujours dlaprès Ashbee), fit remarquer que la licence

• 0

.' dans l'exagération était la qualité essentielle du portrait caricaturé. De son cÔté,

-... ~-...

Hogarth affirme que ce qui semble ,.exagératiorj- nlest que «justesMnle,xprlmant que U ••• that character which, in th~ face, is the index of the mind ... e Un siècle plus tard, Mueller, lettré allemand, dissertant sur l'art grec, définit la caricature comme une destruction de la beauté et de la régularité' par une caractérisation exagérée.1I

Par ailleurs, le portlrait est

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analyse, alors que la caricature est une sorte de synthèse. En effet, la caricature est un tout, car si on y ajoutait des éléments, elle perdrait sa valeur de message. Un visage expressif est mobile, dit

,

Ashbee. Inconsciemment, il arrive à toute personne bien conformée de , contr~falre

une difformité (comique, p~r conséquent) à caractère très bref. L'art du caricaturiste consi$te à saisir ce mouvement imperceptible pour beaucoup, et à le rendr~ visIble

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à tous en le mettant en valeur, faisant de cette expression «une grimace unique et définitive

~

• Et si, ceUe expression, aussi fugitive soit-elle, est récursive chez le modèle, le portrait est très ressemblant. Cependant, toute oeuvre d'art est

arbl-,

" traire; elle suppose des transpositions dues aux idées préconçues, des économte. et des conventions qui sont, en fait, une charge. Chez William Nicholson, «Recelpt • •

(15)

10 1

• •

for Max:., comme chez Bosch, les lignes sont céconomisées:.8 graduellement jusqu'à ce qu'il ne reste rien que la suggestion de c,ertains traits comiques et caractéristiques.

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La caricature apparatt le plus sou(,en!

schématiqu~

tellement l'économie est poussée.

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Lorsque

l'économ~

existe chez

le reste. SI le

rO~cier

écrit

le prolixe Balzac, erre porte le lecteur à imaginer «grosse tête», l'image «petit corps»· s'impose en ccmtrepart le.

On pense généralement .que la photographie met en rèlief les détails,

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plus que le portrait, mais il s'~git des détails physiques et non de~ détails physionomiques. Et si tout portrait est forcément un peu ridicule à cause de sa fixité

1 \

découlant de la pose, il ne faut pas confondre caricatural et .l'idicule. Certes, le , ridicule appartient à la

carlcatlif~,

mais il y a bien plus dans

celle~ci

qui est une

,

réduction et même une transfiguration de la. physionomie. Par -ailleu!"s, certains portraits représentent des personnages affreux qui ne sont pas qualifiés de caricatures.

.

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Chez la plupart des grands peintres, il est difficile de trouver la frontière e)Ure le portrait' caractéristique et

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caricature. Le

~intre

semble vouloir mettre en

,

".~ valeur le ou les traits qui lui semblent les plus remarquables, tout en respecfant

le sens de la beauté. Le caricaturiste, lui, travaille en «boule de neige», suivant l'expression 'de Ashbee. Le portrait prend forme petit à peti,t. Tous deux sont pourtant aussi vrais. Ashbee précise que l'artiste cherche à idéaliser, et même diviniser dans le cas des Grecs, a dit Goethe, alors que le caricaturiste fait le contraire. Lavater, jugeant Hogarth par son standard classique, le traitait de faux prophète de la beauté.9

Mais il Y a bien des routes vers la vérité.

Borneman attribue à l'humoriste Ronald Searle la réflexion suivante: ,}

«La caricature est l'art de déformer une image pour faire un tableau plus vrai , ~ 10

et Baltrusaitis associe la caricature à une anamorphose (représentation défigurée d'images) faite, toutefois, avec de justes proportions à cerl1ains points de vue. Pour

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(16)

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lui, Grandville serait un précurseur des visionnaires de notre temps: «Grandville ( ... ) rempHt son Autre Monde de nains

et de géants aux membres rétrécis et dilatés ( ••• ) ~

comme dans les perspectives curieuses, sans en reprendre les calculs précis.» Il

Il est certain que l'une des caractéristiques de la plupart des caricatures est la /

disproportion existant entre personnages, entre personnages el accessoires ou au sein de chaque personnage. En particulier, une tête énorm,e et un corps allant en

}-s'~nuisant

jusqu'à des chaussures minuscules sont presque la norme à !'époque qui nous intéresse. Il est difficile de trouver une explication logique à ce phénomène; simplement, c'était la Jl).Pde, une mode qui a d'ailleurs subsisté trois quarts de s~ècle,

grâce à l'imagerie d'Épinal.

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Selon Claude Roy,o il est juste de penser que le portrait a toujours, foncièrement, été considéré, comme un «vol», mais que la caricature ast un «viol »,

J

car ici l'artiste abuse de t'image qu'il crée. Pour lui, dans le meIlleur des caS, la satire graphique est pénétrante, critique, outrageante, brutale, Irritante, éclairante, harcelante, intransigeante ••• Et il ajoute: «Dans un monde parfait, elle dépérirait»;

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elle est exagération, parod,e, plaisanterie, facétie, mystification, en un mot: . caricàtu~e. J 2 À ces principales caractéristiques, on peut ajouter que la caricature

doit faire 'rire. Nous v~rrons plus loin les mécanismes du rire. Tout portrait-charge qui manquerait son but serait dit «de mauvais goOt»,.car la limite est mince entre ce qui a de l'esprit et ce qui est de mauvais goOt. Dans ce dernier cas, serait-ce, comme l'affirme Latour, que l'artiste a eu la prétention de «donner le superficiel pour le profond, l'illusoire pour le véritable» 713 Baudelaire explique comment la caricature peut d'abord choquer un esprit naÎf et lui laisser un certain malaise, cquelque chose qui ressemble à la peur», car «la caricature est double : le dessIn

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et l'idée; le dessin violentl l'idée mordante et voilée». Lorsque la science des mondains

aura pénétré cet esprit, alors la caricature lui apparattra

.

comiqu~.'1j

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12

" Historique

Mario Praz affirme qu'il existe un air de ( famille "entre toutes les oeuvres d'une même époque, mentionne Hagstrum dans sa préface de The Sister ..AJ::Ibll1 Selon Hagstrum on accorde en effet, qu'on le veuille ou non, moins d'importance au caractère unique d'un artiste qu'au relief particulier à toute son époque. Borneman assure, plus généralement, que les caricaturistes et les arti~es sont inséparables de l'actualité et que la carica~re permet de saisir, parfois avec plus d'acuité que

,

les documents historiques eux-mêmes, l'esprit de l'époque, même si le sens de l'histoire ,

fait mauva is ménage' avec le sens de l'humour éta,nt donné que les hommes d'action prennent tout au sérieux. Et il cite Ronald Searle : «L'histoire de la caricatùre est l'histoire de la conscience de la société»!f! Pour certaines personnes que Champfleury appelle des «natures singulièrement organisées», l'histoire d'un peuple est d'abord perçue par la vue d'une fresque, d'une statue etc., souvent grossières ••

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Champfleury a consacré des années de sa vie à la rech~rche. Il a écrit 'de nombreux ouvrag~s, dont cinq rien que, sur l';\ntiquité. Il a fait, et fait encore, autorité en matière de caricature. Il prétend (s'appuyant sur Wieland qui lui-même s'appuie sur Pline) que celle-ci e~istait déjà en Grèce. Il est vrai qu'en Egypte a,ussi cèrtalns bas-reliefs, par exemple, peuvent nous sembler à présent être une forme de la caricature. Cependant, dans l'~tiquité, loin de représenter le «comique absolu», c'est-à-dire le comique qui s'ignore, ces sculptures étaient de très sérieuses représentations d'Idéologies et

~

croyances, car certaines effigies sérieuses sont comiques à d'autres yeux oô danl d'autres temps. D'ailleurs, Baudelaire n'affirmait- .

j

Il pas: «Le grotes~ue antique ignore qu'il est ridicule: c'est en nous, chrétiens, qu'est le comique» ? 1 B

Selon la, 'plupart de riOS compatriotes, la caricature aurait'pris naissance

(18)

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13

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classique.-,A~nibal a publié, sans doute pour se délasser de règles strictes, des dessins

croquant les gens dans leurs attitudes quotidiennes, avec les défauts que la nature leur a donnés et qui, exagéres par le tra,it de plume,' peuvent parattre si expressifs qu'ils en deviennent comiques. L'esquisse, forme simple, reprenait le même personnage dans différentes positions. Carrache fit école en Italie où le Bernin, au XVIIIe slàcle

.

à Rome, s'est attaché à parachever le dessin caricaturai. Malheureusement, on a

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d'abord pensé qu'il déformait ses tableaux "pour se distraire.

~'. Les graffiti à quelque épo,que que ce soit, les masques 'du théAtre grec et du théâtre oriental, ceux du XVIe siècle, les peintures flamandes de Bosch et de Bruegel d'Enfer, les gargouilles représentant dieu et démon appar.ues sur, les

~

cathédrales après 1100, ressemblent à des caricatures. Mals leurs formes exagérées dans la stylisation sont probablement plus symboliques que caractéristiques d'une société. Tout au plus! les gargoui Iles sont-elles le reflet d'une théologie punitive. On trouve égaler:nent, au Moyen Age, une représentation graphique déformée, mais impersonnelle, parfois obscure, souvent grossière. Avec la Réforme et les guerres religieuses, on vit apparaître des images allégoriques aillant souvent l'animai et

r"")

n plus dans un sens mythologique ou panthéiste comme dans l'Antiquité, façon aberrante. C'est la naissance du grotesque dans les dessins, et le grotesque fait -'Cire. L'idée venait d'Allemagne où Lutl'ier, à l'appui de sa lutte pour la liberté, le <l:Kulturkampf», s'en servait abondamment pour vilipender le pape et le clergé catholique. Martin Luther était lui-même caricaturé pour • ses contradictions. Ce n'était pourtant pas encore de la caricature politique, probablement à cause d'une diffusion restreinte. Quant aux horreurs de la guerr~

:de- Trente Ans peintes par Jacques Callot, Slagit~il )Vraim~nt de caricature ? On peut dire quand même que les personnages, monstres ~ demi' vivants ou à demi morts, décrivent une époque.

(19)

14

Ce type de portrait à la fois simplifié et exagéré s'est rapidement répandu dans toute l'Europe où il a joué son rôle social en devenant une arme. C'est surtout en Ang'leterre, après Hogarth, que l'art moderne de la caricature a pris, grâce à la liberté de la presse (une des résultantes de la «Révolution glorieuse» de 1688), un essor Irréalisable dans les autres pays d'Europe. La caricature, qui a besoin de la licence d'expression\ (II Freedom is the caricaturist tirst privi legel 9,,),

devint un véritable art populaire( avec Gjllray, Rowlandson, Bunbury, Newton, Izaac

~ ~

Crulckshank; Quoique antirévo/utionnaires, comme la plupart de leurs compatriotes, ceux-cl ont donné le premier exemple de l'opposition militante ~'une grande partie du peuple à l'action gouvernementale. De plus, la haine de Bonaparte avait sa source

~

dans les rivalités commerciales; donc les bourgeois achetaient les caricatures, le

< plus souvent sous le bonnet, puisque c~est de cette façon qu'elles se vendaient le

mieux. Ces dessins étaient envoyés en France par quantités. Mais ifs n'avaient pas le même succès qu'en Angleterre, peut-être parce que les compositions étaient brutales et de mauvais goOt, peut-être parce que, même si on n'était pas bonapartiste, on avait un certain respect pour le soldat. Après un arrêt de plus d'un siècle à cause de la répression dont elle avait fait l'objet, la satire politique n'a réapparu qu'à la Révolution, sous forme de portraits-vignettes signés Camille Desmoulins. Puis le style satirique disparut à peu près. Isabey et Carle Vernet essayèrent bien de rivaliser avec les caricaturistes anglais; ils arrivèrent à peine à effleurer le ridicule. C'est Phillpon qui, un peu plus tard, reprend le genre qui a gardé toute sa puissance.

En Angleterre, après ,le premier quart du XIX e siècle, l'art comique ,

s'est «raffiné»; il est seulement gentiment satirique. La vraie caricature subit une éclipse jusqu'à la fondation du Vanity Fair par Thomas Gibson Bowles en 1868. Vanlty Fair, c'est aussi et surtout Carlo Pellegrini qui a, longtemps signé Singe en Italie, puis Ape en Grande-Bretagne.

(20)

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15 ;1 La lithographie

-Partout, c'est avec l'avènement de la lithographie, au début

~

XIX e

\ 1

J

siècle, que la caricature prend véritablement son essor. Usanne disait que la lithographie aurait pour la caricature la même importance qu'avait eue l'ImRrlmerle pour les Lettres. 1:.a lithographie, ou gravure dans la pierre, invention de ·Aloys

.

.

Senefelder, né à Prague en 1771, a fait l'objet d'un ouvrage publié à Munich en 181'9

par l'inventeur: L'Art dej la lithographje. avec utilisation de la pierre de SolenhQfen

(pierre à carreler). Ce procédé présente de nombreux avantages techniques (rapidité, maniabilité, coOt modique) et artistiques (on dessine directement à la craie, à ta plume ou en 'polychrom~). Et surtout, il permet la reproduction en série de chaque dessiJY-en9iJ1al, donc une vulgarisati0!l' Introduite en France

Cf1

1802 par André Offenbach, cette technique révolutionnaire eut d'abord très ,peu de succès; ce n'est qu'en 1814 qu'elle se fit connattre, avec l'ouverture de la Lithographie du roi. Daumier et Gavarni gravent directement dans la pierre, plus'souvent que dans le bols, obtenant

,

ain~i des dessins de qualité supérieure qui retiennent le moindre détail. Selon les

. Goncourt,20 Gavarni a changé la lithographie en mettant des ombres au bouchon de liège, et en utilisant la plume (plus ou moins écrasée), le crayon' et le grattoir. L'ensemble ,de ces procédés a permis la composition de dessins beaucoup plus réalistes.

\

Cibles

Si on veut établir une comparaison entre les cibles des caricatures

Jltiq~eS

des différents pays au XIXe siècle, on constate' qu'en France le plu.

~J.icaturé

est Louis-Philippe, malgré la censure, à moins que ce ne soit à cause

o

d'elle. En Angleterre, on est bien plus objectif (ou plus prudent 7). Et en Allemagne, où sévit la haine de Napoléon III, «Lui», «Ihn» est le symbole de tout ce qui s'oppose

1

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(21)

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à la démocratie, c'est-à-dire à Bismarck. Plus tard, «Ihn» deviendra Bismar lui-•

même. Ce que Paradissis nomme la défiguration symbàlique, longtemps dirigée contre la religion puis, à l'époque qui nous intéresse, contre le pouvoir, rejoint la tendance des caricaturistes à décrire et à classifier les différents types sociaux. les

écrivain~ilisent

les mêmes critères. Balzac, en particulier, pour qui t'art de la description est devenu lIne seconde nature. Quant à la classification, elle se fait d'elle-même par le retour systématique des personnages. Hugo, de son côté, use de la description (pour le plaisir de ses lecteurs) et en abuse (ses détracteurs traitent de digressions' les arrêts innombrables pour «voir», qui, selon eux, se font au détriment du déroulement de l'action). Là aussi, la classification sé fait automatiquement à

\ "

cause du goOt pour le manichéisme que }manifeste le poète. La soèiété du XIXe siècle est la cible rêvée, au moment de la naissance du Capitalisme avec ses

YJ

financiers, sés usuriers, ses bourgeois et ses nouveaux riches. Le pouvoir est aussi dans les mains de cette classè. La situation politique instable fait beaucoup""'de mécontents chez qui la représentation grotesque des personnages honnis alimente

J'esprit de rébellion. Rappelons que Marius Latour (c f.. page 8) considère que la vengeance sur le sujet se pratique par l'attaque de son effigie.

Un point important, selon Ashbee, est que la répétition d'un trait caractéristique, dans ·les caricatures, en fait un instrument publicitaire-utilisé contre , des cibles diverses. Champfleury partage cette opinion: ..

«Charles X s'enfuyait en exil, poursuivi par la caricature qui se vengeait d'avoir été longtemps bayonnée».22

~

«II faut c::onsulter les journaux, les pamphlets, les caricatures du temps, pour se rendre compte des violences dé la démocratie ».23

-Dès la Ille République, la caricature politique perdra de sa puissance idéologique. Une des dernières vignettes de ce genre figure une Marianne aux formes alourdies, avec la légende « Dieu, qu'elle était belle sous l'Empire! » À notre époque/

(22)

---~---- . __ ._---_.

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17

la caricature, satire politique ou sociale, n'a plus la même portêe. Elle est plutôt

f~ite, pour divertir. Les d~ssins cf1imagination pure Peprésentan~ des moeurs historiques, ~rl

amusent toujours, si on en juge par, le succès d'Astérix le Gaulois. Mals Il est certain qtte la caricature vieillit '!lai dans ce sens que ses traits sont relié~' à, un contexte temporel, aux circonstances qui l'ont fait nattre. Ce n'est qu'un instantané qui a dQ faire rire enC'son temps et ne fait plus que sourire, parfois même à la seule condition de reconnaître le personnage ou la période de l'histoire dont elle est le reflet. SI

elle est contempo'raine d'une époque particulièrement mouvementée et encore

relati-) ~

..

vernent proche, comme c'est le cas pour le XIXe . siècle, elle est alors des plus

représentatives, et peut-être plus divertissante qu'elle l'était alors. Pour Baudelaire"

...

, par exemple,

,

)' \/"1

«Les images triviales, les croquis de la foule et de la rue, les caricatures, sont souvent le miroir le plus fidèle de la vie. Souvent même les caricatures, comme les gravures de mode, deviennent plus. caric_,turales

à mesure qu'elles sont plus démodées. »2~

t

Les caricatur,stes du XIXe siècle

\

Chàque

ch~ng'emenl'

de régime fall des mécontents, ca(

q~1

.r

.,

amène l'afflux de caricatures. Mais, en même temps, il est responsable d'une succession

de ~crets qui complique la vie des caricaturistes. Depuis, la' Révolutl0':l, chacun

..

,"

, ,

annulait l'autre. Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, la peinture de genre

..--"~

se Q:hàrge /ridiclile, p\,is intentions littéraires et bientÔt sociales). L'article 7 de la Charte de la révolution de 1830 permet la liberté de la presse. Le gouvernement

,

~

va même jusqu'à créer, en octobre 1832, La Charge ou les folies contemporaines. Seufs le roi et les ministres y sont les victimes des Illustrateurs. Cette sltua1ion,. évidemment, ne peut durer. La loi du 9 septembre 1835 établit l'exigence d'au~Orisatlon préalable «pour les dess'ins, gravures, etc.».

(23)

o "

.

,

- Q

18

Qui sont ces fameux carlcatur~stes? Ils sont nombreux. Grandville ancien, mals Phllipon le plus important en pratique puisque, grâce à ses Journaux, Il ubliera bien des oeuvres de jeunes caricaturistes. La liste des autres ., est longue: D umier, Monnier, Traviès, Gill et Gavarni, que nous verrons en détail plus loin; Carle Vernet, le précurseur, qui a créé un monde, une petite Comédie

1

humaine, avéc une sécheresse et une dureté qui plaisaient; Pigel, raisonnable, avec ses scènes de moeurs qui marquent la transition entre la caricature de Vernet et--celle, plus moderne, du chauvin Charlet, artiste de circonstance.s et patriote convaincu

qui dessine français d'abord. On peut ajouter Timolet, avec sa bouffonnerie gracieuse

, ~

et enfantine, Jaque, avec son mordant et ses dessins grotesques, Raffet, tragique, Decamps, farouchement antimonarchiste, Ramelet, qui prête à Daumier en prison l'assistance de son crayon, et bien d'autres encore.

En 1830, Grandville (1803-1847) est le seul caricaturiste renommé. C'est aussi l'élève de Gall et de Lavate~. Sa facture rappelle celle de Jacques Callot, 'comme lui ori~nalre de Nancy. Mais il traite sur un mode comique des sujets parfois

, ?

aussi lugubres que ceux de Callot. Fils d'un miniaturiste, il a une grande finesse d'observation et il s'attache au détail, c~ que permet l'emploi du bois traditionnel. Chez lui, ,pas d'économie d~ trait. Même Charles X et la* Cour s.ont bafoués avec minutie. C'est un acharné politicien. Certaines de ses caricatures sont" ino~bliables dans leur féroce réalité, comnie la parodie de la déclaration de Sébastiani «L'ordre règne à Varsovie», Èm une sanglante image intitulée par Grandville: «l'ordre règne aussi à Paris». Ses processions politiques, composées pour

!.JLS

aricature. sont très. appréciées. Malgré

-~ngues

légendes, le sens de ses créations n'est pas toujours clair. fi est agressif, amer et froid. «Tout Gra~dville est dans l'idée; aussi

mourut-1

Il de l'Idée»25, écrit Champfleury. Les nouveaux décrets forcent Grandville, après

"

se~bre 1835, à revenir à la cari~ature de moeurs, mais surtout à ".l'illustration

(24)

o

o

ù

-19

(fables, Gylliver, Bobinson Crysoe). Précurseur ~e George Orwell, ,~l~~~~~~r" (auteur de The Animai Earm) il publie en 1 ~40 Scènes

de la vie, privée et PYbliqye d"s animayx en 319 planches, certaines parties en collaboration avec Balzac26• C'est, bien entendu, une excellente fresque

de la société, digne d'un émule de Gall et de Lavater.

"

of Puis l'artiste prefJd une orientation nouvelle vers

le grotesque ou seulement l'anamorphotique, en

créant des personnages à grosse tête et petit corps. C'est un genre qui ne revifi!nc;jra qu'une quinzaine d'années après sa mort. Avec des éclipses dues à la r~ession, .

les dessins de Grandville seront touJours publiés. Victor Hugo, lorsqu'il les découvre, les aime

bea~coup. ~

~ Plus tard, l'imagerie populaire fera,' avec les dess"ns de Grandvi Ile, des illustrés pour les enfants, genre que détrônera la bande dessinée. Était-II schizophrène

.

ou seulement un romantique «inspiré», selon le

"

mot de Jean Adhémar27 ? D'autres ont été Internés, André Gill, et Daumier: Ce qu'au XIX e siècle on appelait le «dés0r..dre» est---fréquent chez les artis*s que J'on ne traiterait que d'excentriques à notre époque. Ceux-ci furent plus nombreux sous Louis-Philippe; - il est vrai qu'alors, on considérait comme «insensés» les op'posants au régime. Baudelaire jugeait Grandville très comique, mais souvent comique sans le savoir. Grandville, disait-il, voulait que le crayon expliquât la loi d'association des idées. Expliquer est-il le mot? Les photographies de J'éclair, les révélations du raccourci n'expliquent pas. Elles font exploser le magnésium de l'association d'Idées b4(lesque et juste. 28

(25)

..

o

a

20

Mal. le grand Initiateur de la car,kature politique n'est pas Grahdville,

c'e.t Phillpon (1800-1862), par ail/ew$ médiocre dessinateur. Il groupe autour de

lui des hommes de talent, prompts à la satire politique et à la satire de la bourgeoisie.

Avec sa haine pour la Monarchie de Juillet, son charmân~ talent -d'amuseur prend

I:J.

un tournant décisif: Il devient un agitateur politique avec une arme nouvelle, le Journal satirique illustré. Bien des fois condamné et par le fait-même stimulé, il

fonde sa propre revue, I.a Carlcàtyre, pour y publier les oeuvres de ql;linze à vingt

... jeunes' desslnateur~ à qui il communique ses audaces et ses indignations. Au nom

"-• de la Liberté, Il leur commande d'avoir du génie et, éventuellement, les couvre en

,

-justice pour des travaux souvent signés en commun. C'est également dans

l i

Caricature q",e sont publiés les dessins les plus cruels du règne de Louis-Philippe.

1, .

Personne n"est épargné, dep~is le roi, sa famille, son rhinistère, jusqu'à l'entourage

-du roi et la Chambre. La Caricatyre doit fermer fin 1835, à cause du rétabl'issement

de la censure. C'est Le Charlvarj, déjà existant, qui prend la relève. D'après Champfleury,

o

"

«(Philipon) se vantait d'avoir révélé te pouvoir de

la caricature en frappant d'une arme ignorée les ennemis

de nos Iibertés::..2Q

C~tons ausJi Armand Dayot, dans Les MaTtres de la caricatyre française ay XIXe

siècle:

o

c La plus redoutable des armes adoptées par les républicains contre Louis-Philippe, la plus efficace, fut le journal de CharJès Philippon, La Caricatyre:

elle lui porta des coups mortels, comme plus tard

l i

Lanterne d'Henri Rochefort au second Empire.~30

o

Honoré Dau~ier (1808-1879), peintre et asculpteur, e~t celui qui- est

\

\ \

I~~.té le plus célèbre parmi les caricaturistes de cette époque. À l'âge de 24 ans

~éJ~, Il fut condamné à six mois de prison pour son Gargantua. pourtant peu artistique

. ou convaincant. mais po.rtr.ait incontestable de Louis-Philippe. Champfleury a écrit,

(26)

-o

",

o

21

et cette assertion a son poids:

«Qui veut se rendre compte aujourd'hui de l'époque

de Louis-Philippe doit consulter l'oeuvre de Daumler.::t 31

En effet, l'oeuvre de Daumier qui «dé son crayon devait traduire, e se brutale

-les moeurs contemporaines32 », ne comprend pas moins de 39SYplaques. Pour

contrarier sa vocation, son père l'avait, dans sa jeunesse, placé chez un huissier

où il'" eut tout le loisir d'observer les gens de loi qui serviront de modèles à SElS

", _ 0

lithographies et à ses aquarelles. Il Imite d'abord Charlet, puis ~Grandville et Plgel

J

\

mais, la censure poussant, Il change de genre. Ce que son talent perd en vigueur, Ille gagne en esprit, en causticité. Son Incarcération pendant six mois ne l'affecte pas outre mesure, mais lui" donne le loisir d'étudier autour de lui; Il est frappé du malheur des autres et, une fols

de plus, il observe les hommes de 101. Ses activités

sont souvent Interrompues par toutes les

interdictions. Après avoir ridiculisé les dieux

lie l'Olympe et les rois, il finit par ne s'en prendre

qu'aux magistrats, aux saltimbanques et à la société, surtout aux bourgeois, nouveaux

mattres de la France. " laisse de côté le clergé (à p.art quelques Jésuites),

l'administration et l'armée, ces classes étant protégées par les décrets de septembre. <,

Finalement, de caustique, son esprit devient' moralisant. Son oeuvre demeurera

vivante. Baudelaire juge Daumier comme un cgr:and» caricaturiste qui -dessine

• comme les grands

mattre~,

sans' fausses notes. Il est vrai qu'à la différe"nce des

créations de Grandville, il n'existe aucune disproportion entre corps et tête. Balzac

dit de Daumier: c Il y a quelque chose de Michel Ange dans cet homme.» Et Argne

~

••

(27)

o e

o

22

••

~ Alexandre écrit en 1888, à propos du tandem Daumier/Gavarni:

cC'est la force opposée au charme, la puissance opposée à la gr.ce, la fol ar~ente opposée au scepticisme.:.

.

En 1888 égalem_ent, Armand Dayot, parlant avec éloge de Daumier, prophétise que ce dernier sera bientôt sur le même rang que Raffe~ et Gavarni. Près d'un siècle plus tard, Daumier est le plus connu aès dessinateurs de son époque.

Vers la fin de la Restauration, Balzac rencontre un jeune artiste farceur, Henry Monnier. Balzac, qui avait tant à observer, aimait les observateurs, curieux de la vie. " connaissait à fond ces natures. Sous un de ses nombreux

pse~donymes, «Co..;rl~"

Alex. de B. », il écrit le 31 mai 1832 dans La Caricature: «Henry Monnier a tous les désavantages d'un homme

supérieur, et il doit les accepter parce qu'il en a tous les mérites. Nul dessinateur ne sait mieux que lui saisir un ridicule et l'exprimer; mais il le formule toujours d'une manière ironique.»

Henry Monnier (1799-1877), parisien et bonapartiste (ou peut-être sans parti pris) a un_ sens artis~tflue fin ..

-,.., ~ ~

Il fait des caricatures de moeurs sans méchanceté plutôt que des carlc:atures pol:i-tiques. ... Il est le créateur du J)èrsonnage de Mr Prudhomme, rentier suffisant et tout-, à-fait quelconqu". C'esttout-, parmi ses collèguestout-, celui

qui échappe le plus à l'influence de Philipon. Théophile Gautier déclare , dans ses Portraits contemporajns, que Henry. Monnier, a\'ant le daguerréotype et l'école réaliste, a poursuivi et atteint dans-l'art la vérité absolue.

Charles Traviès de Villers (1804-1859), est tout le contraire de Monnier. C'est un souffreteux, mélancolique, et ses caricatures politiques se ressentent de son caractère aigri. Elles sont cyniques et blessantes. On peut toutefois considérer

(28)

---....---;---

-_ ...

_._-.-._-"

o

..

23' ••

9u'jJ était méconnu de son temps, -peut-être -parce--- qu'II manquait de certitude en

politique. Il est très conscient des joies et des douleurs du peuple; Il a même l'In~t1nct

, 0

des laideurs populaires. Il crée le personnage de Mayeux, un excentrique, qui amuie \

tout Paris. À noter que, dans les caricatures relatives Il Mayeux, les femmes sont

dessinées par Pc~lIIpon. De toutes façons, il s'appuie tant6t sur Daumier, tant6t lur

Gavarni. Traviès a illustré un ouvrage de Balzac: Les frans;als peints par eux-mêmes •

.

Louis Gosset de Guines, dit Gill .(1840-1885), s'II n'est pal l'Inventeur

du portrait-charge des hommes du jour, en est le promoteur. Après avoir collaboré àvec Phillpon au Joyrnal Amy.ant, -11 trouve la pleine application de son esprit frondeur . et caustlquL.. dans l'hebdomadaire satirique

La Lune, créé en , 865 puis fermé après

la parution d'un portrait de l'empereur en Rocambole, aventurier de feuilleton. Dans

,

l'ensemble, les dessins de Gill sont plus

cocasses que méchants, et chacun, à l'époque,

rêve de voir parattre son portrait caricaturé par lui, ce qui serait une consécration de

notoriété. Il déplorera à sa manière l'agonie de la caricature du XIX e siècle, avec

L'Enterrement de.la caricatyre. Gill est, on ne peut en douter, le précurseur du genre

caricatural actuel, et donc lé dernier du genre qui nous intéresse~

Nous terminerons par Gavarni, dont le; personnages, par leurs

,

,

caractéristiques, se rapprochent le plus de ceux de Balzac. Gavarni (1804-1866),

,

j

parisien, créateur de mode, est le pJus original des dessinateur., de son époque. Il

r- ..

a d'abord imité Jes' autres puis, vers 1843, a trpuvé sa voie: déformer les images

et les transposer en anamorphotique, à l'aide d'une lentille, ou découper dans du

(29)

. . . _ _ _ _ _ _ _ _ _ - . _ _ _ _ _ _

---o;-:~---c---~,-••

.

.

'

24

-

'-carton des sHhouettes, celle de Balzac, en particulier. Lequel des deux a imité l'autre?

~\ .1

On pen~e souvent que Balza,c a copié Gavarni dans La Marâtre. Mais il serait hardi

d:en tirer des conclusions. Par ailleurs, les deux hommes sont d'apparence dissemblable. Alors qu'II créait un personnage de dandy ou

cflihfonable» . d'après' fui-même, Gavarni trouve -1

Balzle sale, Ignare et ltlesthétique. Eo "même

temps, il écrit sur lui, dans un de ses journaux,

1

qu'on .ne pourrait guère pousser plus loin la vigueur

de l'analyse et que l'int~ition et l'imagination

de Balzac font de son oeuyre une grande oeuvre. Chaque personnage de Gavarni affiche son carac-tère, ses Instincts, son tempérament sur son visage,

J' • •

et révèle à l'observateur le diagnostic de ses passions et de ses habitudes morales,

"

de la même façon que les personnages décrits par Balzac, et à la manière de Gall

et de Lavater. Tous les deux,. écrivain et artiste, sont les «incompris» du siècle •

.

-; \

.

~

Entre autres, on traitait Gavarni de corrupteur du' peuple et son oeuvre de r~cueil

.

d'obscénités. Mals il est certain que Balzac et Gavarni sont les deux peintres de

moèurs du XIXe siècle.

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1

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(31)

26,

"La caricature fait rire, nous l'avons déjà dit. Il serait fastidieux

~

d'entreprendre l'étude d'une caricature ou d'un portrait caricatural en se demandant

~

-pourquoi on en rit. Mais, sans tenir compte des mécanismes du rire, il semble utile d'exa!"lner, au moins superficiellement, les théories de celui-ci et les critères du comique, du ridicule, du grotesque,' etc. Une chose est 'SOre, pourtant: devant une caricature, on rit plus ou moins selon les sympathies, le milieu social, etc.; parfois mê'me, si on se sent visé, on «rit jaune» .,.'

.,

Théories du rire

~

Les livres traitant du rise sont si nombreux qu'en pourrait en former

une ~blbllothèq~e spéciale, dit Chafl'lpfleury35; et il sait ce dont il parle puisqu'il

a étudié, dans ses ouvrages, les théories «physiologiques», au sens de son époque,

~ c'est-à-dire scient!!ïques, ou plutôt phénoménologiques, et les théories esthétiques,

,

énoncées par tous les philosophes connus. Il rapporte, entre autres, les absurdités et les contradictions écrites au cours des temps sur le rire et le comique, du genre

? - '

«les 'quinze so'rtes de ris» 1 de Joubert, ou les _quarante-sept formules de situations

comlquès d'un auteur du XVIIIe siècle, sans parler du rire universel des disciples de Hegel, et juge comme st;!ules valables Jes théories des trois auteurs suivants: Aristote 3S avec les bases du comique dramatique chez les anciens, répétitions de

paroles, sobriquets, trompe!:ies, travestissements, imitations de la nature triviale, puis Jean-Paul Richter37 pour qui, contrairement à ce que pensait Héraclite et ce qu'on estimait généralement aU XVIIIe siècle, le contraste en soi n'est pas forcément

,1

comique, car le rapprochement de choses hérérogènes ne fait pas toujours rire, et enfin de l'Atglais Fieiding3B qui a bien expliqué les rouages des caractères de ses oeuvres. Champfleury conclut que la vue d'un masque antique fait mieux comprendre la nature du comique que toutes les vaines théories des philosophes, des disciples

(32)

o

r::

o

27

••

de Hegel en particulier. Depuis Démocrite et Aristote, tant d'hypothèses ont été énonéées sur les causes 'du rire, et tant de philosophes se sont penchés sur la question, qU'en reprendre ici toutes les théories dépasserait le cadre de cette tUl:Jde. Il semble

toutefois indisper.sable de citer <;elles que J. Sully a reten4es dans un article de

la Reyye phi losophjque de la Eranc;e et de, l'étranger39 : 1 a première est la théorie

-de la dégradation, -de Thomas Hobbes (avec les IImitati'ons posées par Aristote et

\

les apport~ de Bain), qui s'applique aussi bier. aux _oDjets : ce qui fait nartre le rire

.

est la perception d'une certaine infériorité, c'est-à-dire d'une perte comparative ;;

de dignité, dans l'objet risible. La deuxième, dite «intellectuelle», est la théorie de l'opposition, de la disconver{ance, qui èst celle de Kant et de ses successeurs (avec

les limitations posées par Schopenhauer); elle s'applique plutôt aux choses humaines.

La complexité .du risible fait que ni l'une, ni l'autre de ces théorl~s ne semble être

-,

'o!>. __

acceptée inconditionnellerr:ent. La première théorie est reprise par Baudelaire:

- ,

«II est certain, si l'on veut se mettre du point de vue

orthodoxe, que le rire humain est intimement lié à

l'accident d'une c~ute ancienne, d'une dégradation

physique et morale.» 40

Ouisit, pour sa part, fait dépendre la deuxième théorie de ia première puisqu'II pense

""

à une dévaluation ou dévalorisatl,on, en particulier parce qu'II dissocie le phénomène

psychique des stimuli qui lui servent de point de départ au niveau de la représentation,

"

d'oi. surprise, rupture, cQntradiction, contraste. Puis Il cite quelques familles

f\

d'interprétation du rire, dont le ce[l.tre est toujours une dispersion des valeurs : la

chute du sublime au ridicule, la réduction à néant d'un espoir flatteur, le triomphe \

du meilleur sur le pire, la prise de 'conscience de notre 'upérlorlté sur autrul.1f 1 À

l'appui de la théorie «intellectuelle», nous mentionnerons Bergson qui considère

qu'il n'y a pas de comiq\Je en ~ehors de ce qui est proprement humain et que rire

. est une fonction sociale qui, pour être comprise, doit âtre placée dans son ml,lieu

(33)

(

c

(

28

:

.

,aaturel, c'est-à-dire la soclété.1I2 À ce propos, Stendhal signale qU'au XVIIe siècle,

les courtisans étalent emprisonnés dans l'imitation d'un modèle (que nous appellerions

mal.Qlenant stéréotype), et que s'en écarter provoquait le rire.1I3 Kayser"" pense

qu'on rit lorsque des caractéristiques humaines et animales (ou mécaniq~es) sont

combinées, et Bergson, lorsque, sous nos yeux, une personne se transforme en chose,

ou que, exprès, on confond la personne avec le métier -qu'elfe exerce. Par ailleurs,

Il semble que 'le rôle joué par la surprise ait été exagéré car, dit J. Suif y, un bon

mot çontlnue d'amuser longtemps après que l'effet de surprise soit passé. 1f5 Parfois,

~emarque Latour, des spectacles Innocents provoquent le rire; toutefois, il faudrait

bien distinguer la Joie d'avec le rirei la joie existe par elle-mêg:ae avec diversest

manifestations, mals elle 'est «une:.. Le rire est l'expression d'un sentiment double, ou contrac;flctoire, auquel s'ajoute un spasme. Le rire provient le plus souvent d'un

~

.

orgueil satanique, de l'idée, chez l'homme, .. de sa propre st1'périorité. Mais, si le rire

est profondément humain, il est aussi profondément contradictoire,<i'ic'est-à-dire~

"

."

qu'II peut ,toucher à la fois à la grandeur infinie et à la misère infinie. D'autre part,

la coïncidence fQrtuite nous égaiera, mais uniquement dans la mesure o~ 'elfe n'aura

.

que des conséquences anodines et non dommageabt es, c'est-à-'cljre que les échecs perçus en nous et autour de nous ne peuvent provoquer le rire que dans la mesure

seulement oiJ ils restent sanS conséquence séri~use; autrement, on est dans le domaine

des émotions graves. De plus, les individus réagissent différemment. Bien des

philosophes (_Kant, Hegel, Dewey, Spencer, entre autre"sl 'estiment que le trait d'esprit doit être perçu sans effort, sans qu'il soit besoin de l'expiiciter, sùggérant ainsi la

superfluité même du langage et du discours. Et, si Penj~n affirme que «Le rire,

c'est la liberté »116 , Bergson fait provenir le rire de la négation de la liberté chez

autrui. Latour concilie les deux assertions: « ••• du moment que

ra

disparition de

la liberté chez autrui ne met pas E:M'I cause notre propre liberté ... ».lf7 J. Sully signale

' ;

.

J,

.

(34)

-'O.

29

• •

les conditions limitatives que -sont la pitié et le dégoQt.lia De même, selon Baudelaire,

'.

la poésie pure est exempte de rire et, selon ~tendhal, un homme «occupé sérieusement

de quelque chose ou de quelque intérêt ne peut pas rire». Il exlste~onc une certaine

incompatibilité du rire avec l'émotion.' En effet, le rire s'accompagne d'Insensibilité

et, pour un spectateur indifférent, bien des drames tournent ~ la comédie. P()_ur

Bergson, qui a étu.d(é tous les procédés de fabrication du rire, les causes de

celul-ci seraient de six ordres: l'effet de surprise (diable à ressort), la disproportion, la

#' •

répétition, l'inversion, l'ambiguïté (double interprétation), l'intention d'humlller."11

Quoi qu'il en soit, «Le côté inquiétant du r~, dit Victor Hugo, c'est

l'imitat1on qu'en'fa~t la tête de mort ». À l'appui, on trouve dans Les Travailleurs

de li mer la description horrible de ce qui rest~ d'un cadavre identifié par sa ceinture ..

et qui est Clubin, tué par la pieuvre et mangé par les crabes, à leur tour vlctlmès

de la pieuvre:

..

«la cage des côtes était pleine de crabes •. Un coeur quelconque avait battu là. Des moisissures marines tapissaient les trous des yeux. Des patelles avaient latssé leur bave dans les fosses nasales... Les dents

ricanaient.» (Les Travai lIeyrs de la m~)

Sans être amené en des termes a U,S5 1 réalistes, ce même rapprochement est fait

par Balzac dans le portrait de Madame de Morsauf mourante:

. «Ses tempes creusées, ses joues rentrées montraient les formes intérieures du visage, et le sourire que formaient ses lèvres blanches ressemblait vaguement au ricanement de la mort.» (Le lys dans la ya liée)

L'ironie et l'humotr

\

,...--Il existe une différence sensible entre Je rire, qui est déclenché par ( le comique, et le sourire, qui est provoqué par l'ironie.

«l'ironie est l'art de jouer ave~ le feu sans le laisser

dévorer par lui... Elle provoque malicieusement ce

••

(35)

(

c

30

••

qui pourrait être- une occasion de douleur... L'ironie c'est l'arme du faible désarmé et du fort par l'esprit».5o

Claude Roy pense aussi que le rire n'est pas seulement une défense contre le mal

"-qui vient des autres, mais aussi contre notre propre malheur. On appelle communément cette réaction «de l'humour ». «L'humeur» est une disposition de l'esprit qui découle

~du

physiologique.

Cettt

définition nous mène à l'humour, déformation du mot. D'après

'CI

Blair, c'est une spécialité exclusive des Anglais devenue "humour and wit", les deux s'ajoutant ou se confondant. Leslle Stephen écrit en T 876 que l'ironie est la figure de style la-p/u~ dangereuse puisque la moitié de ceux qui prétendent avoir «le sens 'de l'humour» pensent que la moquerie est dirigée contre la vertu, l'autre r:noitié qU'lis sont visés.IlI D'ai lieurs, selon lui, l'humour appartient à quelques Angla is,

0

Irlandais ou Américains, à l'exclusion des autres nationalités. Claude Roy estime que, trois siècles après la création du terme par Ben Jon son Œvery Man Out Of His Hymoyr), le sens de l'humour est aujourd'hui la chose du monde la mieux partagée.

«L'humour dessiné, la caricature 52, qui oublie souvent

désormais qu'elle a eu un modèle à charger, qui se contente d'être la décharge, d'une énergie malheureuse ou d'un sentiment contenu, est devenue le langage universel d'une universelle difficulté d'être. »53

Dans (les Étydes d'histoire littéraire de 1907, Baldensperger passe en revue les multiples définitions données à «humour» et arrive à la conclusion intéressante qu'II n'y a pas «un » humour, mais «des» humours, ou qu'il faudrait peut-être penser «qu'II n'y a pas d'humour, il n'y a que

de~

humoristes ».511 C. Roy rapporte qle, d'après

..4

Chris Marker, si le caricaturiste satirique lutte avec des armes aussi puissantes que la dénonciation, c'est pour anéantir l'imposteur qu'il attaque. Le~aricaturiste

d'humour ne vient pas à bout de son oppresseur (qui, parfois, n'a pas de visage), mais

il supprime, pour un instant, le désespoir de l'écrasé, car J'humour est la force de caractère des faibles. C'est «la politesse du désespoir ».55 Toutefois, si ces définitions semblent imprécises, contentons-nous de citer Louis Cazamian pour qui

(36)

---~ ~-- ~ --~

-(

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o

31

..

l'humour, comme la mauvaise mine, est cce

Je-

ne sais quoi que tout le monde co':prend et que personne ne peut définlr».lil!

, ,

Le ridicule et le comique

D'après Claude Roy, les hommes ont inventé une peine qui céconomise» les autres : «la peine du rldlcu .. » , et Il cite un v'ra de Pope:

.

-«Rire de quelqu'un, doimer à rire (à l'autre, c'est le tuer un Instant, d'une mort \ , irrémédiable. »57 Craindr~ cette peine serait Inutile; selon Paul Radin, la peur du

- ~

ridicule serait l'inverie de la quête du pres~ige; le ridicule - non l'Indignation et

..

l'horreur - frappe l't)omme qui, ayant essayé d'acquérlr- du prestige, a manqué son

..

.

\.,

but.liB D'autre part, Bergson a~flrme que toute difformité' qu'une personne bien conformée arrive à contrefaire devient comique. De même, est comique tout Incident qui appelle notre attention sur le physique d'une personne alors etue le moral est en cause. Là

àù

la matière réussit ~ épaissir extérieurement la vie de l'il me, à en figer le mouvement, à en contrarier la grâce naturelle, elle obtient du corps un effet

".

comique, car l'autom:tltisme, la raideur du pli contracté et ga~dé en font un grimace unique et définitive. Nous rions alors d'un visage' qui est à lul""même, pour ainsi dire, sa propre caricature.5g Mais~ comme Hoffmann, on exagère et on pousse aux

dernières limites les conséquences du comique significatif, on obtient le comique féroce, déclare Baudelaire.6

, \ Il ne faut pas, comme le font les artistes g~aves,

confondre le comique avec le laid" dit Stendhal; «les choses créées défectueuses exprès» pour faire rire, avec «les choses tout bonnement laides par impuissance

- 61

d'être belles»' •

Le grotesque et le fantastique

Pour

Vi~~or

Hugo, le grotesque a un raie Immense; il

est

partout dan. la pensée moderne : ,

\

'f • ~

..

,..,

(37)

-/

c

o ,

32"

c... D'une 'part, Il crée le difforme et l'horrible; de l'autre, le comique et le bouffon.»

cElle (la poésie) se mettra à faire comme la nature,

à mêler dans ses créations... l'ombre à la lumière, le grotesque au sublime, en d'autres termes, le corps

à l'âme, la bête à l'esprit ••• »

, 0

c ••• C'est lui, toujours lui, qui tantÔt jette dans l'enfer chrétien ces hideuses figures qu'évoquera l'âpre génie de Dante et 0 de Milton, tantôt le peuple de ces formes

ridicules au milieu desquelles se jouera Callot.»

«II semble que le grotesque soit un temps d'arrêt, un terme de comparaison, un point de départ d'où l'on

s'élève vers le beau avec une perception p/u~ fraiche et plus excitée.»

«Et /1 serait exact de. dire que le contact du difforme a donné au sl,.Iblime moderne quelque chose de plus pur, de plus gra~d, dé plus sublime enfin que le beau antique; et cela doit être. »62

1

/

Cette dernière assertion va évidemment bouleverser les critères de la beauté qu'avait Imposés le classicisme grec. Avant Hugo, le mot «grotesque» semble n'avoir été emJ)loyé que pour des ornements. C'est dans la préface de Cromwell qu'il aurait tUé utilisé pour la première fois sous forme de substantif. Le poète n'en a pas donné de définition mais, en unissant les théories des préfaces d'oeuvres dramatiques de Victor Hugo, Maurice Souriau est arrivé à cette conclusion:

«En général, dans l'art, c'est le laid rapproché du beau, et placé intentionnellement pour faire contraste ••• chacun exaltant l'autre, en plus du laid comique et du laid exaspéré: c'est le laid content de sa laideur, qui souhaite qu'on rie de sa laideur à côté du sublime, mais aussi qu'on tremble devant lui tant il est monstrueux. »63

o

.

De même, avant La Préface, les personnages grotesques dans l'oeuvre de Hugo étaient purement littéraires (Hall: d'Islande et HadibrahJ. Parlant de l'emploi du grotesque dans les arts, Victor Hugo reconnaissait que ce ne peut être très intéressant, car 'le grotesque 'continu produirait une impression désagréable. Bien avant, Charles

J

(38)

o

(

/

o

33

«L'esprit humain ne peut créer qu'Improprement : toutes ses product ions portent l'empreinte d'un mod6le. Les monstres mêmes, qu!une imagination déréghSe se figure dans ses délires, ne peuvent être composés

que de parties prises dans la Nature : & s,i le Génie,

par caprice, fait de ces parties un assemblage

contrairement aux loix naturelles, en dégradant la

Nature, il se dégrade lui-même, & se change en une

esp~ce de folie. Les limites sont marquées, dès qu'on les passe, on se perd: on fait un chaos plutôt qu'un

monde, & on nuse du désagrément plutÔt que du

1 i · Il Il

P a sir.» '

"

Le grotesque s'apparente plutÔt au fantastique, chez Hugo plus que chez tout autre, avec des visions effrayantes comme la scène du pendu où; alors que le lecteur est déjà frappé d'horreur par la description qui précède, commence le véritable"r portrait avec, «ota l'homme eOt vu le cadavre, l'enfant voyait le

65

fantÔme:l> • D'autres portraits dépeints par Hugo sont généralement affreux et

même tératologiques, par exemple en Ja personne de Quàslmodo, monstr., congénital, et en celle de Gwynplaine, monstre fabriqué.

Il existe une vision fantastique du personnage chez Balzac aussi.

Geneviève Poncin-Bar gomme .. c métamorphoses» les Images des personnêl vues

en objets.es Nous verrons plus loin comment Balzac utilise les matériaux,

.

I~

nature,

. ---....

tes .machines, les oeuvres d'art et autres choses Ihanlmées, pour caractériser lei

visages et le~ attitudes. On peut' penser qu') 1 cherche à déranger le lecteur pour

le forcer à «voir» les protagonistes dans une autre dimension.

.

'

« Grotesque ::. ••• c comique » 1

Selon Baudelaire, le comique est, au folnt de vue artistique, une

«imitation», le grotesque, une «création»; imitatlQn mêlée ~une certaine facl41té

artistique créatrice, création mêlée d'orgueil, faculté' imitatrice des élér,nents de la nature. lci,ü Je rire aurait en soi 'une idée de supériorité non pas sur l'homme mal.

••

Figure

TABLE DES  ILLUSTRATIONS
TABLE  DES IU-USTRATIONS

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